Première partie : moeurs des chrétiens. Age héroïqueArrêtons-nous pour contempler les vastes ruines que nous venons de traverser. Ce n’est rien que de connaître les dates de leur éboulement, rien que d’avoir appris les noms des hommes employés à cette destruction : il faut entrer plus profondément, plus intimement dans les moeurs, dans la vie des trois peuples chrétien, païen et barbare, qui se confondirent pour donner naissance à la société moderne. Elle va paraître, cette société, puisque l’empire d’Occident est détruit ; voyons ce que fut le monde ancien dans les quatre siècles qui précédèrent sa mort, et ce qu’il était devenu lorsqu’il expira. Commençons par les chrétiens. Le christianisme naquit à Jérusalem, dans une tombe que j’ai visitée au pied de la montagne de Sion : son histoire se lie à celle de la religion des Hébreux. Pendant la durée du premier Temple, tout fut renfermé dans la lettre de la loi de Moïse ; quand le roi, le peuple, ou quelque partie du peuple, se livraient à l’idolâtrie, le glaive les châtiait. Sous le second Temple, la pureté de la loi s’altéra par le mélange des dogmes exotiques : la synagogue se forma. La conquête d’Alexandre introduisit à son tour la philosophie grecque dans le système hébraïque. Des écoles juives se constituèrent ; ces écoles, répandues dans la Médie, l’Elymaïde, l’Asie Mineure, l’Égypte, la Cyrénaïque, l’île de Crète, et jusque dans Rome, subirent l’influence des religions, des lois, des moeurs et de la langue même de ces divers pays. Les livres des Macchabées se scandalisent de ces nouveautés. En ce temps-là il sortit d’Israël des enfants d’iniquité, qui donnèrent ce conseil à plusieurs : Allons, et faisons alliance avec les nations qui nous environnent... Et ils bâtirent à Jérusalem un collège à la manière des nations[1]. Les prêtres mêmes... ne faisaient aucun état de ce qui était en honneur dans leur pays, et ne croyaient rien de plus grand que d’exceller en tout ce qui était en estime parmi les Grecs[2]. Il se forma bientôt quatre sectes principales : celle des pharisiens, celle des sadducéens, celle des samaritains, celle des esséniens. Les pharisiens altéraient le dogme et la loi en reconnaissant une sorte de destin impuissant, qui n’ôtait point la liberté à l’homme ; ils se divisaient en sept ordres. Livrés à des imaginations bizarres, ils jeûnaient et se flagellaient ; ils prenaient soin en marchant de ne pas toucher les pieds de Dieu, qui ne s’élèvent que de quarante-huit pouces au-dessus de terre. Ils mettaient surtout un grand zèle à propager leur doctrine. Ce qui distingue les sectes juives des sectes grecques, c’est précisément cet esprit de propagation. La sagesse hellénique se réduisait en général à la théorie, la sagesse juive avait pour fin la pratique ; l’une formait des écoles, l’autre des sociétés. Moïse avait imprimé une vertu législative au génie des Hébreux, et le christianisme, juif d’origine, retint et posséda au plus haut degré cette vertu. Les sadducéens s’attachaient à la lettre écrite ; ils rejetaient la tradition et conséquemment la science cabalistique : ne trouvant rien sur l’âme dans les livres de Moïse, ils étaient matérialistes et préféraient Epicure à Zénon. Les samaritains n’adoptaient que le Pentateuque, et remontaient à la religion patriarcale. Les esséniens de la Judée (qui produisirent les thérapeutes de l’Égypte, secte plus contemplative encore) repoussaient la tradition comme les sadducéens, et croyaient à l’immortalité de l’âme comme les pharisiens. Ils fuyaient les villes, vivaient dans les campagnes, renonçaient au commerce et s’occupaient du labourage. Ils n’avaient point d’esclaves et n’amassaient point de richesses : ils mangeaient ensemble, portaient des habits blancs, qui n’appartenaient en propre à personne et que chacun prenait à son tour. Les uns demeuraient dans une maison commune, les autres dans des maisons particulières, mais ouvertes à tous. Ils s’abstenaient du mariage, et élevaient les enfants qu’on leur confiait. Ils respectaient les vieillards, ne mentaient point, ne juraient jamais. Ils promettaient le silence sur les mystères : ces mystères n’étaient autres que la morale écrite dans la loi. Les premiers fidèles prirent des esséniens cette simplicité de vie, tandis que les thérapeutes donnèrent naissance à la vie monastique chrétienne. Mais, d’une autre part, l’essénianisme était la seule secte juive qui n’attendît point le Messie et qui condamnât le sacrifice, en quoi les chrétiens ne la suivirent pas. Une opinion commune reposait au fond de la société israélite : le sauveur de la race de David, de tous temps promis, était espéré de siècle en siècle, d’année en année, de jour en jour, d’heure en heure ; homme et Dieu, roi-conquérant pour les sadducéens, les caraïtes ou scripturaires ; sage ou docteur pour les samaritains. Il y avait encore chez ce peuple un fait qui n’appartenait qu’à ce peuple, je veux dire la grande école poétique des prophètes : commençant auprès du berceau du monde, elle erra quarante ans avec l’arche dans le désert ; école que n’interrompirent point la captivité d’Égypte et celle de Babylone, la conquête d’Alexandre, l’oppression des rois de Syrie, la domination romaine, la monarchie des Hérodes, qui implantèrent de force et improvisèrent en Judée une éducation étrangère. Cette école de l’avenir, évoquant le passé et dédaignant le présent, ne manqua de maîtres ni dans la prospérité ni dans le malheur, ni sur les rivages du Nil ni sur les bords du Jourdain, ni sur les fleuves de Babylone ni sur les ruines de Tyr et de Jérusalem. Et quels maîtres ! Moïse, Josué, David, Salomon, Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, Daniel et le Christ, en qui s’accomplirent toutes les prophéties, et qui fut lui-même le dernier prophète. Lorsqu’il eut paru, les Juifs le méconnurent : ils le regardèrent comme un séducteur. Les deux commentaires de la Mishna, le Talmud babylonien et le Talmud de Jérusalem donnent de singulières notions du Christ[3]. Un certain jour, lorsque plusieurs docteurs étaient assis à la porte de la ville, deux jeunes garçons passèrent devant eux : l’un couvrit sa tête, l’autre passa la tête découverte. Eliézer, voyant l’effronterie de celui-ci, le soupçonna d’être un enfant illégitime ; il alla trouver la mère, qui vendait des herbes au marché, et il apprit que non seulement l’enfant était illégitime, mais qu’il était né d’une femme impure[4]. Marie est appelée plusieurs fois dans le Talmud une coiffeuse de femmes. Des Juifs composèrent deux histoires du Christ sous le titre de Sepher toldos Jeschu, livre des générations de Jésus. Joseph Pandera, de Bethléem, se prend d’amour pour une jeune coiffeuse nommée Mirjan (Marie), fiancée à Jochanan. Pandera abuse de Mirjan ; elle accouche d’un fils, appelé Jehoscua (Jésus). Jehoscua, élevé par Elchanan, devient habile dans les lettres. Les sénateurs que Jehoscua ne voulut pas saluer à la porte de la ville firent publier, au son de trois cents trompettes, que sa naissance était impure. Il s’enfuit en Galilée, revient à Jérusalem, se glisse dans le peuple, apprend et dérobe le nom de Dieu, l’écrit sur une peau[5], s’ouvre la cuisse sans douleur, et cache son larcin dans cette incision. Avec l’ineffable nom Schemhamephoras, il accomplit une foule de prodiges. Jehoscua, condamné à mort par le sanhédrin, est couronné d’épines, fouetté et lapidé ; on le voulait pendre à du bois, mais tous les bois se rompirent parce qu’il les avait enchantés. Les sages allèrent chercher un grand chou[6], et l’on y attacha Jehoscua. Telle est une des misérables histoires que les Juifs opposaient à la majesté du récit évangélique. La première Église juive se composa des trois mille convertis. Ces convertis écoutaient les instructions des apôtres, priaient ensemble et faisaient dans les maisons particulières la fraction du pain. Ils mettaient leurs biens en commun, et vendaient leurs héritages pour en distribuer le prix à leurs frères. Leur vie, comme je l’ai dit plus haut, était à peu près celle des esséniens. Cette simplicité se conserva longtemps, Domitien, ayant appris que certains chrétiens juifs se prétendaient issus de la race royale de David, les fit venir à Rome. Questionnés sur leurs richesses, ils répondirent qu’ils possédaient trente-neuf plèthres de terre, environ sept arpents et demi, qu’ils payaient l’impôt et vivaient de leurs champs ; ils montrèrent leurs mains endurcies par le travail. L’empereur leur demanda ce que c’était que le royaume du Christ ; ils répliquèrent qu’il n’était pas de ce monde : on les renvoya. Ces deux laboureurs étaient deux évêques. Ils vivaient encore sous Trajan[7]. En faisant l’histoire de l’Église, on a confondu les temps ; il est essentiel de distinguer deux âges dans le premier christianisme : l’âge héroïque ou des martyrs, l’âge intellectuel ou l’âge philosophique : l’un commence à Jésus-Christ et finit à Constantin ; l’autre s’étend de cet empereur à la fondation des royaumes barbares. C’est de l’âge héroïque que je vais d’abord parler. Je vous le vais montrer tel qu’il s’est peint lui-même et tel que l’ont représenté les païens. Chez nous, dit un apologiste, vous trouverez des ignorants, des ouvriers, de vieilles femmes, qui ne pourraient peut-être pas montrer par des raisonnements la vérité de notre doctrine ; ils ne font pas de discours, mais ils font de bonnes oeuvres. Aimant notre prochain comme nous-mêmes, nous avons appris à ne point frapper ceux qui nous frappent, à ne point faire de procès à ceux qui nous dépouillent : si l’on nous donne un soufflet, nous tendons l’autre joue ; si l’on nous demande notre tunique, nous offrons encore notre manteau. Selon la différence des années, nous regardons les uns comme nos enfants, les autres comme nos frères et nos soeurs ; nous honorons les personnes plus âgées comme nos pères et nos mères. L’espérance d’une autre vie nous fait mépriser la vie présente et jusqu’aux plaisirs de l’esprit. Chacun de nous, lorsqu’il prend une femme, ne se propose que d’avoir des enfants, et imite le laboureur qui attend la moisson en patience. Nous avons renoncé à vos spectacles ensanglantés, croyant qu’il n’y a guère de différence entre regarder le meurtre et le commettre. Nous tenons pour homicides les femmes qui se font avorter, et nous pensons que c’est tuer un enfant que de l’exposer. Nous sommes égaux en tout, obéissant à la raison sans la prétendre gouverner[8]. Remarquez que ce n’est pas là une école, une secte, mais une société, fondée sur la morale universelle, inconnue des anciens. Les repas se mesuraient sur la nécessité, non sur la sensualité : les frères vivaient plutôt de poisson que de viande, d’aliments crus, de préférence aux aliments cuits ; ils ne faisaient qu’un seul repas, au coucher du soleil, et s’ils mangeaient quelquefois le matin, c’était un peu de pain sec. Le vin, défendu aux jeunes gens, était permis aux autres personnes, mais en petite quantité. La règle prohibait les riches ameublements, la vaisselle, les couronnes, les parfums, les instruments de musique. Pendant le repas on chantait des cantiques pieux : le rire bruyant, interdit, laissait régner une gravité modeste. Après le repas du soir on louait Dieu du jour accordé, puis on se retirait pour dormir, sur un lit dur : on abrégeait le sommeil afin d’allonger la vie. Les fidèles priaient plusieurs fois la nuit, et se levaient avant l’aube. Leurs habits blancs, sans mélange de couleurs, ne devaient point traîner à terre, et se composaient d’une étoffe commune : c’était une maxime reçue que l’homme doit valoir mieux que ce qui le couvre. Les femmes portaient des chaussures par bienséance ; les hommes allaient pieds nus, excepté à la guerre ; l’or et les pierreries n’entraient jamais dans leurs parures : déguiser sa tête sous une fausse chevelure, se farder, se teindre les cheveux ou la barbe, semblait chose indigne d’un chrétien. L’usage du bain n’était permis que pour santé et propreté. Cependant quelques ornements étaient laissés aux femmes comme un moyen de plaire à leurs maris. Point d’esclaves, ou le moins possible ; point d’eunuque, de nains, de monstres, aucune de ces bêtes que les femmes romaines nourrissaient aux dépens des pauvres. Pour entretenir la vigueur du corps dans la jeunesse, les hommes s’exerçaient à la lutte, à la paume, à la promenade, et se livraient surtout au travail manuel : le ménage et le service domestique occupaient les femmes. Les dés et les autres jeux de hasard, les spectacles du cirque, du théâtre et de l’amphithéâtre, étaient défendus, comme une source de corruption. On allait à l’église d’un pas mesuré, en silence, avec une charité sincère. Le baiser de paix était le signe de reconnaissance les chrétiens ; ils évitaient pourtant de se saluer dans les rues, de peur de se découvrir aux infidèles. Toutes ces règles étaient visiblement faites en opposition avec la société romaine et établies comme une censure de cette société. La virginité passait pour l’état le plus parfait, et le mariage pour être dans l’intention du Créateur. Les vieillards disaient à ce sujet : Il n’y a point, dans les maladies et dans le long âge, de soins pareils à ceux que l’on reçoit de sa femme et de ses enfants. Attachez vous à l’âme ; ne regardez le corps que comme une statue dont la beauté fait songer à l’ouvrier et ramène à la beauté véritable. On reconnaissait que la femme est susceptible de la même éducation que l’homme, et que l’on pouvait philosopher sans lettres le Grec, le barbare, l’esclave, le vieillard, la femme et l’enfant : c’était l’espèce humaine rendue à sa nature. Le chrétien honorait Dieu en tout lieu, parce que Dieu est partout. La vie du chrétien est une fête perpétuelle ; il loue Dieu en labourant, en naviguant, dans les divers états de la société. Néanmoins il y avait des heures plus particulièrement consacrées à la prière, comme tierce, sexte et none. On priait debout, le visage tourné vers l’orient, la tête et les mains levées au ciel. En répondant à l’oraison finale, on levait aussi symboliquement un pied, comme un voyageur prêt à quitter la terre[9]. Dieu pour les disciples du Sauveur était sans figure et sans nom : quand ils l’appelaient Un, Bon, Esprit, Père, Créateur, c’était par indigence de la langue humaine. L’âme seule, qui est chrétienne d’extraction, trouve intuitivement le vrai nom de Dieu, lorsqu’elle est laissée à son libre témoignage : toutes les fois qu’elle se réveille, elle s’exprime de cette façon dans son for intérieur : Ce qui plaira à Dieu. Dieu me voit. Je le recommande à Dieu. Dieu me le rendra. Et l’homme dont l’âme parle ainsi ne regarde pas le Capitole, mais le ciel[10]. Le pasteur avait la simplicité du troupeau ; l’évêque, le diacre et le prêtre, dont les noms signifiaient président, serviteur et vieillard, ne se distinguaient point par leurs habits du reste de la foule. Médiateurs à l’autel, arbitres aux foyers, il leur était recommandé d’être tendres, compatissants, pas trop crédules au mal, pas trop sévères, parce que nous sommes tous pécheurs[11]. S’ils étaient mariés ils devaient n’avoir eu qu’une femme ; ils devaient être en réputation de bonnes moeurs, de pères de famille exemplaires, et jouir d’une renommée sans tache, même parmi les païens. Sous les épreuves, disait saint Ignace, qu’ils demeurent fermes comme l’enclume frappée[12]. Ce même saint dans les fers écrivait à l’Église de Rome : Je ne serai vrai disciple de Jésus-Christ que quand le monde ne verra plus mon corps. Priez, afin que je me change en victime. Je ne vous donne pas des ordres comme Pierre et Paul ; c’étaient des apôtres, je ne suis rien ; ils étaient libres, je suis esclave[13]. Les évêques étaient choisis dans toutes les conditions de la vie : on voit des évêques laboureurs, bergers, charbonniers. Les diocèses, sorte de républiques fédératives, élisaient leurs présidents selon leurs besoins ; éloquents et instruits pour les grandes cités, simples et rustiques pour les campagnes, guerriers même, quand il le fallait, pour défendre la communauté. Aussi fuyait-on ces honneurs à grandes charges ; c’était dans les cavernes, au fond des bois, sur les montagnes, que le peuple chrétien allait chercher et enlever ces princes de la foi. Ils se cachaient, ils se déclaraient indignes, ils répandaient des larmes ; quelques-uns même mouraient de frayeur. Gérès, petite ville d’Égypte, à cinquante stades de Péluse, avait élu pour évêque un solitaire nommé Nilammon : il demeurait dans une cellule dont il avait muré la porte, et s’obstinait à refuser l’épiscopat. Théophile, évêque d’Alexandrie, s’efforça de le persuader : Demain, mon père, dit l’ermite, vous ferez ce qu’il vous plaira. Théophile revint le lendemain, et dit à Nilammon d’ouvrir. Prions auparavant, répondit le solitaire du fond de son rocher. La journée se passe en oraison. Le soir on appelle Nilammon à haute voix : il garde le silence ; on enlève les pierres qui bouchaient l’entrée de l’ermitage : le solitaire gisait mort aux pieds d’un crucifix[14]. Les premières églises étaient des lieux cachés, des forêts, des catacombes, des cimetières, et les autels une pierre ou le tombeau d’un martyr ; pour ornements on avait des fleurs, des vases de bois, quelques cierges, quelques lampes, à l’aide desquels le prêtre lisait l’Evangile dans l’obscurité des souterrains ; on avait encore des boîtes à secret, pour y cacher le pain du voyageur, que l’on portait au fidèle dans les mines, dans les cachots, au milieu des lions de l’amphithéâtre. Tels étaient les chrétiens de l’âge héroïque. Les païens les considéraient autrement. Selon eux, ces sectaires grossiers, ignorants, fanatiques, populace demi-nue, prenaient plaisir à s’entourer de jeunes niais et de vieilles folles pour leur conter des puérilités[15]. Ils prétendaient que les Galiléens ne voulaient ni donner ni discuter les raisons de leur culte, ayant coutume de dire : Ne vous enquérez[16] pas ; la sagesse de cette vie est un mal, et la folie un bien. — Votre partage, écrivait Julien[17], apostrophant les disciples de l’Evangile, est la grossièreté. Toute votre sagesse consiste à répéter stupidement : Je crois. La religion du Christ était appelée par les latins insania[18], amentia[19], dementia[20], stultitia, furiosa opinio[21], furoris insipientia[22]. Les fidèles eux-mêmes étaient surnommés des demi-morts, à cause de leurs longs jeûnes et de leurs veilles[23]. Lucien, ou plutôt un auteur inconnu antérieur à Lucien, a peint, dans le dialogue satirique Philopatris, une assemblée de ces premiers chrétiens. Critias. J’étais allé dans une des rues de la ville : j’aperçus une troupe de gens qui chuchotaient, et qui pour mieux entendre collaient leur oreille sur la bouche de celui qui parlait. Je regardais ces hommes, afin d’y découvrir quelqu’un de connaissance ; j’aperçus le politique Craton, avec qui je suis lié depuis l’enfance. Tricphon. Je ne sais qui tu veux dire : est-ce celui qui est préposé à la répartition des tributs ? Qu’arriva-t-il ? Critias. Je m’approchai de lui après avoir fendu la presse ; et l’ayant salué, j’entr’ouïs un petit vieillard tout cassé, nommé Caricène, qui commença à dire d’une voix grêle et en parlant du nez, après avoir bien toussé et craché : Celui-ci dont je viens de parler payera le reste des tributs, acquittera toutes les dettes, tant publiques que particulières, et recevra tout le monde sans s’informer de la profession. Caricène ajouta plusieurs autres futilités, également applaudies par ceux qui étaient présents, et que la nouveauté des choses rendait attentifs. Un autre frère, nommé Clévocarme, sans chapeau ni souliers, et couvert d’un manteau en loques, marmottait entre ses dents : un homme mal vêtu, venant des montagnes, et qui avait la tête rase, me le montra (...) Alors un des assistants, à l’oeil farouche, me tira par le manteau, croyant que j’étais des siens, et me persuada à la malheureuse de me trouver au rendez-vous de ces magiciens (...). Nous avions déjà passé le seuil d’airain et les portes de fer, comme dit le poète, lorsque, après avoir grimpé au haut d’un logis par un escalier tortu, nous nous trouvâmes, non dans la salle de Ménélas, toute brillante d’or et d’ivoire : aussi n’y vîmes-nous pas Hélène ; mais dans un méchant galetas j’aperçus des gens pâles, défaits, courbés contre terre. Ils n’eurent pas plus tôt jeté les regards sur moi, qu’ils m’abordèrent joyeux, me demandant si je n’apportais pas quelques mauvaises nouvelles ; ils paraissaient désirer des événements fâcheux, et, semblables aux furies, ils se gaudissaient des malheurs. Après s’être parlé à l’oreille, ils me demandèrent qui j’étais, quelle ma patrie, quels mes parents (...) Ces hommes, qui marchent dans les airs, m’interrogèrent ensuite sur la ville et sur le monde. Je leur dis : Le peuple entier est dans la jubilation, et y sera de même à l’avenir. Eux, fronçant le sourcil, me répondirent qu’il n’en irait pas ainsi, et qu’il se couvait un mal que l’on verrait bientôt éclore (...) Là-dessus, comme s’ils eussent eu cause gagnée, ils commencèrent à débiter les choses où ils se plaisent : que les affaires allaient changer de face ; que Rome serait troublée par des divisions ; que nos armées seraient défaites. Ne pouvant plus me contenir et tout enflammé de colère, je m’écriai : Ô misérables ! (...) que les maux par vous annoncés retombent sur vos têtes, puisque