I. Ténacité de Dumouriez. Mot de Napoléon. Proclamation aux habitants de la Marne. Grand projet de réunion. Frégeville et Baudinot au Fresne. Leur jonction avec Dubouquet. D'Harville à Aubérive. — II. La route de Vitry. Retard des convois. La disette. Propos de Dumouriez. Il mate les fédérés. Confiance et bon vouloir de l'armée. Pio patria mori. — III. Jalousie de Kellermann. Sa querelle avec Dumouriez. Lettres des deux généraux. Dumouriez écrit à Servan et à la Convention. Mission de Vialla. Recours à Danton. — IV. Servan. Ses craintes. Il désapprouve le plan de Dumouriez. — V. Les trois commissaires de la Convention. Prieur de la Marne. Sillery. Carra. Adhésion de l'armée au décret qui proclame la République. Aspect de Sainte-Menehould. Un camp de plaisance. La Marseillaise.I. Pendant qu'il amusait les Prussiens par des négociations, Dumouriez luttait dans son camp contre la défiance de ses soldats, contre la jalousie de Kellermann, contre les sollicitations de Servan qui le priait de se retirer derrière la Marne. Il subissait, écrit-il dans ses Mémoires, une véritable persécution, et ses compatriotes lui causaient plus d'ennui que les Prussiens. Mais il sut résister à toutes les obsessions, et pendant ces neuf jours qui décidèrent de l'issue de la campagne, au milieu des alarmes des ministres et de l'Assemblée, des récriminations de son collègue et des plaintes de l'armée, conserver une inébranlable fermeté, faire, comme il disait, tous les métiers et passer à tout moment à travers toutes les contrariétés, sans perdre sa bonne humeur et sa vivacité d'esprit. Il opposa sa propre prévoyance aux soupçons, aux clameurs, aux inquiétudes qui l'assiégeaient de toutes parts. Il tint bon dans son plan que tous ou presque tous désapprouvaient. Il garda sa position de Sainte-Menehould. Résolution hardie, tellement hardie que Napoléon, de son propre aveu, n'aurait osé la prendre. Je me regarde, disait le prisonnier de Sainte-Hélène, comme l'homme le plus audacieux à la guerre qui ait jamais existé, et bien certainement je ne serais pas resté dans la position de Dumouriez, tant elle m'eût présenté de dangers. Je n'explique sa manœuvre qu'en me disant qu'il n'aura pas osé se retirer. Il aura jugé encore plus de péril dans la retraite qu'à demeurer. Les Français ne savent pas se retirer devant un ennemi victorieux ; s'ils ont le moindre échec, ils n'ont plus ni tenue ni discipline, ils vous glissent dans la main. Voilà, je suppose, quel aura été le calcul de Dumouriez[1]. Napoléon se trompait. Dumouriez, en restant à Sainte-Menehould, obligeait les Prussiens à lui faire face ; il les empêchait de se rejeter dans le département de la Meuse et les Évêchés, où ils auraient vécu au large sur un riche terroir ; il les retenait immobiles dans un pays stérile où ils devaient périr à la longue de misère et de faim. Se retirer sur Châlons, c'était livrer le pays de Bar et la Lorraine et ouvrir des subsistances à l'ennemi qui pourrait hiverner sur le sol français et se préparer à une seconde campagne[2]. Il crut un instant que Brunswick se dirigerait sur Châlons. Déjà le conseil général de la Marne décidait de transférer à Sézanne, à l'extrémité du département, le siège de ses séances. Déjà l'ambulance des hôpitaux militaires refluait sur Epernay et Château-Thierry. Déjà Dumouriez annonçait au ministre qu'il suivrait les Prussiens dans leur marche et les serrerait de près. Il ordon- nait au commandant militaire de Châlons d'évacuer les magasins, de couper le pont de la Marne, de mener au-delà de la rivière les troupes de Dubouquet et les fédérés qui se trouvaient dans la ville ; lui-même se porterait sur Suippes, puis de là sur la montagne de Reims[3]. Il fut bientôt rassuré. Non, l'ennemi ne se dirigerait pas sur Châlons ; je suis là, disait-il, avec une armée à peu près égale à la sienne et je lui tomberais sur le corps dans le désordre de sa marche. Il écrivit aux administrateurs de la Marne une lettre qui fut imprimée sous forme de placard et répandue dans tout le département. Il sommait la population de concourir au salut du pays, de détruire les vivres, de faire un désert autour de l'envahisseur. Aidez de votre pouvoir le général Labourdonnaye et le patriote Laclos à faire évacuer au-delà de la Marne tous les approvisionnements qui tenteraient les Prussiens, tous les fourrages qu'on pourra charger sur les voitures ; que le reste soit brûlé ou jeté dans les rivières. Il engageait, au nom de la patrie, les habitants des villages qui bordent le cours de la Suippe et de la Vesle à se retirer avec leurs bestiaux sur l'autre rive de la Marne. Ce parti était extrême ; mais fallait-il livrer les subsistances à l'ennemi, lui donner la ressource de pénétrer plus avant ? Les dangers sont grands, ajoutait Dumouriez ; notre courage et notre civisme doivent s'élever à la même hauteur. Il affirmait aux paysans que la crise ne durerait que quelques jours ; il leur promettait la reconnaissance de la nation ; il leur assurait que la France leur saurait gré de leurs sacrifices et les dédommagerait des pertes qu'ils auraient supportées[4]. Mais Dumouriez ne se bornait pas à rejeter obstinément tout plan de retraite. Il ne s'agit pas seulement, disait-il, de ne pas se retirer du tout ; pour ne pas se retirer, il faut être plus nombreux que l'adversaire ; il ne suffit pas de faire face, il faut se renforcer. Il avait un grand projet : rassembler sur la même étendue de terrain toutes les armées et fractions d'armée qui tenaient la campagne, grouper autour de lui toutes les troupes de Reims et de Châlons, auparavant désunies par petits paquets, présenter aux alliés une masse imposante de quatre-vingts à cent mille hommes qui couvrirait à la fois Châlons, Reims, Vitry-le-François et par suite la capitale. Il appelait donc autour de lui toutes les forces de la France. Il ordonnait à Sparre, qui commandait à Châlons, d'envoyer entre le Fresne et Tilloy 15.000 hommes sous les ordres de Dubouquet ; ces 15.000 hommes devaient lui donner une grande supériorité sur les ennemis et les forcer à un mouvement rétrograde. Il priait d'Harville qui commandait à Reims, de se porter sur la Suippe et de se retrancher avec ses fédérés dans le camp d'Aubérive, derrière la rivière. Voici, lui écrivait-il, le moment de décider les affaires par un grand coup, et nous serons dans quatre jours plus de 100.000 hommes réunis. Un cercle de fer se formerait peu à peu autour des Prussiens : partout, des armées ; en face d'eux et sur leur droite les soldats de Dumouriez et de Kellermann ; sur leurs derrières, les rassemblements de Châlons et de Reims i qui s'approchaient lentement. On enfermerait l'ennemi, disait l'aide-de-camp Fortair, dans un fer à cheval, et, selon le mot de Dumouriez, on l'acculerait aux montagnes, on le refoulerait insensiblement sur la route de Grandpré[5]. Dumouriez écrivait même à Biron qu'il fallait détacher de l'armée du Rhin un corps de 15.000 hommes qui marcherait avec la plus grande diligence sur Metz et de là sur Toul et Bar-le-Duc, pour couper aux Prussiens leurs communications avec Verdun. Nous tenons les ennemis, assurait-il, et sous quinze jours nous pouvons ruiner leur armée. Cette lettre arriva trop tard. Custine poussait alors sa pointe sur Spire et Mayence. Dumouriez jugea l'expédition plus brillante qu'utile ; il eût mieux aimé que les 15.000 hommes de Custine au lieu d'aller courir les hasards en terre étrangère, eussent marché sur Verdun ; j'aurais pu, affirmait-il, répondre