Première partie : de Constantin à Valentinien et Valens En entrant dans cette seconde étude, vous rentrez avec moi dans l’unité du sujet. Je ne me trouve plus obligé de séparer les trois faits des nations païennes, chrétiennes et barbares : ces dernières, ou fixées dans le monde romain, ou préparant au dehors la décisive invasion, se sont déjà inclinées aux mœurs et à la nouvelle religion de l’empire. D’un autre côté, le christianisme s’assied sur la pourpre ; ses affaires ne sont plus celles d’une secte en dehors des masses populaires ; son histoire est maintenant l’histoire de l’État. Bien que la majorité des populations soumises à la domination de Rome est et demeure encore longtemps païenne, le pouvoir et la loi deviennent chrétiens. Des intérêts nouveaux, des personnages d’une nature jusque alors inconnue se révèlent. Depuis le règne de Néron jusqu’à celui de Constantin les dissentiments religieux n’avaient guère été parmi les fidèles que des démêlés domestiques, méprisés ou contenus par l’autorité ; mais aussitôt que le fils de sainte Hélène eut levé l’étendard de la croix, les schismes se changèrent en querelles publiques : quand les persécutions du paganisme finirent, celles des hérésies commencèrent. A peine Constantin avait-il pris les rênes du gouvernement qu’Arius divisa l’Église. Avec Arius parurent ces grands évêques nourris aux écoles d’Antioche, d’Alexandrie et d’Athènes, les Alexandre, les Athanase, les Grégoire, les Basile, les Chrysostome, lesquels, renouvelant la philosophie, l’éloquence et les lettres, poussèrent l’esprit humain hors des vieilles règles, le firent sortir des routines où il avait si longtemps marché sous la domination des anciens génies et d’une religion tombée. Les Pères de l’Église latine, saint Paulin, saint Hilaire, saint Jérôme, saint Ambroise, saint Augustin conduisirent l’Occident à la même rénovation. Les discours et les actions de ces prêtres attiraient l’attention principale du gouvernement ; les généraux et les ministres furent relégués dans une classe secondaire d’intérêt et de renommée. Les conciles prirent la place des conseils, ou plutôt furent les véritables conseils du souverain, qui se passionna pour des vérités ou des erreurs que souvent il ne comprenait pas. Le monde païen essayait de lutter avec ses fables surannées et les systèmes discrédités de ses sages contre un siècle qui l’entraînait. Le christianisme avait eu à supporter les persécutions du paganisme ; les rôles changent : le christianisme va proscrire à son tour le paganisme. Mais étudiez la différence des principes et des hommes. Les païens, comme les chrétiens, ne tinrent point obstinément à leur culte, ne coururent point au martyre : pourquoi ? Parce que le polythéisme était à la fois l’idée fausse et l’idée décrépite, succombant sous l’idée vraie et rajeunie de l’unité d’un Dieu. L’ancienne société ne trouva donc pas pour se défendre l’énergie que la société nouvelle eut pour attaquer. Jusque alors les mouvements du monde civilisé avaient été produits par les impulsions d’un culte corporel, les réclamations de la liberté, les usurpations du pouvoir, enfin par les passions politiques ou guerrières ; un autre ordre de faits commence : on s’arme pour les vérités ou les erreurs du pur esprit. Ces subtilités métaphysiques, obscures, qui le seront toujours, qui firent couler tant de sang, n’en sont pas moins la preuve d’un immense progrès de l’espèce humaine. Plus l’homme s’éloigne de l’homme matériel pour se concentrer dans l’homme intelligent, plus il se rapproche du but de son existence ; s’il ne perdait pas quelquefois le courage physique et la vertu morale en développant sa nature divine, il atteindrait avec moins de lenteur le perfectionnement auquel il est appelé. Avec Constantin se forme l’Église proprement dite. Alors prit naissance cette monarchie religieuse qui, tendant à se resserrer sous un seul chef, eut ses lois particulières et générales, ses conciles œcuméniques et provinciaux, sa hiérarchie, ses dignités, ses deux grandes divisions du clergé régulier et séculier, ses propriétés régies en vertu d’un droit différent du droit commun, tandis que, honorés des princes et chéris des peuples, les évêques, élevés aux plus hauts emplois politiques, remplaçaient encore les magistrats inférieurs dans les fonctions municipales et administratives, s’emparaient par les serments des principaux actes de la vie civile et devenaient les législateurs et les conducteurs des nations. Remarquez deux choses peu observées, qui vous expliqueront la manière dont le christianisme parvint à dominer la société tout entière, peuples et rois. L’Église se constitua en monarchie (élective et représentative), et la communauté chrétienne en république : tout était obéissance et distinction de rangs dans l’une, bien que le chef suprême fût presque toujours choisi dans les rangs populaires ; tout était liberté et égalité dans l’autre. De là cette double influence du clergé, qui d’un côté convenait aux grands par ses doctrines de pouvoir et de subordination, et de l’autre satisfaisait les petits par ses principes d’indépendance et de nivellement évangélique ; de là aussi ce langage contradictoire, sans cesser d’être sincère : le prêtre était auprès des souverains le tribun de la république chrétienne, leur rappelant les droits égaux des enfants d’Adam, et la préférence que le Rédempteur de tous accorde aux pauvres et aux infortunés sur les riches et les heureux ; et ce même prêtre était auprès du peuple le mandataire de la monarchie de l’Église, prêchant la soumission et ordonnant de rendre à César ce qui appartient à César. Jamais la société religieuse ne s’altère que la société politique ne change : je vous ai déjà dit comment l’élection de l’empereur passa des camps au palais. Les révolutions se concentrèrent au foyer impérial ; les guerres civiles n’arrivèrent plus que rarement par les insurrections et les ambitions militaires ; elles sortirent des divisions de la famille régnante, comme il advient dans les empires despotiques de l’Orient. Sous Constantin on voit paraître, avec l’établissement de l’Église, cette espèce d’aristocratie à la façon moderne ; qui ne remplaça jamais dans l’empire le patriciat auquel Rome dut sa première liberté. Constantin multiplia, s’il n’inventa pas, les titres de nobilissime, de clarissime, d’illustre, de duc, de comte (dans le sens honorifique de ces deux derniers mots). Ces titres, avec ceux de baron et de marquis, d’origine purement barbare, ont passé à la noblesse de nos temps. Ainsi à l’époque dont nous discourons une transfusion d’éléments se prépare : au premier autel de Constantinople, autel qui fut chrétien, se rattache un des premiers anneaux de la chaîne de la nouvelle société si les créations politiques de Constantin ne furent point l’effet immédiat du christianisme, elles en furent l’effet médiat. Tout tend à se mettre de niveau dans la cité : avancer sur un point et rester en arrière sur un autre ne se peut : les idées d’une société sont analogiques, ou la société se dissout. Les institutions de la vieille patrie mouraient donc avec le vieux culte. Le paganisme depuis la disparition de l’âge religieux et de l’âge héroïque s’était rarement mêlé à la politique ; il sanctifiait quelques actes de la vie du citoyen ; il protégeait les tombeaux ; il présidait à la dénonciation du serment ; il consultait le ciel touchant le succès d’une entreprise ; il honorait l’empereur vivant, lui offrait des libations, lui immolait des victimes et couronnait ses statues ; il l’admettait après sa mort au rang des dieux : là se bornait à peu près l’action du paganisme. Les devins, astrologues et magiciens, venus d’Orient, ajoutèrent quelques fourberies aux mensonges des oracles réguliers. Mais avec le ministre chrétien s’introduisit la sorte de puissance nationale que les brahmanes de l’Inde, les mages de la Perse, les druides des Gaules, les prêtres chaldéens ; juifs, égyptiens, tous serviteurs d’une religion plus ou moins allégorique et mystique, avaient jadis exercée. Le sanctuaire réagit sur les idées du pouvoir en raison du plus ou moins d’immatérialité du dieu et de son plus grand rapprochement de la vérité religieuse. L’idolâtrie aurait mal servi et n’aurait jamais enfanté l’espèce d’aristocratie qu’impatronisa Constantin. Aussi, lorsque Julien essaya de revenir au polythéisme il dédaigna les titres et le régime nouveau de la cour. Il n’y eut après le règne de ce prince que l’aristocratie de fraîche invention qui se put soutenir, parce que l’ordre ecclésiastique dont elle dérivait s’établit : ce qui retraçait l’ancienne aristocratie disparut ; les souvenirs ne surmontent point les mœurs ; en voici la preuve. Constantin avait formé dans son autre Rome un patriciat à l’instar du corps fameux qu’immortalisèrent tant de grands citoyens. Cette noblesse ressuscitée acquit si peu de considération, qu’on rougissait presque d’en faire partie, On proposa vainement de soutenir sa pauvreté par des pensions[1], de masquer par un langage, par des habits, des us et coutumes d’autrefois une naissance d’hier : les privilèges ne sont pas des ancêtres ; l’homme ne se peut ôter les jours qu’il a ni se donner ceux qu’il n’a pas. Les sénateurs de Constantin demeurèrent écrasés sous le nom antique et éclatant de patres conscripti, dont on outrageait leur récente obscurité. En embrassant le christianisme et fondant l’Église, en fixant les barbares dans l’empire, en établissant une noblesse titrée et hiérarchique, Constantin a véritablement engendré ce moyen âge[2] dont on place la naissance, je l’ai déjà dit, cinq siècles trop tard. Ce prince ne monta point au Capitole après sa victoire sur Maxence, et sembla répudier avec les dieux la gloire de la ville éternelle. Il publia un édit favorable aux chrétiens, et plus tard un second édit pour les confesseurs et martyrs. Il accorda des immunités et des revenus aux églises et des privilèges aux prêtres. Il ne lit point aux papes la donation inventée au VIIIe siècle par Isidore, mais il leur céda le palais de Latran, palais de l’impératrice Fausta, et il y bâtit l’édifice connu sous le nom de Basilique de Constantin[3]. Le supplice de la croix fut prohibé[4] ; la vacation du dimanche[5] et peut-être la sanctification du samedi ou du vendredi[6] devinrent coutumières. L’idolâtrie fut condamnée, et toutefois la liberté du culte laissée aux idolâtres ; nonobstant quoi divers temples furent dépouillés et quelques-uns démolis[7]. Hélène renversa, à Jérusalem, le simulacre de Vénus, découvrit le Saint-Sépulcre et la vraie croix, bâtit l’église de la Résurrection, celle de l’Ascension, sur le mont des Olives, celle de la Crèche à Bethléem. Eutropia, mère de l’impératrice Fausta, remplaça par un oratoire chrétien, au chêne de Mambré, un autel profane. Constantine, Maïum, échelle ou port de Gaza, d’autres villes ou d’autres villages embrassèrent la religion du Christ[8]. Ne semble-t-on pas entrer dans le monde moderne, en reconnaissant les lieux et les noms familiers à nos yeux et à notre mémoire ? Des lois de Constantin rendent la liberté à ceux qui étaient retenus contre leur droit en esclavage[9], permettent l’affranchissement dans les églises devant le peuple, sur la simple attestation d’un évêque[10] ; les clercs même avaient le pouvoir de donner la liberté à leurs esclaves par testament ou par concession verbale, ce qui, sans les désordres des temps, aurait affranchi tout d’un coup une nombreuse partie de l’espèce humaine. D’autres lois défendent les concubines aux personnes mariées[11], ordonnent la salubrité des prisons, interdisent les cachots[12], exceptent de la confiscation ce qui a été donné aux femmes et aux enfants avant le délit des maris et des pères, proscrivent des choses infâmes et les combats de gladiateurs[13]. Ces divers règlements n’eurent pas d’abord leur plein effet, mais ils signalent les premiers moments de l’établissement légal du christianisme par la condamnation de l’idolâtrie, de l’esclavage, de la prostitution et du meurtre. Constantin eut à s’occuper des hérésies : dans l’Occident, celle des donatistes fut anathématisée à Arles ; dans l’Orient, la doctrine d’Arius exigea la convocation du premier concile œcuménique. La question théologique intéresse peu aujourd’hui[14], mais le concile de Nicée est resté un événement considérable dans l’histoire de l’espèce humaine. On eut alors la première idée et l’on vit le premier exemple d’une société existant en divers climats, parmi les lois locales et privées, et néanmoins indépendante des princes et des sociétés sous lesquels et dans lesquelles elle était placée ; peuple formant partie des autres peuples, et cependant isolé d’eux, mandant ses députés de tous les coins de l’univers à traiter des affaires qui ne concernaient que sa vie morale et ses relations avec Dieu. Que de droits tacitement reconnus par ce bris des scellés du pouvoir sur la volonté et sur la pensée ! Pour la première fois encore depuis les jours de Moïse, émancipateur de l’homme au milieu des nations esclaves de l’ignorance et de la force, se renouvela la manifestation divine du Sinaï. Comme autour du camp des Hébreux, les idoles étaient debout autour du concile de Nicée, lorsque les interprètes de la nouvelle loi proclamèrent la suprême vérité du monde, l’existence et l’unité de Dieu. Les fables des prêtres, qui avaient caché le principe vivant, les mystères dans lesquels les philosophes l’avaient enveloppé s’évanouirent ; le voile du sanctuaire fut déchiré avec la croix du Christ : l’homme vit Dieu face à face. Alors fut composé ce symbole que les chrétiens répètent, après quinze siècles, sur toute la surface du globe ; symbole qui expliquait celui dont les apôtres et leurs disciples se servaient comme de mot d’ordre pour se reconnaître : en les comparant, on remarque les progrès du temps et l’introduction de la haute métaphysique religieuse dans la simplicité de la foi. Nous croyons en un seul Dieu, père tout-puissant, créateur de toutes choses, visibles et invisibles, et en un seul Seigneur Jésus-Christ, fils unique de Dieu, engendré du Père, c’est-à-dire de la substance du Père, Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré et non fait, consubstantiel au Père, par qui toutes choses ont été faites au ciel et sur la terre... Nous croyons au Saint-Esprit[15]. Le concile de Nicée a fait ces choses immenses, il a proclamé l’unité de Dieu et fixé ce qu’il y avait de probable dans la doctrine de Platon. Constantin, dans une harangue aux Pères du concile, déclare et approuve ce que ce philosophe admet : un premier Dieu suprême, source d’un second ; deux essences égales en perfections, mais l’une tirant son existence de l’autre, et la seconde exécutant les ordres de la première. Les deux essences n’en font qu’une ; l’une est la raison de l’autre, et cette raison étant Dieu est aussi fils de Dieu[16]. Et quels étaient les membres de cette convention universelle réunie pour reconnaître le monarque éternel et son éternelle cité ? Des héros du martyre, de doctes génies, ou des hommes encore plus savants par l’ignorance du cœur et la simplicité de la vertu. Spyridion, évêque de Trimithonte, gardait les moutons et avait le don des miracles[17] ; Jacques, évêque de Nisibe, vivait sur les hautes montagnes, passait l’hiver dans une caverne, se nourrissait de fruits sauvages, portait une tunique de poil de chèvre et prédisait l’avenir[18]. Parmi ces trois cent dix-huit évêques, accompagnés des prêtres, des diacres et des acolytes, on remarquait des vétérans mutilés à la dernière persécution : Paphnuce, de la haute Thébaïde et disciple de saint Antoine, avait l’œil droit crevé et le jarret gauche coupé[19] ; Paul de Néocésarée, les deux mains brûlées[20] ; Léonce de Césarée, Thomas de Cyzique, Marin de Troade, Eutychus de Smyrne, s’efforçaient de cacher leurs blessures, sans en réclamer la gloire. Tous ces soldats d’une immense et même armée ne s’étaient jamais vus ; ils avaient combattu sans se connaître, sous tous les points du ciel, dans l’action générale, pour la même foi. Entre les hérésiarques se distinguaient Eusèbe de Nicomédie, Théognis de Nicée, Maris de Chalcédoine, et Arius lui-même, appelé à rendre compte de sa doctrine devant Athanase, qui n’était alors qu’un simple diacre attaché à Alexandre, évêque d’Alexandrie. Des philosophes païens étaient accourus à ce grand assaut de l’intelligence. Vous venez de voir que Constantin même, dans une harangue, s’expliqua sur la doctrine de Platon. Un vieillard laïque, ignorant et confesseur, attaqua l’un de ces philosophes fastueux, et lui dit tout le christianisme en peu de mots : Philosophe, au nom de Jésus-Christ, écoute : Il n’y a qu’un Dieu, qui a tout fait par son Verbe, tout affermi par son Esprit. Ce verbe est le fils de Dieu ; il a pris pitié de notre vie grossière, il a voulu naître d’une femme, visiter les hommes et mourir pour eux. Il reviendra nous juger selon nos œuvres[21]. Constantin ouvrit en personne le concile, le 19 juin l’an 325. Il était vêtu d’une pourpre ornée de pierreries il parut sans gardes et seulement accompagné de quelques chrétiens. Il ne s’assit sur un petit trône d’or au fond de la salle qu’après avoir ordonné aux Pères, qui s’étaient levés à son entrée, de reprendre leurs sièges. Il prononça une harangue en latin, sa langue naturelle et celle de l’empire ; on l’expliquait en grec. Le concile condamna la doctrine d’Arius, malgré une vive opposition, promulgua vingt canons de discipline, et termina sa séance le vingt-cinquième d’août de cette même année 325. Transportez-vous en pensée dans l’ancien monde pour vous faire une idée de ce qu’il dut éprouver lorsqu’au milieu des hymnes obscènes, enfantines ou absurdes à Vénus, à Bacchus, à Mercure, à Cybèle, il entendit des voix graves chantant au pied d’un autel nouveau : Ô Dieu, nous te louons ! ô Seigneur, nous te confessons ! ô Père éternel, toute la terre te révère ! La prière latine composée pour les soldats n’était pas moins explicite que l’hymne de saint Ambroise et de saint Augustin[22]. L’esprit humain se dégagea de ses langes : la haute civilisation, la civilisation intellectuelle, sortie du concile de Nicée, n’est plus retombée au-dessous de ce point de lumière. Le simple catéchisme de nos enfants renferme une philosophie plus savante et plus sublime que celle de Platon. L’unité d’un Dieu est devenue une croyance populaire, de cette seule vérité reconnue date une révolution radicale dans la législation européenne, longtemps faussée par le polythéisme, qui posait un mensonge pour fondement de l’édifice social. Cependant (telle est la difficulté de se tenir dans les régions de la pure intelligence !) tandis que le polythéisme et la religion corporelle tendaient à sortir des nations, ils y rentraient par une double voie : les philosophes, pour se rendre accessibles au vulgaire, inventaient les génies ; et les chrétiens, pour envelopper dans des signes sensibles la haute spiritualité, honoraient les saints et les reliques. On a conservé le catalogue des prélats qui portèrent les décrets du concile aux diverses Églises[23]. Les Germains et les Goths connaissaient la foi ; Frumence l’avait semée en Ethiopie, une femme esclave l’avait donnée aux Ibériens, et des marchands de l’Osrhoène à la Perse. Tiridate, roi d’Arménie, professa le christianisme avant les empereurs romains. Au surplus, Constantin se mêla trop des querelles religieuses où l’entraînèrent quelques femmes de sa famille et les obsessions des évêques des deux partis. Après avoir exilé Arius, il le rappela, et bannit Athanase, qui remplaça Alexandre sur le siège d’Alexandrie. Arius expira tout à coup à Constantinople en rendant ses entrailles, lorsque Eusèbe de Nicomédie s’efforçait de le ramener triomphant[24]. Le vieil évêque Alexandre avait demandé à Dieu sa propre mort ou celle de l’hérésiarque, selon qu’il était plus utile à la manifestation de la vérité[25]. Constantin défit successivement les Sarmates et les Goths, et reçut des députations des Blemmyes, des Indiens, des Ethiopiens et des Perses. Il se déclara l’auxiliaire des Sarmates dans une guerre que ceux-ci eurent à soutenir contre les Goths ; puis il contracta une nouvelle alliance avec les derniers, qui s’engagèrent à lui fournir quarante mille soldats appelés fœderati, alliés[26]. Les Sarmates avaient armé leurs esclaves ; chassés par ces mêmes esclaves, ils sollicitèrent et obtinrent des terres dans l’empire[27]. Sapor II, alors assis sur le trône de la Perse, portait un nom fatal aux empereurs romains. Son père, Hormisdas II, laissa en mourant sa femme enceinte. Les mages déclarèrent qu’elle accoucherait d’un fils ; ils mirent la tiare sur le ventre de cette reine, et l’embryon roi, Sapor, fut couronné dans les entrailles de sa mère[28]. Ce fut à ce prince que Constantin écrivit une lettre en faveur des chrétiens, lui rappelant la catastrophe de Valérien, puni pour les avoir persécutés, Sapor se put souvenir de cette lettre lorsque Julien marcha contre lui. Le monarque des Perses avait un frère aîné exilé, Hormisdas, que vous retrouverez à Rome. Constantin, heureux comme monarque, n’échappa pas au malheur comme homme. Les calamités qui désolèrent la famille du premier auguste païen semblèrent se reproduire dans la famille du premier auguste chrétien. De Minervine, sa première femme, Constantin avait eu Crispus, prince de valeur et de beauté, élevé par Lactance. Soit que le fils de Minervine inspirât une passion à Fausta, sa marâtre, soit que Fausta fût jalouse pour ses propres enfants des grandes qualités de Crispus, elle l’accusa auprès de son mari[29], et renouvela la tragique aventure de Phèdre. Constantin fit mourir son fils, ainsi que le jeune Licinius son neveu, âgé de onze ans : Crispus eut la tête tranchée à Pôle, en Istrie[30]. Bientôt, instruit par sa mère, Hélène, de l’innocence de Crispus et des mœurs dépravées de Fausta, Constantin ordonna la mort de cette femme, qui fut étouffée dans un bain chaud[31]. Les chrétiens et les gentils jugèrent diversement ces actions : saint Chrysostome en conclut qu’il ne faut ni désirer la puissance ni chercher d’autre félicité que celle de la vertu et du ciel[32] ; le philosophe Sopâtre, consulté par Constantin, selon Zosime, déclara que la religion des Grecs n’avait point d’expiation pour de pareils crimes[33]. Cependant l’idolâtrie avait trouvé des dieux indulgents pour Néron et Tibère. Est-il vrai que Constantin se repentit, qu’il passa quarante jours dans les larmes, qu’il éleva à Crispus une statue d’argent à tête d’or, avec cette inscription : A mon fils malheureux, mais innocent ?