vous aimez si peu votre patrie. (...) Tricphon. Que répliquèrent ces hommes à tête rase, et qui ont l’esprit de même ? Critias. Ils passèrent cela doucement, et eurent recours à leurs échappatoires ordinaires ; ils prétendirent qu’ils voyaient ces choses en songe, après avoir jeûné dix soleils et dépensé les nuits à chanter leurs hymnes (...). Alors, avec un faux sourire, ils se penchèrent hors des lits chétifs sur lesquels ils se reposaient[24]. Cette assemblée, peinte par un ennemi, diffère du concile de Nicée. Les chrétiens étaient si méprisés à l’époque où fut écrite cette satire, qu’on les mettait au-dessous des juifs. C’étaient pourtant ces hommes cachés dans un galetas, ces gueux que l’on traînait au supplice aussitôt qu’ils étaient reconnus, ces coupables, non de crimes, mais de naissance, ces créatures dégradées à qui l’on ne reconnaissait pas même le droit des plus vils serfs ; c’étaient ces esclaves mis hors la loi qui devaient rendre au genre humain ses lois et ses libertés. L’embarras des chrétiens devant leurs pères païens offre une ressemblance singulière avec ce qui se passe de nos jours entre les anciennes générations et les générations nouvelles : les premières ne comprennent point et ne comprendront pas ce qui est clair et accompli pour les secondes[25]. Le christianisme, véritable liberté sous tous les rapports, paraissait aux vieux idolâtres nourris au despotisme politique et religieux une nouveauté détestable ; ce progrès de l’espèce humaine était dénoncé comme une subversion de tous les principes sociaux. Dans les maisons particulières on voit, dit Celse, des hommes grossiers et ignorants, des ouvriers en laine qui se taisent devant les vieillards et les pères de famille. Mais rencontrent-ils à l’écart quelques enfants, quelques femmes, ils les endoctrinent, ils leur disent qu’il ne faut écouter ni leurs pères ni leurs pédagogues ; que ceux-ci sont des radoteurs, incapables de connaître et de goûter la vérité. Ils excitent ainsi les enfants à secouer le joug ; ils les engagent à se rendre au gynécée, ou dans la boutique d’un foulon, ou dans celle d’un cordonnier, pour apprendre ce qui est parfait[26]. Les vertus, conséquence nécessaire du premier christianisme, faisaient haïr ceux qui les pratiquaient, parce qu’elles étaient un reproche aux vices opposés. Un mari chassait sa femme, devenue sage depuis qu’elle était devenue chrétienne ; un père désavouait un fils autrefois prodigue et volontaire, transformé par le changement de religion en enfant soumis et ordonné[27]. Les accusations portées contre les chrétiens étaient l’histoire même de leur innocence : J’en prends à témoin vos registres, disait Tertullien, vous qui jugez les criminels : y en a-t-il un seul qui soit chrétien ? L’innocence est pour nous une nécessité, l’ayant apprise de Dieu, qui est un maître accompli. On nous reproche d’être inutiles à la vie, et pourtant nous allons à vos marchés, à vos foires, à vos bains, à vos boutiques, à vos hôtelleries. Nous faisons le commerce, nous portons les armes, nous labourons[28]. Il est vrai que les trafiquants des femmes perdues, que les assassins, les empoisonneurs, les magiciens, les aruspices, les devins, les astrologues, n’ont rien à gagner avec nous[29]. On accusait les chrétiens d’être une faction, et ils répondaient : La faction des chrétiens est d’être réunis dans la même religion, dans la même morale, la même espérance. Nous formons une conjuration pour prier Dieu en commun et lire les divines Ecritures. Si quelqu’un de nous a péché, il est privé de la communion, des prières et de nos assemblées jusqu’à ce qu’il ait fait pénitence. Ces assemblées sont présidées par des vieillards dont la sagesse a mérité cet honneur. Chacun apporte quelque argent tous les mois, s’il le veut ou le peut. Ce trésor sert à nourrir et à enterrer les pauvres, à soutenir les orphelins, les naufragés, les exilés, les condamnés aux mines ou à la prison pour la cause de Dieu. Nous nous donnons le nom de frères ; nous sommes prêts à mourir les uns pour les autres. Tout est en commun entre nous, hors les femmes. Notre souper commun s’explique par son nom d’Agape, qui signifie charité[30]. La congrégation apostolique embrassait alors le monde civilisé comme une immense société secrète qui s’avançait vers son but, en dépit des proscriptions et de la folle inimitié de la terre. Dès l’âge héroïque du christianisme, on entrevoit les changements radicaux que cette religion allait apporter dans les lois : c’était la philosophie mise en pratique. En attendant l’abolition de l’esclavage par des transformations graduelles, l’émancipation du sexe féminin commençait. Les femmes parurent seules au pied de la croix ; Jésus-Christ pendant sa vie pardonna à leur faiblesse, et ne dédaigna pas leur hommage : il les affranchit dans la personne de Marie, sa divine mère. Des femmes suivaient les apôtres pour les servir, comme Madeleine et les autres Marie avaient suivi le Christ[31]. Saint-Paul salue à Rome les femmes de la maison de Narcisse. Les femmes eurent une relation immédiate avec l’Église, en vertu de l’institution des diaconesses. La diaconesse devait être chaste, sobre et fidèle. Les veuves choisies pour cette fonction ne pouvaient compter moins de soixante ans ; elles devaient avoir nourri leurs enfants, exercé l’hospitalité, lavé les pieds des voyageurs, consolé les affligés[32]. Les instructions des apôtres et des premiers Pères montrent de quelle importance étaient les femmes à la naissance même de la société chrétienne. Tertullien écrivit deux livres sur leurs ornements et l’usage de leur beauté. Rejetez le fard, les faux cheveux, les autres parures ; vous n’allez point aux temples, aux spectacles, aux fêtes des gentils. Vos raisons pour sortir sont sérieuses : visiter les frères malades, assister au saint sacrifice, écouter la parole de Dieu[33]. Secouez les délices pour ne pas être accablées des persécutions. Des mains accoutumées aux bracelets supporteraient mal le poids des chaînes ; des pieds ornés de bandelettes s’accommoderaient peu des entraves ; une tête chargée de perles et d’émeraudes ne laisserait pas de place à l’épée[34]. Les vierges ne devaient paraître à l’église que voilées jusqu’à la ceinture ; une pension leur était accordée ainsi qu’aux veuves. Dans le traité Ad Uxorem, on voit paraître la femme toute différente de la femme de l’antiquité, et telle qu’elle est aujourd’hui. C’est en même temps un tableau véritable de ce qui se passait alors dans la communauté générale et dans la famille privée des chrétiens. Tertullien invite sa femme à ne pas se remarier s’il venait à mourir, surtout à ne pas épouser un infidèle. Le christianisme, conforme à la nature et à l’ordre, condamnait la polygamie des nations orientales et le divorce admis par les Grecs et les Romains. La femme chrétienne, dit Tertullien, rendra à son mari païen les devoirs de païenne : elle aura pour lui beauté, parure, propreté mondaine, caresses honteuses. Il n’en est pas ainsi chez les saints : tout s’y passe avec retenue sous les yeux de Dieu[35]. Comment pourra-t-elle (l’épouse chrétienne) servir le ciel ayant à ses côtés un esclave du démon chargé de la retenir ? S’il faut aller à l’église, il lui donnera rendez-vous aux bains plus tôt qu’à l’ordinaire ; s’il faut jeûner, il commandera un festin pour le même jour ; s’il faut sortir, jamais les serviteurs n’auront été plus occupés[36]. Ce mari souffrira-t-il que sa femme visite de rue en rue les frères dans les réduits les plus pauvres ? souffrira-t-il qu’elle se lève d’auprès de lui, afin d’assister aux assemblées de nuit ? souffrira-t-il qu’elle découche à la solennité de Pâques ? La laissera-t-il se rendre à la table du Seigneur, si décriée parmi les païens ? Trouvera-t-il bon qu’elle se glisse dans les prisons, pour baiser la chaîne des martyrs, pour laver les pieds des saints, pour offrir avec empressement aux confesseurs la nourriture ?[37] S’il vient un frère étranger, comment sera-t-il logé ? dans une maison étrangère ? S’il faut donner quelque chose, le grenier, la cave, tout sera fermé. Quand le mari païen consentirait à tout, c’est un mal d’être obligé de lui faire confidence des pratiques de la vie chrétienne. Vous cacherez-vous de lui en faisant le signe de la croix sur votre lit, sur votre corps, en soufflant pour chasser quelque chose d’immonde ? Ne croira-t-il pas que c’est une opération magique ? Ne saura-t-il point ce que vous prenez en secret, avant toute nourriture ? Et s’il sait que c’est du pain, ne supposera-t-il pas qu’il est tel qu’on le dit ?[38] Que chantera dans un festin la femme chrétienne avec son mari païen ? Elle entendra des hymnes de théâtre : il n’y aura ni mention de Dieu[39], ni invocation de Jésus-Christ, ni lecture des Ecritures, ni salutation divine. L’Église dresse le contrat du mariage chrétien, l’oblation le confirme, la bénédiction en devient le sceau, les anges le rapportent au Père céleste, qui le ratifie. Deux fidèles portent le même joug : ils ne sont qu’une chair, qu’un esprit ; ils prient ensemble ; ils jeûnent ensemble ; ils sont ensemble à l’église et à la table de Dieu, dans la persécution et dans la paix[40]. Les femmes chrétiennes devinrent des missionnaires à leurs foyers, des intelligences du ciel au sein des familles païennes. Vous venez de voir qu’elles étaient chargées de soigner les malades et les pauvres : c’était surtout dans les temps de persécution qu’elles prodiguaient les trésors du zèle. Elles se glissaient dans les prisons, portaient les messages, distribuaient l’argent, pansaient les plaies des torturés, et mouraient elles-mêmes avec un héroïsme au-dessus de tout ce qu’on raconte des femmes de Sparte et de Rome. Dans leurs vertus, et jusque dans leurs faiblesses, était un charme pour adoucir les persécuteurs : la nourrice de Caracalla et la maîtresse de Commode étaient chrétiennes. Plus tard, dans l’âge philosophique du christianisme, les femmes, mères, épouses et filles d’empereur, étendirent la puissance évangélique, tandis que d’autres femmes, emmenées en esclavage par les barbares, convertissaient des nations entières : ainsi vous l’ai-je dit à propos des Ibériens. Vous avez également appris comment les Hélène et les Eudoxie renversèrent des temples et élevèrent des églises. Plus tard encore, les vierges unies à Dieu dans les monastères se signalèrent par tous les genres de sacrifices et de dévouement. Saint Jérôme nous a fait connaître Marcelle, Aselle sa soeur, et leur mère Albine ; Principia, fille de Marcelle ; Paule, amie de Marcelle ; Pauline, Eustochie, Léa, Fabiole, qui vendit son patrimoine pour fonder le premier hôpital que Rome ait opposé aux monuments de sang et de prostitution : dans cette maison de miséricorde les descendantes des consuls servaient les pauvres et les étrangers, avant de venir mourir pauvres et étrangères dans la grotte de Bethléem. Accomplissement des choses ! les femmes qui adorèrent les premières au fond des catacombes remplissent les dernières ces églises où elles amenèrent les pères, ou elles ne peuvent retenir les fils. Elles pleurèrent au pied du Calvaire qui vit expirer la grande victime ; elles pleurent encore au pied de ce Calvaire, mais celui qu’elles mirent au tombeau est remonté au ciel : il n’y a plus rien sur la croix, rien au saint sépulcre. L’émancipation de la femme n’est pas encore totalement achevée surtout en ce qui regarde l’oppression des lois : elle le sera dans la rénovation chrétienne qui commence. L’ère des martyrs offre un spectacle extraordinaire : chez un même peuple des hommes et des femmes couraient aux jeux publics dans l’éclat du luxe et de l’enivrement des plaisirs ; et d’autres hommes et d’autres femmes, consacrés à tous les devoirs, faisaient en répandant leur sang partie essentielle de ces jeux. L’âge héroïque du paganisme eut ses hercules guerriers ; l’âge héroïque du christianisme enfanta ses hercules pacifiques, qui domptèrent une autre espèce de monstres, les vices, les passions, les erreurs : héros dont la victoire était non de tuer, mais de mourir. De tous les grands fondateurs de religion, Jésus est le seul qui n’ait point été puissant par la naissance, les armes, la politique, la poésie ou la philosophie ; il n’avait ni sceptre, ni épée, ni plume, ni lyre ; il fut pauvre, ignoré, calomnié et le premier martyr de son culte. Ses apôtres souffrirent après lui ; leur supplice forma la chaîne qui unit la passion aux passions particulières renouvelées pendant quatre siècles. L’hostie spirituelle était venue remplacer l’hostie matérielle ; mais l’effusion du sang chrétien (qui était le sang même du Christ) ne se dut arrêter que quand l’holocauste païen disparut. Cela explique, d’après les fondements de la foi, la longueur des persécutions. Il y eut des victimes chrétiennes à l’amphithéâtre tant qu’il y eut des victimes païennes dans les temples ; l’immolation des premières continua en proportion de celle des secondes : Constantin et ses fils abolirent le sacrifice, et le martyre cessa ; Julien rétablit le sacrifice et le martyre recommença. Rendus habiles par le malheur, les chrétiens avaient perfectionné l’art de secourir : point de ruses que la charité n’inventât pour pénétrer dans les cachots, pour corrompre les geôliers, c’est-à-dire pour les faire chrétiens et les conduire avec leurs prisonniers à la mort. L’histoire du philosophe Pérégrin, qui se brûla à son de trompe et à jour marqué, nous a transmis une preuve inattendue de l’activité évangélique. Pérégrin, en voyageant, s’était donné comme néophyte ; arrêté en Palestine, les chrétiens se hâtèrent de l’environner. Dès le matin des femmes, des veuves, des enfants, assiégeaient la prison ; la nuit, quelque prêtre s’introduisait à prix d’argent auprès du philosophe. De toutes les cités de l’Asie affluaient des frères qui, par ordre de la communauté, venaient encourager le prisonnier. " C’est une chose inouïe, dit Lucien, que l’empressement de ces hommes : quand quelques-uns d’entre eux sont tombés dans le malheur, ils n’épargnent rien. Ces misérables se figurent qu’ils vivront après leur vie. Ils méprisent la mort, et plusieurs s’abandonnent volontairement aux supplices[41]. Dix batailles générales, les dix grandes persécutions, furent livrées, sans compter une multitude d’actions particulières : les femmes brillèrent dans ces combats. Symphorien était conduit au martyre à Autun, dans les Gaules ; sa mère lui criait du haut des murailles de la ville : Mon fils, mon fils, Symphorien, élève ton coeur en haut ; on ne te ravit pas la vie, on te la change pour une vie meilleure[42]. Blandine, esclave, fut la dernière couronnée parmi les confesseurs de Lyon : elle subit les fouets, les bêtes, la chaise de fer embrasée : elle allait à la mort comme au lit nuptial, comme au festin des noces[43]. Il y avait en Égypte une autre esclave d’une rare beauté, nommée Potamienne ; son maître, devenu amoureux d’elle, voulut d’abord la séduire, et ensuite la ravir de force : repoussé par la vertueuse fille, il la livra au préfet Aquila, comme chrétienne. Le préfet invita Potamienne à céder aux désirs de son maître ; sur son refus, il la condamna à être plongée dans une chaudière de poix bouillante, et la menaça de la faire violer par les gladiateurs. Potamienne dit : Par la vie de l’empereur, je vous supplie de ne pas me dépouiller et de ne pas m’exposer nue. Que l’on me descende peu à peu dans la chaudière avec mes habits. Cette grâce lui fut accordée, et Marcelle, sa mère, subit le supplice du feu[44]. La dérision qui se mêlait à la cruauté débauchée n’ôtait rien à la gravité du malheur. Les sept vierges d’Ancyre, abandonnées à l’insolence de quelques jeunes hommes avant d’être noyées, ont effacé par un seul mot ce qui se pouvait attacher d’étrange à l’infortune de leur vieillesse. La plus âgée ôta son voile, et montrant sa tête chenue au jeune homme : Tu as peut-être une mère blanchie comme moi. Laisse-nous nos larmes, et prends pour toi l’espérance[45]. Félicité, matrone romaine d’un rang illustre, fut jugée à mort avec ses sept fils, qu’elle encouragea à confesser hardiment. Symphorose, de Tibur, avait également sept fils. Adrien l’appela devant lui, et l’exhorta à sacrifier ; elle répondit : Getulius, mon mari, et son frère Amantius, étaient vos tribuns, et ils ont préféré la mort à vos idoles. Symphorose, pendue par les cheveux, fut précipitée dans ces cascades qui avaient baigné les courtisanes et rafraîchi le vin d’Horace. Les sept fils suivirent leur mère[46]. Un des quarante martyrs de Sébaste avait résisté à la double épreuve de la glace et du feu : les bourreaux, l’oubliant à dessein et le laissant sur la place, espéraient qu’il abjurerait : sa mère le mit de ses propres mains dans le tombereau : Va, dit-elle, mon fils ! achève ton heureux voyage avec tes compagnons, afin que tu ne te présentes pas à Dieu le dernier[47]. Il n’est rien de plus célèbre dans les Actes sincères que le martyre de Perpétue et de Félicité à Carthage. Perpétue, femme noble, était âgée de vingt-deux ans ; son père et sa mère vivaient ; elle avait deux frères ; elle était mariée, et nourrissait un enfant : Félicité était esclave et enceinte. Le père de Perpétue, païen zélé, engageait sa fille à sacrifier. Après avoir été quelques jours sans voir mon père (c’est Perpétue qui écrit elle-même la relation du commencement de son martyre), j’en rendis grâces au Seigneur, et son absence me soulagea. Ce fut dans ce peu de jours que nous fumes baptisés : je ne demandai, au sortir de l’eau, que la patience dans les peines corporelles. Peu de jours après, on nous mit en prison ; j’en fus effrayée, car je n’avais jamais vu de telles ténèbres. La rude journée (O diem asperum !) ! Un grand chaud à cause de la foule. Les soldats nous poussaient. Enfin, je mourais d’inquiétude pour mon enfant. Alors les bienheureux diacres, Tertius et Pompone, qui nous assistaient, obtinrent, pour de l’argent, que nous pussions sortir et passer quelques heures en un lieu plus commode dans la prison. Nous sortîmes ; chacun pensait à soi : je donnais à téter à mon enfant[48], je le recommandais à ma mère ; je fortifiais mon frère ; je séchais de douleur de voir celle que je leur causais : je passai plusieurs jours dans ces angoisses (...). Le bruit se répandit que nous devions être interrogés. Mon père vint de la ville à la prison, accablé de tristesse ; il me disait : Ma fille, prends pitié de mes cheveux blancs ! aie pitié de moi ![49] Si je suis digne que tu m’appelles ton père, si je t’ai moi-même élevée jusqu’à cet âge, si je t’ai préférée à tes frères, ne me rends pas l’opprobre des hommes ! Regarde ta mère, regarde ton fils, qui ne pourra vivre après toi : quitte cette fierté, de peur de nous perdre tous, car aucun de nous n’osera plus parler s’il t’arrive quelque malheur. Mon père s’exprimait ainsi par tendresse, me baisant les mains, se jetant à mes pieds, pleurant, ne me nommant plus sa fille, mais sa dame. Je le plaignais, voyant que de toute ma famille il serait le seul à ne se pas réjouir de notre martyre. Je lui dis pour le consoler : Sur l’échafaud, il arrivera ce qu’il plaira à Dieu : car sachez que nous ne sommes point en notre puissance, mais en la sienne. Il se retira contristé. Le lendemain, comme nous dînions, on vint nous chercher pour être interrogés. Le bruit s’en répandit aussitôt dans les quartiers voisins ; il s’amassa un peuple infini. Nous montâmes au tribunal (...). Le procureur Hilarien me dit : Epargne la vieillesse de ton père, épargne l’enfance de ton fils ; sacrifie pour la prospérité des empereurs. — Je n’en ferai rien, répondis-je. — Es-tu chrétienne ? me dit-il. Et je répliquai : Je suis chrétienne[50]. Comme mon père s’efforçait de me tirer du tribunal, Hilarien commanda qu’on l’en chassât, et il reçut un coup de baguette ; je le sentis comme si j’eusse été frappée moi-même, tant je souffris de voir mon père maltraité dans sa vieillesse ! Alors Hilarien prononça notre sentence, et nous condamna tous à être exposés aux bêtes. Nous retournâmes joyeux à la prison. Comme mon enfant avait été accoutumé de me téter et de demeurer avec moi ; j’envoyai aussitôt le diacre Pompone pour le demander à mon père : mais il ne le voulut pas donner, et Dieu permit que l’enfant ne demandât plus la mamelle et que mon lait ne m’incommodât plus. La relation de Perpétue finit à la troisième des visions qu’elle eut dans son cachot. Félicité était grosse de huit mois, et voyant le jour du spectacle si proche, elle était fort affligée, craignant que son martyre ne fût différé, parce qu’il n’était pas permis d’exécuter les femmes grosses avant leur terme. Les compagnons de son sacrifice étaient sensiblement tristes de leur côté, de la laisser seule dans le chemin de leur commune espérance. Ils se joignirent donc tous ensemble à prier et à gémir pour elle, trois jours avant le spectacle. Aussitôt après leur prière les douleurs la prirent : et comme l’accouchement est naturellement plus difficile dans le huitième mois, son travail fut rude, et elle se plaignait. Un des guichetiers lui dit : Tu te plains, que feras-tu quand tu seras exposée aux bêtes[51] ? Elle accoucha d’une fille, qu’une femme chrétienne éleva comme son enfant. (...) Les frères et les autres eurent la permission d’entrer dans la prison et de se rafraîchir avec eux. Le concierge de la prison était