I. Valmy[1], l'Yvron, la Lune. — II. Kellermann à Dommartin-la-Planchette (19 septembre). — III. Marche de l'avant-garde de Hohenlohe. Les premiers coups de canon. Valence à la Lune. — IV. Embarras de Kellermann. Encombrements. Le tertre de Valmy. Dispositions habiles de Dumouriez. — V. Massenbach et Forstenbourg à la Lune. Attaque de Chazot. — VI. Arrivée de l'armée prussienne sur le plateau. Spectacle qu'offre l'armée française. Il faut assaillir le moulin. Hésitations de Brunswick et du roi. — VII. L'artillerie placée par Tempelhof. Déploiement de l'armée prussienne. En avant. — VIII. Vive la nation ! Enthousiasme des troupes. Le Ça ira. Le feu de l'artillerie française. Témoignage du prince royal. Les Prussiens font halte. — IX. Canonnade de plus en plus vive. Gœthe et la fièvre du canon. Bravoure du roi de Prusse. Intrépidité de Kellermann et de ses lieutenants. Dumouriez à la butte du moulin. — X. Explosion de caissons. Instant très critique. Massenbach et Brunswick. Les Français remis de leur émoi. Intensité de la canonnade. Résolution de Brunswick. Entretien avec Manstein et le roi. Tentative d'embauchage. — XI. Stengel sur l'Yvron. — XII. Conversion à droite. Fin de la canonnade. Tardive arrivée de Clerfayt. Orage. Fatigue et consternation. Un mot de Wolfradt. Paroles de Gœthe et de Massenbach. Entretien de Brunswick et de Caraman. — XIII. Kellermann à Dampierre. — XIV. La journée du 20 septembre, son importance et ses résultats. — XV. Motifs qui déterminèrent Brunswick à suspendre l'attaque. Causes du succès des Français.I. Deux lignes de hauteurs, d'une glaise aride, s'élèvent parallèlement l'une à l'autre en avant de Sainte-Menehould, à droite de la grande route qui mène à Châlons, non loin de la Bionne. La première ligne servait de camp à l'armée de Dumouriez[2]. La seconde est séparée de la première par une vallée assez étroite, couverte à cette époque de profonds marécages, et comprend deux hauteurs : le mont d'Yvron et le tertre de Valmy. Le mont d'Yvron — ou l'Yvron — s'étend entre la Bionne et la butte de Valmy. Le tertre de Valmy, séparé de l'Yvron par une prairie où coule, durant quatre mois de l'année, le petit ruisseau de Coupré, doit son nom au village qui se cache derrière lui, dans le bas du vallon[3]. Sa crête est étroite et escarpée ; elle était alors couronnée d'un moulin à vent qu'on voyait de très loin[4]. Durant la journée du 20 septembre, l'Yvron devait être occupé par l'avant-garde de Dumouriez, et le tertre de Valmy, ou, comme on disait à cette époque, la butte du moulin, par le gros de l'armée de Kellermann. A gauche du chemin qui conduit de Sainte-Menehould à Châlons et assez près de ce chemin, coule, parallèlement à la Bionne, la petite rivière d'Auve qui prend sa source près du village d'Auve et se jette dans l'Aisne à Sainte-Menehould. Elle traverse successivement Auve, Saint-Mard, La Chapelle, Gizaucourt, Dampierre, et reçoit, un peu au-dessous de Dampierre, un affluent, le ruisseau de l'Yèvre, sur lequel est situé le village de Voilemont. Gizaucourt et son château joueront un rôle dans le combat du 20 septembre ; l'extrémité de l'aile gauche de Kellermann s'étendra jusque là. Dampierre, sur l'Auve, et Voilemont, sur l'Yèvre, fourniront, le lendemain de Valmy et pendant les dix derniers jours de septembre, une solide position à l'armée du Centre. La grande route de Sainte-Menehould à Châlons laisse donc à droite l'Yvron et — à une petite lieue — le village de Valmy, à gauche Dampierre-sur-Auve et Gizaucourt. Elle passe par Dommartin-la-Planchette, Orbeval et la Lune, pour descendre de là, presque en ligne droite jusqu'à Châlons, à travers une grande et triste plaine dont le sol crayeux commence à se couvrir de sapinières. C'est la route que Louis X VI avait suivie quinze mois auparavant, et suivie par deux fois, la première fois en plein silence, heureux et se livrant à l'espoir[5], la seconde fois, abattu, désespéré, environné de gardes nationaux qui venaient en foule des villages du Clermontois, au son du tocsin, brandissant leurs fusils et leurs faux, criant non pas vive le roi mais vive la nation et vivent les patriotes. Orbeval était alors la première maison de poste avant Sainte-Menehould ; c'est là que l'inquiétude avait saisi les fugitifs qui ne voyaient venir aucun des détachements promis par M. de Bouillé. C'est à Sainte-Menehould que le maître de poste Drouet avait reconnu Louis XVI. C'est à la descente de Dommartin-la-Planchette, au bas de la Grèverie, que le comte de Dampierre, seigneur de Hans, avait été massacré sous les yeux de la famille royale, qui reprenait captive le chemin de Paris et peut-être, le 22 juin 4791, en passant pour la seconde fois à Orbeval, Louis XVI vit-il à droite de la route le moulin de Valmy. Il ne se doutait guère que sa destinée se déciderait irrévocablement l'année suivante près de ce moulin, et qu'au milieu des mornes plaines qu'il traversait, l'armée étrangère, désormais son unique espoir, viendrait s'épuiser dans l'inaction, la misère et la faim. La route, en partant d'Orbeval[6], s'élève par une longue rampe jusqu'à l'endroit où aboutissent deux chemins de traverse, celui de Somme-Bionne et celui de Gizaucourt. Ce carrefour porte le nom de la Lune qu'il doit, dit-on, à sa forme circulaire[7]. On aperçoit de là Orbeval, Dommartin-la-Planchette, le tertre de Valmy et la chaîne de l'Argonne qui dessine dans le lointain ses sommets boisés. Il y avait alors au bord de la route une maison isolée qu'on nommait l'auberge — ou la cense — de la Lune[8]. Ce lieu est très aride, sans plantation et sans ombrage, sans ruisseau, sans la moindre source ; il faut chercher l'eau jusqu'aux villages de Gizaucourt, de La Chapelle et de Saint-Mard où passe la rivière d'Auve. Au nord-est s'étend une plaine immense très fertile en froments ; mais au sud-ouest le sol, formé d'un calcaire crayeux, que recouvre à peine une légère couche de terre végétale, ne produit que des seigles et des marsages ; aussi, la limite de ce terroir stérile a-t-elle reçu le nom expressif de marche à famine. C'est sur ce plateau triste et désolé, le plateau de la Lune, que l'armée prussienne s'établit dans la journée du 20 septembre ; c'est de là que son artillerie canonna le tertre de Valmy ; c'est là qu'elle campa durant dix jours, en proie au découragement et à la dysenterie, dans de boueux bivouacs. II. Kellermann était arrivé le 18 septembre à Dampierre-le-Château, dans la vallée de l'Yèvre, à quatre lieues de Sainte-Menehould. Il avait avec lui dix-sept bataillons d'infanterie et trente escadrons, en tout seize mille hommes[9]. Il se hâta, sur le conseil de Dumouriez, d'envoyer au camp de Braux quelques détachements dont l'arrivée remplit les soldats de confiance et de joie ; l'armée des Ardennes était certaine désormais que l'armée du Centre venait à son secours et combattrait avec elle[10]. Le lendemain, 19 septembre, les troupes de Kellermann passèrent l'Auve en deux colonnes, l'une par Dampierre-sur-Auve, l'autre par Gizaucourt, et campèrent tout près de la grande route de Châlons, à Dommartin-la-Planchette[11]. Dumouriez avait indiqué cette position à son collègue ; elle était, à l'entendre, excellente et formait potence ; en l'occupant, Kellermann se plaçait à sa gauche. Les mouvements de Kellermann étaient à peine terminés qu'il reconnut le désavantage de sa position. Il avait à dos l'Auve et les marais fangeux qui couvraient alors les deux bords de la rivière ; sa droite était séparée de Dumouriez par un étang, l'étang le Roi, et sa gauche, dominée par la hauteur de Valmy. Comment ferait-il sa retraite s'il était battu ? Se replierait-il sur l'armée de Dumouriez ? Regagnerait-il la rive droite de l'Auve ? Mais en se rabattant sur Dumouriez, ses troupes n'avaient d'autre passage qu'une sorte de défilé entre l'étang le Roi et la rivière. Il fallait donc repasser l'Auve au pont de Dampierre. Mais la chaussée qui menait à ce pont était défoncée par les averses et remplie d'ornières si profondes que l'artillerie et les équipages n'avanceraient qu'avec d'extrêmes difficultés. En outre, le pont était mauvais et tellement étroit, que les fantassins devraient y défiler deux de front, et les cavaliers, homme par homme. Enfin, ne pouvait-on craindre que l'ennemi, se portant à la maison de la Lune, et marchant par sa droite, ne vint passer l'Auve à Gizaucourt, occuper le village de Voilemont, couper aux deux armées françaises la route de Vitry en même temps que celle de Châlons ? Kellermann condamna sur-le-champ sa position[12]. Il se rendit à Sainte-Menehould, et déclara nettement à Dumouriez, en présence de l'état-major, qu'il se retirerait le lendemain au delà de l'Auve, et camperait sur les hauteurs de Dampierre et de Voilemont ; il voulait, disait-il, conserver à tout prix ses communications avec Châlons, et Châlons était le point essentiel que ses instructions lui commandaient de protéger. Dumouriez ne fit aucune objection à son collègue, qu'il savait très pointilleux et que Servan avait négligé de mettre sous ses ordres. Mais il l'engagea vivement, si les Prussiens l'attaquaient, contre toute prévision, à prendre son champ de bataille sur les hauteurs de Valmy et de la Lune. De retour à son quartier-général, Kellermann ordonna que les équipages repasseraient l'Auve le lendemain de grand matin, et les troupes, une heure après. Telle était la position des Français le 19 septembre au soir. L'armée des Ardennes campait à Braux-Sainte-Cohière, et l'armée du Centre à Dommartin-la-Planchette, toutes deux à droite de la grande route. Kellermann avait laissé son quartier-général à Dampierre-sur-Auve et fait occuper Gizaucourt par le 1er régiment de dragons. Son avant-garde, sous les ordres de Deprez-Crassier, s'était portée vers le village de Hans, sur la Bionne, au pied du mont d'Yvron ; celle de Dumouriez, commandée par Stengel, avait reculé devant les hussards prussiens et s'était établie à la fois sur l'Yvron et sur le tertre de Valmy[13]. III. L'avant-garde prussienne avait passé la nuit du 19 au 20 septembre à Somme-Bionne. Elle se mit en marche le lendemain, entre six et sept heures du matin, en deux colonnes. Le duc de Brunswick était venu lui-même donner ses instructions au prince de Hohenlohe. Comme la veille, on n'avait qu'un seul but, rejoindre la route de Châlons en tenant toujours la crête des hauteurs. Une pluie fine et froide tombait depuis la pointe du jour, et un brouillard épais enveloppait la contrée d'un voile impénétrable. Hohenlohe et son chef d'état-major Massenbach déployèrent la carte de Cassini, et ordonnèrent aux paysans qui leur servaient de guides, de les mener droit à Maigneux[14]. C'était une ferme située sur l'emplacement d'un village détruit par les Anglais au temps de Charles VII ; elle est à 800 mètres de la grande route et à 1.500 mètres de la maison de la Lune. Les têtes des deux colonnes marchaient à la même hauteur. La première colonne était composée des hussards de Wolfradt et des dragons de Schmettau que suivait la batterie volante de Schönermark, des bataillons de fusiliers Renouard et Müffling, de la batterie de Decker, des régiments d'infanterie Hohenlohe et Kleist, enfin de la batterie Ostendorf. La seconde colonne comprenait les hussards de Köhler, deux bataillons de mousquetaires Vittinghoff, le premier bataillon de Wolframsdorf, et les trois batteries de Hüsser, de Puttkammer et de Berneck[15]. L'avant-garde avait fait à peine quelques centaines de pas et Massenbach qui la précédait, causait avec le lieutenant de hussards Zawazky, lorsque retentirent des coups de canon, les premiers de la journée. Les artilleurs de Deprez-Crassier, postés en avant du mont d'Yvron, entre Hans et Valmy, ouvraient le feu sur la ligne sombre qu'ils voyaient se mouvoir au loin à travers la brume. Mais Hohenlohe ne riposte pas. Il poursuit sa marche vers Maigneux et s'arrête à quelque distance de la ferme. Il porte sa cavalerie à droite du chemin de traverse qui mène à la grande route. Il place à gauche, près d'un bouquet de buissons[16], les bataillons de fusiliers Renouard et Muffling, et derrière eux toute son infanterie. Il établit en avant des fusiliers la batterie volante de Schönermark, qu'il charge de canonner l'avant-garde ennemie dans la direction du mont d'Yvron. Mais une vapeur de plus en plus dense, couvrant la plaine, dérobe aux Prussiens la vue de l'adversaire, et la batterie française n'apparaît qu'à de rares intervalles, lorsque le vent fait çà et là une trouée dans le brouillard. Tout à coup, pendant que les boulets qui parlent de l'Yvron, tombent au hasard sur la gauche de l'avant-garde prussienne, une grêle de projectiles s'abat sur sa droite. Une autre batterie française vient de s'installer sur la route de Châlons, à l'embranchement du chemin de traverse et de la chaussée nationale, près de l'auberge de la Lune. Au milieu du nuage grisâtre qui s'étend sur le plateau, les Prussiens voient s'agiter de gros points noirs, et surgir par instants le toit d'une maison. C'était la réserve de l'armée du Centre. Pris au dépourvu, forcé de changer de terrain et d'improviser tant bien que mal son ordre de bataille, désireux de gagner quelques heures, Kellermann envoyait sa réserve sur la hauteur de la Lune et la chargeait de soutenir son avant-garde et de couvrir par une vigoureuse diversion les mouvements de son armée qui occuperait, pendant ce temps, ses positions de combat. Valence était à la tête de cette réserve composée des deux régiments de carabiniers, de quelques escadrons de dragons et de quatre bataillons de grenadiers. Il déploie ses troupes sur une seule ligne en avant de la grande route. Il place près de l'auberge de la Lune deux compagnies d'artillerie à cheval. Sans ce mouvement de Valence, la journée se terminait peut-être par la défaite des Français. Aussi Kellermann louait-il le lendemain la valeur, le sang-froid et les talents militaires de son lieutenant : M. de Valence a contenu longtemps les ennemis sur une hauteur en avant de celle où je formai mes troupes. La canonnade engagée par l'artillerie de Valence fut extrêmement violente[17]. Elle força l'avant-garde de Hohenlohe à suspendre sa marche et fit reculer un des meilleurs corps de la cavalerie prussienne. Pendant que le prince de Hohenlohe postait son avant-garde près de Maigneux, la brigade que commandait le duc Charles-Auguste de Weimar précédait le gros de l'armée et s'avançait au grand trot. Elle se composait de quinze escadrons et menait avec elle la batterie volante du capitaine Meyer. Le duc courait droit à la route de Châlons. Emporté sans doute par son ardeur et oubliant les ordres de Brunswick, il franchit la chaussée ; c'était, dit Gœthe qui chevauchait aux premiers rangs, une allée de beaux et grands peupliers. Mais, tandis que les escadrons de Weimar, d'Eben et de Normann galopent ainsi dans la brume et, selon le mot du poète, dans le gris et l'inconnu, l'artillerie de Valence tire sur eux à toute volée. Surprise, déconcertée, ne voyant pas au milieu du brouillard la hauteur de la Lune d'où part cette décharge inattendue, la cavalerie prussienne prend la fuite et regagne la route en toute hâte ; les manteaux blancs suivaient une direction parallèle à la croupe de leurs chevaux[18]. Le commencement de la journée n'était pas de bon augure. On allait soutenir, avoue Caraman, une lutte sérieuse, et l'action militaire devenait la seule possible. Hohenlohe, alarmé par la déroute des escadrons de Weimar et craignant une attaque de la cavalerie française, fait avancer les hussards de Wolfradt et les place à l'extrémité de son aile droite ; mais il importe surtout de réduire au silence le canon de Deprez-Crassier et de Valence. Sur l'ordre du prince, les batteries de Decker et de Berneck se portent en avant de l'infanterie et ouvrent leur feu vers l'Yvron, pendant que les batteries volantes de Schönermark, de Hüsser et de Meyer dirigent tous leurs efforts contre la Lune qu'elles prennent en flanc. Mais l'artillerie française répond vigoureusement à l'artillerie prussienne. La canonnade, dit le chef d'état-major de Hohenlohe, dure longtemps et sans intermission avec la plus grande activité. Enfin, vers huit heures et demie, la batterie établie en avant de l'Yvron ne riposte plus et celle de la Lune, vaincue par les feux croisés de trois batteries, abandonne la hauteur. Pendant que l'avant-garde de Deprez-Crassier se retire sur le camp de Dommartin-la-Planchette, toute la réserve que commande Valence, grenadiers, dragons, carabiniers, canonniers, se replie sur le gros de l'armée et descend dans la plaine entre Orbeval et l'Auve. Mais la résistance de cette réserve a été, selon le mot de Massenbach, opiniâtre ; les grenadiers n'ont pas fléchi ; les carabiniers, reconnaît Nassau-Siegen, ont essuyé un feu très vif sans éprouver le moindre désordre ; l'un d'eux, un officier, égaré dans le brouillard et fait prisonnier, fut amené au roi de Prusse, et l'état-major admira sa haute taille et sa figure martiale ombragée du bonnet à poil[19]. La marche de l'avant-garde prussienne sur la ferme de Maigneux, la canonnade qu'elle engage contre l'artillerie française postée en avant de l'Yvron et à la maison de la Lune, le mouvement de Valence et la belle contenance des troupes qui fait présager celle de l'armée entière, tels sont les premiers événements de la journée du 20 septembre. Quelques coups de canon isolés s'échangent encore de part et d'autre ; mais, en réalité, la lutte est interrompue. Pendant que Hohenlohe attend l'arrivée de l'armée prussienne qui suit avec une extrême lenteur le mouvement de son avant-garde, Kellermann range et dispose ses troupes. Les deux adversaires semblent profiter du brouillard qui dure encore pour se préparer, l'un à l'attaque, l'autre à la défense. IV. Il était sept heures du matin, lorsque Kellermann connut l'approche des Prussiens[20]. Il n'avait pas prévu cette arrivée subite de l'ennemi ; j'étais bien loin de croire, dit-il dans son rapport, qu'une aussi grande partie de l'armée alliée eût passé par la trouée de Grandpré. Il comptait réparer dans la matinée la faute de la veille et prendre une meilleure position, celle qu'il prit après la bataille, à Dampierre-sur-Auve et à Voilemont. L'apparition soudaine des ennemis rompait, ses desseins. Il n'avait plus le temps de passer l'Auve ; c'était exposer l'armée au plus affreux désordre, l'engager au milieu des marais, la livrer à l'adversaire qui la foudroierait sans péril du haut des monticules voisins. Il valait mieux se porter hardiment en avant de l'Auve à la rencontre des assaillants. Bientôt tout est en rumeur dans le camp de Dommartin-la-Planchette ; on prend les armes, on sonne le boute-selle, on plie les tentes, les équipages partent au grand trot par la chaussée de Sainte-Menehould et se retirent à une lieue en arrière de l'aile gauche de Dumouriez. Mais il y eut durant plusieurs heures de grands encombrements d'infanterie, de cavalerie, d'artillerie. Rien n'avait été prévu, raconte le général Pully, les ordres furent envoyés au hasard, et l'armée se rassembla sans qu'on eut examiné ni reconnu la position[21]. Heureusement le gros de l'armée prussienne ne se mit en marche que très tard et n'avança que fort lentement ; heureusement Deprez-Crassier avec son avant-garde et surtout Valence avec sa réserve empêchèrent Hohenlohe de gagner du terrain. Pendant ce temps, Kellermann cherchait, selon son expression, son champ de bataille. Il se souvenait de la recommandation de Dumouriez, d'occuper, en cas d'attaque, le tertre de Valmy et peut-être Stengel, qui se trouvait en personne sur cette hauteur, lui fit-il dire que l'armée du Centre, attaquée à l'improviste, ne pouvait occuper une meilleure position. Il ordonne donc à sa seconde ligne, commandée par Muratel, de remonter la plaine et de s'établir à la butte du moulin, sous la protection de dix-huit pièces d'artillerie. Le duc de Chartres prend les devants et dirige le mouvement de l'infanterie. Il atteint le moulin vers huit heures. Stengel l'attendait avec impatience, Arrivez donc, lui crie de loin l'impétueux général, je ne puis quitter ce poste sans être relevé, et pourtant, si je ne devance pas les Prussiens là-dessus — et en disant ces mots, il montrait la côte d'Yvron — nous serons écrasés ici tout à l'heure ! et, sans perdre un instant, laissant son infanterie le suivre comme elle peut, il part au grand trot avec ses escadrons et les deux compagnies d'artillerie volante attachées à l'armée des Ardennes, celles des capitaines Barrois et Hanicque[22] ; il traverse rapidement le village de Valmy et le vallon où coule le Coupré, et s'installe sur le mont d'Yvron pour y demeurer toute la journée[23]. La droite de Kellermann était couverte par l'avant-garde de Stengel. Mais il fallait pourvoir à la sûreté de sa gauche. Déjà, à la pointe du jour, des hussards de Köhler, galopant avec audace au milieu du brouillard, avaient traversé la grande route et poussé jusque derrière le quartier-général de Kellermann, au village de Gizaucourt où campait en sécurité le 1er régiment de dragons, commandé par le colonel Tolozan. Ces dragons n'avaient eu que le temps de monter à cheval et de sortir du village en abandonnant leurs équipages aux hussards prussiens qui s'étaient retirés aussitôt[24]. Sur l'ordre de Kellermann, quelques escadrons de chasseurs à cheval et deux bataillons d'infanterie allèrent, au delà du grand chemin, se poster sur les bords de l'Auve et de l'Yèvre, soit à la ferme de Maupertuis, soit dans le village et le château de Gizaucourt[25]. Sa première ligne restait en bataille au camp de Dommartin-la-Planchette. Kellermann ne connaissait pas encore le dessein et les forces de l'ennemi. Avait-il devant lui l'armée entière de Brunswick ? Les Prussiens allaient-ils l'attaquer avec toutes leurs forces ou n'opérer contre lui qu'une simple démonstration et assaillir Dumouriez en tournant Gizaucourt ? Enfin, lorsqu'il eut la certitude que l'ennemi n'en voulait qu'à son armée, il fit avancer sa première ligne et la rangea, en arrière de la seconde, sur la crête du tertre de Valmy, en appuyant sa droite au moulin, et en plaçant au centre dix-huit pièces d'artillerie. L'armée française, faisant face aux envahisseurs, s'étend donc en une sorte de demi-cercle, de l'Yvron à Gizaucourt. A droite, sur l'Yvron, est Stengel, le meilleur des lieutenants de Dumouriez. Au centre, le gros de l'armée de Kellermann se trouve ramassé en deux lignes sur le sommet et les pentes de la butte de Valmy, que défendent trente-six pièces de canon. A gauche, l'avant-garde de Deprez-Crassier et la réserve de Valence, formant l'équerre, occupent la plaine qui s'étend entre le monticule de Valmy et la maison de poste d'Orbeval, et un fort détachement garnit Maupertuis et Gizaucourt, au delà de la grande route. Kellermann aurait dû poster toute sa cavalerie dans la plaine, où elle aurait soutenu la réserve de Valence et protégé le camp de Dommartin-la-Planchette. Mais il ne semblait avoir d'autre idée que d'entasser pêle-mêle sur la hauteur de Valmy toutes les troupes qu'il avait sous la main. Il fit placer, dit le général Pully, la cavalerie[26] sur la hauteur, en arrière du moulin, à dix pas de l'infanterie, et ayant derrière elle une seconde ligne de dragons, de chasseurs et de hussards qui se trouvèrent là sans ordre et je ne sais comment ; et, comme hors d'œuvre, il est bon d'observer que le plateau qu'occupait l'armée amoncelée n'avait ni largeur ni profondeur ; il était entre deux gorges, de sorte qu'il était impossible à l'infanterie et à la cavalerie de se mouvoir et de changer sa position[27]. Mais, de Sainte-Menehould où il semblait inactif,
Dumouriez secourait son collègue avec autant d'habileté que de promptitude.