[34] L’autorité sur laquelle repose ce fait est suspecte. Dieu ne demandait point à Constantin une statue de Crispus ; il lui demanda le reste de sa famille. Constantin ne reçut le baptême que peu d’instants avant sa mort, à Achiron, près de Nicomédie. Il avait témoigné le désir d’être baptisé dans les eaux du Jourdain, comme le Christ ; le temps lui manqua. Dépouillé de la robe de pourpre pour quitter les royaumes de la terre, et revêtu de la robe blanche pour solliciter les grandeurs du ciel, le premier empereur chrétien expira à midi, le jour de la Pentecôte. Trois cent trente-sept ans s’étaient écoulés depuis que la religion chrétienne était née parmi les bergers dans une étable : Constantin la laissait sur ce trône du monde, dont elle n’avait pas besoin. Constantin avait eu trois frères de père, par Théodora, belle-fille de Maximien Hercule ; savoir : Dalmatius, Jules Constance, Annibalien. Dalmatius mourut, et laissa un fils de son nom, fait césar, et un autre fils, Claudius Annibalien, nommé roi du Pont et de l’Arménie. Jules Constance eut de Galla, sa première femme, Gallus, et de Basiline, sa seconde femme, Julien. On ignore la postérité d’Annibalien, ou l’on n’en sait rien de précis. Les frères, les neveux et les principaux officiers de Constantin furent massacrés après sa mort, à l’exception des deux fils de Jules Constance. Les causes de cette conspiration spontanée de l’armée et du palais, que rien n’avait semblé présager, ne sont pas clairement expliquées : l’authenticité de l’écrit posthume de Constantin, et dans lequel il déclarait à ses trois fils avoir été empoisonné par ses deux frères, est à bon droit suspecte. Constance immola-t-il à la seule fureur de son ambition ses deux oncles, sept de ses cousins, le patricien Optatus et le préfet Ablavius ? Mais il restait à Constance des frères qui n’étaient pas alors en sa puissance. Julien, saint Athanase, saint Jérôme, Zosime, Socrate, autorités si contraires, se réunissent néanmoins pour charger sa mémoire[35]. Il est probable que ces meurtres furent le fruit des diverses passions combinées avec la politique du despote, qui enseigne à chercher le repos dans le crime. Le paganisme, l’hérésie, la turbulence militaire, trouvèrent des satisfactions et des vengeances dans cette extermination de la famille impériale. L’empire demeura partagé entre les trois fils de Constantin : Constantin, Constance et Constant. Constantin et Constant prirent les armes l’un contre l’autre ; Constantin périt auprès d’Aquilée[36], dès la première campagne ; Constant, seul maître de l’Occident, fut attaqué par les Francs ; et Libanius nous a laissé à l’occasion de cette guerre quelques détails sur les mœurs et le caractère de nos ancêtres[37]. Magnence, barbare d’origine et chef des joviens et des herculéens, salué auguste par ses amis, obligea Constant à prendre la fuite, et le fit assassiner au pied des Pyrénées. Ce prince ne trouva qu’un seul homme qui voulût s’associer à sa mauvaise fortune : c’était un Franc, nommé Laniogaise[38], plus fidèle au malheur des rois qu’à leur autorité. L’unique fils de Constantin qui restât alors, Constance, après avoir mal combattu les Perses, après avoir dépouillé Vétranion, usurpateur de la pourpre en Illyrie, après avoir refusé de traiter avec Magnence, vainquit celui-ci à Murza[39] : bientôt après il le réduisit à se tuer. Avant d’obtenir ce succès, une faute avait été commise ; elle montre le degré de faiblesse et de misère auquel l’empire était déjà descendu : retenu en Orient par des affaires graves, Constance, lorsqu’il apprit la révolte des Gaules, invita les Allamans à passer le Rhin, afin d’arrêter les forces de Magnence. Les Allamans obéirent, et depuis la source du Rhin jusqu’à son embouchure ils occupèrent trente lieues de pays en largeur, sans compter celui qu’ils ravageaient. Les panégyristes affirment que Constance, héritier de tous les États de son père, usa bien de sa victoire ; les historiens assurent qu’il ne put porter sa fortune. Durant ces discordes, on voit des capitaines francs et des corps francs servir différents partis, des évêques aller d’un camp à l’autre en qualité d’ambassadeurs ; à la bataille de Murza, l’empereur se retire dans une église pour prier ; il eût mieux fait de combattre : ce n’est déjà plus le monde antique. On fixe au règne de Constance le règne des eunuques, jusque alors abîmés sous le poids des édits. Ces hommes (excepté trois ou quatre, doués du génie militaire), en butte au mépris public, se réfugièrent dans les sentines du palais : trop dégradés pour les affaires publiques, ils s’enfoncèrent aux intrigues de la cour, et se dédommagèrent par la virilité de leurs vices de l’impuissance de leurs vertus. Eusèbe, eunuque, chambellan et favori de Constance, dans son triple état de bassesse, fit prononcer la sentence de mort de Gallus. Gallus et Julien, neveux de Constantin et cousins de Constance, avaient, le premier douze ans, et le second six quand arriva le massacre de la famille impériale. Marc, évêque d’Aréthuse, avait sauvé Julien, qui fut caché dans le sanctuaire d’une église[40] : Gallus, épargné comme malade et près de mourir, ne sembla pas valoir la peine d’être tué. L’enfance de ces deux princes fut environnée de soupçons et de périls ; ils demeurèrent six ans enfermés dans la forteresse de Marcellum, ancien palais des rois de Cappadoce. Gallus à vingt-cinq ans, honoré du titre de césar par Constance, épousa la princesse Constantina, fille de Constantin le Grand et veuve d’Annibalien, roi du Pont et de l’Arménie. Il établit sa résidence à Antioche, d’où il gouverna ce qu’on appelait alors les cinq diocèses de la préfecture orientale. Passé de la solitude à la puissance, Gallus transporta l’inquiétude et l’âpreté de la première dans la placidité et la modération nécessaires à la seconde : il devint un tyran bas et cruel, livré aux espions, espion lui-même. Il s’en allait déguisé dans les lieux publics : son travestissement ne l’empêchait pas d’être reconnu, car Antioche était éclairée la nuit d’une si grande quantité de lumières, qu’on y voyait comme en plein jour[41], ce qui rappelle la police des villes modernes. Constantina, femme de Gallus, était encore plus que lui altérée de sang et de rapine : on l’accusait de prendre en secret le titre d’augusta[42], dans l’intention de donner publiquement celui d’auguste à son mari. Mandé à la cour de Milan après le massacre de deux ministres que lui avait envoyés l’empereur, Gallus eut l’imprudence d’obéir[43]. La lettre qui l’appelait était pleine de protestations d’amitié et de services. Il fut arrêté à Pettau, conduit à Flone en Istrie, dépouillé de la chaussure des césars, interrogé par l’eunuque Eusèbe, condamné à mort et exécuté non loin de Pôle, où vingt-huit ans auparavant Crispus avait été décapité[44]. Que de têtes, l’effroi des peuples, furent abattues par le bourreau ![45] Les Isaures et les Sarrasins désolaient l’Asie[46] ; les Francs et les autres Germains continuaient leurs courses transrhénanes ; Rome se soulevait pour du vin au milieu de ses débauches et de ses spectacles[47]. Constantin et Constance singulièrement attachés aux barbares, et les ayant promus à presque toutes les charges d’État, il se trouva que Silvain, fils de Bonit, chef franc, commandait l’infanterie romaine dans les Gaules : c’était un homme doux et de mœurs polies, quoique né d’un père barbare ; il savait même souffrir, dit l’histoire en parlant de lui. On l’accusa d’aspirer à la pourpre, et il était fidèle ; la calomnie en fit un traître : il prit l’empire comme un abri. Vingt-huit jours après son usurpation, obligé de chercher un plus sûr asile, il n’eut pas le temps d’y entrer : il fut tué par ses compagnons lorsqu’il essayait de se réfugier dans une église[48]. Alors les Francs, les Allamans, les Saxons, se précipitèrent de nouveau sur les Gaules, dévastèrent quarante villes le long du Rhin, se saisirent de Cologne, et la ruinèrent[49]. Les Quades et les Sarmates pillaient la Pannonie et la haute Mésie[50] ; les généraux de Sapor troublaient la Mésopotamie et l’Arménie : ce fut l’époque de l’élévation de Julien. Jusqu’à l’âge de quinze ans Julien reçut sa première éducation d’Eusèbe, évêque de Nicomédie, qui menait à la cour l’intrigue arienne, et de l’eunuque Mardonius, personnage grave, Scythe de nation, grand admirateur d’Hésiode et d’Homère. Le futur apostat fut ensuite réuni à Gallus dans la forteresse de Marcellum : il apprit de bonne heure à se contraindre, et parut se plaire aux vérités de la foi. Lorsque Gallus eut été nommé césar, Julien obtint la permission de suivre ses études à Constantinople, sous la surveillance d’Hérébole, d’abord chrétien, puis infidèle avec son élève, puis chrétien encore après la mort de celui-ci[51]. Julien visita les écoles de l’Ionie : Constance même favorisait les exercices de son cousin, dans l’espoir que les livres lui feraient oublier l’empire ; mais bientôt la supériorité de l’écolier, même dans les lettres, l’alarma. Après la mort de Gallus, Julien, conduit à Milan, étroitement gardé pendant sept mois, fut enfin relégué à Athènes. Il y rencontra, avec saint Basile et saint Grégoire de Nazianze, une foule de rhéteurs qui achevèrent de le gagner à leurs doctrines : il prit toutes les allures du philosophe. Universellement instruit, sa mémoire égalait son intelligence : il pensait et il écrivait en grec, mais il se servait aussi du latin[52]. Les Gaules étant désolées par les Francs et les Allamans, l’impératrice Eusébie décida Constance à créer Julien césar, afin de l’opposer aux barbares. Le disciple de Platon reçut la lettre qui l’appelait au rang suprême comme un arrêt de mort : il leva les mains vers ce temple dont les admirables ruines ne semblent avoir été conservées qu’afin d’attester la beauté de l’ancienne liberté grecque à cette liberté renaissante. Julien monte à la citadelle, embrasse les colonnes du Parthénon, les mouille de ses larmes, implore la protection de la déesse. Il s’éloigne ensuite de l’immortelle cité, où des déclamateurs et des sophistes foulaient les cendres de Démosthène et de Socrate, mais où Minerve régnait encore par le génie de Phidias et de Périclès. Arrivé à Milan, il traça ces mots pour l’impératrice : Puisses-tu avoir des enfants ! que Dieu t’accorde ce bonheur et d’autres prospérités ! mais je t’en conjure, laisse-moi retourner à mes foyers (Ad Ath.). C’était ainsi que Julien appelait la Grèce. Le billet écrit, il n’osa l’envoyer, arrêté qu’il fut, dit-il, par les menaces des dieux : l’apostat prit la voix de l’ambition pour l’ordre du ciel. Les officiers du palais s’emparèrent de l’étudiant d’Athènes, le dépouillèrent du manteau et de la barbe du philosophe, et le revêtirent de l’habit du soldat. Il a peint lui-même sa gaucherie dans ce nouvel accoutrement, son embarras à la cour et les railleries des eunuques[53]. La dernière partie de l’éducation de Julien avait été populaire ; il assistait aux cours des rhéteurs à Constantinople, comme les autres élèves : en se plongeant dans les mœurs publiques, il y puisa des enseignements qui manquent à l’éducation privée des princes. Constance, le sixième jour de novembre l’an de Jésus-Christ 335, ayant assemblé à Milan les légions, proclama Julien césar. L’orphelin dans la pourpre, au milieu des meurtriers de sa famille, répétait tout bas un vers d’Homère : La mort pourprée et son invincible destin l’enlevèrent. Après avoir épousé Hélène, sœur de l’empereur, Julien partit pour son gouvernement des Gaules, auquel on avait ajouté la Grande-Bretagne, et peut-être l’Espagne[54]. Eusébie lui donna des livres, ses conseillers ; Constance, des valets, ses maîtres[55]. Tenu dans une tutelle jalouse, il ne pouvait ni prendre seul une résolution, ni intimer un ordre, ni changer un domestique : tout était réglé dans son intérieur par les ordres de Constance, jusqu’aux mets de sa table ; aucune lettre ne lui parvenait qu’elle n’eût été lue : il se sevrait de la compagnie de ses amis dans la crainte de les compromettre et de s’exposer lui-même à sa perte. A peine mit-on à sa disposition quelques soldats[56]. Sa seule consolation en entrant dans le pays ravagé que l’on confiait à son inexpérience fut de rencontrer une vieille femme aveugle, qui le salua du nom de restaurateur des temples[57]. Durant les cinq années que Julien gouverna les Gaules, il courut d’une ville à l’autre, d’Autun à Auxerre, d’Auxerre à Troyes, de Troyes à Cologne, de Cologne à Trêves, de Trêves à Lyon : on le voit assiégé dans la ville de Sens ; on le voit passant le Rhin cinq fois, gagnant la bataille de Strasbourg sur les Allamans, faisant prisonnier Chrodomaire, le plus puissant de leurs rois, rétablissant les cités, punissant les exacteurs, diminuant les impôts, et enfin, ce qui nous intéresse par les liens du sang, soumettant les Camaves et les Francs Saliens : on commence à vivre avec les Francs au milieu de la future France. Julien avait écrit ses guerres des Gaules : cet ouvrage, que l’on mettait auprès des Commentaires de César, est malheureusement perdu ; il aurait jeté une vive lumière sur l’histoire obscure de nos aïeux au IVe siècle. Julien passa au moins à Lutèce les deux hivers de 358 et de 359. Il aimait cette bourgade, qu’il appelait sa chère Lutèce (Caram Lutetiam), et où il avait rassemblé, autant qu’il avait pu au milieu de ses entreprises militaires, des savants et des philosophes. Oribase le médecin, dont il nous reste quelques travaux, y rédigea son Abrégé de Galien : c’est le premier ouvrage publié dans une ville qui devait enrichir les lettres de tant de chefs-d’œuvre. On se plaît à rechercher l’origine des grandes cités, comme à remonter à la source des grands fleuves : vous serez bien aise de relire le propre texte de Julien : Je me trouvais pendant un hiver à ma chère Lutèce[58] (c’est ainsi qu’on appelle dans les Gaules la ville des Parisii). Elle occupe une île au milieu d’une rivière ; des ponts de bois la joignent aux deux bords. Rarement la rivière croit ou diminue ; telle elle est en été, telle elle demeure en hiver : on en boit volontiers l’eau, très pure et très riante à la vue[59]. Comme les Parisii habitent une île, il leur serait difficile de se procurer d’autre eau. La température de l’hiver est peu rigoureuse, à cause, disent les gens du pays, de la chaleur de l’Océan, qui, n’étant éloigné que de neuf cents stades, envoie un air tiède jusqu’à Lutèce : l’eau de mer est en effet moins froide que l’eau douce. Par cette raison, ou par une autre que j’ignore, les choses sont ainsi[60]. L’hiver est donc fort doux aux habitants de cette terre ; le sol porte de bonnes vignes ; les Parisii ont même l’art d’élever des figuiers[61] en les enveloppant de paille de blé comme d’un vêtement, et en employant les autres moyens dont on se sert pour mettre les arbres à l’abri de l’intempérie des saisons. Or, il arriva que l’hiver que je passais à Lutèce fut d’une violence inaccoutumée : la rivière charriait des glaçons comme des carreaux de marbre. Vous connaissez les pierres de Phrygie : tels étaient par leur blancheur ces glaçons bruts, larges, se pressant les uns les autres, jusqu’à ce que, venant à s’agglomérer, ils formassent un pont[62]. Plus dur à moi-même, et plus rustique que jamais, je ne voulus point souffrir que l’on échauffât à la manière du pays, avec des fourneaux, la chambre où je couchais[63]. Julien raconte qu’il permit enfin de porter dans sa chambre quelques charbons dont la vapeur faillit l’étouffer. Il y avait à Lutèce des thermes construits sur le modèle de ceux de Dioclétien à Rome : on croit que Julien et Valentinien Ier y demeurèrent : Ammien en parle assez souvent. Il est probable que ces thermes étaient bâtis avant l’arrivée de Julien dans les Gaules, peut-être du temps de Constantin ou de Constance Chlore. D’autres ont pensé mal à propos que Julien occupait dans l’île un palais élevé sur le terrain où fut construit depuis le palais de nos rois. On voyait encore à Lutèce un champ de Mars et des arènes : celles-ci devaient se trouver du côté de la porte Saint-Victor ; c’est ce qui résulte de quelques titres du XIII siècle[64]. La flotte chargée de garder la Seine était stationnée chez les Parisii ; elle avait vraisemblablement pour bassin l’espace que couvre aujourd’hui la nef gothique de Notre-Dame[65]. Tandis que Julien habitait la petite et naissante Lutèce, Constance visitait la grande et mourante Rome, que n’avait jamais vue cet empereur des Romains. Il existait sans doute à Rome quelque vieillard à qui, dans son enfance, son aïeul avait raconté l’entrée d’un prêtre de Syrie, Élagabale, sautant avec la pourpre au milieu des eunuques et des danseuses devant une pierre triangulaire consacrée au soleil : voici venir dans une pompe triomphale pour un succès obtenu sur des Romains[66], voici venir une espèce d’idole chrétienne, Constance, pareillement environnée d’eunuques, mais immobile sur un haut char éclatant de pierreries, les yeux fixes, ne se remuant ni pour cracher, ni pour se moucher, ni pour s’essuyer le front ; baissant seulement quelquefois sa courte stature afin de passer sous de hautes portes[67]. Autour de lui flottaient, au bout de longues piques dorées, des étendards de pourpre découpés en forme de dragons, dont les queues effilées sifflaient dans les vents. Des gardes superbement armés, des cavaliers couverts de fer, ressemblant non à des hommes, mais à des statues polies par la main de Praxitèle[68], l’environnaient. En approchant de Rome, Constance rencontra les patriciens, le sénat, qu’il ne prit pas comme Cinéas pour une assemblée de rois, mais pour le conseil du monde[69] ; il crut en voyant les flots de la foule que le genre humain était accouru à Rome[70]. Lorsqu’il eut pénétré jusqu’aux Rostres, il demeura stupéfait au souvenir de l’ancienne puissance du Forum[71]. De là l’auguste oriental alla descendre à l’ancien palais d’Octave, qui n’avait ni marbre ni colonne, et dans lequel le fondateur de l’empire, l’ami d’Horace, habita quarante ans la même chambre hiver et été[72]. Ammien Marcellin, dont ces détails sont empruntés, nous peint ensuite deux choses considérables : une partie des édifices de Rome, tels qu’ils existaient de son temps, l’étonnement de Constance à la vue de ces édifices. Que d’événements étaient survenus, que de jours s’étaient écoulés, pour que le maître de l’empire romain ne fût qu’un étranger dans la capitale de cet empire ? pour qu’il demeurât muet d’admiration au milieu des ouvrages de tant de génies, de tant de fortunes, de tant de siècles, de tant de liberté et d’esclavage, comme un voyageur qui rencontrerait aujourd’hui Rome tout entière dans un désert ! Mais ces monuments des mœurs vivantes d’un peuple ne vivent point eux-mêmes ; leurs masses insensibles ne purent s’émerveiller de la petitesse de Constance, comme il s’ébahissait de leur grandeur. Il est un certain travail du temps qui donne aux choses humaines le principe d’existence qu’elles n’ont point en soi ; les hommes cessent, et ne sont rien par eux-mêmes, mais leurs vies mises bout à bout, leurs tombeaux rangés à la file, forment une chaîne dont la force augmente en raison de la longueur. De ces néants réunis se compose l’immortalité des empires. Le nom de Rome était la seule puissance qui restât à vaincre aux barbares. Rome, quoique habitée d’une foule innombrable, n’était plus réellement défendue que par les souvenirs de quelques vieux morts. Constance visita curieusement cette cité, dont il empruntait l’autorité qu’on voulait bien encore passer à sa pourpre. Il harangua le sénat et le peuple. Qu’eût répondu Marius, s’il eût mis la tête hors de sa tombe ? En parcourant les sept collines, couvertes de monuments sur leurs pentes et sommets, l’empereur se figurait à chaque pas que l’objet qu’il venait de voir était inférieur à celui qu’il voyait[73]. Le temple de Jupiter Tarpéien, les bains, pareils à des villes de province, la masse de l’amphithéâtre, bâti de pierres tiburtines et dont les regards se fatiguaient à mesurer la hauteur, la voûte du Panthéon suspendue comme le ciel, les colonnes couronnées des statues des empereurs, et dans lesquelles on montait par des degrés, la place et le temple de la Paix, le théâtre de Pompée, l’Odéon, le Stade, magnifiques ornements de la ville éternelle[74]. Mais au forum de Trajan, Constance s’arrêta confondu, promenant ses regards sur ces constructions gigantesques que, dans leur ineffable beauté, l’historien déclare ne pouvoir décrire[75]. Le grand roi, le monarque légitime de la Perse, le frère aîné de ce Sapor II, si funeste à Julien et à l’empire romain, Hormisdas, était réfugié dans cet empire. Il accompagnait Constance dans sa visite de Rome. L’empereur, se tournant vers son hôte, lui dit : Si je ne puis reproduire en entier ce forum, j’espère du moins faire imiter le cheval de la statue équestre du prince. — Tu le peux, dit Hormisdas ; mais bâtis d’abord une semblable écurie, afin que ton cheval y soit à l’aise comme celui que nous voyons[76]. Ce même exilé, interrogé sur ce qu’il pensait de Rome : Ce qui m’y plaît, répondit-il, c’est que les hommes y meurent comme ailleurs[77]. Hormisdas suivit Julien dans son expédition contre les Perses, et s’entendit appeler traître par un officier de Sapor, lequel Sapor occupait contre le droit le trône de son frère. Hormisdas vit mourir Julien ; il avait vu passer Constantin et Constance : il laissa un fils, que Théodose Ier chargea de conduire une troupe de Goths en Egypte. Le dernier successeur du héros macédonien qui renversa l’ancien empire de Cyrus, Persée, détrôné, vint mourir greffier parmi ses vainqueurs ; l’héritier du nouvel empire des Perses, rétabli sur celui d’Alexandre, vint chercher un abri dans les palais croulants des césars. Au lieu d’assister à l’histoire de son propre pays, Hormisdas fut un témoin des Parthes, envoyé pour assister à l’inventaire des monuments romains mis à l’encan des nations, et pour certifier véritable la chute de Rome. Vous ne savez pas tout : Hormisdas, nourri par les mages, était chrétien. Ainsi vont les choses et les hommes dans l’enchaînement des conseils éternels[78]. Constance déclara que la renommée, coutumière de mensonge, de malignité, et toujours d’exagération, était restée dans ce qu’elle racontait de Rome fort au-dessous de la vérité[79]. Il y voulut laisser quelques traces de son passage ; mais, sentant sa propre impuissance, il emprunta à la terre des tombeaux une parure funèbre pour la reine expirante du monde. L’obélisque du temple d’Héliopolis, que Constantin avait projeté de transporter à Constantinople, fut envoyé du Nil au Tibre et élevé à Rome dans le grand cirque. Depuis, Sixte Quint en décora la place de Saint-Jean-de-Latran. On peut voir encore aujourd’hui debout ce monument d’un pharaon, d’un empereur et d’un pape également tombés[80]. Constance, auquel il manquait, selon Libanius, le cœur d’un prince et la tête d’un capitaine ; ce souverain, qui passa son règne dans les transes des discordes civiles et d’une guerre peureuse contre Sapor, se donnait encore l’embarras des querelles ecclésiastiques. Sa cour était arienne : dans les conciles de Séleucie et de Rimini, il embrassa lui-même le parti des ariens. A la sollicitation de Constant, son frère, il avait d’abord rappelé Athanase de son premier exil ; il le maintint encore sur son siège, après la déposition prononcée au concile arien d’Antioche ; mais il l’abandonna au troisième concile de Milan. Il y eut des évêques bannis, intrus, catholiques, ariens, semi-ariens. Le premier concile de Paris ou de Lutèce se tint alors[81], et se déclara catholique sous la protection de Julien, qui méditait au même lieu le rétablissement du paganisme. Saint Hilaire de Poitiers, exilé en Orient, trouva les mêmes désordres en rentrant dans son église. Il écrivit contre l’empereur Constance : Vous saluez les évêques du baiser par lequel Jésus-Christ fut trahi ; vous courbez la tête pour recevoir leur bénédiction, et vous foulez aux pieds leur foi. Lucifer de Cagliari, plus hardi encore, menace du glaive de Matathias et de Phinées Constance infidèle. Saint Martin, qui commençait à paraître, servit d’abord comme soldat dans les troupes de l’apostat, et donna