Première partie : mœurs des barbaresTout ce qui se peut rencontrer de plus varié, de plus extraordinaire, de plus féroce dans les coutumes des sauvages s’offrit aux yeux de Rome : elle vit, d’abord successivement et ensuite tout à la fois, dans le cœur et dans les provinces de son empire, de petits hommes maigres et basanés ou des espèces de géants aux yeux verts[1], à la chevelure blonde lavée dans l’eau de chaux, frottée de beurre aigre ou de cendres de frêne[2] ; les uns nus, ornés de colliers, d’anneaux de fer, de bracelets d’or ; les autres couverts de peaux, de sayons, de larges braies, de tuniques étroites et bigarrées[3] ; d’autres encore la tête chargée de casques faits en guise de mufles de bêtes féroces[4], d’autres encore le menton et l’occiput rasés[5], ou portant longues barbes et moustaches. Ceux-ci à pied avec des massues, des maillets, des marteaux, des framées, des angons à deux crochets, des haches à deux tranchants[6], des frondes, des flèches armées d’os pointus[7], des filets et des lanières de cuir[8], de courtes et de longues épées ; ceux-là enfourchaient de hauts destriers bardés de fer[9], ou de laides et chétives cavales, mais rapides comme des aigles[10]. En plaine, ces hommes étaient éparpillés[11], ou formés en coin[12], ou roulés en masse ; parmi les bois, ils montaient sur les arbres, objets de leur culte, et combattaient[13] portés sur les épaules et dans les bras de leurs dieux. Des volumes suffiraient à peine au tableau des moeurs et des usages de tant de peuples. Les Agathyrses, comme les Pictes, se tachetaient le corps et les cheveux d’une couleur bleue ; les gens d’une moindre espèce portaient leurs mouchetures rares et petites, les nobles les avaient larges et rapprochées[14]. Les Alains ne cultivaient point la terre ; ils se nourrissaient de lait et de la chair des troupeaux ; ils erraient avec leurs chariots d’écorce de désert en désert. Quand leurs bêtes avaient consommé tous les herbages, ils remettaient leurs villes sur leurs chariots, et les allaient planter ailleurs[15]. Le lieu où ils s’arrêtaient devenait leur patrie[16]. Les Alains étaient grands et beaux ; ils avaient la chevelure presque blonde, et quelque chose de terrible et de doux dans le regard[17]. L’esclavage était inconnu chez eux ; ils sortaient tous d’une source libre[18]. Les Goths, comme les Alains, de race scandinave, leur ressemblaient ; mais ils avaient moins contracté les habitudes slaves, et ils inclinaient plus à la civilisation. Apollinaire a peint un conseil de vieillards goths. Selon leur ancien usage, leurs vieillards se réunissent au lever du soleil ; sous les glaces de l’âge, ils ont le feu de la jeunesse. On ne peut voir sans dégoût la toile qui couvre leur corps décharné ; les peaux dont ils sont vêtus leur descendent à peine au-dessous du genou. Ils portent des bottines de cuir de cheval, qu’ils attachent par un simple noeud au milieu de la jambe, dont la partie supérieure reste découverte[19]. Et pourquoi ces Goths étaient-ils assemblés ? Pour s’indigner de la prise de Rome par un Vandale et pour élire un empereur romain ! Le Sarrasin, ainsi que l’Alain, était nomade ; monté sur son dromadaire, vaguant dans des solitudes sans bornes, changeant à chaque instant de terre et de ciel, sa vie n’était qu’une fuite[20]. Les Huns parurent effroyables aux barbares eux-mêmes ; ils considéraient avec horreur ces cavaliers au cou épais, aux joues déchiquetées, au visage noir, aplati et sans barbe, à la tête en forme de boule d’os et de chair, ayant dans cette tête des trous plutôt que des yeux[21], ces cavaliers dont la voix était grêle et le geste sauvage. La renommée les représentait aux Romains comme des bêtes marchant sur deux pieds, ou comme ces effigies difformes que l’antiquité plaçait sur les ponts[22]. On leur donnait une origine digne de la terreur qu’ils inspiraient : on les faisait descendre de certaines sorcières appelées aliorumna, qui, bannies de la société par le roi des Goths Félimer, s’étaient accouplées dans les déserts avec les démons[23]. Différents en tout des autres hommes, les Huns n’usaient ni de feu ni de mets apprêtés ; ils se nourrissaient d’herbes sauvages et de viandes demi-crues, couvées un moment entre leurs cuisses ou échauffées entre leur siège et le dos de leurs chevaux[24]. Leurs tuniques, de toile colorée et de peaux de rat des champs, étaient nouées autour de leur cou ; ils ne les abandonnaient que lorsqu’elles tombaient en lambeaux[25]. Ils enfonçaient leur tête dans des bonnets de peau arrondis, et leurs jambes velues dans des tuyaux de cuir de chèvre[26]. On eût dit qu’ils étaient cloués sur leurs chevaux, petits et mal formés, mais infatigables. Souvent ils s’y tenaient assis comme des femmes ; ils y traitaient d’affaires, délibérant, vendant, achetant, buvant, mangeant, dormant sur le cou[27]. Sans demeure fixe, sans foyer, sans lois, sans habitudes domestiques, les Huns erraient avec les chariots qu’ils habitaient. Dans ces huttes mobiles, les femmes façonnaient leurs vêtements, s’abandonnaient à leurs maris, accouchaient, allaitaient leurs nourrissons jusqu’à l’âge de puberté. Nul chez ces générations ne pouvait dire d’où il venait, car il avait été conçu loin du lieu où il était né, et élevé plus loin encore[28]. Cette manière de vivre dans des voitures roulantes était en usage chez beaucoup de peuples, et notamment parmi les Francs. Majorien surprit un parti de cette nation : Le coteau voisin retentissait du bruit d’une noce ; les ennemis célébraient en dansant, à la manière des Scythes, l’hymen d’un époux à la blonde chevelure. Après la défaite on trouva les préparatifs de la fête errante, les marmites, les mets des convives, tout le régal prisonnier et les odorantes couronnes de fleurs. (...) Le vainqueur enleva le chariot de la mariée[29]. Sidoine est un témoin considérable des moeurs des barbares, dont il voyait l’invasion. Je suis, dit-il, au milieu des peuples chevelus, obligé d’entendre le langage du Germain, d’applaudir, avec un visage contraint, au chant du Bourguignon ivre, les cheveux graissés avec du beurre acide... Heureux vos yeux, heureuses vos oreilles, qui ne les voient et ne les entendent point ! heureux votre nez, qui ne respire pas dix fois le matin l’odeur empestée de l’ail et de l’oignon[30]. Tous les barbares n’étaient pas aussi brutaux. Les Francs, mêlés depuis longtemps aux Romains, avaient pris quelque chose de leur propreté et de leur élégance. Le jeune chef marchait à pied au milieu des siens ; son vêtement d’écarlate et de soie blanche était enrichi d’or ; sa chevelure et son teint avaient l’éclat de sa parure. Ses compagnons portaient pour chaussure des peaux de bête garnies de tous leurs poils ; leurs jambes et leurs genoux étaient nus ; les casaques bigarrées de ces guerriers montaient très haut, serraient les hanches et descendaient à peine au jarret ; les manches de ces casaques ne dépassaient pas le coude. Par-dessous ce premier vêtement se voyait une saie de couleur verte bordée d’écarlate, puis une rhénone fourrée, retenue par une agrafe[31]. Les épées de ces guerriers se suspendaient à un étroit ceinturon, et leurs armes leur servaient autant d’ornement que de défense ; ils tenaient dans la main droite des piques à deux crochets ou des haches à lancer ; leur bras gauche était caché par un bouclier aux limbes d’argent et à la bosse dorée[32]. Tels étaient nos pères. Sidoine arrive à Bordeaux, et trouve auprès d’Euric, roi des Visigoths, divers barbares qui subissaient le joug de la conquête. Ici se présente le Saxon aux yeux d’azur : ferme sur les flots, il chancelle sur la terre. Ici l’ancien Sicambre, à l’occiput tondu, tire en arrière depuis qu’il est vaincu, ses cheveux renaissants sur son cou vieilli. Ici vagabonde l’Hérule aux joues verdâtres, qui laboure le fond de l’Océan et dispute de couleur avec les algues ; ici le Bourguignon, haut de sept pieds, mendie la paix en fléchissant le genou[33]. Une coutume assez générale chez tous les barbares était de boire la cervoise (la bière), l’eau, le lait et le vin dans le crâne des ennemis. Etaient-ils vainqueurs, ils se livraient à mille actes de férocité ; les têtes des Romains entourèrent le camp de Varus, et les centurions furent égorgés sur les autels de la divinité de la guerre[34]. Etaient-ils vaincus, ils tournaient leur fureur contre eux-mêmes. Les compagnons de la première ligne des Cimbres que défit Marius furent trouvés sur le champ de bataille attachés les uns aux autres ; ils avaient voulu impossibilité de reculer et nécessité de mourir. Leurs femmes s’armèrent d’épées et de haches ; hurlant, grinçant des dents de rage et de douleur, elles frappaient et Cimbres et Romains, les premiers comme des lâches, les seconds comme des ennemis ; au fort de la mêlée, elles saisissaient avec leurs mains nues les épées tranchantes des légionnaires, leur arrachaient leurs boucliers, et se faisaient massacrer. Sanglantes, échevelées, vêtues de noir, on les vit, montées sur les chariots, tuer leurs maris, leurs frères, leurs pères, leurs fils, étouffer leurs nouveau-nés, les jeter sous les pieds des chevaux et se poignarder. Une d’entre elles se pendit au bout du timon de son chariot, après avoir attaché par la gorge deux de ses enfants à chacun de ses pieds. Faute d’arbres pour se procurer le même supplice, le Cimbre vaincu se passait au cou un lacs coulant, nouait le bout de la corde de ce lacs aux jambes ou aux cornes de ses boeufs : ce laboureur d’une espèce nouvelle, pressant l’attelage avec l’aiguillon, ouvrait sa tombe[35]. On retrouvait ces moeurs terribles parmi les barbares du Ve siècle. Leur cri de guerre faisait palpiter le coeur du plus intrépide Romain : les Germains poussaient ce cri sur le bord de leurs boucliers appliqués contre leurs bouches[36]. Le bruit de la corne des Goths était célèbre ; j’en ai parlé. Avec des ressemblances et des différences de coutumes, ces peuples se distinguaient les uns des autres par des nuances de caractère : Les Goths sont fourbes, mais chastes, dit Salvien ; les Allamans, impudiques, mais sincères ; les Francs, menteurs, mais hospitaliers ; les Saxons, cruels, mais ennemis des voluptés[37]. Le même auteur fait aussi l’éloge de la pudicité des Goths, et surtout de celle des Vandales. Les Taïfales, peuplade de la Dacie, péchaient par le vice contraire. Chez eux, les jeunes garçons étaient forcés de se marier par contrat avec des hommes : la fleur de leur jeunesse se consumait dans ces exécrables unions ; ils ne pouvaient être délivrés de ces incestes qu’après avoir tué un sanglier ou un ours[38]. Les Huns, perfides dans les trêves, étaient dévorés de la soif de l’or. Abandonnés à l’instinct des brutes, ils ignoraient l’honnête et le déshonnête. Obscurs dans leur langage, libres de toute religion et de toute superstition, aucun respect divin ne les enchaînait. Colères et capricieux, dans un même jour ils se séparaient de leurs amis sans qu’on eût rien dit pour les irriter, et leur revenaient sans qu’on eût rien fait pour les adoucir[39]. Quelques-unes de ces races étaient anthropophages. Un Sarrasin tout velu et nu jusqu’à la ceinture, poussant un cri rauque et lugubre, se précipite, le glaive au poing, parmi les Goths arrivés sous les murs de Constantinople après la défaite de Valens ; il colle ses lèvres au gosier de l’ennemi qu’il avait blessé, et en suce le sang aux regards épouvantés des spectateurs[40]. Les Scythes de l’Europe montraient ce même instinct du furet et de la hyène[41] : saint Jérôme avait vu dans les Gaules les Atticotes, horde bretonne, qui se nourrissaient de chair humaine : quand ils rencontraient dans les bois des troupeaux de porcs et d’autre bétail, ils coupaient les mamelles des bergères et les parties les plus succulentes des pâtres, délicieux festin pour eux[42]. Les Alains arrachaient la tête de l’ennemi abattu, et de la peau de son cadavre ils caparaçonnaient leurs chevaux[43]. Les Budins et les Gelons se faisaient aussi des vêtements et des couvertures de cheval avec la peau des vaincus[44], dont ils se réservaient la tête[45]. Ces mêmes Gelons se découpaient les joues ; un visage tailladé, des blessures qui présentaient des écailles livides surmontées d’une crête rouge, étaient le suprême honneur[46]. L’indépendance était tout le fond d’un barbare, comme la patrie était tout le fond d’un Romain, selon l’expression de Bossuet. Etre vaincu ou enchaîné paraissait à ces hommes de batailles et de solitudes chose plus insupportable que la mort : rire en expirant était la marque distinctive du héros. Saxon le Grammairien dit d’un guerrier : Il tomba, rit et mourut[47]. Il y avait un nom particulier dans les langues germaniques pour désigner ces enthousiastes de la mort : le monde devait être la conquête de tels hommes. Les nations entières, dans leur âge héroïque, sont poètes : les barbares avaient la passion de la musique et des vers ; leur muse s’éveillait aux combats, aux festins et aux funérailles. Les Germains exaltaient leur dieu Tuiston dans de vieux cantiques : lorsqu’ils s’ébranlaient pour la charge, ils entonnaient en choeur le Bardit, et de la manière plus ou moins vigoureuse dont cet hymne retentissait ils présageaient le destin futur du combat[48]. Chez les Gaulois, les bardes étaient chargés de transmettre le souvenir des choses dignes de louanges[49]. Jornandès raconte qu’à l’époque où il écrivait on entendait encore les Goths répéter les vers consacrés à leur législateur[50]. Au banquet royal d’Attila, deux Gépides célébrèrent les exploits des anciens guerriers : ces chansons de la gloire attablée animaient d’un attendrissement martial le visage des convives. Les cavaliers qui exécutaient autour du cercueil du héros tartare une espèce de tournoi funèbre chantaient : C’est ici Attila, roi des Huns, engendré par son père Mundzuch. Vainqueur des plus fières nations, il réunit sous sa puissance la Scythie et la Germanie, ce que nul n’avait fait avant lui. L’une et l’autre capitale de l’empire romain chancelaient à son nom : apaisé par leur soumission, il se contenta de les rendre tributaires. Attila, aimé jusqu’au bout du destin, a fini ses jours, non par le fer de l’ennemi, non par la trahison domestique, mais sans douleur, au milieu de la joie. Est-il une plus douce mort que celle qui n’appelle aucune vengeance ?