Lui aussi avait été surpris par l'attaque de l'ennemi. Il connaissait le
mouvement commencé l'avant-veille par Hohenlohe contre Vienne-le-Château et,
croyant Duval en danger, il s'était empressé, dès le 18 septembre, d'envoyer
à son lieutenant cinq bataillons de renfort ; Duval avait sept mille hommes, dont moitié d'excellente cavalerie, pour tomber sur les
tètes de colonnes prussiennes qui s'aviseraient de vouloir passer la Biesme
devant lui ; il était soutenu par le poste de Florent que Dumouriez
avait renforcé de deux bataillons et de deux pièces de position ; il devait
achever les abatis qu'il avait commencés, afin de n'être pas tourné par les
bois[28]. Le lendemain (19 septembre) Dumouriez, redoutant encore
une attaque sur ses derrières, donnait ses instructions au lieutenant général
Le Veneur qui commandait l'aile droite de l'armée. Le Veneur avait sous ses
ordres le corps de Duval ainsi que 1.100 Belges dirigés par le
maréchal-de-camp Rosières, et disposait en outre de trois régiments à cheval,
le 6e de hussards, le 6e de chasseurs, le 12e de dragons, de dix bataillons
d'infanterie, de neuf compagnies de grenadiers, des trois compagnies franches
des Ransonnets, de Lorient et des Cambretots. Il était chargé de défendre avec toute l'opiniâtreté possible-le passage
de la Biesme en s'obstinant surtout sur le flanc droit de la Harazée ;
c'était à La Harazée et aux environs qu'il fallait disputer âprement le
terrain, et Dumouriez recommandait à son lieutenant de ne négliger aucune
ressource, de faire de forts abatis, et de poster partout de bons tirailleurs
et du canon. Tel est le principal objet de
l'instruction de M. Le Veneur ; sa droite par La Harazée est le point par
lequel il ne doit jamais se laisser tourner, pour que l'ennemi ne puisse pas
pénétrer jusqu'au poste de La Chalade, par lequel poste, s'il est forcé, les
Autrichiens et les émigrés qui sont placés à Varennes et à Clermont,
pourraient pénétrer par les bois et prendre à revers les retranchements du
poste de Florent[29]. Tout changeait dans la matinée du 20 septembre ; l'armée française était attaquée sur son front, et Kellermann, désormais en première ligne, allait recevoir le choc des assaillants. Dumouriez aida généreusement son collègue. Il commanda à Stengel de se porter à l'extrémité de l'Yvron pour mieux couvrir la droite de Kellermann. Il plaça derrière Stengel seize bataillons formés en colonne, sous le commandement de Beurnonville qui devait se développer sur l'Yvron, si les ennemis tentaient d'attaquer Stengel ou de le tourner. Il envoya quelques escadrons de l'avant-garde de Dillon, sous la conduite de Frégeville, se joindre à la gauche de l'armée de Kellermann[30]. Lorsqu'il apprit que Valence avait abandonné la hauteur de la Lune qui demeurait inoccupée, il donna l'ordre à Chazot de se porter avec neuf bataillons et huit escadrons, sur la grande route, de prendre possession du point le plus élevé de la montée et d'arrêter près de la maison de la Lune l'effort des assaillants. Grâce à ces dispositions, le plateau de Valmy était flanqué de toutes parts, et Kellermann, protégé sur ses deux ailes par les lieutenants de Dumouriez, ne pouvait être débordé. Dumouriez conçut en outre une manœuvre audacieuse qui fait grand honneur à son génie militaire, mais que lui seul ou Stengel pouvait exécuter. Il s'agissait de tourner la gauche des Prussiens ; douze bataillons et huit escadrons, commandés par le lieutenant-général Le Veneur, devaient franchir l'Aisne, au-dessus de la Neuville-au-Pont, et tout en appuyant la droite de Beurnonville, se porter par Berzieux et Virginy sur les derrières des alliés. En même temps, il ordonnait à Duval de rassembler ses troupes à Vienne-le-Château et de traverser l'Aisne, ainsi que Le Veneur, pour tomber sur les bagages des Prussiens, et il formait en colonnes, à l'extrémité de sa gauche, une réserve de douze bataillons et de six escadrons, prêts à déboucher sur le grand chemin pour soutenir Kellermann[31]. C'est ainsi que Dumouriez passa la matinée du 20 septembre à son quartier général, envoyant de tous côtés des ordonnances et imprimant aux divers corps de son armée leur direction. Les habitants de Sainte-Menehould, entendant le canon gronder depuis le matin, s'étonnaient que le général en chef ne se rendit pas de sa personne sur le champ de bataille, et Dumouriez ne sortit de la ville qu'à dix heures[32]. Mais les dispositions qu'il avait prises étaient sagement conçues et sauvèrent Kellermann. V. Cependant l'avant-garde prussienne restait immobile près de la ferme de Maigneux. Le major Massenbach, suivi d'un officier russe, le comte de Forstenbourg, se dirige vers la Lune. Forstenbourg, aimable compagnon, chevaleresque, toujours le premier au feu, était le fils naturel de Brunswick, et, comme disait Massenbach, le Vendôme de cet Henri IV[33]. Les deux officiers arrivent à la grande route, devant l'auberge. Que de chemin nous avons fait, s'écrie Forstenbourg en riant, nous voici dans la lune ! La maison offrait l'aspect le plus affreux. Le toit était criblé de boulets, et les tuiles brisées jonchaient le sol. Des blessés français gisaient sur la route et dans les fossés. Un d'eux attira l'attention de Massenbach ; c'était un jeune officier d'artillerie, au regard intelligent et fier ; il avait les deux jambes fracassées. Le major, ému de pitié, le fit transporter dans l'auberge. Lors même qu'on ne connaît pas le pays, remarque l'officier prussien, il suffit de jeter un coup d'œil sur la carte pour se convaincre de l'importance de la Lune[34]. Ce point, le plus élevé de la route, domine en effet tout le terrain d'alentour. Une artillerie, postée à la Lune, peut à la fois balayer le grand chemin qui s'étend à ses pieds et prendre en flanc le tertre de Valmy situé sur la gauche[35]. Massenbach et Forstenbourg jugèrent qu'il fallait occuper la Lune sur-le-champ avant un retour offensif des Français. Forstenbourg court demander les instructions de Hohenlohe. Massenbach se rend près du général Wolfradt et lui propose de faire avancer les bataillons de fusiliers. Bientôt Forstenbourg revient au galop et annonce à son ami que le prince de Hohenlohe est allé au-devant du roi et de Brunswick pour presser la marche de l'armée. Le major, suivi de Forstenbourg, part à la recherche de Hohenlohe. Mais le brouillard ne s'est pas encore dissipé ; les deux officiers s'égarent, et lorsqu'ils rencontrent le prince, le gros des troupes prussiennes arrive sur le plateau de Maigneux et se met en bataille. Enfin Massenbach peut se faire écouter ; il montre qu'il est nécessaire de se saisir de la Lune au moins avec un bataillon et une batterie. Forstenbourg appuie sa proposition avec chaleur. Brunswick se rend aux raisons du major et le charge de s'établir à la Lune avec un bataillon et deux batteries. Deux aides-de-camp courent aussitôt chercher, l'un, le bataillon des grenadiers de Kenitz, l'autre, la batterie de Menz ; Massenbach se met lui-même à la tête de la batterie de Decker. Mais, tandis que le major prussien prenait les ordres du général en chef, Dumouriez commandait à Chazot d'occuper la hauteur. Chazot était parti du camp de Braux iil suivait la grande route, il dépassait Orbeval et gravissait la rampe qui mène à la Lune. Mais lui aussi perdit un temps précieux ; au lieu d'exécuter sur-le-champ l'ordre de Dumouriez, il envoya demander l'avis de Kellermann. Les Prussiens eurent le temps d'arriver. Massenbach avait pris les devants. Il voit les troupes de Chazot qui s'approchent et montent rapidement la chaussée. Encore quelques instants, lit-on dans ses mémoires, et non seulement nos batteries étaient perdues, mais toute l'armée prussienne était attaquée sur son flanc droit — et battue ! C'est à un fil de soie que tient le destin des armées et des États ! Il ordonne à la colonne de doubler le pas ; Kamecke, qui commandait le bataillon des grenadiers de Kenitz, fait battre la charge ; les artilleurs fouettent leurs chevaux et débouchent au galop sur la hauteur. Les batteries de Decker et de Menz auxquelles s'est jointe, de son propre mouvement, la batterie du capitaine Meyer, sont mises en position. Massenbach place sur la route les deux pièces du bataillon de Kenitz. Toute cette artillerie tire à mitraille sur l'assaillant, et les tambours de Kamecke ne cessent -de mêler leur roulement au bruit du canon. En même temps, paraît, à droite de la chaussée, entre la Lune et l'Auve, en avant de l'étang de Somme-Ru, le vieux Wolfradt avec ses dix escadrons ; c'était, dit Massenbach, le Deus ex machina, et son mouvement fut décisif. Chazot renonce à s'emparer de la hauteur ; ses troupes, mitraillées sur leur front par trois batteries et menacées sur leur flanc gauche par les hussards de Wolfradt, se replient sur Orbeval, l'infanterie en désordre, la cavalerie lentement et avec gravité[36]. Chazot s'établit entre Dampierre et Gizaucourt, en arrière et à gauche de la réserve de Valence[37]. VI. Pendant que Massenbach prenait possession de la Lune, l'armée prussienne arrivait sur le champ de bataille en deux colonnes, l'une commandée par le duc de Brunswick et le roi, l'autre, par Kalkreuth. Elle avait quitté Somme-Tourbe et Somme-Suippes vers huit heures du matin, en laissant brûler derrière elle les grands feux qu'elle avait allumés dans la plaine. Elle marchait, comme l'avant-garde, à travers la brume et la pluie, sans rien voir autour d'elle, lentement, péniblement, arrêtée à tout instant. Mais on entendait lé bruit du canon, et les soldats avaient reçu l'ordre de préparer leurs armes et de charger leurs fusils[38]. Enfin, peu à peu toutes les brigades arrivèrent sur le plateau de Maigneux. L'armée s'arrêta derrière l'avant-garde et fit face à la fois au mont d'Yvron et à la butte de Valmy. Sa droite s'appuyait à la grande route et sa gauche à la Bionne. Il était midi lorsque toutes les dispositions furent achevées. Le brouillard se déchirait peu à peu. Le roi, Brunswick, Nassau-Siegen, les officiers de l'état-major se portèrent en avant pour reconnaître la position de l'ennemi. Mais bientôt le dépit, l'étonnement, l'embarras se peignirent sur tous les visages. Voilà les troupes qu'on croyait trouver en défaut et surprendre dans la confusion d'une retraite précipitée ! Elles acceptaient la bataille, et les unes sur lés hauteurs, les autres dans la plaine, attendaient avec un courage ferme et tranquille le choc de l'adversaire ! Nassau-Siegen, le prince royal, Gœthe ont retracé le spectacle inattendu qui frappait leurs yeux. Les Français, dit Gœthe, s'étaient postés dans une sorte d'amphithéâtre et montraient le plus grand calme et la sécurité la plus profonde[39]. Leur armée, rapporte le prince royal, s'étendait sur les deux flancs de la hauteur de Valmy qui domine tout le terrain ; ses deux ailes paraissaient un peu repliées, et, en avant d'elle, une cavalerie nombreuse se tenait dans la plaine[40]. Nous vîmes, écrit Nassau-Siegen, l'infanterie française formée sur la hauteur du moulin de Valmy, et les hauteurs en arrière étaient aussi couronnées de troupes ; le camp de Dumouriez, entre Moiremont et Dommartin-la-Planchette n'était pas défendu, mais on voyait au nombre des troupes sous les armes, qu'il avait renforcé Kellermann, dont la cavalerie était dans la plaine entre le moulin de Valmy et la rivière d'Auve, et se trouvait soutenue par l'infanterie dont les villages étaient remplis[41]. Qu'allaient faire les Prussiens ? L'état-major était unanime : il fallait attaquer avec toutes ses forces la butte de Valmy ; c'étaient là qu'on voyait le plus de monde ; c'était là qu'on devait marcher et jeter le désordre ; les Prussiens avaient pour principe d'attaquer toujours le point le plus fort de la position ennemie[42]. Massenbach proposait d'assaillir en même temps le mont d'Yvron, où l'on apercevait une très forte batterie qui prendrait les Prussiens en écharpe dans leur attaque sur le moulin. Mais on lui répondait qu'il suffirait de tenir en échec la batterie de l'Yvron en lui opposant une batterie d'égale puissance[43]. De tous ceux qui parlaient de donner bataille, Nassau-Siegen
était le plus ardent. Ses discours respiraient l'impatience des émigrés, leur
mépris pour les armées de la Révolution, leur hâte d'en finir avec la guerre
méthodique de Brunswick et de tout décider par un coup de hardiesse. Il
soutenait qu'on avait devant soi des troupes indisciplinées et qu'en les
chargeant avec vigueur, on les mettrait aisément en déroute. Il assurait que
l'armée de ligne qui faisait face aux Prussiens n'était qu'un ramas de
fédérés poltrons et de volontaires sans expérience. Pourquoi, disait-il,
occuper la Lune ? Laissons aux rebelles une voie de retraite ; soyez sûrs que
les Parisiens prendront la fuite, s'ils ont l'espoir de rejoindre Luckner par
la route de Châlons. Il prétendait même qu'en avançant une batterie sur un
point qu'il désignait, elle prendrait en flanc toute
la ligne ennemie et qu'au bout d'une demi-heure, elle l'aurait enfilée et
foudroyée[44]. Mais Brunswick ne partageait pas les illusions de Nassau-Siegen. Il ne cessait d'observer, la lorgnette à la main, la position de l'adversaire. Il songeait qu'il avait fait un détour de douze lieues pour ne pas attaquer les Islettes. Irait-il attaquer Valmy, plus abordable, il est vrai, que les Islettes et plus exposé au feu de l'artillerie, mais garni d'une armée nombreuse et résolue ? Avait-il assez de monde pour vaincre ? Il ne voyait, dit Caraman, que la disproportion entre ses forces et celles qui lui étaient opposées, et toutes ses observations révélaient ses inquiétudes[45]. Tantôt il demandait conseil à l'un et à l'autre, à son quartier-maitre général Gruber, au chef de l'état-major Grawert, même à Nassau-Siegen. Tantôt il se portait seul ou presque seul en avant des troupes, et on le vit, accompagné de Gruber et de Nassau, s'avancer, en défendant qu'on le suivit, jusqu'à la hauteur la plus voisine du moulin, à quatre ou cinq cents toises des Français[46]. Le roi de Prusse était aussi perplexe que son généralissime. Que de fois pourtant il avait craint que l'ennemi ne se dérobât ! Que de fois il avait souhaité de toucher au terme de la lutte, de tenir ensemble Dumouriez et Kellermann, d'écraser d'un seul coup les forces de la Révolution ! Le jour qu'il attendait ardemment était venu. Mais le souverain, si impétueux, si désireux de se battre, avait perdu sa fougue coutumière. Comme Brunswick, il fixait ses regards sur la position de l'armée française ; comme lui, il paraissait inquiet et préoccupé ; comme lui, il poussait des reconnaissances sur le plateau, seul, se consultant, délibérant avec lui-même. Son fils le voit s'arrêter sur un petit tertre ; il court à lui et demande ce qu'on va faire ; mais le roi reste silencieux. Les aides-de-camp que le jeune prince interroge, répondent qu'ils ne savent rien ; les uns haussent les épaules, les autres prennent un air grave et font un visage allongé[47]. Enfin, vers une heure, Frédéric-Guillaume s'arracha à son indécision et donne l'ordre d'attaquer ; il s'est convaincu que la butte de Valmy est le point capital où doit ; se porter tout l'effort, et que le succès de la bataille dépend de la prise du moulin. VII. L'artillerie de l'armée, dirigée par Tempelhof, s'était déjà jointe à celle de l'avant-garde. Cinquante-quatre bouches à feu établies sur le plateau formaient comme un arc de cercle autour des Français. Elles couvraient, de même qu'à Mollwitz, le front de l'armée, en restant néanmoins assez près des troupes pour ne pas redouter une brusque attaque de l'ennemi. Mais Tempelhof n'a pas su profiter des ondulations du sol ; myope, contraint de se servir sans cesse de la lorgnette, il ne peut tout voir à la fois et embrasser d'un seul coup d'œil le champ de bataille. Une des batteries est cachée dans un fond, en face d'un monticule, qui dérobe aux artilleurs la vue de l'adversaire, et les oblige de tirer par élévation[48]. D'ailleurs, Tempelhof, savant officier et grand théoricien, ne sait pas garder son sang-froid au milieu du danger ; enflammé et comme hors de lui dans la chaleur de l'action, il court d'une pièce à l'autre, grondant et rudoyant ses officiers. Il avait eu l'idée d'emmener les deux batteries de mortiers que commandait le capitaine Mauritius ; il apostrophe durement Mauritius, lui reproche d'avoir mal placé ses mortiers, et les place plus mal encore[49]. Cependant l'armée prussienne se déploie en arrière et à droite de la Lune. L'avant-garde quitte la position qu'elle occupait depuis le matin et se porte un peu plus à gauche, en face du moulin de Valmy. Ses chasseurs se dispersent en tirailleurs et s'abritent dans les plis du terrain, en avant de l'artillerie. Derrière les chasseurs et l'artillerie se placent les trois bataillons de fusiliers Renouard, Ernest et Müffling ; derrière les fusiliers se développe le gros de l'avant-garde en deux colonnes d'attaque ; à la première se trouvent un bataillon de Wolframsdorf, deux bataillons de Vittinghoff et les deux régiments de Kleist et de Hohenlohe ; à la seconde sont deux bataillons de Kenitz et un bataillon de Borch. L'armée royale se forme derrière l'avant-garde en deux lignes. La première ligne comprend les six régiments de Schönfeld, de Budberg, de Romberg, de Thadden, de Woldeck et de Brunswick ; la seconde, que commande le prince royal, est composée des trois bataillons de Herzberg, de deux bataillons de Borch et d'un bataillon de Vittinghoff. La cavalerie se masse sur les ailes ; cinq escadrons de Wolfradt et dix escadrons de Bayreuth à la gauche, et les dragons de Schmettau à la droite de l'avant-garde ; les régiments d'Ilow et de Tschiersky à la gauche, et les régiments de Lottum, de Normann et de Weimar à la droite du corps de bataille. Cinq escadrons de Wolfradt, soutenus par le bataillon des grenadiers de Kenitz, restent immobiles près de la Lune ; les deux régiments de hussards d'Eben et de Köhler franchissent la route et font face à Gizaucourt[50]. Les aides-de-camp du roi portent à tous les chefs de brigade l'ordre de se mettre en mouvement. Les porte-drapeaux s'avancent pour, marquer l'alignement des files. On n'entend sur tout le front de bataille que les mots : Portez arme ! en avant marche ! Le lieutenant-colonel Manstein accourt au galop vers le prince royal : L'attaque est résolue, lui dit-il, tout ira bien. L'infanterie entière s'ébranle en bon ordre, au bruit des tambours. On n'avait jamais vu de troupes se mouvoir si facilement ni se déployer avec autant de précision sur un champ de bataille. Rien de plus beau et de plus imposant, raconte Nassau-Siegen, on eût dit qu'on se trouvait à une manœuvre de Potsdam bien compassée ; jamais je n'avais plus fermement cru à une victoire, et ce spectacle eût exalté l'âme la plus froide[51]. L'ardeur des officiers et des soldats s'était réveillée ; ils oubliaient les fatigues de la veille ; le prince royal, montrant aux grenadiers de Brunswick la butte de Valmy, affirmait qu'il ne s'agissait que de gravir, comme aux grandes revues de Magdebourg, le Butterberg près de Cörbelitz, et les soldats lui répondaient par un sourire confiant[52]. VIII. Il faisait un grand vent[53] et la petite pluie pénétrante qui tombait depuis le matin n'avait pas cessé. Mais la canonnade, ébranlant l'atmosphère, ne tarda pas à dissiper les nuages, et le plus beau soleil, écrit Caraman, vint éclairer cette journée qui devait être trop fatalement décisive pour nous[54]. Les mouvements se dessinaient à tous les yeux avec netteté, et, de la butte du moulin, on découvrait parfaitement les deux armées[55]. Déjà l'inquiétude avait saisi quelques-uns de nos bataillons. Les soldats se