de terminer la guerre en trois semaines de temps par une capitulation au lieu d'une négociation[6]. Mais son plan réussit. Deux partis s'offraient à lui après le 20 septembre : la retraite ou la réunion, la retraite sur Châlons ou la réunion de toutes les levées nationales à Sainte-Menehould et aux environs. Dumouriez s'était hardiment décidé pour la réunion. Dès le 22 septembre, sur ses ordres qui ne furent jamais aussi pressants, aussi impérieux que dans ces derniers jours de la campagne, le colonel Frégeville, avec douze escadrons de cavalerie légère et un bataillon de chasseurs à pied, se portait au Fresne ; il était suivi de 1.000 hommes — 300 cavaliers et 700 fantassins — commandés par Baudinot. Bientôt Dubouquet et d'Harville se rapprochaient de la grande armée. D'Harville se retranchait à Aubérive et voyait les émigrés qui campaient à Suippes, reculer sur La Croix-en-Champagne. Dubouquet arrivait au Fresne où il faisait sa jonction avec Frégeville et Baudinot, il envoyait sa cavalerie légère à Tilloy, il était sur le point de former l'aile gauche de l'armée réunie à Dampierre et à Braux. Sous peu de jours, disait Dumouriez, je ferai un mouvement par ma gauche qui débordera la droite des Prussiens et les forcera à changer de position. Enfin, le 1er octobre, l'armée de Dubouquet[7] quittait le Fresne et s'ébranlant sur deux colonnes, faisait deux lieues en avant pour camper à Gizaucourt et à Voilemont. Les trois armées de Dumouriez, de Kellermann et de Dubouquet, notait un témoin oculaire, n'en forment plus qu'une et occupent tout le terrain de Sainte-Menehould à Voilemont, sur deux lieues et demie de longueur, pendant que l'armée de Sparre et de d'Harville borde la Vesle et la Suippe ; l'ennemi est au milieu de cet angle[8]. Ainsi s'était opérée la grande réunion que projetait Dumouriez. Mais la veille les Prussiens avaient commencé leur retraite. Enfin, écrivait fièrement Dumouriez au ministre de la guerre, enfin, ce que j'ai calculé, arrangé et prédit, est arrivé ; tenez-moi compte de ce qu'on appelait mon obstination. Relisez mes lettres et vous verrez que si je n'avais pas pris le parti de résister à l'opinion universelle, l'ennemi était sauvé, et la France en danger. Les trois commissaires que la Convention avait envoyés à Sainte-Menehould rendirent hommage au général. Vous voyez, disait Carra à Servan, que Dumouriez a très bien fait de tenir ferme, et Sillery mandait à Pétion : Dumouriez a su tenir tète contre l'opinion générale et la France est sauvée. Elle eût été dans un grand danger, s'il ne s'était pas obstiné à garder sa position. En effet, s'il s'était jeté sur Châlons ou Reims, les ennemis mourant de faim n'eussent point cherché à l'attaquer, mais ils se seraient emparés du Barrois, auraient hiverné dans nos campagnes abondantes, et de là se seraient raccommodés et renforcés ; l'année prochaine, ils eussent entamé une nouvelle campagne, au lieu que je les en défie maintenant[9]. II. Mais du 21 au 30 septembre, l'ennemi, posté à la Lune, avait fermé la route de Châlons par Sommevesle et Auve. Il ne restait plus à Dumouriez et à Kellermann que la chaussée de Châlons à Vitry-le-François, sur la rive gauche de la Marne, et un chemin menant de Vitry à Sainte-Menehould par Possesse et Elize. Tous les convois qu'on envoyait de Châlons au camp français prirent donc la route de Vitry et le chemin d'Elize. Cette dernière voie qui passait à travers des bois, des marais et des ruisseaux, était très difficile et presque impraticable en certains endroits. Dumouriez la fit réparer par les huit cents travailleurs qui avaient élevé les retranchements de la côte de Biesme[10]. Néanmoins la pluie et la boue retardaient les convois. On dut couper les arbres qui bordaient le chemin de Vitry à Elize et les coucher dans les ornières pour assurer le passage des voitures. Le pain manqua durant trois jours, du 21 au 24 septembre, et aux Islettes, et à Braux, et à Dampierre. Si vous ne m'envoyez pas les vivres que je vous ai demandés, écrivait Dumouriez au commandant militaire de Châlons, vous me mettez dans la position où j'ai mis l'armée prussienne. Les soldats formaient des attroupements tumultueux : ils couraient dans les rues de Sainte-Menehould, réclamant du pain, offrant de le payer à quelque prix que ce fût, criant qu'il fallait livrer bataille et prendre les vivres des Prussiens[11]. Dumouriez parcourut le camp avec son fidèle Thouvenot. Il
allait de tente en tente. Il passait la nuit au feu des bivouacs. Il prêchait
la patience, stimulait le patriotisme, prodiguait en un langage familier les
exhortations et les saillies. Tantôt il montrait aux soldats la profonde
misère des Prussiens qui se voyaient réduits aux extrémités de la famine et
il annonçait leur retraite prochaine ; vous n'êtes
pas tant à plaindre que ces Prussiens que vous voyez devant vous et qui
mangent leurs chevaux morts. Tantôt il rappelait le mot plaisant du
maréchal de Saxe, qu'il faut au moins une fois la semaine, interrompre les
arrivages de pain pour accoutumer les troupes aux privations. Vous n'avez pas de pain, disait-il, mais vous avez du lard, du riz, de la farine, faites des
galettes, la liberté les assaisonnera. Un jour, de violents murmures
éclatèrent sur son passage. Quels sont,
s'écria Dumouriez, les mauvais citoyens assez lâches
pour ne pas supporter la faim ? Qu'on leur prenne leurs armes et leur
uniforme, et qu'on les chasse ! Ils ne sont pas dignes de partager avec
nous l'honneur de sauver la patrie. Non, vous n'aurez pas de pain
aujourd'hui, mais n'êtes-vous pas des soldats capables de tout souffrir et de
tout surmonter ? Vive la liberté ! Tous ceux qui l'écoutaient,
répondirent : Vive la liberté ! Vive
Dumouriez, notre père ![12] Mais l'armée ne voyait pas sans inquiétude la grande route de Sainte-Menehould à Châlons interceptée par l'ennemi. On osa dire à Dumouriez qu'il était cerné par les Prussiens. Mais non, mes enfants, répliquait-il gaiement, c'est moi qui cerne les Prussiens ; leur situation est plus désespérée que la mienne ; il faut nous féliciter qu'ils se soient engagés aussi avant dans le cœur de la France. Il ajoutait que sa retraite de Grandpré n'était que l'effet d'un plan médité d'avance ; il n'avait abandonné les défilés que pour attirer Brunswick dans une région désolée ; les Autrichiens avaient forcé la trouée de La Croix-aux-Bois, mais ils n'avaient fait que le prévenir, car il comptait, après sa jonction, ouvrir volontairement ce passage aux alliés, afin de les enfourner en un mauvais pays. Les sept bataillons de fédérés que Beurnonville avait
amenés de Châlons eurent quelques velléités d'indiscipline. Ils annonçaient,
à leur arrivée, qu'ils ne souffriraient ni épaulettes, ni croix de
Saint-Louis, ni habits brodés, et qu'ils sauraient mettre les généraux à la
raison. Mais Dumouriez n'était pas du tout d'humeur
à endurer. Il passa les fédérés en revue. Il avait placé devant eux de
l'artillerie et derrière eux de la cavalerie. Il était accompagné de son état-major
et de cent hussards. Vous autres, dit-il aux
fédérés, car je ne veux vous appeler ni citoyens, ni
soldats, ni mes enfants, vous vous êtes déshonorés par des crimes ; mais je
ne souffre ici ni assassins ni bourreaux. Vous voyez cette artillerie et
cette cavalerie ; elles vous hacheront à la moindre émeute. Si, au contraire,
vous vous corrigez, si vous vous conduisez comme cette brave armée dans
laquelle vous avez l'honneur d'être admis, vous trouverez en moi un père.