naissance au premier monastère des Gaules, Lulugiacum ou Ligugé, à deux lieues de Poitiers. Pacôme, Hilarion, Macaire, avaient succédé à saint Antoine et à saint Paul, et saint Basile méditait déjà la règle qui devait gouverner dans l’Orient un peuple de solitaires. La turbulence et la légèreté de Constance ruinaient l’empire en convocations de conciles, transports d’évêques par les voitures et les chevaux des postes impériales[82]. Ses profusions augmentaient sa convoitise ; il portait des sentences injustes, et la torture arrachait des mensonges qu’il transformait en vérités[83]. Au lieu d’employer son autorité à éteindre les disputes religieuses, il les enflammait par sa manie d’argumenter et par les rêveries mystiques des femmes et des eunuques. Les papes Jules et Libère s’étaient déclarés successivement à Rome pour saint Athanase, bien que Libère eût d’abord été faible, et que saint Hilaire l’eût anathématisé. Libère, persécuté, se cacha dans les cimetières autour de la ville, fut enlevé, conduit à Milan, où l’empereur l’interrogea. Il défendit Athanase, et répondit à Constance qui l’accusait de soutenir seul un impie : Quand je serais seul, la foi ne succomberait pas[84]. Exilé à Bérée, dans la Thrace, il refusa l’argent que l’empereur, l’impératrice et l’eunuque Eusèbe lui offraient. Tu as rendu désertes les églises du monde, dit-il au dernier, et tu m’offres une aumône comme à un criminel ![85] Félix, archidiacre de l’Église romaine, devint l’antipape arien. Le séjour de Constance à Rome eut lieu à l’époque de la plus grande chaleur des partis attachés à Félix et à Libère. Les matrones romaines catholiques se présentèrent à l’empereur dans la magnificence accoutumée de leur parure, le suppliant de rendre au troupeau leur pasteur absent. L’empereur consentit à rappeler Libère, pourvu qu’il gouvernât l’Église en commun avec Félix. Cette résolution fut lue dans le Cirque au peuple assemblé : les deux factions païennes, qui se distinguaient par leurs couleurs, dirent, en se moquant, qu’elles auraient chacune leur pasteur ; puis la foule chrétienne fit entendre cette acclamation : Un Dieu ! un Christ ! un évêque ![86] Naguère cette même foule s’écriait : Les chrétiens aux bêtes ! Au milieu de cette confusion, Constance, retourné en Orient [Je ne parle point de l’autel de la Victoire, que Constance fit ôter du sénat et qui y fut replacé vraisemblablement par Julien. Il en sera question sous Théodose Ier.] et devenu jaloux des triomphes de Julien, songea à l’affaiblir en lui demandant la plus grande partie de son armée, sous le prétexte de continuer la guerre contre Sapor. Julien pressa ses troupes ou feignit de les presser de partir. C’est la première grande scène militaire dont Paris ait été témoin. Assis sur un tribunal élevé aux portes de Lutèce, Julien invite les soldats à obéir aux ordres d’Auguste : les soldats gardent un silence morne, et se retirent à leur camp. Julien caresse les officiers, leur témoigne le regret de se séparer de ses compagnons d’armes sans les pouvoir récompenser dignement. A minuit les légions se soulèvent sortent en tumulte du banquet donné pour leur départ, environnent le palais, et, tirant leurs épées à la lueur des flambeaux, s’écrient : Julien auguste[87] ! Il avait ordonné de barricader les portes ; elles furent forcées au point du jour. Les soldats se saisissent du césar le portent à son tribunal aux cris mille fois répétés de Julien auguste ! Julien priait, conjurait, menaçait ses violents amis, qui à leur tour lui déclarèrent qu’il s’agissait de la mort ou de l’empire : il céda. Une acclamation le salua maître ou compétiteur du monde. Il fut élevé sur un bouclier[88] comme un roi franc, et couronné comme un despote asiatique : le collier militaire d’un hastaire[89] lui servit de diadème, car il refusa d’user à cette fin (étant chose de mauvais augure) d’un collier de femme[90] ou d’un ornement de cheval que lui présentaient les soldats. Afin qu’il ne manquât rien d’extraordinaire à l’avènement du restaurateur de l’idolâtrie, Julien écrivit au peuple et au sénat athénien (Ad S. P. Q. Ath.) la relation de ce qui s’était passé à Lutèce. Il adressa des lettres explicatives à Constance, lui demanda la confirmation du titre d’auguste. Pour trouver un second exemple d’un empereur proclamé à Paris, il faut passer de Julien à Napoléon. Après des négociations inutiles, Constance rejeta les prières de son rival ; il lui enjoignit de quitter la pourpre, non sans le traiter d’ingrat : Rappelle-toi que je t’ai protégé alors que tu étais orphelin. — Orphelin ! dit Julien dans sa réponse à Constance ; le meurtrier de ma famille me reproche d’avoir été orphelin ![91] Julien rassemble à Lutèce le peuple et l’armée, leur communique les messages venus d’Orient, et leur demande s’il doit abdiquer le titre d’auguste. Un grand bruit s’élève avec ces paroles : Sans Julien auguste, la puissance est perdue pour les provinces, les soldats et la république[92]. Le questeur Léonas fut chargé de porter la réponse publique à son maître, avec une lettre particulière remplie de la colère et du mépris de Julien. Décidé à marcher sur l’Orient, Julien part avec trois mille soldats ; il était à peine suivi de trente mille autres. Tout s’épouvante : Taurus, préfet d’Italie, s’enfuit ; Florent, préfet de l’Illyrie, s’enfuit ; Nebridius, préfet du prétoire en Occident, demeure seul fidèle à Constance ; il perd une main d’un coup d’épée, et Julien refuse de serrer la noble main qui reste à Nebridius[93]. Le nouvel auguste descend le Danube, tantôt côtoyant ses bords, tantôt s’abandonnant à son cours ; Sirmium, capitale de l’Illyrie occidentale, le reçoit : il se saisit du pas de Suques, entrée de la Thrace, et s’arrête pour attendre son armée[94]. Il tourne alors le visage au passé et le dos à l’avenir, et, se préparant la triste gloire d’avoir été le premier prince apostat, il abjure publiquement le christianisme ; il déclare qu’il confie sa vie et sa cause aux dieux immortels, efface l’eau du baptême par la cérémonie du taurobole : une seule des divinités évoquées apparut un moment à la fumée des sacrifices de Julien, la Victoire. Les soldats qui l’accompagnaient, brandissant leurs épées au-dessus de leurs têtes, ou tournant la pointe de ces épées contre leurs poitrines, avaient juré de mourir pour lui : cependant plusieurs d’entre eux étaient chrétiens ; mais Julien les avait trompés. Avant de quitter les Gaules, il était entré le jour de l’Epiphanie dans l’église de Vienne, et y avait fait sa prière. Ammien Marcellin affirme qu’en ce moment même il professait secrètement le paganisme[95]. Qu’est-ce donc que le parjure avait dit à Vienne au Dieu des chrétiens ? Constance se préparait à repousser l’invasion, il meurt à Mopsucrène, en Cilicie, après avoir été baptisé par Euzoïus, de la communion arienne. Le sénat de la nouvelle capitale se range du côté de la fortune ; Julien entre dans sa ville natale, que Constance, dit-il, aimait comme sa sœur, et que lui Julien aimait comme sa mère[96]. Constantinople chrétienne reçoit l’idolâtrie ainsi que Rome païenne avait reçu l’Evangile. Une commission établie à Chalcédoine jugea les ministres de Constance : Paul, Apodème et l’eunuque Eusèbe furent justement punis ; d’autres subirent injustement la mort et l’exil. La cour éprouva une réforme totale : on congédia des milliers de cuisiniers et de barbiers. Un de ces derniers se présente superbement vêtu pour couper les cheveux au successeur de Constance : Je n’ai pas demandé un trésorier, dit Julien, mais un barbier[97]. Les agents, au nombre de plus de dix mille, furent réduits à dix-sept, les curieux et autres espions abolis. Maintenant il convient de connaître plus intimement l’homme qui a pris dans l’histoire une place tout à part, en opposant son génie et sa puissance à la transformation sociale dont les peuples modernes sont sortis. Deuxième partie : de Julien à Théodose Ier Lorsque Julien fut relégué à Athènes par Constance, saint Basile et saint Grégoire de Nazianze s’y trouvaient. Le dernier nous a laissé un portrait de l’apostat où se reconnaît l’inimitié du peintre. Il était de médiocre taille, le cou épais, les épaules larges, qu’il haussait et remuait souvent, aussi bien que la tête. Ses pieds n’étaient point fermes ni sa démarche assurée. Ses yeux étaient vifs, mais égarés et tournoyants ; le regard furieux, le nez dédaigneux et insolent, la bouche grande, la lèvre d’en bas pendante, la barbe hérissée et pointue ; il faisait des grimaces ridicules et des signes de tête sans sujet ; riait sans mesure et avec de grands éclats, s’arrêtait en parlant, et reprenait haleine ; faisait des questions impertinentes et des réponses embarrassées l’une dans l’autre, qui n’avaient rien de ferme et de méthodiques[98]. Ammien Marcellin, qui voyait Julien en beau, conserve pourtant dans le portrait de ce prince quelques traits de celui de Grégoire de Nazianze[99] ; et Julien lui-même, dans le Misopogon, semble attester la fidélité malveillante du pinceau chrétien. La nature, comme je le présume, n’a pas donné beaucoup d’agréments à mon visage, et moi, morose et bizarre, je lui ai ajouté cette longue barbe pour lui infliger une peine, à cause de son air disgracieux. Dans cette barbe, je laisse errer des insectes[100], comme d’autres bêtes dans une forêt. Je ne puis boire ni manger à mon aise, car je craindrais de brouter imprudemment mes poils avec mon pain. Il est heureux que je ne me soucie ni de donner ni de recevoir des baisers... Vous dites qu’on pourrait tresser des cordes avec ma barbe : je consens de tout mon cœur que vous en arrachiez les brins, prenez garde seulement que leur rudesse n’écorche vos mains molles et délicates. N’allez pas vous figurer que vos moqueries me désolent : elles me plaisent ; car enfin, si mon menton est comme celui d’un bouc, je pourrais en le rasant le rendre semblable à celui d’un beau garçon ou d’une jeune fille sur qui la nature a répandu sa grâce et sa beauté. Mais vous autres, de vie efféminée et de mœurs puériles, vous voulez jusque dans la vieillesse ressembler à vos enfants : ce n’est pas comme chez moi, aux joues, mais à votre front ridé, que l’homme se fait reconnaître. Cette barbe démesurée ne me suffit pas : ma tête est sale ; rarement je la fais tondre ; je coupe mes oncles rarement, et j’ai les doigts noircis par ma plume. Voulez-vous connaître mes imperfections secrètes ? Ma poitrine est horrible et velue comme celle du lion, roi des animaux. Je n’ai jamais voulu la peler, tant mes habitudes sont brutes et abjectes. Je n’ai jamais poli aucune partie de mon corps : franchement, je vous dirais tout, quand j’aurais même un poireau comme Cimon[101]. Et c’est le maître du monde qui parle de lui de cette façon ! Mais cette humilité brutale est l’orgueil de la puissance. Julien avait des vertus, de l’esprit et une grande imagination : on a rarement écrit et porté une couronne comme lui. Il détestait les jeux, les théâtres, les spectacles ; il était sobre, laborieux, intrépide, éclairé, juste, grand administrateur, ennemi de la calomnie et des délateurs. Il aimait la liberté et l’égalité autant que prince le peut ; il dédaignait le titre de seigneur ou de maître. Il pardonna dans les Gaules à un eunuque chargé de l’assassiner. Un jour on lui signala un citoyen qui, disait-on, aspirait à l’empire, parce qu’il faisait préparer en secret une chlamyde de pourpre. Julien chargea l’officieux ami du prince légitime de porter à l’usurpateur une paire de brodequins ornés de pourpre, afin qu’il ne manquât rien au vêtement impérial[102]. La loi défendait sous peine de mort de fabriquer pour les particuliers une étoffe de pourpre ; un usurpateur était réduit, dans le premier moment de son élection, à voler la pourpre des enseignes militaires et des statues des dieux. Maris, évêque arien de Chalcédoine, insultait Julien, qui sacrifiait dans un temple de la Fortune. Julien lui dit : Vieillard, le Galiléen ne te rendra pas la vue. Maris était aveugle. Je le remercie, répondit l’évêque, de m’épargner la douleur de voir un apostat comme toi[103]. L’empereur supporta cet accablant reproche. Delphidius, célèbre avocat de Bordeaux, plaidait devant Julien contre Numerius, accusé de concussion dans le gouvernement de la Gaule Narbonnoise ; Numerius niait les faits. Qui ne sera innocent, s’écria l’avocat, s’il suffit de nier ? — Qui sera innocent, repartit Julien, s’il suffit d’être accusé ?[104] D’autres avocats louaient Julien : Je me réjouirais de vos éloges, leur dit-il, si vous aviez le courage de me blâmer[105]. Un certain Thalassius était dénoncé par le peuple d’Antioche comme exacteur et comme ancien ennemi de Gallus et de Julien. Je reconnais, dit l’empereur, qu’il m’a offensé ; c’est ce qui doit suspendre vos poursuites jusqu’à ce que j’aie tiré raison de mon ennemi. Il pardonna à l’accusé[106]. Un homme vint se prosterner à ses pieds dans un temple, criant merci pour sa vie. C’est Théodote, lui dit-on, chef du conseil d’Hiéraple, qui jadis demandait votre tête à Constance. — Je savais cela depuis longtemps, répondit l’empereur. Retourne en paix à tes foyers, Théodote. J’ai à cœur de diminuer le nombre de mes ennemis et d’augmenter celui de mes amis[107]. Une femme plaidait contre un domestique militaire renvoyé du palais ; elle n’avait osé l’assigner tant qu’il avait été en faveur. Celui-ci se présente à l’audience impériale avec la ceinture de son emploi ; la femme se croit perdue, présumant que son adversaire est rentré en grâce : Femme, dit Julien, soutiens ton accusation ; le défendeur n’a mis sa ceinture que pour marcher plus vite dans la boue ; elle ne peut rien contre ton droit[108]. La publication du Misopogon tient à la même élévation de nature : à part l’orgueil cynique de cet ouvrage, un homme investi du pouvoir absolu, environné d’une armée de barbares dévoués à ses ordres, un prince qui pouvait seul signe faire exterminer ses insolents détracteurs, et qui se contente de tirer raison d’un libelle par un pamphlet, est un exemple unique dans l’histoire des peuples et des rois. César, dans l’Anti-Caton, n’eut à se venger que de la vertu, et il ne la put vaincre, même en joignant les armes à la satire. Les Césars sont encore plus extraordinaires que le Misopogon. Quel souverain a jamais jugé ses prédécesseurs avec autant de rigueur et de supériorité ? Jules César entre le premier au banquet des dieux : Silène avertit Jupiter que ce convive pourrait bien songer à le détrôner, et Jupiter trouve que la tête de ce mortel ne ressemble pas mal à la sienne. Vient Auguste, dont les couleurs du visage changent comme celles du caméléon ; Tibère, à la mine fière et terrible et au dos couvert de lèpre ; Caligula, monstre sur-le-champ précipité dans le Tartare ; Claude, pauvre prince qui n’est rien sans Pallas, Narcisse et Messaline ; Néron, une couronne de laurier sur la tête, une lyre à la main, et qu’Apollon jette dans le Cocyte ; ensuite des gens de toutes sortes, les Galba, les Othon, les Vitellius ; Vespasien, qui accourt pour éteindre le feu mis aux temples[109] ; Titus, qu’on envoie à la Vénus publique ; Domitien, qu’on enchaîne auprès du taureau de Phalaris ; Nerva, à propos duquel Silène s’écrie : Vous autres dieux, vous laissez quinze années un monstre sur le trône, et ce vieillard affable et juste n’a pas régné un an entier ! Jupiter apaise Silène en lui annonçant que des princes vertueux vont suivre Nerva. Trajan paraît : aussitôt Silène recommande à Jupiter de veiller sur celui qui verse à boire aux immortels. Que cherche Adrien ! son Antinoüs ? Il n’est point dans l’Olympe. Antonin, modéré, excepté en amour, s’arrêterait à couper en portions égales un grain de cumin. A la vue de Marc-Aurèle, Silène déclare qu’il n’a rien à lui reprocher. Survient un débat entre Alexandre et César, jouteurs de gloire. César affirme qu’il a effacé les grands hommes ses contemporains et les grands hommes de tous les siècles et de tous les pays. Que prétend Alexandre avec sa conquête de la Perse ? Peut-il opposer quelque chose à la journée de Pharsale ? Quel était le capitaine le plus habile de Pompée ou de Darius ? Où étaient les meilleurs soldats ? Toi, Alexandre, tu as égorgé les citoyens de Thèbes, incendié les villes des malheureux Grecs ; moi, César, j’ai conquis les Gaules, passé le Rhin, franchi l’Océan, sauté sur le rivage des Bretons. Tu as vaincu dix mille Grecs : j’ai défait cent cinquante mille Romains. Alexandre, qui commençait à entrer en fureur, apostrophe Jupiter, et lui demande quand enfin ce babillard romain cessera de se donner des éloges. Il a triomphé de Pompée ! Pompée, pauvre homme qui profita des triomphes de Lucullus ! on lui donna le nom de grand par flatterie ; mais pouvait-on le comparer à Marius, aux deux Scipion, à Camille ? Tu as battu Pompée, César ? Pompée, si amoureux de sa coiffure qu’il ne s’osait gratter la tête que du bout du doigt ! Tu ne soumis les Gaulois et les Germains que pour asservir ta patrie : fut-il jamais rien de plus impie et de plus détestable ! Ne traite pas avec tant de dédain les dix mille Grecs que je me vis forcé d’accabler. Vous, Romains, qui à peine avez pu vous rendre maîtres de la Grèce dans sa décadence, vous qui vous êtes épuisés à soumettre un petit État presque ignoré aux beaux jours de l’Hellénie, que seriez-vous devenus s’il vous eût fallu combattre les Grecs unis et florissants ? Il vous sied bien de parler avec mépris de ma conquête de la Perse, fameux conquérants qui, après trois siècles de guerre, êtes parvenus, à la sueur de votre front, à vous emparer de quelques villages au delà du Tigre ! Moins de dix ans ont suffi à Alexandre pour dompter la Perse et les Indes. La satire continue de cette manière impitoyable, haute et juste, jusqu’à Constantin, outrageusement traité par le restaurateur de l’idolâtrie : il le livre à la déesse de la mollesse, qui l’embrasse, le revêt d’une robe de femme de diverses couleurs, et le conduit par la main à la Luxure. Auprès d’elle Constantin trouve un de ses fils (Crispus), qui criait incessamment : Corrupteurs de femmes, homicides, sacrilèges, scélérats, vous tous qui avez besoin d’expiation, approchez ! avec un peu d’eau je vous rendrai purs. Si vous retombez dans vos fautes, frappez-vous la poitrine, battez-vous la tête : tout vous sera remis[110]. Ici il y a triple calomnie et haine atroce : on ne reconnaît plus le souverain supérieur qui condamne les mauvais princes, et le grand homme qui juge ses pairs. Julien était musicien et poète de talent : nous avons de lui deux épigrammes élégantes, l’une contre la bière, l’autre où l’orgue est décrit à peu près tel que nous le connaissons[111]. Ses lettres sont instructives, quoique d’un style peu naturel[112] ; en voici une où il y a trop de Néréides, de Grâces, de Nymphes, de lieux communs de mythologie, et qui ressemble assez à ces épîtres toutes fleuries de lis et de roses que le grand Frédéric écrivait à des gens de lettres la veille d’une bataille ; mais le sujet en est touchant et les descriptions agréables ; elle nous apprend quelque chose d’intime de la vie et de la jeunesse de Julien. L’aïeule maternelle de Julien lui avait laissé une petite terre en Bithynie : l’empereur écrit à un ami dont on ignore le nom, pour lui en faire présent. Quel est le roi d’une province de l’empire romain qui ne croirait aujourd’hui déroger à sa puissance, démembrer le domaine de sa couronne, et compromettre la dignité de son sang, en offrant d’aussi bonne grâce l’héritage de sa grand-mère à un ami ? La maison n’est pas à plus de vingt stades de la mer, mais on n’y est point étourdi par le marchand, ou par le matelot criard ou querelleur. Cependant on y jouit des présents des Néréides, et l’on peut y avoir le poisson frais et palpitant. Si tu montes sur un tertre peu éloigné de la maison, tu verras la Propontide, ses îles et la ville qui porte le noble nom d’un empereur. Là tu ne seras point au milieu des algues, des mousses et des autres plantes désagréables et inconnues que la mer jette sur ses grèves, mais au milieu des saules, parmi le thym et les herbes parfumées. Couché, un livre à la main, après une lecture attentive, tu pourras reposer tes yeux fatigués : la mer et les vaisseaux te seront un charmant spectacle. Dans mon enfance, ce lieu me plaisait, parce que j’y trouvais des fontaines qui n’étaient pas à mépriser, des bains assez propres, un potager et des arbres. Lorsque je devins homme, je désirai ardemment de revoir ce lieu ; j’y suis maintes fois retourné en compagnie de quelques amis. Je m’y suis même assez occupé d’agriculture pour y laisser, comme un monument, une petite vigne qui donne un vin suave et parfumé. Tu verras dans mon clos Bacchus et les Grâces : la grappe pendante au cep, ou portée au pressoir, exhale l’odeur des roses ; la liqueur dans le tonneau est déjà du nectar, si nous en croyons Homère. Tu me demanderas peut-être, puisque les vignes viennent si bien dans ce sol, pourquoi je n’en ai pas planté davantage. Mais d’abord je ne suis pas un cultivateur bien habile ; ensuite les Nymphes tempèrent pour moi la coupe de Bacchus : je ne voulais de vin qu’autant qu’il en fallait pour moi et mes convives, dont tu sais que le nombre n’est pas grand. Accepte donc ce présent, ô tête chérie[113] ! Il est petit sans doute ; mais ce qui va d’un ami à un ami, de la maison à la maison, est très doux, comme le dit le sage poète Pindare[114]. Les discours de Julien ont les défauts de la littérature de son temps ; mais celui qu’il adresse aux Athéniens, en partie purgé de ces défauts, montre avec quelle gravité il avait pu écrire l’histoire des guerres des Gaules et de la Germanie. Il est fâcheux que l’apostat, dans deux panégyriques, ait si bien loué Constance, son persécuteur, et qu’il ait été si froid dans l’éloge d’Eusébie, sa bienfaitrice, et peut-être quelque chose de plus[115]. Grand admirateur du passé, Julien a voulu faire remonter le vocabulaire dont il s’est servi aux jours classiques de la Grèce : assez souvent il habille à l’antique des idées modernes ; on peut se faire une idée de ce contraste par un exemple en sens opposé. L’auteur des Vies des grands Hommes a écrit en grec dans un idiome complet et vieilli, il a été traduit en français dans un idiome incomplet et naissant, d’où il est arrivé une chose assez extraordinaire : le génie de Plutarque était naïf, et sa langue ne l’était plus ; Amyot est venu, et il a donné à Plutarque la langue qui manquait à son génie. Mais Amyot échoue dans les morales : le gaulois, qui s’était si bien prêté aux récits du biographe, n’a pu rendre les idées complexes et les expressions métaphysiques du philosophe. De grandes imperfections balançaient dans Julien ses éminentes qualités : il gâtait son caractère original en copiant d’autres grands hommes, et semblait n’avoir de naturel que sa perpétuelle imitation. Il s’était surtout donné pour modèles Alexandre et Marc-Aurèle ; sa mémoire envahissait ses actions ; il avait fait entrer son érudition dans sa vie. Lorsqu’il renvoya aux évêques le traité de Diodore de Tarse, en faveur du christianisme, avec ces trois mots : anegnôn, egnôn, categnôn : Άνέγνων, έγνων, κατέγνων : J’ai lu, j’ai compris, j’ai condamné, il rappelait mal le veni, vidi, vici, de César. Ses actes de clémence étaient peu méritoires, le dédain y ayant plus de part que la générosité. Léger, railleur, pétulant, questionneur sans