DUMOURIEZ

 

CHAPITRE VI. — LE MINISTÈRE.

 

 

DUMOURIEZ MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES — REMANIEMENT DU PERSONNEL — DÉCLARATION DE GUERRE À L'AUTRICHE — NEUTRALITÉ DE L'ANGLETERRE ET DE L'EMPIRE GERMANIQUE — NÉGOCIATION AVEC LA PRUSSE.

 

DUMOURIEZ comptait peut-être sur le ministère de la guerre. On parlait déjà de lui lorsque Narbonne fut nommé. Partout où vous serez, lui écrivait Verteuil, un autre ne fera pas mieux, et nombre de gens disaient alors que son intelligence, son expérience le désignaient plutôt que Narbonne pour ces fonctions. Le roi choisit un jeune maréchal de camp, le chevalier de Grave, aimable, mais maladif, faible, timide, dépourvu de caractère et de volonté.

Au reste, Dumouriez préférait le ministère des affaires étrangères. C'était son point de mire. Les amis qu'il avait à la cour comme dans le parti populaire assuraient que nul ne connaissait mieux que lui les relations extérieures. Dès la fin de 1791, La Porte, Sainte-Foy, Chamfort, Gallois et Gensonné répétaient partout qu'il fallait l'appeler à Paris, qu'il donnerait de bons conseils à Lessart, successeur de Montmorin. Je me suis beaucoup entretenu de vous avec Chamfort, lui mandait Gallois, et il me charge de vous dire bien des choses ; il désire vivement, ainsi que moi, que les circonstances vous ramènent ici ; je contribuerai à les faire venir ; j'ai déjà posé quelques pierres d'attente.

Gensonné, élu par le département de la Gironde à l'Assemblée législative, hésitait à se mettre en évidence. Ce fut Dumouriez qui le poussa, le stimula. Le général morigéna le député. Il avait loué le rapport sur la Vendée, non sans réserves Votre rapport, très bien fait, présente des tableaux agréables, une teinte de philosophie et d'humanité fort estimable, mais aucune conclusion, rien qui dise, qui indique même à l'Assemblée ce qu'elle doit préjuger sur cette affaire. Il reprochait à Gensonné d'avoir pris pour devise le vers de Boileau,

Imiter de Conrart le silence prudent ;

il l'exhortait à secouer sa paresse, à sortir du commun des martyrs, à être un homme public, un homme d'État, cet homme d'État que chaque législature devait avoir, à être le Mirabeau de la nouvelle assemblée. Gensonné n'avait-il pas tout ce qu'il fallait pour arriver, le travail facile et net, les idées justes ? Ne savait-il pas rendre ses idées avec clarté et avec grâce ? Dumouriez offrait à Gensonné, outre son amitié, son expérience. Il l'excitait à diriger, à guider la Révolution : Soutenez les clubs et contenez-les ! Il l'exhortait à ne pas affaiblir l'autorité royale : Le roi doit anéantir les factieux et le républicanisme les législateurs passent, et le roi reste ; nous aurons toujours recours à la monarchie. Il lui envoyait des mémoires sur plusieurs points.

