LA CAMPAGNE DE L'ARGONNE (1792)

PREMIÈRE PARTIE. — VALMY

 

CHAPITRE PREMIER. — SEDAN.

 

 

I. Le successeur de Lafayette. Labourdonnaye. Grimoard. Montesquiou. Biron. Custine. — II. Dumouriez. Sa vie. Son ministère. Ses menées en Flandre. Lettres à la commission des vingt et un, au président de l'Assemblée, à d'Abancourt. Il reçoit le commandement en chef de l'armée du Nord. Sa personne et son caractère. — III. Plan d'invasion des Pays-Bas. Motifs qui déterminent Dumouriez. Agathocle et Scipion. Dillon nommé commandant entre Sambre et Meuse par Dumouriez et les commissaires. Mesures d'offensive. Malgré Servan, Dumouriez regarde toujours du côté de Bruxelles. Arrivée de Westermann. Lettres de Servan. Départ de Dumouriez pour Sedan. — IV. Arrivée à Mézières. Accueil des troupes. Reparties du général. Galbaud envoyé à Verdun. Lettre aux commissaires. Dumouriez revient à son plan d'offensive. Sa dépêche du 29 août et h procès-verbal du conseil de guerre. Vouillers a Paris. — V. Anxiété de Servan. Ses lettres du 1er et du 2 septembre. Money. Gobert. Approche de Clerfayt. Dumouriez dans l'Argonne. Il a devancé les ordres du ministre. Opinions de Bülow et de Gouvion Saint-Cyr. Il faut rassurer Paris.

 

I. La croisade entreprise par l'Autriche et la Prusse contre la France révolutionnaire n'avait, à vrai dire, commencé qu'au lendemain du 10 août 1792 ; mais les premiers coups qu'elle porta furent retentissants. L'armée d'invasion, composée de 42.000 Prussiens et de 15.000 Autrichiens, prenait Longwy le 23 août. Puis, tandis que les Autrichiens, commandés par Clerfayt, se dirigeaient sur Stenay, à quelque distance de Sedan, les Prussiens, continuant leur marche, mettaient le siège devant Verdun, et cette place se rendait le 2 septembre. La Champagne semblait ouverte. L'alarme était à Paris et dans toute la France qui voyait tomber l'une après l'autre ses barrières de l'est. L'Europe, suivant d'un œil attentif les progrès des alliés, croyait que les troupes de Frédéric-Guillaume II, fortes de ces heureux commencements, de leur vieille renommée, de leur discipline et des intelligences qu'elles avaient dans l'intérieur, pénétreraient bientôt jusqu'aux portes de la capitale.

Heureusement, la Révolution, surprise, avait encore deux armées composées de régiments de ligne et des volontaires de 1791, qui tenaient la campagne et demeuraient intactes : c'était celle des Ardennes, campée près de Sedan, sous les ordres de Lafayette, et celle du Centre ou de Metz, commandée par Luckner. Mais il fallait donner de nouveaux chefs à ces armées, sur lesquelles reposait le salut de Paris, et mettre à la place de Luckner et de Lafayette deux généraux qui eussent assez de bravoure, de talent et surtout de réputation de civisme et de patriotisme pour satisfaire à la fois l'opinion et les soldats. Kellermann devint le successeur de Luckner[1]. Il n'était guère apte à conduire de grandes opérations, mais il passait pour intrépide ; personne ne doutait de son activité, de sa vigilance, de son dévouement à la Révolution et à la France ; le soldat l'aimait et la faveur publique se déclarait pour lui. Luckner, étranger, équivoque, hésitant entre le parti populaire et la royauté déchue, d'ailleurs usé par l'âge, affaissé pour ainsi dire sous l'épreuve inattendue et redoutable de l'invasion, reçut le titre de généralissime et alla s'établir à Châlons, loin des troupes qu'il eut l'air de commander en chef, et qui, en réalité, échappèrent désormais à sa direction ; nous l'avons, écrivait Servan, porté à Châlons où il pourra être utile sans nuire à la chose publique ni aux généraux s'il était encore assailli par quelques mauvais conseils[2].

Mais, avant tout, il importait de remplacer Lafayette. On sait à quel point l'opinion s'était déchaînée contre lui. Le héros des Deux-Mondes, le chevalier de la Révolution, le fils ainé de la Liberté n'était plus que le singe de Cromwell ou de Monck, un Caïn, un factieux, un ami des despotes et un partisan de l'étranger, le traître Motier. Sa fameuse pétition du 28 juin et le rejet de sa mise en accusation par une majorité de 406 voix contre 224, furent une des causes du 10 août. Le décret qui l'absout, disait Chabot, a provoqué l'insurrection[3]. Le 13 août, le peuple de Paris se portait à la maison de Lafayette pour la piller et la Commune faisait effacer l'inscription gravée au-dessus de la porte. Le 14, les ministres se déclaraient convaincus de la nécessité d'enlever le commandement de l'armée du Nord à ce général qui n'avait plus la confiance de la nation[4]. Le 17, sur la proposition de Thuriot, l'Assemblée chargeait sa commission extraordinaire de lui présenter un tableau des crimes de Lafayette, et le lendemain le conseil exécutif annonçait, aux applaudissements de la Législature, qu'il avait rappelé le général à Paris[5].

Quel serait le successeur de Lafayette ? Serait-ce Labourdonnaye, Grimoard, Dillon, Kellermann, Montesquiou, Biron, Custine, Dumouriez ? Le choix du conseil exécutif ne pouvait s'arrêter que sur un de ces huit personnages. Deux n'étaient encore que maréchaux de camp : Labourdonnaye et Grimoard. Le premier, employé sur la frontière de Flandre, devait, après un séjour de courte durée à Châlons, où il seconda Luckner dans l'organisation de l'armée de l'intérieur, recevoir le commandement de toutes les forces du département du Nord. Il était, avant la Révolution, sous-gouverneur des enfants du comte d'Artois, mais on le regardait comme un chaud patriote. Il avait paru dans les clubs et s'était lié avec les principaux jacobins. Il réunit, écrivait Biron, à beaucoup de zèle et d'activité les principes du plus pur patriotisme. Mais Labourdonnaye n'avait pas le moindre talent militaire ; il est, disait Dumouriez, d'une médiocrité qui le met à cent piques au dessous de Kellermann. Les soldats ne le connaissaient pas, et son esprit inquiet, hautain, avide d'indépendance, le rendait insupportable à tous les officiers généraux[6].

Grimoard, maréchal de camp depuis le 6 février 1792, commandait alors dans la Haute-Normandie. Il avait été chef d'état-major de Bouillé. De nombreux mémoires sur la défense des frontières et ses plans de guerre offensive en Allemagne et en Italie le signalaient à l'attention des hommes du métier. On connaissait son attachement à Louis XVI ; mais on savait aussi qu'il était loyal et ferme. Il avait montré le sang-froid de son caractère et les ressources de son esprit en réprimant au mois de mars les troubles du département de l'Eure. On le fit venir à Paris ; il refusa le commandement de l'armée que Servan lui proposait, mais il écrivit un mémoire sur la situation militaire de la France et demeura près du ministre pour le conseiller et dire son avis à chaque incident de la guerre[7].

Les six autres personnages que pouvait choisir le Conseil avaient le grade de lieutenant général. Mais Dillon était bien médiocre et passait, non sans raison, pour un royaliste déguisé. Kellermann devait remplacer Luckner. Montesquiou commandait l'armée du Midi ; il avait accueilli les commissaires de l'Assemblée avec empressement et fait reconnaître par ses soldats les décrets de la Législative. Mais, dit Grouchy, il était plus habile à caresser l'opinion publique qu'à la mériter, et politique plutôt que militaire, il ne réunissait aucun des talents qui font le générale[8]. D'ailleurs on le savait ami de Lafayette ; le 23 septembre Tallien l'accusait de désorganiser l'armée et Joseph Chénier proposait sa destitution ; on le laissa préparer lentement la facile invasion de la Savoie.

Biron était le fils d'un courtisan de Madame de Pompadour et le mari de cette Amélie de Boufflers dont tous les contemporains, excepté lui, ont loué l'angélique douceur. Il s'appelait Biron depuis la mort de son oncle ; mais il avait eu, sous le nom de Lauzun, d'innombrables bonnes fortunes qu'il a racontées dans d'amusants Mémoires. Il fut quelque temps le favori de Marie-Antoinette, et on vit la reine se parer d'une plume de héron blanche qu'il avait portée à son casque[9]. Ruiné par ses dissipations, par ses paris et par les courses de chevaux, il s'était jeté dans les aventures de la guerre et de la politique. Il servit en Amérique sous Rochambeau. Membre de l'Assemblée constituante, il se prononça pour la Révolution. Aussi, au mois de mai 1792, l'avait-on nommé général en chef de l'armée du Rhin. L'Alsace le demandait au ministre comme le seul officier-général dont les qualités civiles et militaires pouvaient la consoler de la perte de Luckner[10]. Mais on savait qu'il était attaché secrètement à ce parti d'Orléans qui ralliait tous les courtisans aigris et besogneux. On n'ignorait pas sa complaisante affection pour Philippe-Egalité, dont il plaidait la cause auprès de Rivarol et de Bouillé. Lui-même avouait à Servan qu'il était l'intime ami du duc d'Orléans, et il demanda pour le jeune duc de Chartres le grade de lieutenant-général et le commandement de la place de Strasbourg[11]. Enfin, il n'avait qu'une connaissance superficielle de la guerre ; on se rappelait son échec de Mons au mois d'avril ; Lafayette et Dumouriez disent l'un et l'autre qu'il n'était pas grand militaire et manquait du tact indispensable sur le champ de bataille[12]. En réalité, Biron s'était amolli au milieu des applaudissements et des caresses des salons. La vie de frivolités et de plaisirs qu'il menait avant la Révolution, avait brisé en lui tout ressort énergique ; l'homme qui n'avait cherché que des succès de société et les fugitives faveurs de la mode, n'avait plus la force de jouer un grand rôle ; il garda sa tournure élégante et sa bravoure, mais le héros de roman ne put devenir un héros d'histoire. A l'armée du Rhin, il fut adoré de ses soldats qu'il sut discipliner et faire subsister ; on vanta son désintéressement, son esprit, sa grâce chevaleresque, l'aménité séduisante de ses manières ; les observateurs perspicaces le comparèrent à ce duc de Vendôme si populaire et si bienveillant envers tous, mais ils ajoutèrent qu'il avait l'indolence et la mollesse du vainqueur de Villaviciosa, sans avoir son génie. Biron se contenta, pendant son commandement, d'observer les Autrichiens d'Esterhazy et les émigrés de Condé ; il laissa le péril et l'honneur des opérations militaires à son lieutenant Custine[13].