dignité, d’une loquacité intarissable, il eût été cruel s’il se fût laissé aller à son penchant[116]. Dans des emportements involontaires, il s’abaissait jusqu’à frapper de la main et du pied les gens du peuple qui se présentaient à ses audiences[117]. On pourrait soupçonner sa pudicité : bien que Mamertin assure que son lit était plus chaste que celui d’une vestale, il est probable, s’il n’est certain, qu’il eut des enfants naturels[118]. Telle est la puissance d’un mot : le nom d’Apostat, donné à Julien, suffit pour flétrir sa mémoire, même aujourd’hui que nous sommes séparés de ce prince par quatorze siècles, et que tombent les institutions qu’il prescrivait. L’antipathie de Julien pour le culte des chrétiens se fortifia de la haine que lui inspira le prince qui massacra son père, livra son frère au bourreau et menaça longtemps sa vie : les anciens autels étant devenus les autels persécutés, Julien s’y attacha comme un caractère généreux s’attache à la patrie, à la faiblesse et au malheur, il voulut croire à des absurdités que sa raison condamnait ; il employa son génie, comme les philosophes de son temps, à expliquer par des allégories le culte de ces divinités, personnifications des objets de la nature ou passions matérialisées. La beauté des cérémonies du paganisme enchantait son imagination poétique, nourrie des songes de la Grèce : à la renaissance des lettres, au XVIe siècle, quelques écrivains de la France et de l’Italie, ravis des belles fables, devinrent de véritables païens, et firent abjuration entre les mains d’Homère et de Virgile. Julien attribuait son salut à sa piété envers les dieux, qui l’avaient excepté seul de la juste condamnation prononcée contre la maison impie de Constantin. Son aversion pour le christianisme se put augmenter encore du spectacle qu’offrait la société lorsqu’il parvint à l’empire. L’hérésie d’Arius avait tout divisé et subdivisé ; ce n’étaient qu’anathèmes lancés et reçus ; les catholiques mêmes ne s’entendaient plus ; les évêques se disputaient des sièges, et le schisme ajoutait ses désordres à ceux de l’hérésie. Julien avait remarqué que les chrétiens sont plus cruels entre eux que les bêtes ne le sont aux hommes[119] (c’est un auteur païen qui l’affirme). Athanase fait la même remarque sur les ariens[120]. Ces querelles dans toutes les villes, dans tous les villages, dans tous les hameaux, affaiblissaient l’empire au dehors, paralysaient le pouvoir au dedans, rendaient l’administration périlleuse et difficile. Les juges et les gouverneurs n’étaient occupés qu’à réprimer les délits et les séditions des chrétiens. Le fameux Georges, évêque arien d’Alexandrie, persécuteur des païens et des catholiques, avait désolé l’Egypte par ses rapines et ses cruautés. Diodore, un de ses adhérents, coupait de sa propre autorité la chevelure des enfants, chevelure que l’idolâtrie maternelle laissait croître en l’honneur de quelque divinité protectrice. Le peuple, lassé, se souleva, massacra Georges, pilla sa bibliothèque, dont Julien recommanda au préfet d’Egypte de rassembler soigneusement les débris. La folie des Galiléens, dit le même prince dans sa lettre à Artabius, a presque tout perdu[121]. Julien, qui n’aurait pu reconnaître la vérité chrétienne parmi des hommes qui ne s’entendaient pas sur la nature du Christ, put donc croire qu’il supprimerait à la fois tous les maux en étouffant toutes les sectes sous l’ancien culte : erreur d’un juge préoccupé, qui prit les effets pour la cause ; qui ne vit que l’extérieur des troubles, qui ne fut frappé que du mouvement à la surface, et n’aperçut pas l’idée immobile reposant au fond de ces troubles. Une révolution était accomplie, un changement opéré dans l’espèce humaine. Cependant l’éducation d’enfance du grand ennemi de la croix avait été toute chrétienne ; il avait disputé de dévotion à Macellum avec son frère Gallus ; il paraît même qu’après avoir été lecteur dans l’église de Nicomédie, il s’était fait tondre pour se faire moine[122] ; intention qu’on a voulu attribuer à l’hypocrisie, et qu’il est plus équitable de regarder comme le mouvement d’une âme exaltée. Julien ne pouvait être ni chrétien ni philosophe à demi ; la nature ne lui avait laissé que le choix du fanatisme. Quoi qu’il en soit, aussitôt que ce prince fut séparé de Gallus, il s’abandonna à la passion de l’étude, qua lui avait inspirée Mardonius, son premier maître. Il visita à Pergame Edesius, dont l’école jetait un grand éclat. Chef du néoplatonisme, dont Plotin était le fondateur, Edesius, disciple et successeur de Jamblique, était un vieillard dont l’esprit vigoureux s’élevait vers le ciel à mesure que son corps se penchait vers la terre. Julien voulait en tirer toute la science, mais le vieillard lui dit : Aimable poursuivant de la sagesse, mon corps est un édifice en ruine prêt à tomber : interrogez mes enfants[123]. Ces enfants d’Edesius étaient ses disciples : Maxime, Priscus, Eusèbe et Chrysanthe. Julien s’adressa d’abord aux deux derniers. Eusèbe ne croyait point à la théurgie, et parlait à Julien contre les opérateurs de prodiges ; il lui raconta que Maxime avait fait sourire devant lui, au moyen d’un grain d’encens purifié et d’un hymne chanté à voix basse, la statue de la déesse au temple d’Hécate : qu’ensuite les flambeaux s’étaient allumés d’eux-mêmes[124]. Aussitôt Julien, transporté de curiosité ne voulut plus écouter les raisonnements d’Eusèbe, et s’empressa d’aller chercher Maxime à Ephèse. Maxime, d’un âge approchant de la vieillesse, portait une longue barbe blanche ; son éloquence était entraînante ; le son de sa voix se mariait si bien avec l’expression de ses regards, qu’on ne lui pouvait résister[125]. Pressé par Julien, il fit venir Chrysanthe, et tous les deux l’instruisirent. Maxime conduisit le jeune prince dans le souterrain d’un temple : après les évocations on entendit un grand bruit, et des spectres de feu apparurent. Julien, saisi de frayeur, fit involontairement et par habitude le signe de la croix : tout s’évanouit. Julien ne se pouvait empêcher d’admirer la puissance du signe des chrétiens, lorsque le philosophe lui dit d’une voix sévère : Croyez-vous avoir fait peur aux dieux ? Ils se sont retirés parce qu’ils ne veulent pas avoir de relations avec des profanes tels que vous[126]. On ignore le reste de cette initiation ; mais on assure que Maxime prédit l’empire à Julien s’il jurait d’abolir le christianisme et de rétablir l’ancien culte. Au surplus, quels que fussent les nuages dont le néoplatonisme environnait sa doctrine, on sait qu’il admettait des puissances subordonnées avec lesquelles on commerçait par la science de la cabale. Comme les philosophes ne pouvaient justifier les folies du polythéisme pris dans le sens absolu, ils composaient un système d’allégories dans lesquelles ils renfermaient les vérités de la physique, de la morale et de la théologie. Ils admettaient un Dieu-Principe dont les attributs devenaient des divinités inférieures. Les astres, la terre, la mer, les royaumes, les villes, les maisons, de même que les vertus et les arts, avaient leurs génies : ceux qui tout à la fois rougissaient et se glorifiaient des anciennes superstitions chargeaient ainsi l’imagination d’inventer, pour les justifier, un système digne d’elles. Le fond de l’ancienne doctrine platonicienne subsistait : l’intervalle incommensurable qui sépare l’homme de Dieu étant rempli par des êtres plus ou moins sublimes à mesure qu’ils sont plus voisins de Dieu ou de l’homme, notre âme, selon le degré de sa vertu, remonte cette longue chaîne de héros, de génies et de dieux, et va s’abîmer dans le sein du grand Être, beauté, vérité, souverain bien, science complète. Plutôt alléché aux mystères que rassasié de secrets, Julien alla chercher au fond de la Grèce un vieux prêtre d’Eleusis, qui passait pour ne rien ignorer. Si nous en croyons Eunape, seule autorité pour ce récit, Julien, au moment de rompre avec Constance, appela ce prêtre dans les Gaules, et lui fit part du projet qu’il n’avait révélé qu’à Oribase, son médecin, et à Evhémère, son bibliothécaire. Julien était versé dans la théurgie et les deux divinations : ses croyances se composaient d’un mélange de néoplatonisme et de quelque souvenir de sa première éducation chrétienne, le tout enveloppé dans l’hellénisme ou les mythes homériques. Le néoplatonisme joignait à la doctrine de Platon des idées empruntées aux écoles pythagoricienne, stoïcienne et péripatéticienne. En vertu de la loi de la métempsychose, Julien pensait avoir hérité de l’âme d’Alexandre : superstition naturelle du courage, du génie et de la gloire. Libanius compare la vérité rentrant dans l’esprit de Julien, purifiée du christianisme, à la statue des dieux replacée dans un temple autrefois profané. Selon le même Libanius, des divinités amies éveillaient le disciple impérial en touchant doucement ses mains et ses cheveux[127] ; il distinguait la voix de Jupiter de celle de Minerve, et ne se trompait point sur la forme d’Hercule ou d’Apollon : platonicien par l’esprit, stoïcien par le caractère, cynique par quelques habitudes extérieures, Julien priait et jeûnait en l’honneur d’Isis, de Pan ou d’Hécate, comme les Pères du désert ses contemporains jeûnaient et priaient aux jours de vigiles et d’abstinence. Si à cette époque la philosophie affectait des austérités et prétendait opérer des prodiges, c’est qu’elle avait été conduite à opposer quelque chose aux vertus et aux merveilles des chrétiens. En effet, peu de temps après le règne de Julien une persécution s’éleva contre les hommes accusés de magie ; cette magie n’était que la réaction et la contrepartie des miracles. Le christianisme avait forcé l’hellénisme à l’imitation pour maintenir sa puissance. La cérémonie du taurobole ou du criobole, qui se rattachait dans son principe à la plus haute antiquité, était devenue une simple parodie du baptême. Au bord d’une fosse couverte d’une pierre percée, le sacrificateur égorgeait un taureau ou un bélier ; le sang de la victime coulait au travers des trous, sur le prosélyte placé au fond de la fosse, et les taches de ce pécheur se trouvaient effacées au moins pour vingt ans. Les philosophes étaient les solitaires de la religion de Jupiter ; comme les ermites du christianisme, ils s’attribuaient un pouvoir surnaturel. Plotin évoquait, à l’aide d’un Egyptien, son propre démon ; quand il mourut, un dragon sortit de dessous son lit et traversa une muraille. Jamblique s’élevait en l’air, et tout son corps paraissait resplendissant : au son d’une parole il fit un jour sortir les génies de l’amour, Eros et Antéros, du fond d’un bain. Edesius forçait les dieux à descendre, et il en recevait des oracles en vers hexamètres[128]. Vous venez de voir les jongleries de Maxime et Chrysanthe. Simon le magicien, Apollonius de Tyane avaient eu les mêmes prétentions aux vertus théurgiques. Celse avait opposé aux miracles de Jésus-Christ les prestiges d’Esculape, d’Apollon, d’Aristes et d’Abaris. Les philosophes affectaient un tel air de ressemblance avec les ascètes, que Julien, dans un moment d’humeur contre les cyniques, les compare aux moines galiléens[129]. Vous allez bientôt voir ce prince essayant de régler la police des temples d’après la discipline des églises. Enfin, les idolâtres réformés avaient placé une Trinité à la tête de leurs dieux : vaincu de toutes parts, le paganisme était, pour ainsi dire, obligé de se faire chrétien. Toutefois, dans cette transfusion du sang social, dans l’accomplissement de la plus grande révolution de l’intelligence, on doit aussi remarquer, afin d’être juste et sincère, ce que le christianisme pouvait avoir admis de la philosophie et du paganisme. Le christianisme a-t-il reçu de la philosophie les dogmes de la Trinité, du Logos ou du Verbe ? J’ai déjà eu l’occasion de traiter ailleurs cette matière : j’ai fait observer (Génie du Christianisme) que la Trinité pouvait avoir été connue des Egyptiens, comme le prouvait l’inscription grecque du grand obélisque du Cirque Majeur, à Rome ; j’ai cité un oracle de Sérapis, rapporté par Héraclides de Pont et Porphyre[130], lequel oracle exprime nettement le dogme de la Trinité[131]. Les mages avaient une espèce de Trinité dans leur Metris, Oromasis et Arimanis, ou Mitra, Oromase et Arimane. Platon semble indiquer la trinité dans le Timée, l’Epinomis ; et dans une lettre à Denis le jeune il énonce le Verbe de la manière la plus claire. Selon lui le Verbe très divin a arrangé l’univers et l’a rendu visible[132]. Platon avait emprunté le dogme de la Trinité de Timée de Locres, qui le tenait de l’école italique. Les pythagoriciens avouaient l’excellence du ternaire : le trois n’est point engendré et engendre toutes les autres fractions, d’où il prenait dans l’école pythagoricienne la qualification de nombre sans mère. Les stoïciens professaient la même théologie, ainsi que le témoigne Tertullien, qui cite Zénon et Cléanthes[133]. Aux Indes et au Thibet proprement dit, les livres sacrés mentionnent le Verbe et la Trinité. Enfin, les missionnaires anglais croient avoir retrouvé la Trinité jusque dans la religion des sauvages d’Otaïti[134]. Les principaux Pères de l’Église, presque tous sortis de l’école platonicienne, ont avoué que leur ancien maître s’était quelquefois approché de la pure doctrine : c’est ce qu’on voit dans Origène, dans Tertullien, dans saint Justin, saint Athanase[135] et dans saint Augustin. Ce dernier raconte qu’ayant lu les traités des platoniciens, il y découvrit les vérités de la foi relatives au verbe de Dieu, telles qu’elles sont énoncées dans le premier chapitre de l’Evangile de saint Jean. Il fait observer que plusieurs platoniciens ayant entendu parler du christianisme convinrent que le Messie était l’Homme-Dieu, en qui la Vérité permanente, l’immuable Sagesse s’était incarnée[136], Platon avait déclaré que si le Juste venait sur la terre, il serait méconnu et crucifié. Une tradition confuse des incarnations du dieu indien s’était répandue à travers la Perse jusqu’au fond de l’Occident. Constantin, dans la harangue que j’ai rappelée, signale Platon comme le premier philosophe qui attira les hommes à la contemplation des choses divines[137]. Qu’un homme du génie de Platon ait approché de la vérité révélée par la force de sa pénétration, rien de plus naturel : les vérités de l’intelligence, comme toutes les autres vérités, nous sont plus ou moins accessibles, selon le plus ou le moins de supériorité de notre esprit. Mais la philosophie de Platon est mêlée de tant d’obscurités, de contradictions et d’erreurs, qu’il est difficile d’en tirer le système des chrétiens. Ensuite Aristobule, Joseph, saint Justin, Origène, Eusèbe de Césarée[138], ont avancé et prouvé que Platon avait eu connaissance des livres hébreux, qu’il y avait puisé cette partie de sa philosophie, si peu ressemblante à ce qui lui appartient en propre, ou plutôt à Pythagore : les exemplaires des idées et de l’harmonie des sphères. Mais aucune induction raisonnable ne peut être tirée des doctrines qui ont eu cours après l’avènement du Christ : le néoplatonisme, au lieu d’avoir donné aux chrétiens la trinité, la lui aurait plutôt dérobée : Plotin et Porphyre ont rajusté leur système confus de triade sur le système positif et clair de la nouvelle religion. Alors parut le dogme trinitaire païen plus nettement énoncé, les trois dieux, les trois entendements, les trois rois réunis dans l’unité démiurgique. Les philosophes avaient une grande admiration pour ces premières paroles de l’Evangile selon saint Jean : Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ; ils disaient qu’il fallait les écrire en lettres d’or au frontispice des temples[139] ; saint Basile[140] assure qu’ils étaient allés jusqu’à s’emparer de ces paroles et à les insérer, comme leur appartenant, dans leurs ouvrages. Amelius, disciple de Plotin, est atteint et convaincu par Eusèbe de Césarée, Théodoret et saint Cyrille d’Alexandrie, d’être un plagiaire de l’Evangile de saint Jean, de cet apôtre qu’Amelius appelle dédaigneusement un barbare[141]. Théodoret compare les néoplatoniciens, imitateurs des fidèles (et en particulier Porphyre), à des singes et à la corneille d’Esope[142]. Je ne puis que vous indiquer, dans ces Etudes, des sujets qui demanderaient un développement considérable. Il conviendrait d’examiner si avant le christianisme révélé il n’y a pas eu un christianisme obscur, universel, répandu dans toutes les religions et dans tous les systèmes philosophiques de la terre ; si l’on ne retrouve pas partout une idée confuse de la Trinité, du Verbe, de l’Incarnation, de la Rédemption, de la chute primitive de l’homme ; si le christianisme ne fit pas sortir du fond du sanctuaire les doctrines mystérieuses qui ne se transmettaient que par l’initiation ; si, portant en lui sa propre lumière, il n’a pas recueilli toutes les lumières qui pouvaient s’unir à son essence ; s’il n’a pas été une sorte d’éclectisme supérieur, un choix exquis des plus pures vérités. Il y a longtemps qu’on s’est enquis du degré d’influence que la philosophie a pu exercer sur la doctrine des Pères de l’Église : d’un côté, on a soutenu qu’ils avaient transformé le christianisme moral des apôtres dans le christianisme métaphysique du concile de Nicée ; de l’autre, on a combattu cette assertion[143]. Ceux qui voulaient défendre les Pères accusés de platonisme auraient pu faire valoir l’autorité même de Julien, qui prétend prouver la fausseté du système des chrétiens en lui opposant celui du chef de l’Académie : dans un passage d’une grande beauté de style et d’une grande élévation de pensée, il compare la création racontée par Moïse à la création telle que l’a supposée Platon. Le dieu de Moïse, dit-il, n’a créé, ou plutôt n’a arrangé que la nature matérielle, le monde des corps : il n’avait puissance pour engendrer la nature spirituelle, le monde animé ; tandis que le dieu de Platon enfante d’abord des êtres intelligents, les puissances, les anges, les génies, lesquels créent ensuite, par délégation du Dieu suprême, les formes ou la nature visible qui les représente, les cieux, le soleil et les sphères qui sont les vêtements ou les images des puissances, des anges et des génies. Le principe essentiel de l’âme est un des mystères sur lesquels on s’est fixé le plus tard ; les Pères hésitent et présentent différentes opinions : dans les IXe, Xe et XIe siècles, le champ des discussions était encore resté ouvert sur ce point aux écrivains ecclésiastiques. Tout ceci ne fait rien à la question fondamentale : fût-il possible de prouver que les doctrines du christianisme ont été plus ou moins connues antérieurement à son ère, il n’aurait rien à perdre à cette preuve. Je vous l’ai déjà dit : des esprits puissants ont pu atteindre à des vérités mères avant que ces vérités eussent été acquises au genre humain par une révélation directe. Loin de détruire la foi, ce serait un nouvel et merveilleux argument en sa faveur ; car alors il serait démontré qu’elle est conforme à la religion naturelle des plus hautes intelligences. Telles sont les relations qui existaient entré la philosophie et le christianisme. Quant au paganisme, le christianisme a pris quelques formules applicables à toute religion, quelques rites, quelques prières, quelques pompes qui n’avaient besoin que de changer d’objet pour être véritablement saintes : l’encens, les fleurs, les vases d’or et d’argent, les lampes, les couronnes, les luminaires, le lin, la soie, les chants, les processions, les époques de certaines fêtes, passèrent des autels vaincus à l’autel triomphant. Le paganisme essaya d’emprunter au christianisme ses dogmes et sa morale ; le christianisme enleva au paganisme ses ornements : le premier était incapable de garder ce qu’il dérobait ; le second sanctifiait ce qu’il avait ravi. L’apostasie du cousin de Constance, d’abord soigneusement cachée à la foule, fut donc connue d’un petit nombre de philosophes et de prêtres qui attendaient la réhabilitation des anciens jours, comme des hommes, étrangers au monde où ils vivent, rêvent parmi nous l’impossible retour du passé. Cependant, le secret du changement de Julien ne put être si bien gardé, qu’il n’en transpirât quelque chose au dehors. Il nous reste une lettre de Gallus, de l’an 351 ou 352, dans laquelle le césar fait mention des bruits répandus dans Antioche. On prétendait, écrit-il à Julien, alors en Ionie, que vous aviez abandonné la religion de nos ancêtres pour embrasser l’hellénisme, mais j’ai été promptement détrompé. Œtius m’a dit que vous étiez au contraire plein de zèle pour bâtir des oratoires, et que vous vous plaisiez aux tombeaux des martyrs. Gallus appelle le christianisme la religion de ses ancêtres : saint Grégoire de Nazianze le nomme l’ancienne religion. Que le monde romain était changé ! combien avait été rapide la conquête de l’Evangile ! Mais si le christianisme avait fait de pareils progrès extérieurs, le développement de sa puissance intérieure n’était pas moins étonnant. Déjà l’on pouvait reconnaître son caractère universel, non seulement dans le sens de sa diffusion parmi les peuples, mais dans le sens de sa convenance avec les diverses facultés de l’homme : le voilà expliquant, à l’aide du plus beau langage, les idées les plus sublimes, ce christianisme qui fut prêché par des esprits obtus, de grossiers compagnons sans éducation et sans lettres. Comment Pierre le pêcheur avait-il produit Grégoire le poète, Basile le philosophe, Jean Bouche d’Or l’orateur ? C’est que Jésus le Christ était derrière Pierre l’apôtre, et que le Verbe incréé contenait la vertu de la parole humaine ; fils de Dieu, source de toutes lumières et de tous biens, il les distribuait à ses serviteurs en proportion des besoins successifs de la société, donnant à propos la simplicité et l’éloquence, la force des mœurs ou les clartés de l’esprit. De cette croix si rude, de ce bois qui ne présenta d’abord à l’adoration de l’univers qu’un gibet et un condamné, découlèrent graduellement les perfections de l’Essence divine. Julien, parvenu à l’empire, publia un édit de tolérance universelle. Les évêques et les prêtres, à quelque communion qu’ils appartinssent, ariens, donatistes, novatiens, eunomiens, macédoniens, catholiques, furent également protégés par celui qui les méprisait tous, et qui espérait les affaiblir en les divisant. Néanmoins, il fait lui-même observer qu’il rappela les évêques exilés à leurs foyers, non à leurs sièges. Il assemblait les chefs des sectes, et quand ils s’emportaient, il leur criait : Ecoutez-moi ! les Francs et les Allamans m’ont bien écouté[144]. Dans ses lettres il recommande la modération envers les chrétiens, mais c’est en grimaçant qu’il conserve l’impartialité philosophique ; sa haine perce à travers sa tolérance affectée, et lui arrache des mots sanglants. Athanase, par une préférence méritée, fut excepté de l’amnistie de Julien. Il serait dangereux, dit l’apostat dans sa lettre aux habitants d’Alexandrie, de laisser à la tête du peuple un intrigant, non pas un homme, mais un petit avorton sans valeur qui s’estime plus grand qu’il appelle plus de dangers sur sa tête[145]. Et dans une lettre à Ecdicius, préfet d’Egypte, Julien ajoute : Les dieux sont méprisés. Chassez le scélérat Athanase ; il a osé, sous mon règne, conférer le baptême à des femmes grecques d’une naissance illustre[146]. Eunape ne nous laisse aucun doute sur la sincérité religieuse de