troublaient en apercevant devant eux cette infanterie prussienne si célèbre et si redoutée. Sauraient-ils résister à ces troupes depuis si longtemps victorieuses, si bien disciplinées, et animées d'un orgueil qu'excitait encore la présence de leur roi ? Mais Kellermann, calme et imperturbable, forme rapidement ses troupes en trois colonnes d'un bataillon de front ; il leur commande d'attendre les assaillants sans tirer un seul coup, et de les charger à la baïonnette dès qu'ils auront gravi la hauteur ; il met son chapeau, surmonté du panache tricolore, au bout de son épée qu'il élève en l'air, et s'écrie : Vive la nation ! L'armée entière lui répond : Vire la nation ! Vive la France ! Vive notre général ! Ce cri se fait entendre sur toute la ligne de bataille et se répète pendant plusieurs minutes, il se mêle au bruit du canon et aux airs entrainants de la musique qui joue le Ça ira ; il exalte les âmes. Les soldats, saisis d'enthousiasme, élèvent leurs chapeaux sur leurs baïonnettes et leurs sabres : qu'ils nous attaquent, se disent-ils les uns aux autres, et ce sera le plus beau moment de notre vie ![56] On lit dans les relations françaises de la bataille que les cris poussés par l'armée de Kellermann arrêtèrent les Prussiens. Ils avaient quelque chose de barbare, assure sérieusement un des meilleurs historiens de la campagne, et ne sont plus d'usage chez les peuples civilisés ; ils étonnèrent l'ennemi et ralentirent son ardeur[57]. Il est peu vraisemblable que les Prussiens aient été intimidés par les clameurs de l'adversaire. Mais ce qu'ils virent avec surprise, ce fut l'attitude fière et déterminée de l'armée française qui formait une masse imposante et restait inébranlable, comme certaine de sa force. Ils ne croyaient pas livrer un combat long et disputé ; ils comptaient qu'à leur approche et après quelques volées de canon, les patriotes céderaient je champ de bataille. Nos attaques, déclarait superbement Müllendorff, ont lieu par plusieurs décharges générales ; puis nous marchons, et notre infanterie, étant la plus maniable et la plus aguerrie, fait aisément ployer l'infanterie opposée[58]. Douze cents mètres séparaient encore les deux armées[59]. Mais c'étaient les Prussiens et non les Français qui commençaient à se déconcerter et à perdre leurs rangs. Les canonniers de l'armée du Centre ne cherchaient plus, comme auparavant, à démonter les pièces de l'ennemi. Ils essuyaient le feu de l'artillerie prussienne, sans lui répondre[60], et, impassibles, ne visaient que l'infanterie qui, jusque-là hors de portée et de prise, s'exposait de plus en plus à chaque pas qu'elle faisait en avant. Bientôt les boulets tombent au milieu des colonnes d'attaque ; quelques-uns parviennent même jusqu'à la réserve ; mais c'est surtout au milieu de l'avant-garde et dans le centre de la première ligne, parmi les bataillons de fusiliers et les régiments de Hohenlohe et de Kleist, que l'artillerie française exerce ses ravages. Ecoutons un des témoins de cette canonnade, un de ceux que son nom obligeait à la bravoure, le prince royal de Prusse, le même qui disait aux soldats quelques minutes auparavant qu'il ne s'agissait que d'une parade. Je courus au régiment de Thadden et j'échangeai quelques paroles avec les officiers, lorsque nous entendîmes siffler de très près des boulets, et l'un d'eux tomba au milieu du huitième peloton. Aussitôt on vit tomber sur le sol trois mousquetaires et un tambour de la compagnie du colonel Hundt ; ils avaient les cuisses et les jambes fracassées, et poussaient des gémissements lamentables. Je me tournais de leur côté, mais dans le même instant un autre boulet tombe tout près de l'endroit que je venais de quitter, au milieu du quatrième peloton, et blesse deux hommes de la compagnie du major Massow. J'avoue que ce spectacle m'ébranla fort et que mon cœur se mit à battre étrangement. On ne pouvait voir sans une extrême tristesse les blessés qu'on menait derrière l'armée et qui presque tous avaient été mortellement atteints. Le lieutenant Brodzynski, du bataillon des fusiliers d'Ernest, avait eu les deux cuisses traversées, et ses soldats l'avaient transporté pendant près de mille pas, non sans violentes secousses ; je le reconnus et je plaignis son sort ; il me pria instamment de lui donner une voiture parce que ses souffrances étaient insupportables, et je le fis porter dans la chaise du major Derschau[61]. Brunswick, persuadé que l'attaque serait à la fois meurtrière et inutile, arrêta la marche de ses troupes. L'infanterie avait à peine parcouru deux cents pas ; elle reçut l'ordre de faire halte. Elle ne se replia pas, comme on l'a raconté ; Frédéric-Guillaume mettait son honneur à ne pas reculer devant l'armée des rebelles. Les soldats demeurèrent où ils étaient, immobiles, les uns murmurant contre Brunswick,. les autres approuvant sa résolution, tous recevant les boulets français avec un courage résigné. IX. La canonnade reprit des deux parts, plus nourrie, plus serrée encore qu'auparavant. Brunswick, n'osant enlever de vive force le moulin de Valmy, essayait au moins d'ébranler l'adversaire par le feu de son artillerie, et ce feu, dit Kellermann, était le plus soutenu qu'on pût voir. Quoique peu favorablement placées par Tempelhof, les batteries prussiennes faisaient un grand mal aux Français, parce que le moulin à vent leur servait de point de mire. Celles de l'aile droite, établies en avant du cabaret de la Lune, quoique les plus éloignées, tiraient avec le plus de succès ; elles battaient en flanc le tertre de Valmy, et leurs projectiles fichants venaient assez souvent éclater dans les rangs de l'armée de Kellermann[62]. Mais l'artillerie française rendait coup pour coup, et ne cessait de tirer avec une justesse, une précision, une rapidité qui surprenaient l'ennemi. On était déconcerté, rapporte Caraman, en voyant les Français, non seulement manœuvrer avec ensemble et prendre militairement leur position, mais répondre à notre feu par un feu non moins bien dirigé[63]. Strantz prétend que leurs obus rataient souvent ou éclataient dans l'air ; mais le prince royal n'entendit pas sans frémissement le sifflement de leurs boulets ; ils sont tous lisses et polis, dit-il, et arrivaient sur nous avec un bruit particulier et strident que n'ont pas les nôtres[64]. Gœthe assistait pour la première fois à une bataille. Désireux de tout connaître, même la fièvre du canon, il quitta les rangs du régiment de Weimar qui n'était nullement exposé, poussa jusqu'à la maison de la Lune où des projectiles français venaient tomber parfois sur les débris de la toiture, puis, tournant à gauche, courut témérairement sur le front de la première ligne au milieu des boulets. Le bruit qu'ils font, rappelait-il plus tard, est bizarre ; on dirait à la fois le bourdonnement d'une toupie, le bouillonnement de l'eau et la voix flûtée d'un oiseau. Bientôt je pus remarquer qu'il se passait en moi quelque chose d'extraordinaire ; mais je ne puis exprimer que par des images la sensation que j'éprouvais. On croit être en un endroit très chaud, et il semble qu'on se sente entièrement pénétré de la même chaleur et comme en parfaite harmonie avec l'élément qui vous entoure. Le regard ne perd rien de sa force et de sa netteté, mais le monde prend, pour ainsi dire, une teinte rougeâtre et parait absorbé dans cette fournaise. Voilà dans quel sens on a pu parler de la fièvre du canon. Il est néanmoins remarquable que l'angoisse qu'on ressent se communique seulement par les oreilles ; car le tonnerre du canon, le sifflement et le fracas des projectiles à travers l'air, sont la cause véritable de cette sensation[65]. Pendant que le poète s'engageait audacieusement dans la région des boulets, les officiers prussiens allaient et venaient au milieu de leurs soldats et leur recommandaient le courage et le sang-froid. Le vieux colonel Paczynsky, qui souffrait de la goutte et se faisait traîner en voiture depuis quelques jours, parut à cheval devant son bataillon en disant qu'en un pareil moment il ne pouvait rester en arrière. Le roi de Prusse était le plus intrépide de tous. Il se promenait au petit pas, d'un air .calme et assuré, sur le front de la première ligne et au milieu de l'avant-garde. Les soldats du régiment de Kleist baissaient la tète pour laisser passer les boulets : Tous n'avez pas honte, cria Frédéric-Guillaume, regardez-moi, qui de vous donne autant de prise aux boulets ?, et il vint se placer devant le premier rang, immobile sur son cheval, offrant sans crainte sa haute stature aux projectiles. Voyez, disait un officier à ses hommes, voyez ce vieux soldat qui ne craint pas pour sa peau ; nous serions de bien mauvais Prussiens si nous avions peur[66] ! Mais l'intrépidité des généraux français égalait celle du roi de Prusse. Kellermann était à cheval, près du moulin, dans l'endroit le plus dangereux, en avant du régiment de cuirassiers. A ses côtés se tenaient les deux fils du duc d'Orléans, le duc de Chartres qui commandait une brigade de cavalerie composée du 44e et du 17e régiment de dragons, et son jeune frère, le duc de Montpensier, qui servait d'aide-de-camp à son aîné ; les princes français ne m'ont pas quitté, écrivait Kellermann, et se sont montrés au mieux ; Chartres a déployé un grand courage, et Montpensier, un sang-froid que son extrême jeunesse rend encore plus remarquable[67]. Les deux chefs de l'artillerie de l'armée du Centre, le lieutenant-général d'Aboville et le maréchal-de-camp Senarmont, dirigeaient le feu des batteries. Linch, Muratel, Pully exhortaient l'infanterie et la cavalerie ; la contenance des nôtres, dit Pully, était superbe, et les rangs se serraient à mesure qu'ils étaient éclaircis par le canon. Senarmont eut son cheval tué sous lui. Le lieutenant-colonel du 5e bataillon de grenadiers réunis, Lormier, fut mortellement blessé ; ses soldats s'empressaient autour de lui, pour le relever et lui témoigner leur douleur ; mes amis, leur répondit-il, demeurez à votre poste, je meurs content, la cause de la liberté triomphera[68]. Kellermann faillit périr ; son cheval fut atteint par un boulet qui perça sa schabraque et déchira le bas de sa capote. Une députation des régiments vint le prier de ne pas s'exposer davantage ; mais il donnait l'exemple à ses troupes, et il a remarqué lui-même que sa propre fermeté contribua plus que tout le reste à l'incroyable fermeté de son armée. Nous avons tremblé plusieurs fois pour la vie de notre général, lisons-nous dans une lettre d'un de ses soldats, il a eu son cheval tué sous lui et, pendant huit minutes qu'il est resté à pied, quinze à dix-huit boulets sont tombés à ses côtés[69]. Dumouriez arrivait vers cet instant à la butte du moulin au fort de l'affaire et dans le feu le plus vif. On le vit s'entretenir froidement avec son collègue, au milieu des projectiles qui pleuvaient autour de lui ; vous connaissez sa valeur, mandait Kellermann à Servan, c'est tout dire. Mais Dumouriez avait autant de clairvoyance que de bravoure. Il vil aussitôt que Kellermann avait pris une position trop resserrée et commis une grande faute en négligeant de se maintenir sur la hauteur de la Lune ; il jugea que Brunswick n'oserait pas attaquer et, certain du dénouement de l'affaire, il revint à son camp où il attendit le résultat de l'expédition qu'il avait confiée à Le Veneur[70]. X. Malheureusement les troupes de Kellermann étaient entassées près du moulin de Valmy ; ce rassemblement si maladroit, observe le général Pully, non seulement gênait le service de l'artillerie, mais nous coûtait beaucoup de monde. Vers deux heures[71], un obus, parti de la Lune, fit sauter trois caissons. Le fracas de l'explosion fut terrible ; il retentit sur tout le champ de bataille et fut suivi d'un grand cri, puis d'un profond silence. L'artillerie française se tut pendant dix à douze minutes ; des jets d'une fumée épaisse s'élevaient au dessus du moulin ; comme par instinct, les canonniers prussiens suspendirent leur feu. Kellermann assure, dans son rapport du 21 septembre qui fut inséré dans le Moniteur et lu devant la Convention, que l'explosion a fait perdre à ses troupes des rangs entiers, mais qu'elles n'ont pas sourcillé ni dérangé leur alignement. Le mémoire qu'il rédigea plus tard révèle la vérité. Les caissons étaient trop rapprochés de l'infanterie ; la première ligne[72] recula ; le désordre se mi t dans deux anciens régiments allemands au service de France, Salm-Salm et Nassau (62e et 96e) commandés par les colonels Ruttemberg et Rewbell[73] ; les conducteurs du train d'artillerie, qui n'étaient alors que des charretiers sans discipline, s'enfuirent en toute hâte ; ce fut, reconnaît le général, un instant très critique. Massenbach voyait de la Lune cette scène de confusion. Il crut la bataille gagnée. Il court à bride abattue vers le duc de Brunswick. Charles-Ferdinand se tenait devant le premier rang de l'infanterie, calme, impassible, sans qu'on pût remarquer sur son visage la moindre trace de l'émotion qui agitait son cœur. C'était bien, dit Massenbach, le Mornay de Voltaire[74] : Incapable à la fois de crainte et de fureur, Sourd au bruit des canons, calme au sein de l'horreur. Il prie Brunswick d'envoyer sur la hauteur de la Lune des renforts d'artillerie et d'infanterie, et de diriger de ce point l'attaque contre le moulin. Le major était hors de lui ; si jamais homme a parlé avec une langue de feu, ce fut moi en ce moment : A l'endroit où vous êtes, Excellence, on ne peut voir la position ennemie, on ne la voit que de la Lune. — Allons, répond Brunswick et, suivi de Massenbach, il se dirige vers la hauteur. Mais déjà tout avait changé de face. Au moment où les caissons éclataient, Kellermann surveillait avec d'Aboville l'installation d'une nouvelle batterie, qui devait attirer le feu des ennemis et soulager par cette diversion les troupes postées près du moulin. Au bruit de l'explosion, il accourt ; il arrête de la voix et du geste la première ligne qui se retirait ; il s'efforce de la remettre en bon ordre. Bientôt le tumulte cesse ; l'infanterie reprend son aplomb et se reforme ; les cavaliers démontés se placent dans ses rangs, la carabine sur l'épaule ; le duc de Chartres amène deux batteries d'artillerie légère, celles de la 3e et de la 6e compagnie, qui s'établissent, en avant de la première ligne, à l'ouest du moulin. La canonnade, un instant interrompue, recommence avec intensité, et c'est alors qu'elle se fait entendre dans toute sa force. La terre, assurent tous les témoins de l'action, tremblait au sens le plus vrai du mot. Une grêle de projectiles tombait au milieu des Prussiens. Le vieux capitaine Ostendorf était tué près de sa batterie. Un ami de Massenbach, Radecke, avait le pied fracassé par un boulet : je le vis tomber, dit le major, et je pensai : il n'en peut être autrement, que d'autres tomberont encore aujourd'hui ! Le premier aide-de-camp de Hohenlohe, Boguslawski, était à côté de Massenbach ; une émotion profonde saisit les deux officiers ; au milieu de l'effroyable canonnade qui menaçait leur vie et couchait par terre leurs camarades, ils s'embrassèrent en se jurant une éternelle amitié ; ce spectacle, s'écrie le major, élevait les cœurs[75] ! Cependant Brunswick était sur la hauteur de la Lune. Allait-il tenter de nouveau la chance et entreprendre une seconde attaque ? Profiterait-il de l'approche des Autrichiens de Clerfayt qu'il venait d'appeler en toute hâte sur le champ de bataille ? Mais le duc vit les Français encore fermes à leur poste ; il vit leur artillerie redoubler la violence de son feu ; il vit dans la plaine, au pied de la butte, entre Orbeval et l'Auve, les dragons, les chasseurs, les carabiniers mettre pied à terre et, parmi les boulets qui venaient s'enfoncer dans la terre vaseuse et mourir à leurs pieds, donner tranquillement l'avoine à leurs chevaux ; il se tourna vers les officiers qui l'entouraient : Voyez, Messieurs, à quelles troupes nous avons affaire ; ces Français attendent que nous soyons sur eux pour monter à cheval et nous charger ![76] Sa résolution était prise. Il manda le lieutenant-colonel Manstein et causa quelques instants avec lui sur la grande route. Il fallait, avant de convaincre le roi, convaincre l'aide-de-camp qui possédait sa confiance. Bientôt après arriva le monarque, suivi de Nassau-Siegen. Frédéric-Guillaume et Brunswick s'entretinrent avec vivacité. Grawert, Hohenlohe, Manstein, Nassau s'étaient groupés autour d'eux. On avait fait signe aux officiers de l'état-major de rester à l'écart. Un conseil de guerre se tenait en plein air et au bruit du canon, près de l'auberge de la Lune. Brunswick prononça le mot décisif : Hier schlagen wir nicht, ce n'est pas ici qu'il faut se battre. Hohenlohe, Grawert, Manstein approuvèrent le duc. Le roi céda. Charles-Ferdinand parlait avec énergie, sur un ton d'autorité qu'il n'avait encore pris dans aucune circonstance. Il affirma que la bataille serait perdue, et que, même gagnée, elle était aussi funeste qu'une défaite. Cette conviction, rapporte un de ses confidents, fut le ferme rocher où il s'appuya dans cet orage. Nassau-Siegen, exaspéré, tente un suprême effort. Suivi de quelques émigrés[77], il avance sur la route et agite un mouchoir blanc. Des chasseurs français étaient à quelque distance ; l'un d'eux se détache ; il déploie son mouchoir, de même que Nassau ; il accourt au galop, si près de la maison de la Lune et du groupe royal que Massenbach et ses compagnons, craignant pour la vie de leur souverain, se jettent à sa rencontre. Le chasseur cause avec Nassau : mais bientôt il pique des deux et disparait. Ce fut la seule tentative d'embauchage que firent les émigrés dans la journée de Valmy ; pas un soldat français ne déserta ; pas une âme, dit un Prussien, ne vint à nous[78]. XI. Pendant que cette scène dramatique se passait à l'aile droite de l'armée prussienne, et que Brunswick renonçait pour la seconde fois à l'attaque du moulin, le lieutenant-général Kalkreuth canonnait le mont d'Yvron[79]. Il disposait d'une seule batterie dirigée par le lieutenant Hahn. Mais durant quelque temps elle fut hors de portée et trop loin de l'Yvron pour faire un mal sérieux à l'ennemi. Hahn la poussa plus avant, à cinq cents pas du monticule qu'il occupait d'abord. Mais sur l'Yvron comme sur la butte de Valmy, l'artillerie française riposta vivement au feu des Prussiens. Pourtant, à la fin de la journée, quelques pièces étaient démontées, et les munitions faisaient défaut. Heureusement la nuit tombait ; les Prussiens ne purent profiter de leur avantage, et d'ailleurs l'avant-garde de Stengel, renforcée par les vieilles troupes du camp de Maulde, avait essuyé la canonnade avec la même constance et le même sang-froid que l'armée de Kellermann sur le tertre voisin. Beurnonville passait de rang en rang ; enfants, dit-il, asseyez-vous, le danger sera moins grand. Mais personne ne s'assit, et on répondit au général : Vous êtes bien à cheval ! Un jeune soldat demanda la permission de se porter sur le front des troupes pour embrasser son frère qui venait d'être tué ; lorsqu'il revint à son poste, en essuyant ses larmes, il cria : Vive la nation ![80] On oublie ordinairement dans les relations du combat du 20
septembre la résistance des Français qui gardaient le mont d'Yvron et
empêchèrent Kellermann d'être pris à revers ; on ne connaît et ne cite que le
moulin de Valmy ; Kellermann, qui tire tout de son côté et s'attribue
l'entier honneur de la journée, nomme à peine Stengel dans son rapport[81]. Mais un
officier d'état-major qui ne cessa de porter des ordres durant l'action,
Belliard, déclare que Stengel se conduisit vaillamment et en homme habile.