Philippe-Adam de Custine avait commencé de bonne heure le métier des armes et vu la guerre dès son enfance ; à l'âge de sept ans, il assistait au siège de Maëstricht. Il avait étudié à Berlin et à Vienne la tactique allemande et causé, aux manœuvres de Potsdam, avec le grand Frédéric. Engoué des traditions du système prussien, il envoya son fils à l'Académie militaire des nobles, se proclama le disciple du comte de Saint-Germain, fatigua le soldat par de ridicules exercices et acquit la réputation d'un chef tracassier et brutal. Lorsqu'éclata la guerre de l'Indépendance américaine, il partit, après avoir échangé le régiment de dragons qu'il commandait et qui portait son nom contre celui de Saintonge-infanterie. Il fut, à son retour, nommé maréchal de camp. (5 déc. 1784.) Député de la noblesse du bailliage de Metz, il se déclara pour la Révolution. Employé aux armées après la session, et lieutenant-général depuis le 6 octobre 1791, il ne cessa de donner des gages aux partis avancés. Il comptait obtenir un grand commandement. Le dur et impitoyable colonel de dragons était devenu le plus indulgent des lieutenants-généraux ; il rudoyait l'officier, mais il -flattait le soldat. Sa moustache épaisse — on le surnommait le général Moustache, — son air martial, ses façons brusques et familières l'avaient rendu populaire dans l'armée. Sobre, robuste, très actif, disposé aux largesses, il possédait de grandes connaissances en administration militaire et savait écouter un bon avis. Mais, selon le mot de Biron, sa tête s'échauffait dans l'exécution[14] ; l'ardeur de son tempérament l'engageait souvent dans un mauvais pas ; il avait gardé l'emportement de la jeunesse, et le péril où le précipitait sa fougue imprudente, achevait de lui ravir sa liberté d'esprit. Aussi, quoiqu'il fut très fier des compliments qu'il avait reçus de Frédéric II et de l'expérience qu'il rapportait de la guerre d'Amérique, hésitait-on à le nommer général, d'armée. Vainement il obsédait le ministère de ses projets, de ses plaintes, voire de ses dénonciations. On lui préféra successivement Lamorlière, Biron, Dumouriez et Kellermann. Chacune de ces nominations excita son dépit et sa colère. Le vieux Lamorlière avait été chargé de commander l'armée du Rhin par intérim et Custine devait le seconder de ses conseils. L'ambitieux général se plaignit bientôt de la faiblesse de Lamorlière et de l'importance que s'attribuait le chef de l'état-major, Victor de Broglie ; à l'entendre, il n'avait pas assez d'autorité ; seul il jugeait sainement la situation ; seul il savait ce qu'il fallait faire, et si l'on restait sourd à ses avis, on devait s'attendre à tous les événements. Biron remplaça Lamorlière ; aussitôt Custine écrivit au ministre qu'on le nourrissait de couleuvres, qu'on ne cessait de lui donner de cruels dégoûts, que Biron n'avait ni ses longs services ni son expérience : Washington et Rochambeau, disait-il, ont jugé que M. de Biron devait être à mes ordres, et on vient de proposer le contraire ! Je puis assurer que je ne compterai jamais dans ma carrière militaire de journée de Mons. Il espérait succéder à Lafayette, et ce fut Dumouriez qu'on nomma. Je suis loin, écrivit Custine au ministre, de ne pas croire aux talents de Dumouriez, mais en ai-je moins montré que lui ! Ai-je moins prouvé de patriotisme, et une grande expérience, une grande habitude du commandement ne donnent-elles pas des droits ? Quelques jours plus tard Kellermann remplaçait le vieux Luckner à l'armée de Metz. Custine exhala de nouvelles plaintes. Je le dis nettement, mandait-il à Servan, cette nomination est le coup de pied de l'âne, et il s'écriait devant Biron : Quelle folie fera Dumouriez ? Brave sans doute, mais incapable de former ou de suivre un projet, pas plus d'habitude que Kellermann à manier des troupes. Et Kellermann ! Un homme de cette incapacité ! Quel plan peut-il sortir de sa tête ! Je le vois déjà en Bourgogne, si les ennemis font une marche sur lui. On conçoit que ces récriminations nuisaient beaucoup à Custine ; les jacobins de Strasbourg écrivaient assez justement qu'il n'était qu'un brouillon, tourmenté d'une ambition démesurée, et qui n'avait jamais su ni obéir ni commander[15].

 

II. Il ne restait donc qu'à choisir Dumouriez, et, dit un contemporain, on fut heureux de le trouver : son nom n'était point populaire, ni sa fidélité bien sûre, mais comme personnage politique et comme militaire, il pouvait rendre d'éminents services[16].

Il était né en Flandre, à Cambrai, le 25 janvier 1739, mais il descendait d'une famille parlementaire de la Provence. Il mêle ainsi le sang-froid du Nord à la vivacité méridionale. Son père, commissaire des guerres, et poète à ses heures, a fait une tragédie, Démétrius, et traduit le Richardet de Forliguerra. Après avoir étudié chez les jésuites du collège Louis-le-Grand et suivi son père en Hanovre, le jeune Dumouriez s'engagea comme volontaire dans le régiment de cavalerie d'Escars. Il reçut bientôt un brevet de cornette (21 octobre 1758) qu'il justifia par une bravoure extraordinaire. Il servait sous les ordres de Fischer, le plus habile chef de partisans qu'ait eu la France au XVIIIe siècle. A Warbourg, il rallia deux cents cavaliers autour du drapeau de son régiment et couvrit la retraite. La veille de Clostercamp, il fut assailli par des hussards prussiens et abandonné de son escorte ; il se battit avec fureur et ne se rendit qu'après avoir mis cinq de ses ennemis hors de combat, le visage brûlé par des grains de poudre, le front déchiré, le bras presque fracassé. Une balle de carabine l'aurait étendu mort ; un exemplaire des Provinciales qu'il avait dans sa poche, amortit le coup (15 octobre 1760). Il fut nommé capitaine et reçut la croix de Saint-Louis ; il n'avait alors que vingt-quatre ans. Réformé le 1er janvier 1763, il demeura quelque temps à Paris et se lia d'une étroite amitié avec Favier. Ce Favier, l'homme de France qui savait le mieux son Europe, était l'un des principaux agents de la diplomatie secrète de Louis XV ; il avait composé pour le comte de Broglie, qui fut l'âme de cette diplomatie, un livre complet sur la politique étrangère de la France, les Conjectures raisonnées sur l'état de l'Europe ; c'est le théoricien de la diplomatie révolutionnaire ; il critiqua le premier, avec une vive sagacité, le système autrichien et préconisa l'alliance de la France avec la Prusse ; Sémonville, Maret, Barthélemy le reconnaissent comme leur maître ; Favier, dit Dumouriez, m'apprit tout ce que je sais en politique[17].

Fatigué de son inaction, le jeune officier résolut de courir le monde, et dès lors, sa vie est celle d'un génial aventurier qui cherche partout à se pousser et à se produire, tire parti de chaque occasion et de chaque rencontre, tantôt faisant le soldat l'épée au poing, tantôt agent secret, toujours actif, résolu, prenant parfois la grande route, mais le plus souvent les chemins couverts et les voies souterraines. Cette existence équivoque et flottante a gâté Dumouriez ; il en a contracté les vices et gardé la marque jusqu'à ses derniers instants. Il étudia le fort et le faible de chaque pays, mais il joua tous les rôles, même ceux de condottiere et d'espion ; si son caractère se trempa fortement, il se défit de tous les scrupules.

Il s'offre d'abord à Gênes contre Paoli, puis à Paoli contre Gènes ; repoussé par la République et par le héros corse, il s'abouche avec Costa, chef d'un parti hostile à Paoli, débarque à Porto-Vecchio, trace quelques retranchements à Bogognano, se met à la tête des gens de Sartène et tente l'assaut de Bonifacio. A son retour en France, il se présente au duc de Choiseul qui le chasse. Il passe en Espagne ; il obtient une mission du marquis d'Ossuna ; il visite Lisbonne et Coïmbre, parcourt la région du Douro, recueille des notes de toute espèce, rédige pour le marquis d'Ossuna et le duc de Choiseul un système d'attaque et de défense du Portugal. Aide-maréchal général des logis dans l'expédition de Corse (10 mai 1768), il propose des plans, se querelle avec M. de Marbeuf, enlève des redoutes, essaie avec une poignée d'hommes de s'emparer du port de l'Ile Rousse et fait capituler le château de Corte. En 1770, Choiseul l'envoie en Pologne : Dumouriez était chargé d'organiser l'infanterie des confédérés de Bar[18]. Il appela de France la crème des aventuriers et recruta des déserteurs ; il acheta des fusils de tous les côtés ; il fit sa place d'armes du château de Landskron. Mais d'Aiguillon le rappela ; il revint, certain que les Polonais, ces Asiatiques de l'Europe, comme il les nommait, perdraient bientôt leur indépendance.

Il entra dans cette diplomatie confidentielle et occulte qu'on appelait le secret du roi. Il en fut la victime. Louis XV l'avait chargé de se rendre à Hambourg pour y former un corps de sept mille hommes destiné à secourir la Suède contre la Russie. Mais la négociation où s'engagea Dumouriez fut tellement obscure que Louis XV lui-même n'y comprit plus rien ; le ministre de la guerre et le ministre des affaires étrangères en ignoraient chacun une partie ; le chef de la politique secrète, le comte de Broglie, ne savait pas qu'elle fût entamée. Dumouriez, arrêté à Hambourg par un exempt sur l'ordre du duc d'Aiguillon, se laissa mener à la Bastille. Il y lut, comme Mirabeau à Vincennes, une foule de !livres, et répondit sur un ton goguenard aux questions de ses juges. Au bout de six mois, on lui donna pour prison le château de Caen. Il en sortit à l'avènement de Louis XVI et se maria. Il avait retrouvé dans un couvent de Caen sa cousine germaine, Mlle de Broissy, qu'il aimait avec ardeur douze ans auparavant. Elle avait vieilli ; ses traits étaient grossis par la petite vérole ; Dumouriez la revit sans trouble et sans battement de cœur. Mais elle eut une fièvre maligne ; il la soigna durant un mois, sentit renaître pour elle une tendre affection, et l'épousa. Ce mariage romanesque fut malheureux ; Mlle de Broissy était bigote et acariâtre, elle eut cent vingt domestiques en quinze ans. Les deux époux se séparèrent à l'amiable. Dumouriez prit une maîtresse, Mme de Barruel-Beauvert ; sa femme se retira dans un couvent de Paris.

Cependant Dumouriez était devenu colonel (1775) ; mais il n'avait pas de régiment à commander. Il rédigeait mémoires sur mémoires, tantôt contre le redressement de la Lys et la création d'un port militaire à Ambleteuse, tantôt sur l'insurrection des colonies d'Amérique et la défense des côtes de Normandie. Enfin, le 23 février 1778, il reçut le commandement de Cherbourg. Aide-maréchal général des logis de l'armée de Bretagne (1er juin 1779), brigadier d'infanterie (5 décembre 1781), il fut nommé maréchal de camp le 9 mars 1788. Il avait douze mille livres d'appointements. Mais ce qu'il voulait, c'était le pouvoir, c'était l'influence sur la destinée' de son pays, le ministère ou le commandement d'une armée[19]. Il allait entrer dans sa cinquantième année. L'âge des vastes pensées et des espérances glorieuses semblait passé pour lui. Mais il comptait toujours avec l'imprévu. Un jour, dans l'automne de 1788, il se promenait avec M. de Beuvron sur le port de Cherbourg ; ne croyez pas, lui dit-il, que je reste longtemps encore à végéter ici ; un grand mouvement se prépare à Paris, je vais y aller et y faire fortune[20]. La Révolution éclata ; Dumouriez l'accueillit avec joie. Dès que le branle commença, il n'eut plus d'autre pensée que de devenir, selon l'expression du XVIIe siècle, le maître du bal. Il ne connut pas l'enthousiasme désintéressé des Constituants ; il n'embrassa la cause des réformes que par calcul et par ambition, comme faisait au même instant Napoléon Bonaparte[21]. Indifférent aux grandes idées qui passionnaient alors toute la France, il voyait dans la Révolution une carrière nouvelle qui s'offrait à son activité, une voie inattendue pour tenter encore le destin et prendre sur le tard un rapide essor.

Il ne rêvait pas la destruction de la royauté. Il avait servi la monarchie durant de longues années, et, sans se croire enchaîné à aucun régime, il se contentait de cette forme de gouvernement, à condition de tout mener. Il était soldat et voulait, dans l'état comme dans l'armée, la discipline, l'ordre, une forte autorité. Homme de vigueur et d'action, il méprisait les déclamations des clubs, détestait le fanatisme révolutionnaire, et se flattait de réprimer l'anarchie. Il se déclara donc ouvertement contre l'ancien ordre de choses ; il devint membre de la Société des Amis de la Constitution ; il se lia avec Mirabeau, avec Lafayette, avec la Gironde. Mais il fit à la cour ses premières et plus grandes avances. Dès 1789, il proposait à Louis XVI un plan qui devait empêcher la prise de la Bastille. Il était le condisciple et l'intime ami de l'intendant de la liste civile, Laporte. Chaudement recommandé par Laporte, Dumouriez s'offrit au roi qu'il appelait le plus honnête homme de son royaume. Il demanda successivement le commandement de Lyon et l'ambassade de Mayence. Enfin il s'engagea, s'il entrait au ministère, à sauver la monarchie. Son plan était simple et audacieux : il fallait, pour vaincre les jacobins, se faire jacobin, abonder dans leur sens, adopter leur esprit et leur langage, puis se retourner contre eux. Croyez-vous que je les aime plus que vous, disait-il un jour à Vaublanc, laissez-moi faire et vous verrez. Après quelques hésitations, Louis XVI consentit à se servir de Dumouriez. On le fit venir à Paris ; on le nomma lieutenant-général (6 février 1792) ; on le pria d'aider de ses conseils le ministre Delessart ; nous sommes sûrs de lui, écrit Sainte-Foy dans un rapport secret, puisque c'est nous et nous seuls qui l'avons appelé dans des vues utiles[22].