[51] Un manuscrit originaire de l’abbaye de Fulde, maintenant à Cassel[52], a par hasard sauvé de la destruction le fragment d’un poème teutonique qui réunit les noms d’Hildebrand, de Théodoric, d’Hermanric, d’Odoacre et d’Attila. Hildebrand, que son fils ne veut pas reconnaître, s’écrie : Quelle destinée est la mienne ! j’ai erré hors de mon pays soixante hivers et soixante étés, et maintenant il faut que mon propre enfant m’étende mort avec sa hache, ou que je sois son meurtrier ! L’Edda (l’aïeule), recueil de la mythologie scandinave, les Sagha ou les traditions historiques des mêmes pays, les chants des scaldes rappelés par Saxon le Grammairien, ou conservés par Olaüs Wormius, dans sa Littérature runique, offrent une multitude d’exemples de ces poésies. J’ai donné ailleurs une imitation du poème lyrique de Lodbrog, guerrier scalde et pirate. Nous avons combattu avec l’épée (...). Les aigles et les oiseaux aux pieds jaunes poussaient des cris de joie (...). Les vierges ont pleuré longtemps (...). Les heures de la vie s’écoulent : nous sourirons quand il faudra mourir[53]. Un autre chant tiré de l’Edda reproduit la même énergie et la même férocité. Hogni et Gunar, deux héros de la race des Nifflungs, sont prisonniers d’Attila. On demande à Gunar de révéler où est le trésor des Nifflungs, et d’acheter sa vie pour de l’or. Le héros répond : Je veux tenir dans ma main le coeur d’Hogni, tiré sanglant de la poitrine du vaillant héros, arraché avec un poignard émoussé du sein de ce fils de roi. Ils arrachèrent le coeur d’un lâche qui s’appelait Hialli ; ils le posèrent tout sanglant sur un plat, et l’apportèrent à Gunar. Alors Gunar, ce chef du peuple, chanta : Ici je vois le coeur sanglant d’Hialli ; il n’est pas comme le coeur d’Hogni le brave, il tremble sur le plat où il est placé ; il tremblait la moitié davantage quand il était dans le sein du lâche. Quand on arracha le coeur d’Hogni de son sein, il rit ; le guerrier vaillant ne songea pas à gémir. On posa son coeur sanglant sur un plat, et on le porta à Gunar. Alors ce noble héros, de la race des Nifflungs, chanta : Ici je vois le coeur d’Hogni le brave ; il ne ressemble pas au coeur d’Hialli le lâche ; il tremble peu sur le plat où on l’a placé ; il tremblait la moitié moins quand il était dans la poitrine du brave. Que n’es-tu, ô Atli (Attila), aussi loin de mes yeux que tu le seras toujours de nos trésors ! En ma puissance est désormais le trésor caché des Nifflungs ; car Hogni ne vit plus. J’étais toujours inquiet quand nous vivions tous les deux ; maintenant je ne crains rien ; je suis seul[54]. Ce dernier trait est d’une tendresse sublime. Ce caractère de la poésie héroïque primitive est le même parmi tous les peuples barbares ; il se retrouve chez l’Iroquois, qui précéda la société dans les forêts du Canada, comme chez le Grec redevenu sauvage, qui survit à la société sur ces montagnes du Pinde où il n’est resté que la muse armée. Je ne crains pas la mort, disait l’Iroquois ; je me ris des tourments. Que ne puis-je dévorer le coeur de mes ennemis ! Mange, oiseau (c’est une tête qui parle à un aigle dans l’énergique traduction de M. Fauriel) ; mange, oiseau, mange ma jeunesse ; repais-toi de ma bravoure, ton aile en deviendra grande d’une aune, et ta serre d’un empan[55]. Les lois mêmes étaient du domaine de la poésie. Un homme d’un rare talent dans l’histoire, M. Thierry, a fort ingénieusement remarqué que les premières lignes du prologue de la loi salique semblent être le texte littéral d’une chanson ; il les rend ainsi d’un style ferme et noble : La nation des Francs, illustre, ayant Dieu pour fondateur, forte sous les armes, ferme dans les traités de paix, profonde en conseil, noble et saine de corps, d’une blancheur et d’une beauté singulières, hardie, agile et rude au combat, depuis peu convertie à la foi catholique, libre d’hérésie ; lorsqu’elle était encore sous une croyance barbare, avec l’inspiration de Dieu, recherchant la clef de la science, selon la nature de ses qualités, désirant la justice, gardant sa pitié ; la loi salique fut dictée par les chefs de cette nation, qui en ce temps commandaient chez elle. (...) Vive le Christ, qui aime les Francs ! Qu’il regarde leur royaume... Cette nation est celle qui, petite en nombre, mais brave et forte, secoua de sa tête le dur joug des Romains. La métaphore abondait dans les chants des scaldes : les fleuves sont la sueur de la terre et le sang des vallées, les flèches sont les filles de l’infortune, la hache est la main de l’homicide, l’herbe est la chevelure de la terre, la terre est le vaisseau qui flotte sur les âges, la mer est le champ des pirates, un vaisseau est leur patin ou le coursier des flots. Les Scandinaves avaient de plus quelques poésies mythologiques. Les déesses qui président aux combats, les belles Walkyries, étaient à cheval, couvertes de leur casque et de leur bouclier. Allons disent-elles, poussons nos chevaux au travers de ces mondes tapissés de verdure qui sont la demeure des dieux. Les premiers préceptes moraux étaient aussi confiés en vers à la mémoire : L’hôte qui vient chez vous a les genoux froids, donnez-lui du feu. Il n’y a rien de plus inutile que de trop boire de bière : l’oiseau de l’oubli chante devant ceux qui s’enivrent, et leur dérobe leur âme. Le gourmand mange sa mort. Quand un homme allume du feu, la mort entre chez lui avant que ce feu soit éteint. Louez la beauté du jour quand il sera fini. Ne vous fiez ni à la glace d’une nuit, ni au serpent qui dort, ni au tronçon de l’épée, ni au champ nouvellement semé. Enfin les barbares connaissaient aussi les chants d’amour : Je me battis dans ma jeunesse avec les peuples de Devonstheim, je tuai leur jeune roi ; cependant une fille de Russie me méprise. Je sais faire huit exercices : je me tiens ferme à cheval, je nage, je glisse sur des patins, je lance le javelot, je manie la rame ; cependant une fille de Russie me méprise[56]. Plusieurs siècles après la conquête de l’Empire Romain, l’usage des hymnes guerriers continua : les défaites amenaient des complaintes latines dont l’air est quelquefois noté dans les vieux manuscrits : Angelbert gémit sur la bataille de Fontenay et sur la mort de Hugues, bâtard de Charlemagne. La fureur de la poésie était telle, qu’on trouve des vers de toutes mesures jusque dans les diplômes du VIIIe, du IXe et du Xe siècle[57]. Un chant teutonique conserve le souvenir d’une victoire remportée sur les Normands, l’an 881, par Louis, fils de Louis le Bègue. J’ai connu un roi appelé le seigneur Louis, qui servait Dieu de bon coeur, parce que Dieu le récompensait... Il saisit la lance et le bouclier, monta promptement à cheval, et vola pour tirer vengeance de ses ennemis[58]. Personne n’ignore que Charlemagne avait fait recueillir les anciennes chansons des Germains. La chronique saxonne donne en vers le récit d’une victoire remportée par les Anglais sur les Danois, et l’Histoire de Norvège, l’apothéose d’un pirate du Danemark, tué avec cinq autres chefs de corsaires sur les côtes d’Albion[59]. Les nautoniers normands célébraient eux-mêmes leurs courses ; un d’entre eux disait : Je suis né dans le haut pays de Norvège, chez des peuples habiles à manier l’arc ; mais j’ai préféré hisser ma voile, l’effroi des laboureurs du rivage. J’ai aussi lancé ma barque parmi les écueils, loin du séjour des hommes. Et ce scalde des mers avait raison, puisque les Danes ont découvert le Vineland, ou l’Amérique. Ces rythmes militaires se viennent terminer à la chanson de Roland, qui fut comme le dernier chant de l’Europe barbare. A la bataille d’Hastings, dit admirablement le grand peintre d’histoire que je viens de citer, un Normand appelé Taillefer poussa son cheval en avant du front de la bataille, et entonna le chant des exploits, fameux dans toute la Gaule, de Charlemagne et de Roland. En chantant il jouait de son épée, la lançait en l’air avec force, et la recevait dans sa main droite ; les Normands répétaient ces refrains ou criaient : Dieu aide ! Dieu aide ![60] Wace nous a conservé le même fait dans une autre langue : Taillefer,
qui moult bien chantoit, Sur un
cheval qui tost alloit, Devant
eus alloit chantant De
Karlemagne et de Rollant, Et
d’Olivier et des vassaux Qui moururent à Rainschevaux. Cette ballade héroïque, qui se devrait retrouver dans le roman de Rollant et d’Olivier, de la bibliothèque des rois Charles V, VI et VII[61], fut encore chantée à la bataille de Poitiers. Les poésies nationales des barbares étaient accompagnées du son du fifre, du tambour et de la musette. Les Scythes, dans la joie des festins, faisaient résonner la corde de leur arc[62]. La cithare ou la guitare était en usage dans les Gaules[63], et la harpe dans l’île des Bretons : il y avait trois choses qu’on ne pouvait saisir pour dettes chez un homme libre du pays de Galles : son cheval, son épée et sa harpe. Dans quelles langues tous ces poèmes étaient-ils écrits ou chantés ? Les principales étaient la langue celtique, la langue slave, les langues teutonique et scandinave ; il est difficile de savoir à quelle racine appartenait l’idiome des Huns. L’oreille dédaigneuse des Grecs et des Romains n’entendait dans les entretiens des Francs et des Tartares que des croassements de corbeaux[64] ou des sons non articulés, sans aucun rapport avec la voix humaine[65] ; mais quand les barbares triomphèrent, force fut de comprendre les ordres que le maître donnait à l’esclave. Sidoine Apollinaire félicite Syagrius de s’exprimer avec pureté dans la langue des Germains : Je ris, dit le littérateur puéril, en voyant un barbare craindre devant vous de faire un barbarisme dans sa langue[66]. Le quatrième canon du concile de Tours ordonne que chaque évêque traduira ses sermons latins en langue romane et tudesque[67]. Louis le Débonnaire fit mettre la Bible en vers teutons. Nous savons par Loup de Ferrières que sous Charles le Chauve on envoyait les moines de Ferrières à Pruym pour se familiariser avec la langue germanique[68]. On fit connaître à la même époque les caractères dont les Normands se servaient pour garder la mémoire de leurs chansons ; ces caractères s’appelaient runstabath ; ce sont les lettres runiques : on y joignit celles qu’Ethicus avait inventées auparavant, et dont saint Jérôme avait donné les signes. La parole usitée dans les forêts est dès sa naissance une parole complète pour la poésie : sous le rapport des passions et des images, elle dégénère en se perfectionnant. L’homme perd en imagination ce qu’il gagne en intelligence ; enchaîné dans la sociabilité, l’esprit s’effraye d’une expression indépendante, et dépouille sa libre et fière allure. Il n’y a rien d’aussi vivant que le grec d’Homère, depuis longtemps passé avec Ulysse et Achille ; ce ne sont pas les langues primitives qui sont mortes, c’est le génie qui n’est plus là pour les parler et les entendre. Quelques monuments des langues de nos ancêtres nous restent ; on est obligé d’avouer qu’elles étaient plus douces et plus harmonieuses dans leur âge héroïque qu’elles ne le sont aujourd’hui dans leur âge humain. L’évêque des Goths, Ulphilas, traduisit dans son idiome paternel, au IVe siècle, les Evangiles : conservés jusqu’à nos jours, ils ont été imprimés avec des glossaires et de savantes recherches[69]. Si vous comparez le teutonique d’Ulphilas avec le teutonique du serment de Charles et de Louis, tel que Nithard[70] nous l’a transmis, et avec le teutonique du chant de victoire de Louis, fils de Louis le Bègue[71], vous reconnaîtrez qu’à mesure que l’on descend vers l’allemand moderne, la prononciation devient plus rude et plus difficile. Les mots de l’idiome d’Ulphilas se terminent