Lorsque le brave soldat fut traduit l'année suivante devant le tribunal
révolutionnaire, son compagnon d'armes, le colonel Frégeville, lui rendit un
hommage mérité. Au 20 septembre, disait
Frégeville, Stengel commandait une division de huit
mille hommes avec laquelle il s'empara d'une hauteur qu'il était si important
de posséder que, sans cela, les Prussiens pouvaient mettre toute notre armée
en déroute, et là il se comporta avec tant de bravoure et de talents
militaires qu'il fut un de ceux qui coopérèrent le plus efficacement à la
retraite de l'ennemi. Stengel lui-même, rappelant au tribunal ses
services passés et la défense de l'Yvron, s'écriait : Le 20 septembre, nous repoussâmes les Prussiens dans une retraite dont
l'issue, si elle savait été malheureuse, aurait nécessairement décidé du sort
de Paris et de la France. Qu'ai-je fait ? Demandez-le au général Dumouriez.
Demandez-le au 54e, au 83e régiments ci-devant Roussillon et Foix,
demandez-le au 40e et au 14e régiments de chasseurs, à la compagnie des
Quatre Nations, demandez-le à vingt-deux escadrons des chasseurs, hussards et
dragons ! Tout ce monde vous dira que la position de la côte d'Yvron que j'ai
choisie, que la belle résistance des troupes que j'ai commandées et la
contenance fière qu'elles ont tenue, alors même que notre artillerie
revenait, après avoir usé toutes ses munitions, sont la cause principale de
cette importante journée. Nous sommes modestes, et ni mon avant-garde ni moi
n'avons réclamé contre, lorsque les relations de cette affaire paraissaient
oublier la juste part de gloire qui nous en revenait ![82] XII. La journée s'écoulait, et la bataille restait ce qu'elle était depuis le matin, un duel d'artillerie. Qu'on fût, ou non, exposé au feu, lisons-nous dans le journal de Gœthe, on n'avait d'autre rôle que celui de spectateur et d'auditeur ; aucun des deux partis ne changeait sa position et personne ne savait ce qui résulterait de cette canonnade qui, tantôt se ralentissait, tantôt se rallumait avec plus de vigueur, et durait toujours, semblable à un feu de peloton[83]. Enfin, à quatre heures, Brunswick fit un mouvement. Il n'avait pas vaincu les Français, mais s'il s'établissait fortement en travers de la grande route, il les coupait de Châlons et de Paris. Sur son ordre, les trois régiments de Brunswick, de Waldeck et de Thadden qui formaient la moitié de la première ligne, franchirent la chaussée et se postèrent près de la Lune, en face d'Orbeval et de Gizaucourt ; les trois régiments de hussards, Eben, Köhler, Wolfradt, couvraient le flanc droit de cette infanterie. Kellermann s'imagina que les Prussiens voulaient l'attaquer[84]. Il fit une seconde allocution à ses braves frères d'armes et donna l'ordre à son artillerie de ne tirer qu'à bonne portée, afin d'ébranler plus sûrement la tête des colonnes ennemies. On lui répondit par de nouveaux cris d'allégresse Vive la nation ! Vive notre général ! On éleva, comme trois heures auparavant, les chapeaux sur les baïonnettes et sur les sabres. Toute l'armée, fière de son attitude, convaincue qu'elle avait déjà fait reculer l'assaillant, fatiguée, selon le mot de Kellermann, d'être tirée de but en blanc, attendait avec impatience l'assaut des Prussiens. L'artillerie redoubla son feu ; vingt-quatre pièces de canon étaient alors installées près du moulin de Valmy ; elles tirèrent à pleines volées. Mais l'ennemi ne faisait qu'une simple manœuvre ; on crut qu'il se retirait encore ; il opérait e conversion à droite et s'établit à la Lune avec le me calme méthodique, la même régularité de mouvements, le même ensemble que s'il défilait sur un champ de manœuvres[85]. Le soir venait. La canonnade cessa peu à peu. Des deux côtés on n'avait plus de munitions que pour une seule bataille. Si j'ai encore une affaire, disait Kellermann, elles me manqueraient totalement. Tempelhof, courant de batterie en batterie, comme un furieux, criait aux officiers de l'artillerie : Que diable ! ne jetez donc pas votre poudre aux moineaux ![86] Entre cinq et six heures, expiraient les derniers feux. Clerfayt ne parut qu'à la fin de l'action. Il avait campé l'avant-veille à Vouziers et la veille à Manre ; il voulu de là se porter sur Somme-Suippes. Mais une patrouille de hussards lui conta qu'on voyait à Somme-Suippes un camp de quarante mille Français. Clerfayt envoya tout exprès son quartier-maitre-général, le colonel Schmidt en reconnaissance. Schmidt annonça qu'il n'y avait pas à Somme-Suippes un seul ennemi et les Impériaux allaient s'ébranler lorsque des paysans de Manre assurèrent à Clerfayt que l'armée française approchait. Clerfayt envoya de nouveau un officier de hussards à la découverte, et tout le corps autrichien, le fusil au pied attendit de minuit à trois heures du matin, sous us pluie battante, l'ordre de se mettre en mouvement. Au retour de l'officier, le feldzeugmestre, convaincu que la route était sûre, partit en laissant à Manre ses bagages de même que les Prussiens avaient laissé leurs équipages à la ferme des Maisons de Champagne. Il atteignit Somme-Suippes à neuf heures ; mais là il recevait de Brunswick l'ordre de marcher sur La Croix-en-Champagne, pour couvrir le flanc droit de l'armée prussienne. Il s'engagea dans de mauvais chemins et ne fut à La Croix-en-Champagne qu'à quatre heures du soir. Il y trouva de nouvelles instructions. Cette fois, il fallait faire en diligence sa jonction avec les Prussiens. Clerfayt marcha sur Maigneux ; il arriva pour entendre les derniers coups de canon : durant toute cette journée, par sa faute autant que par celle de Brunswick, il avait erré à deux lieues du champ de bataille, et les Prussiens ne manquèrent pas de dire que son inaction avait été calculée[87]. La canonnade était à peine terminée qu'un orage terrible éclata, et la pluie tomba par torrents. L'auberge de la Lune fut l'asile du roi de Prusse et de sa suite. Elle n'avait que quatre chambres habitables ; la première fut réservée au roi ; la deuxième, au duc de Brunswick ; la troisième, aux princes de Reuss, de Nassau-Siegen, de Hohenlohe, et aux aides-de-camp de Frédéric-Guillaume. Dans la quatrième chambre étaient les blessés du matin, et, parmi eux, le lieutenant d'artillerie dont Massenbach avait admiré la belle figure ; j'entendis ses gémissements, dit le major, et je m'enfuis pour ne plus les entendre. Le vestibule qui servait de cuisine à l'aubergiste, devint le dortoir des officiers de l'état-major. Le prince royal s'enferma dans la chaise étroite et incommode du major Derschau. Massenbach s'étendit, en plein air, sur une botte de paille, et lia son cheval à son pied ; je n'avais rien mangé depuis deux jours, écrit-il, mais je n'avais pas faim ; le manque de nourriture, les efforts de ces deux journées, les impressions d'un esprit surexcité par la vue d'une prochaine victoire, et maintenant accablé par une profonde tristesse, me jetèrent dans un lourd sommeil ; je ne m'éveillai qu'au matin, et, en ouvrant les yeux, je vis mon fidèle cheval couché tranquillement à côté de moi. Le duc de Weimar et ses officiers s'étaient établis derrière une éminence qui les garantissait du vent ; l'un d'eux proposa de creuser des t fosses et d'y dormir ; c'était, selon le mot de Gœthe, un enterrement anticipé. Les artilleurs fournirent des outils, les fosses furent creusées, et les officiers de Weimar s'y couchèrent, enveloppés de leurs manteaux. Gœthe avait traité le matin avec un chasseur qui devait lui prêter durant trois nuits consécutives, au prix d'un franc par nuit, une bonne couverture de laine ; il la réclama, la roula autour de son corps, et dormit avec autant de douceur qu'Ulysse sous le manteau d'Eumée[88]. Mais les soldats n'avaient ni couverture, ni manteau pour se défendre contre la bise et la pluie. On leur avait donné l'ordre de mettre leurs fusils en faisceaux et de bivouaquer, comme la veille. Ils allumèrent de grands feux avec la paille qu'ils trouvèrent à la Lune et à Maigneux ; ils brûlèrent les peupliers de la grande route et les chariots d'un convoi français qui venait de Châlons, et que les hussards avaient enlevé dans la journée. Mais, tout en se chauffant à la flamme des brasiers, ils restaient exposés à l'averse et au vent glacial qui souffla toute la nuit ; on était, dit un témoin, à la fois rôti et gelé. Quelques-uns, tombant de lassitude, s'endormirent sur la terre humide et se relevèrent le lendemain malades ou perclus. On ne prit aucune nourriture, car les vivres comme les tentes étaient restés aux Maisons de Champagne. Le prince royal s'estima fort heureux d'obtenir du général Wolframsdorf un verre de vin blanc. Gœthe avait conservé précieusement une des bouteilles qu'il avait trouvées la veille dans une cave de Somme-Tourbe, et un hussard lui vendit un morceau ce pain. Un prince qui s'était caché pendant la bataille dans la maison de la Lune, fit une omelette au roi de Prusse. Mais le reste de l'armée jeûna, et l'on vit les soldats assis au bivouac, ramassés sur eux-mêmes, les coudes sur les genoux et la tète dans les mains, comme pour étouffer les tourments de leur estomac. Tout manquait en ce triste et aride endroit. Les blessés, consumés par la soif, demandaient vainement une goutte d'eau. On les avait transportés dans la ferme de Maigneux, où ils gisaient, étendus sur des gerbes de blé, entre les mains de fraters ignorants et maladroits[89]. On crut ; un instant qu'ils seraient abandonnés sans secours, la pharmacie militaire étant demeurée, avec tout le reste, aux Maisons-de-Champagne. Heureusement on découvrit de la charpie et des médicaments dans les chariots du convoi dont les hussards s'étaient emparés. L'armée était mêlée comme dans une déroute. Pour mieux masser ses régiments et les avoir sous sa main, Brunswick les avait fait reculer de quelques pas. Mais la nuit tomba pendant ce mouvement. Les troupes, se croisant et s'entrechoquant dans l'obscurité, se confondirent. Le prince royal ne savait plus où était le bataillon des grenadiers de Vittinghoff, et ne le retrouva que dans la matinée du lendemain. Le désordre était si grand que pour la première fois, en présence des ennemis, on ne donna pas le mot d'ordre. Pas un officier qui ne fit d'amères réflexions et n'eût
conscience de la défaite[90]. Le vieux Fritz, s'écriait Wolfradt dans son langage
soldatesque, n'aurait pas fait ainsi. Que diable ! pourquoi
sommes-nous venus ici, si nous ne voulons pas nous battre ? Frais poissons,
bons poissons ! Nous sommes vaincus ! Vous verrez comme ces gaillards-là vont
lever la crête ! Wolfradt exprimait tout haut les sentiments de
l'armée : elle comprenait qu'elle avait perdu son prestige ; elle songeait
aux railleries de l'adversaire et à l'étonnement de l'Europe ; accoutumée aux
succès et fière de sa gloire passée, elle était à la fois surprise et
consternée à l'idée qu'on ne la regarderait plus comme invincible. Le matin,
dit Gœthe, on ne doutait pas d'embrocher tous les Français et de n'en faire
qu'une bouchée ; le soir, chacun allait devant soi, on ne se regardait pas,
et, si l'on s'abordait, c'était pour maudire l'expédition. Les compagnons du
poète lui demandèrent ce qu'il pensait de l'affaire. De
ce lieu, répondit-il, et de ce jour date une
nouvelle époque dans l'histoire du monde, et vous pourrez dire : j'y étais.
Il prévoyait que la France ne se bornerait pas à détrôner son roi et à
chasser l'étranger mais qu'elle déborderait sur l'Europe ; il devinait la
force irrésistible de la Révolution victorieuse. Ses amis ne voyaient dans la
bataille de Valmy qu'un échec à réparer et une revanche à prendre ; c'était,
aux yeux de Gœthe, un de ces événements qui changent le cours de l'histoire.