Comme la cour, le parti girondin désirait l'avènement de Dumouriez au ministère. Il commandait la 12e division militaire à Niort (depuis le 1er avril 1791), et présidait le club de la ville, lorsque arrivèrent deux commissaires civils, Gallois et Gensonné, chargés par l'Assemblée constituante de faire un rapport sur les premiers troubles de la Vendée. Devenu membre de la Législative, Gensonné prôna Dumouriez à tout venant ; il vanta devant l'assemblée son patriotisme, ses lumières et l'ardeur de son zèle ; il proposa de le nommer général d'armée ou ministre. Bientôt Dumouriez eut, selon le mot de Sainte-Foy, un crédit vraiment magique sur les girondins ; comme eux, il haïssait l'Autriche et poussait à la guerre ; il lut au club des jacobins un mémoire diplomatique qu'on couvrit d'applaudissements. Brissot loua dans le Patriote français son expérience militaire et sa connaissance des diverses cours de l'Europe ; les hommes, disait-il, qui veulent de la vigueur, des lumières, du patriotisme, désireraient voir M. Dumouriez au ministère[23].

Chargé du portefeuille des affaires étrangères le 15 mars 1792, Dumouriez fit déclarer la guerre à l'Autriche. Il était convaincu qu'une grande diversion au dehors serait utile à la monarchie ; il comptait sur le succès et pensait que la victoire donnerait à la royauté le prestige, l'autorité et une armée ; lui-même, dit Mathieu Dumas, voyait dans la guerre un moyen certain de prendre l'ascendant sur ses collègues et de se rendre populaire. Son langage fut ferme et résolu ; sa politique habile et prévoyante[24]. Sa nomination avait surpris l'émigration et l'Europe. Dumouriez, s'écriait Fersen, cet intrigant et très mauvais sujet, que le comte de Broglie avait employé dans la correspondance secrète de Louis XV et qui espionna ensuite le comte de Broglie ![25] Mais un des hommes les plus libéraux de l'époque écrivait alors à Dumouriez : Votre zèle, votre activité, l'énergie que vous témoignez en parlant au nom du peuple français, commandent et justifient la confiance, et il exprimait son estime profonde pour le civisme et les talents du ministre patriote[26].

Dumouriez tomba. Il avait cru diriger la Révolution ; il s'était imaginé qu'une fois ministre, il mènerait la France et la ferait marcher. Mais il oubliait qu'il y avait alors, comme sous Louis XV, un secret du roi, et que Louis XVI, en paraissant céder au parti populaire, demandait en même temps l'intervention de l'étranger ; il méprisait les intrigues de l'émigration ; enfin, il se méprenait, comme la plupart de ses contemporains, sur la portée de la Révolution et sur sa force d'impulsion. La diplomatie occulte de Louis XVI, les manœuvres des émigrés, surtout la propagande, le fanatisme d'égalité, l'esprit de prosélytisme de la religion révolutionnaire rompirent les plans de Dumouriez.

Il osa se séparer de la Gironde. Il se moqua de l'austérité puritaine de ses collègues ; il donna la direction générale de son ministère à l'intrigant Bonne-Carrère, malgré l'opposition de Brissot. Il fit renvoyer Roland, Clavière, Servan et prit le portefeuille de la guerre. On jugera de son audace si l'on Se rappelle qu'après cette crise de cabinet, il se présenta devant l'Assemblée et lut, malgré les murmures et les cris, un mémoire sur son nouveau ministère. L'entendez-vous, dit Guadet, il s'avise de nous donner des conseils. — Eh, pourquoi pas ? répliqua froidement Dumouriez. Il acheva la lecture de son mémoire, le signa, le déposa sur le bureau et sortit de la salle à petits pas, en fixant d'un fier regard les membres de la gauche. On vous enverra à Orléans, lui dirent quelques amis. — Tant mieux, répondit-il avec le même calme, je me reposerai et y prendrai des bains et du petit lait. Mais Louis XVI rejeta les décrets dont Dumouriez exigeait la sanction ; le général, joué par le roi, compromis, ne pouvant plus se maintenir, donna sa démission (18 juin)[27].

Il se rendit à l'armée du Nord. Il semblait avoir encouru la disgrâce de tous les partis. Marie-Antoinette le regardait comme un traître dont les protestations ne méritaient nulle créance. Brissot disait hautement que son patriotisme n'était qu'hypocrisie et l'appelait le plus vil des intrigants, un saltimbanque en politique et en morale. Lafayette l'accusait de trahison et avait annoncé publiquement qu'il cimenterait en vain par le sacrifice de ses trois collègues son équivoque et scandaleuse existence dans le conseil du roi[28].

Mais Dumouriez savait prendre le vent. Mathieu Dumas le vit, au 20 juin, coiffé d'un chapeau à larges bords et enveloppé d'une longue redingote, se mêler à la foule qui remplissait le jardin des Tuileries et montrer le Château d'un geste menaçant. Il était convaincu de la chute prochaine de la royauté. On lui avait donné le commandement du camp de Maulde. Mais, en même temps qu'il aguerrissait ses troupes et gagnait leur affection en partageant leurs bivouacs, il faisait parade de son zèle révolutionnaire ; il querellait Luckner et refusait de le suivre à Metz ; il s'élevait contre le fayettisme, Ôtez Dumouriez d'où il est, écrivait Alexandre de Lameth au ministre d'Abancourt, car il est coalisé avec Lille, avec le département, les clubs et il vous jouera quelque mauvais tour. Il flattait les jacobins, et l'on sait que, dès son entrée au ministère, le 19 mars, il se présentait devant eux, coiffé du bonnet rouge, embrassait Robespierre et promettait à ses frères et amis de triompher ou de mourir avec eux. Il se rendit au club de Lille et proposa la déchéance de Louis XVI. Il alla voir Merlin de Douai et lui dit que les intrigues l'avaient dégoûté de, la monarchie constitutionnelle. Il fit connaissance avec le paralytique Couthon qui prenait des bains de boue à Saint-Amand. Couthon, comme Gensonné, subit le charme de Dumouriez ; il vit les soldats du camp de Maulde entourer leur général en poussant des vivats et l'appeler leur père ; il écrivit à Paris qu'on pouvait compter sur Dumouriez ; j'ai été, disait-il, prévenu contre lui, comme tous les patriotes, mais sa conduite, depuis qu'il est à l'armée, m'a réconcilié avec lui, et je crois qu'il nous est très essentiel ; le camp de Maulde est le camp du patriotisme et de la liberté[29].

Dumouriez était donc sûr qu'il rentrerait en scène et que la Révolution, ayant besoin d'un capitaine, se tournerait vers lui[30]. Il envoyait lettres sur lettres à la commission des Vingt-et-un[31]. Il demandait le commandement en chef des troupes du Nord qu'on avait eu la sottise de confier à Dillon. Il répondait du salut de la France, si on lui donnait beaucoup d'argent et carte blanche[32]. Tantôt il écrivait directement au président de l'Assemblée et faisait semblant de croire qu'il n'y avait plus de ministre ; la nation, avouait-il plus tard, m'aurait confondu avec les autres et ignoré qu'il existait un général prêt à verser son sang pour soutenir la cause du peuple[33]. Tantôt il prenait dans ses dépêches au ministre de la guerre le ton le plus insolent. D'Abancourt lui reprochait de n'avoir pas rejoint à Metz le maréchal Luckner ; Dumouriez répondait qu'il avait de puissants motifs pour rester en Flandre.

Je reçois votre lettre, disait-il, dans un moment de crise qui n'admet pas le persiflage. Je suis aux ordres de Dillon, je l'estime et je l'aime, il est mon ancien, je lui obéirai sans répugnance. Mais la nation jugera un jour s'il est avantageux dans cette circonstance que je sois à ses ordres. Je suis, par contre-coup, aux ordres de Lafayette. Cette mesure ne peut pas tenir, et je vous prédis qu'elle sera détruite ou par les circonstances ou par la prévoyance de l'Assemblée nationale. Au reste, j'ai eu lieu, dans ma carrière révolutionnaire, de juger que ce sont toujours de grands dangers ou de grandes fautes ou de grands malheurs qui sauvent la chose publique et la mènent à bien, contre tous les calculs de probabilité. Avec de la persévérance, j'aurai le bonheur d'être un des sauveurs de ma patrie, quelque obstacle qu'y apportent mes ennemis personnels.

 

Cette lettre est datée du 5 août[34] ; cinq jours après, le trône s'écroulait et Lafayette exigeait de toutes les troupes du Nord le serment de fidélité à la constitution renversée. Dumouriez écrivit aussitôt à l'Assemblée qu'il resterait fidèle à la nation, qu'il ne reconnaîtrait jamais d'autre souverain que le peuple français, qu'il approuvait sans détours ni ménagements la terrible catastrophe du 10 août à laquelle on devait s'attendre de la part d'une nation trompée, trahie et poussée à bout[35]. Le conseil exécutif provisoire lui donna le commandement en chef de l'armée du Nord. Roland, Clavière, Servan oubliaient dans le péril public leurs rancunes privées et ne se souvenaient plus que le général les avait chassés du ministère. Servan disait à Dumouriez qu'il s'efforcerait avec lui de sauver la patrie et lui parlerait toujours avec une loyale franchise. Roland lui mandait qu'ils devaient tous deux servir la France chacun à sa manière ; vous ressemblez un peu, ajoutait-il, à ces preux chevaliers qui faisaient parfois de petites scélératesses dont ils étaient les premiers à rire et qui ne savaient pas moins se battre en désespérés, quand il s'agissait de l'honneur ; et il assurait Dumouriez qu'il le seconderait toujours dans le conseil[36].

Trois commissaires de l'Assemblée, Delmas, Dubois-Dubay et Bellegarde, s'étaient rendus au camp de Maulde. Dumouriez les reçut avec les plus grands honneurs. Leur arrivée fut annoncée par vingt et un coups de canon. Ils embrassèrent tous les colonels au nom de l'Assemblée en les priant de rendre ce baiser à leurs régiments. Un soldat qui s'esquiva aussitôt pour ne pas être reconnu, mit sa montre d'argent dans les mains de Bellegarde, en lui demandant de la donner à l'Assemblée pour les frais de la guerre. On entendait de toutes parts les cris de : Vive la liberté, vive l'égalité, vivent nos représentants ! Les bonnets, écrit un témoin de cette scène, les chapeaux, les casques, les sabres, tout cela était en l'air ; chacun s'embrassait, se serrait, pleurait, et jamais larmes n'eurent plus de douceur. Après la revue, les commissaires regagnèrent le quartier général, au milieu d'une foule de soldats et au son de la musique militaire qui jouait le Çà ira et Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille. A neuf heures du soir arrivait le courrier, porteur du décret qui nommait Dumouriez général en chef. En un moment la nouvelle se répandit dans tout le camp ; ce fut, dit Couthon, un nouveau sujet d'allégresse universelle[37].

Dumouriez avait alors cinquante-trois ans. Il était petit et laid, mais d'une laideur agréable. L'idée d'habileté politique et guerrière que rappelle son nom, paraissait dans toute sa personne. Il avait les traits nettement marqués, le teint brun, le front large, le nez aquilin, la bouche grande mais douce, souriante, parfois dédaigneuse, les yeux noirs et pleins de flamme. Sa figure expressive respirait à la fois la finesse et la résolution. Il s'habillait avec élégance et se poudrait à blanc. Il gesticulait vivement avec ses mains qu'il avait petites et ridées. Ses manières aisées, courtoises, brusques par instants et néanmoins sans rudesse, faisaient un contraste piquant avec sa tournure militaire et son air martial. Il avait en un mot la mine d'un homme de guerre, mais personne n'aurait deviné en lui l'officier de fortune. Le premier général de la Révolution avait toute la politesse et la grâce de la vieille monarchie[38].