très souvent par des voyelles, et surtout par la voyelle a : wisandona (existence), Gotha (Dieu), waldufuja (puissance), godamma (bon), etc. Ce gothique a beaucoup de rapport avec le scandinave du fragment manuscrit de Fulde et du chant de Gunar, tiré de l’Edda. On ne voit pas même dans le fac simile du texte d’Ulphilas les lettres qu’il fut, dit-on, obligé d’inventer pour rendre la prononciation de ses compatriotes ; on y remarque seulement quelques ligatures grecques mêlées aux caractères latins, mais ne présentant pas dans leur agrégation le même pouvoir labial, lingual et guttural qu’elles expriment dans le grec. D’après un passage d’Hérodote, un système assez plausible assigne aux peuples de la Finlande et de la Gothie une origine asiatique : on les fait descendre d’une colonie des Mèdes, et l’on a trouvé des analogies entre la langue des Perses et celle des Suédois et des Danois. Des noms propres surtout ont paru les mêmes dans les deux idiomes : le Gustaff ou Gustaw des Suédois répond au Gustapse ou Hystaspe des Perses ; Oten, Olstanus, Ostanus, rois de Suède, portent les noms persans d’Otanus, Olstanes et Ostanes. Gibert[72], à l’appui de son système (aujourd’hui étendu et reproduit), aurait pu remarquer que l’Edda mentionne un peuple conquérant venu de l’Asie dans les régions septentrionales de la Baltique. Le savant Robert Henri, ministre de la communion calviniste à Edimbourg, a enrichi son Histoire d’Angleterre de différents spécimens des dialectes bretons et anglo-saxons à différentes époques : le tableau placé à la fin de ce volume vous donnera une idée des langues que parlaient les destructeurs du monde romain. Passons à la religion des barbares. Les historiens nous disent que les Huns n’en avaient aucune[73] ; nous voyons seulement qu’ils croyaient, comme les Turcs, à une certaine fatalité. Les Alains, comme les peuples d’origine celtique, révéraient une épée nue fichée en terre[74]. Les Gaulois avaient leur terrible Dis, père de la Nuit, auquel ils immolaient des vieillards sur le dolmin, ou la pierre druidique[75] ; les Germains adoraient la secrète horreur des forêts[76]. Autant la religion de ceux-ci était simple, autant celle des Scandinaves était compliquée. Le géant Ymer fut tué par les trois fils de Bore : Odin, Vil et Ve. La chair de Ymer forma la terre, son sang la mer, son crâne le ciel[77]. Le soleil ne savait pas alors où était son palais, la lune ignorait ses forces, et les étoiles ne connaissaient point la place qu’elles devaient occuper. Un autre géant, appelé Norv, fut le père de la Nuit. La Nuit, mariée à un enfant de la famille des dieux, enfanta le Jour. Le Jour et la Nuit furent placés dans le ciel, sur deux chars conduits par deux chevaux : Hrim-Fax (crinière gelée) conduit la Nuit ; les gouttes de ses sueurs font la rosée ; Skin-Fax (crinière lumineuse) mène le Jour[78]. Sous chaque cheval se trouve une outre pleine d’air : c’est ce qui produit la fraîcheur du matin. Un chemin ou un pont conduit de la terre au firmament il est de trois couleurs, et s’appelle l’arc-en-ciel. Il sera rompu quand les mauvais génies, après avoir traversé les fleuves des enfers, passeront à cheval sur ce pont. La cité des dieux est placée sous le chêne Ygg-Drasill, qui ombrage le monde. Plusieurs villes existent dans le ciel. Le dieu Thor est fils aîné d’Odin ; Tyr est la divinité des victoires. Heindall, aux dents d’or, a été engendré par neuf vierges. Loke est l’artisan des tromperies. Le loup Fenris est fils de Loke[79] ; enchaîné avec difficulté par les dieux, il sort de sa bouche une écume qui devient la source du fleuve Vam (les vices). Frigga est la principale des déesses guerrières, qui sont au nombre de douze ; elles se nomment Walkyries : Gadur, Rosta et Skulda (l’avenir), la plus jeune des douze fées, vont tous les jours à cheval choisir les morts[80]. Il y a dans le ciel une grande salle, le Walhalla, où les braves sont reçus après leur vie. Cette salle a cinq cent quarante portes ; par chacune de ces portes sortent huit cents guerriers morts pour se battre contre le loup[81]. Ces vaillants squelettes s’amusent à se briser les os, et viennent ensuite dîner ensemble : ils boivent le lait de la chèvre Heidruna, qui broute les feuilles de l’arbre Loerada[82]. Ce lait est de l’hydromel : on en remplit tous les jours une cruche assez large pour enivrer les héros décédés. Le monde finira par un embrasement. Des magiciens ou des fées, des prophétesses, des dieux défigurés empruntés de la mythologie grecque, se retrouvaient dans le culte de certains barbares. Le surnaturel est le naturel même de l’esprit de l’homme : est-il rien de plus étonnant que de voir des Esquimaux assemblés autour d’un sorcier sur leur mer solide, à l’entrée même de ce passage si longtemps cherché, qu’une éternelle barrière de glace fermait au vaisseau de l’intrépide capitaine Parry[83] ? De la religion des barbares descendons à leurs gouvernements. Ces gouvernements paraissent avoir été en général des espèces de républiques militaires, dont les chefs étaient électifs ou passagèrement héréditaires par l’effet de la tendresse, de la gloire ou de la tyrannie paternelle. Toute l’antiquité européenne du paganisme et de la barbarie n’a connu que la souveraineté élective : la souveraineté héréditaire fut l’ouvrage du christianisme ; souveraineté même qui ne s’établit qu’au moyen d’une sorte de surprise, laissant dormir le droit à côté du fait. La société naturelle présente les variétés de gouvernement de la société civilisée : le despotisme, la monarchie absolue, la monarchie tempérée, la république aristocratique ou démocratique[84]. Souvent même les nations sauvages ont imaginé des formes politiques d’une complication et d’une finesse prodigieuses, comme le prouvait le gouvernement des Hurons. Quelques tribus germaniques par l’élection du roi et du chef de guerre créaient deux autorités souveraines indépendantes l’une de l’autre ; combinaison extraordinaire. Les peuples sortis de l’orient de l’Asie différaient en constitutions des peuples venus du nord de l’Europe : la cour d’Attila offrait le spectacle du sérail de Stamboul ou des palais de Pékin, mais avec une différence notable ; les femmes paraissaient publiquement chez les Huns ; Maximin fut présenté à Cerca, principale reine ou sultane favorite d’Attila ; elle était couchée sur un divan ; ses suivantes brodaient assises en rond sur les tapis qui couvraient le plancher. La veuve de Bléda avait envoyé en présents aux ambassadeurs de belles esclaves. Les barbares, qui en raison de quelques usages particuliers ressemblaient aux sauvages que j’ai vus au Nouveau Monde, différaient d’eux essentiellement sous d’autres rapports. Une centaine de Hurons, dont le chef tout nu portait un chapeau bordé à trois cornes, servaient autrefois le gouverneur français du Canada : les pourrait-on comparer à ces troupes de race slave ou germanique auxiliaires des troupes romaines ? Les Iroquois au temps de leur plus grande prospérité n’armaient pas plus de dix mille guerriers : les seuls Goths mettaient, comme un excédant de leur conscription militaire, un corps de cinquante mille hommes à la solde des empereurs ; dans le IVe et dans le Ve siècle les légions entières étaient composées de barbares. Attila réunissait sous ses drapeaux sept cent mille combattants, ce qu’à peine serait en état de fournir aujourd’hui la nation la plus populeuse de l’Europe. On voit aussi dans les charges du palais et de l’empire des Francs, des Goths, des Suèves, des Vandales : nourrir, vêtir, équiper tant d’hommes, est le fait d’une société déjà poussée loin dans les arts industriels ; prendre part aux affaires de la civilisation grecque et romaine suppose un développement considérable de l’intelligence. La bizarrerie des coutumes et des moeurs n’infirme pas cette assertion : l’état politique peut être très avancé chez un peuple, et les individus de ce peuple conserver les habitudes de l’état de nature. L’esclavage était connu de toutes ces hordes ameutées contre le Capitole. Cet affreux droit, émané de la conquête, est pourtant le premier pas de la civilisation : l’homme entièrement sauvage tue et mange ses prisonniers ; ce n’est qu’en prenant une idée de l’ordre social qu’il leur laisse la vie, afin de les employer à ses travaux. La noblesse était connue des barbares comme l’esclavage ; c’est pour avoir confondu l’espèce d’égalité militaire qui naît de la fraternité d’armes avec l’égalité des rangs que l’on a jamais pu douter d’un fait avéré. L’histoire prouve invinciblement que différentes classes sociales existaient dans les deux grandes divisions du sang scandinave et caucasien. Les Goths avaient leurs Ases ou demi-dieux : deux familles dominaient toutes les autres, les Amali et les Baltes. Le droit d’aînesse était ignoré de la plupart des barbares ; ce fut avec beaucoup de peine que la loi canonique parvint à le leur faire adopter. Non seulement le partage égal subsistait chez eux, mais quelquefois le dernier né d’entre les enfants, étant réputé le plus faible, obtenait un avantage dans la succession. Lorsque les frères ont partagé le bien de leur père, dit la loi gallique, le plus jeune a la meilleure maison, les instruments de labourage, la chaudière de son père, son couteau et sa cognée[85]. Loin que l’esprit de ce qu’on appelle la loi salique fût en vigueur dans la véritable loi salique, la ligne maternelle était appelée avant la ligne paternelle dans les héritages et les affaires résultant d’iceux. On va bientôt en voir un exemple à propos de la peine de l’homicide[86]. Le gouvernement suivait la règle de la famille ; un roi en mourant partageait sa succession entre ses enfants, sauf le consentement ou la ratification populaire : la loi politique n’était dans sa simplicité que la loi domestique. Chez plusieurs tribus germaniques la possession était annale ; propriétaire de ce qu’on avait cultivé, le fonds après la moisson retournait à la communauté[87]. Les Gaulois étendaient le pouvoir paternel jusque sur la vie de l’enfant ; les Germains ne disposaient que de sa liberté[88]. Au pays de Galles, le Pencenedlt, ou chef du clan, gouvernait toutes les familles[89]. Les lois des barbares, en les séparant de ce que le christianisme et le code romain y ont introduit, se réduisent à des lois pénales pour la défense des personnes et des choses. La loi salique s’occupe du vol des porcs, des bestiaux, des brebis, des chèvres et des chiens, depuis le cochon de lait jusqu’à la truie qui marche à la tête d’un troupeau, depuis le veau de lait jusqu’au taureau, depuis l’agneau de lait jusqu’au mouton, depuis le chevreau jusqu’au bouc, depuis le chien conducteur de meutes jusqu’au chien de berger. La loi gallique défend de jeter une pierre au boeuf attaché à la charrue et de lui trop serrer le joug[90]. Le cheval est particulièrement protégé : celui qui a monté un cheval ou une jument sans la permission du maître est mis à l’amende de quinze ou de trente sous d’or. Le vol du cheval de guerre d’un Franc, d’un cheval hongre, d’un cheval entier et de ses cavales, entraîne une forte composition[91]. La chasse et la pêche ont leurs garants : il y a rétribution pour une tourterelle ou un petit oiseau dérobés aux lacs où ils s’étaient pris, pour un faucon happé sur un arbre, pour le meurtre d’un cerf privé qui servait à embaucher les cerfs sauvages, pour l’enlèvement d’un sanglier forcé par un autre chasseur, pour le déterrement du gibier ou du poisson cachés, pour le larcin d’une barque ou d’un filet à anguilles. Toutes les espèces d’arbres sont mises à l’abri par des dispositions spéciales ; veiller à la vie des forêts[92], c’était faire des lois pour la patrie. L’association militaire, ou la responsabilité de la tribu et la solidarité de la famille, se retrouve dans l’institution des cojurants ou compurgateurs : qu’un homme soit accusé d’un délit ou d’un crime, il peut, selon la loi allemande et plusieurs autres, échapper à la pénalité s’il trouve un certain nombre de ses pairs pour jurer avec lui qu’il est innocent. Si l’accusé était une femme, les compurgateurs devaient être femmes (Leg. Wall.). Le courage étant la première qualité du barbare, toute injure qui en suppose le défaut est punie : ainsi appeler un homme Lepus, lièvre, ou Concagatus, embrené, amène une composition de trois ou de six sous d’or[93] ; même tarif pour le reproche fait à un guerrier d’avoir jeté son bouclier en présence de l’ennemi. La barbarie se montre tout entière dans la législation des blessures ; la loi saxonne est la plus détaillée à cet égard : quatre dents cassées au-devant de la bouche ne valent que six shillings ; mais une seule dent cassée auprès de ces quatre dents doit être payée quatre shillings ; l’ongle du pouce est estimé trois shillings, et une des membranes du nez le même prix[94]. La loi ripuaire s’exprime plus noblement : elle demande trente-six sous d’or pour la mutilation du doigt qui sert à décocher les flèches[95] ; elle veut qu’un ingénu paye