déjà converti. Le jour de devant le combat on leur donna, suivant la coutume, le dernier repas que l’on appelait le souper libre, et qui se faisait en public, mais les martyrs le convertirent en une agape. Ils parlaient au peuple avec leur fermeté ordinaire (...) Remarquez bien nos visages, disaient-ils, afin de nous reconnaître au jour du jugement. Celui du combat étant venu, les martyrs sortirent de la prison pour l’amphithéâtre comme pour le ciel, gais, plutôt émus de joie que de crainte. Perpétue suivait d’un visage serein et d’un pas tranquille, comme une personne chérie de Jésus-Christ, baissant les yeux pour en dérober aux spectateurs la vivacité[52]. Félicité était ravie de se bien porter de sa couche, pour combattre les bêtes. Etant arrivés à la porte, on les voulut obliger, suivant la coutume, à prendre les ornements de ceux qui paraissaient à ce spectacle. C’était pour les hommes un manteau rouge, habit des prêtres de Saturne ; pour les femmes une bandelette autour de la tête, symbole des prêtresses de Cérès. Les martyrs refusèrent ces livrées de l’idolâtrie (...). Perpétue et Félicité furent dépouillées et mises dans des filets pour être exposées à une vache furieuse. Le peuple en eut horreur, voyant l’une si délicate et l’autre qui venait d’accoucher : on les retira, et on les couvrit d’habits flottants. Perpétue fut secouée la première et tomba sur le dos : elle se mit en son séant, et voyant son habit déchiré par le côté, elle le retira pour se couvrir la cuisse, plus attentive à la pudeur qu’à la souffrance. Elle renoua ses cheveux épars, pour ne pas paraître en deuil, et voyant Félicité toute froissée, elle lui donna la main afin de l’aider à se relever. Elles allèrent ainsi vers la porte Sana-Vivaria, où Perpétue fut reçue par un catéchumène nommé Rustique. Alors elle s’éveilla comme d’un profond sommeil, et commença à regarder autour d’elle, en disant : Je ne sais quand on nous exposera à cette vache. On lui dit ce qui s’était passé : elle ne le crut que lorsqu’elle vit sur son corps et sur son habit des marques de ce qu’elle avait souffert[53]. Elle fit appeler son frère, et s’adressant à lui et à Rustique, elle leur dit : Demeurez fermes dans la foi ; aimez-vous les uns les autres, et ne soyez point scandalisés de nos souffrances. (...) Le peuple demanda qu’on les ramenât au milieu de l’amphithéâtre. Les martyrs y allèrent d’eux-mêmes, après s’être donné le baiser de paix. Félicité tomba en partage à un gladiateur maladroit qui la piqua entre les os, et la fit crier ; car ces exécutions des bestiaires demi-morts étaient l’apprentissage des nouveaux gladiateurs. Perpétue conduisit elle-même à sa gorge la main errante du confecteur[54]. Dans cette même Carthage, qui rappelait tant d’autres souvenirs, Cyprien remporta la palme due à son éloquence et à sa foi ; ce premier Fénelon eut la tête tranchée : il se banda lui-même les yeux ; Julien, prêtre, et Julien, diacre, lui lièrent les mains ; ses néophytes étendirent des linges pour recevoir son sang. Longtemps avant lui, Polycarpe, qui gouvernait l’église de Smyrne depuis soixante-dix ans, et qui avait été placé par l’apôtre Jean, fit, d’après l’ordre du consul, son entrée sur un âne dans sa ville épiscopale, comme le Christ dans Jérusalem. Le peuple criait : C’est le docteur de l’Asie, le père des chrétiens, le destructeur de nos dieux, qu’on lâche un lion contre Polycarpe ! Cela ne se put, parce que les combats des bêtes étaient achevés. Alors le peuple cria tout d’une voix : Que Polycarpe soit brûlé vif ! Le bûcher préparé, Polycarpe ôta sa ceinture et se dépouilla de ses habits. On le voulait clouer au bûcher comme son maître à la croix ; il déclara que cette précaution était inutile, et qu’il demeurerait ferme ; il fut donc simplement attaché : il ressemblait à un bélier choisi dans le troupeau comme un holocauste agréable et accepté de Dieu. Le vieillard regarda le ciel, et dit : Dieu de toutes les créatures, je te rends grâces ! Je prends part au calice de la passion de ton Christ pour ressusciter à la vie éternelle. Je te bénis, je te glorifie par le pontife Jésus-Christ, ton fils bien aimé à qui gloire soit rendue, à toi et à l’Esprit saint, dans les siècles à venir ! Amen[55]. Quand il eut dit, le feu fut mis au bûcher ; les flammes se déployèrent autour de la tête du martyr comme une voile de vaisseau enflée par le vent[56]. Ses actes portent qu’il ressemblait à de l’or ou de l’argent éprouvé au creuset[57], et qu’il exhalait une odeur d’encens ou d’un parfum vital[58]. Le confecteur chargé d’achever les bêtes blessées perça Polycarpe ; il sortit tant de sang des veines du vieillard qu’il éteignit le feu[59]. Pothin, évêque de Lyon, âgé de plus de quatre-vingt-dix ans, faible et infirme, fut battu, foulé aux pieds, traîné dans l’arène et rejeté dans la prison, où il rendit l’esprit. Ses compagnons de souffrance semblaient, au milieu des supplices, se guérir d’une plaie par une plaie nouvelle ; les exécuteurs en les tourmentant avaient moins l’air de bourreaux qui font des blessures que de médecins qui les pansent, tant ces confesseurs étaient joyeux. Plusieurs d’entre eux, du fond des cachots où on les replongea avant de leur donner le coup de la mort, écrivirent en grec le récit de leur martyre. La lettre portait cette suscription : Les serviteurs de Jésus-Christ, qui demeurent à Vienne et à Lyon, en Gaule, aux frères d’Asie et de Phrygie qui ont la même foi et la même espérance dans la rédemption : paix, grâce et gloire de la part de Dieu le Père, et de Jésus-Christ notre Seigneur[60]. Je ne vous parlerai point du martyre de séduction employé après l’inutilité des menaces et des douleurs : dignités, honneurs, fortune, voluptés même essayées par de belles femmes, furent sans succès comme les lions et le feu. Il y a de la puissance dans le sang : ces générations de l’âge héroïque chrétien, qui subjuguèrent les classes industrielles, enfantèrent les générations de l’âge philosophique chrétien, qui conquirent à leur tour les hommes de l’intelligence. Cet âge philosophique n’est pas séparé brusquement de l’âge héroïque ; il prend naissance dans celui-ci ; ses premiers génies enseignent et meurent sur l’échafaud, mais leur doctrine règne et triomphe dans leurs successeurs, quand l’heure des confesseurs est passée. Le christianisme philosophique ne détruisit pas non plus le christianisme héroïque, mais les sacrifices s’accomplirent d’une autre façon dans les combats contre les hérésiarques ou sous le fer des barbares. Deuxième partie : suite des moeurs des chrétiens. Age philosophique. HérésiesDans ce second âge du christianisme, la grandeur des moeurs publiques et la sublimité intellectuelle remplacent la vertu des moeurs privées et la beauté morale évangélique. Ce n’est plus l’Église militante, esclave, démocratique dans les cachots et dans le sang ; c’est l’Église triomphante, libre, royale, à la tribune et sur la pourpre. Les docteurs succèdent aux martyrs : ceux-ci n’avaient eu que leur foi, ceux-là ont leur foi et leur génie. La partie choisie du monde païen, qui n’avait cédé ni à la simplicité apostolique ni à l’autorité des bûchers, écoute, s’étonne, et bientôt se rend en retrouvant dans la bouche des Pères les systèmes des sages plus clairement et plus éloquemment expliqués. Les hautes écoles chrétiennes ressemblaient aux écoles philosophiques ; les chaires comptaient une suite non interrompue de professeurs comme à Athènes. Rodon hérite de Tatien, et Maxime, successeur de Rodon, examine la question de l’origine du mal et de l’éternité de la matière[61]. Clément d’Alexandrie, qui remplace Panthenus, s’était nourri des ouvrages de Platon ; il cite, dans ses Stromates, les maîtres sous lesquels il avait étudié : un en Grèce, un en Italie, deux en Orient : Mon maître en Palestine, dit-il, était une abeille, qui, suçant les fleurs de la prairie apostolique et prophétique, déposait dans l’esprit de ses auditeurs un doux et immortel trésor. Dans son traité Du vrai Gnostique (celui qui connaît), Clément fait le portrait du sage même des philosophes : Le gnostique n’est plus sujet aux passions ; rien dans cette vie n’est fâcheux pour lui : il a reçu la lumière inaccessible ; il ne fait pas sortir son corps volontairement de la vie, parce que Dieu le lui défend, mais il retire son âme des passions[62]. Le gnostique use de toutes les connaissances humaines[63]. C’est faiblesse de craindre la philosophie des païens ; la foi qu’elle ébranlerait serait bien fragile[64]. Le gnostique se sert de la musique pour régler les moeurs ; il vit libre, ou, s’il est marié et s’il a des enfants, il regarde sa femme comme sa soeur, puisque sa femme ne sera plus pour lui qu’une soeur quand elle sera dans le ciel. Les sacrifices agréables à Dieu sont les vertus et l’humilité avec la science. La renommée d’Origène était répandue dans tout le monde romain, et les polythéistes mêmes admiraient le docteur chrétien. Etant un jour entré dans l’école de Plotin, au moment où celui-ci faisait sa leçon, Plotin rougit, interrompit son discours, et ne le continua qu’à la sollicitation de son illustre auditeur, dont il fit un pompeux éloge en reprenant la parole[65]. Plotin, fondateur du néoplatonisme, n’en était pas l’inventeur ; c’était Ammonius Saccas qui avait enseigné mystérieusement sa doctrine à Plotin et à Origène. Origène trahit le secret. Ces Pères de l’Église, la plupart sortis des écoles philosophiques et nés de familles païennes, furent non seulement des professeurs éloquents, mais encore des hommes politiques : alors brillèrent ces évêques qui bravaient la puissance des empereurs et la brutalité des rois barbares. Athanase livre ses combats contre les ariens : cité au concile de Tyr, déposé à celui de Jérusalem, il est exilé à Trêves par Constantin. Il revient ; les peuples accourent sur son passage ; il rentre en triomphe dans sa ville épiscopale. Quatre-vingt-dix évêques ariens, ayant à leur tête Eusèbe de Nicomédie, le condamnent de nouveau à Antioche : cent évêques orthodoxes le déclarent innocent dans Alexandrie : le pape Jules confirme cette sentence à Rome. Le prélat remonte sur son siège ; il en est chassé par ordre de Constance, qui met à exécution les décrets ariens des conciles d’Arles et de Milan. Athanase célébrait une fête solennelle dans l’église de Saint-Théon à Alexandrie ; comme il chantait le psaume du triomphe d’Israël sur Pharaon, le peuple répétant à la fin de chaque verset : La miséricorde du Seigneur est éternelle, des soldats enfoncent les portes : le peuple fuit, Athanase reste à l’autel entouré des prêtres et des moines qui le dérobent à la perquisition des soldats. Il se réfugie dans les lieux écartés de l’Égypte ; les religieux qui lui donnent asile sont inquiétés : ce génie enthousiaste s’enfonce plus avant dans la solitude, comme un glaive ardent dans le fourreau. Un serviteur qui lui reste va chaque jour, au péril de sa vie, chercher la nourriture de son maître. Que fait Athanase parmi les sables ? Il écrit. Les sépulcres des princes de Tanis, les puits où dorment les momies des persécuteurs de Moïse, sont les bibliothèques de ce seul vivant, c’est là qu’il trace les pages qui du fond du désert remuent les passions du monde. A la mort de Constance, Athanase reparaît au milieu de son peuple. Julien le force à rentrer dans la Thébaïde ; il revient quand Julien est passé. Valens le proscrit, et il se cache au tombeau de son père. Enfin il émerge une dernière fois de l’ombre, et, torrent calmé, achève paisiblement sa course. Sur les quarante-six années de l’épiscopat d’Athanase, vingt s’étaient écoulées dans l’exil. Grégoire de Nazianze, nommé évêque orthodoxe de Constantinople, dont il ne fut d’abord que le missionnaire, eut à soutenir les outrages des ariens : Théodose, qui l’avait intronisé à main armée, l’abandonna. Grégoire, obligé de s’arracher à l’église de sa création et de son amour, lui fit ces adieux pathétiques qui ont retenti jusqu’à nous. Il passa la fin de ses jours dans sa retraite de Cappadoce, chantant, car il était poète, l’inconstance des amitiés humaines, la fidélité du commerce de Dieu et la beauté qui fait oublier toutes les autres, celle de la vertu. Basile, archevêque de Césarée, mérita le surnom de Grand. Il donna des règles en Orient à la vie cénobitique. On a de lui plus de trois cent cinquante lettres, des homélies et un panégyrique des quarante martyrs. Ces ouvrages nous apprennent une infinité de choses ; ils sont écrits d’un grand style : saint Basile est peut-être, avec saint Ephrem, un des Pères qui s’éloignent le plus du génie antique et se rapprochent le plus du génie moderne. Il excelle dans les descriptions de la nature. Je ne citerai point, parce qu’elle est trop connue, sa lettre à Grégoire de Nazianze sur la solitude que lui, Basile, avait choisie dans le Pont[66] ; ses neuf homélies sur l’Hexaméron, ou l’oeuvre de six jours, sont une espèce de cours d’histoire naturelle ; il les prêchait pendant le jeûne du carême, le matin et le soir, et lorsqu’il reprenait la parole, il renvoyait ses auditeurs à ce qu’il avait dit la veille. La physique de l’Hexaméron n’est pas bonne, mais les détails en sont charmants. L’orateur s’applique à faire sortir de l’histoire des plantes et des animaux les instructions de la morale. Un jour, parlant des reptiles et des quadrupèdes, il passait sous silence les oiseaux[67] ; aussitôt la rustique assemblée de lui indiquer son oubli par des signes. Le naturaliste chrétien, naïvement interrompu, reconnaît son tort ; il change de sujet et décrit l’instinct des oiseaux avec un bonheur extraordinaire ; il tire même un enseignement religieux d’une erreur : selon lui il est des oiseaux chastes qui se reproduisent sans s’unir : de là la virginité de Marie[68]. Valens voulut contraindre Basile à embrasser l’arianisme : il lui envoya Modeste, préfet d’Orient, avec l’ordre de l’effrayer par des menaces. Modeste s’étonna de la fermeté de Basile. Apparemment, lui dit le saint, que vous n’avez jamais rencontré d’évêque. Après sa mort, Basile fut en si grande renommée, qu’on cherchait à l’imiter jusque dans ses défauts : on affectait sa pâleur, sa barbe, sa démarche, sa lenteur à parler, car il était pensif et recueilli. On s’habillait comme lui, on se couchait comme lui ; on se nourrissait de choses dont il aimait à se nourrir. Cet évêque universel a fondé les premiers hôpitaux de l’Asie. Flavien et Jean Chrysostome furent encore plus mêlés que Basile à la politique. Dans la sédition d’Antioche, Chrysostome, alors simple prêtre, sema des consolations par ses discours, et Flavien, malgré son grand âge, se rendit à Constantinople. Arrivé au palais de l’empereur, introduit dans ses appartements, il se tint debout sans parler, baissant la tête, se cachant le visage comme s’il eût été seul coupable du crime de son peuple. Théodose s’approcha de lui, et lui reprocha l’ingratitude des Antiochiens. Alors l’évêque, fondant en larmes : Vous pouvez en cette occasion orner votre tête d’un diadème plus brillant que celui que vous portez. On a renversé vos statues, élevez-en de plus précieuses dans le coeur de vos sujets. Quelle gloire pour vous quand un jour on dira : Une grande ville était coupable ; gouverneurs et juges épouvantés n’osaient ouvrir la bouche ; un vieillard s’est montré, il a touché le prince ! Je ne viens pas seulement de la part du peuple, je viens de la part de Dieu vous déclarer que si vous remettez aux hommes leurs fautes, votre père céleste vous remettra vos péchés. D’autres vous apportent de l’or, de l’argent, des présents ; moi je ne vous offre que les saintes lois, vous exhortant à imiter notre maître ; ce maître nous comble de ses biens, quoique nous l’offensions tous les jours. Ne trompez pas mes espérances ; si vous pardonnez à notre ville, j’y retournerai plein de joie, si vous la condamnez, je n’y rentrerai jamais. En entendant ce discours, Théodose s’écria : Serions-nous implacables envers les hommes, nous qui ne sommes que des hommes, lorsque le maître des hommes a prié sur la croix pour ses bourreaux ?[69] Le christianisme était à la fois un principe et un modèle : on ne saurait croire combien cet exemple du pardon du Christ, incessamment rappelé pendant les siècles de barbarie et de despotisme, a été salutaire à l’humanité. Saint Chrysostome avait pratiqué quatre ans la vie ascétique sur les montagnes ; il passa deux années entières dans une caverne sans se coucher et presque sans dormir : il avait fui, parce qu’on avait songé à le faire évêque. Si dans l’âge héroïque chrétien, quand il s’agissait d’être le premier martyr, ce n’était pas un léger fardeau que l’épiscopat, ce fardeau n’était pas moins pesant dans l’âge philosophique du christianisme : il fallait avoir le talent de la parole, la science de l’homme de lettres, l’habileté de l’homme d’État, la fermeté de l’homme de bien. Plus tard, lors de l’invasion des barbares, toutes les tribulations des temps tombaient à la charge des prélats, Jean Bouche d’Or, devenu évêque de Constantinople, corrigea le clergé, gouverna par ses conseils les églises de la Thrace et de l’Asie, et résista aux entreprises du Goth Gaïnas. Quelquefois il était obligé de quitter l’autel, ayant l’esprit trop agité pour offrir le sacrifice. On conspira contre lui ; on l’accusa d’orgueil, d’injustice, de violence, d’amour des femmes : afin de se justifier de cette dernière faiblesse, il offrit d’exposer l’état où l’avaient réduit les austérités de sa jeunesse. Condamné au concile du Chênes, chassé de Constantinople et bientôt rappelé, il osa braver Eudoxie, qui jura sa mort. Ce fut alors qu’il prononça le fameux discours où il disait : Hérodiade est encore furieuse, elle danse encore, elle demande encore la tête de Jean. Précipité, comme Démosthène, de la tribune dont il était la gloire, enlevé de l’autel où il avait donné un asile à Eutrope, Chrysostome reçoit l’ordre de quitter Constantinople. Il dit aux évêques, ses amis : Venez, prions ; prenons congé de l’ange de cette église. Il dit aux diaconesses : Ma fin approche ; vous ne reverrez plus mon visage. Il descendit par une route secrète aux rives du Bosphore pour éviter la foule, s’embarqua et passa en Bithynie. Exilé à Cucuse, les peuples, les moines, les vierges, accouraient à lui, tous s’écriaient : Mieux vaudrait que le soleil perdit ses rayons que Bouche d’Or ses paroles. Tout banni qu’il était, les ennemis de Chrysostome le redoutaient encore, et sollicitèrent pour lui un exil plus lointain. Il fut enjoint au confesseur de se transporter à Pytionte, sur le bord du Pont-Euxin. Le voyage dura trois mois : les deux soldats qui conduisaient Chrysostome le contraignaient de marcher sous la pluie ou à l’ardeur du soleil, parce qu’il était chauve. Quand ils eurent passé Comane, ils s’arrêtèrent dans une église dédiée à saint Basilisque, martyr. Le saint se trouva mal ; il changea d’habits, se vêtit de blanc, communia (il était à jeun), distribua aux assistants ce qui lui restait, prononça ces mots qu’il avait ordinairement à la bouche : Dieu soit loué de tout ; puis, allongeant les pieds, il dit le dernier amen[70]. Rien de plus complet et de plus rempli que la vie des prélats du IVe et du Ve siècle. Un évêque baptisait, confessait, prêchait, ordonnait des pénitences privées ou publiques, lançait des anathèmes ou levait des excommunications, visitait les malades, assistait les mourants, enterrait les morts, rachetait les captifs, nourrissait les pauvres, les veuves, les orphelins, fondait des hospices et des maladreries, administrait les biens de son clergé, prononçait comme juge de paix dans des causes particulières, ou arbitrait des différends entre des villes ; il publiait en même temps des traités de morale, de discipline et de théologie, écrivait contre les hérésiarques et contre les philosophes, s’occupait de science et d’histoire, dictait des lettres pour les personnes qui le consultaient dans l’une et l’autre religion, correspondait avec les églises et les évêques, les moines et les ermites, siégeait à des conciles et à des synodes, était appelé aux conseils des empereurs, chargé de négociations, envoyé à des usurpateurs ou à des princes barbares pour les désarmer ou les contenir : les trois pouvoirs religieux, politique et philosophique, s’étaient concentrés dans l’évêque. Saint Ambroise va en ambassade auprès de Maxime, fait sortir Théodose du sanctuaire, réclame les cendres de Gratien, ne peut sauver Valentinien II, et refuse de communiquer avec Eugène. Au milieu de ces grandes occupations, il compose tous ces ouvrages qui nous restent, introduit la musique dans les églises d’Occident, et laisse des chants si renommés que dans les siècles suivants le mot hymne et le mot ambrosianum devinrent synonymes. Les travaux de saint Augustin ne sont point surpassés par ceux de saint Ambroise. Quatre-vingt-treize ouvrages en deux cent trente-deux livres, sans compter ses lettres, attestent la fécondité et la variété du génie du fils de Monique. Si je pouvais, dit-il dans une lettre à Marcellin, vous rendre compte de mon temps et des ouvrages auxquels j’ai été obligé de mettre la main, vous seriez surpris et affligé de la quantité d’affaires qui m’accablent. (...) Quand j’ai un peu de relâche de la part de ceux qui ont recours à moi, je ne manque pas d’autre travail ; j’ai toujours quelque chose à dicter