Aussi bien n'est-il qu'un parvenu dans le mon le de la Révolution. Il eut l'instinct d'un nouveau système de guerre ; il inventa ou du moins exécuta le premier une manœuvre qui transforma la tactique, l'emploi des tirailleurs en grandes bandes ; il gagna sur les escarpements de Jemmapes la première victoire qu'aient remportée les armées républicaines ; il devina que la Prusse renoncerait à l'alliance de l'Autriche et ses négociations de 1792 ne sont que les préliminaires de la paix de Bâle signée en 4 795. Mais il appartient encore à l'ancien régime ; il a tâté de la vie des cours ; ses souvenirs et ses antécédents le poursuivent sur le nouveau théâtre qu'il aborde ; il n'est pas le produit de l'époque orageuse où il entre en scène. C'est pourquoi la diplomatie fut le vrai talent de cet homme singulier élevé dans les traditions du XVIIIe siècle et nourri des écrits de Favier. Il mêlait sans cesse la négociation à la stratégie, et même dans les marches et les combats de l'Argonne et de la Belgique, son génie diplomatique se dessinait toujours. Ne disait-il pas, en faisant un retour sur lui-même : Il y a peu de nos héros en état de manier l'arme de la politique ![39] Que de combinaisons sensées il avait proposées pendant son ministère ! Il voulait garantir la paix du continent par une alliance entre la France et l'Angleterre, ouvrir au commerce des deux nations de vastes débouchés, affranchir les colonies espagnoles, faire de la Belgique un état fédératif et neutre, n'annexer désormais un pays que sous la réserve du consentement des populations. Que de justes prophéties il répandit dans les écrits qu'il publia durant son exil ! Il prédit que la possession de la Vénitie serait pour l'Autriche une cause de grandes guerres, que la Prusse serait inévitablement la tête du corps germanique, que l'Allemagne ne se relèverait de sa honteuse décadence que par l'union et un homme-roi. Il annonça dès 1809 la chute de Napoléon en exposant avec une merveilleuse sagacité que l'armée française n'était plus à ce moment la belle armée d'Austerlitz et d'Ulm. Il prophétisa la révolution d'Espagne de 1820 et l'indépendance de la Grèce. Il déclara que la Russie ne pourrait dominer sur le Bosphore parce qu'elle rencontrerait toujours l'opposition de l'Autriche, que l'une exercerait tôt ou tard son influence sur la Moldo-Valachie et la Bulgarie, et l'autre, sur la Serbie et la Bosnie, que dans ce cas l'Angleterre prendrait pied dans les îles de l'Asie-Mineure[40].

Ses talents militaires n'égalaient pas sa capacité diplomatique ; il les estimait, a dit Jomini, au-dessus de leur réalité. Il ne sut pas, lorsqu'il envahit la Belgique, au mois de novembre, concentrer son armée et, après la victoire de Jemmapes, qu'il dut à la supériorité du nombre, il se contenta de suivre à pas de loup les traces des arrière-gardes ennemies[41]. Il n'avait connu la grande guerre que dans ces désastreuses campagnes où, selon son expression, le maréchal de Broglie jouait mix barres avec Ferdinand de Brunswick. De même qu'il y avait de l'agent secret dans sa politique, de même il y avait du capitaine d'aventures, du chef de bandes corses ou d'insurgés polonais dans sa manière de faire la guerre. Il n'avait pris part qu'à des housardailles commandées par Fischer ou à des combats dans les maquis ; il en retint toujours quelque chose.

Mais il possédait cette confiance en soi-même qui fait aussi la confiance publique le plus fort des leviers dans les moments de révolution[42]. Il savait comment on mène les Français et comment on gouverne l'homme-soldat. Malgré ses cinquante-trois ans, il avait ce feu, cet éclat, cette verve militaire qui séduisent les troupes et les entraînent ; il avait l'art de donner du cœur à son armée, de l'enflammer et, comme disait Servan, de l'électriser[43]. Ses airs d'audace et parfois même de jactance, ses paroles où brillaient toujours la belle humeur et l'esprit gaulois, la tranquillité qu'il montrait au milieu de l'activité la plus grande et parmi les plus dangereuses agitations, égayaient tout son monde et inspiraient l'assurance. Il importait surtout, dans les premières guerres de la Révolution, de ne point paraître timide ; si vous allez, écrit Monluc, ne parlant à personne, triste et pensif, quand tous les soldats auraient cœur de lion, vous le leur ferez venir de moutons. Dumouriez s'entendait mieux qu'aucun autre général de son temps à dissiper les alarmes, à propager autour de lui par son attitude et son langage l'espérance et la joie, à relever le moral ébranlé, à mettre en jeu, selon sa propre expression, l'amour-propre national[44].

Au demeurant, c'était, comme dit Mme Roland, un roué qui se moquait de tout, hormis de ses intérêts et de sa gloire. Mais il avait les plus brillantes qualités. Tous ceux qui l'approchent pendant son ministère, sont comme éblouis et fascinés. Dumont avoue qu'il entraine tout par son ascendant, et ses adversaires mêmes louent l'étendue de ses vues, sa promptitude de décision, son infatigable activité[45]. Il pétille d'esprit et on cite partout ses bons mots ; il divertit Louis XVI dans le conseil des ministres, déride le grave Roland et mêle de justes vérités aux anecdotes amusantes. Il entendait, rapporte un de ses commensaux, tout ce qui se disait dans une compagnie et devinait ce qu'il n'entendait pas. Le style de 'ses dépêches et de ses mémoires, incorrect et négligé, a cependant de la vigueur et du nerf ; on sent, en le lisant, que ce général d'armée connaît les meilleurs écrivains de la littérature nationale. Quelle différence, s'écrie Mme Roland, de cet homme tout vicieux qu'il est, avec Luckner qui fut quelque temps l'espoir de la France ![46]

Il n'avait pas malheureusement cette volonté forte et suivie, cette froide fermeté de la raison, cette mâle fierté de l'âme qui font les grands hommes. Il eut des éclairs de génie ; il n'eut jamais ce que le génie a de mûr et d'achevé. Impatient et fougueux comme un jeune homme, semblable, dit un contemporain, à un peloton de salpêtre[47], il ruinait ses combinaisons par une parole indiscrète ou par une démarche précipitée. Il comptait trop sur la fortune et sur les ressources de son esprit. Hardi, avantageux, plein de lui-même, il voyait toujours et du premier coup d'œil les beaux côtés d'une situation ; il oubliait ou méprisait les difficultés ; il avait le vice français du XVIIIe siècle, l'étourderie[48]. Je trouvai en lui, écrit Fersen qui le vit après sa défection, un vrai Français, ayant de l'esprit et peu de jugement ; tout son plan a manqué par son excès de confiance dans ses forces.

Il eut un beau moment qui rachète peut-être ce qu'il y a de petit et de méprisable dans la fin de sa carrière. S'il a dicté des plans de campagne aux adversaires de Napoléon et fait cause commune avec l'étranger, s'il a mendié les subsides de Louis XVIII et vécu d'une pension de l'Angleterre, il repoussa l'invasion dans le mois de septembre 1792. Le souvenir de sa marche de Sedan sur Grandpré, de sa défense de l'Argonne, de son obstination au camp de Sainte-Menehould, de ses négociations adroites avec les Prussiens doit nous rendre indulgents pour ses erreurs et couvrir sa trahison, si grande qu'elle ait été. Louis-Philippe proposa vainement en 1814 de le nommer maréchal de France ; ne voyez-vous pas, lui dit Dumouriez, que j'ai sur le front écrit en lettres de feu ce qu'ils ne me pardonneront jamais ? C'est le mot Champagne ![49]

 

III. A peine nommé général en chef, Dumouriez prêta devant les commissaires Delmas, Dubois-Dubay et Bellegarde le serment de vaincre ou de mourir. Il écrivit à l'Assemblée qu'elle lui donnait l'exemple du courage, lui promit de punir le crime de Sedan et jura qu'il étoufferait la rébellion de Lafayette, ce petit Sylla. Mon sang s'enflamme, disait-il avec emphase, quand je pense qu'une municipalité, aveuglée par un intrigant qu'elle a pris pour son idole, ait osé porter une main coupable sur les représentants de la nation, investis d'un pouvoir devant lequel tout doit plier[50]. Après ces belles paroles, il envoya à Sedan un de ses officiers de son état-major, Chérin, accompagné d'un trompette.

Il ne songeait qu'à la conquête des Pays-Bas autrichiens ; c'était son projet favori, son idée fixe, et toutes les forces de son esprit se concentraient depuis longtemps sur ce seul objet. Rochambeau battu dès ses premiers pas, Luckner n'osant dépasser Courtrai, Lafayette représentant l'invasion de la Belgique comme fort hasardée, rien n'avait pu détourner Dumouriez de son dessein, et il se flattait de réussir où ses prédécesseurs avaient échoué. Il était Flamand et avait de grandes intelligences dans la Flandre française et autrichienne. En 1763, après son voyage en Corse, il avait passé quelques jours à Mons où il connaissait beaucoup de monde.

En 1790 il avait reçu du ministère une mission secrète et parcouru de nouveau la Belgique, explorant le terrain, étudiant à loisir son échiquier, se liant avec les chefs du parti démocratique[51]. Il avait la conviction que la Belgique était le point vulnérable de l'Autriche, qu'il suffisait de forcer résolument la frontière et de déployer des forces imposantes, que la population impatiente du joug étranger se soulèverait à la première nouvelle d'un éclatant succès et accueillerait les Français comme des libérateurs. Conquérir la Belgique, disait-il, c'était enlever à l'Autriche le plus beau fleuron de sa couronne[52]. Il savait d'ailleurs que cette invasion serait populaire ; elle était entreprise au nom de la liberté ; elle avait pour but d'affranchir un peuple très rapproché de la France par les mœurs et la langue. L'opinion s'était vivement émue lorsque les Belges avaient pris les armes en 1789 ; on s'était irrité contre Louis XVI qui demeurait tranquille au milieu de leur insurrection et leur refusait son appui ; on avait fait des vœux pour leur indépendance ; tous les écrivains révolutionnaires, dit le comte de La Marck, étaient les apologistes et les prôneurs de l'insurrection belge ; Camille Desmoulins intitulait son journal les révolutions de France et de Brabant ; Servan approuvait la grande idée d'établir la liberté dans la Belgique, et, dans la séance du 3 septembre 1792, Duhem proposait à l'Assemblée législative de suspendre les remerciements et les lettres de félicitation jusqu'à ce que le Brabant fût libre[53].

Un autre motif, plus puissant encore, déterminait Dumouriez à l'invasion de la Belgique. Je ne me suis pas dissimulé, disait-il dans un rapport du 4 mai, l'insubordination des troupes et l'inexpérience des officiers, mais j'ai compté sur le courage français. L'événement justifia sa prévision. Il craignait la confusion que produirait la guerre défensive, ordinairement circonspecte et timide. En restant sur la frontière, à cinquante lieues de Paris, on courait le risque, après un seul désastre, d'ouvrir à l'adversaire le chemin de la capitale. Il valait mieux envahir le territoire ennemi, porter hardiment la lutte dans les Pays-Bas autrichiens, pousser l'armée en avant, l'entraîner, lui donner de la vigueur et de l'élan, l'animer de cette vaillance entreprenante qu'ont toujours les troupes qui attaquent.

Tout entier à ce plan d'offensive, et persuadé qu'il fallait chercher en plein Brabant le salut de la France, Dumouriez écrivit à l'Assemblée qu'il allait tenter la noble entreprise de porter la liberté dans les provinces qui frémissaient sous le despotisme. Il avait lu Plutarque, et, comme tous ses contemporains, il était hanté par les souvenirs de l'antiquité. Il se rappelait Agathocle assiégé dans Syracuse par l'armée punique et débarquant en Libye pour rendre à Carthage siège pour siège. Il se rappelait Scipion changeant soudain le théâtre de la guerre, descendant en Afrique et délivrant sa patrie par une audacieuse diversion. Dumouriez rêvait la même gloire qu'Agathocle et Scipion ; en annonçant aux pères conscrits de l'Assemblée législative la prochaine invasion de la Belgique, il ajoutait fièrement : C'est ainsi que le peuple romain transportait son armée en Afrique, pendant qu'Annibal était aux portes de Rome ![54]

Servan lui conseillait de prendre aussitôt le chemin de Sedan et de se mettre à la tête de l'armée de Lafayette. Mais Dumouriez ne l'écoutait pas ; quitter son camp de Maulde, c'était renoncer à l'expédition de Belgique, et rien ne lui tenait tant au cœur. Il objectait que son commandement, de Dunkerque à Montmédy, était trop étendu : qu'il ne pouvait à la fois envahir les Pays-Bas autrichiens et organiser la défense entre Sambre et Meuse ; qu'un seul homme ne suffirait pas à soutenir cet énorme fardeau ; il fallait donc le soulager et envoyer Dillon à Sedan.