Ce langage émut les fédérés qui furent très souples
et promirent monts et merveilles. Je leur tiendrai parole, écrivait
Dumouriez à Labourdonnaye, et je ne les raterai pas, car si je ne prenais ce
parti, ils ruineraient mon armée et finiraient par me pendre. Quelques jours
après, il mandait à Dubouquet : Dites aux fédérés de
Châlons que je compte sur eux, qu'ils sont des hommes, des Français, des
républicains. Mais dites-leur aussi que la nation m'a transmis les pouvoirs
les plus étendus et que j'en userai. Il déclara que tout séditieux
périrait sur-le-champ et que tout bataillon mutin serait désarmé et renvoyé
comme noté d'infamie. Ces menaces furent suivies d'exécution ; je ferai,
avait dit Dumouriez à Servan, une justice sévère et expéditive. Le bataillon
des Lombards abandonnait un convoi de vivres à l'approche des hussards
prussiens ; vingt-cinq soldats de ce bataillon eurent la tête rasée et furent
chassés en veste (30 septembre). Des
volontaires des bataillons parisiens Républicain et Mauconseil massacraient à
Réthel quatre déserteurs du corps émigré des chasseurs impériaux russes ;
Dumouriez déclara qu'il licencierait les deux bataillons et enverrait les
hommes les plus coupables à la barre de la Convention ; neuf soldats du
Républicain furent garrottés par leurs camarades et livrés à Beurnonville (4 octobre)[13]. Cependant les parlementaires prussiens ne cessaient d'arriver à Sainte-Menehould ; ils venaient d'abord les yeux bandes, mais peu à peu on les avait dispensés de cette inutile formalité. Le général craignit d'éveiller les défiances, de donner un nouvel aliment à cette maladie du soupçon qui s'était étendue sur toute la France et qui régnait dans l'armée depuis le commencement de la Révolution. Il n'épargna rien pour rassurer ses troupes. Mes enfants, dit-il un jour aux soldats qui se pressaient autour de lui, que pensez-vous des conférences avec les Prussiens ? — Si c'était un autre que vous, répondit un officier, on serait inquiet et l'on éplucherait ses actes ; mais vous êtes le père de vos soldats et nous sommes sûrs de vous. Il fit imprimer quelques pièces de sa négociation, son second mémoire au roi de Prusse, le manifeste de Brunswick, la lettre de Manstein du 28 septembre et sa réponse. Le général d'une armée d'hommes libres ne devait pas, selon lui, encourir de soupçons sur sa correspondance avec l'ennemi[14]. Ainsi, grâce aux paroles que Dumouriez semait adroitement autour de lui, à l'enthousiasme qu'il inspirait, à l'autorité qu'il exerçait avec autant de vigilance que d'énergie, à la sérénité qui, selon le mot de son lieutenant Dillan, ne l'abandonna jamais, ces troupes françaises que les émigrés croyaient livrées à l'indiscipline, formaient une armée sérieuse et forte, dévouée à son général, docile aux ordres de ses officiers, pleine de patriotisme et de bon vouloir. Dites aux braves sans-culottes, écrivait un volontaire, que l'harmonie qui règne entre nos généraux et nous est parfaite depuis vingt jours ; je ne me souviens pas que l'on s'est déshabillé ; mais l'art de faire la guerre sur la terrasse des Tuileries est bien différent de celui-ci ; nous sommes comme le chat qui guette la souris, et Dumouriez mandait à Servan que les soldats montraient autant de persévérance que de courage ; ils ne murmurent pas ; plus ils souffrent, plus ils semblent redoubler de confiance en leurs chefs[15]. Dillon et Marceau confirment le témoignage de Dumouriez. Aux Islettes comme à Sainte-Menehould on se plaignit quelquefois. Il y a trois jours, écrivait Marceau le 24 septembre, que le pain nous manque, les convois ayant été obligés de prendre le grand tour pour éviter l'ennemi. Mais les soldats qui bivouaquaient sur la côte de Biesme et dans le bois de Courupt supportaient de bon cœur les privations. Pro patria mori oportet, disait Marceau. Dillon, conseillé par Dumouriez, prit d'excellentes mesures ; il ordonna de battre le blé et de cuire le pain dans tous les villages depuis les Islettes jusqu'à Passavant et à Florent, il fit prendre ou acheter une telle quantité de pommes de terre qu'elle suffit à nourrir ses troupes pendant huit jours[16]. III. La jalousie de Kellermann causait à Dumouriez plus de soucis encore que sa propre armée. Les généraux vantèrent après la campagne l'accord qui régnait entre eux. On a cherché à nous brouiller, disait Dumouriez, on n'a pas réussi, et Kellermann m'aime à la folie ; voilà ce que fait la République et ce qu'on n'aurait pas obtenu sous un roi[17]. En réalité, ces deux hommes qui commandaient ensemble, n'étaient pas toujours d'intelligence, et l'on voyait se produire dans l'armée de la Révolution les mêmes rivalités, les mêmes conflits que dans les armées de l'ancien régime. Kellermann cachait sous sa bonhomie alsacienne l'opinion la plus avantageuse de lui-même[18]. Fier du succès de Valmy et, comme il disait, de son affaire du 20, il ne cessait de revendiquer son indépendance. Il ne voulait ni être ni paraître le lieutenant de Dumouriez. Il consentait à reconnaître l'autorité supérieure de Luckner. Dépendre du maréchal, écrivait-il, à la bonne heure ! Mais Dumouriez se trompe fort, s'il pense que je me rangerai immédiatement sous ses ordres. Il signe depuis plusieurs fois chef de l'armée ; sans rien lui dire, je signe de même. Je sais conduire mes troupes ; je l'ai prouvé puisque dans la plus mauvaise position que Dumouriez m'a indiquée, j'ai couvert de gloire mon armée attaquée par 55.000 hommes[19]. Aussi opposait-il son plan à celui de son collègue. Selon lui, il fallait quitter Sainte-Menehould, se retirer à Châlons et défendre la ligne de la Marne. Si j'étais à Châlons !, cette phrase revenait comme un refrain dans sa correspondance. Il n'avait jamais approuvé la jonction des deux armées ; c'était à Châlons qu'il voulait aller ; c'était Châlons qu'il fallait occuper par dessus tout au monde. A l'entendre, Dumouriez s'engageait dans la plus périlleuse des aventures ; il était opiniâtre, il était téméraire, il n'avait pas d'idées conséquentes ; quel acharnement il mettait à tenir la gorge de Sainte-Menehould lorsque tous les autres passages étaient forcés ! Ne voyait-il pas que les Prussiens avaient encore des forces très considérables, qu'ils coupaient les communications de l'armée avec Châlons, qu'ils allaient peut-être s'emparer de Vitry, établir dans cette ville leurs magasins et vivre dans l'abondance pendant que les Français manqueraient de tout ? Nous serons affamés, ajoutait tristement Kellermann, si nous restons plus longtemps dans cette mauvaise Champagne[20]. Vainement Dumouriez le conjurait de s'armer de patience. Vainement Valence lui conseillait avec douceur de suivre le plan de son collègue. Vainement Philippe Devaux joignait ses instances à celles de Valence. Ce Devaux était un Belge, fils naturel de Charles de Lorraine, ancien gouverneur des Pays-Bas. Il avait servi dans l'armée autrichienne et pris parti contre l'empereur en 1789 dans la révolution brabançonne. Il avait alors commandé, avec Ransonnet, la petite armée qui s'était emparée du fort de Lillo. Dumouriez, qui le connaissait de longue date, le prit pour aide de camp et le nomma lieutenant-colonel du 47e régiment ; il devait l'entraîner dans sa défection. Ce Devaux, écrit le général, était un homme très adroit et très insinuant, il avait de l'esprit, un grand courage, une âme fière et sensible, et toutes les qualités nécessaires pour devenir un très bon officier[21]. C'était Devaux qui avait porté à Kellermann la lettre du 14 septembre où Dumouriez demandait le secours de son collègue. Devaux s'était introduit dans la confiance de Kellermann, et avait pris sur lui une grande influence ; dès que Devaux allait lui parler, dit Dumouriez, Kellermann s'attendrissait et promettait tout, mais c'était toujours à recommencer[22]. Les commissaires des guerres épousaient la querelle des généraux. Les ordonnateurs de l'armée Kellermann[23] prétendaient se réserver les approvisionnements qui venaient de Vitry et ne laisser à l'armée Dumouriez que les convois qui venaient de Châlons par la route qu'interceptaient les Prussiens. Ils attribuaient à l'armée Kellermann les fourrages du Barrois et des pays voisins, et à l'armée Dumouriez qui se composait de 48 escadrons et exigeait par jour plus de quinze mille rations, les fourrages de la Champagne pouilleuse ! Un jour les vivres destinés aux troupes du camp de Braux furent arrêtés et pillés dans le camp de Dampierre. Il semble, disait Dumouriez, que nous soyons deux armées ennemies réunies sur le terrain par une trêve[24]. Le 24 septembre, Kellermann vint trouver Dumouriez, et lui représenta qu'il fallait souffler une marche aux Prussiens et se diriger sur Châlons sans perdre un instant. Le lendemain, il lui écrivait une longue lettre : Je ne vous ai joint que parce que vous étiez dans la presse. Vous vous entêtez à Sainte-Menehould, mais je ne donne pas dans vos grandes mesures et je vous déclare que si vous ne prenez pas un parti, je saurai prendre le mien, Vous avez votre armée, et moi la mienne ; vous ne pouvez disposer de mes troupes ni me dicter mes mouvements ; nous sommes deux généraux indépendants l'un de l'autre. Dumouriez répondit à Kellermann qu'il fallait unir et