Massenbach fit la même prophétie : le 20 septembre, affirmait-il, donne au
monde une autre face, c'est le jour le plus important du siècle[91]. Brunswick partageait la tristesse et l'abattement de son armée. Caraman entra dans sa chambre au milieu de la nuit. Le duc était assis au coin du feu, la tête couverte d'un bonnet, dans l'attitude d'un homme affaibli qui ne peut supporter le poids d'une pensée douloureuse. Il accueillit Caraman avec sa courtoisie ordinaire et l'entretint longtemps au milieu d'un profond silence que troublaient parfois les gémissements des blessés entassés dans la chambre voisine. Il avoua qu'il était surpris de la résistance qu'il avait rencontrée. Il regretta que le roi de Prusse se fût engagé dans une difficile entreprise ; il n'avait plus, disait-il, à sa disposition ; qu'une armée de quarante mille hommes décimée par la dysenterie ; il allait se trouver isolé au milieu d'un pays que l'ennemi avait déjà occupé et mangé ; les chemins étaient mauvais ; il serait presque impossible d'assurer le service des subsistances. Il parlait, raconte Caraman[92], avec une sorte d'effroi de sa responsabilité ; j'essayai vainement de combattre ses tristes impressions ; je n'avais plus moi-même que de bien faibles espérances et, lorsque je le quittai, je le laissai de plus en plus pénétré des sinistres prévisions qui assiégeaient son esprit. Pour comble de disgrâce, on apprit le lendemain que les Français de Le Veneur et de Duval avaient failli s'emparer, pendant la canonnade, de la ferme des Mai- sons-de-Champagne. Ils avaient pris quelques fonctionnaires de la chancellerie qui s'étaient aventurés vers les bords de l'Aisne pour voir de plus près la bataille[93]. Sans la timidité de Le Veneur et les mensonges d'un coureur de Kalkreuth, ils auraient fait main basse sur les bagages de l'armée prussienne. S'ils avaient marché, témoigne Massenbach, sur les Maisons-de-Champagne avec un peu de vigueur et de hardiesse, ils se seraient facilement saisis de tous nos équipages, et l'on sait que nous désignons sous ce nom nos voitures, chaises de poste, fourgons de vivres, service des ambulances, tentes et chevaux de somme. Qu'on se représente notre armée, en pleine Champagne, sans pain, sans tentes, sans batteries de cuisine. Mais l'ennemi nous crut sages ; il n'imaginait pas que les élèves de Frédéric II eussent commis la faute de laisser leurs bagages derrière eux, sans autre garde qu'un seul bataillon de fusiliers. Cette fois encore nous fûmes sauvés par la gloire du vieux Fritz et par son esprit qui veillait sur nous[94]. XIII. Pendant que l'armée prussienne, honteuse et consternée, bivouaquait sur le plateau de la Lune, l'armée française abandonnait l'Yvron et Valmy à là faveur des ténèbres. Malgré l'énergique attitude de ses troupes et leurs cris de triomphe, Kellermann sentait le péril de la situation[95]. Les ennemis lui barraient la route de Châlons ; ils pouvaient déborder sa gauche, se porter sur les hauteurs de Dampierre et de Voilemont, lui couper ses communications avec le chemin de Vitry-le-François, le seul qui fût désormais ouvert. Inquiet, hésitant, Kellermann envoya chercher Dumouriez pour lui demander conseil. La conférence eut lieu, entre six et sept heures, dans la chétive maisonnette qui dépendait du moulin. Cette cabane, composée d'une pièce unique, ne renfermait qu'une seule chaise occupée par un grenadier qui paraissait dormir. Dumouriez entra et frappant sur l'épaule du soldat : Allons, camarade, dit-il, il faut nous céder la place ; le grenadier tomba de la chaise ; il était mort[96]. Les généraux tinrent un conseil de guerre. D'Aboville proposa d'évacuer le soir même l'Yvron et Valmy. L'avis, rapporte le général Pully, était bon et heureux ; il fut adopté. On résolut que l'armée de Kellermann passerait l'Auve durant la nuit et appuierait sa droite à Dampierre et sa gauche à Voilemont ; on aurait devant soi la rivière et les marais ; on menacerait le flanc droit des ennemis s'ils marchaient sur Châlons ; on pourrait les devancer s'ils demeuraient sur les hauteurs de la Lune ; on resterait maitre de la chaussée qui menait de Sainte-Menehould à Vitry-le-François par Elise et Daucourt, ainsi que de la route de Vitry-le-François à Châlons ; on n'était donc pas, malgré le mouvement des Prussiens, coupé de ses magasins ; on forçait simplement les convois à faire un détour. La retraite commença vers neuf heures, dans le plus grand silence, sans confusion et sans tumulte ; comme à Grandpré, cinq jours auparavant. On alluma des feux sur la crête de Valmy, pour faire croire aux Prussiens que l'armée française gardait sa position. Valence couvrit la marche des troupes avec sa réserve ; Deprez-Crassier, à son tour, couvrit avec son avant-garde qui devenait l'arrière-garde, la marche de Valence. Stengel abandonna l'Yvron et se retira sur Dommartin-la-Planchette, où il établit son quartier-général ; mais il avait laissé sur la hauteur du moulin quelques escadrons de chasseurs qui furent chargés d'enterrer les morts et d'enlever les blessés, et de ne se replier que lorsque l'adversaire avancerait sur Valmy avec des forces supérieures. La marche de l'armée fut lente et la queue des colonnes ne passa le pont de Dommartin-la-Planchette que vers six heures du matin. Mais le 21 septembre, Kellermann était au delà de l'Auve, sur un affluent de cette petite rivière, l'Yèvre, entre Dampierre et Voilemont. La position était très forte ; elle couvrait la route de Vitry ; elle donnait à l'armée du Centre un front inattaquable ; elle appuyait son flanc droit à l'armée de Dumouriez et son flanc gauche à des hauteurs qu'il était facile de défendre et difficile de tourner. L'avant-garde occupait Plagnicourt et Sommerécourt, et poussait jusqu'à Dampierre-le-Château. Frégeville, détaché de l'armée de Dillon, allait avec trois cents chevaux s'établir au Fresne-sur-Moivre, pour conserver la libre circulation du chemin de Vitry à Châlons. Ce fut, écrit Kellermann a Servan, un coup de théâtre ; j'avais tiré mon armée du mauvais pas en faisant cette marche, la nuit, à la barbe des Prussiens, n'ayant qu'un chemin à tenir et un ruisseau à passer sur un seul pont ; il faut maintenant qu'ils passent l'Auve et l'Yèvre pour arriver sur moi[97]. XIV. Telle fut la canonnade de Valmy qui dura, non pas quatorze heures, comme l'a dit et répété Kellermann, mais sept à huit heures[98]. L'armée prussienne comptait environ 34.000 combattants, et celle des Français, 52.000, dont 36.000 furent mis en ligne[99]. Les Prussiens traînaient avec eux 58 pièces de canon ; les Français établis sur le tertre disposaient de 40 bouches à feu. Ceux-ci perdaient près de 300 des leurs[100] ; ceux-là n'avaient que 184 hommes hors de combat, mais la plupart de leurs blessés moururent, faute de soins, le lendemain et les jours suivants[101]. Cette action si peu meurtrière n'est donc pas, à proprement parler, une bataille, et, si l'on ne tient compte que du nombre des morts, ce fut à peine un combat. Mais elle eut de plus grands résultats que ces journées sanglantes qui ne sont que d'inutiles carnages et ne font pas époque dans l'existence d'une nation[102]. Tout ce que l'armée prussienne comptait d'hommes intelligents et perspicaces, Brunswick, Nassau-Siegen, le prince royal, Massenbach, Caraman, Gœthe, sentaient que cette simple affaire serait décisive. Le cœur me battait, dit Caraman ; la vie du roi, l'avenir de la France, celui de l'Europe peut-être étaient en jeu, et il y avait longtemps qu'une aussi grande question politique n'avait été soumise au sort des combats[103]. Les généraux français, au contraire, ne comprirent pas aussitôt l'importance de la journée du 20 septembre. Ils voyaient l'adversaire dont ils ne soupçonnaient pas le profond abattement, se mettre en face d'eux et leur barrer la route de Sainte-Menehould à Châlons. Un sentiment d'inquiétude se mêlait en eux à la joie du succès. Dumouriez écrivait le 21 septembre au commandant militaire de Châlons que les Prussiens avaient beaucoup perdu, mais qu'ils avaient continué leur marche par sa gauche, soit pour couper sa communication avec Châlons, soit pour marcher sur cette ville, et qu'il allait suivre leur mouvement et les serrer de près[104]. Il croyait même qu'ils allaient renouveler leur attaque pour lui cacher une marche et il priait Kellermann de venir le secourir et voir sa bataille, comme lui-même avait fait la veille[105]. Kellermann, de son côté, mandait confidentiellement à Servan que l'ennemi s'approchait de Châlons et que les subsistances devenaient très difficiles : Vous savez, ajoutait-il[106], combien je me suis constamment refusé à cette jonction qui ne pouvait nous conduire à rien, et nous voici maintenant coupés de Châlons. Servan, tout en félicitant les deux généraux de l'avantage qu'ils avaient remporté, ne cachait pas ses alarmes : Je vois, disait-il, que les troupes, officiers et soldats se sont battus avec la bravoure de Français libres, et que tous ont bien mérité de la patrie ; mais je vois aussi qu'en perdant plus ou moins de monde, les ennemis ont fait ce qu'ils ont voulu, qu'ils ont coupé vos communications et se sont placés entre vous et Châlons. Il passe Valmy sous silence dans son rapport du 25 septembre à la Convention et se borne à remarquer que la France avait opposé aux alliés plus de soixante mille hommes réunis à Sainte-Menehould[107]. Le public n'avait pas les mêmes craintes que les généraux et que le ministre. Il ne crut pas un seul instant, pendant toute la durée de la campagne, que les étrangers pénétreraient jusqu'aux portes de Paris[108]. Mais, au lieu d'applaudir Valmy, il applaudissait la République proclamée par la nouvelle assemblée nationale, et trouvait à cette ouverture de session quelque chose de sublime. Châlons et Reims sont à la vue de l'ennemi, écrivait Prudhomme, et, tranquille à son poste, la Convention décrète la République et la déclare une et indivisible[109]. La nouvelle de la canonnade ne causa donc pas une très vive émotion ; on se contenta de dire que l'armée s'était bien défendue et que, renforcée par les bataillons de volontaires qu'on voyait marcher vers les frontières de Champagne, elle refoulerait les envahisseurs. On ne sentit que plus tard, lorsque les Prussiens se retirèrent, les obligations qu'on avait à la journée de Valmy. On comprit alors que cette affaire, comme on la nommait, avait été le salut de la France ; sans infliger aux alliés une défaite signalée et sans leur coûter beaucoup, elle avait écrasé leur fierté ; elle avait arrêté court leur marche en avant ; elle les avait convaincus que leur entreprise échouerait[110]. Le combat de Valmy, dit Dumouriez dans ses Mémoires, a produit un très bon effet sur les Français en leur prouvant que leur contenance et leur feu pouvaient arrêter un ennemi formidable[111]. C'était, en effet, leur premier fait d'armes depuis Bergen et Yorktown. L'armée de la Révolution reçut à Valmy le baptême du feu ; elle avait tenu tête aux troupes les plus redoutables de l'Europe ; elle remportait une victoire morale, une de ces victoires qui enhardissent et fortifient les cœurs, rehaussent l'enthousiasme, et prouvent avec éclat l'énergie de la lutte et de la résistance[112]. Le soldat eut désormais en lui-même cette confiance qui fait la force réelle des armées ; il se sentit plein de courage et destiné à entreprendre de grandes choses. J'ai présenté le combat aux Prussiens, annonçait Kellermann au ministre de la guerre, et ils n'ont jamais osé m'attaquer ; l'ennemi le plus aguerri ne doit pas l'emporter sur ceux qui se consacrent à la défense de la liberté. Le soldat répéta ces paroles de Kellermann. Son orgueil s'exalta. Il ne vit plus dans ses adversaires que les aveugles instruments du despotisme. Déjà les discours et les brochures du temps ne représentaient le militaire autrichien ou prussien que comme une machine, comme un vil esclave dressé à force de coups. Le 25 août, un officier de grenadiers, se promenant à cheval près de Lauterbourg, le long du Rhin, voyait sur l'autre rive sept ou huit soldats de Mirabeau qui se retiraient à son approche. Les lâches ! s'écriait-il[113], ils n'ont pu soutenir un instant la vue d'un chevalier des droits de l'homme ! Après Valmy, tout Français qui tenait l'épée ou maniait le fusil, s'envisagea comme le champion d'une cause qui devait nécessairement triompher. L'affaire du 20, écrivait-on du camp de Dampierre au Moniteur, a fait voir que les soldats de la liberté valent mieux que ceux des despotes[114]. Après avoir vu cette action, mandait un capitaine de volontaires à Brissot, je regarde notre nation comme invincible[115]. Dès le lendemain de la canonnade, les Prussiens remarquaient un grand changement dans l'allure et le langage de nos sentinelles. Autant les avant-postes étaient timides dans les derniers jours, dit avec dépit un major de l'avant-garde, autant ils étaient devenus fiers et superbes ; ils nous témoignaient une extrême arrogance[116]. Le pronostic du vieux Wolfradt se vérifiait ; le coq gaulois se dressait sur ses ergots. Au reste, on a tort de rabaisser l'importance militaire de Valmy. Il y eut sans doute, de 1792 à 4815, des canonnades bien supérieures à celle-là par la puissance et l'intensité. Dès l'année suivante, au mois d'août, dans les montagnes du Palatinat, Français et Prussiens engageaient des combats d'artillerie que Gouvion Saint-Cyr compare à celui de Valmy[117]. Mais la canonnade du 20 septembre 1792 était une des plus vives que put alors citer l'histoire de la guerre. Lorsque Gœthe assura, trente ans plus tard, qu'il est impossible d'en décrire la violence et d'en faire revivre l'idée dans l'imagination[118], on prétendit que l'affaire, telle qu'il l'avait racontée, n'était qu'un jeu d'enfants ; que son récit était pompeux et hyperbolique ; qu'on y reconnaissait le traducteur de Benvenuto Cellini, le plus grand hâbleur de la nation italienne[119]. Mais le dire de Gœthe est confirmé par de nombreux témoignages. Le bruit du canon fut porté par le vent jusqu'à Sainte-Menehould et à Grandpré[120] ; à Sainte-Menehould, écrit Buirette, il retentissait d'une manière effrayante et faisait trembler toutes les vitres[121]. Le maréchal-de-camp Money l'entendit aux Islettes, et ce vieux compagnon de Burgoyne affirme qu'il n'a jamais ouï canonnade aussi vive[122]. Pas un militaire, rapporte Lombard, ne se souvient d'un feu semblable[123]. Il faut se rappeler que pour la première fois, depuis la guerre de Sept-Ans, l'artillerie tonnait en Europe sur un champ de bataille, car les combats des Autrichiens et des Russes contre les Turcs s'étaient livrés loin du monde civilisé et, pour ainsi dire, en Orient. On comprend dès lors la stupeur et l'étourdissement des deux partis. La plupart des combattants n'avaient pas encore vu la guerre ; ils furent étonnés et troublés par ce fracas formidable. C'était, dit Caraman, la première fois que je me trouvais à une bataille rangée, et les premiers boulets qui portèrent près de moi, les premières mutilations dont j'eus le triste spectacle, me causèrent une impression involontaire[124]. On attribuerait peut-être une plus grande importance au combat de Valmy, si le nombre des morts avait été plus considérable. Mais, comme l'ont remarqué tous les témoins de la journée, la distance entre les deux armées était trop grande pour que l'artillerie pût faire de larges trouées dans les rangs et, le sol étant entièrement détrempé, la plupart des boulets s'enfonçaient en pleine boue et ne ricochaient pas. Les régiments prussiens qui souffrirent le plus furent ceux de l'avant-garde, surtout Hohenlohe et Kleist ; ce dernier perdit près de quarante hommes. Mais la première ligne fut à peine atteinte ; le régiment de Romberg eut quelques morts ; le régiment de Thadden, quatre seulement ; les deux bataillons de Kenitz, pas un blessé[125]. XV. On a souvent blâmé le duc de Brunswick d'avoir arrêté les colonnes prussiennes qui se déployaient en face du moulin de Valmy. On a prétendu que s'il les avait rapidement entraînées, il aurait mis en déroute l'armée de Kellermann et rejeté celle de Dumouriez dans la vallée de l'Aisne[126]. On a cherché les motifs qui le décidèrent à suspendre l'attaque. Dès le 21 septembre 1792, la résolution qu'il avait prise la veille paraissait extraordinaire. On croyait qu'il s'était, selon le mot de Fersen, déterminé par des raisons inconnues[127]. Les uns affirmaient qu'on l'avait gagné à prix d'or ; les autres, qu'il ménageait les Français parce qu'il aspirait à la couronne de Louis XVI et se souvenait des propositions de Carra[128]. D'autres contaient qu'il était franc-maçon et que les loges lui défendaient de marcher sur Paris. Quelques-uns assuraient même qu'il s'entendait avec l'Angleterre secrètement alliée à la France, qu'on avait vu des courriers de Londres aller et venir dans son camp, qu'il s'entretenait fréquemment avec le colonel anglais Saint-Leger ; n'avait-il pas épousé la sœur de Georges III et sa fille ne devait-elle pas se marier à l'héritier des trois royaumes[129] ? Un historien de nos jours a même avancé que la manière d'agir de Charles-Ferdinand à Valmy fut si honteuse, si fatale à l'Allemagne et à son honneur qu'elle provoque la plus grave accusation et le jugement le plus rigoureux. Ah ! si le duc, s'écrie cet auteur, avait pu prévoir le châtiment qui l'attendait à Iéna ! Il ajoute qu'on ne peut parcourir le champ de bataille de Valmy sans un sentiment de tristesse, car c'est là que la déloyauté, pour ne pas dire la trahison de Brunswick, a commencé la longue série des malheurs et des hontes qui depuis ont accablé l'Allemagne[130]. Il est certain que Charles-Ferdinand fut à Valmy ce qu'il avait toujours été, circonspect, porté à prendre l'attitude défensive et à ne s'engager résolument que s'il avait mis toutes les chances de son côté. Quelques jours après la canonnade, il revenait de la Lune au quartier-général de Hans en compagnie de Massenbach. C'est ici, lui dit le major, qu'était la batterie de Schönermark, et là, un peu à droite, est tombé le brave Ostendorf ; voyez, Excellence, tous ces boulets dont la terre est jonchée. — Oui, répondit Brunswick, l'endroit a été chaud, mais que pensez-vous de l'affaire ? — Qu'il fallait attaquer. Pourquoi Votre Excellence ne l'a-t-elle pas voulu ? Brunswick garda quelques instants le silence ; major, reprit-il soudain, connaissez-vous la hauteur de Johannisberg près de Nauheim, non loin de Friedberg ? J'ai eu là maille à partir avec le prince de Condé ; je ne savais pas ce qu'il y avait derrière la hauteur ; je fus battu. Eh bien, Valmy a une grande ressemblance avec Johannisberg. Je ne savais pas ce qu'il y avait derrière. On devient prévoyant, major, lorsqu'on a été malheureux à la guerre ![131] Mais la prudence de Brunswick et le souvenir de son échec
de Johannisberg ne donnent pas la clef de sa conduite. Il faut se rappeler ce
qui s'était passé, la veille de la canonnade, au quartier-général prussien.
Le duc voulait s'enfoncer dans l'Argonne, gagner le poste de la Chalade,
attaquer de flanc les Islettes, faire sa jonction avec les Austro-Hessois et
déloger Dumouriez de Sainte-Menehould sans coup férir. Le roi traversa les
desseins du général ; il crut aveuglément au rapport du lieutenant de Loucey
; il s'imagina que l'armée française se retirait sur Châlons ; il n'écouta ni
le général Köhler, ni le duc de Weimar, ni Heymann, assurant tous trois que
l'ennemi n'avait pas bougé. C'était, dit Massenbach dans son emphatique
langage, courir à des actions d'éclat qui n'étaient
pas suffisamment préparées ; c'était vouloir récolter sans avoir semé et
faire la pêche miraculeuse de saint Pierre, sans avoir retiré les filets ;
l'armée ressemblait au vaisseau dont l'équipage jette le pilote par dessus