qui me détourne de suivre ce qui serait plus de mon goût dans les courts intervalles de repos que m’accordent les besoins et les passions des autres[71]. Augustin écrit contre les donatistes ; ceux-ci veulent le tuer : il intercède pour eux ; il a un démêlé avec saint Jérôme ; il s’occupe d’arbitrage ; il reçoit les fugitifs après le sac de Rome. Son amitié et ses liaisons avec le comte Boniface sont célèbres : la lettre qu’il écrivit à cet homme offensé, pour le rappeler à l’amour de la patrie, lui fait grand honneur. Jugez vous-même : si l’empire romain vous a fait du bien, ne lui rendez pas le mal pour le bien ; si l’on vous a fait du mal, ne rendez pas le mal pour le mal. Augustin était propre, mais simple dans ses vêtements. Il faut, disait-il, que mes habits soient tels que je les puisse donner à mes frères s’ils n’en ont point ; il faut qu’ils conviennent par leur modestie à ma profession, à un corps cassé de vieillesse et à mes cheveux blancs[72]. Il était chaussé, et disait à ceux qui allaient pieds nus : J’aime votre courage ; souffrez ma faiblesse. Aucune femme n’entrait dans sa maison, pas même sa soeur ; s’il était absolument obligé de communiquer avec des femmes, il ne leur parlait qu’en présence d’un prêtre : il se souvenait de sa chute. Il mourut dans Hippone assiégée, sans faire de testament, car dans son extrême pauvreté il n’avait rien à laisser à personne. Saint Jérôme est une autre grande figure de ces temps, mais d’une tout autre nature : orageux, passionné, solitaire, regrettant le monde dans le désert, le désert dans le monde ; voyageur qui cherche partout un abri et qui se surcharge de travaux comme il se couvre de sable, pour étouffer ce qu’il ne saurait étouffer ; matelot naufragé, pèlerin sauvage et nu qui apporte ses douleurs aux lieux des douleurs du Fils de l’Homme, et qui, courbé sous le poids des jours, peut à peine rester au pied de la croix. Augustin et Jérôme appartiennent aux temps modernes ; on reconnaît en eux un ordre d’idées, une manière de sentir, ignorés de l’antiquité. Le christianisme a fait vibrer dans ces coeurs une corde jusque alors muette ; il a créé des hommes de rêverie, de tristesse, de dégoût, d’inquiétude, de passion, qui n’ont de refuge que dans l’éternité. Le clergé régulier formait une partie considérable de l’organisation chrétienne : dans le monde civilisé romain, les moines étaient des hommes de la nature, comme ils furent des hommes de la civilisation dans le monde barbare. On distinguait trois sortes de religieux : les reclus enfermés dans leurs cellules, les anachorètes dispersés dans les déserts, les cénobites qui vivaient en communauté. Les règles de quelques ordres monastiques étaient des chefs-d’oeuvre de législation. Trois causes générales peuplèrent les cloîtres : la religion, la philosophie et le malheur ; on se mit à part de la société, quand elle eut perdu le pouvoir de protéger. Les couvents devinrent par cela même une pépinière d’hommes de talent et d’indépendance. L’occupation manuelle des cénobites était de faire des cordes, des paniers, des nattes, du papier ; ils transcrivaient aussi des livres[73] ; travaux dont saint Ephrem se plaît à tirer des leçons. Paul ermite, Antoine, Pacôme, Hilarion, Macaire, Siméon Stylite, sont des personnages inconnus à l’hellénisme : leurs vêtements, leurs palmiers, leurs fontaines, leurs corbeaux, leurs lions, leurs montagnes, leurs grottes, leurs vieux tombeaux, les ruines où les démons les tentaient, les colonnes qui leur élevaient dans les airs une autre solitude, appartiennent à la puissance de l’imagination orientale chrétienne. Les ascètes erraient en silence sur le Sinaï comme les ombres du peuple de Dieu. Ces aspirants du ciel exerçaient un grand pouvoir sur la terre : les empereurs les envoyaient consulter. Constantin adresse une lettre à saint Antoine et l’appelle son père ; saint Antoine assemble ses moines, et leur dit : Ne soyez pas surpris qu’un empereur nous écrive, ce n’est qu’un homme : étonnez-vous plutôt de ce que Dieu ait écrit une loi pour les hommes[74]. Antoine se refuse à toute réponse ; ses disciples le pressent ; alors il mande à Constantin et à ses deux fils : Méprisez le monde, songez au jugement dernier, souvenez-vous que Jésus-Christ est le seul roi véritable et éternel ; pratiquez l’humanité et la justice[75]. Dans la sédition d’Antioche, les moines descendirent de leurs montagnes et s’établirent à la porte du palais, implorant la grâce des coupables. Un d’entre eux, Macedonius, surnommé le Critophage, rencontre dans la ville deux commissaires de l’empereur, il en saisit un par le manteau, et leur ordonne à tous deux de descendre de cheval : la hardiesse de ce petit vieillard couvert de haillons indigne les commissaires ; mais ayant appris qui il était, ils lui embrassent les genoux. Amis, s’écrie l’ermite, intercédez pour le sang des coupables ; dites à l’empereur que ses sujets sont aussi des hommes faits à l’image de Dieu ; que s’il s’irrite pour des statues de bronze, une image vivante et raisonnable est bien préférable à ces statues. Quand celles-ci sont détruites, d’autres peuvent être faites : mais qui donnera un cheveu à l’homme qu’on a fait mourir ?[76] Ainsi renaissaient la liberté et la dignité de l’homme par le christianisme : ces ermites, exténués de jeûnes, retrouvaient dans l’indépendance et le mépris de la vie les droits que la société avait perdus dans le luxe et l’esclavage. Les leçons n’étaient pas épargnées aux empereurs : Lucifer, de Caliari, apostrophe Constance au sujet d’Athanase : Si tu étais tombé entre les mains de Mathatias ou de Phinées, ils t’auraient frappé du glaive ; et moi, parce que je blesse de ma parole ton esprit trempé du sang chrétien, je te fais injure ! Que ne te venges-tu d’un mendiant ? Devons-nous respecter ton diadème, tes pendants d’oreille, tes bracelets, tes riches habits, au mépris du Créateur ? Tu m’accuses d’outrages : à qui t’en plaindras-tu ? A Dieu, que tu ne connais pas ? A toi-même, homme mortel, qui ne peux rien contre les serviteurs de Dieu ! Si tu nous fais mourir, nous arriverons à une meilleure vie. Nous te devons obéissance, mais seulement pour les bonnes oeuvres, non pour les mauvaises et pour condamner un innocent[77]. Lucifer était légat du pape Libère : on voit déjà poindre l’esprit véhément et dominateur des futurs Grégoire VII. Des vices s’étaient glissés à travers les vertus : les passions privées se nourrissent dans le silence de la retraite ; les passions publiques naissent au bruit du monde. Saint Grégoire de Nazianze, saint Chrysostome, saint Jérôme, saint Augustin, Salvien, plusieurs autres Pères, se plaignent de l’ambition des prélats, de la cupidité des prêtres et des moeurs des moines. Vous avez déjà vu des exemples à l’appui de ces reproches, et j’ai rappelé les lois qui s’opposent aux empiétements du clergé : que l’homme triomphe par les vertus ou par les armes, la victoire le corrompt. Ce fut surtout dans les sectes séparées de l’unité de l’Église qu’eurent lieu les plus grands désordres : les hérésies furent au Christianisme ce que les systèmes philosophiques furent au paganisme, avec cette différence que les systèmes philosophiques étaient les vérités du culte païen, et les hérésies les erreurs de la religion chrétienne. Les hérésies sortaient presque toutes des écoles de la sagesse humaine. Les philosophies des Hébreux, des Perses, des Indiens, des Egyptiens, des Grecs, s’étaient concentrées dans l’Asie sous la domination romaine : de ce foyer allumé par l’étincelle évangélique jaillit une multitude d’hérésies, aussi diverses que les moeurs des hérésiarques étaient dissemblables. On pourrait dresser un catalogue des systèmes philosophiques et placer à côté de chaque système l’hérésie qui lui correspond. Tertullien l’avait reconnu : La philosophie, dit-il, qui entreprend témérairement de sonder la nature de la divinité et de ses décrets, a inspiré toutes les hérésies. De là viennent les Eones et je ne sais quelles formes bizarres, et la trinité humaine de Valentin, qui avait été platonicien ; de là le Dieu bon et indolent de Marcion, sorti des stoïciens ; les épicuriens enseignent que l’âme est mortelle. Toutes les écoles de philosophie s’accordent à nier la résurrection des corps. La doctrine qui confond la matière avec Dieu est la doctrine de Zénon. Parle-t-on d’un Dieu de feu, on suit Héraclite. Les philosophes et les hérétiques traitent les mêmes sujets, s’embarrassent dans les mêmes questions : D’où vient le mal, et pourquoi est-il ? D’où vient l’homme, et comment ? Et ce que Valentin a proposé depuis peu : Quel est le principe de Dieu ? A l’entendre, c’est la pensée et un avorton[78]. Saint Augustin comptait de son temps quatre-vingt-huit hérésies, en commençant aux simoniens et finissant aux pélagiens, et il avoue qu’il ne les connaissait pas toutes. Comme l’esprit ne fait souvent que se répéter, il n’est pas inutile de remarquer que le mot hérésie signifie choix, et c’est aussi ce que veut dire le mot éclectisme si fort en vogue aujourd’hui : l’éclectisme est l’hérésie des hérésies ou le choix des choix philosophiques. Ainsi, au moment de la destruction de l’empire romain en Occident le Christianisme marchait avec douze persécutions générales [Les Actes des Apôtres démontrent qu’il y avait eu des persécutions particulières, même avant la persécution de Néron. S. Luc en fait foi, et les Actes des Apôtres, quoi qu’on en ait dit, sont authentiques.], les persécutions de Néron, de Domitien, de Trajan, de Marc-Aurèle, de Sévère, de Maximin, de Decius, de Valérien, d’Aurélien, de Dioclétien, de Constance (persécution arienne), de Julien ; avec trois schismes de l’Église romaine, les schismes des antipapes Novatien, Ursien et Eulalius ; avec plus de cent hérésies. Par schisme il faut entendre ce qu’on entendait alors, le dissentiment sur les personnes ; par hérésie, les différences dans les doctrines. Les hérésies du premier siècle furent de trois sortes : les premières appartenaient à des fourbes, qui prétendaient être le véritable Messie ou tout au moins une intelligence divine ayant la vertu des miracles ; les secondes sortirent de ces esprits creux qui recouraient au système des émanations pour expliquer les prodiges des apôtres ; les troisièmes furent les imaginations de certains rêveurs, qui voyaient en Jésus-Christ un génie sous la forme d’un homme, ou un homme dirigé par un génie : ils disaient encore que Jésus-Christ avait enseigné deux doctrines, l’une publique, l’autre secrète ; ils mutilaient les livres du Nouveau Testament, composaient de faux évangiles et fabriquaient des lettres des apôtres. Dans ces trois classes d’hérésiarques on trouve Simon, Dosithée, Ménandre, Théodote, Gorthée, Cléobule, Hymenée, Philète, Alexandre, Hermogène, Cérinthe, les Ebionistes et les Nazaréens. Presque toutes les hérésies du Ier siècle furent juives d’extraction. Au IIe siècle les hérésies devinrent grecques et orientales. Plusieurs philosophes de l’Asie avaient embrassé le christianisme ; ils y apportèrent les idées spéculatives dont ils étaient nourris : la doctrine des deux principes, la croyance des génies, les émanations chaldéennes, en un mot tout l’abstrait de l’Orient modifié par la philosophie grecque, pétrie et repétrie dans l’école d’Alexandrie. Il y eut aussi des réformateurs du christianisme, qu’ils trouvaient déjà altéré : Montan, Praxéas, Marcion, Saturnin, Hermias, Artémon, Basilide, Hermogène, Apelle, Talien, Héracléon, Cerdon, Sévère, Bardesanes, Valentin, furent les plus célèbres hérétiques de cette époque. Praxéas, de l’hérésie de Montan, soutenait que Dieu le Père était le même que Jésus-Christ, et qu’en conséquence il avait souffert. Les disciples de Praxéas furent appelés patropassiens, parce qu’ils attribuaient au Père comme au Fils la passion et la croix[79]. Valentin, suivant le génie grec, qui personnifiait tout, transformait les noms en personnes : les siècles, qui dans l’Ecriture portent le nom d’Eones ou d’Aiones, devenaient des êtres ayant chacun leur nom. Le premier Eone se nommait Proon, préexistant, ou Bythos, profondeur : il avait vécu longtemps inconnu avec Ennoia, la pensée, ou Charis, la grâce, ou Sigé, le silence. Bythos engendra avec Sigé Nous, ou l’intelligence, son fils unique. Nous devint le père de toutes choses. Nous enfanta deux autres Eones, Logos et Zoé, le verbe et la vie ; de Logos et de Zoé naquirent Anthropos et Ecclesia, l’homme et l’Église. Enfin, après trente Eones, qui formaient le Pleroma, ou la plénitude, se trouvait la vertu du Pleroma, Horos ou Stauros, le terme ou la croix[80]. Cette théologie s’étendait beaucoup plus loin ; mais l’esprit humain a des folies trop nombreuses pour les suivre dans toutes leurs modifications. Au IIIe siècle la philosophie grecque continua ses ravages dans le christianisme : les hommes qui passaient incessamment des écoles d’Athènes et d’Alexandrie à la religion évangélique cherchaient à rendre celle-ci naturelle, c’est-à-dire qu’ils s’efforçaient d’expliquer les mystères, afin de répondre aux objections des païens. Cette fausse honte de l’esprit produisit les erreurs de Sabellius, de Noët, d’Hiérax, de Bérylle, de Paul de Samosate ; on compte aussi celles des ophites, des caïnites, des séthiens et des melchisédéciens. Manès, dont l’hérésie éclata vers l’an 277, était un esclave appelé Coubric, surnommé Manès, ce qui signifiait en persan l’art de la parole ; Manès y prétendait exceller. Il eut pour disciple Thomas, et rapporta de la Perse l’ancienne doctrine des deux Principes : le bon Principe est la lumière ; le mauvais Principe, les ténèbres. Le monde était l’invasion du mauvais Principe, ou du principe ténébreux, dans le bon Principe, ou le principe lumineux. Manès infiltrait sa doctrine dans le christianisme par l’histoire de la tentation de l’homme, produite de Satan, et par la mission de Jésus-Christ envoyé du bon Principe pour détruire l’action de Satan, ou du mauvais Principe[81]. Les hérétiques cherchaient assez souvent à rentrer dans le sein de l’Église ; on ne s’y refusait pas, mais on différait sur les conditions de leur réintégration : autre source de schisme au IIIe siècle ; celui des novatiens est un des plus connus. Le IVe siècle se distingue par la grande hérésie d’Arius. Le monde philosophique à cette époque était devenu néoplatonicien ; le néoplatonisme ne trouvait plus de contradicteurs, et se rapprochait de la théologie chrétienne, à laquelle il s’était assimilé. La puissance politique ayant passé du côté des chrétiens, les hérésies affectèrent le caractère de la domination et les moeurs du palais ; elles voulurent régner, et montèrent en effet sur le trône avec Constance ; elles servirent de marchepied au paganisme pour reprendre un moment la pourpre avec Julien. Constance ayant divisé la doctrine orthodoxe par l’arianisme, il parut tout simple que la religion changeât dans Julien, comme elle avait changé dans Constance, et que l’un forçat ses sujets d’adopter sa communion, ainsi que l’autre les y avait obligés. Sabellius avait établi la distinction des personnes trinitaires ; Marcion et Cerdon reconnaissaient trois substances incréées ; Arius voulut concilier ces opinions en faisant de la Trinité trois substances, mais posant en principe que le Père seul étant incréé, le Verbe devenait une créature ; Macédonius nia depuis la divinité du Saint-Esprit. Le mot consubstantiel fut inventé pour écarter les subtilités des ariens ; mot latin qui ne traduisait pas exactement le fameux mot grec homoousios employé par les Pères de Nicée. Eusèbe et Theognis usèrent de supercherie en souscrivant le symbole[82] ; ils introduisirent un iota dans le mot homoousios et écrivirent homoiousios, semblable en substance au lieu de même substance. On chicana sur cet iota, qui causa bien des persécutions et fit couler beaucoup de sang. Saint Hilaire, avec la droiture et la raison des peuples occidentaux, admit les deux expressions, disant que rien ne pouvait être semblable selon la nature qui ne fût de même nature[83]. L’arianisme divisé en plusieurs branches, eusébien, demi-arien, etc., passa des Romains aux Goths ; son caractère se mélangeait de faste, de violence et de cruauté. Arius, son fondateur, était pourtant un homme doux, quoique obstiné : l’antagoniste d’Arius fut, vous le savez, le fameux Athanase. Avec Arius, dans le IVe siècle, vinrent aussi les réformateurs qui attaquèrent la discipline de l’Église et du culte de la Vierge : par l’austérité des moeurs, ils arrivaient à la dépravation. On compte Helvidius, Bonose, Audée, Collathe, Jovinien, Priscillius et plusieurs autres. Le Ve siècle vit les hérésies placées dans les prélats : celle du violent Nestorius, évêque de Constantinople, éclata. Il nia l’union hypostatique, admettant toutefois l’incarnation du Christ, mais disant qu’il n’était pas sorti du sein de la Vierge. L’Orient se divisa ; il y eut conciles contre conciles, anathèmes contre anathèmes, persécutions, dépositions, exils. Après le concile d’Ephèse, le nestorianisme triompha ; bientôt Eutychès vint combattre Nestorius et remplacer une erreur par une erreur. Le nestorianisme supposait deux personnes dans Jésus-Christ : Eutychès, par un autre excès, prétendait que les deux natures de l’Homme-Dieu, la nature humaine et la nature divine, étaient tellement unies qu’elles n’en faisaient qu’une. Les moines avaient soutenu contre les nestoriens la maternité de la Vierge ; ils s’enrôlèrent presque tous sous les bannières d’Eutychès. L’empire d’Orient, berceau de toutes les hérésies, continua de s’engloutir dans ces subtilités déplorables. Les patriarches de Constantinople acquirent une puissance qui leur permettait de disposer de la pourpre. Après Eutychès, des moines Scythes, dans le VIe siècle, posèrent en principe qu’une des personnes de la Trinité avait souffert. Dans le VIIe siècle, autres chimères ; dans le VIIIe, Léon Isaurien donna naissance à la secte des iconoclastes, et enfin, vers le milieu du IXe siècle, s’établit le grand schisme des Grecs. L’Occident, ravagé par les barbares au Ve siècle, enfanta des hérésies qui sentaient le malheur ; des chrétiens opprimés cherchèrent une cause aveugle à des souffrances en apparence non méritées : Pélage, moine breton, qui avait beaucoup voyagé, fut l’auteur d’un nouveau système ; il disait l’homme capable d’atteindre le plus haut degré de perfection par ses propres forces. De cette hauteur stoïque il était aisé de glisser à cette rigueur du destin qui écrase le juste sans l’abattre. Entraîné de conséquence en conséquence, tout en ayant l’air d’admettre l’efficacité de la grâce, Pélage se voyait obligé de nier cette nécessité, de rejeter la contrainte du péché originel, laquelle aurait détruit la possibilité de la perfection sans la grâce. Julien, évêque d’Eclane, succéda à Pélage. Des semi-pélagiens engendrèrent la prédestination : ils soutenaient que la chute d’Adam a suspendu le libre arbitre, et que Jésus-Christ n’est pas mort pour tous : le résultat était la damnation éternelle et la salvation éternelle forcées par la prescience de Dieu. Cette hérésie dura[84] ; elle parvint jusqu’à Gohescale, et même jusqu’à Jean Scot Erigène. Dans les VIe, VIIe, VIIIe et IXe siècles, l’unité croissante de l’Église catholique et l’autorité de Charlemagne diminuèrent les hérésies dogmatiques ; mais il se forma des hérésies d’imagination : elles eurent leur source dans une nouvelle espèce de merveilleux né des faux miracles, des vies des saints, de la puissance des reliques et du caractère crédule et guerrier prêt à procréer le moyen âge. La lumière classique jeta un rayon perdu à travers les ténèbres du IXe siècle, et fit éclore une superstition du moins excusable : un prêtre de Mayence prouva que Cicéron et Virgile étaient sauvés. L’étude de l’Ecriture amena des discussions subtiles sur le nom de Jésus, sur le mot Chérubin, sur l’Apocalypse, sur les nombres arithmétiques, sur les couches de la Vierge. Tel fut ce long enchaînement de mensonges, de folies ou de puérilités. Des doctrines passons aux hommes, du tableau des croyances à la peinture des moeurs, de l’hérésie à l’hérésiarque : il est rare que la fausseté de l’esprit ne fasse pas gauchir la droiture du coeur, et qu’une erreur n’engendre pas un vice. Marc, disciple de Valentin, séduisait les femmes en prétendant leur donner le don de prophétie : il s’en faisait aimer passionnément ; elles le suivaient partout. Ses disciples[85] possédaient le même talisman, et des troupes de femmes s’attachaient à leurs pas dans les Gaules. Ils se nommaient parfaits ; ils se prétendaient arrivés à la vertu inénarrable. Selon eux le dieu Sabaoth avait pour fils un diable, lequel avait eu d’Eve Caïn et Abel. Les docites maudissaient l’union des sexes, disant que le fruit défendu était le mariage, et les habits de peau la chair dont l’homme est vêtu[86]. Les carpocratiens, disciples de Carpocras, tenaient que l’âme était tout, que le corps n’était rien, et qu’on pouvait faire de ce corps ce qu’on voulait. Epiphane prêchait la même doctrine : de là pour ces hérésiarques le rétablissement de l’égalité et de la communauté naturelles. Ils priaient nus comme une marque de liberté ; ils avaient le jeûne en horreur ; ils festinaient, se baignaient, se parfumaient. Les propriétés et les femmes appartenaient à tous : quand ils recevaient des hôtes, le