dix-huit sous d’or pour la blessure d’un autre ingénu dont le sang aura coulé jusqu’à terre[96]. Une blessure à la tête, ou ailleurs, sera compensée par trente-six sous d’or s’il est sorti de cette blessure un os d’une grosseur telle, qu’il rende un son en étant jeté sur un bouclier placé à douze pieds de distance[97]. L’animal domestique qui tue un homme est donné aux parents du mort avec une composition ; il en est ainsi de la pièce de bois tombée sur un passant. Les Hébreux avaient des règlements semblables. Et néanmoins ces lois, si violentes dans les choses qu’elles peignent, sont beaucoup plus douces en réalité que nos lois : la peine de mort n’est prononcée que cinq fois dans la loi salique et six fois dans la loi ripuaire ; et, chose infiniment remarquable, ce n’est jamais, un seul cas excepté, pour châtiment du meurtre : l’homicide n’entraîne point la peine capitale, tandis que le rapt, la prévarication, le renversement d’une charte, sont punis du dernier supplice ; encore pour tous ces crimes ou délits y a-t-il la ressource des cojurants. La procédure relative au seul cas de mort en réparation d’homicide est un tableau de moeurs. Quiconque a tué un homme et n’a pas de quoi payer la composition doit présenter douze cojurants, lesquels déclarent que le délinquant n’a rien ni dans la terre, ni hors la terre, au delà de ce qu’il offre pour la composition. Ensuite l’accusé entre chez lui et prend de la terre aux quatre coins de sa maison ; il revient à la porte, se tient debout sur le seuil, le visage tourné vers l’intérieur du logis ; de la main gauche, il jette la terre par-dessus ses épaules sur son plus proche parent. Si son père, sa mère et ses frères ont fait l’abandon de tout ce qu’ils avaient, il lance la terre sur la soeur de sa mère ou sur les fils de cette soeur, ou sur les trois plus proches parents de la ligne maternelle[98]. Cela fait, déchaussé et en chemise, il saute à l’aide d’une perche par-dessus la haie dont sa maison est entourée ; alors les trois parents de la ligne maternelle se trouvent chargés d’acquitter ce qui manque à la composition. Au défaut de parents maternels, les parents paternels sont appelés. Le parent pauvre qui ne peut payer jette à son tour la terre recueillie aux quatre coins de la maison, sur un parent plus riche. Si ce parent ne peut achever le montant de la composition, le demandeur oblige le défendeur meurtrier à comparaître à quatre audiences successives ; et enfin, si aucun des parents de ce dernier ne le veut rédimer, il est mis à mort : de vita componat. De ces précautions multipliées pour sauver les jours d’un coupable il résulte que les barbares traitaient la loi en tyrans et se prémunissaient contre elle ; ne faisant aucun cas de leur vie ni de celle des autres, ils regardaient comme un droit naturel de tuer ou d’être tués. Un roi même, dans la loi des Saxons, pouvait être occis ; on en était quitte pour payer sept cent vingt livres pesant d’argent. Le Germain ne concevait pas qu’un être abstrait, qu’une loi pût verser son sang. Ainsi, dans la société commençante, l’instinct de l’homme repoussait la peine de mort, comme dans la société achevée la raison de l’homme l’abolira : cette peine n’aura donc été établie qu’entre l’état purement sauvage et l’état complet de civilisation, alors que la société n’avait plus l’indépendance du premier état et n’avait pas encore la perfection du second. Deuxième partie : suite des mœurs des barbaresLes conducteurs des nations barbares avaient quelque chose d’extraordinaire comme elles. Au milieu de l’ébranlement social, Attila semblait né pour l’effroi du monde ; il s’attachait à sa destinée je ne sais quelle terreur, et le vulgaire se faisait de lui une opinion formidable. Sa démarche était superbe, sa puissance apparaissait dans les mouvements de son corps et dans le roulement de ses regards. Amateur de la guerre, mais sachant contenir son ardeur, il était sage au conseil, exorable aux suppliants, propice à ceux dont il avait reçu la foi. Sa courte stature, sa large poitrine, sa tête plus large encore, ses petits yeux, sa barbe rare, ses cheveux grisonnants, son nez camus, son teint basané, annonçaient son origine[99]. Sa capitale était un camp ou grande bergerie de bois, dans les pacages du Danube : les rois qu’il avait soumis veillaient tour à tour à la porte de sa baraque ; ses femmes habitaient d’autres loges autour de lui. Couvrant sa table de plats de bois et de mets grossiers, il laissait les vases d’or et d’argent, trophée de la victoire et chefs-d'œuvre des arts de la Grèce, aux mains de ses compagnons[100]. C’est là qu’assis sur une escabelle le Tartare recevait les ambassadeurs de Rome et de Constantinople. A ses côtés siégeaient non les ambassadeurs, mais des barbares inconnus, ses généraux et capitaines ; il buvait à leur santé, finissant, dans la munificence du vin, par accorder grâce aux maîtres du monde[101]. Lorsque Attila s’achemina vers la Gaule, il menait une meute de princes tributaires, qui attendaient avec crainte et tremblement un signe du commandeur des monarques pour exécuter ce qui leur serait ordonné[102]. Peuples et chefs remplissaient une mission qu’ils ne se pouvaient eux-mêmes expliquer : ils abordaient de tous côtés aux rivages de la désolation, les uns à pied, les autres à cheval ou en chariots, les autres traînés par des cerfs[103] ou des rennes, ceux-ci portés sur des chameaux, ceux-là flottant sur des boucliers[104] ou sur des barques de cuir et d’écorce[105]. Navigateurs intrépides parmi les glaces du Nord et les tempêtes du Midi, ils semblaient avoir vu le fond de l’Océan à découvert[106]. Les Vandales qui passèrent en Afrique avouaient céder moins à leur volonté qu’à une impulsion irrésistible[107]. Ces conscrits du Dieu des armées n’étaient que les aveugles exécuteurs d’un dessein éternel : de là cette fureur de détruire, cette soif de sang qu’ils ne pouvaient éteindre ; de là cette combinaison de toutes choses pour leurs succès, bassesse des hommes, absence de courage, de vertu, de talent, de génie. Genseric était un prince sombre, sujet aux accès d’une noire mélancolie ; au milieu du bouleversement du monde, il paraissait grand, parce qu’il était monté sur des débris. Dans une de ses expéditions maritimes, tout était prêt, lui-même embarqué : où allait-il ? il ne le savait pas. Maître, lui dit le pilote, à quels peuples veux-tu porter la guerre ? — A ceux-là, répond le vieux Vandale, contre qui Dieu est irrité[108]. Alaric marchait vers Rome : un ermite barre le chemin au conquérant ; il l’avertit[109] que le ciel venge les malheurs de la terre : Je ne puis m’arrêter, dit Alaric, quelqu’un me presse et me pousse à saccager Rome. Trois fois il assiège la ville éternelle avant de s’en emparer : Jean et Brazilius, qu’on lui députe lors du premier siège pour l’engager à se retirer, lui représentent que s’il persiste dans son entreprise, il lui faudra combattre une multitude au désespoir. L’herbe serrée, repart l’abatteur d’hommes, se fauche mieux. Néanmoins il se laisse fléchir et se contente d’exiger des suppliants tout l’or, tout l’argent, tous les ameublements de prix, tous les esclaves d’origine barbare : Roi, s’écrient les envoyés du sénat, que restera-t-il donc aux Romains ? — La vie[110]. Je vous ai déjà dit ailleurs qu’on dépouilla les images des dieux et que l’on fondit les statues d’or du Courage et de la Vertu. Alaric reçut cinq milles livres pesant d’or, trente mille pesant d’argent, quatre mille tuniques de soie, trois mille peaux teintes en écarlate, et trois mille livres de poivre[111]. C’était avec du fer que Camille avait racheté des Gaulois les anciens Romains. Ataulphe, successeur d’Alaric, disait : J’ai eu la passion d’effacer le nom romain de la terre et de substituer à l’empire des césars l’empire des Goths, sous le nom de Gothie. L’expérience m’ayant démontré l’impossibilité où sont mes compatriotes de supporter le joug des lois, j’ai changé de résolution ; alors, j’ai voulu devenir le restaurateur de l’empire romain, au lieu d’en être le destructeur. C’est un prêtre nommé Jérôme qui raconte en 416, dans sa grotte de Bethléem, à un prêtre nommé Orose, cette nouvelle du monde[112] : autre merveille. Une biche ouvre le chemin aux Huns à travers les Palus-Méotides, et disparaît[113]. La génisse d’un pâtre se blesse au pied dans un pâturage ; ce pâtre découvre une épée cachée sous l’herbe ; il la porte au prince tartare : Attila saisit le glaive, et sur cette épée, qu’il appelle l’épée de Mars[114], il jure ses droits à la domination du monde. Il disait : L’étoile tombe, la terre tremble ; je suis le marteau de l’univers. Il mit lui-même parmi ses titres le nom de Fléau de Dieu, que lui donnait la terre[115]. C’était cet homme que la vanité des Romains traitait de général au service de l’empire ; le tribut qu’ils lui payaient était à leurs yeux ses appointements : ils en usaient de même avec les chefs des Goths et des Burgondes. Le Hun disait à ce propos : Les généraux des empereurs sont des valets, les généraux d’Attila des empereurs[116]. Il vit à Milan un tableau où des Goths et des Huns étaient représentés prosternés devant des empereurs ; il commanda de le peindre, lui Attila, assis sur un trône, et les empereurs portant sur leurs épaules des sacs d’or qu’ils répandaient à ses pieds[117]. Croyez-vous, demandait-il aux ambassadeurs de Théodose II, qu’il puisse exister une forteresse ou une ville, s’il me plaît de la faire disparaître du sol ?[118] Après avoir tué son frère Bléda, il envoya deux Goths, l’un à Théodose, l’autre à Valentinien, porter ce message : Attila, mon maître et le vôtre, vous ordonne de lui préparer un palais[119]. L’herbe ne croît plus, disait encore cet exterminateur, partout où le cheval d’Attila a passé. L’instinct d’une vie mystérieuse poursuivait jusque dans la mort ces mandataires de la Providence. Alaric ne survécut que peu de temps à son triomphe : les Goths détournèrent les eaux du Busentum, près Cozence ; ils creusèrent une fosse au milieu de son lit desséché ; ils y déposèrent le corps de leur chef avec une grande quantité d’argent et d’étoffes précieuses ; puis ils remirent le Busentum dans son lit, et un courant rapide passa sur le tombeau d’un conquérant[120]. Les esclaves employés à cet ouvrage furent égorgés, afin qu’aucun témoin ne pût dire où reposait celui qui avait pris Rome, comme si l’on eût craint que ses cendres ne fussent recherchées pour cette gloire ou pour ce crime. Attila, expiré sur le sein d’une femme, est d’abord exposé dans son camp entre deux longs rangs de tentes de soie. Les Huns s’arrachent les cheveux et se découpent les joues pour pleurer Attila, non avec des larmes de femme, mais avec du sang d’homme[121]. Des cavaliers tournent autour du catafalque en chantant les louanges du héros. Cette cérémonie achevée, on dresse une table sur le tombeau préparé, et les assistants s’asseyent à un festin mêlé de joie et de douleur. Après le festin, le cadavre est confié à la terre dans le secret de la nuit ; il était enfermé en un triple cercueil d’or, d’argent et de fer. On met avec le cercueil des armes enlevées aux ennemis, des carquois enrichis de pierreries, des ornements militaires et des drapeaux. Pour dérober à jamais aux hommes la connaissance de ces richesses, les ensevelisseurs sont jetés avec l’enseveli[122]. Au rapport de Priscus, la nuit même où le Tartare mourut, l’empereur Marcien vit en songe, à Constantinople, l’arc rompu d’Attila[123]. Ce même Attila, après sa défaite par Aetius, avait formé le projet de se brûler vivant sur un bûcher composé des selles et des harnais de ses chevaux, pour que personne ne se pût vanter d’avoir pris ou tué le maître de tant de victoires ; il eût disparu dans les flammes comme Alaric dans un torrent : images de la grandeur et des ruines dont ils avaient rempli leur vie et couvert la terre. Les fils d’Attila, qui formaient à eux seuls un peuple[124], se divisèrent. Les nations que cet homme avait réunies sous son glaive se donnèrent rendez-vous dans la Pannonie, au bord du fleuve Netad, pour s’affranchir et se déchirer. Une multitude de soldats sans chef[125], le Goth frappant de l’épée, le Gépide balançant le javelot, le Hun jetant la flèche, le Suève à pied, l’Alain et l’Hérule, l’un pesamment, l’autre légèrement armés[126], se massacrèrent à l’envi : trente mille Huns restèrent sur la place, sans compter leurs alliés et leurs ennemis. Ellac, fils chéri d’Attila, fut tué de la main d’Aric, chef des Gépides. L’héritage du monde qu’avait laissé le roi des Huns n’avait rien de réel ; ce n’était qu’une sorte de fiction ou d’enchantement produit par son épée : le talisman de la gloire brisé, tout s’évanouit. Les peuples passèrent avec le tourbillon qui les avait apportés. Le règne d’Attila ne fut qu’une invasion. L’imagination populaire, fortement ébranlée par des scènes répétées de carnage, avait inventé une histoire qui semble être l’allégorie de toutes ces fureurs et de toutes ces