Julien : il suffit d’ailleurs de lire ce qui nous reste des ouvrages de cet empereur, aussi singulier comme homme qu’extraordinaire comme prince, pour se convaincre qu’il était païen de bonne foi. Il avait pris dans les initiations et les sociétés secrètes un degré d’enthousiasme qui allait jusqu’à interpréter les songes et à croire aux apparitions. Au lever et au coucher du soleil, il immolait une victime à Apollon, sa divinité favorite : il croyait à la trinité des platoniciens ; le soleil était pour lui le Logos, le fils du Père souverain, le Verbe brûlant qui inspire la vie à l’univers. La nuit, Julien honorait la lune et les étoiles, auxquelles s’unissent les âmes des héros. Dans les grandes solennités, il aimait à jouer le rôle de sacrificateur et d’aruspice. Le beau spectacle que de voir l’empereur des Romains fendre le bois, égorger les victimes, consulter leurs entrailles, souffler le feu des autels en présence de quelques vieilles femmes, les joues bouffies, excitant la risée de ceux-là même dont il désirait s’attirer les louanges ! Aux fêtes de Vénus, il marchait entre deux troupes de prostitués de l’un et de l’autre sexe, affectant la gravité au milieu des éclats de rire de la débauche, élargissant ses épaules, portant en avant sa barbe pointue, allongeant de petits pas pour imiter la marche d’un géant. Saint Chrysostome[147] doute que la postérité veuille croire à son récit ; il adjure de la vérité de ses paroles les vieillards qui l’écoutaient, et qui pouvaient avoir été témoins de ces indignités. L’empereur faisait toutes ces choses comme souverain pontife, dignité attachée chez les Romains à la souveraineté politique. Il épuisait l’État pour les frais d’un culte que rien ne pouvait rétablir. Il offrait en holocauste des oiseaux rares, cent bœufs étaient quelquefois assommés à un seul autel dans un seul jour. Les peuples disaient que s’il revenait vainqueur des Perses, il détruirait la race des taureaux. Il ressemblait en cela, selon la remarque d’Ammien Marcellin, au césar Marcus, à qui les bœufs blancs avaient écrit ce billet : Les bœufs blancs au césar Marcus, salut : c’est fait de nous si vous triomphez[148]. De magnifiques présents étaient prodigués par Julien aux sanctuaires célèbres, à Dodone, à Delphes, à Délos. En arrivant à Antioche, son premier soin fut de sacrifier sur la cime du mont Cassius. Il apprit avec une sainte joie que le gouverneur de l’Egypte avait retrouvé le bœuf Apis. Il fit déboucher, à Daphné, la fontaine Castalie ; mais en visitant ce lieu renommé par sa beauté il eut un grand sujet de douleur : le bois de lauriers et de cyprès n’était plus qu’un cimetière chrétien. Gallus y avait déposé le corps de saint Babylas. Je me figurais d’avance, dit Julien, une pompe magnifique : je ne rêvais que victimes, libations, parfums, chœurs de beaux enfants, dont l’âme était aussi pure que leur robe était blanche. J’entre dans le temple, je n’y trouve ni encens, ni gâteaux, ni victimes... J’interroge le prêtre, je demande ce que la ville sacrifiera aux dieux dans cette fête solennelle. — Voici une oie que j’apporte de ma maison, me répondit-il[149]. Les temples détruits par le temps ou par les chrétiens furent réparés. Julien fut le Luther païen de son siècle ; il entreprit la réformation de l’idolâtrie sur le modèle de la discipline des chrétiens. Plein d’admiration pour la fraternité évangélique, il désirait que les païens se liassent ainsi d’un bout de la terre à l’autre ; il voulait que les prêtres de l’hellénisme eussent la vertu des prêtres de la croix, qu’ils fussent comme eux irréprochables, que comme eux ils prêchassent la pitié, la charité, l’hospitalité. Il ordonna des prières graves et régulières à heures fixes, chantées à deux chœurs dans les temples ; enfin, il se proposait de fonder des monastères d’hommes et de femmes et des hôpitaux. Ne devons-nous pas rougir que les Galiléens, ces impies, après avoir nourri leurs pauvres, nourrissent encore les nôtres, laissés dans un dénuement absolu ?[150] Saint Grégoire de Naziance remarque que ces imitateurs des chrétiens ne se pouvaient appuyer de l’exemple de leurs dieux, et qu’il y avait contradiction entre leur morale et leur foi. Le zèle que Julien avait pour le paganisme, il l’avait pour la philosophie : il aimait un rhéteur de la même tendresse qu’il chérissait un augure. Lors de sa rupture avec Constance, il s’était flatté que Maxime accourrait dans les Gaules. Il revenait de sa dernière expédition d’outre-Rhin ; il demandait partout, chemin faisant, si quelque philosophe n’était point arrivé : il avise de loin un cynique ; il le prend pour Maxime : il est ravi de joie ; ce n’était qu’un autre philosophe, ami de Julien[151]. Ne croit-on pas voir un empereur chrétien humiliant sa pourpre devant un anachorète ou un chevalier de la croisade baisant la manche de Pierre l’Ermite ? Mais Julien ne fut pas plus heureux avec les philosophes qu’avec les prêtres : ils se corrompirent à la cour. Maxime et quelques autres sophistes acquirent des fortunes scandaleuses ; ils démentirent par leurs mœurs la rigidité de leurs doctrines : Chrysanthe, Libanius et Aristomène se tinrent seuls dans une louable réserve. Julien avait eu saint Basile pour compagnon d’études à Athènes ; il essaya de l’attirer auprès de lui : le philosophe chrétien, dans sa solitude, repoussa l’amitié du philosophe païen sur le trône. Aussitôt, dit saint Chrysostome (rudement traduit par Tillemont), aussitôt que Julien eut publié son édit pour le rétablissement de l’idolâtrie, on vit accourir de toutes les parties du monde les magiciens, les enchanteurs, les devins, les augures, et tous ceux qui faisaient métier d’imposture et d’illusion : de sorte que tout le palais se trouvait plein de gens sans honneur et de vagabonds. Ceux qui depuis longtemps étaient réduits à la dernière misère, ceux qui pour leurs sorcelleries et maléfices avaient langui dans les prisons et dans les minières, ceux qui traînaient à peine une misérable vie dans les emplois les plus bas et les plus honteux, tous ces gens érigés en prêtres et en pontifes se trouvaient en un instant comblés d’honneurs. L’empereur, laissant là les généraux et les magistrats, et ne daignant pas seulement leur parler, menait avec lui par toute la ville des jeunes gens perdus de débauches et des courtisanes qui ne faisaient que sortir des lieux infâmes de leurs prostitutions. Le cheval de l’empereur et ses gardes ne le suivaient que de fort loin, pendant que cette troupe infâme environnait sa personne et paraissait avec le premier rang d’honneur, au milieu des places publiques, disant et faisant tout ce qu’on peut attendre de gens de cette profession. L’apostasie conduisit Julien au fanatisme, et du fanatisme à la persécution : quand l’homme a commis une faute qu’il suppose irréparable, l’orgueil lui fait chercher un abri dans cette faute même. Julien essaya deux choses difficiles : réchauffer le zèle des idolâtres pour un culte éteint ; provoquer des chutes parmi les chrétiens. Embaucheur de la cupidité et de la faiblesse, il offrait de l’or et des honneurs à l’apostasie : il échoua contre la foi fervente et contre la foi tiède. Lui-même se plaint de ne trouver presque personne disposé à sacrifier ; il avoue que son discours hellénique au sénat chrétien de Berée, loué pour la forme, n’eut aucun succès pour le fond ; il gourmande les habitants d’Alexandrie d’abandonner les dieux d’Alexandre pour un Verbe que ni eux ni leurs pères n’ont jamais vu[152]. Chrysanthe usa de modération envers les chrétiens, prévoyant que leur culte ne tarderait pas à triompher. L’ancien monde et le monde nouveau repoussèrent Julien : l’un, dans sa décrépitude, eût vainement essayé de se redresser comme un jeune homme ; l’autre, adolescent vigoureux, ne se put rabougrir en vieillard. La mission du césar apôtre auprès des soldats eut le sort qu’elle devait avoir dans les camps. Il ordonna aux officiers de quitter la foi ou l’épée : Valentinien déposa la dernière, qui lui laissa la main libre pour saisir la couronne. Quant aux légions, celles de l’Occident, composées de Gaulois et de Germains, s’accommodèrent fort du vin, des hécatombes et des bœufs gras[153] ; on laissa aux légions de l’Orient le labarum, mais on effaça le monogramme du Christ : l’idolâtrie se trouva cachée dans une confusion lâche et habile des emblèmes de la guerre et de la royauté. L’empereur résolut de rebâtir le temple de Jérusalem, afin de confondre une prophétie sur laquelle les chrétiens s’appuyaient. Des globes de feu, s’élançant du sein de la terre, dispersèrent les ouvriers. L’entreprise fut abandonnée[154] ; elle était peu digne d’un esprit philosophique. Dernier témoin de l’accomplissement des paroles du maître, j’ai vu Jérusalem : Non relinquetur lapis super lapidem. Enfin Julien défendit aux fidèles d’enseigner les belles-lettres ; c’était surtout par les enfants que l’Evangile s’emparait des pères : Laissez les petits venir à moi ! — Ou n’expliquez point, disait l’empereur dans son édit, les écrivains profanes, si vous condamnez leurs doctrines ; ou, si vous les expliquez, approuvez leurs sentiments. Vous croyez qu’Homère, Hésiode et leurs semblables sont dans l’erreur : allez expliquer Matthieu et Luc dans les églises des Galiléens[155]. Les maîtres chrétiens, privés des chaires d’éloquence et de belles-lettres, eurent recours à un moyen ingénieux pour prouver qu’ils n’étaient point des rustres, obligés de se tenir dans la barbarie de leur origine, comme disait Julien. Ils composèrent (et l’usage en fut continué) sur des thèmes de morale et de théologie, et sur des sujets tirés de l’histoire sainte, des hymnes, des idylles, des élégies, des odes, des tragédies, et même des comédies. Il nous reste bon nombre de ces poèmes, qui ouvrent des routes nouvelles au talent, appliquent l’art des vers aux aspérités de la haute métaphysique, et plient la langue des Muses aux formes des idées, comme elle l’avait été de tout temps à celle des images[156]. Ce coup fut pourtant rude aux chrétiens : les beaux génies qui combattaient alors pour la foi auraient mieux aimé subir une persécution sanglante : ils ne s’en peuvent taire, ils reviennent sans cesse sur cette iniquité ; et comme le siècle au milieu des barbares armés était philosophique et littéraire, les païens mêmes n’applaudirent pas à l’ordre de Julien ; Ammien le traite d’injuste[157]. Les controverses religieuses ou politiques commencent ordinairement par les écrits et finissent par les armes ; il en fut autrement lors de la révolution qui a fait voir le premier et l’unique exemple d’un changement complet dans la religion nationale d’un grand peuple civilisé. On tua d’abord les chrétiens dans dix batailles rangées, les dix persécutions générales, et les chrétiens livrèrent leur tête sans essayer de se détendre par la force ; mais ils sentirent de bonne heure la nécessité d’écrire, pour affirmer leur innocence et assurer leur foi. C’est au christianisme que l’on doit la liberté de la pensée écrite ; elle coûta cher à ceux qui en firent la conquête : on dédaigna d’abord de leur répondre autrement qu’avec des griffes de fer et les ongles des lions. Quand l’Evangile eut gagné la foule, le polythéisme, obligé de renoncer à la guerre de l’épée, accepta celle de la plume : l’idolâtrie se réfugia aux deux extrémités opposées de la société, les ignorants et les gens de lettres. Les philosophes, les rhéteurs, les poètes, les grammairiens, tinrent ferme au paganisme avec les hommes rustiques les premiers par orgueil de la science, les autres par la privation de tout savoir. Depuis le troisième siècle de l’ère chrétienne jusqu’à l’abolition complète de l’idolâtrie, vous n’ouvrez pas un livre de philosophie, de religion, de science, d’histoire, d’éloquence, de poésie, où vous ne trouviez le combat des deux religions. Sous Julien vous rencontrez Libanius, Edesius, Priscus, Maxime, Sopâtre, orateurs et sophistes ; Andronic et Delphide, poètes ; Ammien Marcellin et Aurelius Victor, historiens ; Mamertin, panégyriste ; Oribase, médecin, et Julien lui-même, orateur, poète et historien ; tous combattant contre Athanase, Basile, les deux Grégoire de Nysse et de Nazianze, Diodore de Tarse, orateurs, philosophes, poètes, historiens ; Cesarius, médecin et frère de Grégoire de Nazianze ; Proheresius, rhéteur, lequel aima mieux abandonner sa chaire à Athènes que d’être excepté de l’édit qui défendait aux chrétiens d’enseigner. Julien préluda aux persécutions qu’il méditait par une espèce d’apologie du paganisme : en innocentant ses dieux et en condamnant le Dieu qu’il avait quitté, il justifiait indirectement son apostasie. Au milieu des soins qu’exigeait de lui son empire, il trouva le temps de dicter l’ouvrage dont saint Cyrille nous a conservé une partie dans la réfutation qu’il en a faite. Julien remonte jusqu’à Moïse, compare son système sur la création du monde à celui de Platon, et donne la préférence au dernier. Dieu, après avoir fait l’homme, dit : Il n’est pas bon que l’homme soit seul : et il crée la femme, qui perd l’homme. Que penser du serpent qui parle ? Dans quelle langue parlait-il ? Comment se moquer après cela des fables populaires de la Grèce ? Dieu interdit à nos premiers parents la connaissance du bien et du mal ; il leur défend de toucher à l’arbre de vie dans la crainte qu’ils viennent à vivre toujours : blasphèmes contre Dieu, ou allégories. Alors pourquoi rejeter les mythes philosophiques ? Dieu choisit pour son peuple les Hébreux. Comment un Dieu juste a-t-il abandonné toutes les autres nations ? Chez les Grecs, le Dieu créateur est le roi et le père commun des hommes. Julien remarque qu’il y a peu de nations dans l’Occident propres à l’étude de la philosophie et de la géométrie : les temps sont bien changés. Vous voulez que nous croyions à la tour de Babel, et vous ne voulez pas croire aux géants d’Homère, qui entassèrent trois montagnes les unes sur les autres pour escalader le ciel. Le Décalogue ne contient que des préceptes vulgaires ; le Dieu des Hébreux est un Dieu jaloux, qui n’en souffre point d’autre. Galiléens, vous donnez un prétendu fils à ce Dieu, qui ne le connut jamais. Quel est ce Dieu toujours en courroux qui voulant punir quelques hommes coupables fait périr cent mille innocents[158] ? Comparez le législateur des Hébreux aux législateurs de la Grèce et de Rome, aux grands hommes de l’Egypte et de la Babylonie. Qu’est-ce que ce Jésus suborneur des plus vifs d’entre les Juifs, et qui n’est connu que depuis trois cents ans, ce Jésus qui n’a rien fait dans le cours de sa vie, si ce n’est de guérir quelques boiteux et quelques démoniaques ? Esculape est un tout autre sauveur de l’humanité. L’inspiration divine envoyée par les dieux n’a qu’un temps ; les oracles fameux cessent dans la révolution des âges. Les Galiléens n’ont pris des Hébreux que leur fureur et leur haine contre l’espèce humaine : ils ont renoncé au culte d’un seul Dieu pour adorer des hommes misérables ; comme la sangsue, ils ont sucé le sang le plus corrompu des Juifs, et leur ont laissé le plus pur. Jésus et Paul n’ont pu prévoir les chimères que se formeraient un jour les Galiléens ; ils ne pouvaient deviner le degré de puissance où ceux-ci parviendraient un jour. Tromper quelques servantes, quelques esclaves ignorants, Paul et Jésus n’avaient pas d’autre prétention. Peut-on citer sous le règne de Tibère et de Claude des chrétiens distingués par leur naissance ou leur mérite ? L’eau du baptême n’ôte point la lèpre et les dartres, ne guérit ni la goutte ni la dysenterie, mais elle efface l’adultère, la rapine, et nettoie l’âme de tous les vices. Si le Verbe est Dieu, venant de Dieu, comment Marie, femme mortelle, a-t-elle enfanté un Dieu ? Ni Paul, ni Mathieu, ni Luc, ni Marie, n’ont osé dire que Jésus fut un Dieu ; mais quand dans la Grèce et dans l’Italie un grand nombre de personnes l’eurent reconnu pour tel, qu’elles eurent commencé à honorer les tombeaux de Pierre et de Paul, alors Jean déclara que le Verbe s’était fait chair, et qu’il avait habité parmi nous. Cependant, quand il nomme Dieu et le Verbe, il ne nomme ni Jésus ni Christ. Jean doit être regardé comme la source de tout le mal. Viennent après ceci quelques considérations sur le sacrifice d’Abraham. Plusieurs choses vous auront frappé dans cet ouvrage tronqué de Julien. Les miracles de Jésus-Christ y sont avoués, les hommages rendus aux tombeaux de saint Pierre et de saint Paul reconnus, le silence des oracles attesté. Saint Jean, y est-il dit, a fait tout le mal. Cela signifie qu’il a énoncé, la doctrine du Verbe, et qu’il n’y a pas moyen de soutenir que cette doctrine, établie par le disciple bien aimé, a été empruntée deux siècles plus tard à l’école d’Alexandrie : du reste l’attaque est faible. Julien ne veut voir ni ce qu’il y a de sublime dans les livres de Moïse ni d’ineffable dans l’Evangile ; ses raisonnements tournent à la gloire de ce qu’il prétend ravaler. Comment se fait-il que sous Claude et sous Tibère, à la naissance même de l’ère chrétienne, le christianisme comptât à peine pour néophytes quelques servantes et quelques esclaves, et qu’immédiatement après l’apôtre Jean voit la Grèce et l’Italie couvertes de chrétiens et honorant les tombeaux de Pierre et de Paul ? Julien ne s’aperçoit pas qu’il prête par ce rapprochement une nouvelle force au miracle de l’établissement du christianisme. La cause humaine de la propagation étonnante de la foi, c’est que la première de toutes les vérités, la vérité qui enfante toutes les autres, la vérité de l’unité d’un Dieu, était venue détrôner le premier de tous les mensonges, le mensonge qui engendre toutes les erreurs, le mensonge de la pluralité des dieux. Une fois cette vérité répandue dans la foule après une absence de plusieurs milliers d’années, elle agit sur les esprits avec son essentielle et négative énergie. Julien, persécuteur d’une nouvelle sorte, affecta de substituer au nom de chrétien celui de galiléen, dont s’étaient déjà servis Epictète et quelques hérésiarques. Joignant la moquerie à l’injustice, il dépouillait les disciples de l’Evangile en disant : Leur admirable loi leur enjoint de renoncer aux biens de la terre afin d’arriver au royaume des cieux ; et nous, voulant gracieusement leur faciliter le voyage, ordonnons qu’ils soient soulagés du poids de tous les biens. Quand les chrétiens s’osaient plaindre, il répondait : La vocation d’un chrétien n’est-elle pas de souffrir ? Beaucoup d’édifices païens avaient été détruits sous le règne de Constance, d’autres changés en églises. Julien força le clergé de rendre les uns et de relever les autres : les intérêts acquis, se trouvant attaqués, produisirent des désordres. Marc, évêque d’Aréthuse, à la tête de son troupeau, avait renversé un temple : trop pauvre pour en restituer la valeur, on saisit le prélat en vertu de la loi romaine qui livre aux créanciers la personne du débiteur insolvable. Battu de verges, la barbe arrachée, le corps nu et frotté de miel, le vieillard, suspendu dans un filet, fut exposé, sous les rayons d’un soleil ardent, à la piqûre des mouches. Marc avait dérobé Julien enfant aux fureurs de Constance, comme Joad avait soustrait Joas aux mains d’Athalie : il fut traité de même que Joad par le prince, ingrat envers le pontife et infidèle au Dieu qui l’avaient sauvé. Décidé à rendre au temple et au bois de Daphné son ancienne pompe, Julien fit enlever les reliques de saint Babylas du cimetière chrétien ; le peuple se mutina ; le temple d’Apollon fut brûlé. L’empereur irrité, ordonna à son oncle Julien, comte d’Orient, et apostat comme lui, de fermer la cathédrale d’Antioche et de confisquer ses revenus. Le comte mit en interdit les autres églises, souilla les vases sacrés, et condamna à mort saint Théodoret. Gaza, Ascalon, Césarée Héliopolis, la plupart des villes de Syrie, se soulevèrent contre les chrétiens, non par ardeur religieuse, mais par cupidité, haine et envie. Apres avoir déterré les morts on tua les vivants ; on traîna dans les rues des corps déchirés : les cuisiniers perçaient les victimes avec leurs broches, les femmes avec leurs quenouilles ; les entrailles des prêtres et des recluses furent dévorées par des cannibales ou jetées mêlées d’orge aux pourceaux. Quelques serviteurs du Christ périrent égorgés sur les autels des dieux[159]. Mais il est une chose difficile à croire, même sur le témoignage de deux saints et de deux hommes illustres[160] : le lit de l’Oronte, des puits, des caves, des fossés, des étangs demeurèrent encombrés, disent-ils, par les corps des martyrs nuitamment exécutés, ou par ceux des nouveau-nés et des vierges que l’empereur immolait dans ses opérations magiques. Les premiers chrétiens avaient été accusés de sacrifier des enfants : la calomnie était renvoyée à Julien. Théodoret raconte que Julien, marchant sur la Perse, vint à Carrhes, où Diane avait un temple ; il se renferma dans ce temple avec quelques-uns de ses confidents les plus intimes ; lorsqu’il en sortit, il en fit sceller les portes, y mit des gardes, et défendit de laisser pénétrer personne dans l’intérieur de l’édifice jusqu’à son retour : il ne revint point. On rouvrit le temple ; qu’y trouva-t-on ? Une femme pendue par les cheveux, les mains déployées et le ventre fendu. Julien, en cherchant l’avenir dans le sein de cette victime, y avait fait entrer la mort : elle y resta pour lui[161]. Le sincère fanatisme de ce prince et la familiarité des Romains avec le meurtre, qu’autorisait l’ancien droit paternel, le droit de l’esclavage, le pouvoir du glaive et celui du juge souverain dans le chef absolu de l’empire, donnent de la vraisemblance au récit de Théodoret : Ammien, admirateur de Julien, l’accuse d’avoir été plus superstitieux que religieux. Auguste et Claude avaient défendu les sacrifices humains ; mais dans la législation du despotisme ce qui est interdit au peuple est permis au tyran : le prince qui crée le crime, qui fait la loi et l’applique est au-dessus de l’un et de l’autre. Julien méditait contre les chrétiens un plan de persécution digne d’un sophiste ; il en avait remis l’exécution à son retour de la guerre des Perses : il lui fallait un triomphe pour faire de l’injustice avec de la gloire. Exclusion des Galiléens de tous les emplois, interdiction des tribunaux, nécessité d’offrir de l’encens aux idoles afin de conserver le droit de plaider ou même d’acheter du pain[162] : tel était le dessein que la haine philosophique, la jalousie littéraire et l’amour-propre blessé avaient inspiré à l’apostat. Un trait caractéristique de l’histoire du peuple qui nous occupe est cette privation de la justice toujours ordonnée, comme la plus grande peine qu’on pût infliger à un citoyen. La société chez cette nation magistrale était pénétrée de la loi et incorporée avec elle : les fastes de l’empire étaient un grand recueil de jurisprudence, le monde romain un grand tribunal. Julien régna vingt mois seize ou vingt-trois jours depuis la mort de Constance. Enflé de ses succès contre les Francs, fier des ambassadeurs qu’il recevait des peuples les plus éloignés, tels que ceux de la Taprobane, il refusa la paix que lui offrait Sapor. Ce roi des rois, que la tiare avait coiffé jusque dans la nuit du sein maternel, ce frère du Soleil et de la Lune (Frater Solis et Lunæ) poursuivait avec acharnement les chrétiens, peut-être par animosité contre le frère aîné dont il avait usurpé le