mari offrait sa compagne à l’étranger. Après le repas ils éteignaient les lumières et se plongeaient aux débauches dont on calomniait les premiers chrétiens ; mais ils arrêtaient autant que possible la génération, parce que le corps étant infâme il n’était pas bon de le reproduire[87]. Montan courait le monde avec deux prophétesses, Prisca et Maximilla. Il se disait le Saint-Esprit et le continuateur des prophètes. Les pratiques des montanites étaient d’une rigueur excessive. Paul de Samosate se créa une immense fortune par le débit de ses erreurs. Dans les assemblées ecclésiastiques, il s’asseyait sur un trône ; en parlant au peuple il se frappait la cuisse de sa main, et l’on entonnait des cantiques à sa louange. Au milieu des donatistes, en Afrique, se formèrent les circoncellions, furieux qui pillaient les cabanes des paysans, apparaissaient au milieu des bourgades et des marchés, mettaient en liberté les esclaves et délivraient les prisonniers pour dettes. Ils assommaient les catholiques avec des bâtons qu’ils appelaient des israélites, et commençaient les massacres en chantant : Louange à Dieu ! Comme certains disciples de Platon, saisis de la frénésie du suicide, ils se donnaient la mort ou se la faisaient donner à prix d’argent. Hommes, femmes, enfants, s’élançaient dans des précipices ou dans des bûchers[88]. Plusieurs conciles, et entre autres celui de Nicée, prononcent des peines contre les eunuques volontaires. A l’imitation d’Origène, il s’était formé une secte entière de ces hommes dégradés ; on les nommait Valésiens : ils mutilaient non seulement leurs disciples, mais leurs hôtes ; ils guettaient les étrangers sur les chemins pour les délivrer des périls de la volupté. Ils habitaient au delà du Jourdain, à l’entrée de l’Arabie[89]. Les gnostiques partageaient l’espèce humaine en trois classes : les hommes matériels ou hyliques, les hommes animaux ou psychiquiques, les hommes spirituels ou pneumatiques. Les gnostiques se subdivisaient eux-mêmes en une multitude de sectes : celle des ophites révérait le serpent comme ayant rendu le plus grand service à notre premier père, en lui apprenant à connaître l’arbre de la science du bien et du mal. Ils tenaient un serpent enfermé dans une cage ; au jour présumé de la séduction d’Eve et d’Adam, on ouvrait la porte au reptile, qui glissait sur une table et s’entortillait au gâteau qu’on lui présentait : ce gâteau devenait l’eucharistie des ophites[90]. Des gnostiques d’une autre sorte croyaient que tout était être sensible, et ils se laissaient presque mourir de faim dans la crainte de blesser une créature de Dieu. Quand enfin ils étaient obligés de prendre un peu de nourriture, ils disaient au froment : Ce n’est pas moi qui t’ai broyé ; ce n’est pas moi qui t’ai pétri ; ce n’est pas moi qui t’ai mis au four, qui t’ai fait cuire. Ils priaient le pain de leur pardonner, et ils le mangeaient avec pitié et remords. Les priscilliens, dont la doctrine était un mélange de celle des manichéens et des gnostiques, cassaient les mariages en haine de la génération, parce que la chair n’était pas l’ouvrage de Dieu, mais des mauvais anges ; ils s’assemblaient la nuit ; hommes et femmes priaient nus comme les carpocratiens, et se livraient à mille désordres toujours justifiés par la vileté du corps[91]. L’Espagne infestée de cette secte devint une école d’impudicité. L’Église faisait tête à toutes ces hérésies ; sa lutte perpétuelle donne la raison de ces conciles, de ces synodes, de ces assemblées de tous noms et de toutes sortes que l’on remarque dès la naissance du christianisme. C’est une chose prodigieuse que l’infatigable activité de la communauté chrétienne : occupée à se défendre contre les édits des empereurs et contre les supplices, elle était encore obligée de combattre ses enfants et ses ennemis domestiques. Il y allait, il est vrai, de l’existence même de la foi : si les hérésies n’avaient été continuellement retranchées du sein de l’Église par des canons, dénoncées et stigmatisées dans les écrits, les peuples n’auraient plus su de quelle religion ils étaient. Au milieu des sectes se propageant sans obstacles, se ramifiant à l’infini, le principe chrétien se fût épuisé dans ses dérivations nombreuses, comme un fleuve se perd dans la multitude de ses canaux. Il résulte de cet aperçu que les hérésies s’imprégnèrent de l’esprit des siècles où elles se succédèrent. Leurs conséquences politiques furent énormes ; elles affaiblirent et divisèrent le monde romain : les moines ariens ouvrirent la Grèce aux Goths, les donatistes l’Afrique aux Vandales ; et pour se dérober à l’oppression des ariens, les évêques catholiques livrèrent la Gaule aux Francs. Dans l’Orient, le nestorianisme, refoulé sur la Perse, gagna les Indes, alla s’unir au culte du lama et constituer sous un dieu étranger la hiérarchie et les ordres monastiques de l’Église chrétienne : il fit naître aussi l’espèce de puissance problématique et fantastique du prêtre Jean. D’un autre côté, une foule de sectes variées, que proscrivait le fanatisme grec, se réfugièrent pêle-mêle en Arabie : de la confusion de leurs doctrines professées ensemble dans l’exil et travaillées par la verve orientale, sortit le mahométanisme, hérésie judaïque-chrétienne, de qui la haine aveugle contre les adorateurs de la croix se compose des haines diverses de toutes les infidélités dont la religion du Coran s’est formée. A voir les choses de plus haut dans les rapports avec la grande famille des nations, les hérésies ne furent que la vérité philosophique, ou l’indépendance de l’esprit de l’homme, refusant son adhésion à la chose adoptée. Prises dans ce sens, les hérésies produisirent des effets salutaires : elles exercèrent la pensée, elles prévinrent la complète barbarie, en tenant l’intelligence éveillée dans les siècles les plus rudes et les plus ignorants ; elles conservèrent un droit naturel et sacré, le droit de choisir. Toujours il y aura des hérésies, parce que l’homme né libre fera toujours des choix. Alors même que l’hérésie choque la raison, elle constate une de nos plus nobles facultés, celle de nous enquérir sans contrôle et d’agir sans entraves. Troisième partie : moeurs des païensUn long paganisme et des institutions contraires à la vérité humaine avaient porté la gangrène dans le coeur du monde romain. L’Evangile pouvait faire des saints isolés, des familles pieuses, charitables, héroïques ; mais il ne pouvait extirper subitement un mal enraciné par une civilisation antinaturelle. Le christianisme réforma les moeurs publiques avant d’épurer les moeurs privées ; il corrigea les lois, posa les dogmes de la morale universelle, avant d’agir efficacement sur la généralité des individus. Ainsi vous avez vu l’esclavage, la prostitution, l’exposition des enfants, les combats des gladiateurs, attaqués légalement par Constantin et ses successeurs (glorieux effet du christianisme au pouvoir), mais vous avez retrouvé aussi le même fonds de corruption sur le trône. Les empereurs, il est vrai, ne se rendaient pas coupables de ces infamies effrontées dont s’étaient souillés, à la face du soleil, Tibère, Caligula, Néron, Domitien, Commode, Élagabale ; mais les crimes intérieurs du palais, une dépravation secrète, une vie d’intrigues, quelque chose qui ressemblait davantage aux cours modernes commença : tout ce que le christianisme put faire d’abord fut de contraindre les vices à se cacher. La pourriture de l’empire romain vint de trois causes principales : du culte, des lois et des moeurs. Et comme cet empire renfermait dans son sein une foule de nations placées dans divers climats, à différents degrés de civilisation, toutes ces nations mêlaient leurs corruptions particulières à la corruption du peuple dominateur : ainsi l’Égypte donna à Rome ses superstitions, l’Asie sa mollesse, l’Occident et le Nord de l’Europe son mépris de l’humanité. La société romaine parlait deux langues, était composée de deux génies : la langue latine et la langue grecque, le génie grec et le génie latin. La langue latine se renfermait dans une partie de l’Italie, dans quelques colonies africaines, illyriennes, daciques, gauloises, germaniques, bretonnes, tandis qu’Alexandre avait porté sa langue maternelle jusqu’aux confins de l’Ethiopie et des Indes : elle servait d’idiome intermédiaire entre les peuples qui ne s’entendaient pas ; elle était parlée à Rome, même par les esclaves et les marchandes d’herbes. Le génie grec communiqua aux Romains la corruption intellectuelle, les subtilités, le mensonge, la vaine philosophie, tout ce qui détériore la simplicité naturelle ; le génie latin voua ces mêmes Romains à la corruption matérielle, aux excès des sens, à la débauche, à la cruauté. De ces généralités, si nous passons à l’examen particulier de la religion, des lois et des moeurs, nous trouvons l’idolâtrie merveilleusement calculée pour autoriser les vices : l’homme ne faisait qu’imiter les actions du dieu[92]. Jupiter a séduit une femme en se changeant en pluie d’or, pourquoi, moi, chétif mortel, n’en ferais-je pas autant[93] ? Ovide (et l’autorité est singulière) ne veut pas que les jeunes filles aillent dans les temples, parce qu’elles y verraient combien Jupiter a fait de mères[94]. Les femmes se prostituaient publiquement dans le temple de Vénus à Babylone[95]. Dans l’Arménie les familles les plus illustres consacraient leurs filles vierges encore à cette déesse[96]. Les femmes de Biblis qui ne consentaient pas à couper leurs cheveux au deuil d’Adonis étaient contraintes, pour se laver de cette impiété, de se livrer un jour entier aux étrangers. L’argent qui provenait de cette sainte souillure était consacré à la déesse[97]. Les filles dans l’île de Chypre se rendaient au bord de la mer avant de se marier, et gagnaient avec le premier venu l’argent de leur dot[98]. Rien de plus célèbre que le temple de Corinthe ; il renfermait mille ou douze cents prostituées offertes à la mère des amours. Ces courtisanes étaient consultées et employées dans les affaires de la république comme des vestales[99]. Lucien, dans les Dialogues des dieux, flagelle en riant les turpitudes de la mythologie. Junon se plaint à Jupiter qu’il ne la caresse plus depuis qu’il a enlevé Ganimède ; Mercure se moque avec Apollon de l’aventure de Mars enchaîné par Vulcain dans les bras de Vénus ; Vénus invite Paris à l’adultère : Hélène n’est pas noire, puisqu’elle est née d’un cygne ; elle n’est pas grossière, puisqu’elle est éclose dans la coquille d’un oeuf. J’ai deux fils : l’un rend aimable, l’autre amoureux ; je mettrai le premier dans tes yeux, le second dans le coeur d’Hélène, et je t’amènerai les Grâces pour compagnes, avec le Désir. Mercure dit à Pan : Tu caresses donc les chèvres ? Les voleurs, les homicides, et le reste, avaient leurs protecteurs dans le ciel : Belle Laverne, donne-moi l’art de tromper, et qu’on me croie juste et saint[100]. Les mystères d’Adonis, de Cybèle, de Priape, de Flore, étaient représentés dans les temples et dans les jeux consacrés à ces divinités. On voyait à la lumière du soleil ce que l’on cache dans les ténèbres, et la sueur de la honte glaçait quelquefois l’infâme courage des acteurs[101]. L’ordre légal, conforme à l’ordre religieux, faisait de ces dérèglements des moeurs approuvées. La loi Scantinie pensait sans doute être rigoureuse, en n’exceptant de la prostitution publique que les garçons de condition. On versait au trésor le tribut que payaient les prostituées. Alexandre Sévère appliqua cet argent à la réparation du cirque et des théâtres[102]. Dans une société où moins de dix millions d’hommes disposaient de la liberté de plus de cent vingt millions de leurs semblables, on conçoit la facilité que les diverses cupidités avaient à se satisfaire. L’esclavage était une source inépuisable de corruption ; la seule définition légale de l’esclave disait tout : Non tam vilis quam nullus ; moins vil que nul. Le maître avait le droit de vie et de mort sur l’esclave, et l’esclave ne pouvait acquérir qu’au profit du maître. Vous lisez au livre vingt et unième du titre premier de l’édit Ediles, au sujet de la vente des esclaves : Ceux qui vendent des esclaves doivent déclarer aux acheteurs leurs maladies et défauts ; s’ils sont sujets à la fuite ou au vagabondage ; s’ils n’ont point commis quelques délits ou dommages. (...) Si depuis la vente l’esclavage a perdu de sa valeur ; si, au contraire, il a acquis quelque chose, comme une femme qui aurait eu un enfant ; (...) si l’esclave s’est rendu coupable d’un délit qui mérite la peine capitale ; s’il a voulu se donner la mort ; s’il a été employé à combattre contre les bêtes dans l’arène, etc. Immédiatement après ce titre vient un article sur la vente des chevaux et autre bétail, commençant de la même manière que celui sur la vente des esclaves : Ceux qui vendent des chevaux doivent déclarer leurs défauts, leurs vices ou leurs maladies, etc. Toutes les misères humaines sont renfermées dans ces textes, que les légistes romains énonçaient sans se douter de l’abomination d’un tel ordre social. Les cruautés exercées sur les esclaves font frémir : un vase était-il brisé, ordre aussitôt de jeter dans les viviers le serviteur maladroit, dont le corps allait engraisser les murènes favorites ornées d’anneaux et de colliers. Un maître fait tuer un esclave pour avoir percé un sanglier avec un épieu, sorte d’armes défendues à la servitude[103]. Les esclaves malades étaient abandonnés ou assommés ; les esclaves laboureurs passaient la nuit enchaînés dans des souterrains : on leur distribuait un peu de sel, et ils ne recevaient l’air que par une étroite lucarne. Le possesseur d’un serf le pouvait condamner aux bêtes, le vendre aux gladiateurs, le forcer à des actions infâmes. Les Romains livraient aux traitements les plus cruels, pour la faute la plus légère, les femmes attachées à leur personne. Si un esclave tuait son maître, on faisait périr avec le coupable tous ses compagnons innocents. La loi Petronia, l’édit de l’empereur Claude, les efforts d’Antonin le Pieux, d’Adrien et de Constantin, furent sans succès pour remédier à ces abus, que le christianisme extirpa. L’instinct de la cruauté romaine se retrouvait dans les peines applicables aux crimes et aux délits. La loi prescrivait la croix (à laquelle fut substituée la potence[104]), le feu, la décollation, la précipitation, l’étranglement dans la prison, la fustigation jusqu’à la mort, la livraison aux bêtes, la condamnation aux mines, la déportation dans une île et la perte de la liberté. Dans les premiers temps on pendait le coupable, la tête enveloppée d’un voile, à des arbres appelés malheureux, et maudits par la religion, tels que le peuplier[105], l’aune et l’orme, réputés stériles. On ne pouvait faire mourir qu’avec le glaive, non avec la hache, l’épée, le poignard et le bâton. La mort par le poison ou par la privation d’aliments, d’abord permise, fut ensuite prohibée. Etaient exemptés de la question les militaires, les personnes illustres ou distinguées par leur vertu : celles-ci transmettaient ce privilège à leur postérité jusqu’à la troisième génération. Etaient encore soustraits à la question les hommes libres de race non plébéienne, excepté le cas d’accusation de crime de lèse-majesté au premier chef : or, la frayeur des tyrans et la bassesse des juges faisaient survenir cette accusation dans toutes les causes. Les supplices de la question étaient : le chevalet, lequel étendait les membres et détachait les os du corps ; les lames de fer rouge, les crocs à traîner[106], les griffes à déchirer. Le même homme pouvait être mis plusieurs fois à la torture. Si nombre de gens étaient prévenus du même crime, on commençait la question par le plus timide ou le plus jeune[107]. Ces épouvantables inventions de l’inhumanité ne suffisaient pas, et les bornes des tourments étaient laissées à la discrétion du juge[108]. De là cet arbitraire des supplices dont je vous ai parlé. Avant de mettre les esclaves à la question, l’accusateur en déposait le prix : le gouvernement confisquait les esclaves qui survivaient, lorsqu’ils avaient déposé contre leurs maîtres[109]. De ce récit succinct de la corruption de Rome païenne par la religion et les lois passons à la peinture de la corruption dans les moeurs. Le seul peuple qui ait jamais fait un spectacle de l’homicide est le peuple romain : tantôt c’étaient des gladiateurs, et même des gladiatrices de famille noble[110], qui s’entretuaient pour le divertissement de la populace la plus abjecte, comme pour le plaisir de la société la plus raffinée ; tantôt c’étaient des prisonniers de guerre que l’on armait les uns contre les autres, et qui se massacraient au milieu des fêtes ; la nuit, aux flambeaux, en présence de courtisanes toutes nues, on forçait des pères, des fils, des frères, de s’égorger mutuellement afin de désennuyer un Néron, et mieux encore un Vespasien et un Titus. Les panthères, les tigres, les ours, étaient appelés à ces jeux des hommes par une juste égalité et fraternité. La mort se voulut montrer un jour au milieu de l’arène dans toute son opulence ; elle y fit paraître à la fois une multitude de lions : tant de bouches affamées auraient manqué de pâture si les martyrs ne s’étaient heureusement trouvés pour fournir du sang et de la chair à ces armées du désert. Onze mille animaux de différentes sortes furent immolés après le triomphe de Trajan sur les Daces, et dix mille gladiateurs succombèrent dans les jeux, qui durèrent cent vingt-trois jours. La loi romaine étendait ses soins maternels sur les bêtes de meurtre ; elle défendait de les tuer en Afrique, comme on défend de tuer les brebis, mères des troupeaux. Le retentissement des glaives, les rugissements des animaux, les gémissements des victimes, dont les entrailles étaient traînées sur un sable parfumé d’essence de safran ou d’eaux de senteur[111], ravissaient la foule : au sortir de l’amphithéâtre elle courait se plonger dans les bains ou dans les lieux dont les enseignes brillaient sous les voûtes qui ont donné leur nom à la transgression de la chasteté. Ces impitoyables spectateurs de la mort, qui la regardaient sans pouvoir apprendre à mourir, accordaient rarement la vie : si le gladiateur criait merci, les Delie, les Lesbie, les Cynthie, les Lydie, toutes ces femmes des Tibulle, des Catulle, des Properce, des Horace, donnaient le signe du trépas de la même main dont les Muses avaient chanté les molles caresses[112]. Les festins particuliers étaient rehaussés par ce plaisir du sang : quand on s’était bien repu et qu’on approchait de l’ivresse, on appelait des gladiateurs ; la salle retentissait d’applaudissements, lorsqu’un des deux assaillants était tué. Un Romain avait ordonné, par testament, de faire combattre ainsi de belles femmes qu’il avait achetées ; et un autre, de jeunes esclaves qu’il avait aimés[113]. Le luxe des édifices à Rome passe ce qu’on en saurait dire : la maison d’un riche était une ville entière ; on y trouvait des forum, des cirques, des portiques, des bains publics, des bibliothèques. Les maîtres y vivaient pendant le jour dans des salles ornées de peintures que la lumière du soleil n’éclairait point : on ne les peut encore voir qu’à la lueur des torches, aujourd’hui que la nuit des siècles et les ténèbres des ruines ont ajouté leur obscurité à celle de ces voûtes. Un ouvrage, faussement attribué à Lucien, fait l’éloge d’un appartement ; cette demeure est représentée comme une femme modeste dont la parure est à ses charmes ce que la pourpre est à un vêtement. Et cependant l’habitation qui paraissait si simple à l’auteur de cette pièce de rhétorique a des murs peints à fresque, des plafonds encadrés d’or, et tout ce qui en ferait pour nous un palais de la plus grande magnificence. Descendant de la cruauté à la débauche, qui ne sait les spinthriae de Tibère et les incestes de Caligula ? Qui n’a entendu parler de Messaline et du lit où elle rapportait l’odeur de ses souillures ? Néron se mariait publiquement à des hommes[114]. Par la blessure qu’il fit à Sporus, il inventa une femme nouvelle. Je ne redirai plus rien des Vitellius et des Domitien. Le luxe des repas et des fêtes épuisait les trésors de l’État et la fortune des familles ; il fallait aller chercher les oiseaux et les poissons les plus rares dans les pays et sur les côtes les plus éloignés. On engraissait toutes sortes de bêtes pour la table, jusqu’à des rats. Des truies on ne mangeait que les mamelles ; le reste était livré aux esclaves. Athénée consacre onze livres de son Banquet à décrire tous les poissons, tous les coquillages, tous les quadrupèdes, tous les oiseaux, tous les insectes, tous les fruits, tous les végétaux, tous les vins dont les anciens usaient dans leurs repas. Il se donne la peine d’instruire la postérité que les cuisiniers étaient des personnages importants, familiarisés avec la langue d’Homère, et à qui l’on faisait apprendre par coeur les dialogues de Platon. Ils mettaient les plats sur la table, comptant : un, deux, trois[115], et répétant ainsi le commencement du Timée. Ils avaient trouvé le moyen de servir un cochon entier, rôti d’un côté et bouilli de l’autre[116]. Ils pilaient ensemble des cervelles de volailles et de porcs, des jaunes d’oeuf, des feuilles de rose, et formaient du tout une pâte odoriférante, cuite à un feu doux, avec de l’huile, du garum, du