leurs forces et leurs cœurs, qu'ils étaient tous deux indépendants, lorsqu'ils
étaient séparés, mais que puisqu'ils étaient réunis, un seul devait
commander. Si votre plan l'emporte sur le mien,
ajoutait-il, je vous cède le commandement et vous
servirai comme votre premier lieutenant-général. Il citait à
Kellermann l'exemple de Frégeville et de Baudinot qui campaient au Fresne ;
Frégeville s'était empressé de se mettre sous les ordres de Baudinot, son
ancien. Je ne réclame pas le commandement,
disait Dumouriez, quoique votre ancien ; je trouve
juste que celui de nous dont le plan sera adopté, commande la totalité de l'armée. Mais il savait bien que ni ses lettres ni ses démarches personnelles ne vaincraient l'obstination de Kellermann. Il recourut aux grands moyens. Il pria Servan de porter la question devant le conseil exécutif et de la trancher sur-le-champ : Donnez votre décision bien claire et bien catégorique, réunion ou retraite ; envoyez les ordres à celui des deux dont l'avis l'emportera ; il doit commander en chef l'exécution de son plan et l'autre doit être à ses ordres ; sinon, tout est perdu. Il écrivit à la Convention une lettre que le ministre de la guerre devait lire en séance publique. Augustes représentants d'un peuple libre, disait Dumouriez, l'armée est en ce moment l'espoir de la nation. La manière dont elle va opérer, peut ou sauver la patrie en très peu de temps ou nous causer de longues calamités... Décidez sur le plan que vous voulez adopter, ou la retraite, ou la réunion de plus de 100.000 hommes. Un aide de camp de Dumouriez, Vialla, porta ses lettres à Paris. Le messager, à la fois lieutenant-colonel et commissaire du pouvoir exécutif, était habilement choisi[25]. Il entretint Servan des desseins du général. Il s'agit, affirmait Vialla, de réunion et non de retraite ; le plan de réunion est le seul qu'il faut suivre ; il doit être exécuté par celui qui l'a conçu ; la victoire est sûre si l'on oppose aux ennemis une phalange formidable commandée par le général qui saura la diriger le plus savamment et avec le plus d'avantage. Enfin, Dumouriez demanda l'appui de Danton. J'éprouve, écrivait-il au ministre de la justice, des contradictions. On ne m'envoie point de décision sur le commandement qui doit être dans les mains d'un seul, tant que les armées sont réunies. On envoie des dépêches contradictoires à Kellermann qui est un fort bon soldat, mais qui n'a pas la tête assez forte pour résister à des insinuations, et que par conséquent on rend vacillante... Ayez soin de vous faire représenter mes quatre ou cinq dernières dépêches au patriote Servan, et pesez-les bien ; si on est content de mon plan, il faut me laisser faire ; sinon, il faut donner des ordres très clairs pour un étranger. Pesez tout cela dans votre sagesse, brave Danton ; chargez-vous de me faire faire des réponses précises, des oui ou des non[26]. IV. Les ministres s'alarmèrent de la
mésintelligence qui régnait entre Dumouriez et Kellermann. Danton, très
inquiet, se hâta d'envoyer Fabre d'Eglantine au camp de Sainte-Menehould.
Servan chargea Westermann qui partait avec Benoît pour négocier la paix avec
la Prusse, de ménager une réconciliation entre les deux généraux. Le conseil
nomma Dumouriez commandant en chef des deux armées, mais en le priant avec
instance de ménager l'amour-propre de son collègue. Vous
commanderez les armées, lui écrivait Servan le 27 septembre, tant qu'elles resteront réunies, puisque vous êtes
l'ancien et que c'est votre droit ; mais vous n'en aimerez pas moins
Kellermann, et vous agirez de concert avec lui, car enfin, nous tous qui
sommes bien résolus à sacrifier notre vie, s'il le faut, nous saurons bien au
besoin sacrifier aussi notre opinion. Mais Servan ne sacrifiait pas son opinion. Il pensait, comme Kellermann, qu'il fallait abandonner Sainte-Menehould et se retirer derrière la Marne. En vain Dumouriez se refusait obstinément à quitter le camp de Braux, et assurait qu'on ne devait pas douter du succès final, qu'il engageait sa responsabilité, que l'armée prussienne perdait de jour en jour les chances qui lui restaient et n'aurait bientôt qu'une préoccupation, celle de quitter la France. En vain il affirmait qu'il aurait le temps de dégager Lille assiégé, qu'il serait le 15 novembre en plein Brabant et prendrait à Bruxelles ses quartiers d'hiver. On l'accusait de flatter l'imagination de ses concitoyens et de leur cacher la vérité. N'était-il pas enveloppé sur ses derrières parles Austro-Hessois et sur son front par les Prussiens ? L'ennemi ne campait-il pas entre Paris et l'armée dont il coupait les communications avec Châlons, avec Réthel, avec les places de la Meuse ? Des hussards prussiens ne couraient-ils pas jusqu'à deux lieues de Reims ? Les émigrés, les gazettes étrangères, répandaient les bruits les plus sinistres. Fersen marquait dans son journal, à la date du 28 septembre, que Dumouriez, cerné par les alliés, consentait à capituler et à se retirer dans l'intérieur en abandonnant ses canons, ses bagages et ses tentes, mais que Brunswick exigeait toutes les armes sans distinction. Trois jours auparavant, Breteuil mandait de Verdun à Bruxelles que les patriotes avaient pris une position inattaquable, mais qu'ils manquaient de vivres et se rendraient bientôt à merci. En Allemagne, en Prusse, en Autriche, on répétait que la comédie française allait finir, et que les coalisés arriveraient sous les murs de Paris dans les premiers jours d'octobre. Un système de fausses nouvelles, disait Gorsas le 28 septembre, parait être à l'ordre du jour, et ce n'est pas seulement dans la société, mais même dans la Convention nationale que les fabricateurs les répandent ; on disait hier et avant-hier, que l'ennemi était à Châlons et s'était montré à deux ou trois lieues en deçà ; hier, dans l'Assemblée nationale, on assurait qu'il était à l'instant dans la forêt de Compiègne et qu'il était maitre de la ville[27]. Servan lui-même s'effrayait[28]. On se souvient que le salut de Paris était son principal ou mieux son unique souci. Lorsqu'il commandait a Dumouriez de, se porter entre la Meuse et la Marne, il n'avait d'autre pensée que de couvrir la capitale. il eut un instant l'idée de garder les défilés de l'Argonne, mais, en réalité, il avait toujours prié Dumouriez et Kellermann de tenir derrière la Marne, soit à Châlons, soit à Reims, soit dans ces deux villes à la fois, et de disputer le passage de la rivière. La défense de la Marne, écrivait-il le 1er septembre, offre de grandes ressources, et le lendemain il demandait à Dumouriez de se porter sur Sainte-Menehould ou environs, ou même sur Châlons[29]. Même le 7 septembre, lorsque Dumouriez s'était établi solidement à Grandpré, Servan lui conseillait de se rapprocher de Châlons pour rassurer la capitale, recevoir plus facilement les secours qui viendraient de Paris, et faire plus rapidement sa jonction avec Kellermann. Après la prise de La Croix-aux-Bois et la retraite de Dumouriez sur Sainte-Menehould, il mandait au général qu'il aurait mieux aimé le savoir à Châlons ; Kellermann et vous, vous vous seriez là réunis, amalgamés, etc. Il ne voyait à ce moment que deux positions où l'armée pût résister, soit Châlons, soit Suippes. La canonnade de Valmy ne modifia pas ses idées. Les ennemis, mandait-il à Dumouriez le 23
septembre, ont fait ce qu'ils ont voulu, ils ont
coupé vos communications et se sont placés entre vous et Châlons. Ce
qu'il craignait surtout, c'était, non pas l'armée prussienne, mais Paris, ce
Paris toujours effarouché, toujours fiévreux et surexcité. Il redoutait un
mouvement populaire, une nouvelle insurrection éclatant sous le coup de
l'émotion publique. Il redoutait cette tourbe
fluctuante ou exagérée que le moindre choc porte à des excès incalculables.