trône, Hormisdas, l’exilé et le chrétien : on a évalué à deux cent quatre-vingt-dix mille le nombre des victimes immolées dans les États de Sapor. Celui qui voulait détruire les disciples de l’Evangile par la loi et celui qui les livrait à l’épée allaient en venir aux mains : la Providence armait l’apostat contre le persécuteur. Julien se croyait si sûr de la victoire qu’il refusa l’alliance des Sarrasins ; il traita avec hauteur Arsace, roi d’Arménie, dont il réclamait néanmoins l’assistance : Arsace professait le christianisme. Une grande famine, augmentée encore par une fausse mesure sur les blés, avait régné à Antioche ; le rassemblement d’une nombreuse armée accrut le fléau. Quelque chose semblait pousser Julien, et dans une entreprise militaire d’une si haute importance on ne reconnaissait plus ses talents accoutumés. Il avait dédaigné d’attaquer les Goths ; c’était la Perse qu’il se flattait de conquérir comme Alexandre ; il n’eut que la gloire d’y mourir, comme Socrate : toujours en présence de ses souvenirs, ses actions les plus nobles ne paraissaient que de hautes imitations. Il liait de grands projets pour l’empire, et surtout contre la croix, à cette conquête espérée : l’homme dans ses desseins oublie de compter l’heure qu’il ne verra pas. Julien s’avança dans le pays ennemi, et, comme s’il eut craint que sa philosophie n’eût fait soupçonner son courage, il s’exposait sans ménagement. Il se laissa tromper par des transfuges, brûla sa flotte sur le Tigre, hésita sur le chemin qu’il avait à prendre, car il voulait voir la plaine d’Arbelles : bientôt, manquant de vivres, harcelé par la cavalerie des Perses, il est obligé de commencer la retraite. Près de succomber avec son armée, il donnait encore à l’étude et à la contemplation les heures les plus silencieuses de la nuit : dans une de ces heures solitaires, comme il lisait ou écrivait sous la tente le génie de l’empire, qu’il avait déjà vu à Lutèce avant d’avoir été salué auguste, se montra à lui : il était pâle, défiguré, et s’éloigna tristement en couvrant d’un voile sa tête et sa corne d’abondance[163]. Julien se lève, s’empresse d’offrir une libation aux dieux : il aperçoit une étoile qui traverse le ciel et s’évanouit[164] ; le pieux serviteur de l’Olympe croit reconnaître dans ce météore l’astre menaçant du dieu Mars. Le lendemain, lorsqu’il combattait sans cuirasse à la tête de ses soldats, une javeline lui rase le bras, lui perce le côté droit, et pénètre dans la partie inférieure du foie : il tombe de cheval, défaille, et quand il rouvre les yeux, il juge, malgré les soins de l’habile Oribase, que sa blessure est mortelle. Un général atteint au champ de bataille expire sur des drapeaux, noble lit, mais que l’honneur accorde souvent à ses fidèles. Ici se présente un spectacle sans exemple : Julien, étendu sur une natte recouverte d’une peau, sa couche ordinaire, est entouré de soldats et de sophistes ; sa mort est la mort d’un héros, ses paroles sont celles d’un sage. Amis, dit-il, le temps est venu de quitter la vie : ce que la nature me redemande, débiteur de bonne foi, je le lui rends allégrement. Toutes les maximes des philosophes m’ont appris combien l’âme est d’une substance plus fortunée que le corps. Je sais aussi que les immortels ont souvent envoyé la mort à ceux qui les révèrent, comme la plus grande récompense. Les douleurs insultent aux lâches et cèdent aux courageux. J’espère avoir conservé sans tache la puissance que j’ai reçue du ciel et qui en découle par émanation. Je remercie le Dieu éternel de m’enlever du monde au milieu d’une course glorieuse. Celui qui désire la mort lorsque le temps n’en est pas venu, ou qui la redoute lorsqu’elle est opportune, manque également de cœur... Je n’ai plus la force de parler. Je m’abstiens de désigner un empereur, dans la crainte de me tromper sur le plus digne, ou d’exposer celui que j’aurais jugé le plus capable, si mon choix n’était pas suivi : en fils tendre et en homme de bien, je souhaite que la république trouve après moi un chef intègre[165]. Après avoir ainsi parlé d’une voix tranquille, il disposa de ses biens de famille en faveur de ses intimes, et s’enquit d’Anatolius, maître des offices. Le préfet Salluste répondit qu’Anatolius était heureux[166] : Julien comprit qu’il avait été tué, et il déplora la mort d’un ami, lui si indifférent à la sienne ! Ceux qui l’entouraient fondaient en larmes. Julien les réprimanda, disant qu’il ne convenait pas de pleurer une âme prête à se réunir au ciel et aux astres. On fit silence, et il continua de discourir de l’excellence de l’âme avec les philosophes Maxime et Priscus. Sa blessure se rouvrit ; il demanda un peu d’eau froide, et expira sans efforts au milieu de la nuit[167]. Il n’était âgé que de trente-trois ans ; il avait été vingt ans chrétien[168]. S’il est vrai, comme on l’a voulu faire entendre, et comme le caractère de l’homme porterait à le soupçonner, que Julien, calculant les événements de sa vie, avait préparé d’avance son discours de mort, on n’a jamais si bien répété un si grand rôle ; l’acteur égalait le personnage qu’il représentait. Les deux religions en présence luttèrent de prodiges dans les versions opposées des derniers moments de l’empereur. Théodoret, Sozomène, le compilateur des actes du martyre de saint Théodoret, prêtre d’Antioche, disent que Julien blessé reçut son sang dans ses mains, et le lança vers le ciel en s’écriant : Tu as vaincu, Galiléen ![169] D’autres prétendent qu’il se voulait précipiter dans une rivière, afin de disparaître comme Romulus et de se faire passer pour un dieu. D’après les actes de Théodoret, ce ne furent point des Perses, mais des anges sous la figure des Perses, qui combattirent Julien[170]. La manière dont il périt devint encore un objet de controverse : les Romains assuraient que la javeline avait été lancée par un Perse, les Perses par un Romain. Libanius avance, dans un de ses ouvrages, que l’empereur fut tué en trahison comme Achille[171] ; dans un autre il semble accuser le chef des chrétiens, qui, selon Gibbon, ne pouvait être que saint Athanase[172]. La vie de saint Basile et la Chronique d’Alexandrie contiennent l’histoire d’une vision de ce saint, de laquelle il résulterait que Mercure, martyr de Cappadoce, avait frappé Julien par ordre de Jésus-Christ[173]. Didyme, célèbre aveugle, Julien Sabbas, fameux solitaire, eurent des révélations de la même nature. Didyme aperçut en songe des guerriers montés sur des chevaux blancs courant dans l’air, et qui s’écriaient : Dites à Didyme qu’aujourd’hui, à cette heure même, Julien a été tué[174]. Sabbas entendit une voix qui prononçait ces mots : Le sanglier sauvage qui ravageait la vigne du Seigneur est étendu mort[175]. Libanius, demandant à un chrétien d’Antioche : Que fait aujourd’hui le fils du charpentier ? — Un cercueil, répondit le chrétien[176]. La plupart de ces faits sont contestés et très contestables ; mais il s’agit moins de la critique historique à cette époque que de la peinture du mouvement des esprits. Les païens furent consternés en apprenant la fin prématurée du restaurateur de l’idolâtrie. Je me souviens, dit saint Jérôme, qu’étant encore enfant et étudiant la grammaire, lorsque toutes les villes fumaient des feux des sacrifices, la nouvelle de la mort de Julien se répandit tout à coup. Un philosophe s’écria : Les chrétiens déclarent que leur Dieu est patient, et rien n’est aussi prompt que sa colère ![177] Grégoire de Nazianze commence et termine ses invectives contre Julien par une sorte d’hymne où respire une joie aussi féroce qu’éloquente : Peuples, écoutez ! soyez attentifs, vous tous qui habitez l’univers ! j’élève de ce lieu, comme du haut d’une montagne, un cri immense. Ecoutez, nations ! écoutez, vous qui êtes aujourd’hui, et vous qui viendrez demain ! Anges, puissances, vertus, écoutez ! La destruction du tyran est votre ouvrage. Le dragon, l’apostat, le grand et redoutable génie, l’ennemi du genre humain, qui répandait partout la terreur, qui vomissait des blasphèmes contre le ciel, celui dont le cœur était encore plus souillé que la bouche n’était impure, est tombé ! Cieux et terre, prêtez l’oreille au bruit de la chute du persécuteur. Venez aussi, généreux athlètes, défenseurs de la vérité, vous qui avez été donnés en spectacle à Dieu et aux hommes ! approchez, vous qui fûtes dépouillés de vos biens ; accourez, vous qui, injustement bannis de votre patrie terrestre, avez été arrachés des bras de vos femmes et de vos enfants ; enfin, je convoque à ces réjouissances tous ceux qui confessent un seul Dieu, souverain maître de toutes choses. C’est ce Dieu qui a exercé un jugement si éclatant, une vengeance si prompte ; c’est le Seigneur qui a percé la tête de l’impie Dans les saints transports qui m’animent, il n’est point de paroles qui répondent à la grandeur du bienfait. Nous verrons un jour combien les supplices de Julien damné sont au-dessus de ce que l’esprit humain se peut figurer de tourments. O homme, qui te disais le plus prudent et le plus sage des hommes, voilà l’oraison funèbre que Grégoire et Basile prononcent sur ton cercueil ! Ô toi, qui nous avais interdit l’usage de la parole, comment es-tu tombé dans le silence éternel ?[178] Si Antioche se réjouit par des festins et des danses ; si la victoire de la croix fut non seulement célébrée dans les églises, mais sur les théâtres ; si l’on s’écriait : Où sont vos oracles, insensé Maxime[179] ? à Carrhes, le courrier porteur du fatal message fut lapidé[180] ; quelques villes placèrent l’image de Julien parmi celles des dieux, et lui rendirent les honneurs divins[181]. Libanius se voulut percer de son épée[182], et se résolut à vivre pour travailler à l’apologie d’un prince dont Grégoire de Nazianze devait écrire la satire : la louange est plus à l’aise que le blâme sur un tombeau. Tel est l’emportement du fanatisme, qu’un saint, un Père de l’Église, un homme supérieur par ses talents, n’a pas craint d’avancer que Julien avait fait empoisonner Constance. Le corps de Julien, transporté à Tarse, fut enterré en face du monument de Maximin Daïa : le chemin qui conduit aux défilés du mont Taurus séparait les sépulcres des deux derniers persécuteurs des chrétiens[183]. Les funérailles eurent lieu selon les rites du paganisme : des bouffons chantaient des airs funèbres ; un personnage représentait le mort, et les baladins prenaient plaisir, au milieu de leurs danses et de leurs lamentations, à se moquer de la défaite et de l’apostasie de l’ennemi des théâtres[184]. Le chrétien Grégoire de Nazianze plaint la ville de Tarse, condamnée à garder la poussière de l’adorateur des démons ; poussière qui s’agitait, et que la terre rejeta[185]. Le philosophe Libanius eût désiré saluer la dépouille mortelle de Julien auprès de celle du divin Platon dans les jardins de l’Académie[186]. Le soldat Ammien Marcellin souhaitait que les cendres de son général fussent baignées non par le Cydnus, mais par le Tibre, qui traverse la ville éternelle et embrasse les monuments des anciens césars[187]. Toutefois, la tombe de Julien aux bords du Cydnus, si renommé par la fraîcheur de ses ondes, devint une espèce de temple ; une main amie y grava cette épitaphe : Ici repose Julien, tué au delà du Tigre. Excellent empereur, vaillant guerrier[188]. Le polythéisme en était à son tour réduit aux reliques et à pleurer dans ses sanctuaires abandonnés. En dédaignant le faste de la cour de Constance, en recevant d’une armée mutinée le titre d’auguste, Julien avait rendu momentanément le droit d’élection aux seuls soldats : ils s’assemblèrent après sa mort ; pressés de se donner un chef, ils offrirent la pourpre au préfet Salluste, qui rejeta cet honneur. Vous avez pu remarquer que l’on commençait à refuser assez fréquemment l’autorité suprême : jusqu’au règne de Commode, l’empire était la possession de tous les plaisirs dans le repos ; mais après ce règne le césar ne fut plus qu’un soldat courant les armes à la main du Rhin à l’Euphrate, et du Nil au Danube, combattant ou repoussant l’ennemi, domestique ou étranger. Le pouvoir, qui cessait d’être une jouissance, devint un fardeau : la médiocrité était toujours prompte à le mettre sur ses épaules, le mérite à le secouer. Au défaut de Salluste, les légions élurent empereur Jovien, primicère des gardes, dont le nom avait été prononcé par hasard. Il était chrétien et catholique comme Valentinien ; il avait préféré comme lui sa foi à son épée ; mais Julien, qui le redoutait peu, consentit à lui laisser l’une et l’autre. Jovien s’était trouvé chargé de conduire à Constantinople le corps de Constance, mort à Mopsucrène, assis dans le char funèbre, il avait partagé les honneurs impériaux rendus à la poussière de son maître ; on en augura sa grandeur future : on y aurait pu trouver le présage de son second et prochain voyage sur le même char. Jovien signa une paix de vingt-neuf ou de trente ans, et conclut un traité honteux avec Sapor : il céda aux Perses cinq provinces transtigritaines[189], la colonie romaine de Singare et la ville de Nisibe, malgré ses larmes, malgré son dernier siège, retracé éloquemment par Julien dans l’un de ses deux panégyriques de Constance. Obligés de livrer à Sapor les murs qu’ils avaient si vaillamment défendus contre lui avec Jacques leur évêque, les Nisibiens, chassés de leurs foyers, dépouillés de leurs biens, offrirent encore à l’auteur de leur exil la couronne d’or que chaque ville était dans l’usage de présenter aux nouveaux empereurs : exemple touchant d’une fidélité qui ne se croyait pas affranchie de ses devoirs par l’ingratitude[190]. Jovien rendit la paix à l’Église, et rappela saint Athanase. Ainsi s’évanouirent tous les projets de Julien : il entreprit d’abattre la croix, et il fut le dernier empereur païen. L’hellénisme retomba de tout le poids des âges dans la poudre d’où l’avait soulevé à peine une main mal guidée. Les philosophes se rasèrent, jetèrent leur robe, et se contentèrent d’enseigner en silence ou de gémir sur les générations qui leur échappaient : on craignait tellement d’être pris pour l’un d’eux, que les citoyens qui portaient des manteaux à franges les quittèrent. Julien s’était porté à la conquête des Perses, afin de revenir dompter les chrétiens : cette guerre, qui devait renverser le trône du grand roi, amena le premier démembrement de l’empire des césars. Il a fallu vous rappeler en détail cette dernière épreuve de l’Église parce qu’elle fait époque et qu’elle se distingue des autres : elle tient d’une civilisation plus avancée : elle a un air de famille avec l’impiété littéraire et moqueuse qu’un esprit rare répandit au XVIIIe siècle. Mais l’impiété de l’empereur, qui pouvait ordonner des supplices, ne laissa aux chrétiens que des couronnes, et l’impiété du poète, qui n’avait pas la puissance du glaive, leur légua des échafauds. La persécution de Julien ne sortit point du paganisme populaire ; elle vint du paganisme philosophique, demeuré seul sur le champ de bataille, ayant pour chef un cynique à manteau de pourpre, qui portait le vieux monde dans sa tête et l’empire dans sa besace. Mais, dans la lice où les deux partis cherchaient à s’enlever des champions, les hommes de talent passèrent successivement avec leur génie et leur vertu au christianisme, comme les soldats qui désertent avec armes et bagages à l’ennemi : l’autre camp ne voyait arriver personne. Constantin était un prince inférieur à Julien, et pourtant il a attaché son nom à l’une des plus mémorables révolutions de l’ordre social : c’est qu’abstraction faite de ce qu’il peut y avoir de surnaturel dans l’établissement de la religion chrétienne, il se mit à la tête des idées de son temps, marcha dans le sens où l’espèce humaine marchait, et grandit avec les mœurs croissantes qui le poussaient. Julien au contraire se fit écraser par les générations qu’il prétendait retenir ; elles le jetèrent par terre malgré sa force, et lui passèrent sur la poitrine. Eût-il vécu, il aurait ralenti le mouvement, il ne l’eût pas arrêté : le calvaire nu, par où l’esprit de l’homme allait maintenant chercher la vérité de Dieu, devait dominer tous les temples. Les soins inutiles que se donna une vaste intelligence, un monarque absolu, un guerrier redoutable, pour rétablir l’ancien culte, prouvent qu’il n’est pas plus possible de ressusciter les siècles que les morts. Cent cinquante ans auparavant, Pline le jeune avait aussi pensé qu’on pouvait extirper le christianisme. La tentative rétrograde de Julien, événement unique dans l’histoire ancienne[191], n’est pas sans exemple dans l’histoire moderne : toutes les fois qu’ils ont voulu rebrousser le cours du temps, ces navigateurs en amont, bientôt submergés, n’ont fait que hâter leur naufrage. Jovien ramena du désert des soldats sans vêtements, mendiant leur pain : le légionnaire qui avait conservé un morceau de sa pique ou de son bouclier, ou qui rapportait un de ses brodequins sur son épaule, magnifiait son courage : ainsi auraient été les Perses si Julien avait vécu, dit Libanius. La fin de la retraite de l’armée fut le terme de la vie de Jovien : sa femme venait au-devant de lui pour partager sa pourpre ; elle rencontra son convoi. Les officiers civils et militaires, les eunuques et l’armée voulurent décerner le diadème à Salluste, qui le refusa une seconde fois. L’élection, après la proposition de divers candidats, s’arrêta sur Valentinien, confesseur de la foi sous Julien ; il était sans lettres, mais avait une naturelle éloquence. Trente jours après son élévation, il associa son frère Valens à l’empire ; nom fatal, qui rappelle la dernière et définitive invasion des barbares. Alors eut lieu, et pour toujours, la division de l’empire d’Orient et de l’empire d’Occident. Valentinien établit sa cour à Milan, Valens à Constantinople. Les deux frères quittèrent le château de Médiana, à trois milles de Naïsse, où s’était accompli le partage du monde romain ; ils allèrent ensemble à Sirmium : là, ils s’embrassèrent, se séparèrent et ne se revirent plus[192]. |
[1] .....Nec a stultitia ulla re honor iste videretur..... Ac tunc quidem et latifundiorum et pecuniarum auctoramento illecti, munera hæc escam quamdam esse putabant, qua ad illic figendum domicilium attrahebantur. (Themist., Orat. III, p. 48 ; Parisiis, 1634.)
[2] Il faut entendre cette expression dans le sens général : le moyen âge proprement dit n’a guère commencé qu’à Robert, fils de Hugues Capet, et il a fini à Louis XI.
[3] On croit que Constantin fit encore bâtir à Rome six autres églises : Saint-Pierre au Vatican, Saint-Paul hors des murs, Sainte-Croix-de-Jérusalem, Sainte-Agnès, Saint-Laurent hors des murs, Saint-Marcelin et Saint-Pierre, martyrs. Des domaines en Italie, en Afrique et dans la Grèce, formaient à l'église de Latran un revenu de 13 934 sous d'or. D'autres églises, à Ostie, à Albe, à Capoue, à Naples possédaient un revenu de 17.717 sous d'or. Ces églises avaient encore une redevance en aromates dans l'Egypte et l'Orient. L'église de Saint-Pierre était propriétaire de maisons et de terres à Antioche, à Tarse, à Tyr, à Alexandrie, et à Cyr, dans la province de l'Euphrate. Ces terres fournissaient du nard, du baume, du storax, de la cannelle et du safran, pour les lampes et les encensoirs. Toutes ces dotations se composaient des immeubles confisqués sur les martyrs, et dont il ne se trouvait point d'héritiers, du revenu des temples détruits et des jeux abolis. Anastase le bibliothécaire, des compilations duquel nous tirons ces détails, donne un catalogue des vases d'or et d'argent employés au service de ces églises ; le voici : Hic fecit in urbe Roma ecclesiam in prædio qui cognominabatur Equitius. Patenam argenteam pensantem libras viginti, ex dono Aug. Constantini. Donavit autem scyphos argenteos duos, qui pensaverunt singuli libras denas ; calicem aureum pensantem libras duas ; calices ministeriales quinque, pensantes singuli libras binas ; amas argenteas binas, pensantes singulæ libras denas ; patenam argenteam ; chrismalem auro clusum pensantem libras quinque ; phara coronata decem pensantia singula libras octonas ; phara ærea viginti pensantia singula libras denas ; canthara cerostrata duodecim ærea pensantia libras tricenas. (Anast. Bibliothec., De Vit. Pontificum Roman., p. 13.)
[4] Aurelius Victor, p. 526.
[5] Cod. Justinien, lib. III, De Fer.
[6] Eusèbe, Vit. Const., lib. IV, cap. XVIII ; Sozomène, lib. I, cap. XVIII.
[7] En particulier, les temples d’Aphaque sur le mont Liban, d’Héliopolis en Phénicie, et les temples d’Esculape et d’Apollon en Cilicie.
[8] Socrate, lib. I, cap. XVII ; Sozomène, lib. II, cap, I, IV ; Eusèbe, Vit. Const., lib. IV, cap. XXXVII.]
[9] Cod. Théodosien, t. I. p. 447.
[10] Cod. Justinien, t. XIII, lib. I ; Cod. Théodosien, t. I, p. 354 ; Sozomène, lib. I, cap. IX.
[11] Cod. Justinien, t. XXVI, p. 464.]
[12] Cod. Théodosien, t. III, p. 33.]
[13] Cod. Théodosien, t. V, p. 397 ; Eusèbe, Vit. Const., lib. IV, cap. XXV ; Socrate, lib. I cap. XVIII.
[14] J’y reviendrai dans le tableau des hérésies.
[15] Fleury, Hist. ecclés., liv. II, p. 122.]
[16] Const. Mag., in Orat. sanctor. cœt., cap. IX.
[17] Hic pastor ovium etiam in episcopatu positus permansit. Quadam vero nocte, cum ad caulas fures venissent, et manus improbas que aditum educendis ovibus facerent extendissent, invisibilibus quibusdam vinculis restricti, usque ad lucem velut traditi tortoribus permanserunt. (Ruffin, lib. I, cap. V.)
[18] Jacobus enim, episcopus Antiochiæ Mygdoniæ, quam Syri vulgo et Assyri Nisibim appellant, plurima fecit miracula. (Théodoret, lib. I, cap. III, p. 24.)
[19] Paphnutius, homo Dei, episcopus ex Ægypti partibus confessor, ex illis quos Maximianus dexteris oculis effossis et sinistro poplite succiso, per metalla damnaverat (Ruffin, lib. I, cap. IV.)
[20] Paulus vero, episcopus Neocæsareæ, ambabus manibus fuerat debilitatus, candente ferro eis admoto. (Théodoret, lib. I, cap. VII, p. 25.)
[21] Dialectici quibusdam sermonum prolusionibus... sese exercebant... Laicus quidam, ex confessorum numero, recto ac simplici præditus sensu, cum dialecticis congreditur, hisque illos verbis compellavit. — Christus et apostoli non artem nobis dialecticam nec inanem versutiam tradiderunt, sed apertam ac simplicem sententiam, quæ fide bonisque actibus custoditur. Quæ cum dixisset, omnes qui aderant, admiratione perculsi, ei assenserunt. (Socrate, Hist. ecclés., lib. I, cap. VIII, p. 19.)
[22] Te solum agnoscimus Deum, te regem profitemur, te adjutorem invocamus. Tui muneris est quod victorias retulimus, quod hostes superavimus : tibi ob præterita jam bona gratias agimus, et futura a te speramus. Tibi omnes supplicamus, utque imperatorem nostrum Constantinum, una cum piissimis ejus liberis, incolumem et victorem diutissime nobis serves, rogamus.
Hoc die solis a militaribus numeris fieri, et hæc verba interprecandum ab iis proferri præcipit. (Eusèbe Pamph., De Vit. Const., lib. IV, p. 443.)
[23] Hosios, episcopus Cordulæ, sanctis Dei ecclesiis quæ Romæ sunt, et in Italia et Hispania tota, et in reliquis ulterius nationibus usque ad Oceanum commorantibus, per eos qui cum ipso erant, romanos presbyteros Vitenem et Vincentium. (Gelasii Cyziceni Act. Concil. Nicœn., lib. III, p. 807, in Concil. gener. Ecclés. cath., t. I ; Romæ, 1608.)
[24] Eusebianis satellitum instar eum stipantibus per mediam civitatem magnifice incedebat. (Socrate, Hist. ecclés., lib. I, cap. XXXVIII, p. 63.)