exterminations. Dans un fragment de Damascius, on lit qu’Attila livra une bataille aux Romains, aux portes de Rome : tout périt des deux côtés, excepté les généraux et quelques soldats. Quand les corps furent tombés, les âmes restèrent debout, et continuèrent l’action pendant trois jours et trois nuits : ces guerriers ne combattirent pas avec moins d’ardeur morts que vivants[127]. Mais si d’un côté les barbares étaient poussés à détruire, d’un autre ils étaient retenus : le monde ancien, qui touchait à sa perte, ne devait pas entièrement disparaître dans la partie où commençait la société nouvelle. Quand Alaric eut pris la ville éternelle, il assigna l’église de Saint-Paul et celle de Saint-Pierre pour retraite à ceux qui s’y voudraient renfermer. Sur quoi saint Augustin fait cette belle remarque : Que si le fondateur de Rome avait ouvert dans sa ville naissante un asile, le Christ y en établit un autre plus glorieux que celui de Romulus[128]. Dans les horreurs d’une cité mise à sac, dans une capitale tombée pour la première fois et pour jamais du rang de dominatrice et de maîtresse de la terre, on vit des soldats (et quels soldats !) protéger la translation des trésors de l’autel. Les vases sacrés étaient portés un à un et à découvert ; des deux côtés marchaient des Goths l’épée à la main ; les Romains et les barbares chantaient ensemble des hymnes à la louange du Christ[129]. Ce qui fut épargné par Alaric n’aurait point échappé à la main d’Attila : il marchait à Rome ; saint Léon vient au-devant de lui : le fléau de Dieu est arrêté par le prêtre de Dieu[130], et le prodige des arts a fait vivre le miracle de l’histoire dans le nouveau Capitole, qui tombe à son tour. Devenus chrétiens, les barbares mêlaient à leur rudesse les austérités de l’anachorète : Théodoric, avant d’attaquer le camp de Litorius, passa la nuit vêtu d’une haire[131], et ne la quitta que pour reprendre le sayon de peau. Si les Romains l’emportaient sur leurs vainqueurs par la civilisation, ceux-ci leur étaient supérieurs en vertus. Lorsque nous voulons insulter un ennemi, dit Luitprand, nous l’appelons Romain : ce nom signifie bassesse, lâcheté, avarice, débauche, mensonge ; il renferme seul tous les vices[132]. Dans la loi salique le meurtre d’un Franc est estimé deux cents sous d’or ; celui d’un Romain propriétaire, cent sous, la moitié d’un homme[133]. Dignités, âge, profession, religion, n’arrêtèrent point les fureurs de la débauche ; au milieu des provinces en flamme, on ne se pouvait arracher aux jeux du cirque et du théâtre : Rome est saccagée, et les Romains fugitifs viennent étaler leur dépravation aux yeux de Carthage, encore romaine pour quelques jours[134]. Quatre fois Trêves est envahie, et le reste de ses citoyens s’assied, au milieu du sang et des ruines, sur les gradins déserts de son amphithéâtre. Fugitifs de la ville de Trêves, s’écrie Salvien, vous vous adressez aux empereurs afin d’obtenir la permission de rouvrir le théâtre et le cirque ; mais où est la ville, où est le peuple pour qui vous présentez cette requête ?[135] Cologne succombe au moment d’une orgie générale ; les principaux citoyens n’étaient pas en état de sortir de table, lorsque l’ennemi, maître des remparts, se précipitait dans la ville[136]. Presque toutes les maisons de Carthage étaient des maisons de prostitution : des hommes erraient dans les rues, couronnés de fleurs, répandant au loin l’odeur des parfums, habillés comme des femmes, la tête voilée comme elles, et vendant aux passants leurs abominables faveurs[137]. Genseric arrive : au dehors le fracas des armes, au dedans le bruit des jeux ; la voix des mourants, la voix d’une populace ivre, se confondent ; à peine le cri des victimes de la guerre se peut-il distinguer des acclamations de la foule au cirque[138]. Souvenez-vous, pour ne pas perdre de vue le train du monde, qu’à cette époque Rutilius mettait en vers son voyage de Rome en Etrurie, comme Horace, aux beaux jours d’Auguste, son voyage de Rome à Brindes ; que Sidoine Apollinaire chantait ses délicieux jardins, dans l’Auvergne envahie par les Visigoths ; que les disciples d’Hypatia ne respiraient que pour elle, dans les douces relations de la science et de l’amour ; que Damascius, à Athènes, attachait plus d’importance à quelque rêverie philosophique qu’au bouleversement de la terre ; qu’Orose et saint Augustin étaient plus occupés du schisme de Pélage que de la désolation de l’Afrique et des Gaules ; que les eunuques du palais se disputaient des places qu’ils ne devaient posséder qu’une heure ; qu’enfin il y avait des historiens qui fouillaient comme moi les archives du passé au milieu des ruines du présent, qui écrivaient les annales des anciennes révolutions au bruit des révolutions nouvelles, eux et moi prenant pour table, dans l’édifice croulant, la pierre tombée à nos pieds, en attendant celle qui devait écraser nos têtes. On ne se peut faire aujourd’hui qu’une faible idée du spectacle que présentait le monde romain après les incursions des barbares : le tiers (peut-être la moitié) de la population de l’Europe et d’une partie de l’Afrique et de l’Asie fut moissonné par la guerre, la peste et la famine. La réunion de tribus germaniques pendant le règne de Marc-Aurèle laissa sur les bords du Danube des traces bientôt effacées ; mais lorsque les Goths parurent au temps de Philippe et de Dèce, la désolation s’étendit et dura. Valérien et Gallien occupaient la pourpre quand les Francs et les Allamans ravagèrent les Gaules et passèrent jusqu’en Espagne. Dans leur première expédition navale, les Goths saccagèrent le Pont ; dans la seconde ils retombèrent sur l’Asie Mineure ; dans la troisième la Grèce fut mise en cendres. Ces invasions amenèrent une famine et une peste qui dura quinze ans ; cette peste parcourut toutes les provinces et toutes les villes : cinq mille personnes mouraient dans un seul jour[139]. On reconnut par le registre des citoyens qui recevaient une rétribution de blé à Alexandrie que cette cité avait perdu la moitié de ses habitants[140]. Une invasion de trois cent vingt mille Goths, sous le règne de Claude, couvrit la Grèce ; en Italie, du temps de Probus, d’autres barbares multiplièrent les mêmes malheurs. Quand Julien passa en Gaule, quarante-cinq cités venaient d’être détruites par les Allamans : les habitants avaient abandonné les villes ouvertes et ne cultivaient plus que les terres encloses dans les murs des villes fortifiées. L’an 412, les barbares parcoururent les dix-sept provinces des Gaules, chassant devant eux, comme un troupeau, sénateurs et matrones, maîtres et esclaves, hommes et femmes, filles et garçons. Un captif qui cheminait à pied au milieu des chariots et des armes n’avait d’autre consolation que d’être auprès de son évêque, comme lui prisonnier : poète et chrétien, ce captif prenait pour sujet de ses chants les malheurs dont il était témoin et victime. Quand l’Océan aurait inondé les Gaules, il n’y aurait point fait de si horribles dégâts que cette guerre. Si l’on nous a pris nos bestiaux, nos fruits et nos grains, si l’on a détruit nos vignes et nos oliviers, si nos maisons à la campagne ont été ruinées par le feu ou par l’eau, et si, ce qui est encore plus triste à voir, le peu qui en reste demeure désert et abandonné, tout cela n’est que la moindre partie de nos maux. Mais, hélas ! depuis dix ans les Goths et les Vandales font de nous une horrible boucherie. Les châteaux bâtis sur les rochers, les bourgades situées sur les plus hautes montagnes, les villes environnées de rivières, n’ont pu garantir les habitants de la fureur de ces barbares, et l’on a été partout exposé aux dernières extrémités. Si je ne puis me plaindre du carnage que l’on a fait sans discernement, soit de tant de peuples, soit de tant de personnes considérables par leur rang, qui peuvent n’avoir reçu que la juste punition des crimes qu’ils avaient commis, ne puis-je au moins demander ce qu’ont fait tant de jeunes enfants enveloppés dans le même carnage, eux dont l’âge était incapable de pécher ? Pourquoi Dieu a-t-il laissé consumer ses temples ?[141] L’invasion d’Attila couronna ces destructions ; il n’y eut que deux villes de sauvées au nord de la Loire, Troyes et Paris. A Metz, les Huns égorgèrent tout, jusqu’aux enfants, que l’évêque s’était hâté de baptiser ; la ville fut livrée aux flammes : longtemps après on ne reconnaissait la place où elle avait été qu’à un oratoire échappé seul à l’incendie[142]. Salvien avait vu des cités remplies de corps morts ; des chiens et des oiseaux de proie, gorgés de la viande infecte des cadavres, étaient les seuls êtres vivants dans ces charniers[143]. Les Thuringes qui servaient dans l’armée d’Attila exercèrent, en se retirant à travers le pays des Francs, des cruautés inouïes, que Théodoric, fils de Khlovigh, rappelait quatre-vingts ans après pour exciter les Francs à la vengeance. Se ruant sur nos pères, ils leur ravirent tout. Ils suspendirent leurs enfants aux arbres par le nerf de la cuisse. Ils firent mourir plus de deux cents jeunes filles d’une mort cruelle : les unes furent attachées par les bras au cou des chevaux qui, pressés d’un aiguillon acéré, les mirent en pièces ; les autres furent étendues sur les ornières des chemins et clouées en terre avec des pieux : des charrettes chargées passèrent sur elles ; leurs os furent brisés, et on les donna en pâture aux corbeaux et aux chiens[144]. Les plus anciennes chartes de concessions de terrains à des monastères déclarent que ces terrains sont soustraits des forêts (Act. S. Sever.), qu’ils sont déserts, eremi, ou, plus énergiquement, qu’ils sont pris du désert (S. Bernard. Vit.), ab eremo. Les canons du concile d’Angers (4 octobre 453) ordonnent aux clercs de se munir de lettres épiscopales pour voyager ; ils leur défendent de porter des armes ; ils leur interdisent les violences et les mutilations et excommunient quiconque aurait livré des villes : ces prohibitions témoignent des désordres et des malheurs de la Gaule. Le titre quarante-septième de la loi salique : De celui qui s’est établi dans une propriété qui ne lui appartient point, et de celui qui la tient depuis douze mois, montre l’incertitude de la propriété et le grand nombre de propriétés sans maîtres. Quiconque aura été s’établir dans une propriété étrangère et y sera demeuré douze mois sans contestation légale y pourra demeurer en sûreté comme les autres habitants (Art. IV). Si sortant des Gaules vous vous portez dans l’est de l’Europe, un spectacle non moins triste frappera vos yeux. Après la défaite de Valens, rien ne resta dans les contrées qui s’étendent des murs de Constantinople au pied des Alpes Juliennes ; les deux Thraces offraient au loin une solitude verte, bigarrée d’ossements blanchis. L’an 448 des ambassadeurs romains furent envoyés à Attila : treize jours de marche les conduisirent à Sardique incendiée, et de Sardique à Naïsse : la ville natale de Constantin n’était plus qu’un monceau informe de pierres ; quelques malades languissaient dans les décombres des églises, et la campagne à l’entour était jonchée de squelettes[145]. Les cités furent dévastées, les hommes égorgés, dit saint Jérôme ; les quadrupèdes, les oiseaux et les poissons mêmes disparurent ; le sol se couvrit de ronces et d’épaisses forêts[146]. L’Espagne eut sa part de ces calamités. Du temps d’Orose, Taragone et Lerida étaient dans l’état de désolation où les avaient laissées les Suèves et les Francs ; on apercevait quelques huttes plantées dans l’enceinte des métropoles renversées. Les Vandales et les Goths glanèrent ces ruines ; la famine et la peste achevèrent la destruction. Dans les campagnes, les bêtes, alléchées par les cadavres gisants, se ruaient sur les hommes qui respiraient encore ; dans les villes, les populations entassées, après s’être nourries d’excréments, se dévoraient entre elles ; une femme avait quatre enfants ; elle les tua et les mangea tous[147]. Les Pictes, les Calédoniens, ensuite les Anglo-Saxons exterminèrent les Bretons, sauf les familles qui se réfugièrent dans le pays de Galles ou dans l’Armorique. Les insulaires adressèrent à Aetius une lettre ainsi suscrite : Le gémissement de la Bretagne à Aetius, trois fois consul. Ils disaient : Les barbares nous chassent vers la mer, et la mer nous repousse vers les barbares ; il ne nous reste que le genre de mort à choisir, le glaive ou les flots[148]. Gildas achève le tableau : D’une mer à l’autre, la main sacrilège des barbares venus de l’Orient promena l’incendie : ce ne fut qu’après avoir brûlé les villes et les champs sur presque toute la surface de l’île, et l’avoir balayée comme d’une langue rouge jusqu’à l’Océan occidental, que la flamme s’arrêta. Toutes les colonnes croulèrent au choc du bélier ; tous les habitants des campagnes avec les gardiens des temples, les prêtres et le peuple périrent par le fer ou par le feu. Une tour vénérable à voir s’élève au milieu des places publiques ; elle tombe : les fragments de mur, les pierres, les sacrés