poivre et du vin[117]. Avant le repas on mangeait des cigales pour se donner de l’appétit[118]. Je vous ai parlé de cet Élagabale à qui ses compagnons avaient donné le surnom de Varius, parce qu’ils le disaient fils d’une femme publique et de plusieurs pères. Il nourrissait les officiers de son palais d’entrailles de barbot, de cervelles de faisan et de grives, d’oeufs de perdrix et de têtes de perroquet[119]. Il donnait à ses chiens des foies de canard, à ses chevaux des raisins d’Apamène, à ses lions des perroquets et des faisans[120]. Il avait, lui, pour sa part des talons de chameau, des crêtes arrachées à des coqs vivants, des tétines et des vulves de laie, des langues de paon et de rossignol, des pois brouillés avec des grains d’or, des lentilles avec des pierres de foudre, des fèves fricassées avec des morceaux d’ambre et du riz mêlé avec des perles[121] : c’était encore avec des perles au lieu de poivre blanc qu’il saupoudrait les truffes et les poissons. Fabricateur de mets et de breuvages, il mêlait le mastic au vin de rose. Un jour il avait promis à ses parasites un phénix, ou, à son défaut, mille livres d’or[122]. En été il donnait des repas dont les ornements changeaient chaque jour de couleur : sur les réchauds, les marmites, les vases d’argent du poids de cent livres, étaient ciselées des figures du dessin le plus impudique[123]. De vieux sycophantes, assis auprès du maître du banquet, le caressaient en mangeant. Les lits de table, d’argent massif, étaient parsemés de roses, de violettes, d’hyacinthes et de narcisses. Des lambris tournants lançaient des fleurs avec une telle profusion, que les convives en étaient presque étouffés[124]. Le nard et des parfums précieux alimentaient les lampes de ces festins, qui comptaient quelquefois vingt-deux services. Entre chaque service on se lavait, et l’on passait dans les bras d’une nouvelle femme[125]. Jamais Élagabale ne mangeait de poisson auprès de la mer ; mais lorsqu’il en était très éloigné, il faisait distribuer à ses gens des laitances de lamproies et de loups marins. On jetait au peuple des pierres fines avec des fruits et des fleurs ; on l’envoyait boire aux piscines et aux bains remplis de vin de rose et d’absinthe[126]. J’ai déjà touché quelque chose des impuretés et des noces d’Élagabale. Il aimait particulièrement à représenter l’histoire de Pâris : ses vêtements tombaient tout à coup ; il paraissait nu, tenant d’une main une de ses mamelles, de l’autre, se voilant comme la Vénus de Praxitèle ; il s’agenouillait et se présentait aux ministres de ses voluptés[127]. Il avait quitté Zoticus le cocher, et s’était donné en mariage à Hiéroclès ; il porta la passion pour celui-ci à un tel degré d’obscénité, qu’on ne le saurait dire ; il prétendait célébrer ainsi les jeux sacrés de Flore[128]. En bon Romain, il mêlait l’immolation des victimes humaines à la débauche ; il les choisissait parmi les enfants des meilleures familles, prenant soin qu’ils eussent père et mère vivants, afin qu’il y eût plus de douleur[129]. Élagabale était vêtu de robes de soie brodées de perles. Il ne portait jamais la même chaussure, la même bague, la même tunique[130]. Les coussins sur lesquels il se couchait étaient enflés d’un duvet cueilli sous les ailes des perdrix[131]. A des chars d’or incrustés de pierres précieuses (Élagabale dédaignait les chars d’argent et d’ivoire) il enchaînait deux, trois et quatre belles femmes, le sein découvert, et il se faisait traîner sur le quadrige. Quelquefois il était nu ainsi que son élégant attelage, et il roulait sous des portiques semés de paillettes d’or[132], comme le Soleil conduit par les Heures. Si ces iniquités et ces folies n’appartenaient qu’à un seul homme, il n’en faudrait rien conclure des moeurs d’un peuple ; mais Élagabale n’avait fait que réunir dans sa personne ce qu’on avait vu avant lui, depuis Auguste jusqu’à Commode. Se faut-il étonner qu’il y eût alors dans les catacombes de Rome, dans les sables de la Thébaïde, un autre peuple, qui par des austérités et des larmes appelât la création d’un autre univers ? Ces cochers du cirque, ces prostituées des temples de Cybèle, qui faisaient rougir la lune[133] de leurs affreux débordements, ces poursuivants de testaments, ces empoisonneurs, ces Trimalcions, toute cette engeance de l’amphithéâtre, toute cette race jugée et condamnée devait disparaître de la terre. L’impureté n’était pas le fruit particulier de l’éducation des tyrans, un privilège de palais, une bonne grâce de cour ; elle était le vice dominant de la terre païenne, grecque et latine. La pudeur comme vertu, non comme instinct, est née du christianisme ; si quelque chose pouvait excuser les anciens, c’est que, ne remontant pas plus haut que le penchant animal, ils n’avaient pas de la chasteté l’idée que nous en avons. Des savants, dans Athénée, examinent doctement quand l’amour pour les jeunes garçons commença. Les uns le font remonter à Jupiter, et les autres à Minos, qui devint amoureux de Thésée ; les autres à Laïus, qui enleva Chrysippe, fils de Pelops, son hôte. Hiéronyme, le péripatéticien, loue cet amour et fait l’éloge de la légion de Thèbes ; Agnon l’académicien rapporte que chez les Spartiates il était licite à la jeunesse des deux sexes de se prostituer légalement avant le mariage. Dans le dialogue des Amours, qui n’est vraisemblablement pas de Lucien, l’auteur introduit sur la scène deux personnages, Chariclès et Callicratidas ; ils plaident dans un bois du temple de Cnide, l’un l’amour des femmes, l’autre l’amour des garçons ; Lycinus et Théomneste sont juges du débat. Chariclès, attaquant son adversaire après avoir fait l’éloge des femmes, lui dit : Ta victime souffre et pleure dans tes odieuses caresses ; si l’on permet de tels désordres parmi les hommes, il faut laisser aux Lesbiennes leur stérile volupté[134]. Callicratidas prend la parole ; il repousse quelques-uns des arguments de Chariclès : Les lions n’épousent pas les lions, dis-tu ? C’est que les lions ne philosophent pas[135]. Callicratidas fait ensuite une peinture satirique de la femme : le matin, au sortir du lit, la femme ressemble à un singe ; des vieilles et des servantes, rangées à la file comme dans une procession, lui apportent les instruments et les drogues de sa toilette, un bassin d’argent, une aiguière, un miroir, des fers à friser, des fards, des pots remplis d’opiats et d’onguents pour nettoyer les dents, noircir les sourcils, teindre et parfumer les cheveux ; on croirait voir le laboratoire d’un pharmacien. Elle couvre à moitié son front sous les anneaux de sa chevelure, tandis qu’une autre partie de cette chevelure flotte sur ses épaules. Les bandelettes de sa chaussure sont si serrées qu’elles entrent dans sa chair ; elle est moins vêtue qu’enfermée sous un tissu transparent, qui laisse voir ce qu’il est censé cacher. Elle attache des perles précieuses à ses oreilles, des bracelets en forme de serpent d’or à ses poignets et à ses bras ; une couronne de diamants et de pierreries des Indes repose sur sa tête ; de longs colliers pendent à son cou ; des talons d’or ornent sa chaussure de pourpre ; elle rougit ses joues impudentes, afin de dissimuler sa pâleur. Ainsi parée, elle sort pour adorer des déesses inconnues et fatales à son mari. Ces adorations sont suivies d’initiations mal famées et de mystères suspects[136]. Elle rentre, et passe d’un bain prolongé à une table somptueuse ; elle se gorge d’aliments, elle goûte à tous les mets du bout du doigt. Un lit voluptueux l’attend ; elle s’y livre à un sommeil inexplicable, si c’est un sommeil ; et quand on sort de cette couche moelleuse, il faut vite courir aux thermes voisins[137]. De cette satire Callicratidas passe à l’éloge du jeune homme : Il se lève avant l’aurore, se plonge dans une eau pure, étudie les maximes de la sagesse, joue de la lyre, dompte sa vigueur sur des coursiers de Thessalie, et lance le javelot ; c’est Mercure, Apollon, Castor. Qui ne serait l’ami d’un pareil jeune homme ? L’amour était le médiateur de l’amitié entre Oreste et Pylade ; ils voguaient ensemble sur le même vaisseau de la vie : il est beau de s’exciter aux actions héroïques par une triple communauté de plaisirs, de périls et de gloire. L’âme de ceux qui aiment de cet amour céleste habite les régions divines, et deux amants de cette sorte reçoivent après la vie le prix immortel de la vertu[138]. Callicratidas exprime ici l’opinion de Platon, et de Socrate, déclaré le plus sage des hommes ! Licinius juge le procès : il laisse les femmes aux hommes vulgaires, et les petits garçons aux philosophes. Théomneste rit de la prétendue pureté de l’amour philosophique, et finit par la peinture d’une séduction dont les nudités sont à peine supportables sous le voile de la langue grecque ou latine. Les plus grands personnages de la Grèce et les plus hautes renommées paraissent sous le joug de ces dégradantes passions. Alexandre fit rougir ses soldats de sa familiarité avec l’eunuque Bagoas. Périclès vivait publiquement avec la femme de son fils[139] ; il défendit devant les tribunaux Cimon, accusé d’inceste avec sa soeur Elpinice, et Elpinice devint le prix de l’éloquence tarée du triomphant orateur[140]. Sophocle sort d’Athènes avec un jeune garçon, qui lui dérobe son manteau ; Euripide se raille de Sophocle, et lui déclare qu’il a possédé pour rien la même créature[141]. Sophocle lui répond en vers : Euripide, ce fut le soleil et non un jeune garçon qui me dépouilla en me faisant éprouver sa chaleur ; pour toi, c’est Borée qui t’a glacé dans les bras d’une femme adultère[142]. Le sale Diogène dansait avec l’élégante Laïs, qui se livrait à lui ; et le voluptueux Aristippe, amant de Laïs, approuvait le partage. Sur le tombeau de Dioclès, de jeunes garçons célébraient chaque année la fête des baisers : le plus lascif obtenait la couronne[143] : Dioclès avait été un infâme. Athénée nous apprend encore le rôle que jouaient les courtisanes, et Lucien les leçons qu’elles se donnaient entre elles : Aspasie, Phrynée, Laïs, Glycère, Flora, Gnathène, Gnathénion, Manie et tant d’autres, sont devenues des personnages mêlés aux plus graves comme aux plus beaux souvenirs de l’histoire, des arts et du génie. Un trait particulier distingue le dialogue des Courtisanes dans Lucien. L’auteur met souvent en scène une mère et une fille : c’est la mère qui corrompt la fille, qui cherche à lui enlever tout remords, toute pudeur, qui l’instruit au libertinage, au mensonge, au vol, qui lui conseille de se prostituer au plus rustre, au plus laid, au plus infâme, pourvu qu’il paye bien et qu’on le puisse dépouiller. Quant aux jeunes courtisanes, elles éprouvent presque toujours une passion sincère et naïve ; elle, ont recours à des enchantements, comme la magicienne de Théocrite, pour rappeler des amants volages ; on les voit occupées à les arracher non seulement à leurs rivales, mais encore à leurs rivaux, les philosophes. Chélidonion propose à Drosé d’écrire avec du charbon sur la muraille du Céramique : Aristenet corrompt Clinias. Cet Aristenet était un philosophe qui avait enlevé Clinias à Drosé. Enfin l’on trouve parmi les Dialogues de Lucien celui de Clonarion et de Léaena, consacré à la peinture des désordres entre les femmes ; ils y sont peints comme les désordres entre les hommes. Léaena est aimée d’une riche femme de Lesbos, Mégille, déjà liée avec Démonasse, femme de Corinthe. Ces deux saphiennes invitent Léaena à partager leur commune couche. Mégille jette au loin sa fausse chevelure, paraît nue et la tête rase comme un athlète. Léaena entre dans des détails assez étendus avec Clonarion, et refuse de lui donner les derniers[144]. Vous auriez une fausse idée de ces ouvrages si vous vous les représentiez comme ces mauvais livres destinés parmi nous à la dépravation de la jeunesse, mais qui ne peignent point l’état général de la société. Les Pères de l’Église s’expriment comme Lucien et comme Athénée ; Clément d’Alexandrie indique des choses de la même nature que celles rappelées aux dialogues des Amours, et il cite ailleurs des faits racontés par Lucien lui-même[145] ; il parle de la Vénus de Cnide souillée dans son temple, et de Philoenis, à qui, dit Fleury, on attribuait un écrit touchant les impudicités les plus criminelles dont les femmes soient capables. Saint Justin, dans son Apologie, assure que l’ouvrage de Philoenis était dans les mains de tout le monde[146]. Chez plusieurs nations, un prix était décerné au plus impudique[147]. Il y avait des villes entières consacrées à la prostitution : des inscriptions écrites à la porte des lieux de libertinage et la multitude des simulacres obscènes trouvés à Pompéi ont fait penser que cette ville jouissait de ce privilège. Des philosophes méditaient pourtant sur la nature de Dieu et de l’homme dans cette Sodome, leurs livres déterrés ont moins résisté aux cendres du Vésuve que les images d’airain du musée secret de Portici. Caton le Censeur louait les jeunes gens abandonnés au vice que chantaient les poètes[148]. Après les repas, on voyait sur les lits du festin de malheureux enfants qui attendaient les outrages[149]. Ammien Marcellin a peint les descendants des Cincinnatus et des Publicola au IVe siècle[150]. Ils se distinguent par de hauts chars ; ils suent sous le poids de leur manteau, si léger pourtant que le moindre vent le soulève. Ils le secouent fréquemment du côté gauche pour en étaler les franges et laisser voir leur tunique, où sont brodées diverses figures d’animaux. Etrangers, allez les voir, ils vous accableront de caresses et de questions. Retournez-y, il semble qu’ils ne vous aient jamais vus. Ils parcourent les rues avec leurs esclaves et leurs bouffons... Devant ces familles oisives marchent d’abord des cuisiniers enfumés, ensuite des esclaves avec les parasites. Le cortège est fermé par des eunuques, vieux et jeunes, pâles, livides, affreux. Envoie-t-on savoir des nouvelles d’un malade, le serviteur n’oserait rentrer au logis avant de s’être lavé de la tête aux pieds. La populace n’a d’autre abri pendant la nuit que les tavernes ou les toiles tendues sur les théâtres : elle joue aux dés avec fureur, ou s’amuse à faire un bruit ignoble avec les narines[151]. Ceux qui s’enorgueillissent de porter les noms des Reburri, des Faburri, des Pagoni, des Geri, des Dali, des Tarrasci, des Perrasi, vont aux bains couverts de soie et accompagnés de cinquante esclaves. A peine entrés dans la piscine, ils s’écrient : Où sont mes serviteurs ? S’il se trouve quelque créature jadis usée au service du public, quelque vieille qui a trafiqué de son corps, ils courent à elle, et lui prodiguent de sales caresses. Et voilà des hommes dont les ancêtres admonestaient un sénateur pour avoir donné un baiser à sa femme devant sa fille ! Les prétendez-vous saluer, tels que des taureaux qui vont frapper de la corne, ils baissent la tête de côté, et ne laissent que leur genou ou leur main au baiser de l’humble client... Au milieu des festins, on fait apporter des balances pour peser les poissons, les loirs et les oiseaux. Trente secrétaires, les tablettes à la main, font l’énumération des services. Si un esclave apporte trop tard de l’eau tiède, on lui administre trois cents coups de fouet. Mais si un vil favori a commis un meurtre : Que voulez-vous ? dit le maître ; c’est un misérable ! Je punirai le premier de mes gens qui se conduira ainsi. Ces illustres patrices vont-ils voir une maison de campagne ou une chasse que les autres exécutent devant eux ; se font-ils transporter dans des barques peintes, par un temps un peu chaud, de Putéoles à Cajète, ils comparent leurs voyages à ceux de César et d’Alexandre. Une mouche qui se pose sur les franges de leur éventail doré, un rayon de soleil qui passe à travers quelque trou de leur parasol, les désolent ; ils voudraient être nés parmi les Cimmériens[152]. Cincinnatus eût perdu la gloire de la pauvreté si après sa dictature il eût cultivé des champs aussi vastes que l’espace occupé par un seul des palais de ses descendants[153]. Le peuple ne vaut pas mieux que les sénateurs ; il n’a pas de sandales aux pieds, et il se fait donner des noms retentissants ; il boit, joue et se plonge dans la débauche ; le grand cirque est son temple, sa demeure, son forum. Les plus vieux jurent par leurs rides et leurs cheveux gris que la république est perdue si tel cocher ne part le premier et ne rase habilement la borne. Attirés par l’odeur des viandes, ces maîtres du monde suivent des femmes qui crient comme des paons affamés, et se glissent dans la salle à manger des patrons[154]. La mollesse du peuple passa à l’armée : le soldat préférait la chanson obscène au cri de guerre ; une pierre, comme autrefois, ne lui servait plus d’oreiller sur un lit armé, et il buvait dans des coupes plus pesantes que son épée[155] ; il connaissait le prix de l’or et des pierreries ; le temps n’était plus où un légionnaire ayant trouvé dans le camp d’un roi de Perse un petit sac de peau rempli de perles les jeta, sans savoir ce que c’était, et n’emporta que le sac[156]. Le soldat romain quitta la cuirasse, abandonna le pilum et la courte épée : alors, nu comme le barbare et inférieur en force, il fut aisément vaincu. Végèce attribue les défaites successives des légions à l’abandon des anciennes armes[157]. Les désordres de la police de Rome étaient extrêmes : on en jugera par un événement arrivé sous le règne de Théodose Ier. Les empereurs avaient bâti de grands édifices où se trouvaient les moulins et les fours qui servaient à moudre la farine et à cuire le pain distribué au peuple. Plusieurs cabarets étaient élevés auprès de ces maisons ; des femmes publiques attiraient les passants dans ces cabarets ; ils n’y étaient pas plus tôt entrés qu’ils tombaient par des trappes dans des souterrains. Là ils demeuraient prisonniers le reste de leur vie, contraints à tourner la meule, sans que jamais leurs parents pussent savoir ce qu’ils étaient devenus. Un soldat de Théodose, pris à ce piège, s’arma de son poignard, tua ses détenteurs et s’échappa. Théodose fit raser les édifices qui couvraient ces repaires ; il fit également disparaître les maisons de prostitution où étaient reléguées les femmes adultères[158]. L’anarchie dans les provinces égalait celle qui régnait dans la capitale : Salvien déclare qu’il n’y a point de châtiment que ne méritassent les Romains ; il les compare aux barbares, et les trouve inférieurs à ceux-ci en charité, sincérité, chasteté, générosité, courage. Il fait la description de la Septimanie : Vignes, prairies émaillées de fleurs, vergers, campagnes cultivées, forêts, arbres fruitiers, fleuves et ruisseaux, tout s’y trouve. Les habitants de cette province ne devraient-ils pas remplir leurs devoirs envers un Dieu si libéral pour eux ? Eh bien, le peuple le plus heureux des Gaules en est aussi le plus déréglé[159]. La gourmandise et l’impureté dominent partout. Les riches méprisent la religion et la bienséance ; la foi du mariage n’est plus un frein, la femme légitime se trouve confondue avec les concubines. Les maîtres se servent de leur autorité pour contraindre leurs esclaves à se rendre à leurs désirs. L’abomination règne dans les lieux où des filles n’ont plus la liberté d’être chastes. On trouve des Romains qui se livrent à tous les désordres, non dans leurs maisons, mais au milieu des ennemis et dans les fers des barbares. Les villes sont remplies de lieux infâmes, et ces lieux ne sont pas moins fréquentés par les femmes de qualité que par celles d’une basse condition : elles regardent ce libertinage comme un des privilèges de leur naissance, et ne se piquent pas moins de surpasser les autres femmes en impureté qu’en noblesse[160]. Il n’y a plus personne, continue le nouveau Jérémie, pour qui la prospérité d’autrui ne soit un supplice. Les citoyens se proscrivent les uns les autres : les villes et les bourgs sont en proie à une foule de petits tyrans, juges et publicains. Les pauvres sont dépouillés, les veuves et les orphelins opprimés. Des Romains vont chercher chez les barbares une humanité et un abri qu’ils ne trouvent pas chez les Romains ; d’autres, réduits au désespoir, se soulèvent et vivent de vols et de brigandage ; on leur donne le nom de Bagaudes[161] ; on leur fait un crime de leur malheur ; et pourtant ne sont-ce pas les proscriptions, les rapines, les concussions des magistrats, qui ont plongé ces infortunés dans un pareil désordre ? Les petits propriétaires, qui n’ont pas fui, se jettent entre les bras des riches pour en être secourus, et leur livrent leurs héritages. Heureux ceux qui peuvent reprendre à ferme les biens qu’ils ont donnés ! Mais ils n’y tiennent pas longtemps : de malheur en malheur, de l’état de colons où ils se sont réduits volontairement, ils deviennent bientôt esclaves[162]. Ce passage de Salvien est un des documents les plus importants de l’histoire : il nous apprend comment l’état des propriétés et des personnes changea au VIe siècle, comment le petit propriétaire livra son bien et ensuite sa personne au grand propriétaire pour en recevoir protection. Cet effet violent de la nécessité se convertit en usage, et bientôt en loi : on donna son aleu au barbare, qui le rendit en fief moyennant service ; et ainsi s’établit la mouvance et la propriété féodale. Il faut joindre aux causes de la destruction des lois et des moeurs païennes