Il redoutait l'Assemblée ; Nos législateurs,
disait-il, ont besoin d'un grand calme pour n'être
pas entrainés malgré eux hors des mesures de sagesse qui doivent nous sauver.
Il fallait donc tranquilliser au plus tôt et l'Assemblée et la population parisienne.
Il fallait couvrir Reims et Châlons, et par suite Paris ; Kellermann se
porterait sur Châlons par une marche dérobée et, ralliant à lui les troupes
de Sparre et de Dubouquet, défendrait, soit sur la rive gauche, soit sur la
rive droite de la Marne, la position qui lui paraîtrait la meilleure, celle
de Jaalons sur la Soude ou celle d'Ay près d'Epernay. Dumouriez irait occuper
une des positions défensives qu'offrait la montagne de Reims, et, s'il en
était délogé, se poster à Fismes. Je tiens à mon
idée, écrivait Servan, défendez ou entravez
les routes de Châlons et de Reims qui conduisent à Paris, ne craignez pas de
découvrir entièrement tout le reste. Déjà le ministre ordonnait à Lenglantjer de faire reconnaître derrière le Morin et l'Ourcq les positions que pourrait prendre l'armée. Déjà il chargeait Berruyer de se rendre à La Ferté-sous-Jouarre, d'examiner les facilités que le pays offrait au cantonnement, d'étudier le terrain soit en avant, soit en arrière de cette ville, et de choisir un poste avantageux où l'on pût défendre à la fois les deux routes qui mènent de Châlons à Paris, l'une par Epernay et Château-Thierry, l'autre par Montmirail et Coulommiers. La négociation de Manstein ne calma pas les craintes de Servan. Veillons, disait-il à Dumouriez, et si, pendant ce temps, par quelque moyen que ce soit, vous pouvez vous rapprocher de la Marne, je vous en conjure au nom de la chose publique, n'y perdez pas un moment. Pas une lettre du ministre qui n'engage le général à quitter l'Argonne, et à lever ce camp de Sainte-Menehould contre lequel on crie tant à Paris[30]. Venez, écrit-il le 27 septembre, venez couvrir Châlons, Reims et les superbes campagnes du Soissonnais et de la Brie. Que nous importe actuellement que l'ennemi occupe les plaines arides de la Champagne ? Mais nous voulons que votre brave armée et celle du général Kellermann soient approvisionnées en abondance, et nous ne supportons pas de savoir que vos communications sont devenues difficiles et que vous avez des ennemis presque de tous les côtés. Plus ils sont dans une position fâcheuse relativement aux subsistances, plus il faut la rendre pénible et améliorer la nôtre. D'ailleurs, personne ne vous voit tranquillement à Sainte-Menehould, tandis que les houlans viennent insulter les faubourgs de Reims. Servan adoptait donc le plan de Kellermann, et lorsque Dumouriez le sommait de choisir entre la retraite et la réunion, il optait résolument pour la retraite. Voici, mandait-il à Dumouriez, l'avis du conseil ; vous devez abandonner sans délai la position que vous occupez pour vous approcher de la Marne, et vous concerter avec Kellermann pour couvrir à vous deux Reims et Châlons. Il ajoutait que Dumouriez assurait ainsi ses subsistances, qu'il aurait derrière lui un pays fertile et pourvu de tout, qu'il laisserait l'ennemi dans une contrée stérile et déjà ravagée. N'était-ce pas gagner une belle bataille ? Mais Dumouriez refusait de décamper. Il accusait le
ministre de la guerre de se laisser aller par les
frayeurs de la ville. Il objectait très justement que les deux armées,
se retirant sur Châlons, seraient décontenancées et découragées parce
qu'elles auraient l'air de fuir un ennemi qui n'osait les attaquer. Du reste,
ne couraient-elles pas un grand risque en se divisant ? Les Prussiens ne pourraient-ils
accabler l'une avec toutes leurs forces avant que l'autre eût le temps de la
secourir ? Quant au conseil perpétuel,
disait-il, de me rapprocher de la Marne, de me
mettre derrière elle et de séparer l'armée en deux ou trois petits paquets,
je me garderai bien de le suivre. Je n'irai pas gâter la campagne, faire une
retraite déshonorante qui ôterait à notre armée toute son énergie et sa
confiance. Les lettres de Servan ne changèrent donc rien à la résolution de Dumouriez. Il parvint enfin à convaincre Kellermann, en lui remontrant que si l'on adoptait son plan de réunion, l'armée française appuierait sa droite à Sainte-Menehould et sa gauche à la Marne. Le petit nuage, écrivait-il le 26 septembre, est entièrement dissipé entre Kellermann et moi ; je lui ai développé mon plan ; il l'entend parfaitement bien ; il l'a entièrement adopté, et nous sommes convenus de tous nos faits[31]. Trois jours après il recevait la visite de Fabre d'Eglantine et il avait la certitude qu'il serait désormais soutenu par Danton. V. Trois commissaires de la Convention, Carra, Prieur de la Marne et Sillery, venaient d'arriver à Sainte-Menehould pour faire prêter aux troupes le serment de fidélité à la République nouvellement proclamée. Prieur, avocat à Châlons et membre du conseil général de la Marne, représentait ce département à la Convention. Il avait aidé Luckner et Laclos à mettre quelque ordre dans le rassemblement des fédérés et sauvé des prisonniers que les volontaires voulaient égorger. Il eut, disent deux témoins oculaires, la plus grande part à cette bonne action et se conduisit, comme il a coutume de le faire, en vrai républicain, car il parla avec enthousiasme de la liberté, de la loi et surtout de l'humanité[32]. Violent, exalté, il fut un des derniers montagnards et prit une part active à l'insurrection du 1er prairial. Opiniâtre et borné, il devait se faire en Vendée le patron de l'incapable Rossignol, qu'il nommait le fils aîné du Comité de Salut public. Charles-Alexis Bruslart, d'abord comte de Genlis et ensuite marquis de Sillery, s'était bravement battu dans les Indes où M. d'Aché le décora de la croix de Saint-Louis. Successivement garde-marine, enseigne de vaisseau, colonel aux grenadiers de France, mestre de camp en Second du régiment d'Orléans, gouverneur d'Epernay, brigadier dans les colonies, puis à la guerre, il fut retraité le 4 août 1780, après vingt-sept ans de services. Intime ami du duc d'Orléans dont il était, avant la Révolution, le capitaine des gardes, il l'avait éloquemment défendu devant l'Assemblée constituante qui voulait enlever aux membres de la famille royale leurs droits de citoyen actif. Les Girondins avaient proposé de le faire gouverneur de Saint-Domingue. Son nom, dit Dubois-Crancé, vaut mieux en femme qu'en homme[33], mais il ne manque pas de talents. Sillery était en effet insinuant et délié. Dumouriez vante sa finesse, son esprit séduisant, son activité qu'interrompaient parfois de cruels accès de goutte. Carra, autrefois condamné par le tribunal de Mâcon à deux ans d'emprisonnement pour Vol avec effraction, avait, en même temps que Westermann, Santerre, Fournier l'Américain, le Polonais Lazowski, le Messin Anthoine et le Strasbourgeois Simon, siégé dans le Directoire insurrectionnel qui tenait ses séances au Soleil d'Or et au Cadran bleu. Ce fut lui qui rédigea le plan de la journée