Il est vrai que Dillon avait approuvé Lafayette après le 10 août ; il était suspect ; il n'osait plus traverser la grande place de Valenciennes et faisait un détour pour éviter la foule qui l'aurait hué[55]. Mais il s'était hâté de battre sa coulpe et de s'humilier devant les commissaires de l'Assemblée ; il leur avait déclaré qu'en rédigeant son ordre du jour du 13 août, il ne connaissait encore ni les faits ni les vrais coupables ; il leur avait assuré qu'il mourrait, s'il le fallait, pour la défense de la liberté, et que, quoique l'ancien de Dumouriez, il était heureux de servir sous ses ordres. Bellegarde, Delmas, Dubois-Dubay louèrent la loyauté de Dillon et les dispositions militaires qu'il avait prises ; Dumouriez vanta son patriotisme et ses talents. L'Assemblée avait décidé qu'il perdait la confiance de la nation et que le Conseil exécutif était chargé de pourvoir à son remplacement ; elle suspendit l'envoi du décret. Le 20 août, Dumouriez, avec l'approbation des commissaires, nommait Dillon commandant le corps d'armée depuis la Sambre jusqu'à la Meuse, ci-devant sous les ordres de Lafayette. Dillon lui rendrait compte de ses mouvements et se concerterait avec lui sur les plans de défensive et d'offensive, mais il resterait maître des moyens et des détails de l'exécution[56]. Il avait pour chef d'état-major le maréchal de camp Vouillers, pour lieutenants, le brave Chazot, l'officier du génie Gobert, le Polonais Miaczynski et l'Anglais Money ; pour escorte, le 6e régiment de chasseurs à cheval. Il a le caractère ferme, écrivait Dumouriez, il viendra à bout de déraciner à Sedan l'esprit de rébellion : d'ailleurs, à son arrivée, il trouvera Lafayette mort ou émigré.

Mais le 20 août, le conseil général du district de Douai dénonçait Dillon à la Législative, et Duhem l'accusait d'avoir morcelé ses troupes en petits paquets qui ne pouvaient résister à l'ennemi. L'Assemblée décréta de nouveau que Dillon avait perdu sa confiance, et Servan lui retira tout emploi. Dumouriez ne cacha pas son humeur. Dillon était le seul officier-général qu'il pût envoyer à sa place au camp de Sedan. Il affirma plus vivement que jamais la franchise et la droiture de son lieutenant. Il venait d'apprendre que Lafayette émigrait et que Luckner cédait le commandement de l'armée de Metz à Kellermann. Quel général, mandait-il à Servan, serait assez audacieux pour jouer le rôle de Lafayette ou de Bouillé ? Lafayette n'a pu égarer ses troupes avec tous ses moyens de séduction ; aucun autre ne peut être assez fou pour tenter la même aventure ; entre Kellermann et moi, il serait bientôt mis à la raison. Vous pouvez assurer le conseil et l'Assemblée que la cordialité la plus fraternelle règnera désormais entre les généraux, tous animés du même esprit, tous sans-culottes. Le ministre n'insista plus. Il écrivit à Dumouriez que le Conseil exécutif n'avait été que l'organe de l'opinion publique ; songez, ajoutait-il, que l'on se masque bien, que l'on ne se change pas dans un jour : la voix du peuple est devenue plus que jamais la voix de Dieu ; mais c'est à votre sagesse que l'on s'en rapporte[57].

Dumouriez crut avoir assez fait pour la défense de la frontière ; le reste regardait Kellermann et Dillon ; pendant que les armées de Sedan et de Metz arrêteraient les Prussiens, l'armée qu'il formait à Valenciennes envahirait la Belgique et serait entrainée par la rapidité d'une guerre offensive.

L'offensive, tel était le mot qui revenait, comme un refrain, dans ses lettres à Servan. Prendre une offensive vigoureuse, déconcerter les alliés en ripostant à l'invasion de la Lorraine par l'invasion du Brabant, frapper un grand coup sur l'extrémité de leur ligne, changer le sort de la campagne par cette irruption imprévue et foudroyante en pays ennemi, voilà le rôle qu'il se réservait. Qu'importe que les coalisés prennent deux ou trois places : Longwy, Montmédy, Verdun ? Les succès de Dumouriez en Belgique changeront la nature de la guerre ; non seulement, écrivait-il au ministre, ils seront un contrepoids dans la balance, mais ils la feront pencher en notre faveur. Déjà commencent les préparatifs de l'invasion. Il appelle à son quartier général et prend pour aide de camp un de ses agents diplomatiques les plus avisés, Fortair, qui suivra militairement la partie belgique qu'il a si bien suivie politiquement depuis un an. Il fixe à 6.000 hommes le nombre des volontaires belges destinés à former l'avant-garde de l'armée qu'il ne nomme plus que l'armée offensive. Il projette d'organiser avec les déserteurs autrichiens et les soldats des régiments suisses huit bataillons francs composés chacun de huit cents hommes. Il prie le ministre de la marine de lui céder un officier d'artillerie, Thouvenot, qui dirige la fonderie d'Indret et dirigera celle de Malines. Il fait venir par Dunkerque des armes de la Hollande. Il nomme cinq lieutenants-généraux : Moreton, qui sera son chef d'état-major ; Beurnonville, qui l'avait activement secondé au camp de Maulde, et les trois commandants de Lille, de Douai et de Condé, Labourdonnaye, Marassé et O'Moran. Il fait des maréchaux de camp : Dampierre, colonel du 5e dragons ; Duval, colonel du 6e dragons ; La Marlière, colonel du 41e régiment d'infanterie ; Ruault, colonel du 56e ; Fiers, colonel du 3e régiment de cavalerie, etc. Il donne à Duval le commandement du camp de Pont-sur-Sambre, vacant depuis le départ de Dillon[58].

Vainement d'Hangest écrit de Sedan que les alliés investissent Longwy. Tant mieux : que les ennemis perdent leur temps devant les forteresses, et Dumouriez conseille à d'Hangest d'assaillir leur flanc droit pendant que Kellermann attaquera leur flanc gauche. Vainement les commissaires de l'Assemblée annoncent que Sedan ne saurait faire une longue résistance, qu'ils trouvent des hommes, du courage, du patriotisme, mais qu'il manque un chef, une direction à tous ces moyens ; Dumouriez répond que Dillon et Chazot sont en route. Vainement Servan représente qu'il faut renvoyer à l'hiver l'invasion de la Belgique, qu'il s'agit avant tout du salut de la capitale, qu'un patriote doit défendre sa propre liberté avant de conquérir celle des autres. Vainement il prie Dumouriez de se concerter avec Kellermann, de se mettre à la tête des troupes de Sedan et d'arrêter la marche des envahisseurs. Le général ne bouge pas et regarde toujours du côté de Bruxelles[59].

Mais les événements se déroulaient avec une rapidité imprévue. Longwy, qui devait tenir trois semaines, capitulait après trois jours de siège ; l'armée du Centre reculait sous les murs de Metz ; Prussiens, Autrichiens, émigrés se précipitaient en Lorraine et marchaient sur Verdun en criant à Paris ! Dans la nuit du 24 au 25 août Westermann arrive de Sedan au camp de Valenciennes ; il confirme la nouvelle de la reddition de Longwy ; il annonce que d'Hangest ne sait que gémir, que l'armée réclame à grands cris un général, que Dillon n'ose se rendre au camp et attend à Givet les ordres de l'Assemblée ; que Chazot commande provisoirement les troupes, mais n'inspire pas la confiance. Les lettres de Servan se succèdent, pressantes et anxieuses. Il n'y a pas un moment à perdre pour vous rendre à Sedan, écrit-il à Dumouriez ; c'est mon avis, l'opinion du conseil et celle du public. Si quelque officier-général connu avait pu s'y rendre, on aurait vu votre résistance avec moins de peine, mais nul de vos subordonnés n'a jamais manié de troupes, et dans les circonstances où nous nous trouvons, la plus petite faute peut déterminer ou précipiter la chute de la liberté et même de la patrie. La sûreté de l'empire est confiée à votre zèle et à votre responsabilité. Les ennemis, ajoute Servan, se dirigeront sur Verdun ou sur Thionville ; s'ils se portent sur Verdun, tâchez de vous approcher de la place en remontant la rive gauche de la Meuse et de leur interdire le passage de la rivière ; s'ils attaquent Thionville, suivez-les, inquiétez leurs derrières et gênez les opérations du siège[60].

Dumouriez quitta la Flandre à contre-cœur, mais sans renoncer au dessein d'envahir la Belgique. Il fit venir de Lille à Valenciennes Labourdonnaye qui devait commander en son absence toutes les troupes du Nord. Il nomma Ruault gouverneur de Lille. Il chargea Moreton et le commissaire des guerres Malus de presser l'exécution des mesures qu'il avait méditées pour hâter l'invasion du Brabant[61]. Le 27 août il partait en jurant à Moreton et aux commissaires de l'Assemblée qu'ils le reverraient bientôt et qu'avant la fin de l'année, la conquête des Pays-Bas autrichiens serait un fait accompli. Personne ne le crut, mais il tint parole. Il partait en poste, sans argent, sans chevaux de selle ; il n'emmenait que Westermann et son valet de chambre Baptiste.

 

IV. Le 28 août Dumouriez était à Mézières. Les membres du département lui rendirent visite ; il les blâma d'avoir encouragé la résistance de Lafayette, mais, dit-il, ils me parurent honteux et désireux de réparer leurs fautes[62]. Le même jour il se rendait à Sedan.

Le lendemain (29 août) il parcourut le camp. Une grande partie de l'armée était prévenue contre le nouveau général ; on le regardait comme un homme de plume dont la vie s'était passée dans les bureaux du ministère et dans de petits commandements ; on l'accusait d'avoir perdu Lafayette par ses intrigues. Il ne vit partout que des visages sombres et irrités ; pas de cris, pas de vivats, mais le silence d'une armée chagrine et méfiante. Un grenadier osa dire tout haut : C'est ce b.....-là qui a fait déclarer la guerre. Dumouriez entendit le mot : Croyez-vous, répondit-il, gagner la liberté sans vous battre ? Un autre cria : A bas le général ! Il courut au bataillon d'où partait ce cri, puis, tirant son épée : Que ce mauvais soldat, dit-il, vienne se mesurer avec moi ! Personne ne bougea. Mes amis, reprit-il, cet homme est un lâche, indigne de demeurer parmi vous. Le soldat fut maltraité par ses camarades, et Dumouriez acclamé[63].

Son premier soin fut d'envoyer du secours à Verdun. Il donna l'ordre au lieutenant-colonel d'artillerie Galbaud de se jeter dans la ville avec deux bataillons et le nomma maréchal de camp pour lier son sort à celui de la place et le faire respecter davantage de la garnison[64]. Il assigna un autre emplacement à ses troupes, car il connaissait l'approche de Clerfayt et redoutait une attaque. Les magasins se trouvaient à Stenay, à quelques lieues en avant ; il les fit évacuer. Le camp établi entre la Meuse et la Chiers, sur les hauteurs de Vaux, était en l'air et occupait une trop grande étendue de terrain ; il le transporta sous les murs de Sedan, à Bazeilles. Il mit l'avant-garde à Mouzon sur la rive gauche de la Meuse et envoya Miaczynski à Stenay avec un millier d'hommes[65].

Qu'allait-il faire de cette armée ? Dès son arrivée à Sedan, il mandait à ses chers amis, Bellegarde, Delmas et Dubois-Dubay, qu'il avait le dessein de côtoyer l'ennemi pour lui disputer le passage des rivières. Il ordonnait à Duval de se rendre à Rethel avec les troupes du camp de Pont-sur-Sambre, soit pour se joindre à l'armée de Sedan, soit pour se diriger sur les parties de la Champagne menacées par la marche rapide de l'ennemi. Il annonçait aux trois commissaires qu'il marcherait au travers de plusieurs départements et les priait de se rendre à son camp : il est absolument nécessaire pour moi et encore plus pour la patrie que vous veniez me joindre pour appuyer par le pouvoir qui vous est délégué toutes mes réquisitions[66]. Il voulait donc se porter, selon le désir de Servan, sur le flanc des alliés, leur barrer le chemin de Paris et peut-être empêcher la prise de Verdun, en un mot faire la guerre défensive.

Mais tout ce qu'il voyait et entendait autour de lui le convainquit bientôt que son armée ne pourrait soutenir le choc des Prussiens. Il s'en faut de beaucoup, écrivait-il le 29 août à Servan, que l'esprit de cette armée soit aussi bon que celui du camp de Maulde. C'est la seule force militaire qu'on peut opposer, mais cette force est un fantôme et se détruira d'elle-même si les ennemis avancent sur nous. Il revint donc à son plan d'offensive en Belgique. A Sedan, comme à Valenciennes, il persistait à croire qu'il fallait envahir le Brabant et tenter un coup hardi qui déconcerterait l'adversaire. En marchant au-devant des Prussiens, on courait à la défaite ; en reculant sur la Marne ou sur Paris, on exposait l'armée à la panique et à la débandade. Ne valait-il pas mieux attaquer les Pays-Bas autrichiens ? Les Impériaux, affirmait Dumouriez, se sépareront de leurs alliés pour nous suivre, et dès lors les Prussiens demeurés seuls et laissant trop de troupes en échelons pour garder leurs lignes de communication, seront accablés à la fois par Kellermann qui les prendra en queue et par Luckner qui les attend au passage de la Marne ; voilà le seul moyen de détourner l'invasion ; renforcez Kellermann à son camp de Metz, portez une grande force sur Châlons et attendez nos succès dans la Belgique[67].