une dernière cause, puissante dans les hauts rangs de la société : la philosophie. Je vous ai déjà fait observer que les sectes philosophiques étaient au paganisme ce que les hérésies étaient au christianisme, dans le rapport inverse de la vérité à l’erreur La vérité philosophique ne fut dans son origine que la vérité religieuse, ou, pour parler plus correctement, la philosophie, qui prit naissance dans les temples, fut d’abord cultivée en secret par les prêtres. La vérité philosophique (indépendance de l’esprit de l’homme dans la triple science des choses intellectuelles, morales et naturelles) se dut trouver altérée, selon le temps et les lieux. Les hommes placés au berceau du monde cherchèrent et crurent découvrir les lois mystérieuses de la nature dans la cause la plus agissante sous leurs yeux. Ainsi les prêtres de la Chaldée regardèrent la lumière dont ils étaient inondés dans leur beau climat comme une émanation de l’âme universelle ; bientôt ils attribuèrent aux astres qu’ils observaient une influence toute particulière sur l’homme et sur la nature. La lumière, diminuant de force en s’éloignant de son foyer, créait sur son chemin du ciel à la terre des êtres dont l’intelligence variait selon le degré de fécondité qui restait au rayon créateur. Le système des prêtres chaldéens donna naissance à la théorie des génies : les usages et les moeurs s’enchaînèrent à la marche des saisons. Les mages, ne considérant dans la lumière que la chaleur, firent du feu le principe de tout. Et comme il y avait selon les mages une matière brute qui résistait à l’action du feu, de là les deux principes : l’esprit et la matière, le bien et le mal. Par le feu ou la chaleur se reproduisaient l’âme humaine et les génies de la religion secrète des Chaldéens. Les prêtres d’Égypte se persuadèrent, au bord du Nil, que l’eau était l’agent d’une âme universelle pour la reproduction des corps. Ayant remarqué qu’il y a dans l’homme un esprit et dans l’animal un instinct, ils en conclurent une intelligence qui tend à s’unir à la matière, cette intelligence voulant toujours produire des choses parfaites, et la matière s’opposant toujours à la perfection. Mais il paraît qu’ils regardaient le bon et le mauvais principe comme également matériels, ce qui faisait une doctrine d’athéisme et de matérialisme chez le peuple le plus superstitieux de la terre. Aujourd’hui que les Indes nous sont mieux connues, que leurs langues sacrées sont dévoilées aux savants de l’Europe, nous trouvons dans ces immenses régions des systèmes métaphysiques de toutes les sortes, des cultes de toutes les formes, même de la forme chrétienne ; nous trouvons trois principes excellents, bien que mêlés de choses extravagantes : l’existence d’un Dieu suprême, l’immortalité de l’âme, et la nécessité morale de faire le bien. Mais cette nécessité morale de la philosophie indienne eut une conséquence aussi inattendue que désastreuse : d’après la nécessité du bien, l’âme de l’homme devait retourner au sein de Dieu si elle pratiquait la vertu, ou s’emprisonner dans d’autres corps sur la terre si elle s’était abandonnée aux vices. Ce cercle inévitable de la société religieuse rendit la société politique stationnaire ; tout s’incrusta dans des castes qui ne remuaient pas plus que ces bonzes fixés des jours entiers dans la même attitude, par esprit de sacrifice et de perfection. Ce que le matérialisme opéra en Chine et la superstition en Égypte, la philosophie l’accomplit aux Indes : elle ligatura l’homme dans son berceau et dans sa tombe. La haute science fut donc captive dans les collèges sacerdotaux de la Chaldée, de la Perse, des Indes et de l’Égypte. Rendons justice aux Grecs ; ils tirèrent la philosophie du fond des temples, comme le christianisme la fit sortir des écoles philosophiques. Ainsi la philosophie fut pratiquée secrètement par les prêtres, c’est son premier pas ; elle fut étudiée par quelques hommes supérieurs de la Grèce hors des sanctuaires, c’est son second pas ; elle fut livrée à la foule par les chrétiens, c’est son troisième et dernier pas. Les Grecs qui dérobèrent les premiers la philosophie aux initiations furent des poètes et des législateurs, tels que Linus, Orphée, Musée, Eumolpe, Mélampe. Ensuite vinrent, dans une société plus avancée, Thalès, Pythagore, Phérécide. Voyageurs aux Indes, en Perse, en Chaldée, en Égypte, ils pénétrèrent leurs systèmes des doctrines qu’ils avaient étudiées chez les prêtres de ces contrées. Thalès, comme les Egyptiens, admit l’eau pour élément général, et devint le chef de la philosophie expérimentale ; une des branches de son école donna naissance à la philosophie morale, personnifiée dans Socrate. Pythagore engendra la philosophie intellectuelle, que divinisa Platon. Aristote, esprit positif et universel, supposa une matière éternelle et des formes mathématiques invariables renfermées dans cette matière. Le monde finit par se partager entre les deux écoles de Platon et d’Aristote, entre le système des formes et celui des idées. Les conquêtes d’Alexandre répandirent la philosophie grecque sur le globe, où elle s’enrichit de nouvelles connaissances. Alexandre commanda à tous les hommes vivants d’estimer la terre habitable être leur pays, et son camp en être le château et le donjon ; tous les gens de bien, parents les uns des autres, et les méchants seuls étrangers : au demeurant, que le Grec et le barbare ne seraient point distingués par le manteau, ni à la façon de la targe, ou au cimeterre, ou par le haut chapeau, mais remarqués et discernés, le Grec à la vertu et le barbare au vice, en réputant tous les vertueux Grecs et tous les vicieux barbares. (...) Quel plaisir de voir ces belles et saintes épousailles, quand il comprit dans une même tente cent épousées persiennes, mariées à cent époux macédoniens et grecs, lui-même estant couronné de chapeaux de fleurs et entonnant le premier le chant nuptial d’Hymenaeus, comme un cantique d’amitié générale ![163] Amyot, qui introduit ici, sans le savoir, la langue et le reflet des moeurs de son siècle dans la peinture de l’âge philosophique et poli de la Grèce, n’ôte rien à la vérité des faits et leur ajoute un charme étranger. Il n’est point de mon sujet d’entrer dans le détail des sectes philosophiques [164]; mais je dois rappeler que la philosophie de Platon, mêlée aux dogmes chaldéens et aux traditions juives, s’établit à Alexandrie sous les Ptolémée : tous les systèmes, toutes les opinions convergèrent à ce centre de lumières et de ténèbres, dont le christianisme débrouilla le chaos. La philosophie des Grecs introduite à Rome ébranla le culte national dans la ville la plus religieuse de la terre. Le poète satirique Lucile, l’ami de Scipion, s’était moqué des dieux de Numa, et Lucrèce essaya de les remplacer par le voluptueux néant d’Epicure. César avait déclaré en plein sénat qu’après la mort rien n’était, et Cicéron, qui, cherchant la cause de la supériorité de Rome, ne la trouvait que dans sa piété, disait, contradictoirement, qu’à la tombe finit tout l’homme. L’épicurisme régna chez les Romains durant la majeure partie du Ier siècle de l’ère chrétienne ; Pline, Sénèque, les poètes et les historiens l’attestent par leurs écrits, leurs maximes et leurs vers. Le stoïcisme prit le dessus quand la vertu fut élevée à la pourpre. Ces diverses philosophies, qui ne descendaient point dans le peuple, décomposaient la société ; elles ne guérissaient point la superstition des esclaves et ôtaient la crainte des dieux aux maîtres. Les arts magiques, plus ou moins mêlés aux dogmes scolastiques, la théurgie et la goétie ramenaient des erreurs tout aussi déplorables que les mensonges de la mythologie. Les philosophes, tantôt chassés de Rome, tantôt rappelés, devenaient des personnages importants ou ridicules, qui se prêtaient complaisamment aux idolâtries, aux moeurs et aux crimes de leur siècle. On en remarque auprès de tous les tyrans ; on en trouve au milieu des débauches d’Élagabale : il est vrai que, pour l’honneur de la vertu, ceux-ci se voilaient la tête, comme Agamemnon se couvrait le visage au sacrifice de sa fille[165] ; Plotin même assistait aux désordres de Gratien. Ces sages s’attribuaient des dons surnaturels : depuis Apollonius, qui se transportait par l’air où il voulait, jusqu’à Proclus, qui conversait avec Pan, Esculape et Minerve, il n’y a pas de miracles dont ils ne fussent capables. L’affectation des allures de leur vie rendait suspect, le naturel de leurs principes. Ménédus de Lampsaque paraissait en public vêtu d’une robe noire, coiffé d’un chapeau d’écorce où se voyaient gravés les douze signes du zodiaque ; une longue barbe lui descendait à la ceinture, et monté sur le cothurne, il tenait un bâton de frêne à la main ; il se prétendait un esprit revenu des enfers pour prêcher la sagesse aux hommes[166]. Anaxarque, maître de Pyrrhon, étant tombé dans une ravine, Pyrrhon refusa de l’en retirer, parce que toute chose est indifférente de soi, et qu’autant valait demeurer dans un trou que sur la terre[167]. Lorsque Zénon marchait dans les villes, ses amis l’accompagnaient, de peur qu’il ne fût écrasé par les chars : il ne se donnait pas la peine d’échapper à la fatalité[168]. Diogène faisait le chien dans un tonneau ; Démocrite s’enfermait dans un sépulcre[169] ; Héraclite broutait l’herbe de la montagne[170] ; Empédocle, voulant passer pour une divinité, se précipita dans l’Etna ; le volcan rejeta les sandales d’airain de l’impie, et la fourbe fut découverte[171]. Ces sophistes, de même que les hérésiarques, se livraient à toutes sortes de folies ; des platoniciens se tuaient comme les circoncellions, et des cyniques bravaient la pudeur comme les priscilliens. Dans les écoles d’Athènes et d’Alexandrie, les maîtres mêlaient le peuple à leurs factions ; leurs disciples couraient au-devant des nouveau-venus pour les attirer à leur doctrine, criant, sautant, frappant, à l’instar des furieux. Lucien représente Ménippe affublé d’une massue, d’une lyre et d’une peau de lion, et s’écriant : Je te salue, portique superbe, entrée de mon palais ! Ensuite Ménippe raconte à Philonide que, fatigué de l’incertitude des doctrines, il s’adressa à un disciple de Zoroastre. Ce magicien par excellence, appelé Mithrobarzanes, avait de longs cheveux et une longue barbe. Il prit Ménippe, le lava trois mois entiers dans l’Euphrate, en suivant le cours de la lune et marmottant une longue prière ; il lui cracha trois fois au nez, le plongea de l’Euphrate dans le Tigre, le purifia avec de l’oignon marin, le ramena chez lui à reculons, l’arma de la massue, de la lyre, de la peau du lion, et lui recommanda de se nommer à tout venant Ulysse, Hercule ou Orphée. L’initiation achevée, Ménippe descendit aux enfers conduit par Mithroharzanes. Là, Tirésias lui conseilla de quitter les chimères philosophiques, en lui disant : La meilleure vie est la plus commune. Les Sectes à l’Encan offrent le tableau complet des diverses sectes. Jupiter fait préparer des sièges ; Mercure, investi de la charge d’huissier, appelle les marchands pour acheter toutes sortes de vies philosophiques ; on fera crédit pendant une année, moyennant caution. Jupiter ordonne de commencer par la secte italique. Mercure. Holà, Pythagore ! descends, et fais le tour de la place. Voici une vie céleste : qui l’achètera ? Qui veut être plus grand que l’homme ? Qui veut connaître l’harmonie des sphères et revivre après sa mort ? Un marchand. D’où es-tu ? Pythagore. De Samos. Le marchand. Où as-tu étudié ? Pythagore. En Égypte, chez les sages. Le marchand. Si je t’achète, que m’apprendras-tu ? Pythagore. Je te ferai souvenir de ce que tu sus autrefois. Le marchand. Comment cela ? Pythagore. En purifiant ton âme. Le marchand. Comment l’instruiras-tu ? Pythagore. Par le silence. Tu seras cinq ans sans parler. Le marchand. Après ? Pythagore. Je t’enseignerai la géométrie, la musique et l’arithmétique. Le marchand. Je sais celle-ci. Pythagore. Comment comptes-tu ? Le marchand. Un, deux, trois, quatre. Pythagore. Tu te trompes : quatre est dix, le triangle parfait et le serment, etc. (On déshabille Pythagore,
et l’on découvre qu’il a une cuisse d’or. Trois cents marchands l’achètent
dix mines.) (On appelle Diogène.) Un marchand. Que pourrai-je faire de cet animal, sinon un fossoyeur ou un porteur d’eau ? Mercure. Non pas, mais un portier : il aboie, et il se nomme lui-même un chien. Le marchand. Je crains qu’il ne me morde ; il grince des dents et me regarde de travers. Mercure. Ne crains rien, il est apprivoisé. Le marchand. Ami, de quel pays es-tu ? Diogène. De tous pays. Le marchand. Quelle est ta profession ? Diogène. Médecin de l’âme, héraut de la liberté et de la vérité. Le marchand. Maître, si je t’achète, que m’apprendras-tu ? Diogène. Je t’enfermerai avec la misère, tu ne te soucieras ni de parents ni de patrie ; tu quitteras la maison de ton père ; tu habiteras quelque masure, quelque sépulcre, ou, comme moi, un tonneau. Ton revenu sera dans ta besace pleine de rogatons et de vieux bouquins ; tu disputeras de félicité avec Jupiter ; si l’on te fouette, tu n’en feras que rire. Le marchand. Il faudrait que ma peau fût une écaille d’huître ou de tortue. Diogène. Voici ma doctrine : trouver à redire à tout, avoir la voix rude comme un chien, la mine barbare, l’allure farouche et sauvage, vivre au milieu de la foule comme s’il n’y avait personne, être seul au milieu de tous, préférer la Vénus ridicule et se livrer en public à ce que les autres rougissent de faire en secret. Si tu t’ennuies, tu prendras un peu de ciguë ; et tu t’en iras de ce monde : voilà le bonheur ; en veux-tu ? Après Diogène, pour lequel on donne deux oboles, Mercure fait venir Aristippe ; il est ivre, et ne peut répondre. Mercure explique sa doctrine : ne se soucier de rien, se servir de tout, chercher la volupté n’importe où. Héraclite et Démocrite, abrégé de la sagesse et de la folie, succèdent à Aristippe : l’un rit, l’autre pleure. Démocrite rit parce que tout est vanité et que l’homme n’est qu’un concours d’atomes produit du hasard. Héraclite pleure parce que le plaisir est douleur, le savoir ignorance, la grandeur bassesse, la santé infirmité, le monde un enfant qui joue aux osselets et se tourmente pour un songe. Héraclite regrette le passé, s’ennuie du présent et s’épouvante de l’avenir. Jupiter fait semondre Socrate. Un marchand. Qu’es-tu ? Socrate. Amateur de petits garçons et maître ès arts d’aimer[172]. Le marchand. Dans ce cas, mon fils est trop beau pour que je te confie son éducation. Socrate. Je ne suis pas amoureux du corps, mais de l’esprit : quand je dormirais avec ton fils, il ne se passerait rien de déshonnête. Le marchand. Cela m’est fort suspect... Socrate. Je le jure par le chien et le platane. Le marchand. Quelle est ta doctrine ? Socrate. J’ai inventé une république, et je me gouverne d’après ses lois. Le marchand. Que fait-on dans ta république ? Socrate. Les femmes n’y appartiennent pas à un seul mari ; chaque homme peut avoir commerce avec elles toutes. Le marchand. Les lois contre l’adultère sont-elles donc abrogées ? Socrate. Niaiseries. Le marchand. Et qu’as-tu statué pour les beaux et jeunes garçons ? Socrate. Ils deviendront le prix de la vertu, et leur amour sera la récompense du courage. Socrate est vendu deux talents. Epicure vient après Socrate : C’est, dit Mercure, le disciple du grand rieur Démocrite et du grand débauché Aristippe ; il aime les choses douces et emmiellées. Chrysippe le stoïcien, à la barbe longue et aux cheveux courts, est présenté aux criées comme la vertu même et le censeur du genre humain. Chrysippe est le seul sage, le seul riche, le seul éloquent, le seul beau, le seul juste ; il explique au marchand ébahi qu’il y a des choses principales et des choses moins principales, des accidents et des accidents d’accidents ; il lui prétend enseigner les syllogismes : le moissonneur, le dominant, l’électra, le masqué ; il lui prouve que lui marchand ne connaît pas son père, qu’il est une pierre ou un animal, un animal ou une pierre[173]. Le péripatéticien succède au stoïcien : il sait combien de temps vit un moucheron, à quelle profondeur les rayons du soleil pénètrent dans la mer, et quelle est l’âme des huîtres[174]. Le dialogue se termine à Pyrrhias (pour Pyrrhon). Le marchand. Que sais-tu, Pyrrhias ? Le philosophe. Rien[175]. Le marchand. Comment, rien ? Le philosophe. Parce que je ne sais pas s’il y a quelque chose. Le marchand. Est-ce que nous n’existons pas ? Le philosophe. Je ne sais[176]. Le marchand. Et toi, n’existes-tu pas ? Le philosophe. Je le sais encore moins[177]. Le marchand. Je viens de t’acheter : n’es-tu pas à moi ? Le philosophe. Je m’abstiens, et je considère[178]. Le marchand. Suis-moi, tu es mon esclave. Le philosophe. Qui le sait ? Le marchand. Ceux qui sont ici. Le philosophe. Est-ce qu’il y a quelqu’un ici ? Le marchand. Je te prouve que je suis ton maître. (Il le bat.) Le philosophe. Je m’abstiens, et je considère. Lucien, dans l’Hermotine, ou les Sectes, achève de ruiner l’échafaudage de l’orgueil de l’homme. Ainsi se montraient, flétris et vaincus du temps, ces philosophes jadis l’honneur de l’humanité, ces sages qui au milieu des nations souillées et matérialisées avaient conservé les vérités de la science, de la morale et de la religion naturelle, jusqu’à ce qu’ils se corrompissent avec la foule, et par l’infirmité même de la sagesse. Voilà la société romaine : ses générations étaient mûres ; les barbares se présentaient comme les faucheurs qui nous viennent des provinces éloignées pour abattre nos foins et nos blés ; les chrétiens et les païens allaient tomber sur les sillons, selon le poids de leur valeur respective. L’homme attaché aux joies de la vie ne voyait approcher le Franc, le Goth, le Vandale, qu’avec les terreurs de la mort, tandis que l’anachorète, le prêtre, l’évêque, cherchaient comment ils adouciraient les vainqueurs et comment ils feraient des calamités publiques un moyen d’enrôler de nouveaux soldats sous l’étendard du Christ. |
[1] Macchabées, lib. I, cap. I.
[2] Macchabées, lib. II, cap. IV.
[3] La Mishna est un recueil des traditions juives, fait vers le milieu du second siècle de l’ère chrétienne, par le rabbin Juda, fils de Simon, appelé le Saint à cause de la pureté de sa vie, et chef de l’école hébraïque à Tibériade, en Galilée.
Ea omnia secundum certa doctrinae, capita disposuit, et in unum volumen redegit, cui nomen hoc Mishna, hoc est deuterwsiz, imposuit. Tela ignea Satanae. (Wagemeil, pr., p. 55.)
[4] Cum aliquando seniores sederent in porta (urtis), praeterierunt ante ipsos duo pueri, quorum alter caput texerat, alter detexerat. Et de eo quidem qui caput proterve, et contra bonos mores, detexerat, pronuntiavit R. Elieser quod esset spurius.
... Abiit ergo ad matrem pueri istius, quam cum videret sedentem in foro et vendentem legumina... Unde apparuit puerum istum esse non modo spurium, sed et menstruatae filium.
[5] Venit itaque lesus Nazarenus, et ingressus templum didicit litteras illas, et scripsit in pergameno ; deinde scidit carnem cruris sui, et in incisione illa inclusit dictam chartulam, et dicendo nomen, nullum sensit dolorem, et rediit cutis continuo sicut ante erat.
[6] Ipse quippe per Schemhamephoras adjuraverat omnia ligna ne susciperent eum. Abierunt itaque, et adduxerunt stipitem unius caulis qui non est de lignis, sed de herbis, et suspenderunt eum super eum.
[7] Nec sibi in pecunia subsistere, sed in aestimatione terrae, quod eis esset in quadraginta minus uno jugeribus constituta, quam suis manibus excolentes, vel ipsi alerentur vel tributa dependerent. Simul et testes ruralis et diurni operis, manus labore rigidas et callis obduratas praeferebant. Interrogati vero de Christo, quale sit regnum ejus... responderunt, quod non hujus mundi regnum. (Hégésippe, ap. Eusèbe, lib. III, cap. XX.)
[8] Athénagore, Apologie, trad. de Fleury. (Hist. ecclés., lib. III, t. I, p. 389.)
[9] Clément Alex., Pédagogue, lib. I, II, III ; Id., in Stromates.
[10] Quod Deus dederit. Deus videt, et Deo commendo, et Deus mihi reddet... Denique pronuntians hoc, non ad Capitolium, sed ad coelum respicit. (Tertullien, Apologeticus, cap. XVII, p. 64 ; Parisiis, 1657.)
[11] S. Polycarpe, Epist.
[12] Sta firmus velut incus quae verberatur. (Ignat. ad Polycarpe, 206 ; Genevae, 1623.)
[13] Tunc ero verus Jesu Christi discipulus cum mundus nec corpus meum viderit. Deprecemini Dominum pro me, ut per haec instrumenta Deo efficiar hostia. Non ut Petrus et Paulus haec praecipio vobis : illi apostoli Jesu Christi, ego vero minimus ; illi liberi utpote servi Dei, ego vero etiamnum servus. (Ignat., Epistola ad Romanos, p. 247 ; Genevae, 1623.)
[14] In oratione spiritum Deo reddidit. (Martyr., 6 janvier.)
[15] Qui de ultima faece collectis inferioribus et mulieribus credulis... plebem profanae conjurationis instituunt... miseri... ipsi semi nudi... maxime indocti. (Théophane Antioch., lib. II ; Minutius Felix, Apol.)
[16] Nihil perquiras, sed duntaxat credito... humanam hanc sapientiam pro noxia esse habendam, et pro bona frugique stultitiam (...) Malam esse in vita sapientiam. (Origène, Cont. Cels., lib. I.)
[17] Apud Greg. Naziance
[18] S. Cyprien, lib. ad Demet.
[19] Pline, epist. ad Traj.
[20] Tertullien, Apologétique, cap. I.
[21] Minutius Felix.
[22] Ac. Proc. Mart. Scill.
[23] Greg. Naziance, Cont. Julian.