bord pour voguer à l'aventure sur l'orageux Océan[132]. Brunswick n'est donc pas responsable de l'événement du 20 septembre. Ce fut le roi qui, de son propre chef et dans sa fougue imprudente, donna l'ordre de marcher en toute hâte vers la route de Châlons. Ce fut l'ardeur précipitée de Frédéric-Guillaume qui mena les Prussiens sur le plateau de Maigneux et mit aux prises les deux armées. On a vu que l'avant-garde de Hohenlohe fut accueillie, en débouchant de Somme-Bionne, par des coups de canon. Le roi qui s'était attribué le commandement, savait dès lors que les Français étaient résolus à se défendre. Il devait donc tirer ses troupes de la région périlleuse et inconnue où, selon le mot de Massenbach, elles tâtonnaient dans l'obscurité du brouillard. On ne se bat pas sans savoir où sont les ennemis, sans tracer au préalable un plan d'opérations, sans reconnaître le terrain. Il fallait suspendre les mouvements de l'armée, l'établir commodément entre la Tourbe et la Bionne, lui donner du repos, étudier la position de l'adversaire et faire à loisir ses préparatifs d'attaque. Mais l'avant-garde continua sa marche, l'armée la suivit, et — observe justement Gouvion Saint-Cyr — le projet du roi n'aboutit qu'à une canonnade que les Français pouvaient soutenir[133]. Le seul tort de Brunswick, en cette circonstance, fut de s'être courbé le 19 septembre sous la volonté de Frédéric-Guillaume. Il ne se souvint pas qu'il était généralissime et laissa le roi faire son coup de tête. Mais le lendemain, en face du tertre de Valmy et au bruit du canon, il ressaisissait le commandement qu'il semblait abandonner la veille ; il déclarait énergiquement à son souverain que l'attaque du moulin n'aurait pas lieu ; il s'opposait à toute bataille. Il avait vu la contenance de l'armée française et la force inattendue de son artillerie. Il avait remarqué que le champ de bataille était accidenté et entrecoupé, comme il l'est encore, de ravins, de chemins creux et de pentes rapides[134]. Il s'était convaincu que sa cavalerie ne pourrait manœuvrer dans les terres détrempées et que ce sol difficile et boueux ralentirait la marche de l'artillerie qui servirait de soutien à ses colonnes d'attaque[135]. Il savait que son infanterie, prise en écharpe par le mont d'Yvron, attaquée en face par les batteries du moulin, arrêtée déjà dans sa marche par les crevasses et les bas-fonds du terrain, n'arriverait au pied de la butte qu'après avoir subi des pertes énormes. Il craignait que cette infanterie ne fût, malgré sa discipline et sa belle ordonnance, rompue et mise en déroute, comme la cavalerie de Weimar, par le feu juste et rapide du canon français. Il redoutait enfin qu'elle ne fût repoussée et renversée, en montant à l'assaut du tertre. On croit ordinairement que l'armée prussienne de 1792 se composait de vétérans de Frédéric II. Mais si quelques vieux officiers avaient vu les batailles de la guerre de Sept-Ans, les soldats n'avaient fait que les promenades militaires de Hollande et de Silésie. Ils étaient aussi neufs que les Français et sans autre expérience que celle des manœuvres de Potsdam. Enfin leurs marches de la veille et du matin les avaient épuisés. Ecoutons successivement cinq témoins de la canonnade, un simple soldat, Laukhard, deux officiers. Minutoli et Strantz, le secrétaire du roi, Lombard, et le prince de Reuss, ambassadeur d'Autriche. Plus de la moitié d'entre nous, dit Laukhard[136], s'avançaient pour la première fois sous le feu du canon ennemi ; un grand nombre étaient malades : on n'avait pas mangé depuis la veille à midi ; tous étaient harassés et mouillés jusqu'aux os ; croit-on que dans de semblables circonstances on se réjouisse de l'approche des ennemis, qu'on marche gaiement à leur rencontre et qu'on murmure lorsque les officiers commandent halte ! Minutoli reconnait que l'armée prussienne, inférieure en nombre aux Français, était en outre très affaiblie par des marches, des fatigues et des privations de toute sorte[137]. Strantz avoue que l'état de l'armée prussienne était extrêmement triste, que les soldats se nourrissaient mal, que la cavalerie manquait de fourrage[138]. Après quinze jours de souffrances, écrit Lombard, nous us retrouvions sur la chaussée de Paris, mais bon Dieu, en quel état ! cette brillante armée était méconnaissable ; un tiers était incapable de servir et un autre tiers se composait de spectres plutôt que d'hommes 4[139]. Le témoignage le plus considérable est celui du prince Reuss. L'armée prussienne, mandait-il au cabinet de Vienne, aurait poussé l'attaque, si l'on avait u supposer à des hommes et à des chevaux, très fatigués par une marche forcée, la vigueur nécessaire pour engager une affaire générale[140]. Tous les Prussiens n'avaient pas le même courage que leur roi. On leur avait trop souvent répété que armée française n'oserait rendre de combat ; leur âme n'acceptait plus le danger, et l'idée d'une bataille était sortie de leur pensée[141]. Le prince royal raconte qu'avant d'arriver sur le plateau de Maigneux, il donna l'ordre de charger les fusils et qu'il vit alors beaucoup de soldats pâlir, et les catholiques de la Haute-Silésie égrener leur chapelet. Vainement Frédéric-Guillaume, allant de bataillon en bataillon, ordonnait aux hommes de se tenir roides et immobiles. Un grand nombre se baissaient et se couchaient à plat ventre lorsqu'un boulet passait au-dessus de leur tête, et criaient : Seigneur Jésus ; ils rompaient leurs rangs lorsqu'ils voyaient un projectile tomber devant eux et faire ricochet ; ils jetaient leurs jeux de cartes ou la viande qu'ils avaient dérobée la veille, parce qu'ils craignaient d'attirer sur eux la vengeance divine ; ils expliquaient l'extraordinaire intrépidité de leur souverain en se disant tout bas qu'une tête couronnée ne pouvait être atteinte que par un boulet d'argent et non par un boulet de fer, que les rois de Prusse avaient toujours possédé le secret de se rendre invulnérables, et qu'ils étaient les seuls souverains d'Europe qui fissent la guerre, parce qu'un enchantement les protégeait contre les balles[142]. Cette armée n'avait donc pas autant de valeur et de solidité qu'on l'a dit. Si les relations allemandes nient que les colonnes prussiennes aient reculé sous le feu de l'artillerie française, Kellermann a toujours soutenu qu'il avait remarqué dans les troupes qui marchaient sur le moulin, un flottement, avant-coureur de la défaite. Dampmartin, confident de Frédéric-Guillaume, assure que l'infanterie prussienne chancela et parut ébranlée. Peltier, le journaliste de l'émigration, déclare qu'on vit plier des bataillons, et que l'armée prussienne fut vaincue en discipline et en constance par la ligne de Kellermann. Le 20 septembre, osait écrire Archenholz deux mois plus tard, fut pour la gloire prussienne un triste jour, peut-être plus humiliant que le jour de Maxen[143]. Mais, lors même que les Prussiens auraient subi le feu de l'artillerie française avec le plus héroïque courage, sans trembler ni pâlir, que gagnaient-ils à la victoire ? Comme Brunswick l'avait dit à Caraman, ses troupes s'affaiblissaient de jour en jour ; la victoire qui serait évidemment meurtrière, achèverait de les réduire et ce n'étaient pas trente à trente-cinq mille hommes qui soumettraient Paris[144]. Mais si l'armée subissait une défaite, elle était perdue sans ressources. Les Français s'emparaient des bagages qu'elle avait laissés aux Maisons-de-Champagne et lui coupaient ses communications avec Verdun ; elle reculait en désordre, sans vivres, presque sans munitions, harcelée par l'armée victorieuse de Dumouriez et de Kellermann, par les renforts de Châlons, par les garnisons de Mézières, de Sedan et de Montmédy, par les paysans soulevés. Que serait-elle devenue, dit Massenbach, après un désastre, dans sa retraite de la Tourbe vers le Rhin ; il suffit de rappeler ce qu'elle devint en 1806, dans sa retraite de l'nm sur l'Oder. La situation de l'armée, voilà la grande, la vraie raison qui détermina Brunswick à suspendre l'attaque. Il ne voulut pas se mettre à la merci d'un revers ; il eut peur de perdre la bataille ; une fois engagée, reconnaît un officier de l'état-major, était-elle en son pouvoir, et qui aurait osé répondre de l'issue[145] ? Il était sage, rapporte le témoin oculaire, de ne pas pousser plus avant[146]. On fit halte, écrit le prince royal, et c'était bien le meilleur parti qu'on pût prendre[147]. L'ennemi, mandait Lombard dans cette belle lettre du 8 octobre, un des précis les plus vrais et les plus saisissants de la campagne[148] l'ennemi avait trompé notre espérance. Dumouriez et Kellermann n'étaient pas des généraux méprisables ; ils avaient choisi d'excellentes positions ; ils avaient sous leurs ordres tout ce qui restait de troupes de ligne à la France ; les volontaires agissaient au moins par leur nombre et pouvaient rendre des services au milieu de réels soldats ; leur cavalerie légère était distinguée et toute fraîche. Rien ne manquait à leur armée, et à nous, tout manquait. On les avait tournés, mais on les trouvait aussi bien fortifiés sur leurs derrières que sur leur front, et leur artillerie pouvait se mesurer avec la nôtre. Voilà ce qui retint le coup décisif. Ces mots de Lombard expliquent à la fois la résolution de Brunswick et le succès des Français. La victoire remportée par la première armée de la Révolution était due aux généraux et aux soldats, à l'intrépidité de Kellermann et aux dispositions de Dumouriez, au tir vigoureux de l'artillerie, à la fermeté des troupes de ligne et des volontaires de 1791 encadrés parmi elles. Kellermann montra une rare valeur et prodigua sa vie, comme l'aurait fait un simple grenadier. Il était incapable d'embrasser par l'esprit un vaste terrain d'opérations, mais il avait résolu de tenir bon sur l'étroit terrain qu'il occupait, et il tint bon. Cette affaire, dit Gouvion Saint-Cyr, lui fit une réputation méritée, car il était plus difficile à cette époque, et dans la circonstance où il se trouvait, de la soutenir avec succès que de gagner une grande bataille quelques années après, lorsque nos officiers et nos soldats furent également instruits et aguerris[149]. Kellermann méritait donc le surnom d'homme du 20 septembre que lui décernait le conventionnel Jean Debry, et le titre de duc de Valmy que Napoléon lui donna, fut le prix juste et tardif de sa bravoure. Il ne parlait jamais, sans une vive émotion, de ce jour qu'il regardait comme le plus beau de sa vie. A ses derniers instants, il reportait encore sa pensée vers le champ de bataille où son nom avait conquis une gloire impérissable, et demandait que son cœur fût placé au milieu des morts du 20 septembre 1792. Ce vœu touchant fut rempli. Le corps de Kellermann est au cimetière du Père-Lachaise ; son cœur repose au sommet du tertre de Valmy, sous la pyramide élevée en 1823 par les habitants du pays à celui qui les a préservés de l'invasion[150]. Mais l'habileté de Dumouriez avait décidé du succès presque autant que l'intrépidité de Kellermann. Ce dernier aurait été enveloppé et mis en déroute si Stengel et Chazot n'avaient flanqué le plateau de Valmy, l'un sur sa droite, l'autre sur sa gauche. Dumouriez, avoue Kellermann, m'a donné plus de troupes que je n'aurais dû en espérer dans sa position, et je ne puis assez me louer de sa conduite envers moi[151]. Le général en chef de l'armée des Ardennes vint au secours du général en chef de l'armée du Centre avec cet esprit de ressource et cette activité qui font le véritable homme de guerre. Il prit vaillamment sa part du danger commun, sans jalousie et sans rivalité, avec une magnanimité qu'il est rare de rencontrer, même en un jour de bataille, chez des généraux égaux en commandement. Le brave Kellermann m'a vigoureusement aidé, disait-il quelques jours plus tard en parlant de sa campagne, mais lui aussi avait aidé vigoureusement Kellermann dans la journée du 20 septembre. J'ai été le Fabius, ajoutait-il, il a été le Marcellus, et nous minons ensemble l'Annibal Brunswick ; Fabius avait noblement travaillé à la gloire de Marcellus en même temps qu'au salut de la patrie. Aussi bien que les généraux, l'armée fit son devoir. Mais l'artillerie eut la gloire de la journée ; elle joua le premier rôle, et sans elle la victoire serait restée aux Prussiens. Elle obtint plus tard, témoigne un bon juge, des succès plus brillants ; jamais elle ne rendra de services plus grands[152]. Tous les contemporains, tous les acteurs de la journée proclament l'incontestable supériorité de l'artillerie française. C'est la seule arme qui reste aux rebelles, dit Fersen, et elle est très bien servie ; elle tirait à merveille, assure Caraman ; elle est toujours la première de l'Europe, écrit Lombard, et son tir a été admirable ; elle est formidable, rapporte le témoin oculaire, et nos canonniers désespérèrent de la vaincre ; les officiers, reconnait Brunswick, ont toujours les talents de l'ancien corps royal[153]. Le bulletin prussien de l'affaire de Valmy confessait la puissance de notre artillerie. On ne put, mandait à Berlin le quartier-général de Hans, empêcher l'ennemi de fortifier le poste du moulin à vent et d'y établir finalement plus de quarante canons ; on ne jugea donc pas utile d'attaquer, et on se borna à garder sa position[154]. Mais laissons parler le général qui commandait l'artillerie, d'Aboville, le véritable vainqueur de la journée. A la fin de la campagne, il félicita dans un ordre du jour les soldats et officiers de l'arme ; il ne cite pas la canonnade du 20 septembre ; il loue, comme dans un jugement d'ensemble, les qualités de tout genre que les artilleurs ont déployées ; mais l'éloge qu'il leur décerne prouve que ces braves gens doivent être classés à la plus belle place parmi ceux qui sauvèrent la France à Valmy. Le citoyen lieutenant-général, commandant en chef l'artillerie de l'armée du Centre, remplit avec plaisir un de ses devoirs les plus chers en faisant connaître à la République la conduite distinguée des canonniers et autres soldats qui, pendant la campagne, ont été employés au service de l'artillerie. Il n'est pas d'éloges dont tous ces braves soldats ne soient dignes ; leur courage, leur habileté, leur constance, leur subordination, leur amour de l'ordre, leur respect pour les propriétés, ont été l'admiration de toute l'armée. Une foule de traits particuliers offriraient des preuves brillantes de toutes ces vertus, mais ils sont si nombreux que le détail en serait trop long. Il suffit de dire que, quelque saillants que paraîtraient plusieurs de ces traits, la manière dont se sont conduits les canonniers et autres soldats attachés à l'artillerie, prouve qu'ils en étaient tous capables[155]. La résolution et la bonne volonté de l'infanterie et de la cavalerie n'avaient pas moins contribué que l'artillerie au gain de la bataille. Car tout est singulier dans cette canonnade. On avait cru que l'armée française, obéissant au génie de la nation et à son propre enthousiasme, se jetterait impétueusement sur l'adversaire. On attaquera, pensait Pellenc, et la furia francese aura l'avantage[156]. Les Français étaient au contraire restés sur une défensive absolue et l'arme au bras. Ils avaient déployé des qualités de sang-froid et de ténacité qu'on leur refuse d'ordinaire. Kellermann dit des carabiniers qu'ils furent des modèles de courage et de tranquillité ; l'armée entière méritait le même éloge ; l'approche des troupes les plus redoutables qui fussent en Europe et le feu de leur artillerie n'avaient pu l'entamer ; elle semblait avoir pris racine dans le sol. Notre contenance, écrit Gobert avec un juste orgueil, fut bien belle et dut en imposer fortement aux ennemis, il n'y eut pas un homme de faible ce jour-là, et chacun garda son poste avec fermeté, malgré le danger[157]. Mais l'armée de Kellermann se composait presque uniquement de troupes de ligne[158]. C'était l'ancienne armée du Nord, devenue celle du Centre, qui campait au mois de mai sous les murs de Valenciennes, qui prenait au mois de juin Menin et Courtrai, qui n'avait cessé, depuis la déclaration de guerre, de défendre la frontière et de s'aguerrir. Les troupes venues de Wissembourg passaient pour les meilleures de l'armée du Rhin et s'étaient formées au camp de Neukirch où Kellermann les faisait manœuvrer tous les jours, et les commandait de sa propre voix[159]. Les treize régiments ou bataillons d'infanterie, postés au moulin de Valmy, ne comptaient que deux bataillons de volontaires, le 1er de Saône-et-Loire et le 2e de la Moselle ; les onze autres étaient de vieux régiments, le 1er, le 5e, le 22e, le 24e, le 44e, le 81e, le 90e et le 102e, ci-devant Colonel général, Navarre, Viennois, Brie, Orléans, Conti et Chartres[160] qui formaient la première ligne commandée par Linch ; le 30e, le 62e et le 96e, ci-devant Perche, Salm-Salm et Nassau, qui formaient la seconde ligne, sous les ordres de Muratel[161]. D'ailleurs les deux bataillons de volontaires, encadrés
entre les trois vieux régiments de la seconde ligne, ne se montrèrent pas
indignes du reste de l'armée. Lorsqu'eut lieu l'explosion des caissons, le
bataillon de Saône-et-Loire, dit Kellermann, fut
celui qui perdit le plus de monde, mais ce bataillon qui commençait à faire la
guerre, montra une contenance qui aurait fait honneur aux troupes les plus
anciennes et les plus accoutumées au feu[162]. Les volontaires ont donc pris une part glorieuse à la défense du moulin de Valmy. Mais ces volontaires avaient eu le temps de se discipliner et de s'instruire ; ils n'appartenaient pas à la levée de 1792 et, comme on disait alors, à la nouvelle levée. Le 1er bataillon de Saône-et-Loire et le 2e bataillon de la Moselle avaient été formés en 1791 ; ils venaient de ces confins militaires de la France, de cette région belliqueuse du nord-est qui mit à l'organisation des corps de volontaires à la fois le moins de temps et le plus de soin ; ils servaient depuis une année et figuraient vaillamment à côté de l'armée régulière[163]. |
[1] Sur Valmy, voir le mémoire de Kellermann (arch. guerre), l'Exposé de sa conduite, 1793, son rapport du 21 septembre publié dans le Moniteur du 24, sa lettre confidentielle du même jour à Servan, l'Esquisse de sa carrière militaire rédigée sur ses notes par Botidoux ; les mémoires du général Pully et de Gobert (arch. guerre), les Mém. de Belliard et de Dumouriez. Tous les historiens ont reproduit, après l'auteur du Tableau historique et Toulongeon, le mémoire souvent inexact de Kellermann et négligé les sources prussiennes : Massenbach, Minutoli, le prince royal, le témoin oculaire, Strantz, Laukhard, la Geschichte der Kriege in Europa et la Relation, écrite à Hans le 24 septembre, au quartier général de Frédéric-Guillaume, des mouvements des armées combinées autrichienne et prussienne depuis la prise de Verdun jusqu'à la canonnade de Valmy. Cp. encore le fragment des Mémoires de Caraman (Revue contemporaine du 15 novembre 1853), le récit de Nassau-Siegen (Feuillet de Conches, VI, p. 353-355), Boguslawski, Leben des Generals Dumouriez, II, p. 45-53 ; Laugier et Carpentier, Vie anecdotique de Louis-Philippe, 1837 (la précision des renseignements et leur concordance avec les relations allemandes me font croire qu'ils ont été fournis par Louis-Philippe lui-même). Le dépôt de la guerre possède deux travaux sur le combat de Valmy ; le premier, intitulé Programme du combat de Valmy, est dû au colonel Miot ; il est fort consciencieux et accompagné de notes abondantes ; le colonel a la bonne foi de reconnaître qu'il a trouvé dans les pièces dont il disposait, beaucoup d'inexactitude et de confusion ; mais lui aussi n'a pas connu les documents allemands ; le second travail, Mémoire sur la campagne de 1792, comprenant la bataille de Valmy, a pour auteur le chef d'escadron d'état-major Kieffer qui s'est contenté de reproduire le rapport de Kellermann et des passages entiers de l'Histoire de Sainte-Menehould de Buirette.
[2] Cp. le chapitre Montcheutin.
[3] De là le nom de Valmy (mi val). Ce village a 380 habitants ; il est à 12 kilomètres de Sainte-Menehould et à 4 kilomètres de la route nationale ; il est si bien caché par la hauteur qu'on voit à peine la flèche du clocher, et, le 20 septembre 1792, il ne reçut aucune atteinte de la canonnade.
[4] Toutefois, ce moulin, disparu depuis, s'élevait, non pas au sommet du tertre, à l'endroit où l'on érigea la pyramide, mais un peu plus bas, à l'entrée du chemin creux qui mène au village. Michelet dit fort bien que le tertre de Valmy est une espèce de promontoire, de mamelon avancé.
[5] Mme de Tourzel, Mém., I, 313.
[6] Orbeval forme aujourd'hui un écart de Valmy.
[7] Buirette, Hist. de Sainte-Menehould, II, 606.
[8] Elle a été démolie il y a quelques années (en 1854 ou en 1855), et les matériaux servirent à construire une des fermes de Maigneux. La Lune est à 10 kilomètres de Sainte-Menehould, à 4 kilomètres de Dommartin-la-Planchette, à 2 kilomètres d'Orbeval et à 1 kilomètre de Gizaucourt ; c'est pourquoi Dumouriez dit dans ses Mémoires hauteur de Gizaucourt pour hauteur de la Lune et réciproquement.
[9] Kellermann à Servan, 17 septembre (arch. guerre). Voir ci-dessus, chapitre précédent, les troupes qu'il avait laissées à Sampigny, à Poigny, à Vitry-le-François et à Bar-le-Duc.
[10] Dumouriez à Devaux, lettre citée par Ternaux, IV, 539 ; elle est aux arch. nat., W, 271, doss. 36, p. 5.
[11] Ou le petit pont. Le duc de Chartres coucha dans la maison du maire. Il revint eu 1831 à Dommartin. Le maire de 1792 vivait encore et administrait toujours le village. Il était revêtu d'un habit qu'il avait prêté à son hôte trempé de pluie et n'ayant pas de quoi changer ; cet habit, soigneusement renfermé depuis cette époque, n'avait revu le jour que pour cette occasion solennelle (Moniteur du 11 juin 1831).
[12] C'est son expression (lettre à Servan du 21 septembre) ; elle prouve que Dumouriez accuse à tort Kellermann d'avoir confondu son instruction et pris son champ de bataille pour son camp. Mém., I, 289. D'ailleurs, le 18 septembre, Dumouriez lui écrivait : Vous ne pouviez pas arriver plus à propos. Vous pouvez vous étendre sur les hauteurs de Dommartin-la-Planchette : la droite vers l'étang le Roi et la gauche dans la direction du moulin de Valmy, laquelle position vous mettra dans le cas de prendre en flanc les colonnes attaquant du côté de l'ennemi. (Papiers de Dumouriez. Arch. nat., F⁷ 4598).
[13] Lettre du fils de Kellermann à Lachasse de Werigny (arch. guerre, classé au 21 septembre) et Vie anecdotique de Louis-Philippe, p. 56.
[14] Maigneux, ou, comme on disait alors, la Garenne-Maigneux, écart de Valmy, se compose aujourd'hui de trois fermes.
[15] Voir sur ce prologue de la journée les Mémoires de Massenbach, I, 81-83 et Minutoli, der Feldzug, p. 245-247.
[16] A peu près dans le prolongement de la ligne de l'aile de l'Yvron (Joinville, Campagne de 1792 en France, p. 48).
[17] Massenbach, Mém., I, 83.
[18] Gœthe est assez obscur sur cette déroute de la cavalerie que commandait son protecteur et ami le duc de Saxe-Weimar ; mais on peut croire Massenbach, Mém., I, 83, et Minutoli, der Feldzug, 247, qui, tous deux, emploient, en parlant de la fuite de ce corps de cavalerie, le mot zurückprallen ; cp. Laukhard, III, 156 ; Peltier, 54 ; cp. aussi Nassau-Siegen, 353 ; le mot sur les manteaux blancs est de Massenbach.
[19] Massenbach, I, 83 ; Minutoli, der Feldzug, 247 (tous deux emploient le mot hartnäckig) ; Caraman, Mém., 15 : rengagement fut vif et opiniâtre ; Nassau-Siegen, 353 ; Réminiscences, 159.
[20] A l'entendre, et comme l'ont répété après lui tous les historiens français, Kellermann serait arrivé à cinq heures du matin sur la hauteur de Valmy et les Prussiens se seraient établis sur la hauteur de la Lune à six heures ; le brouillard se serait dissipé vers sept heures ; l'explosion des caissons aurait eu lieu à dix heures, et la marche des colonnes d'attaque, à onze. Ce récit est démenti par les relations allemandes, et un seul fait le réfute ; Kellermann écrivait dans la matinée du 20 septembre le billet suivant à Dumouriez : Je vous préviens, mon cher général, que M. Deprez-Crassier m'a rendu compte qu'on lui avait rapporté qu'il marchait une colonne d'ennemis à une lieue de son poste et quelques instants plus tard, cet autre billet : M. Crassier vient de me mander, mon cher général, que ses postes avancés sont attaqués par les hussards et qu'une colonne de cavalerie marche sur sa gauche ; si c'est une troupe égale à la sienne, il l'attendra, et si elle est supérieure, il se repliera sur moi. En conséquence, je vais m'y rendre sur le champ (Arch. nat., papiers de Dumouriez). Or, le premier de ces billets est daté de sept heures du matin, et à ce moment Kellermann n'avait pris évidemment aucune disposition. D'ailleurs, le général Pully dit dans son mémoire que les soldats de sa brigade montèrent à cheval sur les huit heures et les auteurs de la Vie anecdotique de Louis-Philippe assurent qu'il était près de huit heures lorsque le duc de Chartres arriva au moulin. Kellermann n'a donc pu établir le gros de l'armée sur le tertre de Valmy que dans la matinée, de huit à onze heures, — et non, comme il voudrait le faire croire, dès cinq heures, — grâce au brouillard et à l'immobilité de l'ennemi. Relisons sa lettre du 21 septembre au ministre de la guerre ; après avoir raconté que Deprez-Crassier s'est replié sur lui en combattant avec valeur et que Valence a longtemps résisté, il ajoute je me suis alors rangé en bataille ; or Valence a quitté la Lune vers huit heures et demie. Kellermann avance tous ses mouvements pour rendre sa résistance plus longue et plus glorieuse. Il place, par exemple, l'explosion des caissons dans la matinée, parce que, dans l'après-midi, elle dérange, pour ainsi dire, la belle ordonnance de la journée. Il grossit le nombre de ses adversaires, prétend que Clerfayt prit part à l'action et amoindrit considérablement le rôle de Dumouriez et de ses lieutenants.