Pour obtenir plus sûrement l'approbation du ministre, il réunit un conseil de guerre auquel assistèrent les lieutenants généraux Dillon et Chazot, les maréchaux de camp Money, Miaczynski, Dubouquet et Vouillers, le colonel du génie de Lafitte-Clavé, l'adjudant-général Thouvenot[68]. Il a raconté dans ses Mémoires cette séance dramatique. Il assure qu'il déploya sur la table du conseil la carte de la Champagne et fit un éloquent discours. Il prouva que Verdun était perdu sans ressource, mais que l'armée de Sedan, malgré son petit nombre, était en état de défendre le sol de la patrie contre les Prussiens, qui seraient retardés dans leur marche par les sièges, par leurs équipages, par leurs propres convois. Dillon proposa de se retirer derrière la Marne, à Châlons ou à Reims, et tous les membres du conseil l'approuvèrent. Mais Dumouriez ne voulait en réalité qu'étudier ses lieutenants. Il leva la séance sans se prononcer, il retint auprès de lui Thouvenot dont il avait deviné les talents, il lui révéla son plan de campagne ; voilà, lui dit-il, en montrant sur la carte la forêt d'Argonne, voilà les Thermopyles de la France. Jamais, ajoute Dumouriez, la communication du feu électrique n'a été plus prompte que cette opinion sur le génie de Thouvenot ; pleins de confiance dès ce moment l'un dans l'autre, ils se jurèrent amitié et ne pensèrent plus qu'à détailler ce projet[69].

Le récit de Dumouriez est démenti par le procès-verbal du conseil de guerre et par les témoignages de Dillon, de Money et de Gobert. Loin de dire qu'il faut se porter derrière la Marne et en défendre le passage, tous les membres du conseil, Dillon et Chazot, Money et Miaczynski, Vouillers et Dubouquet, Lafitte et Thouvenot, affirment, avec Dumouriez, que le seul moyen de sauver la France est de faire une grande diversion dans les Pays-Bas autrichiens. Dillon, le premier, ouvre cet avis et déclare qu'on ne peut attaquer de front un ennemi formidable, que la Meuse est guéable en soixante-quatre endroits de Verdun à Stenay, que les Prussiens franchiront la rivière sans obstacle où et quand ils voudront, qu'il faut donc se jeter sur la Belgique en laissant de bonnes garnisons dans les places fortes de Sedan à Maubeuge. Après Dillon et comme Dumouriez, le conseil propose de changer la nature de la guerre et de la rendre offensive, de rassembler 40.000 hommes en Belgique, de diriger l'armée de Sedan sur Bruxelles et les troupes du camp de Maulde, renforcées de tous les volontaires de l'armée du Nord, sur la gauche de Tournay. Comme Dumouriez, le conseil pense que les Autrichiens abandonneront aussitôt leurs alliés pour défendre les Pays-Bas et que les Prussiens, réduits à leurs seules forces, s'arrêteront dans leur marche et se garderont bien de s'enfoncer dans l'intérieur de la France. Comme Dumouriez, le conseil avoue que ce parti semble extrême, mais il n'est que prudent, nous sortons le fléau de la guerre de notre propre pays et nous le portons chez nos voisins. Comme Dumouriez, le conseil prétend que l'invasion de la Belgique peut seule donner à l'armée de l'ensemble et de l'espoir et la sauver de la dissolution. Gomme Dumouriez, le conseil s'oppose à la guerre défensive, trop méthodique et trop savante ; elle nous fera toujours faire des marches rétrogrades et nous ramènera à Paris avec les ennemis à notre dos. Si l'armée nous voit consulter les règles de la prudence et reculer devant l'ennemi, elle se méfiera de nous et se portera peut-être à des insurrections et au désordre. Un seul échec, et encore agitée par l'esprit de division que la fuite de Lafayette y a semée, elle se débande entièrement. Comme Dumouriez, le conseil déclare enfin que l'armée manque de tout et ne trouvera qu'en Belgique les ressources qui lui font défaut : c'est en Belgique que nous pensons unanimement qu'est le salut de la France, voilà notre opinion dernière[70]. Vouillers fut chargé de porter à Paris le procès-verbal de la délibération et d'expliquer au conseil exécutif les détails du plan d'offensive.

 

V. Cependant le ministre de la guerre avait appris l'arrivée de Dumouriez à Sedan. Il crut que le général,, renonçant à l'invasion de la Belgique, se dirigeait sur le flanc des alliés et n'avait plus d'autre but que d'arrêter leur marche sur la capitale. Depuis plusieurs jours, il ne cessait de dire la même chose à Dumouriez ; je contrarie vos désirs les plus vifs, lui écrivait-il, mais croyez bien que, puisque j'insiste, c'est que je vois le salut de l'État et votre gloire attachés aux mesures que je prescris[71]. Soudain Vouillers arrivait à Paris ; il annonçait que Dumouriez était plus que jamais résolu, malgré les injonctions ministérielles, à pénétrer dans le Brabant, qu'il avait tenu conseil de guerre et que tous les officiers généraux de son armée s'étaient rendus à ses raisons.

Servan exposa la situation au conseil exécutif provisoire, et, le 1er septembre[72], après s'être entretenu longtemps avec Vouillers, après avoir consulté Lacuée et Grimoard, après avoir obtenu l'assentiment de Danton et de ses collègues, il écrivit à Dumouriez. L'invasion de la Belgique, disait-il, n'arrêterait pas les Prussiens ; vous ne leur ferez pas changer le projet de marcher en avant, bien assurés, s'ils réussissent, de se faire rendre le Brabant ou de le reprendre dans un instant. L'armée de Sedan devait diriger sa marche sur l'Argonne et le Clermontois, et se rapprocher de l'armée du Centre ; toutes deux se réuniraient et défendraient de concert le pays entre Meuse et Marne, pendant que derrière elles, sur l'Aisne, l'Oise et la Seine, on lèverait de nouvelles troupes et remplirait les magasins. L'affaire la plus importante, ajoutait Servan, est de gagner du temps, et qui gagne du temps, remporte des victoires : il faut organiser nos forces, augmenter notre matériel et nos approvisionnements, encourager les populations par le spectacle de nos efforts ; il faut convaincre l'envahisseur que nous voulons être libres. Kellermann marche à votre rencontre et vous secondera ; le pays est propre à la défensive ; si vous êtes contraints de l'abandonner, vous l'aurez ruiné par le séjour de votre armée, et les ennemis n'y trouveront pas de quoi subsister. En un mot, ralentissez la marche de l'invasion ; vous irez en Belgique, le conseil approuve votre plan, mais laissez-nous le temps de rassembler 30.000 hommes à Châlons.

Le lendemain, Servan apprenait que Verdun était investi de toutes parts et que Galbaud n'avait pu pénétrer dans la ville. Il écrivit encore à Dumouriez en termes plus pressants. Au nom de la patrie, adoptez des plans dictés par les circonstances les plus impérieuses. Conduisez votre armée entre Meuse et Marne ; portez-vous sur Sainte-Menehould ou environs, ou même sur Châlons, en venant directement passer l'Aisne, pour vous en couvrir et arriver plus sûrement sur les bords de la Marne. Une fois derrière la Marne, si vous persistez dans votre idée, vous pourrez remettre cette armée à un lieutenant-général, dirigé par les conseils du maréchal Luckner, et aller faire votre tentative sur la Belgique[73].

Que ferait Dumouriez ? Refuserait-il d'exécuter les ordres du conseil provisoire[74] ? On le savait confiant en lui-même, entêté de ses propres idées, peu disposé à se plier au plan d'autrui. Mais le 3 septembre, Servan recevait la nouvelle la plus soudaine, la plus inespérée, la plus extraordinaire, la plus propre à produire l'effet d'un coup de théâtre. Deux jours après le départ de Vouillers, Dumouriez, abandonnant son plan d'offensive, avait pris le chemin de l'Argonne, sans même attendre la réponse du ministre[75] ! Le 1er septembre, pendant que Servan lui mandait de se porter entre Meuse et Marne, il marchait de Sedan sur Mouzon ; le 2 septembre, pendant que Servan le priait de passer l'Aisne, il courait de Mouzon à Grandpré ; lorsque Vouillers revint avec les instructions du conseil exécutif, l'armée qu'il croyait destinée à l'invasion de la Belgique, s'était saisie des défilés de l'Argonne et attendait les Prussiens sur la frontière de la Champagne !

Dumouriez avait-il remarqué dans le conseil de guerre que plusieurs membres n'adoptaient son plan que par déférence et pour ne pas lui déplaire ? Money raconte qu'en signant le procès-verbal il dit au conseil : Je ne donne mon adhésion que par respect pour vous, car vous connaissez le pays mieux que moi qui suis étranger ; mais je gage ma tête que vous n'aurez pas l'assentiment de l'Assemblée et des ministres ; entrer en Belgique, c'est laisser la route de Paris ouverte à l'invasion. — Quel est votre plan ? demanda Dumouriez. Money montra la carte et mit le doigt sur la rive gauche de la Meuse entre Sedan et Verdun : l'armée, répondit-il, doit se placer là pour défendre les passages de la rivière et jeter des secours à la fois dans Verdun et dans Sedan. Sinon, il faut se retirer dans la forêt et en garder les issues, en laissant un corps assez considérable chargé d'opérer sur les flancs de l'ennemi et d'inquiéter ses communications. J'ai signé le procès-verbal, ajouta Money, mais je prie M. de Vouillers qui porte notre lettre à Paris, de dire aux ministres que je l'ai signé contre mon opinion. Ces paroles firent quelque impression sur les membres du conseil ; il parut même à Money que Vouillers n'approuvait pas le plan de Dumouriez[76].

D'autres officiers que le général en chef n'avait pas consultés, apprirent avec surprise le résultat de la délibération. Quoi, s'écriait Gobert, on abandonnerait la Champagne aux Prussiens ! On tournerait le dos à l'ennemi ! On le laisserait marcher sans obstacle sur la capitale ! Que pourraient les Parisiens contre l'envahisseur, pendant que l'armée française serait en Belgique[77] !

Mais Dumouriez tenait bon, et le 31 août, il déclarait encore qu'il ne désespérait pas de la chose publique, si le conseil exécutif adoptait son plan d'offensive. Comparez, mandait-il à Servan, la défensive faible, timide, et presque inutile, qui ruinera votre propre pays sans ressource, avec l'offensive imprévue, audacieuse, dont le succès est presque immanquable, qui nous donnera 50.000 hommes de plus et le moyen de revenir sur Paris, par la route la plus courte et la meilleure avec une armée victorieuse contre une armée affaiblie parles longues marches, la désertion et les points intermédiaires qu'elle devra garder pour sa retraite[78].

L'investissement de Verdun et l'approche de plus en plus menaçante de Clerfayt changèrent sa résolution. Il croyait, avec tous les officiers-généraux de son armée, que Galbaud aurait le temps de se jeter dans Verdun et que, grâce à ce secours, la place tiendrait au moins quinze jours ou trois semaines qu'il pourrait employer utilement[79]. Mais, le 31 août au matin, on entendit à Sedan le bruit d'une lointaine canonnade. Elle est très forte, disait Dumouriez, et dure continuellement[80]. Evidemment, les Prussiens investissaient Verdun et il était peu probable que Galbaud, parti du camp de Vaux dans l'après-midi du 29 août, fût entré à temps dans la ville.

Au même instant, on apprenait que Clerfayt s'était avancé par Longuyon et Marville, qu'il dépassait Montmédy, et, au lieu d'assiéger cette place, ne faisait que la tourner, qu'il campait sur les hauteurs de Juvigny, que ses éclaireurs poussaient des reconnaissances jusqu'aux environs de Stenay. L'Autrichien avait certainement l'intention de passer la Meuse à Stenay et de tenir en respect le camp de Sedan, pendant que d'autres colonnes de l'armée alliée traverseraient la rivière à Consenvoye et à Dun[81].