du 10 août. Il publiait avec Mercier un journal très répandu, les Annales patriotiques dont l'emphase et le ton prophétique imposaient à la foule. Deux départements, la Somme et l'Orne, l'envoyèrent à la Convention et Roland le nomma, en même temps que Chamfort, conservateur à la Bibliothèque nationale. Il professait le plus ardent enthousiasme pour la révolution et n'avait à la bouche que les mots de République et de liberté. Mais il jugeait tout de travers ; il proposait d'appeler au trône le duc de Brunswick ou le duc d'York ; il dissertait sur la politique étrangère sans connaître la carte de l'Europe ; il annonçait naïvement la fin de la Révolution, la félicité de la France et l'affranchissement du monde. Il attribua les revers de 1793 à la lune rousse et prétendit sérieusement que la panique des volontaires était l'effet de la lune de mars et que le soleil du printemps les guérirait de l'habitude de fuir. Il venait de prononcer à la barre de l'Assemblée législative, le discours le plus ridicule (8 septembre). Il avait dédié quelques années auparavant à Frédéric-Guillaume un ouvrage de physique et reçu de ce prince une tabatière d'or avec une lettre de remerciement. Je dépose sur le bureau, dit Carra, la lettre du roi de Prusse et je déchire sa signature ; quant à ce monceau d'or que je méprise parce qu'il vient d'un tyran, j'en fais hommage à la nation et je désire qu'il soit employé aux frais de la grande entreprise contre ce coquin de Brunswick[34]. Ces trois commissaires étaient assez bien choisis[35]. Prieur et Sillery connaissaient le pays où sa faisait la guerre. Sillery était en outre membre du Comité militaire et il retrouvait à Sainte-Menehould son gendre Valence qui commandait la réserve de l'armée de Kellermann[36]. Carra avait tout récemment dénoncé le maréchal Luckner avec énergie, et il était populaire dans les camps par son journal et- son appel aux déserteurs étrangers ; Dumouriez dit qu'il s'érigeait en protecteur de tous les soldats en insurrection et s'était fait aimer des troupes[37]. Carra, Prieur et Sillery avaient visité le camp de Meaux qui renfermait 2,400 hommes et requis à la Ferté-sous-Jouarre le 9e bataillon de Seine-et-Oise de se rendre à Reims (27 septembre). Ils avaient parcouru le camp de Châlons, réclamé de Santerre l'envoi de trois cents canonniers, et décidé l'organisation d'un corps de garde nationale, qui préserverait de toute insulte les villages entre Châlons et Reims. Ils s'étaient rendus au Fresne (28 septembre), où la petite armée de Dubouquet les accueillit avec allégresse. Nous avons, écrivaient-ils à l'Assemblée, instruit les différents corps des décrets que la Convention nationale a rendus, et c'est avec une vive satisfaction que vos commissaires vous instruisent que les soldats de la patrie ont tous adhéré avec transport aux sages mesures adoptées par leurs représentants[38]. Le 29 septembre, au matin, ils prirent la route de Sainte-Menehould et, négligeant l'armée du Centre qu'ils devaient visiter à leur retour, ils se rendirent à Braux-Sainte-Cohière, où campait l'armée des Ardennes. Ils passèrent en revue les troupes qui venaient de faire la campagne de l'Argonne. Dumouriez présentait les commissaires et annonçait le but de leur mission. Prieur harangua les soldats. Il avait des poumons d'airain et les éclats de sa voix portaient au loin dans la plaine. Il dit que la nouvelle assemblée avait proclamé la République et qu'elle ferait prochainement une constitution qui serait ratifiée par la nation entière, que l'égalité entre tous les citoyens serait la base du gouvernement, que la loi seule devait dorénavant commander. La royauté, ajoutait-il, était détruite à jamais, et il fallait jurer à tous les tyrans une haine éternelle. Il montra de la main le camp de Hans, à une lieue de là ; voilà, braves citoyens, les despotes qui veulent vous opprimer, nous comptons sur votre courage et sur l'aversion qu'ils vous inspirent ! Les soldats acclamèrent la République avec enthousiasme. Pourtant quelques officiers murmurèrent et l'un d'eux osa dire tout haut : Pour qui donc nous battrons-nous désormais ? Prieur l'entendit, poussa vers lui son cheval et s'écria d'un ton menaçant : Vous vous battrez pour vos foyers, pour vos femmes et vos enfants, pour la nation, pour la République ; si vous n'avez pas l'intention ni le courage de défendre cette noble cause, retirez-vous ![39] Les commissaires reçurent partout le même accueil. Partout, à l'avant-garde de Beurnonville, au camp de Dampierre, à la côte de Biesme, ils entendirent les cris : vive la République et vive la Convention nationale. Le soldat aimait trop la Révolution pour ne pas approuver chaque pas qu'elle faisait en avant ; il avait résolu de la suivre jusqu'au bout ; il n'espérait plus rien de la monarchie et attendait tout de la République qui devait ouvrir à l'ambition militaire la carrière la plus vaste. Il n'y a pas eu, dit Durand Maillane, de citoyen aussi attaché que le soldat, au régime de liberté et d'égalité ; il ne voyait dans les armées qu'un avancement qui l'encourageait et que lui refusait l'ancien régime de nos rois[40]. D'ailleurs le soldat ne lisait que les journaux dévoués à la cause populaire et, depuis les premiers jours de septembre, des apôtres du nouvel ordre de choses, agents du pouvoir exécutif et de la Commune, Westermann, Billaud-Varennes, Brochet, Celliez, Varin, Harou-Romain, Sigault, Paris, Valmont, Vialla. Laribeau, ne cessaient de courir le camp des armées réunies et de prêcher la haine des rois et des tyrans[41]. L'effet de l'arrivée des commissaires, reconnait Dumouriez, fut donc très prompt, et les troupes passèrent de l'état constitutionnel à l'état républicain à l'unanimité, avec la rapidité d'un torrent[42]. Le mot République, écrit Toulongeon, avait produit dans les armées le même effet que le mot tiers état au commencement de la Révolution ; s'il y eût eu des incertitudes dans les déterminations des chefs, la détermination des soldats eût suffi pour les porter en avant[43]. Fière de sa contenance, certaine du succès que lui
promettait Dumouriez, l'armée française s'abandonnait à l'allégresse. Cinq
semaines auparavant, dans ses quartiers de Sedan, elle était triste et
découragée ; à Sainte-Menehould, elle était pleine d'entrain et de bonne
humeur. Les chants et la joie, disait
Dumouriez quelques jours plus tard à la Convention, auraient
fait prendre ce camp terrible pour un de ces camps de plaisance où le luxe
des camps rassemblait autrefois des automates enrégimentés pour l'amusement
de leurs maîtresses et de leurs enfants. Le matin, les soldats
élevaient des retranchements et des redoutes, ou bien ils fortifiaient le
château de Braux-Sainte-Cohière ; l'après-midi, ils se livraient aux jeux les
plus bruyants et à tous les amusements qu'invente, après le péril ou le
travail, la légèreté française ; le soir ils se groupaient autour de la