[25] Cum orasset Alexander ac rogasset Dominum ut aut ipsum auferret... Votum sancti impletum est... nam Arius... crepuit. (Epiphane, episc. Constantiœ, Opus contra octoginta hœreses, lib. II, p. 321 ; Parisiis, 1564.)
Petitio Alexandri erat hujusmodi : ut si quidem recta esset Arii sententia, ipse diem disceptioni præstitutum nusquam videret ; sin vera esset fides quam ipse profiteretur, ut Arius impietatis pœnas lueret. (Socrate, lib. I, cap. XXXVII, p. 61.)
[26] Nam et dum famosissimam et Romæ æmulam in suo nomine conderet civitatem, Gothorum interfuit operatio, qui, fœdere inito cum imperatore, XL suorum millia illi in solatia contra gentes varias obtulere ; quorum et numerus et millia usque ad præsens in republica nominantur, id est fœderati. (Ammien, p. 476 ; Aurelius Victor, p. 527 ; Jornandès, De Reb. Get., p. 640, cap. CCXXI.)
[27] Eusèbe, Vit. Const., p. 529 ; Ammien, p. 476 ; Jornandès, p. 641.
[28] Qui, cum responderent masculam prolem parituram, nihil ultra morati sunt, sed, cidari utero imposita, embryum regem pronuntiarunt. (Agathiæ scholast., lib. IV. p. 135 ; Paris, 1670.)
[29] Crispum, filium cæsaris ornatum titulo, quod in suspicionem venisset quasi cum Fausta noverca consuesceret, nulla ratione juris naturalis habita sustulit. (Zosime, Histor., lib. II, p. 31 ; Basileæ.)
[30] Hier., Chr. Eutrope, p. 588 ; Ammien, lib. XIV, p. 29.
[31] Nam cum balneum accendi supra modum jussisset, eique Faustam inclusisset, mortuam inde extraxit. (Zosime, Hist., lib. II. p. 31 ; Basileæ.)
[32] Alter vero qui nunc rerum potitur, nonne ex que diadema gestat perpetuo versatur in laboribus, molestiis, calamitatibus ?... At non hujusmodi coelorum regnum. (S. J. Chrysostom., ad Phelip., homel., XV, t. XI, p. 319.)
[33] Ad flamines accedens, admissorum lustrationes poscebat, illis respondentibus non esse traditum lustrationis modum qui tam fœda piacula posset eluere. (Zosime., Hist., lib. II, p. 31 ; Basileæ.)
[34] Tandem permotus, poenitentia integros quadraginta dies illum luxit tanta animi aegritudine, ut nunquam lavaret corpus nec lecto recumberet. Praeterea statuam ei posuit ex argento puro et ex parte inauratam praeter caput, quod ex puro auro confectum erat, inscriptis in fronte his versibus : Filius meus injuria affectus. Georg. Codin., De Antiquitatibus Constantinopolitanis, p. 34 ; Parisiis, 1650.
[35] Julian., ad Athen. ; Ath., ad Solit., Vit. Agent., t. I, p. 850 ; Hier., Chr. ; Zosime, Hist., p. 692 ; Socrate, Hist. ecclés., lib. III, cap. I, p. 165.
[36] Eutrope, Aurelius Victor, Epit.
[37] Liban., Orat. III, p. 138.
[38] Zosime, lib. II. p. 693 ; Victor, Epit. ; Eutrope ; Hier., Chr. ; Idac., Chr., an. 350 ; Ammien, lib. XV, cap. V. Laniogaiso... solum adfuisse morituro Constanti supra retulimus.
[39] Il resta cinquante mille hommes sur le champ de bataille, selon Victor, et il prétend que les Romains ne se relevèrent jamais de cette perte.
[40] Naz., Orat. III, p. 90 ; Roll., XXII ; Mart. gr., p. 16.
[41] Ubi pernoctantium luminum claritudo dierum solet imitari fulgorem. (Ammien, lib. XIV, cap. I.) De quelle manière Antioche était-elle éclairée ? Le texte de l’historien ne l’explique pas. Ammien Marcellin, qui décrit minutieusement les machines de guerre, n’a pas cru devoir entrer dans le détail d’un usage journalier. Comme il est sujet à l’enflure du style, il ne faut pas prendre trop à la lettre la grande clarté dont il fait ici mention. Saint Jérôme (epist. XIV) parle des feux qu’on allumait sur les places publiques, à la lueur desquels on se rassemblait et l’on disputait sur les intérêts du moment. Dum audientiam et circulum lumina jam in plateis accensu solverent, et inconditam disputationem nox interrumperet.
[42] Philostorgius, Hist. ecclés., lib. III, cap. CCXXII.]
[43] Constantina mourut en route à Cène, village de Bithynie.
[44] Ammien, lib. XIV, cap. XI.
[45] Quot capita, quœ horruere gentes, funesti carnifices absciderunt !
[46] Ammien, lib. XIV, p. 3 et sqq.
[47] Ammien, lib. XIV, p. 3 et sqq.
[48] Ammien, lib. XV, cap. V ; Aurelius Victor, Epit., Eutrope, Hier. chr. Selon Ammien, Silvain était déjà retiré dans une petite chapelle chrétienne ; on l’en arracha tout tremblant pour le massacrer. Silvanum extractum œdicula, quo exanimatus confugerat, ad conventiculum ritus christiani tendentem, densis gladiorum ictibus trucidarunt.
[49] Zosime, lib. III, p. 702 ; Ammien, lib. XV.
[50] Zosime, lib. III, p. 702.
[51] Ammien, lib. XV, cap. XII.
[52] Epist. IX, LVI, Or. III ; Eutrope, lib. XV ; Eunape, Vit. Max. ; Liban., or. X ; Socrate, lib. III.
[53] Julian., Ad Ath.
[54] Ammien, lib. XX. Zosime., lib. III.
[55] Julian., Ad Ath., or. III.
[56] Ammien, lib. XVII, XX, XXI, XXII ; Zosime., lib. III ; Liban., or. XII. Julian., Ad Ath.
[57] Tunc anus quædam orba luminibus, cum, percontando quinam esset ingressus, Julianum Cæsarem comperisset, exclamavit hunc deorum templa reparaturum.
[58] Julian., Op., p. 340. D. ; Lipsiae, 1696.
[59] Tout cela s’accorde peu avec ce que nous voyons aujourd’hui, excepté ce qui concerne la salubrité de l’eau. Même à l’époque dont parle Julien, les débordements de la Seine étaient assez fréquents. Si Julien était né à Rome, ou même s’il eût jamais vu le Tibre, la Seine aurait pu lui paraître limpide en comparaison de ce fleuve (flavus Tiberinus). Il est vrai que dans l’Ionie Julien n’avait rencontré que l’Hermus (turbidus Hermus) ; il n’avait trouvé à Athènes que deux ruisseaux ; et l’Eridan, dans la Lombardie, laissait encore l’avantage à la Seine pour la clarté de l’eau. Mais enfin Julien avait habité les rives du lac de Cosme ; il avait vu les autres fleuves de la Gaule, les rivières de la Cappadoce ; il écrivait le Misopogon aux bords de l’Oronte, et bientôt ses cendres devaient reposer sur ceux du Cydnus : comment donc la Seine lui paraissait-elle si limpide ? La Marne, comme on l’a cru, coulait-elle au-dessous de Paris ?
[60] L’observation des Gaulois-Romains était juste : les hivers sont plus humides, mais moins froids aux bords de la mer que dans l’intérieur des terres.
[61] On voit que le climat de Paris n’a guère changé. Il y a longtemps que l’on cultive la vigne à Surènes. Julien ne se piquait pas de se connaître en bon vin ; il préférait, dit-il, les Nymphes à Bacchus. Quant aux figuiers, on les enterre et on les empaille encore à Argenteuil.
[62] Julien peint très bien ce que nous avons vu ces derniers hivers. Les glaçons que la Seine laisse sur ses bords, après la débâcle, pourraient être pris pour des blocs de marbre.
[63] Ces fourneaux étaient apparemment des poêles. Il faudrait aussi conclure du charbon que Julien fit porter dans sa chambre que l’on n’échauffait pas les appartements avec du bois, soit qu’il fût rare dans les environs de Paris, ou qu’on préférât l’usage des fourneaux. Les Romains, comme on peut s’en assurer par ce qui nous reste de leurs constructions domestiques, avaient porté l’art d’échauffer leurs maisons au plus haut degré de raffinement.
[64] D.-T. Du Ples., Nouv. Ann. de Paris ; Breul., Ant. de Paris.
[65] Prœfectus classis Andericianorum Parisiis. Notit. Imper. Mézerai, dont la lecture et la critique doivent être suivies avec précaution, conjecture que cette flotte se tenait à Andresy, vers le confluent de l’Oise et de la Seine, parce que les matelots qui montaient cette flotte sont nommés dans la Notice Andericiens. On jugera de la force de l’argument. (Histoire de France avant Clovis, liv. III.). J’ai suivi l’opinion de l’abbé Dubos.
[66] La défaite de Magnence.
[67] Corpus perhumile curvabat portos ingrediens celsas, et velut collo munito rectam aciem luminum tendens, nec dextra vultum, nec lœva flectebat, tanquam figmentum hominis : non cum rota concuteret nutans, nec spuens, aut os aut nasum tergens vel fricans, manumve agitans visus est nunquam. (Ammien, lib. XVI, cap. X.)
[68] Limbis ferreis cincti, ut Praxitelis manu polita crederes simulacra, non viros. (Ammien, lib. XVI, cap. X.)
[69] Non ut Cineas ille, Pyrrhi legatus, in unum coactam multitudinem regum, sed asylum mundi totius adesse existimabat. (Ammien, lib. XVI, cap. X.)
[70] Stupebat qua celeritate omne quod ubique est ominum genus confluxerit Romam. (Ammien, lib. XVI, cap. X.)]
[71] Proinde Romam ingressus, imperii virtutumque omnium larem, cum venisset ad Rostra, perspectissimum priscæ potentiæ Forum obstupuit. (Ammien, lib. XVI, cap. X.)]
[72] Ammien a seulement in palatium receptus. Je me range à l’opinion de Gibbon, qui veut que ce soit l’ancien palais d’Auguste, dont Suétone dit : Aedibus modicis neque laxitate neque cultu conspicuis, ut in quibus porticus breves essent, albanarum columnarum, et sine marmore ullo, aut insigni pavimento conclavia, ac per annos amplius quadraginta eodem cubiculo hieme et æstate mansit. (C. Sueton. Tranq., Octav., p. 109 ; Antuerpiæ.)
[73] Deinde intra septem montium culmina, per acclivitates planitiemque posita, urbis membra collustrans et suburbana, quidquid viderat primum, id eminere inter cuncta sperabat. (Ammien)
[74] Jovis Tarpeii delubra, quantum terrenis divina præcellunt ; lavacra in modum provinciarum exstructa ; amphitheatri molem solidatam lapidis tiburtini compage, ad cujus summitatem œgre visio humana conscendit ; Pantheum velut regionem teretem, speciosa celsitudine fornicatam ; elatosque vertices qui scansili suggestu consurgunt, priorum principum imitamenta portantes, et urbis templum, forumque Pacis, et Pompei theatrum. et Odeum, et Stadium aliaque inter hœc decora urbis æternœ. (Ammien, lib. XVI, cap. X.)
[75] Ut opinamur..... nec relatu ineffabiles, nec rursus mortalibus appetendos. (Ammien, lib. XVI, cap. X.)
[76] Ante, imperator, stabulum tale condi jubeto, si vales ; equus quem fabricare disponis, ita late succedat ut iste quem videmus. (Ammien, lib. XVI, cap. X.)
[77] Id tantum sibi placuisse quod didicisset ibi quoque homines mori (Ammien, lib. XVI, cap. X.)
[78] J’ai suivi particulièrement Zosime pour l’histoire d’Hormisdas ; mais Zonare, Agathias et Albufarage (ex arabico latine reddila Historia) ; diffèrent de Zosime en plusieurs points.
[79] Imperator de fama querebatur ut invalida vel maligra, quod augens omnia semper in majus, erga hœc explicanda quœ Romœ sunt obsolescit. (Ammien, lib. XVI, cap. X.)
[80] Constance avait voulu faire transporter à Constantinople un autre obélisque ; Julien reprit ce projet : il en écrivit aux Alexandrins, leur proposant, en échange de l’obélisque, une statue colossale qui venait d’être achevée, et qui vraisemblablement était la sienne. Julien ajoute que des solitaires se tenaient sur la pointe de cet obélisque, que d’autres personnes y dormaient au milieu des immondices et y commettaient des infamies. Il veut donc, dit-il, détruire à la fois cette superstition et cette honte : il prétend que les Alexandrins auront un grand plaisir à reconnaître de loin, en arrivant à Constantinople, le présent dont ils auront embelli la ville natale de l’apostat. On croit que cet obélisque, transporté à Constantinople par Julien ou par Valens, fut élevé par Théodose dans l’Hippodrome. L’édition allemande dont je me sers n’a point la fin de cette lettre aux Alexandrins, sous le n° 58. Cette fin, retrouvée par Muratori, a été transportée des Anecdotes grecques dans la Bibliothèque grecque de Fabricius.
[81] Hier., De Scriptor. ecclés. ; Rufin., pro Orig. ; Hilar. Fragmenta, a Pithœo ed.
[82] Ammien Marcellin, lib. XXI, cap. XVI.
[83] Ammien Marcellin, lib. XXI, cap. XVI.
[84] Imperator Liberio dixit : Quota pars es orbis terrarum, ut tu solus homini impio suffragari velis ?... Liberius dixit : Etiamsi solus sim, fidei causa non idcirco minuitur. (Parisiis, 1683 ; Théodoret, Hist. ecclés., lib. II, cap. XVI, p. 94.)
[85] Ecclesias ortis terrarum vacuas ac desertas fecisti, et mihi tanquam noxio elœmosynam adfers ! (Parisiis, 1683 ; Théodoret, Hist. ecclés., lib. II, cap. XVI, p. 95.)
[86] Unus Deus, unus Christus, unus Episcopus. (Théodoret, lib. II, p. 96.)
[87] Augustum Julianum horrendis clamoribus concrepabant. (Ammien, lib. XX, chap. IV.)
[88] Impositusque scuto pedestri. (Ammien, lib. XX, chap. IV.) Libanius s’écrie : O felix scutum, in quo solemnis inaugurationis mos peractus est, omni tibi tribunali convenientius !
[89] Il se nommait Maurus.
[90] Le texte parle aussi en particulier d’une parure de tête de sa femme : Uxoris colli vel capitis.
[91] Julian., Orat. ad S. P. Q. Athen. ; Liban., Orat. parent. ; Zonaras, lib. XIII.
[92] Auguste Juliane ut provincialis et miles, et reip. decrevit auctoritas. (Ammien lib. XX, chap. XI.)
[93] Ammien, lib. XXI ; Liban., Orat. parent.
[94] Mamert., Paneg. ; Liban., Orat.
[95] Adhærere cultui christiano fingebat a quo jampridem occulte desciverat. (Lib. XX.)
[96] Julian., epist. 58.
[97] Ego non rationalem jussi, sed tonsorem acciri.
[98] Cette traduction n’est pas tout à fait exacte, et n’a pas surtout l’âpreté de l’original ; mais il y a quelque chose de si simple, de si naturel, de si grave dans le style de Fleury, que je n’ai pas eu la témérité d’entreprendre de refaire ce qu’il a fait. Fleury et Tillemont sont deux hommes qui ne permettent pas qu’on retouche ce qu’ils ont touché. Le dernier a du génie à force de savoir, de conscience et d’exactitude. Il est en présence des faits et des hommes comme un chrétien des premiers siècles en présence de la vérité : il aimerait mieux mourir que de faire un mensonge. Son style incorrect, sauvage et nu, est mêlé de choses qui étonnent. C’est ainsi que, peignant les derniers moments de Julien, il dit, dans le langage des Père de l’Église : Il mourut dans la disgrâce de Dieu et des hommes.
[99] Mediocris erat staturæ, capillis tanquam pexisset mollibus, hirsuta barba in acutum desinente vestitus, venustate oculorum micantium flagrans, qui mentis ejus angustias indicabant, superciliis decoris et naso rectissimo, ore paulo majore, labro inferiore demisso, opima et incurva cervice, humeris vastis et latis, ab ipso capite usque unguium summitates lineamentorum recta compagine, unde viribus valebat et cursu. (Ammien, lib. XXV, cap. IV.) D’après ce portrait, Julien avait les cheveux doux, les sourcils charmants, le nez tout à fait grec ; la beauté de ses yeux étincelants annonçait que son âme était mal à l’aise dans l’étroite prison de son corps. Si on lit argutias au lieu d’angustias dans le texte, on retrouverait les yeux vifs, mais égarés et tournoyants, qu’attribue à Julien saint Grégoire de Nazianze.
[100] Discurrentes in ea pediculos.
[101] Spanheim a traduit le Misopogon ; La Bletterie en a donné une autre traduction avec celle des Césars et de quelques lettres choisies ; le marquis d’Argens a traduit, sous le nom de Défense du Paganisme, ce que saint Cyrille d’Alexandrie nous a conservé de l’ouvrage de Julien contre les chrétiens ; enfin, M. Tourlet a publié une traduction complète des oeuvres de cet empereur. Je me suis aidé des excellents travaux de mes devanciers, sans adopter tout à fait leur version. La traduction du Misopogon de La Bletterie, que M. Tourlet a conservée en la corrigeant, est élégante, mais elle ne dit pas tout l’original. La Bletterie, d’ailleurs homme d’esprit, de raison, d’instruction et de talent, est resté dans l’ironique ; il n’a pas osé aborder le sardonique ; il a eu peur de l’effronterie des mots : je ne parle pas du collectif messieurs adressé aux habitants d’Antioche, petite politesse de notre bonne compagnie, qu’il était aisé de faire disparaître. La Bletterie croit que Julien calomnie sa barbe, je le pense aussi ; il est probable qu’il répétait les railleries des Antiochiens, ou qu’enchérissant lui-même sur ces railleries, il exagérait ses défauts pour tomber de plus haut sur les vices contraires de ses détracteurs. Nous voyons Julien se baigner dans une maison de campagne, se faire couper les cheveux en arrivant à Constantinople : cela n’annonce pas un homme si indifférent au soin de sa personne. Saint Augustin, dont la philosophie n’était pas, il est vrai, celle de Julien, pense que la propreté est une demi-vertu.
M. Tourlet a réuni plusieurs fragments de Julien qui ne se trouvent pas dans les anciennes éditions de ses oeuvres. Il a rendu ainsi un véritable service aux lettres ; mais la grande découverte à faire serait celle de l’Histoire des Guerres de Julien dans les Gaules. Cet ouvrage est perdu, tandis que des discours assez insignifiants se sont conservés. Cela vient en partie de l’esprit du siècle où vivait Julien : on attachait une extrême importance aux écrits dogmatiques de l’apostat pour les admirer ou les combattre, et l’on se souciait peu de ce qui était en dehors des controverses religieuses. C’est ainsi que Cyrille d’Alexandrie, dans ses dix livres Pro sancta christianorum Religione adversus libros athei Juliani, nous a transmis une grande partie de l’ouvrage de cet empereur contre la religion chrétienne.
[102] Jubet periculoso garritori pedum tegmina dari purpurea ad adversarium perferenda. (Ammien)
[103] Illum (Julianum) graviter objurgavit, impium et apostatam vocans et religionis expertem. At ille conviciis reddens convicia cœcum eum appellavit : Neque vero, inquit, Deus tuus galilæus te unquam sanaturus est. Gratias, inquit Maris, ago Deo, qui me luminibus orbavit, ne viderem vultum tuum, qui in tantam prolapsus es impietatem. (Socrate, Hist. ecclés., lib. II. cap. XII, p. 150.)
[104] Ecquis innocens esse poterit, si accusasse sufficiet ? (Ammien)
[105] Gaudebam plane prœ meque ferebam si ab his laudarer quos et vituperasse posse adverterem, si quid factum sit secus aut dictum. (Ammien)
[106] Agnosco quem dicitis offendisse me justa de causa ; et silere vos interim consentaneum est dum mihi inimico potiori faciat satis. (Ammien)
[107] Abi securus ad lares, exutus omni metu, clementia principis qui, ut prudens definivit, inimicorum minuere numerum augereque amicorum sponte sua contendit ac libens. (Ammien)
[108] Prosequere, mulier, si quid te lœsam existimas : hic enim sic cinctus est ut expeditius per lutum incedut ; at parum nocere tuis partibus potest. (Ammien)
[109] Allusion à l’incendie du temple de Jérusalem et du Capitole.
[110] Quisquis mulierum corruptor, quisquis homicida est, quisquis piaculo aut exsecrando scelere se obstrinxit, fidenter huc adito. Etenim simul atque hac aqua ablutus fuerit, illico ego eum purum reddam. Quod si iisdem rursus se flagitiis contaminarit, efficiam uti, tunso pectore et capite percusso, expietur. (In Caesar, p. 336. B.)
[111] Il existe en manuscrit, dit-on, un poème de Julien sur le soleil et quelques harangues non publiées. D’une grande quantité de lettres sorties de la plume féconde de Julien, on n’en connaît guère plus de soixante-quatre. Vossius assure que Les Césars étaient intitulés dans les anciens manuscrits Les Saturnales et le Banquet ; mais Suidas distingue Les Césars des Saturnales, et cite de ce dernier ouvrage des choses qui ne se trouvent point dans Les Césars. Suidas indique encore deux ouvrages perdus de Julien, l’un sur Les trois Figures, l’autre sur L’Origine du mal, contre les ignorants. Eunape, dans ses Vies des Sophistes, parle souvent de Julien ; il en avait écrit l’histoire ; peut-être faisait-elle partie de son Histoire des Empereurs depuis Alexandre Sévère. On croit que celle-ci se retrouve en partie dans les deux livres de Zosime, qui se serait contenté de retoucher le travail d’Eunape ; Calliste, au rapport de Socrate, avait mis en vers la vie de Julien. On présumait dans le XVIIe siècle que l’histoire politique d’Eunape était dans les bibliothèques d’Italie. Le monde littéraire doit au savant M. Boissonade une édition grecque d’Eunape, dont M. Cousin, juge compétent, parle ainsi : son suffrage sera d’un tout autre poids que le mien : Personne en effet n’était mieux préparé à donner une édition critique d’Eunape que M. Boissonade, qui a déjà si bien mérité de la philosophie néoplatonicienne en publiant une nouvelle édition de la Vie de Proclus par Marinus et le commentaire inédit de Proclus sur le Cratyle. Et comme si ses propres ressources ne lui suffisaient point, sa modestie lui a fait un devoir de se procurer tous les matériaux amassés par ses devanciers. Le spécimen de Carpzow le mettait en possession des notes de Fabricius, et par l’intermédiaire de Schoefer, Erfurt, entre les mains duquel étaient tombés les travaux inédits de Wagner, les a obligeamment communiqués à M. Boissonade, avec des notes de Reinesius. Pour la vie de Libanius, il a eu les notes inédites de Valois ; et deux exemplaires d’Eunape qui avaient appartenu à Walckenaër lui ont fourni quelques corrections heureuses déposées sur les marges par Walckenaër, ou par lui recueillies sur l’exemplaire de Vossius conservé à la bibliothèque de Leyde, sans compter les conjectures de l’illustre évêque d’Avranches, Huet, que contient un des exemplaires de la bibliothèque de Paris, et d’autres secours qu’il serait trop long d’énumérer, et qui tous disparaissent devant la vaste collection de remarques de toutes espèces dont Wyttenbach a enrichi l’ouvrage de notre savant compatriote : de sorte que les deux volumes dont se compose cette édition d’Eunape présentent les travaux des maîtres de différents pays et de différents siècles, habilement employés par un des maîtres du siècle présent.
[112] Libanius prétend avoir atteint la perfection du style épistolaire, et il accorde la seconde place à Julien. Pline le jeune offre le modèle de ce bel esprit élégant et recherché imité par Julien et les Grecs de son temps.