Quel parti prendre ? Envahir la Belgique ? Mais Dumouriez croyait que cette invasion entraînerait Clerfayt à sa suite, et voici Clerfayt qui marche à sa rencontre et se met devant lui avec un corps dont les espions portent la force à 15.000 hommes. Aller au secours de Verdun ? Mais Clerfayt barre tous les passages. Garder le camp de Sedan et attendre dans cette position le choc des alliés ? Mais il faudrait trente ou quarante mille soldats, une considérable artillerie, la protection d'une puissante forteresse, et Sedan, avoue Dumouriez, n'est pas une place de guerre. Ce camp, écrivait-il quelques jours plus tard à Biron, était détestable, et j'y aurais été pris avec toute l'armée ; j'avais en tête Clerfayt avec ses Autrichiens ; a quelques lieues de moi, les Prussiens assiégeaient Verdun, et je ne doutais pas que cette place ne dût être bientôt prise ; on pouvait me mettre entre deux feux[82].

C'en est fait. Il renonce à l'invasion de la Belgique, non sans peine, en gémissant sur la nécessité de rejeter un grand plan[83]. Il se résigne à cette défensive qui répugne à son génie aventureux et hardi. Les ennemis, disait-il dans le conseil de guerre du 29 août, ne peuvent avoir que deux projets ; ou celui d'attaquer nos places, ou celui de passer entre Montmédy et Verdun, de traverser la Meuse à Stenay, d'entrer par la trouée d'Autry et de Grandpré sur la rivière d'Aisne, d'arriver à Châlons et de là, de marcher sur Paris[84]. Il faut les prévenir, il faut courir à la trouée d'Autry, se poster résolument à l'entrée de l'Argonne, défendre le Chesne-Populeux, Grandpré, les Islettes, tous les chemins qui mènent de Lorraine en Champagne, attendre dans ces positions les renforts de Paris et l'armée de Kellermann. Je ne peux, écrivait-il dès le 31 août à Servan, m'opposer au mouvement de Clerfayt, ni empêcher l'investissement de Verdun, et pour éviter un plus grand malheur, je serai peut-être forcé d'abandonner entièrement le cours de la Meuse et de me porter, par le chemin le plus court, c'est-à-dire par Chémery, Brieulles et Grandpré sur la rivière d'Aire pour défendre la trouée d'Autry, tandis qu'un corps particulier se portera dans les gorges du Clermontois. Le lendemain, 1er septembre, sa résolution était définitivement arrêtée. Il appelait, non plus à Rethel, mais à Autry, Duval et les troupes du camp de Pont-sur-Sambre. Il mandait à ses amis Delmas, Dubois-Dubay et Bellegarde de le joindre sur-le-champ. Les places de Montmédy, de Sedan, de Mézières resteraient abandonnées à leurs propres forces, mais il s'agissait, avant tout, Ge barrer à l'envahisseur le chemin de Paris, et, comme disait Dumouriez, de sauver le tronc sans s'attacher aux branches.

On a prétendu que Servan avait le premier imaginé d'arrêter les Prussiens dans l'Argonne ; le ministre aurait conçu le plan et Dumouriez n'aurait fait que l'exécuter. Mais Servan a publié en 1795 une critique des Mémoires du général : il censure amèrement les fautes que Dumouriez commit en Belgique ; il lui reproche une ambition démesurée et une envie de dominer pour laquelle il ose tout hasarder et tout risquer ; il le blâme d'avoir poursuivi mollement les Prussiens dans leur retraite ; il ne dit pas un mot du plan de campagne qu'il aurait dicté. On sait également qu'il a composé, en collaboration avec Grimoard, un Tableau historique des premières guerres de la Révolution ; le deuxième volume de cet ouvrage traite de l'invasion prussienne en 1792 ; il fut rédigé sur les notes de Grimoard et de Servan par un officier anonyme ; cet auteur attribue à Dumouriez, et à Dumouriez seul, l'honneur de la résistance. Il est vrai que, le 31 août, Servan écrivait au général que si la guerre était transportée dans l'Argonne, elle serait plus défensive qu'offensive et conviendrait parfaitement au genre de troupes qu'il commandait. Il est vrai, que, le 1er septembre, il lui mandait que, sur l'avis du conseil exécutif provisoire, l'armée de Sedan devait diriger sa marche vers l'Argonne et le Clermontois. Il est vrai encore que, le 2 septembre, il priait Dumouriez de se porter sur Sainte-Menehould ou environs. Mais lorsque ces recommandations arrivèrent au général, il avait déjà pris le chemin de l'Argonne. Il devança les lettres du ministre et sa marche était commencée avant que Servan l'eût prescrite. Vous verrez, disait-il le 2 septembre à son ancien collègue, vous verrez, en me suivant sur la carte, que je n'ai pas attendu que vous m'invitassiez à venir me placer dans les trouées de l'Argonne, et il informait Luckner que le ministre de la guerre s'était rencontré avec lui sur toutes ses opérations et ses marches ; j'ai prévenu les instructions qu'il m'a données.

Quoi qu'on ait dit, Dumouriez a donc le mérite d'avoir reconnu le vrai point stratégique qu'il fallait défendre, la ligne de l'Argonne. Servan lui rendit cette justice et n'eut jamais la ridicule vanité de croire qu'il avait déterminé Dumouriez. Je ne vous donnerai pas des éloges sur vos marches et votre plan, écrivait-il le 4 septembre au général, mais ou j'en juge mal, ou vos concitoyens vous loueront ; quant à moi, je vous dirai franchement que j'ai eu grand plaisir à vous suivre sur la carte[85].

Dumouriez avait-il adopté le meilleur plan de campagne ? Bülow assure que le général avait raison de se jeter en Belgique ; il ne devait pas, dit-il, s'opposer directement aux Prussiens, et sa seule excuse est d'avoir craint le blâme des Parisiens, s'il cessait de couvrir leur ville. Dumouriez, ajoute Bülow, était à Sedan, et Kellermann à Metz. Au lieu d'aller à la rencontre de Dumouriez par un long détour, Kellermann devait attaquer les Autrichiens qui bombardaient Thionville, laisser un corps pour les contenir et un autre pour s'opposer aux entreprises de la garnison de Luxembourg, puis marcher avec le reste de son armée sur Trèves et Coblenz, en même temps que Custine s'emparait de Mayence et de Francfort. Les Prussiens, craignant d'être coupés de leurs magasins et de leurs parcs de réserve par Kellermann et Custine, n'auraient pas osé pénétrer en Champagne ; ils reculaient inquiets et en désordre sur Luxembourg ; mais Kellermann et Custine, concertant leurs opérations, les rejetaient en Westphalie. Cependant Dumouriez entrait sans obstacle dans les Pays-Bas autrichiens ; les forteresses de la Meuse lui fournissaient une base solide d'opérations ; il arrivait en peu de temps jusqu'au Rhin et donnait la main à ses deux collègues ; dès 1792, la France était maîtresse du cours du grand fleuve de la Hollande à Bâle[86]. Ce plan de Bülow est fort séduisant ; mais, en supposant que Dumouriez eût réussi dans son entreprise et conquis la Belgique, aurait-il été secondé par Kellermann et Custine qui ne souffraient pas de supérieur dans le commandement et ne surent pas, à la fin d'octobre, combiner leur action ?

Gouvion-Saint-Cyr développe dans ses mémoires un autre plan d'opérations. Il fallait, selon lui, abandonner à l'envahisseur les défilés de l'Argonne et ne pas même tenter de tes défendre. Dumouriez, restant à l'abri du canon de Sedan et de Mézières, mais à portée de la forêt, aurait attendu ses renforts de Flandre et occupé l'Argonne après que Brunswick l'aurait franchie. Dès lors Dumouriez et Kellermann agissaient de concert, l'un sur la droite, l'autre sur la gauche des alliés ; au lieu d'arrêter de front l'envahisseur, les deux armées françaises réunies opéraient sur ses flancs et ses derrières, coupaient ses communications avec Luxembourg et Trêves, et le forçaient à la retraite[87]. Ce plan de Gouvion-Saint-Cyr fut pendant quelques jours celui de Servan. Il est instant, écrivait-il le 26 août à Dumouriez, de vous porter sur les derrières de l'ennemi, et je donne avis à Kellermann de se mettre de même sur ses flancs ; le seul moyen d'arrêter l'envahisseur est d'employer toutes nos forces à le resserrer sur ses flancs et ses derrières, et à lui ôter la ressource de subsister aux dépens du pays. C'était aussi le plan de Vergniaud : quand ces hordes s'avanceront, disait-il à la tribune de l'Assemblée le 2 septembre, nos armées qui ne sont pas assez fortes pour les attaquer, le seront assez pour les suivre, les harceler, leur couper les communications avec l'extérieur[88].

Mais en France il faut toujours compter avec l'opinion ; la direction de la guerre est soumise à l'influence du sentiment public, et l'émotion de Paris a plus d'une fois décidé du plan de campagne. Que Dumouriez envahît la Belgique ou qu'il suivit les Prussiens en les harcelant et les pressant entre son armée et celle de Kellermann, il laissait l'a route de la capitale ouverte aux coalisés, il jetait l'alarme dans une population défiante qui se croirait perdue et crierait à la trahison. Les ennemis menacent Paris, disait Roland, c'est vers Paris que se dirige leur rage, c'est là qu'ils ont à exercer des vengeances, c'est là qu'ils espèrent dissoudre le gouvernement et profiter de leurs avantages[89]. Servan écrivait à Dumouriez qu'il fallait connaitre l'esprit de la capitale et des départements, que le peuple ne voyait partout que perfidie et traîtrise, que si les troupes marchaient vers la Belgique on accuserait les ministres de conniver avec les royalistes ; prendre garde de jeter le découragement dans les têtes et couvrir Paris, tel était le mot d'ordre qu'il donnait au général ; il s'agit, ajoutait-il quelques jours plus tard, de prendre une position telle que l'ennemi vous rencontre partout[90]. Dumouriez devait donc se placer entre Paris et l'envahisseur. Servan lui conseillait même de se rendre à Châlons et de manœuvrer derrière la Marne. Mais il y avait encore un rempart naturel à opposer aux alliés : la région montueuse et boisée de l'Argonne. Ce fut là que Dumouriez résolut d'arrêter l'invasion, et la nouvelle de son mouvement rassura Paris. Il a rassemblé tout son monde, disait Prudhomme, et s'est emparé de toutes les hauteurs de l'Argonne et du Clermontois, si bien qu'au lieu d'être stationnaire à Sedan, il est actuellement établi sur toutes ces montagnes ; il ferme absolument le passage à la colonne brunswickoise, et nous sommes plus qu'en mesure pour empêcher l'ennemi de pénétrer[91]. Westermann avait accompagné Dumouriez dans l'Argonne. L'ennemi, mandait-il à Danton, ne pourra pas entrer en Champagne et nous marchons droit à lui[92].

 

 

 



[1] Voir Première invasion prussienne, le chapitre intitulé Metz, p. 201 et suiv.

[2] Arch. guerre. Servan à Dumouriez, 29 août.

[3] Séance du 17 août, Moniteur du 20.

[4] Procès-verbaux du conseil exécutif, deuxième séance.

[5] Voir sur les événements de Sedan, sur les desseins de Lafayette et son émigration, les détails complets donnés dans le volume précédent, La Première Invasion prussienne, p. 52-57.

[6] Arch. guerre, Biron à Servan, 29 août ; Correspondance de Dumouriez avec Pache, 70 : Tableau historique, II, 77 ; Dumouriez. Mém., I, 349.

[7] Tableau historique, II, 77-78.

[8] Grouchy, Mém, I, 8.

[9] Mém. du duc de Lauzun, p. p. Lacour, 1858, p. 191.

[10] Dietrich à de Grave, 9 mai, et Victor de Broglie à Servan, 21 mai (arch. guerre).

[11] Bouillé, Mém., 249 ; Biron à Servan, 7 et 13 septembre (arch. guerre).

[12] Biron, dit Latour-Foissac (arch. guerre), n'était que brave et courtisan, et, quoiqu'il passât pour l'homme de France qui eût le plus d'esprit, il manquait de ce feu du génie militaire qui voit et saisit au même instant le parti qu'il peut tirer d'une circonstance périlleuse et inattendue.

[13] Sainte-Beuve, Causeries du lundi, IV, 287-308 ; Gay-Vernon, Custine et Bouchard, 46-47 ; duc de Bellune, Mém., I, 85, 91, 92 ; duc de Levis, Souvenirs et portraits, 192, 196,199.

[14] Biron à Servan, 23 août (arch. guerre).