Le député de Bordeaux, devenu membre du Comité diplomatique, pria Dumouriez d'être son mentor, son maître ès choses de politique étrangère. Au milieu des séances et, comme il dit, parmi les débats les plus scandaleux qu'on puisse imaginer, tandis que jacobins et feuillants engageaient les uns contre les autres la lutte la plus affligeante, il écrivait au général qu'il comptait beaucoup sur ses instructions, qu'il avait besoin d'être mené par la main, que la certitude de recevoir les avis de Dumouriez le consolait d'être en scène avant d'avoir eu le temps de se préparer à son rôle : Dites-moi au juste, lit-on dans une de ses lettres, ce que vous pensez de notre position à l'extérieur. Et il le tient au courant de tout, lui apprend, par exemple le 30 septembre 1791, que Montmorin est perdu et sera peut-être remplacé par Barthélemy. Il essaie de lui faire avoir l'ambassade de Suisse. Il lui marque que sa propre influence ne cesse de grandir dans le Comité diplomatique, qu'il a la confiance de Koch, que Jaucourt, Ramond, Briche le ménagent : Je suis content, dit-il le 26 décembre, de la manière dont Jaucourt s'est exprimé sur votre compte et il s'est engagé à me seconder de son mieux. Mais quelques jours après, le 14 janvier 1792, lorsque Gensonné déclarait à l'Assemblée qu'il était temps de donner à la nation française l'attitude qui lui convenait en face des autres nations, qu'elle ne soumettrait pas sa souveraineté aux volontés de certains despotes du dehors, et que la guerre, cette crise salutaire et nécessaire, l'élèverait à la hauteur de ses destinées, n'exposait-il pas, presque dans les mêmes termes, la pensée de Dumouriez ? Il finit par lui promettre le ministère : Vous y serez, lui mandait-il le 24 janvier, vous y serez infailliblement porté, malgré le Château il faudra bien que ces gens-là marchent ou qu'ils quittent, et il est impossible que Lessart tienne.

Lessart était en effet, pressé vigoureusement, selon le mot de Gensonné, par les membres du Comité diplomatique et surtout par Brissot qui lui reprochait de ne répondre aux notes hautaines de l'Autriche que par des phrases vagues et non avec la noble brièveté des Spartiates. Il fut décrété d'accusation, et le 15 mars, Dumouriez lui succéda.

Retenu à Paris par le Comité diplomatique, Dumouriez avait, dans une note précise, exposé ce que devait être la politique française. Il fallait, avait-il dit, non pas la continuer sur le pied de l'alliance de 1756, mais s'unir à la Prusse le sort de la France dépendait du roi de Prusse ; Léopold n'attaquerait la France que si la Prusse se prononçait contre elle.

Il rééditait, très habilement et non sans additions, le mémoire qu'il avait lu l'année précédente au club des Jacobins. Il affirmait que les relations extérieures de la France devaient être fondées sur la Déclaration des droits ; qu'un peuple grand, libre et juste était l'allié naturel de tous les peuples ; que dans cinquante ans au plus, l'Europe serait républicaine et par suite, ajoutait Dumouriez, il fallait opérer dans le corps diplomatique un changement prompt et total. Nos envoyés n'auraient pas d'expérience, mais leurs devanciers n'étaient-ils pas des jeunes gens sans éducation politique ? Le ministère des affaires étrangères n'était-il pas le moins compliqué de tous les ministères et celui qui voulait le moins de mystère ? Le ministre, concluait Dumouriez, devait communiquer au Comité diplomatique les dépêches importantes, et ce ministre serait un patriote intègre, courageux et habile.

Qui ne comprend l'éloge que Brissot fit alors de Dumouriez dans le Patriote français ? Le général, écrivait Brissot, joignait aux talents militaires la connaissance des cours de l'Europe ; il possédait vigueur et lumières ; il avait séduit les patriotes ; la voix publique l'appelait au ministère.

Comme les Girondins, la cour souhaitait l'avènement de Dumouriez. Dumouriez avait juré à La Porte de sauver la monarchie. Il assurait qu'il vaincrait les Jacobins parce qu'il était lui-même jacobin, qu'il n'adoptait leur esprit et leur langage que pour se retourner contre eux. Croyez-vous, disait-il à Vaublanc, que je les aime plus que vous ? Laissez-moi faire et vous verrez. Sainte-Foy comptait sur lui : Nous sommes sûrs de Dumouriez, marquait-il dans un rapport secret, puisque c'est nous et nous seuls, qui l'avons appelé dans des vues utiles. Louis XVI accepta donc Dumouriez comme il avait accepté Grave, comme il accepta les autres ministres que la Gironde proposa pour l'intérieur, les finances, la marine et la justice Roland, Clavière, Lacoste et Duranthon. Il savait la guerre inévitable ; il n'attendait plus de secours que du dehors la tempête allait se déchaîner ; il croyait qu'elle emporterait la Gironde, et la Gironde croyait qu'elle emporterait la royauté.