autels, les tronçons de cadavres pétris et mêlés avec du sang, ressemblaient à du marc écrasé sous un horrible pressoir. Quelques malheureux échappés à ces désastres étaient atteints et égorgés dans les montagnes ; d’autres, poussés par la faim, revenaient et se livraient à l’ennemi pour subir une éternelle servitude, ce qui passait pour une grâce signalée ; d’autres gagnaient les contrées d’outre-mer, et pendant la traversée chantaient avec de grands gémissements, sous les voiles : Tu nous as, ô Dieu ! livrés comme des brebis pour un festin ; tu nous as dispersés parmi les nations[149]. La misère de la Grande-Bretagne est peinte tout entière dans une des lois galliques ; cette loi déclare qu’aucune compensation ne sera reçue pour le larcin du lait d’une jument, d’une chienne ou d’une chatte[150]. L’Afrique dans ses terres fécondes fut écorchée par les Vandales, comme elle l’est dans ses sables stériles par le soleil[151]. Cette dévastation, dit Posidonius, témoin oculaire, rendit très amer à saint Augustin le dernier temps de sa vie ; il voyait les villes ruinées, et à la campagne les bâtiments abattus, les habitants tués ou mis en fuite, les églises dénuées de prêtres, les vierges et les religieux dispersés. Les uns avaient succombé aux tourments, les autres péri par le glaive ; les autres, encore réduits en captivité, ayant perdu l’intégrité du corps, de l’esprit et de la foi, servaient des ennemis durs et brutaux. Ceux qui s’enfuyaient dans les bois, dans les cavernes et les rochers, ou dans les forteresses, étaient pris et tués, ou mouraient de faim. De ce grand nombre d’églises d’Afrique, à peine en restait-il trois, Carthage, Hippone et Cirthe, qui ne fussent pas ruinées, et dont les villes subsistassent[152]. Les Vandales arrachèrent les vignes, les arbres à fruit, et particulièrement les oliviers, pour que l’habitant retiré dans les montagnes ne pût trouver de nourriture[153]. Ils rasèrent les édifices publics échappés aux flammes ; dans quelques cités, il ne resta pas un seul homme vivant. Inventeurs d’un nouveau moyen de prendre les villes fortifiées, ils égorgeaient les prisonniers autour des remparts : l’infection de ces voiries sous un soleil brûlant se répandait dans l’air, et les barbares laissaient au vent le soin de porter la mort dans des murs qu’ils n’avaient pu franchir[154]. Enfin, l’Italie vit tour à tour rouler sur elle les torrents des Allamans, des Goths, des Huns et des Lombards ; c’était comme si les fleuves qui descendent des Alpes et se dirigent vers les mers opposées avaient soudain, détournant leur cours, fondu à flots communs sur l’Italie. Rome, quatre fois assiégée et prise deux fois, subit les maux qu’elle avait infligés à la terre. Les femmes, selon saint Jérôme, ne pardonnèrent pas même aux enfants qui pendaient à leurs mamelles, et firent rentrer dans leur sein le fruit qui ne venait que d’en sortir[155]. Rome devint le tombeau des peuples dont elle avait été la mère... La lumière des nations fut éteinte ; en coupant la tête de l’empire romain, on abattit celle du monde[156]. — D’horribles nouvelles se sont répandues, s’écriait saint Augustin du haut de la chaire en parlant du sac de Rome : carnage, incendie, rapine, extermination ! Nous gémissons, nous pleurons, et nous ne sommes point consolés[157]. On fit des règlements pour soulager du tribut les provinces de la Péninsule, notamment la Campanie, la Toscane, le Picenum, le Samnium, l’Apulie, la Calabre, le Brutium et la Lucanie ; on donna aux étrangers qui consentaient à les cultiver les terres restées en friche[158]. Majorien[159] et Théodoric s’occupèrent de réparer les édifices de Rome, dont pas un seul n’était resté entier, si nous en croyons Procope[160]. La ruine alla toujours croissant avec les nouveaux temps, les nouveaux sièges, le fanatisme des chrétiens et les guerres intestines : Rome vit renaître ses conflits avec Albe et Tibur ; elle se battait à ses portes ; les espaces vides que renfermait son enceinte devinrent le champ de ces batailles qu’elle livrait autrefois aux extrémités de la terre. Sa population tomba de trois millions d’habitants au-dessous de quatre-vingt mille[161]. Vers le commencement du VIIIe siècle, des forêts et des marais couvraient l’Italie ; les loups et d’autres animaux sauvages hantaient ces amphithéâtres qui furent bâtis pour eux ; mais il n’y avait plus d’hommes à dévorer. Les dépouilles de l’empire passèrent aux barbares ; les chariots des Goths et des Huns, les barques des Saxons et des Vandales, étaient chargés de tout ce que les arts de la Grèce et le luxe de Rome avaient accumulé pendant tant de siècles ; on déménageait le monde comme une maison que l’on quitte. Genseric ordonna aux citoyens de Carthage de lui livrer, sous peine de mort, les richesses dont ils étaient en possession : il partagea les terres de la province proconsulaire entre ses compagnons ; il garda pour lui-même le territoire de Byzance et des terres fertiles en Numidie et en Gétulie[162]. Ce même prince dépouilla Rome et le Capitole, dans la guerre que Sidoine appelle la quatrième guerre punique[163] il composa d’une masse de cuivre, d’airain, d’or et d’argent, une somme qui s’élevait à plusieurs millions de talents[164]. Le trésor des Goths était célèbre : il consistait dans les cent bassins remplis d’or, de perles et de diamants offerts par Ataulphe à Placidie ; dans soixante calices, quinze patènes et vingt coffres précieux pour renfermer l’Evangile[165]. Le missorium, partie de ces richesses était un plat d’or de cinq cents livres de poids, élégamment ciselé. Un roi goth, Sisenand, l’engagea à Dagobert pour un secours de troupes ; le Goth le fit voler sur la route, puis il apaisa le Franc par une somme de deux cent mille sous d’or, prix jugé fort inférieur à la valeur du plat[166]. Mais la plus grande merveille de ce trésor était une table formée d’une seule émeraude : trois rangs de perles l’entouraient ; elle se soutenait sur soixante-cinq pieds d’or massif incrustés de pierreries ; on l’estimait cinq cent mille pièces d’or ; elle passa des Visigoths aux Arabes[167] : conquête digne de leur imagination. L’histoire, en nous faisant la peinture générale des désastres de l’espèce humaine à cette époque, a laissé dans l’oubli les calamités particulières, insuffisante qu’elle était à redire tant de malheurs. Nous apprenons seulement par les apôtres chrétiens quelque chose des larmes qu’ils essuyaient en secret. La société, bouleversée dans ses fondements, ôta même à la chaumière l’inviolabilité de son indigence ; elle ne fut pas plus à l’abri que le palais : à cette époque, chaque tombeau renferma un misérable. Le concile de Brague, en Lusitanie, souscrit par dix évêques, donné une idée naïve de ce que l’on faisait et de ce que l’on souffrait pendant les invasions. L’évêque Pancratien prit la parole : Vous voyez, mes frères, dit-il, comme l’Espagne est ravagée par les barbares. Ils ruinent les églises, tuent les serviteurs de Dieu, profanent la mémoire des saints, leurs os, leurs sépulcres, les cimetières (...) Mettez devant les yeux de notre troupeau l’exemple de notre constance, en souffrant pour Jésus-Christ quelque partie des tourments qu’il a soufferts pour nous[168]. Alors Pancratien fit la profession de foi de l’Église catholique, et à chaque article les évêques répondaient : Nous le croyons[169]. Ainsi, que ferons-nous maintenant des reliques des saints ? dit Pancratien. Clipand de Coimbre dit : Que chacun fasse selon l’occasion ; les barbares sont chez nous et pressent Lisbonne ; ils tiennent Merida et Astracan ; au premier jour ils viendront sur nous : que chacun s’en aille chez soi : qu’il console les fidèles, qu’il cache doucement les corps des saints, et nous envoie la relation des lieux ou des cavernes où on les aura mis, de peur qu’il ne les oublie avec le temps. Pancratien dit : Allez en paix. Notre frère Pontamius demeurera seulement, à cause de la destruction de son église d’Eminie, que les barbares ravagent. Pontamius dit : Que j’aille aussi consoler mon troupeau et souffrir avec lui pour Jésus-Christ. Je n’ai pas reçu la charge d’évêque pour être dans la prospérité, mais dans le travail. Pancratien dit : C’est très bien dit. Dieu vous conserve. Tous les évêques dirent : Dieu vous conserve. Tous ensemble : Allons en paix à Jésus-Christ[170]. Lorsque Attila parut dans les Gaules, la terreur se répandit devant lui : Geneviève de Nanterre rassura les habitants de Paris ; elle exhortait les femmes à prier réunies dans le baptistère, et leur promettait le salut de la ville : les hommes qui ne croyaient point aux prophéties de la bergère s’excitaient à la lapider ou à la noyer[171]. L’archidiacre d’Auxerre les détourna de ce mauvais dessein, en les assurant que saint Germain publiait les vertus de Geneviève ; les Huns ne passèrent point sur les terres des Parisii[172]. Troyes fut épargnée, à la recommandation de saint Loup. Dans sa retraite, le Fléau de Dieu se fit escorter par le saint[173] : saint Loup, esclave et prisonnier, protégeant Attila, est un grand trait de l’histoire de ces temps. Saint Agnan, évêque d’Orléans, était renfermé dans sa ville, que les Huns assiégeaient ; il envoie sur les murailles attendre et découvrir des libérateurs : rien ne paraissait. Priez, dit le saint, priez avec foi ; et il envoie de nouveau sur les murailles. Rien ne paraît encore : Priez, dit le saint, priez avec foi. Et il envoie une troisième fois regarder du haut des tours. On apercevait comme un petit nuage qui s’élevait de terre. C’est le secours du Seigneur ! s’écrie l’évêque[174]. Genseric emmena de Rome en captivité Eudoxie et ses deux filles, seuls restes de la famille de Théodose[175]. Des milliers de Romains furent entassés sur les vaisseaux du vainqueur : par un raffinement de barbarie, on sépara les femmes de leurs maris, les pères de leurs enfants[176]. Deogratias, évêque de Carthage, consacra les vases saints au rachat des prisonniers. Il convertit deux églises en hôpitaux, et quoiqu’il fût d’un grand âge, il soignait les malades, qu’il visitait jour et nuit. Il mourut, et ceux qu’il avait délivrés crurent retomber en esclavage[177]. Lorsque Alaric entra dans Rome, Proba, veuve du préfet Petronius, chef de la puissante famille Ancienne, se sauva dans un bateau sur le Tibre[178] ; sa fille Laeta et sa petite-fille Démétriade l’accompagnèrent : ces trois femmes virent de leur barque fugitive les flammes qui consumaient la ville éternelle. Proba possédait de grands biens en Afrique ; elle les vendit pour soulager ses compagnons d’exil et de malheur[179]. Fuyant les barbares de l’Europe, les Romains se réfugiaient en Afrique et en Asie ; mais dans ces provinces éloignées ils rencontraient d’autres barbares : chassés du coeur de l’empire aux extrémités, rejetés des frontières au centre, la terre était devenue un parc où ils étaient traqués dans un cercle de chasseurs. Saint Jérôme reçut quelques débris de tant de grandeurs dans cette grotte où le Roi des rois était né pauvre et nu. Quel spectacle et quelle leçon que ces descendants des Scipions et des Gracques réfugiés au pied du Calvaire ! Saint Jérôme commentait alors Ezéchiel ; il appliquait à Rome les paroles du prophète sur la ruine de Tyr et de Jérusalem : Je ferai monter contre vous plusieurs peuples, comme la mer fait monter les flots. Ils détruiront les murs jusqu’à la poussière... Je mettrai sur les enfants de Juda le poids de leurs crimes... Ils verront venir épouvante sur épouvante[180]. Mais lorsque lisant ces mots : ils passeront d’un pays à un autre et seront emmenés captifs, le solitaire jetait les yeux sur ses hôtes, il fondait en larmes. Et pourtant la grotte de Bethléem n’était pas un asile assuré : d’autres ravageurs dépouillaient la Phénicie, la Syrie et l’Egypte (Ammien Marcellin). Le désert, comme entraîné par les barbares et changeant de place avec eux, s’étendait sur la face des provinces jadis les plus fertiles ; dans les contrées qu’avaient animées des peuples innombrables, il ne restait que la terre et le ciel (Hieron., ad Sophron.). Les sables mêmes de l’Arabie, qui faisaient suite à ces champs dévastés, étaient frappés de la plaie commune ; saint Jérôme avait à peine échappé aux mains des tribus errantes, et les religieux du Sina venaient d’être égorgés : Rome manquait au monde, et la Thébaïde aux solitaires. Quand la poussière qui s’élevait sous les pieds de tant d’armées, qui sortait de l’écroulement de tant de monuments, fut tombée ; quand les tourbillons de fumée qui s’échappaient de tant de villes en flammes furent dissipés ; quand la mort eut fait taire les gémissements de tant de victimes ; quand le bruit de la chute du colosse romain eut cessé, alors on aperçut une croix, et au pied de cette croix un monde nouveau. Quelques prêtres, l’Evangile à la main, assis sur des ruines, ressuscitaient la société au milieu des tombeaux, comme Jésus-Christ rendit la vie aux enfants de ceux qui avaient cru en lui. |
[1] Apollinaire, in Paneg. Major.