musique des régiments[44]. Ce fut alors que la Marseillaise ou, comme on la nommait, l'Hymne à la Liberté ou l'Hymne des Marseillais, pénétra dans les armées. Le soldat avait chanté jusqu'alors le Çà ira ; il le chantait lorsque le 14 et le 20 septembre il affrontait les Autrichiens à la Croix-aux-Bois et les Prussiens à Valmy. Mais le 29, Kellermann fit célébrer à son quartier général de Dampierre une cérémonie solennelle en l'honneur de la canonnade. On y chanta la Marseillaise. Kellermann aurait préféré le Te Deum, car il était encore imbu des traditions de l'ancien régime ; il portait toujours son cordon rouge et demandait pour ses officiers la croix de Saint-Louis. Mais le républicain Servan lui répondit que la mode des Te Deum était passée ; il faut, lui écrivait-il, y substituer quelque chose de plus utile et de plus conforme à l'esprit public, et il lui envoya le texte et la musique de l'Hymne des Marseillais qu'on pouvait chanter solennellement et avec la même pompe qu'on eût mise au Te Deum[45]. Les habitants de Sainte-Menehould fêtèrent les commissaires et donnèrent des banquets en leur honneur. On observa que Carra se servait toujours dans la conversation du mot citoyen ; c'est le seul titre, disait-il, qui convienne à des républicains. On félicita Prieur et Sillery, anciens membres de la Constituante, de leur réélection ; Sillery répondit par le quatrain suivant : Anciens usurpateurs du pouvoir populaire, Vous êtes maintenant de vrais représentants ; Frappez de vos décrets tout mortel téméraire Qui voudrait parmi vous rappeler les tyrans. il mit ces vers par écrit et les signa ; les amateurs en prirent copie. Sainte-Menehould offrait alors l'aspect le plus animé. Jamais la petite ville n'avait été si remplie de bruit et de mouvement. De toutes parts les maréchaux-ferrants, les taillandiers, les serruriers fabriquaient des clous pour ferrer les chevaux de la cavalerie. Les armuriers et les autres ouvriers en fer réparaient les armes[46]. On construisait des fours dans le couvent des Capucins. On faisait filer dans les villages, sur le chemin de Vitry, les gros équipages de l'armée. De nombreux détachements bivouaquaient sur les places. La curiosité des habitants était tenue sans cesse en éveil. On voyait les chasseurs de Stengel et de Beurnonville amener chaque jour des prisonniers. On allait regarder les deux hussards de Köhler, que Dumouriez avait imaginé de placer en sentinelle à la porte de sa maison. On admirait les demoiselles Fernig, vêtues de l'uniforme, et passant au galop dans les rues pour accompagner le général en chef qui les avait attachées à son état-major ou pour porter ses ordres. On se pressait sur le passage des princes d'Orléans dont les fourgons portaient l'inscription : Fourgons des citoyens Égalité. On se montrait le cheval blanc de Lafayette, que montait un domestique de Dumouriez, et sa berline dont se servaient les commissaires de la Convention. On visitait, comme en partie de plaisir, le parc d'artillerie et le camp de Braux-Sainte-Cohière. Il semblait, dit un contemporain, qu'on fût en pleine paix[47]. Le jour même où se célébrait la cérémonie en l'honneur de la canonnade de Valmy, on apprit que la trêve était rompue. Le camp prit aussitôt un aspect plus guerrier ; on fit tous les préparatifs de combat ; les généraux et les officiers supérieurs avaient quitté Sainte-Menehould. La pluie tombait, et un vent froid soufflait avec violence. Mais le lendemain, 30 septembre, le temps s'éclaircit ; la chaleur fut vive ; dans la matinée, les curieux, montés sur le clocher du Château, virent l'armée des alliés manœuvrer de Gizaucourt, au sud, jusqu'à l'extrémité de l'Yvron, au nord, dans un pourtour de deux lieues. Ces grands mouvements faisaient croire qu'une bataille s'engagerait le lendemain. C'était la retraite des Prussiens qui commençait[48]. |
[1] Las Cases, Mémorial, VI, 241 (10 novembre 1816).
[2] Dumouriez à Kellermann, 25 septembre (arch. guerre).
[3] Dumouriez au commandant militaire de Châlons, 21 septembre (arch. guerre).
[4] Dumouriez aux administrateurs de la Marne, 22 septembre (arch. guerre) et à Labourdonnaye, 22 septembre (papiers de Dumouriez).
[5] Dumouriez à Sparre et à d'Harville, 24 septembre ; Fortair à Dumouriez, 27 septembre (arch. guerre).
[6] Dumouriez à Biron, 25 et 28 septembre (arch. guerre).
[7] Dubouquet avait en tout 15.226 hommes : avant-garde, 13 escadrons de hussards, chasseurs et dragons, 400 gendarmes, 1 régiment de chasseurs, 1 régiment de ligne, 4 compagnies de Seine-et-Oise ; première ligne : 94e régiment, 1er bataillon de la Marne, 5e bataillon de la Meurthe, 99e régiment (ce sont les quatre bataillons qui gardaient le Chesne-Populeux quelques jours auparavant) 72e régiment, bataillon de la butte Saint-Denis, bataillon de la butte des Moulins. Seconde ligne : bataillon de l'Arsenal, bataillon des Amis de la patrie, bataillon du Pont-Neuf, bataillon de Molière. Réserve : Bataillon de Sainte-Marguerite, bataillon Bonconseil (Mauconseil), 1er Républicain ou bataillon de Palloy, 30 hussards et 200 gendarmes (arch. nat., papiers de Dumouriez).
[8] Brémont, 59.
[9] Dumouriez à Servan (1er octobre), Carra à Servan (30 septembre), Sillery à Pétion (2 octobre).
[10] Dillon, Compte rendu, 37 ; Dumouriez, Mém., I, 297 ; Buirette, Hist. de Sainte-Menehould, II, 610.
[11] Buirette, II, 610 ; Dumouriez à Sparre, 24 septembre.
[12] Cp. sur l'amour des soldats pour Dumouriez le passage suivant, d'une lettre de Paris, datée du 26 septembre, non signée, mais qui est évidemment de la baronne d'Angel, quant à l'amour que tes soldats ont pour toi, j'y ai toujours cru ; aussi je n'en suis point étonnée ; tu as tout ce qu'il faut pour te faire aimer d'eux et de beaucoup d'autres (Arch. nat., papiers de Dumouriez).
[13] Buirette, II, 610 ; Dillon, Compte rendu, 40 ; Dumouriez, Mém., I, 295-298 ; à Labourdonnaye (19 septembre), à Dubouquet et à Servan (26 septembre) ; lettre de Westermann (30 septembre) ; Rousset, Les Volontaires, 83-84, 88-90.
[14] A l'armée française, in-4°, 8 p., Sainte-Menehould, imp. de Mercier ; Buirette, II, 611 ; Dumouriez à Servan (1er octobre), et Mém., I, 308.
[15] Dillon, Compte rendu, 40 ; lettre d'un volontaire de l'armée de Dumouriez, 21 septembre (Annales patriotiques, du 26) ; Dumouriez à Servan, 26 septembre (arch. guerre).
[16] Lettre de Marceau, du 24 septembre (Doublet, p. 145) ; Mém. de Gobert ; Dillon, Compte rendu, 38.
[17] Dumouriez à Biron, 6 octobre ; les commissaires à la Convention, Moniteur du 9 octobre.
[18] Voir sur Kellermann, Invasion prussienne, p. 201-204.
[19] A Servan, 24 septembre.
[20] Kellermann à Servan (24 septembre) et à Dumouriez (25 septembre) arch. guerre.
[21] Voir, sur Devaux, le Moniteur du 27 mai 1793 ; Juste, Révol. brabançonne, 265 ; Devaux à Fortair (9 novembre, arch. guerre) ; Dumouriez, Mém., I, 297 et 353, II, 165, et Correspondance avec Pache, p. 7.
[22] Dumouriez, Mém., I, 297.
[23] Expression du temps ; on disait l'armée Dumouriez, l'armée Lafayette, etc.