 

Les premiers actes du nouveau ministre furent d'un patriote ou, comme on disait aussi, d'un sans-culotte. Il remanie le personnel diplomatique. Il réorganise le ministère et réforme les bureaux. Gérard de Rayneval, Hennin, Pfeffel, Durival et nombre d'autres sont renvoyés. Rouhière est nommé chef du secrétariat ; Le Brun, chef du Ier bureau ; Noël, chef du 2e ; Baudry, chef du 3e ; Colchen, chef du 5e. La place de directeur est rétablie en faveur de Bonnecarrère, un de ces beaux garçons qui déplaisaient à Mme Roland, mais très souple, très actif, très laborieux, plein d'esprit et de ressources, ami de Mirabeau qui l'avait fait nommer ministre de France à Liège, naguère secrétaire des jacobins, répandu dans tous les mondes, connaissant mieux que qui que ce fût les partis, l'assemblée et la cour.

Ferme, énergique, Dumouriez dit tout haut que le ministère est le ministère de la France, et non d'une faction, que la France reprend son rôle de première puissance, que son gouvernement un gouvernement constitutionnel bien supérieur à celui d'un despote a de la force et de l'assiette, que le nouveau Conseil est un Conseil homogène et populaire, disposé à faire une guerre vigoureuse aux puissances qu'il ne pourra contenir par des négociations sages et franches. Il somme ses agents de parler un langage résolu et, sans se jeter dans des excuses ou des apologies à la Lessart, de présenter à l'étranger la Révolution telle qu'elle est.

Il flatte en même temps l'Assemblée. Je serai, lui dit-il, l'organe de votre énergie. Il lui lit des dépêches et des traités il l'assure qu'il lui fournira tous les renseignements qu'il lui doit ; il lui soumet la plupart des affaires, grandes et petites ; il obtient d'elle six millions de fonds secrets pour employer à l'étranger et contre l'étranger les moyens pécuniaires.

Comme l'année d'avant, afin de n'être pas taxé d'aristocratie, il se rend au club des jacobins, et dans la séance du 19 mars, coiffé, selon l'usage, du bonnet rouge, il déclare que les négociations qu'il conduira, produiront une paix solide ou une guerre décisive ; il prie ses frères de lui donner dans leurs journaux les conseils dont il a besoin et, aux applaudissements de l'assistance, il embrasse Robespierre.

Mais il témoigne sa reconnaissance à Brissot. C'est Brissot qui lui a proposé Roland et Clavière. Brissot lui recommande Robert, lui recommande Bernardin de Saint-Pierre, lui recommande Servan. On nomme Brissot le Père Joseph de Dumouriez ; on dit qu'il a fait le ministère, et qu'il mène toute la machine du gouvernement ; Fréron et Robespierre l'accusent de distribuer les ambassades et les emplois avec une scandaleuse ostentation. Enfin, c'est de concert avec Brissot que Dumouriez va faire déclarer à l'Autriche l'inévitable guerre.

 

Le 27 mars Dumouriez avait écrit à Kaunitz qu'il ne pouvait réfuter tous les huit jours des arguments rebattus. Il exigeait de l'Autriche une réponse catégorique. Qu'elle retire ses troupes qui menacent et cernent la France ; qu'elle expulse les émigrés de ses provinces ; qu'elle se souvienne de son alliance avec la France et qu'elle rompe les traités qu'elle a faits avec d'autres qu'avant le 15 avril tout soit terminé ; sinon la nation, fière et libre, la nation qui soupire après une prompte décision, ne se bornera pas à de vaines paroles et ne pourra contenir sa juste indignation puisqu'on cherche à l'avilir, à l'intimider, à la jouer, jusqu'à ce qu'on ait achevé contre elle tous les préparatifs d'attaque !