[24] Philopatris, et, dans Bull. Hist. de l’Etabliss. du Christ., tirée des seuls auteurs juifs et païens, p. 261. Lardner, Jewish and heathen testimonies, etc., t. II, p. 366. J’ai conservé la version de Bullet, en faisant disparaître des contresens, des négligences et des obscurités de style ; le texte est lui-même fort embarrassé, et n’a aucun rapport avec l’élégance de Lucien. Le Philopatris a été aussi traduit par d’Ablancourt et par Blin de Saint-Maure.
[25] Tout ceci était écrit longtemps avant les journées des 27, 28 et 29 juillet.
[26] Origène, Cont. Cels.
[27] Uxorem jam pudicam maritus non jam zelotypus ejecit. Filium subjectum pater retro patiens abdicavit. (Tertullien, Apologétique, cap. III, t. II, p. 16 ; Parisiis, 1648.)
[28] Itaque non sine foro, non sine macello, non sine balneis, tabernis, officinis, stabulis, nundinis vestris, caeterisque commerciis cohabitamus hoc seculum. Navigamus et nos vobiscum, et rusticamur et mercamur. (Tertullien, Apologétique, p. 343, cap. XLII, t. II.)
[29] Plane confitebor, si forte vere de sterilitate christianorum conqueri possunt. Primi erunt lenones, perductores, aquarioli. Tum sicarii, venenarii, magi. Item aruspices, arioli, mathematici. His infructuosos esse magnus fructus est. (Tertullien, Apologétique, cap. XLIII, p. 356.)
[30] Tertullien, Apologétique.
[31] 55. Erant autem ibi mulieres multae a longe, quae secutae, erant Jesum a Galilaea, ministrantes ei.
56. Inter quas erat Maria Magdalena, et Maria Jacobi et Josephi mater... (Evang. ecundum Matthoeum, cap. XXVII, v. 55-56.)
[32] 9. Vidua eligatur non minus sexaginta annorum, que fuerit uxor unius viri.
10. In operibus bonis testimonium habens si filios educavit, si hospitio recepit, si sanctorum pedes lavit, si tribulationem patientibus subministravit. (Epist. B. Pauli ad Thimoth., cap. V, v. 9-10.)
[33] Nam nec templa circuitis, nec spectacula postulatis, nec festos dies gentilium nostis. Nulla est strictius prodeundi causa, nisi imbecilis aliquis ex fratribus visitandus, aut sacrificium affertur, aut Dei verbum administratur. (Tertullien, De Cultu feminar., lib. II, p. 315 ; Parisiis, 1568.)
[34] Discutiendae enim sunt deliciae quarum mollitia et fluxu fidei virtus effeminari potest. Caeterum nescio an manus spathalio circumdari solita in duritia catenae stupescere sustineat. Nescio an crus de periscelio in nervum se patiatur arctari. Timeo cervicem, ne margaritarum et smaragdorum laqueis occupata locum spathae non det. (Tertullien, De Cultu feminar., lib. II, p. 315 ; Parisiis, 1568.)
[35] Tanquam sub oculis Dei modeste et moderate transiguntur. (Tertullien, Ad Uxor., lib. II, cap. IV, p. 332.)
[36] Ut statio facienda est, maritus de die condicat ad balneas. Si jejunia observanda sunt, maritus eadem die convivium exerceat. Si procedendum erit, nunquam magis familiae occupatio adveniat. (Tertullien, Ad Uxor., lib. II, cap. IV, p. 332.)
[37] Quis denique in solemnibus Paschae abnoctantem securus sustinebit ? Quis ad convivium dominicum illud quod infamat sine sua suspicione dimittet ? Quis in carcerem ad osculanda vincula martyris reptare patietur ? aquam sanctorum pedibus offerre ? (Tertullien, Ad Uxor., lib. II.)
[38] Il s’agit de l’Eucharistie, et toujours de l’histoire de l’enfant que devaient manger les chrétiens.
Cum aliquid immundum flatu exspuis, non magiae aliquid videberis operari ? Non sciet maritus quid secreto ante omnem cibum gustes ? Et si sciverit panem, non illum credet esse qui dicitur ? (Tertullien, Ad Uxor., lib. II, p. 333.)
[39] Quid maritus suus illi, vel marito quid illa cantabit ? quae Dei mentio ? quae Christi invocatio ? (Tertullien, Ad Uxor., p. 333.)
[40] Ecclesia conciliat, et confirmat oblatio. Obsignatum angeli renuntiant, pater rato habet (...) duo in carne una, ubi et una caro, unus et spiritus. Simul orant, simul jejunia transigunt. In ecclesia Dei pariter, in angustiis, in refrigersii. (Tertullien, Ad Uxor., p. 333.)
[41] Lucian., In Pereg.
[42] Nate nate, Symphoriane (...) Sursum cor suspende fili ; hodie tibi vita non tollitur, sed mutatur in melius. (Act. Martyr. in Symphor., p. 72 ; Parisiis, 1689.)
[43] Beata vero Blandina ultima omnium... festinat, exultans, ovans, velut ad thamamum sponsi invitata et ad nuptiale convivium. (Eusèbe, lib. IV, cap. III, p. 539.)
[44] Cum venerabili matre, Marcella, ignis suppliciis consummata est. (Eusèbe, lib. VI, cap. V.)
[45] Velum raptim discerpens ostendebat et capitis sui canitiem : et haec inquit : Reverere, fili, nam et tu forsitan matrem jam canam habes. Et nobis quidem miseris relinque lacrymas ; tibi vero spem habe. (Act. Mart. sincera, p. 360. Parisiis, 1689)]
[46] Alia vero die jussit Adrianus imperator simul omnes septem filios ejus sibi praesentari et ad trochleas extendi. (Act. Mart. sincera, p. 29.)
[47] O nate ! inquit, perfice cum tuis contubernalibus iter beatum, ne unus desis illorum choro, ne reliquis serius Domino praesenteris. (Act. sinc., p. 469 ; Veron., 1731.)
[48] Ego infantem lactabam. (Act. sinc., p. 81.)
[49] Miserere, filia, canis meis ; miserere patri ! (Act. sinc., p. 82.)
[50] Act. sinc., p. 82 et 83.
[51] Act. sinc., p. 86.
[52] Act. sinc., p. 87.
[53] Act. sinc., p. 590.
[54] Act. sinc., p. 88.
[55] Eusèbe, Hist. ecclés., lib. IV, p. 73.
[56] Eusèbe, Hist. ecclés., lib. IV, p. 73.
[57] Eusèbe, Hist. ecclés., lib. IV, p. 73.
[58] Eusèbe, Hist. ecclés., lib. IV, p. 73.
[59] Eusèbe, Hist. ecclés., lib. IV, cap. XV, p. 72.
[60] Servi J.-C. qui Viennam et Lugdunum Galliae incolunt fratribus in Asia et Phrygia qui eamdem nobiscum redemptionis fidem et spem habent : pax, gratia et gloria, a Deo Patre et Christo Jesu Domino nostro, sit vobis. (Eusèbe, Hist., lib. V, cap. I, p. 84.)
[61] Rodon... eruditus a Tatiano, libros quam plurimos et contra Marcionis haeresim scripsit. (Eusèbe, Hist., lib. V, cap. XIII.)
[62] Clément d’Alexandrie, Stromates, lib. VI. p. 652 ; Lutetiae Parisiorum, 1641.
[63] Stromates, lib. VI, p. 941.
[64] Stromates, lib. VI, p. 655.
[65] Eusèbe, Hist. ecclés., lib. VI, cap. XIX.
[66] Voyez encore les nouveaux Mélanges historiques et littéraires de M. Villemain, p. 322 et suiv. Il en existe aussi deux autres traductions.
[67] Et sermo hujusmodi nobis cum avibus evolaverat. (S. Ambroise, Hexameron, lib. V, p. 90, t. I, Parisiis, 1586.)
[68] S. Ambroise, Hexameron, lib. V, cap. XX, p. 97.
[69] S. Chrysostome, Homel.
[70] Candidas vestes requirit, exutisque prioribus eas sibi jejunus induit, omnibus ad calceamenta usque mutatis, atque reliquas praesentibus distribuit ; et cum dixisset more suo : Gloria Dei propter omnia, et ultimum Amen obsignasset, extendit pedes. (Pallad., Dialog. de Vit. S. Chrysostome, p. 101.)
[71] S. Augustin, epist., p. 139.
[72] Posid., in vit. S. Augustin, cap. XXII.
[73] Funiculos efficis... ? In mente habeto illos qui per mare navigant. Sportulas exiguas operaris ? Quae nuncupatur malaccia cogita (...) Pulchre et eleganter scribis ? Odiorum fabricatores cogita. (S. patris Ephroem. Syri Paroenesis quadragesima septima, p. 337 ; Antuerpiae, 1619.)
[74] S. Anastasii archiepiscop., S. Antonii Vita, t. II, p. 856 ; Parisiis, 1698.
[75] S. Anastasii archiepiscop., S. Antonii Vita, t. II, p. 856 ; Parisiis, 1698.
[76] S. J. Chrysostome, Hom. XVII, p. 173, t. II ; Parisiis, 1718.
[77] Subditos nos debere esse in bonis operibus, non in malis. An bonum est opus si eum quem innocentem scimus... interimamus ?.. (De non parcendo in Deum delinquentibus. — Luciferi, episcopi Calaritani, ad Constantium. Constantini Magni imp. aug. Opuscula, p. 299 ; Parisiis, 1568.)
[78] Proescrip. cont. hoeret. Fleury.
[79] Append. ad Tertul. Praescrip., in fin.
[80] Tertullien, adv. Valent.
[81] Beausobre, Histoire de Manech. ; Herbelot, Théodoret, Hoeret. ; Acta disput. Arch. ; Monum. ecclés., grec et lat., ap. Vales. et D. Cel.
[82] Philostrate, lib. I, cap. IX.
[83] Sulpice Sévère, lib. XIII.
[84] Noris., Hist. Pelag., lib. II ; Duchesne, Proedest. ; Annal. Benedict., t. II, an. 829.
[85] Irénée, lib. I. cap. VIII et IX ; Théodoret, Hoer., lib. I, cap. X et XI.
[86] Clément, III Stromates.
[87] Nudi toto corpore precantur, tanquam per hujusmodi operationem inveniant dicendi apud Deum libertatem ; corpora autem sua tum muliebria, tum virilia noctu ac diu curant unguentis, balneis, epulationibus, concubitibusque et ebriÉtatibus vacantes, et detestantur jejunantem. Atque humanae carnis esu peracto... Non ad generandam sobolem corruptio apud ipsos instituta est, sed voluptatis gratia, diabolo illudente talibus et seductam errore Dei creaturam subsannante. (Epiphane, episcop. Constantioe Contra hoereses, p. 71. Lutetiae Parisiorum, 1612.)
[88] Altorum montium cacuminibus viles animas projicientes, se praecipites dabant. (Optati Afri., Nilevitani episcopi, De Schismate Donatistarum, lib. III, p. 59 ; Lutetiae Parisiorum, 1700.)
[89] In Bacathis, regione Philadelphina ultra Jordanem. (Epiphane, episcop. Const., Adversus hoereses, LVIII, p. 407.)
[90] Origène, Cont. Cels.
[91] Sulpice Sévère, lib. III ; S. Augustin, Hoeres., LXX.
[92] Eurip., Ap. Just.
[93] Ego homuncio, hoc non facerem ? (Ter., Eun., act. III.)
[94] Quam multas matres fecerit ille deus. (Trist., lib. II.)
[95] Hérodote, lib. I.
[96] Strabon, lib. XVI.
[97] Lucian., De Assyria, init.
[98] Dotalem pecuniam quaesituras... pro reliqua pudicitia libamenta Veneri soluturas. (Just., lib. XVIII.)
[99] Athénée, lib. XIII.
[100]
(...) pulchra Laverna,
Da mihi fallere, da justum sanctumque videri.
(Horace, ep. XVI, lib. I.)
[101] Lactance, De falsa Religione, lib. I, p. 61 ; Basileae.
[102] Lenonum vectigal et meretricum et exoletorum in sacrum aerarium inferri vetuit, sed sumptibus publicis ad instaurationem theatri, circi, amphitheatri et aerarii deputavit. (Lampride, in Alex. Sévère)
[103] Cicéron, in Verr., V, cap. III.
[104] Callistratus scripserat crucem ; Tribonianus furcam substituit, quia Constantinus supplicium crucis abrogaverat. (Pandect., lib. XLVIII, tit. IX, de Poen.)
[105] Erant autem infelices arbores, damnataeque religione, quae nec seruntur nec fructum ferunt : quales populus, alnus, ulmus. (Pline, Hist. nat., lib. XXVI ; Pandect., loc. cit.)
[106] Unco trahebantur. (Pline ; Sénèque)
[107] Ut ab eo primum incipiatur qui timidior est, vel tenerae aetatis videtur. (Pandectes, lib. XLVIII, tit. XVIII.)
[108] Quaestionis modum magis et judices arbitrari oportere. (Pandectes, lib. XLVIII, tit. XVIII.)
[109] Voyez tout l’effroyable titre De Quaestionibus. L’esprit de cette dernière loi est logique dans sa cruauté.
[110] Dion, Hist. Rom., lib. LXXVI, p. 858 ; Hanoviae, 1806.
[111] Croco diluto aut aliis fragrantibus liquoribus. (Martial., V. XXVI, et De Spect., III.)
[112] Pollicem vertebant. (Juvénal, Satires, III, v. 36.)
Quis
nescit, vel quis non vidit vulnera pali ?
Quem
cavat assiduis sudibus scutoque lacessit,
Atque
omnes implet numeros, dignissima prorsus
Florali
matrona tuba ; nisi quid in illo
Pectore
plus agitat veraeque paratur arenae.
Quem
praestare potest mulier galeata pudorem,
Quae fugit a sexu ?
(Juvénal, Satires, VI, p. 151 ; Lugd. Batav., 1695.)
[113] Quidam testamento formosissimas mulieres, quas emerat, eo pugnae genere confligere inter se ; alius, impuberes pueros quos vivus in deliciis habebat. (Athénée, lib. IV, p. 154, édit. 1598.)
[114] Dion, lib. LXII, p. 715.
[115] Athénée, lib. IX, cap. VII.
[116] Athénée, lib. IX, cap. VI. ad fin.
[117] Athénée, Deipnosoph., lib. IX, p. 406.
[118] Lib. IV, cap. VI.
[119] Ælius Lampride, Hist. Auguste, vit. Heliogab., p. 108 ; Parisiis, 1620.
[120] Ælius Lampride, Hist. Auguste, vit. Heliogab., p. 108 ; Parisiis, 1620.
[121] Ælius Lampride, Hist. Auguste, vit. Heliogab., p. 108 ; Parisiis, 1620.
[122] Ælius Lampride, Hist. Auguste, vit. Heliogab., p. 109 ; Parisiis, 1620.
[123] Ælius Lampride, Hist. Auguste, vit. Heliogab., p. 107.
[124] Ælius Lampride, Hist. Auguste, vit. Heliogab., p. 108.
[125] Ælius Lampride, Hist. Auguste, vit. Heliogab., p. 111.
[126] Ælius Lampride, Hist. Auguste, vit. Heliogab., p. 109.
[127] Ælius Lampride, Hist. Auguste, vit. Heliogab., p. 109.
[128] Ælius Lampride, Hist. Auguste, vit. Heliogab., p. 109.
[129] Lampride, p. 109.
[130] Lampride, p. 112.
[131] Lampride, p. 108.
[132] Lampride, p. 111, p. 112.
[133] Inque vices equitant, ac, luna teste, moventur. (Juvénal, Satires, IV.)
[134] Luciani, Amores, p. 572 ; Lutetiae Parisiorum, an. 1615.
[135] Non amant sese leones, nec enim philosophantur. (Luciani, Amores, p. 576 ; Lutetiae Parisiorum, an. 1615.)
[136] Etiam corona caput circumcirca ambit, lapillis indicis stellata, pretiosa autem de cervicibus monilia dependent. Impudentes etiam genas rubefaciunt illitis fucis... Nempe statim e domo egressae, sacrificia faciunt arcana et absque viris suspecta mysteria. (Luciani, Amores, p. 579.)
[137] Domi statim prolixa balnea ac sumptuosa quidem ac lauta mensa. Posteaquam enim nimis quam repletae fuerint sua ipsarum gulositate, summis digitis velut inscribentes appositorum unumquodque degustant. Et diversorum corporum somnos et muliebritate lectum refertum, ex que surgens statim lavacro opus habet. (Luciani, Amores, p. 579.) Ce latin ne rend pas le texte grec.
[138] Luciani, Amores, p. 585.
[139] Athénée, lib. XIII, cap V.
[140] Athénée, lib. XIII, cap V.
[141] Athénée, lib. XIII, cap V, p. 604.
[142] Hoc ubi Sophocles audiit, in Euripidem epigramma scripsit hujusmodi :
Sol
quidem, o Euripides, non puer, cum me tepefaceret
Veste
nudavit : tibi vero alienam uxorem osculanti
Inacessit Boreas, etc.
Ήλιος ήν ταίς, Εόριπίδη, ός με χλεαίνων, etc.
(Athénée, Deipnosoph., p. 604.)
[143]
Quique labra labris dulcius applicaverit,
Is coronis oneratus ad suam matrem revertitur.
(Theoc., Idyll., XII.)
[144] Ne quaere accuratius omnia, turpia enim sunt. (Luciani, dialogi meretricii Clonarium et Leoena, ad finem, p. 970.)
[145] In Poedagog., lib. II, cap. X ; In Protreptico, p. 24 et 38.
[146] Un auteur italien trop célèbre a reproduit l’ouvrage de Philoenis. Avant lui, un grave et religieux savant du XIe siècle avait écrit un livre de même nature ; Brantôme a renouvelé les mêmes histoires ; mais le véritable auteur de l’ouvrage grec n’était point la courtisane Philoenis, c’était un sophiste nommé Polycrate, comme nous l’apprend Athénée.
[147] Impios infamia turpissima... (Philo., De Proemiis et Poenis, p. 586, in-fol ; Parisiis, 1552.)
[148] Horace, Satires, lib. I.
[149] Transeo puerorum infelicium greges quos post transacta convivia aliae cubiculi contumeliae exspectant. (Sénèque, epist. 95.)
[150] Les Romains sous le règne de Trajan, d’Antonin le Pieux et de Marc-Aurèle ressemblaient déjà beaucoup aux Romains dont parle Ammien Marcellin. Lucien, qui vivait sous ces empereurs, nous a laissé dans le Nigrinus un tableau des moeurs romaines dont l’historien semble avoir emprunté plusieurs traits : le premier s’étend seulement davantage sur le goût pour les chevaux, sur le luxe, les funérailles, les testaments, etc.
[151] Ammien Marcellin, lib. XLV.
[152] Ubi si inter aurata flabella laciniis sericis insederint muscae, vel per foramen umbraculi pensilis radiolus irruperit solis, queruntur quod non sont apud Cimmerios nati. (Ammien Marcellin, lib. XXVIII, cap. IV, p. 411 ; Lugduni Batavorum, 1693.)
[153] Quorum mensuram si in agris consul Quintius possedisset, amiserat etiam post dictaturam gloriam paupertatis. (Ammien Marcellin, lib. XXII, cap. IV ; Lugduni Batavorum, 1693.)
[154] Ammien Marcellin, lib. XXVIII cap. IV ; Lugduni Batavorum, 1693.
[155] Cum miles cantilenas meditaretur, pro jubilo molliores : et non saxum erat ut antehac armato cubile (...) et graviora gladiis pocula, testa enim bibere jam pudebat. (Ammien, lib. XXII, cap IV.)
[156] Ammien, lib. XXII, cap. IV.
[157] De Re Milit., cap. X.
[158] Socrate, lib. V, cap. XVIII.
[159] In omnibus quippe Gallis sicut divitiis primi fuere, sic vitiis. (Salv., De Gubern. Dei, lib. XII, p. 230.)
[160] Salv., De Gubern. Dei, lib. VII, p. 232.
[161] Salv., De Gubern. Dei, lib. V, p. 159.
[162] De Gubern. Dei, lib. X, cap. V, p. 169.
[163] Plutarque, De la Fortune d’Alexandre, trad. d’Amyot.
[164] L’Essai historique sur les Révolutions contient un aperçu rapide de ces sectes ; on peut consulter dans cet ouvrage le tableau synoptique que j’en ai dressé. On le pourra corriger à l’aide du Manuel de l’Histoire de la Philosophie de Tenneman, traduit excellemment par M. Cousin.
[165] Erant amici improbi, et senes quidam et specie philosophi, qui caput reticulo componerent. (Lampride, in Vit. Elag., p. 105.)
[166] Suidas ; Athénée, lib. IV, p. 162.
[167] Laërte, lib. in Pyrrhon.
[168] Laërte, lib. VII.
[169] Laërte, lib. IX, in Dem.
[170] Laërte, in Heracl.
[171] Laërte, lib. VIII ; Lucian., Strabon, lib. VI.
[172] Le texte est plus net : Παιδεραστής είμι, καί σοφός τά έρωτικά. (Luc., Vitar. Auct., p. 193.)
[173] Lapis est corpus : nonne et animal corpus est ? Tu vero lapis et animal. (Lucian., Vitar. Auct., p. 197.)
[174]
Quam profunde sol radios emittat in mare ;
Denique qualem animam habeant ostra.
(Lucian., Vitar. Auct., p. 198)
[175] Ούδέν. (Lucian., Vitar. Auct., p. 198.)
[176] Ούδέ τεΰτο οΐδα. (Lucian., Vitar. Auct., p. 198.)
[177] Πολό μάλλον έτι τοΰτ’ άγνοώ. (Lucian., Vitar. Auct., p. 198.)
[178] Lucian., Vitar. Auct., p. 199.