[2] Diodore, lib. V. — Apollinaire, Carm. XII.
[3] Apollinaire, Carm. XII. — Ammien, lib. XIV, cap. IV.
[4] Tous les cavaliers cimbres avaient des casques en forme de gueules ouvertes et de mufles de toutes sortes de bêtes étranges et épouvantables, et, les rehaussant par des panaches faits comme des ailes, et d’une hauteur prodigieuse, ils paraissaient encore plus grands. Ils étaient armés de cuirasses de fer très brillantes, et couverts de boucliers tout blancs. (Plutarque, in Marius.)
[5] Apollinaire, in Paneg. Major.
[6] Agathias, Hist., lib. II.
[7] Tacite, De Mor. Germ. — Ammien, lib. XXXI, cap. II.
[8] Ammien, lib. XXXI, cap. II. — Pomponius Mela, lib. I, cap. ult.
[9] Panegyr. veter., VI-VII, p. 138, 166, 167. On voit ici que l’armure complète de fer, empruntée des Perses par les Romains, était connue bien avant la chevalerie. Il en est ainsi d’une foule d’autres usages, qu’on a placé trop bas dans les siècles.
[10] Ammien, lib. XXXI, cap. II.
[11] Teste Zosime, p. 747 ; Vales. Annales, in Ammien, lib. XXXI, cap. II, p. 475.
[12] Tacite, De Mor. Germ., cap. VI
[13] Greg. de Tours, lib. II, cap. IX ; Hérodien, lib. VII, cap. V.
[14] Ammien Marcellin, lib. XXXI, cap. II.
[15] Ammien Marcellin, lib. XIII, cap. II.
[16] Ammien Marcellin, lib. XIII, cap. II.
[17] Ammien Marcellin, lib. XIII, cap. II.
[18] Le latin dit plus : Omnes generoso semine procreati. (Ammien Marcellin, lib. XIII, cap. II.)
[19] Apollinaire, In Avit.
[20] Ammien Marcellin, lib. XIV, cap. V.
[21] Jornandès, De Reb. Get., cap. XXIV. — Ammien Marcellin.
[22] Jornandès, De Reb. Get., lib. XXXI, cap. II.
[23] Jornandès, cap. XXIV.
[24] Ammien, lib. XXXI, cap. II.
[25] Ammien, lib. XXXI, cap. II.
[26] Ammien, lib. XXXI, cap. II. S. Jérôme appelle ces bonnets des tiares, tiaras galeis. (In epitaph. Nepot.)
[27] Ammien, lib. XXXI, cap. II. — Claudian., in Rufin, de Hunn., lib. I.)]
[28] Ammien, lib. XXXI, cap. II.
[29] Apollinaire, in Panegyr. Major.
[30] Apollinaire, Carm. XII.
[31] Sorte de manteau en usage chez les peuples des bords du Rhin.
[32] Apollinaire, lib. IV, Epist. ad Domnit.
[33] Apollinaire, lib. VIII, epist. IX.
[34] Tacite, Annales, I, 61.
[35] [Plutarque, In vit. Marii.
[36] Tacite, De Mor. Germ., III.
[37] Salvien, De Gubern. Dei, lib. VII, p. 256 ; Parisiis, 1608.
[38] Ammien, lib. XXXI, cap IX.
[39] Ammien Marcellin, lib. XXXI, cap. II.
[40] Ammien Marcellin, lib. XXXI, cap. XVI.
[41] Pomponius Mela, De Scyth. Europ., lib. II, cap. I.
[42] Quid loquar de caeteris nationibus, quum ipse adolescentulus in Gallia viderim Atticotos, gentem britannicam, humanis vesci carnibus ; et quum per silvas porcorum greges et armentorum pecudumque reperiant, pastorum nates et feminarum, et papillas solere abscindere, et has solas ciborum delicias arbitrari ? (S. Hier, t. IV, p. 201 ; adv. Jovin., lib. II.)
[43] Ammien Marcellin, lib. XXI, cap. II.
[44] Ammien Marcellin, lib. XXI, cap. II.
[45] Pomponius Mela, lib. XI, cap. IV.
[46] Apollinaire, In Paneg. Avit., v. 241.
[47] Mallet, Introd. à l’Hist. du Danem., cap. XIX ; Sax. Gramm.
[48] Tacite, De Mor. Germ., III.
[49] Strabon, lib. VI.
[50] Jornandès, lib. VIII.
[51] Jornandès, lib. VIII, cap. XLIX.
[52] Je dois ce chant, tiré de l’Edda, et le fragment du poème épique du manuscrit de Fulde à M. Ampère, dont j’ai parlé dans la préface de ces Etudes. On sera bien aise d’entendre ce jeune littérateur, plein de savoir et de talent, sur un genre d’étude qu’il a approfondi, et qui manquait à la France. Mon travail aurait paru moins aride aux lecteurs si j’avais toujours pu l’enrichir de morceaux pareils à celui qui va terminer cette note.
La grande famille des nations germaniques (c’est M. Ampère qui parle) peut se diviser en trois branches, la branche gothique, la branche teutonique, et la branche scandinave.
Il ne reste d’autre monument des langues gothiques que la traduction de la Bible par Ulphilas.
Un plus ancien monument des langues teutoniques est un fragment épique conservé dans un manuscrit contenant le livre de la Sagesse et quelques autres traites religieux. Ce manuscrit, originaire de l’abbaye de Fulde, est maintenant à Cassel, où je l’ai vu. Dans l’intérieur de la couverture, une main inconnue avait tracé le fragment dont je parle, le tout du VIIIe siècle ou de la première moitié du IXe — Grimm die Beyden altesten deutschen gedichte ; Cassel, 1812, p. 35 —. Les personnages qui paraissent dans ce court morceau, ceux dont on parle, leur situation respective et les événements auxquels il est fait allusion, tout cela appartient à ce grand cycle épique de l’ancienne poésie allemande, dont les Niebelungen et le Livre des Héros sont des refontes plus modernes. Cette page du manuscrit de Cassel est donc le plus ancien et le plus curieux débris de ce cycle. Il nous intéresse à double titre, car ce monument germanique est pour nous un monument national. La langue dans laquelle il est écrit est le haut allemand, dont l’idiome des Francs était un dialecte. Ce morceau faisait probablement partie de ces poèmes barbares, et déjà très anciens au commencement du IXe siècle, que Charlemagne avait fait recueillir et transcrits de sa propre main — L’opinion si souvent énoncée que Charlemagne ne savait pas écrire pourrait bien être une fable. Voici ce que dit de lui un contemporain : Item barbara et antiquissima carmina quibus veterum actus et bella cantabantur scripsit memoriaeque mandavit. (Eginhard, Vita Car. Magni, cap. XXIX.).
Ce fragment contient le récit
d’une rencontre entre deux guerriers du cycle dont j’ai parlé, le vieil
Hildebrand et son fils Hadebrand. Hildebrand est l’ami, le mentor du héros par
excellence, de Théodoric. Selon la légende, et non pas selon l’histoire,
Théodoric avait été forcé de laisser son royaume aux mains d’Hermanric, qui à
l’instigation d’Odacre s’en était emparé. Le héros fugitif avait trouvé un
asile chez le roi des Huns, Attila. Ainsi s’était groupé, d’une manière
fabuleuse, le souvenir de ces quatre noms historiques restés confusément dans
la mémoire des peuples. L’usurpateur étant mort, Théodoric revenait dans ses
Etats avec le vieil Hildebrand, quand celui-ci rencontre son fils Hadebrand,
qui était resté à Bern (Vérone). Ils ne se connaissaient ni l’un ni l’autre.
Ici commence le fragment, dont le grand style rappelle l’école homérique :
J’ai ouï dire que se provoquèrent dans une rencontre Hildebrand et Hadebrand, le père et le fils. Alors les héros arrangèrent leur sarrau — ce mot est d’origine germanique : il est ici employé dans le texte (saro). Je l’ai conservé ne sachant comment le remplacer — de guerre, se couvrirent de leur vêtement de bataille, et par-dessus ceignirent leurs glaives. Comme ils lançaient les chevaux pour le combat, Hildebrand, fils d’Herebrand, parla : c’était un homme noble, d’un esprit prudent. Il demanda brièvement qui était son père parmi la race des hommes, ou : De quelle famille es-tu ? Si tu me l’apprends, je te donnerai un vêtement de guerre à triple fil ; car je connais, ô guerrier ! toute la race des hommes.
Hadebrand, fils d’Hildebrand, répondit : Des hommes vieux et sages dans mon pays, qui maintenant sont morts, m’ont dit que mon père s’appelait Hildebrand : je m’appelle Hadebrand. Un jour il s’en alla vers l’est ; il fuyait la haine d’Odoacre (Othachr) ; il était avec Théodoric (Theothrich) et un grand nombre de ses héros. Il laissa seuls dans son pays sa jeune épouse, son fils, encore petit, ses armes, qui n’avaient plus de maître ; il s’en alla du côté de l’est. Depuis, quand commencèrent les malheurs de mon cousin Théodoric, quand il fut un homme sans ami, mon père ne voulut plus rester avec Odoacre. Mon père était connu des guerriers vaillants ; ce héros intrépide combattait toujours à la tête de l’armée ; il aimait trop à combattre, je ne pense pas qu’il soit encore en vie. — Seigneur des hommes, dit Hildebrand, jamais du haut du ciel tu ne permettras un combat semblable entre hommes du même sang. Alors il ôta un précieux bracelet d’or, qui entourait son bras, et que le roi des Huns lui avait donné. — Prends-le, dit-il à son fils, je te le donne en présent. Hadebrand, fils d’Hildebrand, répondit : C’est la lance à la main, pointe contre pointe, qu’on doit recevoir de semblables présents. Vieux Hun ! tu es un mauvais compagnon ; espion rusé, tu veux me tromper par tes paroles, et moi je veux te jeter bas avec ma lance. Si vieux, peux-tu forger de tels mensonges ? Des hommes de mer, qui avaient navigué sur la mer des Vendes, m’ont parlé d’un combat dans lequel a été tué Hildebrand, fils d’Herebrand. Hildebrand, fils d’Herebrand, dit : Je vois bien à ton armure que tu ne sers aucun chef illustre, et que dans ce royaume tu n’as rien fait de vaillant. Hélas ! hélas ! Dieu puissant ! quelle destinée est la mienne ! J’ai erré hors de mon pays soixante hivers et soixante étés. On me plaçait toujours à la tête des combattants, dans aucun fort on ne m’a mis les chaînes aux pieds, et maintenant il faut que mon propre enfant me pourfende avec son glaive, m’étende mort avec sa hache, ou que je sois son meurtrier. Il peut t’arriver facilement, si ton bras te sert bien, que tu ravisses à un homme de coeur son armure, que tu pilles son cadavre : fais-le, si tu crois en avoir le droit, et que celui-là soit le plus infâme des hommes de l’est qui te détournerait de ce combat, dont tu as un si grand désir. Bons compagnons qui nous regardez, jugez dans votre courage qui de nous deux aujourd’hui peut se vanter de mieux lancer un trait, qui saura se rendre maître de deux armures. Alors ils firent voler leurs javelots à pointes tranchantes, qui s’arrêtèrent dans leurs boucliers ; puis ils s’élancèrent l’un sur l’autre. Les haches de pierre résonnaient... Ils frappaient pesamment sur leurs blancs boucliers ; leurs armures étaient ébranlées, mais leurs corps demeuraient immobiles...