[21] Mémoire du général Pully (arch. guerre).
[22] La cinquième et la septième batterie à cheval.
[23] Ces détails, qui paraissent vrais, sont tirés de la Vie anecdotique de Louis-Philippe (p. 59-60) ; voir d'ailleurs plus loin le mot de Frégeville sur Stengel et la fière déclaration de Stengel : La position de la côte d'Yvron que j'ai choisie. Kellermann dit, dans son mémoire qu'il avait trouvé Stengel au moulin de Valmy ; de même Botidoux, Esquisse de la carrière militaire de Kellermann, p. 23-24.
[24] Vie anecdotique de Louis-Philippe, p. 57.
[25] Mémoire de Kellermann. Ce détachement fut évidemment tiré de l'avant-garde de Deprez-Crassier et de la réserve de Valence, et composé du 1er régiment de chasseurs à cheval, du 1er bataillon d'infanterie légère et d'un bataillon de grenadiers.
[26] C'est-à-dire la cavalerie proprement dite, celle que commandait Pully, le 8e (le seul régiment de cuirassiers que comptait alors l'armée française) et le 10e (ci-devant Royal-Cravate) de cavalerie. Cp. Invasion prussienne, 209.
[27] Mém. du général Pully (arch. guerre).
[28] Lettre de Dumouriez à Devaux, 18 sept.
[29] Instruction à Le Veneur du 19 septembre (Arch. nat. F⁷ 4598).
[30] Dillon, Compte rendu, 36.
[31] Dumouriez, Mém., I, 289-292.
[32] Buirette, Hist. de Sainte-Menehould, II, 608.
[33] Forstenbourg avait servi en France dans les dragons de Schomberg (17e dragons) ; cp. Lettres de Grimm à Catherine II, 1886, p. 433.
[34] Massenbach, Mém., I, 84.
[35] Massenbach, Mém., I, 84, et
Strantz, Zeitschrift für Kunst, Wissenschaft und Geschichte des Krieges,
1831, V, 99.
[36] Langsam, gravitätisch (expression de Massenbach).
[37] Massenbach, Mém., I, 88 ; Galerie des caractères prussiens, 176 ; Minutoli, der Feldzug, 249 ; Témoin oculaire, II, 100. Massenbach eut en récompense l'expectative d'une riche prébende dans le canonicat de Minden, et le capitaine d'artillerie Decker, l'ordre pour le mérite.
[38] Réminiscences, 158 : Témoin oculaire, II, 81.
[39] Gœthe, Campagne de France, 90.
[40] Réminiscences, 158.
[41] Nassau-Siegen, 353.
[42] Une mission en Prusse (Toulongeon), 200.
[43] Massenbach, Mém., I, 85, et II, 137 ; il assure que Grawert vota d'abord pour l'attaque.
[44] Nassau-Siegen, 354-355.
[45] Caraman, 15.
[46] Nassau-Siegen, 355.
[47] Réminiscences, 158.
[48] Minutoli observe que le feu des Prussiens était dirigé de bas en haut, von unten nach oben.
[49] Massenbach, Mém., I, 86. Nassau-Siegen, 354. Cp. sur le caractère violent et emporté de Tempelhof les Réminiscences du prince royal, 156 et 168 ; il ne cessait de gronder et de tempêter, et à Valmy, dit Massenbach, er war tumultuarisch, er tobte. Scharnhorst, visitant Berlin, entendait dire aux officiers de l'artillerie que Tempelhof n'était pas maitre de lui un jour de bataille. (Max Lehmann, Scharnhorst, 1886, I, p. 36.)
[50] Voir la planche I du joli Plan de la canonnade de Valmy, exécuté par Minutoli, à la fin de l'ouvrage der Feldzug.
[51] Nassau-Siegen, 354-355.
[52] Caraman, 15 ; Gœthe, 84 ; Réminiscences, 158 : Strantz, 97 ; Gaudy, 18 ; Pendant cette canonnade, l'ennemi manœuvrait derrière ses batteries, on le voyait marchant paisiblement en colonnes et en bel ordre, et, lorsque la tête de la colonne fut à la hauteur du village de La Chapelle, il se mit en bataille, présentant un front de deux lieues d'étendue depuis la pointe d'Yvron jusqu'au dessus de La Chapelle. (Mémoire de Gobert.)
[53] Lettre de Kellermann à Servan, du 21 septembre (arch. guerre), un vent violent qui nous donnait au nez.
[54] Caraman, Mém., 15 ; comparez Gœthe, 89, et Réminiscences, 160.
[55] Mot de Belliard, Mém., I, 76. Cp. le mémoire de Kellermann ; ce dernier dit que l'infanterie prussienne formait trois colonnes : l'une à gauche, se dirigeant sur le village ; l'autre au centre, poussant vers le moulin ; la troisième, à droite, un peu en arrière, servant de soutien aux deux autres et s'avançant vers la maison de poste d'Orbeval, sans toutefois se compromettre, et pour n'agir que selon le succès des deux autres colonnes.
[56] Arch. guerre. Mém. de Kellermann ; lettre à Servan, du 21 septembre ; lettre à Clavière (Gazette de France du 2 octobre) ; lettre de Levavasseur, aide de camp de Kellermann, à Carra (Ann. patriot. du 30 septembre), lettre d'un capitaine (Patriote français, 3 octobre). Le colonel Miot assure que Kellermann, par ce beau mouvement de former ses troupes en colonnes par bataillons pour se précipiter à la rencontre de l'ennemi, montra une résolution ferme et brillante.
[57] Tableau historique, II, 115 ; Toulongeon dit aussi que cette saillie nationale étonna l'ennemi (II, 331). Mais pas un Prussien, témoin de la canonnade, ne parle des cris des Français.
[58] Une mission en Prusse (anonyme), 355.
[59] Deux mille à quinze cents pas (Minutoli, der Feldzug, 250) ; quatre cents toises (Exposé de la conduite de Kellermann, 10) ; l'avant-garde prussienne, dit Strantz, était à environ douze cents pas de l'ennemi.
[60] Remarque de Favé, Histoire et tactique des trois armes, p. 157 et 159.
[61] Réminiscences, 159.
[62] Nassau-Siegen, 354 ; Strantz, 99. La distance du moulin de Valmy à la maison de la Lune est de 2.500 mètres environ.
[63] Caraman, Mém., 15.
[64] Réminiscences, 159.
[65] Gœthe, Campagne de France, 91-92.
[66] Réminiscences, 160 ; Caraman, 15 ; Nassau-Siegen, 355 ; Lombard, Lettres, 317 ; Laukhard, III, 166 ; Témoin oculaire, II, 92 ; Peltier, 54 ; Dampmartin, Quelques traits, 421, et Mém., 302 : il longe à pas lents le front de la ligne, adresse des paroles d'encouragement, et au plus fort du feu, le sourire reste sur ses lèvres.
[67] Lettres du 21 septembre.
[68] Moniteur du 19 octobre, et Posselt, Taschenbuch für die neuste Geschichte, 1794, t. I, p. 117, loue fort ce trait touchant de grandeur d'âme. Lormier, dit Kellermann dans son rapport, était un officier distingué de toutes les manières.
[69] Lettre du 26 septembre publiée dans le Courrier des 85 départements.
[70] Dumouriez, Mém., I, 290.
[71] Kellermann dit après dix heures ; tous les témoignages prussiens placent l'explosion des caissons dans le courant de l'après-midi ; Massenbach dit qu'elle eut lieu vers trois heures et demie ; Minutoli, à deux heures ; le prince royal et Strantz, après une heure ; cp. la Geschichte der Kriege in Europa, I, 71.
[72] C'est-à-dire eu réalité les troupes qui formaient la seconde ligne de l'ordre habituel de bataille, les troupes que commandait Muratel.
[73] On trouve ce détail dans la Vie anecdotique de Louis-Philippe, p. 62.
[74] Cp. Invasion prussienne, 127-128, le portrait de Brunswick et les vers de la Henriade que lui applique Massenbach. Le duc, ainsi que le roi et ses fils, dit Gaudy (p. 17), furent toujours à l'endroit où le danger était le plus grand.
[75] Ein herzerhebendes Schauspiel ; cp. le mot de Caraman, p. 15 : le spectacle le plus imposant.
[76] Mallet du Pan, I, 323-324 ; Fersen, II, 50. Cp. l'aveu de Nassau-Siegen, 353 : Nous avons été à même d'observer que cette cavalerie tenait parfaitement bien au feu de notre canon.
[77] Sans doute Caraman, Sombreuil, Bombelles, Heymann.
[78] Massenbach, Mém., I, S9-90 ;
Minutoli, der Feldzug, 251 ; Magasin der neuesten Kriegsbegebenheiten,
II, 89 ; Laukhard, III, 160 ; Gaudy, 20.
[79] Minutoli, der Feldzug, 252-253. Kalkreuth avait sous ses ordres la cavalerie du prince de Wurtemberg ; c'étaient les régiments qui formaient l'aile gauche de l'armée : cinq escadrons de Wolfradt (hussards), les dragons de Bayreuth et de Tschiersky, les cuirassiers d'Ilow. Le lieutenant Hahn, qui commandait la batterie, reçut l'ordre pour le mérite. (On remarquera que tous les chefs de l'artillerie, Ostendorf, Menz, Decker, Hahn, semblent être des plébéiens ; comparez Invasion prussienne, 96).
[80] Moniteur du 16 octobre, lettre de l'armée de Kellermann.
[81] Les troupes commandées par M. Stengel, maréchal de camp, que M. Dumouriez avait envoyées, ainsi que M. Chazot, lieutenant-général, pour renforcer mon armée, se sont brillamment conduites. Aussi Beurnonville écrivait-il à Dumouriez que Kellermann n'avait pas oublié les louanges pour son armée ; je n'en demande point pour moi, ajoutait-il, mais dites quelque chose pour votre avant-garde à mes ordres : elle lit, elle verra avec plaisir que vous ne l'oubliez pas. (Ternaux, IV, notes, 545). Même dans le mémoire rédigé plus tard, Kellermann se contente de dire, sans entrer dans aucun détail et sans prononcer le nom du mont d'Yvron, que le général Stengel et le colonel Dumesnil, actuellement général de division (c'est le colonel du 54e régiment ci-devant Royal-Roussillon), se sont conduits avec la plus grande distinction.
[82] Belliard, Mém., I, 76 ; arch. nat., W, 272, dossier 41, p. 20, déposition de Frégeville ; p. 26, Stengel au président (imprimé, p. 3-5). C'est à vous que nous devons le succès de la journée d'hier, écrivait Dumouriez à Stengel le 21 septembre, remerciez de la part de la nation et de la mienne vos troupes qui se sont conduites héroïquement et particulièrement la compagnie des chasseurs de Paris (la compagnie des Quatre Nations) qui, n'ayant jamais fait la guerre, auraient pu marquer de l'étonnement. Avec de pareilles troupes nous devons battre les esclaves du Nord. (Dumouriez à Stengel, 21 septembre. Papiers de Dumouriez. Arch. nat. F⁷ 4598.)
[83] Gœthe, Campagne de France, passim.
[84] D'après toutes les relations allemandes, sans exception, les colonnes d'attaque ne se sont ébranlées qu'une seule fois. Kellermann seul assure qu'elles s'ébranlèrent deux fois, l'ennemi a deux fois ébranlé quatre colonnes d'infanterie pour achever l'affaire, et chaque fois il a fait halte et replié ses troupes (lettre confidentielle à Servan, du 21 septembre) ; après quatre heures, deux colonnes se dirigèrent encore vers le moulin de Valmy... cette fois l'ennemi s'arrêta à une plus grande distance que le matin... le désordre s'y mit ; la fierté de l'armée française redoubla leur frayeur ; elles se retirèrent avec plus de précipitation que le matin, et laissèrent beaucoup d'hommes et de chevaux sur le champ de bataille. (Mémoire.) Pully dit simplement : Les ennemis parurent plusieurs fois s'ébranler pour nous attaquer Ie ils menaçaient de nous tourner par notre gauche.
[85] Le 20 septembre, observe ironiquement Valentini (p. 7), était l'époque des manœuvres d'automne de Potsdam.
[86] Kellermann à Servan, 21 septembre (arch. guerre) ; Massenbach, Mém., I, 100 ; le major prussien nous raconte que Tempelhof n'avait fait emporter dans l'Argonne, à la suite de l'armée, que le tiers des munitions de guerre ; les deux autres tiers étaient restés dans les parcs d'artillerie, et à Luxembourg, et à Longwy, et à Verdun ; chaque batterie n'avait eu moyenne que 1.248 coups à tirer.
[87] Massenbach, Mém., I, 91-92 ; Minutoli, der Feldzug, 254-256 ; Gebler, 82-85 ; Strantz, 100 ; Geschichte der Kriege in Europa, I, 72 ; Témoin oculaire, II, 117 ; Fersen, II, 48 (récit de Levis) ; ce qui n'empêche pas Kellermann d'affirmer dans son mémoire que Clerfayt attaqua vigoureusement sa droite commandée par Stengel qui le reçut avec fermeté et le repoussa avec perte.
[88] Strantz, 101 ; Réminiscences, 160 ; Massenbach, I, 93-94 ; Gœthe, 88 et 94.
[89] Voir sur le service sanitaire de l'armée des alliés Invasion prussienne, 107-108 ; Réminiscences, 160 ; Massenbach, I, 110-111 ; Gœthe, 93 ; Témoin oculaire, II, 113.
[90] Niederlage, dit Massenbach.
[91] Gœthe, Campagne de France, 93 ; Massenbach, Mém., I, 94.
[92] Caraman, Mém., 16-17.
[93] C'étaient, d'après la Gazette de Voss du 9 octobre (n° 21), les conseillers de Wegnern et Volgand, le secrétaire du cabinet Lombard, deux commissaires des vivres, deux secrétaires de la poste de campagne, quelques chasseurs et postillons.
[94] Massenbach, Mém., I, 109-100 ; Gœthe, Campagne de France, 98 ; Dumouriez, Mém., I, 291. Dans l'instruction qu'il avait donnée au lieutenant-général Le Veneur, il lui avait malheureusement prescrit de ne pas s'aventurer, pour pouvoir toujours reprendre la position du camp, en cas que l'attaque devînt générale. L'ignorance rend timides les hommes les plus braves, car certainement Le Veneur est un homme d'un grand courage. Ayant marché devant lui, il donna dans la colonne des équipages des Prussiens, qui étaient très mal escortés. Au lieu de pousser au travers, ce qu'il pouvait faire sans danger, il ne fit que quelque butin ; et il se hâta de se replier, non pas à la hauteur de Beurnonville, mais jusqu'au camp. Le général n'eut rien à lui dire ; il objecta son instruction.
[95] Il dit dans sa dépêche destinée au public quelque désagréable que fût la position que j'avais prise.
[96] Moniteur du 11 juin 1831. La maisonnette portait encore, en 1831, lorsque Louis-Philippe visita le champ de bataille, la trace des boulets prussiens ; elle est restée debout jusqu'en 1845 ; elle avait été achetée par un nommé Jean-Louis Thiery, dont le petit-fils, Thiery-Rouyer, possède encore le terrain. Quant au moulin, il n'avait pas été détruit par la canonnade ; on le restaura, et il n'a disparu qu'en 1829. (Communication de M. Thénault.)
[97] Kellermann à Servan, 24 septembre (arch. guerre) ; Dillon, Compte rendu, 32 et 36 ; Deprez-Crassier à la Convention, 5 : Je fis l'arrière-garde, à la portée du canon ennemi, avec trois escadrons de hussards, et sans perdre une botte de paille. Gobert juge ce mouvement admirable ; Rochambeau, d'ailleurs très bref et très inexact sur ce point, observe (Mém., I, 429) que Kellermann fit pendant la nuit un mouvement habile qui menaçait le flanc de l'armée prussienne. Le général en chef de l'armée du Centre a dit plus tard : L'affaire du 20 septembre procura à Kellermann la possibilité de prendre une position dans la nuit qui suivit le combat, laquelle mit Brunswick absolument hors d'état de suivre son projet d'invasion. (Lettre de Kellermann en réponse à la nouvelle accusation portée contre lui à la Convention par le général Custine. Arch. nat., W. 483, n° 374, p. 4.)
[98] Elle commença le matin, vers sept heures, se ralentit à neuf heures et reprit avec violence vers midi pour cesser entre cinq et six heures. Après une attaque de huit heures (Dumouriez au commandant de Châlons, 21 sept., arch. guerre) ; la canonnade, écrit Heuss, a duré de midi et demi à quatre heures et demie, sans compter le feu que nous dûmes essuyer depuis neuf heures (Vivenot, Quellen, II, 234). Tous les Prussiens assurent que la canonnade a duré quatre heures, parce qu'ils ne la font commencer qu'à l'arrivée du gros de leur armée sur le plateau de Maigneux.
[99] D'après Strantz (p. 101), l'armée prussienne était composée de 42 bataillons et de 70 escadrons ; en comptant pour un dixième les blessés et les malades, on obtient le chiffre de 34.000 hommes. Quant au chiffre de l'armée française, nous savons que Kellermann avait 16.000 hommes et j'estime les forces de Stengel, de Beurnonville et de Chazot respectivement à 6.000, à 9.000 et à 5.000 hommes.
[100] 250 hommes tant tués que blessés, dit Kellermann (lettre du 21 septembre) ; 150 tués et 260 blessés, écrit le commissaire des guerres Brémont (voir son journal en 1792, Revue historique des Ardennes, 1864, 1er semestre, p. 63).
[101] Chiffre officiel donné par la Geschichte der Kriege in Europa, I, 73.
[102] Comparez la bataille de la Boyne qui ne fut qu'un petit combat où, par hasard, le duc de Schönberg fut tué, mais qui donna l'Irlande à Guillaume III (Rousset, Louvois, IV, 422-423). la bataille de Culloden qui ne coûta que 300 tués et blessés aux Anglais et décida du sort de la Grande-Bretagne, l'affaire de Vernon où la troupe de Brune ne perdit qu'un seul homme et qui porta un coup mortel à l'insurrection des départements et à la cause girondine. Les lieux, les temps, a dit Voltaire, font l'importance de l'action ; on a vu dans la guerre de la succession d'Autriche des batailles de près de 100.000 hommes qui n'ont pas eu de grandes suites. (Siècle de Louis XV, chap. XXV).
[103] Caraman, Mém., 15. La prise d'Ismaïl, disait le correspondant de la Minerva d'Archenholz (janvier 1793, p. 152), n'a eu aucune conséquence ; la canonnade de Valmy a décidé l'indépendance de la France ; elle est ce qu'a été Culloden pour l'Angleterre, elle est même davantage.
[104] Dumouriez au commandant militaire de Châlons, 21 sept. (arch. guerre).
[105] Dumouriez à Stengel et à Kellermann, 21 sept. (arch. nat. papiers de Dumouriez).
[106] Kellermann à Servan, 21 sept. (arch. guerre).
[107] Servan à Dumouriez, 23 sept. (arch. guerre), et à la Convention, 25 sept., Moniteur du 27.
[108] Voir sur cette disposition du public qu'il faut attribuer non seulement à la lassitude et à la légèreté nationale, mais à l'inébranlable confiance qu'on avait dans la force des sentiments patriotiques et révolutionnaires, les témoignages recueillis par M. Taine (Conquête jacobine, 253).
[109] Révolutions de Paris, n° 168, 22-29 sept. 1792, p. 16 ; voir aussi p. 41, Kellermann reconnaît lui-même que l'affaire de Valmy fit dans les premiers temps assez peu de sensation (Lettre à la Convention, Arch. nat. w. 483, n° 374, p. 4).