[15] Arch. guerre, correspondance de Custine avec le ministre, lettres à Servan (4, 6, 14 juin), à Lajard (14, 16, 24 juillet), à Clavière (24 août), à Servan (2 septembre), à Biron (7 et 11 septembre) ; lettre des jacobins de Strasbourg au ministre (juin) ; sur Custine voir Jomini, Gouvion-Saint-Cyr et surtout Lavallette, Mém., I, 123, et Gay-Vernon, Custine et Houchard, 48-49.

[16] Daunou, Mém., édit. Barrière, 410.

[17] Voir sur Favier, Senac de Meilhan, le duc de Broglie, A. Sorel.

[18] Il avait rang de mestre de camp depuis le 11 mai 1769.

[19] J'ai ouï dire à Vioménil que dans les comptes que Dumouriez lui remit de l'argent du gouvernement (en Pologne), il avait reconnu la plus grande netteté. Dumouriez n'est pas intéressé ni avide d'argent ; tout ce qu'il a fait, n'a eu d'autre motif que l'ambition de jouer un grand rôle. Clermont-Gallerande, Mém., III, 448.

[20] Clermont-Gallerande, Mém., III, 449.

[21] Voir la conversation de Napoléon avec Mathieu Dumas, Souvenirs de Dumas, III, 363.

[22] Mém. de Malouet ; Vaublanc, Mém., I, 383 ; pièces secrètes de l'armoire de fer, lettres de Laporte, de Dumouriez, de Sainte-Foy au roi (Moniteur du 9 décembre).

[23] Patriote français du 14 mars et du 16 juin.

[24] Voir l'Invasion prussienne, p. 15 ; Math. Dumas, Souvenirs, II, 106.

[25] Fersen à Gustave III, Fersen, II. 213.

[26] Victor de Broglie à Dumouriez, 2 mai (arch. guerre).

[27] Math. Dumas, Souvenirs, II, 192-193.

[28] Mme Campan, Mém., 325 ; Brissot, Patriote français des 14 et 16 juin ; Lafayette à l'Assemblée et à d'Abancourt.

[29] Cp. Servan, Notes sur les mémoires de Dumouriez, 1793, p. V : Il voyait venir les événements afin d'en profiter ; Math. Dumas, Souvenirs, II, 215-216 ; Alex. de Lameth à d'Abancourt, 9 août (Moniteur du 20) ; Merlin de Douai à la Convention (Moniteur du 9 décembre) ; Correspond, de Couthon, 30 août, 165. et lettre du même à l'Assemblée, 19 août (Ternaux, III, 445-447).

[30] Servan, Notes sur les mémoires de Dumouriez, 1793, p. V. N'est-il pas curieux que le 16 septembre 1789 Dumouriez écrivait à M. de La Rozière : Il se fera une coalition de rois : c'est alors que les hommes, comme vous et moi, qui ont percé par leurs talents, deviendront les chefs nécessaires de la nation pour défendre sa liberté (Bertrand de Molleville. II, 34).

[31] Louvet, Mém., 1823, p. 62.

[32] Dumouriez à Bourdin, 30 juillet 1792, Catalogue d'autographes, 28 novembre 1853 ; voir Invasion prussienne, p. 50-51.

[33] Correspondance de Dumouriez avec Pache, 72.

[34] Arch. guerre, Dumouriez à d'Abancourt, 5 août.

[35] Lettre du 14 août (Moniteur du 19).

[36] Arch. guerre, Servan à Dumouriez, 22 et 25 août ; Mme Roland, Mém., I, 399.

[37] Couthon, lettre du 19 août (Ternaux, III, 446) ; les commissaires à l'Assemblée, 19 août, Moniteur du 23 ; lettre du grenadier Belingre, Moniteur du 26.

[38] Rœderer, Œuvres, 1854, III, 274 ; Un séjour en France, 22 ; voir le portrait de Dumouriez par Bonneville, et le signalement reproduit dans le Curieux du 1er mars 1884.

[39] Correspondance de Dumouriez avec Pache, 71. On retrouve dans Dumouriez beaucoup de traits du caractère et du talent du comte de Broglie, même de ses défauts. (Mallet du Pan, II, 490).

[40] Boguslawski, der General Dumouriez, 1879, II, 289-298.

[41] Jomini, Hist. crit. et milit. des guerres de la Révol., II, 244.

[42] Puget-Barbantane, Mém., 1827, p. 85.

[43] Servan à Dumouriez, 10 sept. ; c'est aussi le mot de Mercy.

[44] Arch. guerre, Dumouriez à Servan, 7 septembre. Il a, dit Peltier, tout ce qui séduit et attache les Français (Dernier tableau de Paris, tome I, appendice au n° 5, aperçu de la situation de l'Europe, p. 65).

[45] Il vit, dit Mallet du Pan (II, 490), avec trois cuillerées- de soupe et dort trois heures sur vingt-quatre, couché sur un grabat ; personne n'est laborieux comme lui, et il lui arrive souvent de faire mettre à côté de lui une pièce de viande, du pain et de l'eau, et de rester deux jours de suite à écrire sans débrider. Cp. Archenholz, Minerva, janvier 1793, p. 161.

[46] Mme Roland, Mém., I, 384 et 413 ; Dumont, Souvenirs, 413 ; Math. Dumas, Souvenirs, II, 132-133.

[47] Mallet du Pan, l. c.

[48] C'est le mot de Vaublanc, Mém., I, 454 ; de Dumont, Souvenirs, 414 ; de Montmorin, Correspondance entre Mirabeau et de La Marck, III, 315 et 317 ; cp. Fersen, II, 70 ; Mme Roland, Mém., I, 402, et Bülow, Esprit du système de guerre moderne, trad. par Tranchant-Laverne, 1801, p. 237 ; Jamais Français n'a été plus Français que Dumouriez.

[49] Vatout, Le Palais-Royal, 227. S'il nous abandonna, dit Thiers. il nous avait sauvés.

[50] Dumouriez au président de l'Assemblée, 18 août (Moniteur du 22).

[51] Il devait cette mission à Lafayette. Mém. de Lafayette, III, 310.

[52] Correspondance de Dumouriez avec Pache, 67.

[53] Correspondance entre Mirabeau et La Marck, I, 135 ; arch. guerre, lettre de Servan, du 25 août ; Moniteur du 5 septembre.

[54] Dumouriez au président de l'Assemblée, 18 août (Moniteur du 22).

[55] Money, The history of the campaign of 1792, p. 33.

[56] Arch. guerre, ordre pour le lieutenant-général Dillon ; arch. nat., AA, 61, papiers de Galbaud, p. 110.

[57] Cp. sur ce curieux épisode la correspondance de Dumouriez et de Servan (arch. guerre), lettres du 20 au 25 août, et le Moniteur des 20, 22, 23 et 25 août.

[58] Arch. guerre, Dumouriez à Servan, 20 et 23 août ; Dumouriez à Fortair, 24 août (ce Fortair fut plus tard architecte, puis, grâce à la recommandation de Dumouriez, nommé par Macdonald chef de bureau adjoint au secrétariat général de la Légion d'honneur) ; Correspondance de Dumouriez avec Pache, 128 et 266 ; arch. nat.. AA, 61, papiers de Galbaud, p. 53 et 54 ; Dumouriez, Mém., I, 248-251.

[59] Arch. guerre, Dumouriez à Servan, 23 août ; les commissaires à la commission extraordinaire, 23 août ; Servan à Dumouriez, 24 et 25 août ; Dumouriez, Mém., I, 251.

[60] Dumouriez, Mém., I, 252 ; arch. guerre, lettres de Servan, du 26 et du 27 août.

[61] Arch. Guerre, Moreton à Servan, 28 août.

[62] Arch. guerre, Dumouriez à Servan, lettre du 28 août, datée de Mézières ; Moniteur du 31. Chazot avait déjà fait appel au patriotisme ardennais dans une proclamation contresignée par le président et le secrétaire du conseil général, Philippoteaux et Gailly (27 août).

[63] Dumouriez, Mém., I, 253 ; Archenholz, Minerva, janvier 1793, p. 162 ; d'Allonville, Mém. secrets, II, 389.

[64] Arch. guerre, Dumouriez à Servan, 29 août ; voir Invasion prussienne, chapitre de Verdun.

[65] Arch. guerre, Dumouriez à Servan, 31 août.

[66] Bibliothèque de Verdun, Verdun-Révolution, II, p. 18, lettre de Dumouriez aux commissaires de l'armée du Nord, 28 août.

[67] Arch. guerre, Dumouriez à Servan, 29 août.

[68] Quoi qu'en dise Dumouriez, ni d'Hangest, ni Dietmann, ni Petiet n'assistaient à ce conseil de guerre qui eut lieu, non pas le 28, mais le 29 dans la soirée. Lafitte-Clavé avait été lieutenant-colonel du génie à Cherbourg, puis colonel-directeur du génie à Valenciennes ; il connaissait très bien la frontière dès Pays-Bas, et, lorsqu'il était capitaine de génie à Cambrai, en 1778, rédigea un excellent mémoire sur la frontière de Flandre et du Hainaut, depuis Dunkerque jusqu'à Charlemont (Tableau hist., I, 10-61).

[69] Dumouriez, Mém., I, 254-257.

[70] Arch. guerre, procès-verbal du conseil de guerre du 29 août ; cp. Dillon, Compte rendu au ministre de la guerre, 1792, p. 9 ; Money, The campaign, 38 ; Mémoire de Gobert sur les opérations du 28 août 1792 au 3 août 1793 (arch. guerre).

[71] Arch. guerre, Servan à Dumouriez, 27 et 29 août.

[72] Qu'on remarque bien cette date.

[73] Arch. guerre, Servan à Dumouriez, 2 septembre.

[74] On retrouve un écho de ces alarmes dans le passage suivant d'un écrit de Robert Lindet, reproduit dans les Mémoires de Meillan (Exposé des motifs qui m'ont décidé à voter pour l'arrestation de trente-deux membres de la Convention) : Longwy et Verdun s'étaient rendus aux despotes ; Dumouriez allait transporter dans la Belgique et enlever à la France l'armée qui était sa seule ressource.

[75] Money, The campaign, 41: without waiting an answer to this extraordinary letter.

[76] Money, The campaign, 38-41 : some other general officers, who began to be of my opinion, I found that he (Vouillers) also thought as I did.

[77] Arch. guerre, Mémoire de Gobert : Et cet avis prévalut, malgré l'indignation qu'il inspirait à un petit nombre qui n'avaient pas de voix au conseil !

[78] Arch. guerre, Dumouriez à Servan, 31 août.

[79] Procès-verbal du conseil de guerre du 29 août.

[80] Dumouriez à Servan, 1er septembre ; Dillon, Compte rendu, p. 45.

[81] Arch. guerre, Dumouriez à Servan, 31 août.

[82] Arch. guerre, Dumouriez à Biron, 9 et 28 septembre.

[83] Arch. guerre, Dumouriez à Servan, 2 septembre.

[84] Procès-verbal du 29 août.

[85] Voir toute la correspondance aux archives de la guerre. Ce n'est donc ni Servan, comme l'a prétendu Sybel, ni Lacuée, comme l'a dit Forneron, ni Mathieu Dumas, comme le soutient d'Allonville (Mém. secrets, II, 390) qui donna l'avis ou envoya l'ordre d'occuper les gorges de l'Argonne.

[86] Bülow, Esprit de la guerre moderne, 231-234.

[87] Mém. sur les campagnes des armées du Rhin, I, p. LXIV, LXV.

[88] Arch. guerre, Servan à Dumouriez, 26 août ; discours de Vergniaud, 2 septembre, Moniteur du 4.

[89] Roland à l'Assemblée. 3 septembre, Moniteur du 5 et 17 septembre.

[90] Arch. guerre, Servan à Dumouriez, 26 août, 1er et 17 septembre.

[91] Révolutions de Paris, XIII, 434.

[92] Journal des Jacobins, correspondance 10 septembre (lettre de Westermann, du 3 septembre). Peut-on dire, au reste, que tel ou tel plan était meilleur que celui de Dumouriez ? Il y a, malgré tout, tant de hasard dans les choses de la guerre ! L'important, c'est que Dumouriez réussit. Rappelons-nous le mot de Voltaire : Ce que M. de Guibert dit contre le héros de Denain me fait souvenir de M. de Folard, qui écrivait dans ses commentaires de Polybe : Le maréchal de Villars, après avoir donné le change aux ennemis, attaqua le corps qui était dans Denain, le fit tout entier prisonnier de guerre, s'empara de Marchiennes et prit cinq villes en deux mois ; je n'aurais rien lait de tout cela.