Ici s’arrête le fragment. Je
cite les premiers vers du texte pour donner idée de l’allemand d’alors ; on
verra qu’il était beaucoup plus sonore que l’Allemand d’aujourd’hui :
Ik
gihorta that seggen, that sih urhettun anon muotin
Hildibrant
enti Hathubrant untar heriuntuem.
Sunu
fatar ungo. Iro saro rithun,
Garutun
se iro guthamun, gurtur sih iro suert ana,
Helidos,
uber ringa de si to dero hiltu ritun.
Comme exemple de l’ancienne poésie scandinave, je citerai le trait suivant, tiré de l’Edda. Ici nous trouverons autant de grandeur, mais moins de calme ; plus de violence et de férocité, mais une férocité sublime.
(Ici M. Ampère donne le chant de Gunar tel que je l’ai transporté dans mon récit.)
Voici, continue le savant
traducteur, un échantillon de la langue scandinave ancienne, dans laquelle
existe ce morceau remarquable, comme en général tous ceux de l’Edda, par un
caractère sombre et grand :
Hiarta
skal mér Havgna
I
hendi liggja
Blôthugt
ôr briosti
Scorit
bald-ritha
Saxi
slithr-beito
Syni
thio thaus.
Skaro
their hiarta
Hjalla
ôr briosti
Blothugt
that a bjoth langtho
Ok
baro for Gunar.
[53] Martyrs, lib. VI. — Le texte scandinave de cette ode a été publié en lettres runiques par Wormius, Litt. run., p. 197, et transporté dans le recueil de Biorner : elle a vingt-neuf strophes.
[54] Je dois ce chant, tiré de l’Edda, et le fragment du poème épique du manuscrit de Fulde à M. Ampère, dont j’ai déjà parlé.
[55] Chants populaires de la Grèce.
[56] Les deux Edda, les Sagha ; Worm., Litt. runic. ; Mallet, Hist. de Danem.
[57] Voyez entre autres une charte de l’an 835.
[58] Rerum Gall. et Franc. Script., t. IX, p. 99.
[59] Voyez ces chants dans l’Histoire de la Conquête de l’Angleterre par les Normands, de M. A. Thierry, t. I, p. 131 de la 3e édit.
[60] [Voyez ces chants dans l’Histoire de la Conquête de l’Angleterre par les Normands, de M. A. Thierry, t. I, p. 213 de la 3e édit.
[61] Du Cange, voce Cantilena Rollandi : Mém. de l’Ac. des Inscript., t. I, part. I. p. 317 ; Hist. litt. de la France, t. VII, Avertiss., p. 73.
[62] Diodore de Sicile.
[63] Plutarque, In Déméter.
[64] Julian, Op.
[65] Jornandès, cap. XXIV, De Reb. Get.
[66] Rer. Gall. et Franc. Script., t. I, p. 794.
[67] Concil. Gall.
[68] Lupus Ferr., ep. LXX et XCI.]
[69] Ulphilas, Gothische Bibel übersetzung. (Edit. de Jean Christ. Zahn, Weissenfels, 1805.)
[70] Nithardi Hist., lib. III, p. 227, in Rer. Gall. Script., t. VII.
[71] Rer. Gall. Script., t. IX, p. 99.
[72] Mémoires pour servir à l’Histoire des Gaules, p. 241.
[73] Ammien Marcellin.
[74] Ammien Marcellin, lib. XXXI, cap. IX.
[75] Tertullien et S. Augustin.
[76] Tacite, De Mor. Germ.
[77] Texte scandinave :
Or
Ymis holdi
Var
iôrp vm skavpvd,
En
or sveita saer,
......
En or hausi himin.
Traduction latine :
Ex
Ymeris carne
Terra
creata est ;
Ex
sanguine autem mare ;
......
Ex cranio autem coelum.
(Edda soemundar hinns frôda, p. 58 ; Hafniae, 1787.)
[78] Edda, p. 8 et 9.
[79] Snor. Edda, fab. XXIX.
[80] Snor. Edda, fab. XXIX.
[81] Edda soemundar hinns frôda, p. 52.
[82] Edda soemundar hinns frôda, p. 53.
Voyez aussi Mallet, Introd. à l’Histoire de Danemark, et les Monuments de la Mythologie des anciens Scandinaves, pour servir de preuve à cette introduction, par le même auteur, in-4°, Copenhague, 1766.
[83] Second voyage du capitaine Parry pour découvrir le passage au nord-Ouest de l’Amérique.
[84] Voyez Voyage en Amérique, gouvernement des sauvages, p. 176.
[85] Leg. Wall., lib. II. cap. XVII.
[86] On trouve une très bonne note sur la succession de la terre salique, art. V du titre LXII, dans la nouvelle traduction des lois des Francs, par M. J.-F.-A. Peyré. J’aime à rendre d’autant plus de justice à cet estimable auteur, qu’on a peu ou point parlé de son travail, auquel M. Isambert a joint une préface. On ne saurait trop encourager ces études sérieuses, qui coûtent tant de peine et rapportent si peu de gloire.
[87] Tacite, De Mor. Germ., cap. XXVI.
[88] Cæsar, De Bell. Gall., lib. VI, cap XIX.
[89] Leg. Wall., p. 164.
[90] Cæsar. Leg. Wall., lib. III, cap. IX.
[91] Lex Salic., tit. XXV. — Lex Rip., tit. XLII.
[92] Lex Salic., tit. VIII. — Lex Rip., tit. LXVIII.
[93] Lex Salic., tit. XXXII.
Renart
se pense qu’il fera,
Et comment le chunchiera.
(Roman du Renart, apud Cang. Gloss., voce Conc.)
[94] Lex Anglo-Saxonic., p. 7.
[95] Lex Ripuar., tit. V, art. XII.
[96] Lex Ripuar., tit. II, art. XII.
[97] Lex Ripuar., tit. LXX, art. I.
[98] Voilà l’exemple de la préférence dans la ligne maternelle.
[99] Jornandès, cap. XXXV, De Reb, Get.
[100] Ex Prisc. rhetore Gothicoe Historioe Excerpta, Carolo Canteclaro interprete, p. 60 ; Parisiis, 1606.
[101] Ex Prisc. rhet. Goth. Hist. Excerpt., p. 48, p. 49.
[102] Jornandès, cap. XXXVIII, De Reb. Get.
[103] Vopiscus, In Vit. Aurelianus.
[104] Greg. de Tours, lib. III, p. 15.
[105] Apollinaire, In Panegyr. Avit.
[106] Apollinaire, In Panegyr. Avit., lib. VIII, epist. IX.
[107] Salvien, De Gubernat. Dei, lib. VII, p. 250.
[108] Zosime, De Bello Vandalico, lib. I, p. 188. — Procope, Hist. Vand., lib. I.
[109] Sozomène, lib. IX, cap. VI, p. 481.
[110] Sozomène, lib. IX, cap. VI, p. 481.
[111] Sozomène, lib. IX, cap. VI, p. 107.
[112] Orose, lib. VII.
[113] Jornandès, De Reb. Get., cap. XXIV.
[114] Priscus, ap. Jornandès, cap. XXXV.
[115] Rerum Hungararum Scriptores varii ; Francofurti, 1660.
[116] Ex Prisc. rhet. Gothic. Hist. Excerpt., p. 46.
[117] Suidas, in voc. Μεδιόλανον, p. 517.
[118] Excerpta ex Historia Gothica Prisci rhetoris de Legationibus, in corpore Historioe Byzant., p. 63.
[119] Chronicon Alexandrinum, p. 734.
[120] Jornandès, De Reb. Get., cap. XXX.
[121] Jornandès, De Reb. Get., cap. XLIX.
[122] Jornandès, De Reb. Get., cap. XLIX.
[123] Priscus, in Jornandès, cap XL.
[124] Priscus, in Jornandès, cap. L.
[125] Priscus, in Jornandès, cap. L.
[126] Jornandès, cap. L.
[127] Phot., Bibl., p. 1039.
[128] S. Augustin, Civ., lib. I, cap. XXXIV, p. 22 ; Basileae.
[129] Orose, Historiar., lib. VII, cap. XXXIX, p. 574 ; Lugduni Batavorum, 1767.
[130] Prosper, Chronic.
[131] Salvien, De Gubern. Dei, p. 165.
[132] Procope, De Bell. Gothico, lib. I, p. 312.
[133] Tit. XLIII, art. I ; Tit. XLIII, art. VII.
[134] S. Augustin, De Civ. Dei, lib. I, cap. XXXII.
[135] Salvien, De Gubern. Dei, lib. VI. p. 217.
[136] Salvien, De Gubern. Dei, lib. VI. p. 213, 214.
[137] Salvien, De Gubern. Dei., lib. VII., p. 260, 266, 269.
[138] Salvien, De Gubern. Dei., lib. VI, p. 210.
[139] Histoire Auguste, p. 177.
[140] Eusèbe, Hist. ecclés., lib. VII, cap. XXI.
[141] De Provid. div., trad. de Tillemont, Hist. des Emp.
[142] Greg. de Tours, lib. II. cap. VI.
[143] Salvien, De Gubern Dei, lib. VI, p. 216.
[144] Greg. de Tours, lib. III, cap. VII.
[145] Excerpta e Legationibus ex Hist. Goth. Prisci rhetoris, in corp. Byz. Histor., p. 59 ; Parisiis, e typographia regia, 1660.
[146] Hier., ad Sophon.
[147] Idath episcop. Chronicon, p. 11 ; Lutetiae Parisiorum, 1619.
[148] Bedae, presbyt. Hist. eccles. gentis Anglorum, cap. XIII ; Coloniae, anno 1612.
[149] Histor. Gildoe, liber querulus de excidio Britannioe, p. 8, in Histor. Brit. et Angl. Script., t. II.
[150] Leges Wallicoe, lib. III, cap. III, p. 207-260.
[151] Buffon, Histoire naturelle.
[152] Traduct. de Fleury, Hist. ecclés.
[153] Victor, Vitensis episc., lib. I, De Persecutione Africana, p. 2 ; Divione, 1664.
[154] Victor, Vitensis episc., lib. I, De Persecutione Africana, p. 3 ; Divione, 1664.
[155] Hieron., ep. XVI, p. 121 : Epistolae tribus prioribus contentoe in eodem volumine, t. II, p. 486 ; Parisiis, 1579.
[156] Hieron., In Ezech.
[157] S. Augustin, De Urb. Excidio, t. VI, p. 624.)]
[158] Code Théodosien, lib. XI, XIII, XV.
[159] Novelle Majorien, tit. VI, p. 35.
[160] Procope, Hist. Vand. La chronique de Marcellin ajoute : Partem urbis Romoe cremavit ; et Philostorge va bien au delà.
[161] Brottier et Gibbon ne portent cette population qu’à douze cent mille, évaluation visiblement trop faible, comme celle de Juste Lipse et de Vossius est trop forte ; il s’agirait, d’après ces derniers auteurs, de quatre, de huit et de quatorze millions. Un critique moderne italien a rassemblé avec beaucoup de sagacité les divers recensements de l’ancienne Rome.
[162] Procope, De Bell. Vand., lib. I, cap. V ; Victor Vitensis, De Persecut. Vandal., lib. I, cap. IV.
[163] Sidoine Apollinaire, Paneg. Avit.
[164] Procope, Hist. Vand., lib. I.
[165] Greg. De Tours, lib. III, cap. X. Les Gestes des Francs, p. 557, répètent le même fait.
[166] Frédégaire, Chron., cap. LXXIII. Le troisième fragment de Frédégaire et les Gestes de Dagobert, chapitre XXIX, redisent cette anecdote.
[167] Histoire de l’Afrique et de l’Espagne sous la domination des Arabes, par M. Cardonne.
[168] Lab. Concil., p. 1508.
[169] Lab. Concil., p. 1508.
[170] Conc., t. II, p. 1508.
[171] Boll., III, in p. 139.
[172] Vita S. Genov., ap. Boll., 3 janv.
[173] Gal. Christ., t. XII, p. 485 ; Vit. S. Lup., ap. Sur, p. 348.
[174] Greg. de Tours, lib. II, p. 161. Du récit des guerriers combattant après leur mort, et de l’histoire de saint Agnan à Orléans, on peut conclure que des poèmes et des contes devenus populaires dans le dernier siècle ont leur origine, pour le fond ou pour la forme, dans les chroniques du Ve au XVe siècle.
[175] Procope, Hist. Vand., lib. I.
[176] Victor Vitensis, lib. I, cap. VIII.
[177] Victor Vitensis, lib. I, cap. VIII ; Fleury, Hist. ecclés., t. VI, p. 491.
[178] Procope, Hist. Vand., lib. I.
[179] Hier., epist. VIII, ad Demetr., t. I, p. 62-73 ; Sulp., XXIX, N. ult. ; Till., Vie de saint Augustin.
[180] Cap. VII, v. 26 : cap. XII, v. 11.