[110] Lorsque Charles X se rendit à Reims pour son sacre, en passant par la Champagne, il dit au duc d'Orléans : Nous nous sommes vus autrefois dans ces plaines ? — Oui, sire, mais ce n'était pas sous les mêmes drapeaux. — Je n'ai jamais bien su, ajouta le roi, si Brunswick avait ou non reçu de l'argent ou des ordres pour se retirer. — Sire, le courage de l'armée française a tout fait, et je ne suis pas surpris qu'après la bataille de Valmy le duc de Brunswick n'ait pas été d'humeur à marcher sur Paris. (Vie anecdotique de Louis-Philippe, p. 65-66.)
[111] Mém., I, 292.
[112] Le gain moral, avouent les auteurs de la Geschichte der Kriege in Europa (I, p. 72-73), était incalculable.
[113] Moniteur du 7 septembre.
[114] Moniteur du 1er octobre, lettre du 25 septembre.
[115] Patriote français du 3 octobre.
[116] Massenbach, Mém., I, 94. L'armée entière est très animée, écrivait Dumouriez le 21 septembre (arch. guerre) ; ma petite armée est bonne, mandait Kellermann le 24 septembre, et l'ennemi n'ayant pas osé l'attaquer de front, cela l'a enhardie à ne plus compter leur nombre ; la dernière affaire l'a échauffée, disait Gorsas (Courrier des 85 départements, 25 septembre, p. 51). Un des meilleurs jugements sur Valmy est celui de l'émigré Dampmartin, qui se pique d'impartialité (Mém., 302) : La canonnade de Valmy étonne les étrangers, anime les Français, et s'assure une place dans l'histoire par ses importants résultats. Comparez aussi Valentini (p. 9-10) : Elle réveilla l'esprit guerrier de la nation et les jeunes troupes apprirent dans cette crise dangereuse qu'à la guerre le péril n'est pas aussi grand qu'il en a l'air ; et Minutoli, Erinnerungen, 128 : On n'avait pas attaqué les Français, ils se crurent vainqueurs, et d'ailleurs ils s'étaient convaincus qu'un feu, si vif et si bruyant qu'il fût, n'était pas aussi dangereux qu'ils le pensaient d'abord. La canonnade de Valmy, dit l'auteur du Tableau historique (II, 91 et 115), devint l'époque de l'indomptabilité des troupes françaises et il faut dater de cette journée la valeur et l'assurance dans leurs propres forces qu'elles manifestèrent depuis pendant toute cette guerre. La résistance que les alliés rencontrèrent à Valmy, juge le colonel Miot, fut pour la France comme le signal des victoires qui, pendant vingt ans, ont couronné ses drapeaux ; c'est contre un moulin qu'est venue se rompre la première coalition, et c'est de là que nos bataillons ont pris leur premier élan dans la carrière qu'ils devaient parcourir. (Mémoire inédit.)
[117] Gouvion Saint-Cyr, I. 76. L'armée française tira à Valmy 20.000 coups de canon (Dumouriez, Mém., I, 291) ; à la Moskowa, 50.000 ; à Lützen, 39.000 ; à Leipzig, dans la journée du 18 octobre, 95.000 (Fain, Manuscrit de 1815, p. 367 et 431) ; Massenbach nous donne le nombre de coups tirés par les batteries de l'avant-garde prussienne dans la journée du 20 septembre : batterie volante de Schönermark, 900 ; demi-batterie volante de Hüsser, 450 ; batterie Ostendorf, 460 ; batterie Berneck, 480 ; batterie Decker, 450 ; chaque batterie prussienne avait tiré en moyenne 450 coups (Mém., I, p. 99).
[118] Gœthe, Campagne de France, 84.
[119] Rheinischer Antiquarius, I, 117.
[120] Miroy, Chronique de Grandpré, 1839, p. 166.
[121] Buirette, Histoire de Sainte-Menehould, II, 609.
[122] Money, The Campaign, 88.
[123] Lombard, Lettres, 317, et Hüffer, zmei neue Quellen zur Geschichte Friedrich Wilhelms III, aus dem Nachlass Lombards und Lucchesinis, p. 25, lettre du 24 septembre 1792 la canonnade devint bientôt si terrible, que nous pouvions à peine maîtriser nos inquiétudes.
[124] Caraman, Mém.. 15 ; cp. les mots de Lucchesini canonnade furieuse (Ranke, Umprung, 317), de Reuss hitzige Canonade (Vivenot, Quellen, II, 233) et de Dumouriez terrible canonnade (Mém., 289). Voir plus haut, l'impression dont est saisi Massenbach. L'œil pouvait alors embrasser plus de 100.000 (lire 70.000) hommes prêts à se livrer bataille, et ce spectacle était d'autant plus imposant qu'on n'était pas habitué à voir des armées aussi nombreuses que celles qu'on a vues depuis, et qu'à cette époque il y avait plus de trente ans que l'Europe n'avait mis sur pied une plus grande réunion de combattants. (Vie anecdotique de Louis-Philippe, p. 63.)
[125] Gœthe, 91 ; Réminiscences, 160 ; Strantz, 99 ; Gaudy, 17, Témoin oculaire, II, 87.
[126] Caraman, Mém., 16 — mais c'est un émigré ; Valentini, 8 — mais c'est un Prussien, et sa sévérité à l'égard de Brunswick passe toute limite ; Gouvion Saint-Cyr, I, p. LXXVI, — mais il aime les paradoxes et n'a pas connu les documents dont nous disposons aujourd'hui ; Dumouriez, Mém., I, 292, — mais il dit seulement qu'il fallait attaquer avant midi, et le gros des Prussiens n'arriva qu'à midi sur le champ de bataille.
[127] Fersen, II, 48-49.
[128] Cp. Invasion prussienne, 124.
[129] Mémoires d'un homme d'État, II, 34.
[130] Ditfurth, die Hessen,
89-93.
[131] Massenbach, I, 102-103.
[132] Massenbach, I, 95 ; cp. plus haut le chapitre Somme-Tourbe.
[133] Gouvion Saint-Cyr, I, LXXVI ; cp. Massenbach, I, 108. Si au lieu de m'attaquer le 20 septembre, l'ennemi m'eût devancé et fait occuper les hauteurs de Dampierre, il coupait nos subsistances et c'en était fait (Exposé de la conduite de Kellermann, 11). Le combat a été accidentel, dit fort justement le colonel Miot.
[134] Massenbach, Mém., I, 98. Il faut, avant d'arriver au moulin, traverser un terrain humide et fangeux, la Jambe Daniel et la Marre, puis la côte de la Marre, traverser de nouveau un pli de terrain qu'on appelle dans le pays ta petite Marre, et gravir encore une légère côte, la Moulette (ainsi nommée, parce qu'il y avait autrefois sur cette côte un petit moulin, moins important que celui de Valmy) ; on gagne ainsi le terrain qui s'étend au pied de la butte de Valmy et qui porte le nom de Marivière.
[135] Lorsqu'on voyait de ses yeux, dit Gœthe (Campagne de France, 87) avec quels tourments il fallait traîner une batterie volante au milieu de cette fange, on avait un nouveau sujet de réfléchir à la situation critique dans laquelle nous étions engagés.
[136] Laukhard, III, 157.
[137] Minutoli, der Feldzug,
252.
[138] Strantz, article cité, 97.
[139] Lombard, Lettres, 316.
[140] Reuss à Philippe Cobenzl ; Vivenot, Quellen, II, 234.
[141] On s'était nourri, dit Caraman (p. 16), de la fausse idée que les troupes françaises se débanderaient à première vue et avant d'avoir été attaquées.
[142] Réminiscences, 158 et 159 ; Témoin oculaire, II, 88-89, 91, 93 ; Laukhard, III, 155-157. Le récit du témoin oculaire paru en 1793 excita la bile d'un officier prussien qui répondit dans le Magazin der neuesten Kriegsbegebenheiten qu'il assistait à la canonnade et que ni ses soldats ni lui n'avaient pâli ou baissé la tête ; que ce serait une honte pour les troupes prussiennes si l'auteur avait dit vrai. Laukhard riposte dans le IIIe volume de ses Mémoires (154-158) : Eh bien ! moi, j'ai vu des soldats et même des officiers pâlir, je les ai vus baisser la tête, et je pourrais les nommer. Mais pourquoi n'aurait-on pas baissé la tête pour se soustraire au danger ? L'honneur prussien exige-t-il une folle témérité ou une bravoure sage et opportune ?
[143] Kellermann, Mém. (arch. guerre) ; Dampmartin, Quelques traits, 121, et Mém., 302 ; Peltier, 54 ; Archenholz, Minerva, novembre 1792, p. 122.
[144] L'armée, disent les auteurs de la Geschichte der Kriege in Europa (I, 74), avait tellement souffert que la plus brillante victoire aurait eu pour suite sa destruction totale, et le lieutenant-colonel Gross (Historisch-militârisches Handbuch für die Kriegsgeschichte der Jahre 1792 bis 1808, 1808, p. 13) reconnaît qu'il était très douteux qu'une bataille de Valmy, lors même qu'elle eût été gagnée, aurait produit un bon résultat.
[145] Massenbach, Mém., I, 101-102.
[146] Témoin oculaire, II, 87 et 132.
[147] Réminiscences, 159.
[148] Lombard, Lettres, 317 ; cp. la note des auteurs de la Geschichte der Kriege in Europa, 72 : la situation de l'armée commandait de ne pas attaquer ; Renouard aboutit à la même conclusion (Geschichte des franz. Revolutionskrieges, 223), et ce capitaine de l'état-major hessois reconnaît, tout bien pesé, que le duc, en ce moment décisif où disparaissait l'espoir d'atteindre le but de la guerre, donna un exemple d'énergie et de conviction indépendante qui provoqua au combat la voix de l'opinion publique contemporaine, mais que la postérité estimera à sa pleine valeur. Minutoli juge, de son côté, que la nécessité commandait au courage de se soumettre aux lois de la prudence, ou plutôt de la prévoyance (der Feldzug, 250). Après l'arrivée de Beurnonville et de Kellermann, dit l'auteur du Tableau historique (II, 109), il existait en présence du duc de Brunswick 53.000 combattants effectifs, force suffisante pour lui résister et même pour prendre impunément en sa présence les partis les plus convenables aux circonstances ; d'ailleurs les trois armées réunies pouvaient encore être secondées par environ 23.000 hommes répartis sur la Suippe, à Châlons et à Bar ; ce qui présentait une masse disponible de 76.000 hommes, dont plus de 12.000 de cavalerie, et par conséquent des moyens égaux à ceux des généraux allemands quant au nombre, mais supérieurs quant à la position et aux conjonctures.
[149] Introd. aux Mém. sur les campagnes des armées du Rhin.
[150] Un autre combattant de Valmy s'est toujours rappelé la journée du 20 septembre. Au mois de juin 1831, le duc de Chartres, devenu roi des Français, visita le champ de bataille et examina l'emplacement des batteries. Un canonnier, nommé Jametz, qui avait eu le bras emporté dans l'action, se présenta à Louis-Philippe et lui demanda de rétablir sa pension de 800 francs accordée par la Convention et supprimée depuis. Louis-Philippe le décora aussitôt sur le lieu même où il avait défendu la patrie (Moniteur du 11 juin 1831).
[151] Lettre à Servan, 21 septembre : il m'a donné tous les renforts que je pouvais raisonnablement exiger (arch. guerre). Il prétendit plus tard, mais sans raison, que Dumouriez l'avait jalousé ; il retarda dans Valmy ces succès dont il ne pouvait usurper la gloire. J'exposai ma vie et celle de mes braves soldats contre une armée trois fois plus forte que celle que je commandais, et Dumouriez restait spectateur oisif. (Lettre au président et aux membres du comité de Salut public, 16 germinal an II. Arch. nat. W. 483, doss. 374, p. 33). Comparez également ce passage injuste des notes de Servan aux mémoires de Dumouriez, p. 66 : Sur la bataille de Valmy, il faut entendre les plaintes du général Kellermann, soit sur la première position indiquée par Dumouriez, soit sur sa conduite le jour du combat.
[152] Favé, Histoire et tactique des trois armes et plus particulièrement de l'artillerie de campagne, 1845, p. 158. Comparez aussi un article du Moniteur de l'armée du 21 avril 1863.
[153] Fersen, II, 40 et 389 ; Lombard, Lettres, 317 ; Témoin oculaire, II, 85, 87, 91, 130 ; Brunswick, conversation avec Galbaud. Nos canonniers, écrivait un soldat le 26 septembre au Courrier des 85 départements, ont manœuvré comme à l'ordinaire, c'est-à-dire avec beaucoup d'intelligence et d'activité. L'ennemi a dû beaucoup souffrir de notre feu. (Marceau à Maugars, 24 septembre. Doublet, Marceau, 146).
[154] Le bulletin est cité par Posselt, p. 170, note (Bellum populi gallici adversus Hungariæ Borussiæque reges eorumque socios, 1793). L'auteur ajoute, à propos de la canonnade : Mira ejus prælii ratio fuit, neque enim tam ad manus deducta res est, quam eminus tormentorum jactu peracta pugna. Il affecte la concision de Tacite. Il dit Rocambaeus pour Rochambeau, Fayettus pour Lafayette, Dumorius pour Dumouriez, Clarefaeus pour Clerfayt, Boreparius pour Beaurepaire, Vernio pour Vergniaud, Collotus Herbas pour Collot d'Herbois, Wimpenus (Wimpfen), Montesquius (Montesquiou), Custinas (Custine), Valens (Valence) ; il nomme le duc d'Orléans Aureliensis dux ou Æqualis (Egalité), Servan Servius rei bellicæ procurator, Pétion Pethio prætor, etc. ; ces noms latins sont l'unique attrait du volume.
[155] Daté de Metz, 10 novembre (arch. guerre) : félicitations au corps de l'artillerie pour sa bonne conduite. Cp. sur l'artillerie française, Invasion prussienne, 81-87, et ce mot de Pellenc qui fait honneur à la perspicacité de l'ancien secrétaire de Mirabeau ; il est du 20 avril 1792 : Notre artillerie est la meilleure de l'Europe et c'est de là que viendront nos succès. On lit dans les variétés de la Chronique de Paris du 13 octobre (1147-1148) ce passage curieux : Le canon deviendra désormais l'arme favorite des Français. Notre artillerie, déjà la meilleure de l'Europe, nous a rendu les plus gran.ls services dans cette guerre. Ce genre de supériorité de notre nation dans cette arme doit être attribué à la sagacité du Français, à la promptitude de son coup d'œil, et peut-être à ce qu'à égalité de professions, le Français a l'esprit le plus cultivé.
[156] Lettre du 20 avril 1791, Pellenc a La Marck (citée par Flammermont, Négociations secrètes de Louis XVI et de Breteuil, 1885, p. 24) ; comparez le passage suivant des Révolutions de Paris, écrit au moment même où avait lieu la canonnade (n° 168, p. 19) : Des militaires éclairés qui reviennent de l'armée de Dumouriez nous assurent que des bataillons de piquiers seraient de la plus grande utilité dans son armée. Tout le monde connaît l'avantage que nous avons à l'arme blanche sur toutes les troupes d'Europe. C'est d'après cela, sans doute, qu'ils calculent l'avantage des piques, soutenues par les baïonnettes et précédées de l'artillerie. C'est ainsi que Beurnonville écrivait à Dumouriez le 28 septembre : Nous avons assez d'infanterie, et, comme elle n'est pas assez manœuvrière, il faut une ligne de canons en avant et jouer de la baïonnette, après qu'elle aura fait son affaire.
[157] Gobert, mémoire (arch. guerre).
[158] Cela seul justifierait Brunswick ; tous ceux qui le blâment de n'avoir pas attaqué, Caraman, Nassau-Siegen, Strantz, etc., s'imaginent que l'armée française n'était composée que de volontaires et de fédérés. On éprouva, dit Toulongeon (Histoire de France depuis la révolution de 1789, II, 326-327) que ceux qui s'étaient opposés au licenciement de l'armée de ligne avaient rendu un service public. La conduite des troupes de ligne, disait Dubois-Crancé (rapport du 21 janvier 1793), depuis le commencement de la révolution et surtout dès l'instant qu'elles ont pu combattre les satellites des despotes, mérite trop d'éloges pour ne pas détruire tout soupçon, toute incertitude. Cp. au reste sur les sentiments de cette armée, la lettre d'un volontaire datée de Vitry et le discours de Simond aux Jacobins, Invasion prussienne, p. 61 et 212 ; le volontaire écrit l'armée ne s'occupe pas beaucoup de l'intérieur, nous ne voyons que les Prussiens ; Simond n'a rencontré que des soldats gais et dispos et qui n'avaient à la bouche d'autre mot que ça ira. Le 8 septembre, Kellermann écrivait de Voïd au ministre de la guerre : Je dois tout plein d'éloges aux soldats pour l'ordre et la discipline qu'ils ont observée pendant toute la marche.
[159] Arch. guerre, Kellermann à Servan, 3 juin ; cp. ses notes pour le cabinet historique-topographique du comité de salut public (1er mai) : cette petite armée (du camp de Neukirch) a fait le noyau de celle qui combattit si glorieusement à Valmy. Ces troupes, venues de Wissembourg où commandait Custine, formaient, comme on sait, la seconde ligne de l'armée du Centre (voir Invasion prussienne, p. 210) : J'ai envoyé à l'armée du Centre, écrivait Custine à Servan, presque toute la cavalerie de mon armée, sa meilleure infanterie, des régiments éprouvés (lettre du 2 septembre).
[160] Le 102e (ainsi que le 103e et le 104e) avait été formé le 11 octobre 1791 avec les compagnies soldées de la garde nationale de Paris, dans lesquelles étaient entrés un grand nombre de gardes françaises.
[161] Quant à la cavalerie de l'armée du Centre, postée soit dans la plaine, à Orbeval et près de l Auve, soit sur le tertre de Valmy, elle était ainsi composée : I avant-garde de Deprez-Crassier : 3e hussards (ancien Esterhazy), 4e dragons (ci-devant Conti), 1er chasseurs à cheval (chasseurs d'Alsace) ; II première ligne : 8e (cuirassiers) et 10e cavalerie (Royal-Cravate), 14e et 17e dragons (Chartres et Schomberg) ; III seconde ligne : 4e cavalerie (ci-devant régiment de la Reine), et 1er dragons (ci-devant Royal-Dragons) ; IV réserve : les deux régiments de carabiniers et le 17e cavalerie (ci-devant Royal-Bourgogne).
[162] Mémoire de Kellermann (arch. guerre) et discours à la Convention, 14 novembre : La journée du 20 septembre a sauvé Paris sur les hauteurs de Valmy, par la valeur mémorable des troupes de ligne et des volontaires nationaux, parmi lesquels il faut distinguer le bataillon de Saône-et-Loire. On raconte que ce bataillon, que Custine regardait comme excellent (lettre du 11 septembre à Biron), avait d'abord été chargé, le 20 septembre, de la garde des équipages, mais il était animé d'un si bon esprit et d'une telle émulation avec les troupes de ligne qu'il refusa de faire ce service. Lorsqu'on en rendit compte au duc de Chartres, devant le front du bataillon, un soldat sortit des rangs et lui dit, au nom de ses camarades : Mon général, nous sommes ici pour défendre la patrie, et nous vous demandons de ne pas exiger qu'aucun de nous quitte le drapeau de notre bataillon pour aller garder des équipages. — Eh bien, répondit le duc de Chartres, les équipages se garderont tout seuls aujourd'hui, et votre bataillon marchera tout entier avec vos camarades de la ligne ; vous êtes, aussi bien qu'eux, des soldats français. (Laugier et Carpentier, Vie anecdotique de Louis-Philippe, 59.) N'oublions pas aussi, parmi les bataillons de volontaires de 1791 qui appartenaient à l'armée du Centre, le 1er bataillon de l'Yonne attaché au service de l'artillerie.
[163] Le 1er bataillon de Saône-et-Loire fut formé le 10 septembre et le 2e bataillon de la Moselle le 18 août (Susane, Histoire de l'infanterie française, 1876, I, 336 et 342 ; Rousset, Les Volontaires, annexe 1, 319 et 325). — De même sur l'Yvron ; Stengel, de son aveu, n'avait guère que des troupes régulières : deux régiments de ligne, deux bataillons d'infanterie légère et vingt-deux escadrons. Aucun document ne nous apprend, il est vrai, la composition exacte et détaillée des corps de Beurnonville et de Chazot qui soutinrent efficacement l'armée du Contre ; mais nous savons que l'armée de Dumouriez ne comptait que des troupes de ligne et des volontaires de 1791.