Que répondit la cour de Vienne ? Que les princes allemands possessionnés en Alsace devaient être réintégrés dans leurs droits féodaux, Avignon et le Comtat Venaissin rétrocédés au pape ; qu'elle avait ordonné des mesures de défense qui n'étaient pas comparables aux mesures hostiles de la France ; qu'elle ne reconnaissait à personne le droit de lui prescrire les dispositions qu'il lui fallait prendre pour étouffer les troubles fomentés en Belgique par le parti jacobin ; qu'elle persisterait à se concerter avec les puissances de l'Europe tant que durerait la crise révolutionnaire, tant qu'une faction sanguinaire et furieuse viserait à réduire à des jeux de mots illusoires la liberté du roi, le maintien de la monarchie et l'établissement de tout gouvernement régulier !

Évidemment l'Autriche, comme la Gironde et comme la cour, désirait la guerre. Léopold qui ne voulait pas agir, était mort le Ier mars, et François II était moins prudent que son père qu'il avait souvent accusé de lenteur et de mollesse. On va changer de système, disait Mercy le 8 mars et, mettant la main à la garde de son épée, c'est de cela qu'il faut et on y est décidé. Le 3 avril, François qui n'était pas encore empereur d'Allemagne et qu'on nommait le roi de Hongrie donnait au duc de Brunswick le commandement en chef des forces qu'il destinait, selon son expression, à sauver de l'anarchie la France et l'Europe. Le 17, Thugut annonçait à Breteuil qu'on avait résolu de marcher, et que le roi de Hongrie était las de ce qui se passait en France.

La France prit les devants, comme Frédéric II l'avait fait en 1756. Dès le 14 janvier, Gensonné, inspiré par Dumouriez, avait dit qu'un roi dont les talents seuls pouvaient excuser le despotisme, Frédéric le Grand, avait, par une irruption soudaine, assuré la couronne sur sa tête et rompu la ligue qui se formait contre lui. Le 20 avril, à l'Assemblée, Dumouriez lut un rapport sur la situation politique de la France et sur ses griefs contre l'Autriche. Puis, le roi proposa la guerre. Elle fut votée. Nul ne pensait alors qu'elle allait, suivant le mot d'un contemporain, plonger la France et l'Europe dans un gouffre de misères !

 

Pour vaincre l'Autriche, il fallait obtenir la neutralité de l'Europe, tout d'abord, la neutralité de l'Angleterre qui entraînerait celle de la Hollande et de l'Espagne. Lord Auckland ne devait-il pas être en 1793 une sorte de premier ministre des Provinces-Unies et le grand pensionnaire Van de Spiegel, le satellite qui, disait-on, ne s'écartait pas de l'orbite d'Auckland, sa planète ? Quant à l'Espagne qui craignait toujours que les Anglais ne prissent ses colonies, elle ne bougerait pas tant qu'ils resteraient neutres.

L'homme qui devait négocier avec l'Angleterre s'imposait au choix de Dumouriez. C'était Talleyrand qui revenait de Londres où Lessart l'avait envoyé. Dumouriez et Talleyrand n'étaient pas liés d'amitié, mais ils se connaissaient ; ils avaient des amis communs, Biron, La Touche-Tréville, et Dumouriez s'était entretenu plus d'une fois avec Gensonné de l'ex-évêque d'Autun, du Père Gambille, qui visait, selon le mot du Girondin, au gouvernement du jeune prince royal. Dumouriez ne jugeait pas Talleyrand assez docile et dévoué ; Talleyrand, tout en louant l'activité de Dumouriez, critiquait sa tête brûlante et jugeait que le style du nouveau ministre n'avait pas assez de noblesse et de soin. Mais Talleyrand était indispensable et, parce qu'il ne pouvait avoir, en qualité de Constituant, de fonctions officielles, il fut, avec le Genevois Duroveray, adjoint à l'ambassadeur Chauvelin, jeune homme vaniteux et imprudent lequel n'était qu'un prête-nom.