[24] Dumouriez à Kellermann, 25 septembre (arch. guerre).
[25] Jacques-Louis Vialla, né le 4 août 1764, soldat aux gardes françaises (24 septembre 1786), fourrier (11 juillet 1787), capitaine aide-major du 8e bataillon de la 5e division de la garde national de Paris, capitaine à la suite du 104e régiment d'infanterie, avait été nommé, le 5 septembre. commissaire du conseil exécutif, avec grade de lieutenant-colonel ; il devait se concerter avec les généraux de l'armée française sur les opérations ultérieures de ladite armée ; le 12 septembre, à Grandpré, Dumouriez l'avait promu au grade de lieutenant-colonel aide de camp, et cette promotion avait été approuvée par Brochet et Billaud-Varennes (Lettre de Vialla, Arch. nat., papiers de Dumouriez). Il avait été poursuivi, en 1791, et condamné, au tribunal des Minimes, parce qu'il avait dit publiquement qu'il était né républicain et qu'il mourrait tel. (Révolutions de Paris, n° 169, p. 61.)
[26] Cp. sur cette querelle entre Dumouriez et Kellermann les Mém. de Dumouriez, I, 296-297, les lettres de Kellermann à Dumouriez (25 septembre) et à Servan (24 septembre), de Dumouriez à Kellermann et à Servan (25 septembre), son projet d'adresse à la Convention (25 septembre), les réflexions remises au ministre de la guerre par Vialla (29 septembre), la lettre, déjà citée, de Dumouriez à Danton (28 septembre).
[27] Fersen, II, 39-41 ; Vivenot, Quellen, II, (Spielmann à Cobenzl, 30 septembre) ; Briefe des Grafen Mercy an Starhemberg, p. p. Thürheim, 1884, 28 septembre, p. 19-20 ; Moniteur du 15 octobre (lettre de La Haye, du 5) ; et du 18 (lettre de Bruxelles, du 10) ; d'Argens, Mém. (Mém. sur l'émigr., p. p. Lescure, 1877), p. 55 ; Prudhomme, dans le n° 168 des Révolutions de Paris (22-29 septembre), parlait de la présence de l'ennemi à Châlons et à Reims ; Courrier des 83 départements, 28 septembre, p. 102. Sur les faux bruits et les nouvelles exagérées pour et contre qui circulent à Paris.
[28] Westermann à Servan, 30 septembre : Quoique vous ayez été effrayé un instant. (arch. guerre).
[29] Cp. Valmy, p. 36.
[30] Expression de Dumouriez, lettre à Servan, 26 septembre.
[31] Voir toute la correspondance de Servan aux archives de la guerre ; lettres des 7, 8, 18, 23, 26, 27 septembre à Dumouriez ; du 14 septembre à Lenglantier et du 24 septembre à Berruyer ; lettre de Dumouriez à Servan, 26 et 28 septembre.
[32] Compte rendu par les citoyens Harou-Romain et Sigaut, p. 3, note.
[33] Il avait épousé la célèbre Mme de Genlis ; comparez sur Sillery, Dumouriez, Mém., I, 300, et Iung, Dubois-Crancé, I, 304-305.
[34] Mme Roland, Mém., II, 214-215 ; Rousset, Les Volontaires, 276 ; Thermomètre du jour, 10 septembre.
[35] Remarquons qu'ils furent choisis, non par l'Assemblée, mais par Pétion ; dès le 21 septembre, Pétion, après avoir pris le fauteuil, sommait trois commissaires pour constater l'état de la caisse de l'extraordinaire (Dupont, Cambon et Ramel-Nogaret) ; le lendemain, les moments étant précieux, c'était encore lui qui désignait trois commissaires pour se rendre à Orléans (Manuel, Lépage et Thuriot) : Desmoulins affirme par deux fois dans son Hist. des Brissotins, p. 15-16 et 32 que le président Pétion envoya Carra et Sillery au camp de Sainte-Menehould, et il ajoute : Ô les bons surveillants qu'on donnait là aux généraux Dumouriez et Kellermann, pour empêcher qu'on ne ménageât Frédéric-Guillaume ! Desmoulins calomnie Pétion et la Gironde. Les commissaires des assemblées aux armées étaient presque toujours des militaires ou des hommes qui avaient, selon l'expression du temps, la connaissance des localités ; en même temps que le Champenois Prieur, que l'ancien brigadier Sillery, que le journaliste Carra se rendaient à Sainte-Menehould, d'Espinassy, Aubry et Carnot allaient à Perpignan et Dubois-Crancé, Lacombe Saint-Michel, Gasparin, à l'armée du Midi. C'est ainsi que plus tard (23 décembre), la Convention envoyait dans les départements du Bas-Rhin et de la Moselle Couturier, Dentzel et Rühl ; ainsi que l'Assemblée législative avait envoyé à l'armée du Nord Delmas, Dubois-Dubay et Bellegarde.
[36] Ajoutons que Sillery, ancien gouverneur d'Épernay, avait représenté aux Etats généraux la noblesse du bailliage de Reims.
[37] Dumouriez, Mém., I, 300 ; voir, sur la dénonciation de Luckner, par Carra, le Moniteur du 25 septembre et sur son appel aux déserteurs, ci-dessus, chapitre précédent en note.
[38] Toutes les lettres des commissaires ont été reproduites, sans changement, par le Moniteur.
[39] Moniteur du 2 octobre ; Buirette, II, 619 ; Archenholz, Minerva, janvier 1793, p. 173.
[40] Durand Maillane, Mém., p. p. Lescure, p. 329 et 331
[41] Nous connaissons déjà Westermann, Billaud-Varennes et Brochet. — Celliez suivit l'armée de Kellermann et mandait à Sparre, le 18 octobre, la capitulation de Longwy. — Sur Vialla, voir plus haut (voir aussi une lettre de Celliez, Révolutions de Paris, n° 202, p. 389) ; sur Valmont, une lettre de Dumouriez (Mém. de Mme Roland, I, 464, note F).
[42] Dumouriez. Mém., I, 301.
[43] Toulongeon, II, 358, cp. Money, The Campaign, 91 désormais les royalistes se turent et ceux qui étaient à demi républicains, le devinrent tout à fait, duc de Bellune, Mém., I, 57 ; Invasion prussienne, p. 57-60. Dès le 9 septembre, Valence écrivait à Dumouriez : Ceux qui ont eu pour principe constant la souveraineté du peuple, courront à la République avec transport, et je suis de ce nombre. La lettre suivante de Beurnonville montre que les généraux étaient dévoués au nouveau régime, mais qu'ils se souvenaient d'avoir servi le roi. Deux puissances en force demandent pour le roi liberté, sûreté et dignité. Je ne pense pas qu'il soit jamais entre dans le cœur d'aucun Français de tremper ses mains dans le sang de son ancien roi, ainsi la sûreté peut s'accorder. Liberté ; elle pourra s'accorder quand les armées ennemies seront rentrées chacune sur son territoire. Dignité ; il est de celle de la nation de lui donner de quoi vivre dignement et longtemps. Quant à l'épouse, je pense qu'il faut la renvoyer à la cour impériale et alors nous serons sûrs de faire du mari un excellent bourgeois. (Valence et Beurnonville à Dumouriez, 9 et 28 septembre, papiers de Dumouriez.)
[44] Discours de Dumouriez, 12 octobre, Moniteur du 13 ; Buirette, II, 611.
[45] Servan à Kellermann, 26 septembre, et Kellermann à Servan, 29 septembre (arch. guerre). Prudhomme disait à ce propos que c'était un sot usage de rapporter à un être placé hors du monde tout l'honneur d'une bataille gagnée et qu'on avait bien fait d'abolir le Te Deum (Révolutions de Paris, n° 170, p. 103).
[46] Registre de délibération du conseil de Sainte-Menehould, 23 septembre 1792, p. 137.
[47] Buirette, II, 621 et 631 ; Archenholz, Minerva, janvier 173, p. 162 ; lettre d'un officier à Prudhomme, Révolutions de Paris, n° 173, p. 262.
[48] Buirette, II, 618.