Dumouriez développa sa politique dans deux mémoires. Il fallait rassurer l'Angleterre et lui dire en termes très nets que la France faisait offensivement une guerre défensive, qu'elle ne voulait pas réunir les Pays-Bas. Il fallait représenter que la France, comme l'Angleterre, avait fondé sa constitution sur des droits imprescriptibles et qu'elle luttait pour sa liberté contre les puissances étrangères, de même que l'Angleterre avait lutté contre Louis XIV qui prétendait lui imposer les Stuarts. Que l'Angleterre s'associe aux coalisés ou ceux-ci seront vainqueurs et ils ramèneront l'ancien régime, rétabliront l'alliance autrichienne et le pacte de famille, feront des partages dont elle souffrira ; ou ils seront vaincus, et la France, prenant l'essor malgré elle et forcée d'étendre sa puissance en propageant l'esprit de liberté, révolutionnera la Hollande et réunira la Belgique. Que l'Angleterre reste donc neutre ou mieux qu'elle s'allie à la France. Que les deux nations, cessant d'être rivales, deviennent les arbitres de la paix et de la guerre, qu'elles se partagent l'Amérique avec l'appui des États-Unis et au détriment de l'Espagne. Que l'Angleterre s'engage à garantir à la France un emprunt de trois à quatre millions de livres sterling, et la France lui cédera l'île de Tabago, tout en confirmant le traité de commerce de 1786. Mais l'Angleterre pouvait-elle s'allier à la France révolutionnaire ? Grenville ne se moquait-il pas de l'ignorance et de l'absurdité de la mission française ? Du moins fit-il une déclaration de neutralité c'était tout ce que Dumouriez désirait. L'Angleterre, avait-il dit le 11 avril, ne se mêlera pas à la querelle et la nation contiendra la malveillance du roi.

 

La Sardaigne fut plus rétive. Lorsque le roi de Sardaigne sut que Dumouriez envoyait à Turin Huguet de, Sémonville, il refusa de recevoir un jacobin de cette espèce. Dumouriez déclara le 26 avril en pleine séance de l'Assemblée qu'il exigerait une réparation, et, secrètement, il proposa de remplacer Sémonville par Audibert-Caille. Mais le roi traîna la négociation en longueur ; au mois de juillet, après le départ de Dumouriez, il la rompit brutalement.

 

Le ministre sut toutefois obtenir la neutralité de l'Empire germanique, et il n'y eut pour se joindre à l'Autriche que l'électeur de Mayence et le landgrave de Hesse-Cassel. Ses agents promirent d'indemniser généreusement les princes possessionnés en Alsace. D'après la constitution française, disaient-ils, les droits seigneuriaux ne devaient plus exister, et, avant de les rétablir, il faudrait faire périr toute la nation. Dès lors, la guerre, même fatale à la France, était-elle bien utile aux princes ? Qu'y gagneraient-ils ? Pourraient-ils jamais restaurer la féodalité chez leurs vassaux d'antan ? N'était-il pas plus sage de discuter, non au bruit des armes et sous l'influence des violents conseils de l'émigration, mais en paix et avec loyauté, de négocier, non pas généralement ou collectivement, mais de puissance à puissance et à Paris, non d'après le droit public allemand, mais d'après le droit de la France où était situé le territoire des princes, puis de tout régler par des transactions individuelles ?

Nos agents représentaient en même temps que la France avait déclaré la guerre à l'Autriche, non à l'Empire.

A Ratisbonne, Marbois insinuait que le corps germanique ne devait pas se traîner à la suite de l'Autriche et de la Prusse, dans une ligue impolitique contre la France, contre la seule nation qui pouvait, un jour, sauver la liberté allemande. La diète n'était-elle qu'un simple tribunal ? Pourquoi ne reprendrait-elle pas son ancienne dignité et sa haute importance ?

A Munich, d'Assigny avait ordre de dire que le roi et la nation préparaient vigoureusement la guerre parce qu'ils voyaient se former, sous le nom de concert, une conjuration des grandes puissances ; mais que ce concert, ce monstre politique menaçait encore plus la liberté germanique que la liberté française, puisqu'il détruisait le palladium de la constitution allemande, le système sublime du grand Frédéric qui défendait la Bavière contre les envahissements de l'Autriche. Que le corps germanique prenne garde. S'il s'engage dans une guerre contre la France, il finira par être la victime de l'Autriche et de la Prusse qui chercheront autour d'elles des dédommagements et les trouveront dans des partages. Que la cour de Munich essaie donc de rompre cette terrible alliance entre la maison d'Autriche et le Brandebourg, de rétablir la rivalité à laquelle tient la constitution germanique, de rétablir l'équilibre sauveur de l'Empire. Au duc de Deux-Ponts, Naillac remontra qu'il risquait de perdre la succession de Bavière et que, pour se l'assurer, il devait conserver la balance dans le corps germanique, éclairer la diète sur ses véritables intérêts, combattre les projets de croisade contre la France, opposer à la ligue austro-prussienne une contre-ligue qui refuserait d'intervenir dans cette guerre de rois.

 

Restaient la Russie et la Prusse qui, selon l'expression de Dumouriez en 1773, formaient avec l'Autriche les trois puissances actives.

Il ne s'inquiéta pas de la Russie la Pologne, disait-il justement, intéresse Catherine d'une tout autre manière que les affaires de France.

Mais il ne put rompre la monstrueuse liaison de l'Autriche avec la Prusse. Amand de Custine, qu'il avait nommé ministre plénipotentiaire à Berlin, eut beau dire que la Prusse et la France étaient des alliées naturelles, que tout autre alliance ne saurait être pour chacune qu'un système forcé et momentané, qu'une guerre de la Prusse contre la France serait ruineuse et que, même en cas de succès, sa part serait zéro. Schulenbourg répliqua que Frédéric-Guillaume II voulait défendre l'honneur des couronnes et repousser la propagande qui menaçait tous les souverains. Dumouriez recourut alors à un émigré, un de ses anciens camarades, le maréchal de camp Heymann, entré naguère au service de la Prusse. Il lui dépêcha un agent, Benoît, dont le fils devint Benoît d'Azy. Schulenbourg refusa d'écouter Benoît et de compromettre Sa Majesté prussienne avec de misérables sans-culottes. Benoît mit par écrit les propositions de Dumouriez. Le ministre sollicitait l'arbitrage du roi de Prusse entre la France et les princes possessionnés. Il s'engageait à donner aux frères de Louis XVI les compensations que demanderait Frédéric-Guillaume. Les émigrés rentreraient en France ; si l'on ne pouvait sans danger maintenir les privilèges de la noblesse, rétablir les grandes magistratures, restituer les biens du clergé, on augmenterait les prérogatives du roi. Ces offres parurent extraordinaires elles surprirent Schulenbourg ; elles prouvaient que Dumouriez comptait tôt ou tard imposer aux révolutionnaires sa volonté. Mais à l'instant même, la France déclarait la guerre à l'Autriche, et Schulenbourg faisait dire par Heymann à Benoît que la Prusse ne se séparait pas de l'Autriche, que les deux puissances ne traiteraient qu'avec le roi de France revêtu de l'autorité nécessaire. Dumouriez se tourna vers le duc de Deux-Ponts. Si le duc obtenait la neutralité de la Prusse, il recevrait un million, et le ministre promettait deux cent mille francs à celui ou celle qui ferait réussir cette négociation. Le cabinet de Berlin répondit au duc de Deux-Ponts comme à Benoît. Le 1er mai, Schulenbourg annonçait à Custine que la Prusse entrait en campagne : depuis dix mois la tribune française retentissait d'injures contre les rois ; il fallait que cela finît !