[113] Φίλη κεφαλή ! O carum caput ! Horace a transporté ce tour dans le latin, et Racine dans le français.
[114] Epist. XLVI.
[115] Cette princesse, aussi belle qu’humaine, dit Julien (Paneg. Eus.), est représentée comme aimant les lettres et pleine de compassion pour les malheureux : in culmine tam celso humana. On la voit protéger Julien, le défendre contre ses ennemis, lui fournir des livres, prendre pour lui tous les soins de la puissance et de la tendresse ; ensuite on la voit donner un breuvage à Hélène pour la faire délivrer de son fruit avant terme. Comment Eusébie, qui avait élevé Julien à la pourpre, et qui conséquemment ne semblait pas craindre son ambition, voulait-elle le priver de postérité ? Eusébie était stérile ; Hélène n’était pas jeune, mais elle était féconde. Ces contradictions s’expliqueraient par la folie d’une passion. Dans cette hypothèse, Eusébie aurait désiré placer Julien sur le trône du monde, mais elle n’aurait pu souffrir qu’une femme, plus heureuse qu’elle, fût la mère des enfants de Julien.
[116] Socrate, lib. III, cap. XXI.
[117] Naz., p. 121.
[118] Julian., epist. XI. Educator meorum liberorum.
[119] Nullas infestas hominibus bestias, ut sunt sibi ferales plerique christianorum expertus. (Ammien, lib. XII, cap. V.)
[120] Ariani Scythis ipsis crudeliores. (Ath., Hist. Arian.)
[121] Etenim Galilœorum amentia propemodum omnia afflixit ac perdidit. (Julian., epist. VII.)
[122] Et ad cutem usque tonsus monasticam vitam simulavit. (Socrate)
[123] Eunape, Vit. Jambl., Vit. Max.
[124] Eunape, Vit. Jambl., Vit. Max.
[125] Eunape, Vit. Jambl., Vit. Max. ; Liban., Paneg., 175.
[126] Théodoret, lib. III, cap. III ; Greg. Naziance, or. III, p. 71.
[127] Liban., Paneg.
[128] Eunape, Vit. Soph. ; Bruker., Hist. Philosoph. ; Julian., apud S. Cyril., lib. VI.
[129] Julian., Contra imperitos canes, or. VI.
[130] Porphyre appartient au néoplatonisme, postérieur à la prédication de l’Évangile : sous ce rapport, son témoignage est suspect.
[131] La belle découverte de la lecture des hiéroglyphes a pu jeter de nouvelles lumières sur le système religieux des Egyptiens. Je dois à M. Charles Le Normant, qui a suivi M. Champollion en Egypte, la note savante qu’on va lire. L’auteur, en traitant de la triade égyptienne, dit aussi quelques mots du taurobole.
La triade égyptienne, identiquement semblable à la triade hindoue, repose sur une croyance panthéistique : les deux principes fondamentaux (Ammon-Ra et Mouth, la grande mère, dans la forme la plus élevée) représentent l’esprit et la matière ; ils ne sont pas même corrélatifs, car il est dit qu’Ammon est le mari de sa mère (*), ce qui veut dire que l’esprit est une émanation de la matière préexistante, du chaos. Dans le Rituel funéraire (**), la pièce capitale et le résumé de la théologie égyptienne, Ammon dit à Mouth : Je suis l’esprit ; toi, tu es la matière ; plus loin, dans la prière adressée à Mouth, sous la forme secondaire de Neith, on lit ces mots : Ammon est l’esprit divin, et toi, tu es le grand corps, Neith, qui préside dans Saïs. De leur union provient Chons, la plus haute manifestation de l’esprit, la troisième personne de la triade thébaine. Chons est tellement le même que le Logos de l’Inde, et même de la Perse, de Platon et de saint Jean, qu’à Thèbes, dans le temple qui lui est dédié (***), il est nommé Chons Toth, c’est-à-dire parole. Cette triple unité de Dieu se retrouve ainsi dans toutes les dégradations du théisme égyptien, jusqu’à la triple manifestation corporelle de Dieu dans les personnes d’Osiris, d’Isis et d’Horus. Puis vient un personnage complémentaire, un résumé des formes multiples de la Divinité, Ammon-Horus ou Horus-Ammon, qui réunit les deux anneaux opposés de cette chaîne immense, et renferme l’unité panthéistique du monde concentrée dans les trois personnes de l’esprit, de la matière et du verbe. Ammon-Horus est le Pan des Grecs.
La Trinité chrétienne est fondée sur l’existence d’un Dieu préexistant à la matière, qui a tiré le monde du néant ; ce Dieu se manifeste incessamment dans son fils ; l’esprit est l’intermédiaire de cette manifestation, qui dans la triplicité constitue l’unité de Dieu. On voit donc que pour établir un rapport de cette trinité à la triade égyptienne il faudrait supposer dans cette dernière l’abstraction du principe féminin et la division de l’esprit en principe générateur et en esprit proprement dit. La différence fondamentale des deux doctrines a pour base l’opinion différente que les panthéistes et les chrétiens professent sur l’origine du mal : l’optimisme panthéistique le plus exalté ne peut détruire l’inhérence du mal à la matière éternelle, et par conséquent la nécessité du mal ; Nephtis, la soeur d’Isis, partage sa couche entre Osiris et Typhon.
Les premiers apologistes ont aussi attribué au désir de contrebalancer l’influence des cérémonies chrétiennes l’usage fréquent des sacrifices tauroboliques, à compter de la dernière moitié du second siècle de notre ère. Mais il est plus que probable que ces sacrifices avaient une autre source que l’imitation des rites du baptême, ou même que l’idée de réhabilitation d’où la cérémonie baptismale est dérivée. La purification expiatoire par le sang est universelle dans les cultes de l’Orient ; on en retrouve la trace jusque dans le Lévitique : Et sanguinem qui erat in altari aspersit super Aaron et vestimenta ejus, et super filios illius ac vestes eorum (VIII, 30). Tous les témoignages anciens s’accordent à rattacher les tauroboles au culte phrygien de Cybèle. Or, ce culte, bien qu’introduit à Rome deux cent sept ans avant Jésus-Christ, ne fut longtemps que toléré, et ne passa tout à fait dans la chose publique que sous le règne d’Antonin. M. de Boze (****) a très bien rappelé les causes de la vénération superstitieuse de cet empereur pour les mystères de Cybèle ; il a montré en même temps que Faustine la mère était la première impératrice qui eût pris sur les médailles le nom de mère des dieux. Or, le plus ancien taurobole que nous trouvions constaté par une inscription se rapporte à l’an 160 de Jésus-Christ, et a été célébré pour la conservation des jours d’Antonin et de sa famille (*****) ; la plupart des monuments de ce genre ont, comme le précédent, une couleur politique. Que les idées de régénération répandues par le christianisme dans tout le monde aient contribué à étendre l’usage des sacrifices tauroboliques, c’est ce qu’il est difficile de nier ; mais les apologistes eux-mêmes montraient la différence de principe, et par conséquent d’origine, qui existait entre le baptême et le taurobole : Le sang du taureau, disait Firmicus (******), ne rachète pas, il souille. C’est qu’effectivement l’idée de réhabilitation purifiante et celle d’expiation sanglante appartiennent à deux systèmes opposés, dont le second a été aboli par le sacrifice de la grande victime du christianisme. S’il était permis d’assigner une origine encore plus ancienne que les mystères de Cybèle au sacrifice taurobolique, nous en retrouverions la trace dans le mythe persan de Mithra et dans l’immolation du taureau, qui en est le symbole principal ; or, on sait que la religion de la mère des dieux n’est en grande partie qu’une émanation des doctrines persanes.
(*) Sur le Pylone du temple de Chons à Karnak, appelé le grand temple du sud, dans le grand ouvrage d’Égypte.
(**) Troisième partie, section III, traduction communiquée par M. Champollion.
(***) Le même que ci-dessus ; le dernier signe, qui est l’Ibis, est le symbole du dieu Toth, et se résout phonétiquement dans le mot..... tot, qui commence tous les discours des dieux... parole d’Ammon-Râ, roi des dieux, etc. (Renseignement communiqué par M. Champollion.)
(****) T. II, Mém. de l’Acad. des Inscript.
(*****) Mémoire précité.
(******) Cité par M. de Boze.
[132] Plat., t. II, p. 986, in Epinomid.
[133] Tertullien, Apologétique.
[134] Voyez Génie du Christianisme.
[135] S. Justin, Apologet. ; Origène, Contr. Cels. ; Tertullien, Apolog. ; Athan., De Incarn. Verbi Dei, p. 83.
[136] S. Augustin, Confessions, lib. VII ; Id., epist. CXVIII.
[137] Constant. Mag., In Orat. Sanctor. cœl., cap. IX.
[138] Aristobul., apud Eusèbe, lib. XIII ; Prœp. Evang., cap. XII ; Joseph., lib. II, Contra Appion. ; S. Justinien, Apologétique ; Origène, lib. XII, Cont. Cels. ; Eusèbe, lib. XI, Prœp. Evang. in proœmio. La version des Septante est postérieure au voyage de Platon en Egypte ; mais il est prouvé par Aristobule (apud Eusèbe, lib. XIII, Prœp. Evang., cap. XII) et par Démétrius (in epist. ad Plorem. Eg. Reg. apud Joseph. Arist. et Eusèbe) que des parties considérables des livres hébreux étaient traduites en grec longtemps avant la version complète des Septante. (Voyez Défense de SS. Pères accusés de platonisme, liv. IV, p. 618 et suiv.) Baltus sur ce point a complètement raison contre Leclerc.
[139] Solebamus audire aureis litteris conscribendum et... in locis eminentissimis proponendum esse dicebat. (S. Augustin, De Civit. Dei, lib. X, cap. XXIX.)
[140] Basil., Hom. 16, in verba illa : In principio erat Verbum.
[141] Eusèbe, Prœp. Evang., lib. XI, cap. XIX ; Théodosien, Sermo XI, ad Græc. ; Cyrill. Alex., lib. III, in Julian.
[142] Théodoret, Serm. VII, ad Græc.
[143] Les lecteurs qui seraient curieux de connaître à fond cette controverse peuvent lire La Défense des saints Pères accusés de platonisme, par Baltus, 1 vol. in-4°, Paris, 1711 ; Moshem., De turbata per Platonicos Ecclesia, ap. Cudworth., System. intell., tom. II ; Lugd. Batav., 1783.
[144] Audite me, quem Alamanni audierunt et Franci. (Ammien)
[145] Quod si ne ille quidem vir est, sed contemptus homumcio. (Julian., epist. LI.)
[146] Quis ausus est in meo regno feminas Græcorum illustres ad baptismum impellere. (Julian., epist. VI.)
[147] C’est à Antioche que Chrysostome parlait ainsi. Ammien lui-même dit à peu près la même chose, lib. XXII, cap. XIV.
[148] Le texte de cette plaisanterie est en grec dans Ammien. (Voir la note des savants éditeurs, Ammien, in-fol., Lugd. Batav., 1693.) On a appliqué cette épigramme à Marc-Aurèle.
[149] Misopogon.
[150] Sed quid est causæ cur in hisce, perinde ac si nihil amplius opus esset, conquiescamus, ac non potius convertamus oculos ad ea quibus impia christianorum religio creverit, id est ad benignitatem in peregrinos, ad curam ab illis in mortuis sepeliendis positam, et ad sanctimoniam vitæ quam simulant.
... Nam turpe profecto est, cum nemo ex Judœis mendicet, et impii Galilœi non suos modo, sed nostros quoque alant, ut nostri auxilio, quod a nobis ferri ipsis debeat, destituti videantur. (Julian, epist. XLIX.)
[151] Ce détail se trouve dans une lettre au philosophe Maxime. Julien nous fait connaître Besançon dans cette lettre, comme Paris dans le Misopogon.
Ad Gallos revertens, circumspiciebam, et percontabar de omnibus qui illinc venirent, num quis philosophus, num quis scholasticus aut pallio penulave indutus, eo appulisset. Cum autem Vesontionem (Bisentiwna, Besançon) appropinquarem (est autem oppidulum nunc refectum, magnum tamen olim, et magnificis templis ornatum, moenibus firmissimis, et loci natura munitum, propterea quod cingitur Dubi (Danoubiz, Doubs) ; estque, ut in mari, rupes excelsa, propemodum ipsis avibus inaccessa, nisi qua flumen ambiens tanquam littora quoedam habet projecta) ; cum, inquam, prope abessem ab hac urbe, vir quidam cynicus cum pera et baculo mihi occurrit. Eum ego cum eminus aspexissem, teipsum esse putavi : cum accessit propius, a te omnino illum venire suspicatus sum. Est autem mihi quidem ille amicus, multum tamen infra exspectationem meam. (Julian, epist. XXXVIII.)
[152] Hunc vero quem neque vos, neque patres vestri videre, Jesum Deum esse Verbum creditis oportere. (Julian., epist. LI.)
[153] Petulantes ante omnes et Celtæ... Augebantur cerimoniarum ritus immodice cum impensarum amplitudine ante hac inusitata et gravi. (Ammien)
[154] Le texte d’Ammien Marcellin que je vais citer a fort embarrassé Gibbon, et avant lui Voltaire : un miracle affirmé par un païen était en effet une chose fâcheuse : il a donc fallu avoir recours à la physique. Julien, dit judicieusement l’abbé de La Bletterie, et les philosophes de sa cour mirent sans doute en oeuvre ce qu’ils savaient de physique pour dérober à la Divinité un prodige si éclatant. La nature sert la religion si à propos qu’on devrait au moins la soupçonner de collusion. M. Guizot, dans son excellente édition française de l’ouvrage de Gibbon, indique aussi quelques lois de la physique par lesquelles on pourrait expliquer jusqu’à un certain point l’apparition des feux qui chassèrent les ouvriers de Julien. M. Tourlet, par un calcul chronologique, établit que le phénomène arrivé à Jérusalem ne fut que le même tremblement de terre qui menaça Constantinople et dévasta Nicée et Nicomédie pendant le troisième consulat de Julien, en 362. Je suis trop ignorant pour disputer rien aux faits, et n’ai pas assez d’autorité pour les interpréter ou les combattre ; je les rapporte comme je les trouve. Sozomène, Rufin, Socrate, Théodoret, Philostorge, saint Grégoire de Nazianze, saint Chrysostome et saint Ambroise confirment le récit d’Ammien Marcellin. Julien lui-même avoue qu’il avait voulu rétablir le temple : Templum illud tanto intervallo a ruinis excitare voluerim. En creusant les fondements du temple nouveau, on acheva de détruire les fondements de l’ancien temple, et l’on confirma les oracles de Daniel et de Jésus-Christ par la chose même qu’on faisait pour les convaincre d’imposture. Au rapport de Philostorge (lib VII, cap. IV), un ouvrier travaillant aux fondements du temple trouva sous une voûte au haut d’une colonne environnée d’eau, l’Évangile de saint Jean. Rien de plus positif que le texte d’Ammien ; le voici : Ambitiosum quondam apud Hierosolymam templum, quod post multa et interneciva certamina, obsidente Vespasiano posteaque Tito, oegre est expugnatum, instaurare sumptibus cogitabat immodicis ; negotiumque maturandum Alypio dederat Antiochensi, qui olim Britannias curaverat pro proefectis. Cum itaque rei idem fortiter instaret Alypius juvaretque provincioe rector, metuendi globi flammarum prope fundamenta crebris assultibus erumpentes, fecere locum, exustis aliquoties operantibus, inaccessum, hocque modo elemento destinatius repellente, cessavit inceptum. (Ammien, lib. XXIII, cap. I.)
[155] Si in Deos sanctissimos putant ab illis auctoribus peccatum esse, eant in Galilæorum ecclesias, ibique Matthæum et Lucam interpretentur. (Julian., epist. XLII.)
[156] Saint Grégoire de Nazianze seul a composé plus de trente mille vers. Trois de ses poèmes sont sur la virginité, plusieurs sur sa vie et sur les maux qu’il a soufferts ; quelques-uns accusent les mœurs du clergé et le luxe des femmes ; d’autres font l’éloge des moines. Les poèmes intitulés Des calamités de mon âme, De la Grandeur et de la Misère de l’homme, Les secrets de saint Grégoire sont admirables par la hauteur du sujet et la beauté de l’expression : il y a aussi beaucoup de vers sur le respect dû aux tombeaux. Les deux Apollinaires, le père et le fils, se signalèrent par leur combat poétique contre l’édit de Julien. Le premier mit en vers héroïques l’histoire sainte jusqu’au règne de Saül ; il prit pour modèles de ses comédies, de ses tragédies et de ses odes pieuses Ménandre, Euripide et Pindare ; le second expliqua, dans des dialogues à la manière de Platon les évangiles et la doctrine des apôtres.
[157] Lib. XXII, cap. X.
[158] Il est curieux de trouver dans les arguments de Julien tous les arguments de Voltaire.
[159] Sozomène, lib. V ; Théodoret, lib. IX ; Greg. Naziance, or. IX.
[160] Chrysostome, Cont. gent. ; Greg. Naziance, or. IX ; Théodosien, lib. IX.
[161] Théodosien, lib. III, cap. XXI.
[162] Théodoret, lib. III, cap. XXIII ; Sozomène, lib. IV ; Greg. Naziance, Or. III.
[163] Vidit squalidius, ut confessus est proximis, speciem illam genii publici quam cum ad augustum surgeret culmen conspexit in. Galliis, velata cum capite cornucopia Ter aulœa tristius discedentem. (Ammien, lib. XXV, cap. II.)
[164] Flagrantissimam facem cadenti similem visam, æris parte sulcata evanuisse existimavit, horroreque perfusus est ne ita aperte minax Martis apparuerit sidus. (Ammien, lib. XXV, cap. II.)
[165] Ammien, lib. XXV, cap. III.
[166] Beatum fuisse... Intellexit occisum. (Ammien, lib. XXV, cap. III.)
[167] Medio noctis horrore vita facilius est absolutus. (Ammien, lib. XXV, cap. III.)
[168] Julian., epist. LI. La Bletterie ne lui en donne que trente et un, et se trompe avec l’historien Socrate.
[169] Aiunt illum, vulnere accepto, statim haustum manu sua sanguinem in cœlum jecisse, hæc dicentem : Vicisti, Galilæe ! (Sozomène, lib. III, cap. XXV, p. 147.)
[170] Et cum omnia se obtinuisse putasset, subito ei irruit multitudo exercitus angelorum. (Passion. S. Théodoret presbyt.)
[171] Dolo enim mortuus est, sicut Achilles. (Lib., pro Templis, p. 24 ; Genevæ, 1634.)
[172] Gibbon suit l’opinion de La Bletterie : le dernier remarque qu’on avait, d’après une phrase de Libanius, soupçonné saint Basile et saint Grégoire de Nazianze, mais que cette phrase désignerait plutôt saint Athanase. Seize ans après la mort de Julien, Libanius ne craignit point de renouveler une accusation, qui d’ailleurs était sans preuve, dans un discours adressé à l’empereur Théodose. Sozomène (lib. VI, cap. II) fait honneur à quelques chrétiens zélés de la mort de Julien, et compare ces héros inconnus à ces Grecs généreux qui se dévouaient autrefois pour la patrie. Libanius est si peu d’accord avec lui-même, qu’il dit positivement dans un autre discours (orat. 11, p. 258) que Julien avait été tué par un Aquemenide, un Perse.
[173] Per nocturnam speciem, Basilius, Cæsareæ episcopus, vidit cœlos apertos et Christum Salvatorem in solio pro tribunali sedentem magnoque clamore vocantem : Mercuri, abi, occide Julianum imperatorem, illum hostem christianorum. Sanctus ergo Mercurius stans coram Domino loricam ferream indutus, accepto a Domino mandato, evanuit : rursus visus adstare ad tribunal Domini exclamavit : Julianus imperator expiravit uti imperasti, Domine. (Chronicon Alexandrinum, p. 693-694.)
[174] Equos candidos per ærem discurrentes sibi videre visus est, virosque ipsis insidentes ita clamantes audire : Nuntiate Didymo hodie Julianum hac ipsa hora peremptum esse. (Sozomène, Histor. ecclés., lib. VI, cap. I, p. 518.)
[175] Suem agrestem, vastatorem vineæ domini (...) mortuum jacere. (Théodoret, lib. III, cap. XIX, p. 657 ; Lutetiæ Parisiorum, 1642.)
[176] Iste fabri filius arcam ei ligneam parat ad tumulum. (Sozomène, Hist. ecclés., Julian., cap. II, p. 519.) L’histoire de saint Mercure, dont on a fait un chevalier Mercure, est devenue le sujet d’un drame du moyen âge.
[177] Dum adhuc essem puer, et in grammaticæ ludo exercerer, omnesque urbes victimarum sanguine polluerentur, ac subito in ipso persecutionis ardore Juliani nuntiatus esset interitus, eleganter unus de ethnicis : Quomodo, inquit, christiani dicunt Deum suum esse patientem... nihil iracundius, nibil hoc furore præsentius ! (S. Hieron., Comment., lib. II, cap. III, in Habacuc, p. 243-244.)
[178] Greg. Naziance, Or. cont. Julian. Ce beau mouvement, Venez aussi, généreux athlètes, a été visiblement imité par Bossuet dans l’admirable apostrophe qui termine l’Oraison funèbre du grand Condé.
[179] Nec in ecclesiis solum ac martyriis, cuncti tripudiabant, sed in ipsis etiam theatris victoriam crucis prædicabant... Omnes siquidem juncti simul clamabant : Ubinam sunt vaticinia tua, Maxime stulte ? (Théodoret, lib. III, cap. XXVIII, p. 147-148.)
[180] Et Carrheni tantum percepere dolorem morte Juliani nuntiata, ut eum qui nuntium hunc adtulerat lapidibus obruerint. (Zosime., lib. III, p. LIX ; Basileæ.)
[181] Pleræque urbes illum deorum figuris repræsentarunt, atque ut divos honorant. (Lib., Orat. X, t. I, p. 330 ; Lutetiæ, 1637.)
[182] In ensem oculos conjeci, quasi vita acerbior omni jugulatione mihi futura esset. (Lib., Vit., p. 45.)
[183] Porro cadaver Juliani, cum Merobaudes, et qui cum illo erant, in Ciliciam deportassent, non consulto, sed casu quodam, e regione sepulchri in que Maximini ossa erant condita deposuerunt, via publica duntaxat loculos eorum a se invicem separante. (Philostorgius, Hist. ecclésiastique, lib. VIII, p. 511 ; Parisiis, 1673.)]
[184] Mimi et histriones eum ducebant probris a scena petitis, ac ludibriis incessebant, eique fidei abjurationem et cladem vitæque finem exprobrantes. (S. Gregor, Theologi Orat. 5, t. I, p. 159 ; Lutetiæ, 1778.)
[185] Ut mihi quispiam narravit nec ad sepulturum assumptum, sed a terra quæ ipsius causa turbata fuerat excussum, æstuque vehementi projectum. (S. Gregor., orat. XXI, p. 408.)
[186] Atque eum quidem Tarsi in Cilicia recepit suburbanum : at potiori jure in Academia, proximo Platonis sepulchro, fuisset tumulatus. (Liban., Orat. Parental., cap. CLVI, p. 377.)
[187] Cujus suprema et cineres, si quis tunc juste consuleret, non Cydnus videre deberet, quamvis gratissimus amnis et liquidus : sed ad perpetuandam gloriam recte factorum præterlambere Tiberis, intersecans urbem æternam divorumque veterum monumenta præstringens. (Ammien, lib. XXV, cap. X.)
[188] Ammien, lib. XXV, cap. X, p. 340, n. z. voyez aussi Vie de Julien, par La Bletterie, ad fin.
[189] Par rapport aux Perses.
[190] Ammien, lib. XXV.
[191] Léonidas à Sparte, sur un plus petit théâtre, se trompa et se perdit comme Julien.
[192] Ammien, lib. XXVI ; Philostorgius, p. 114. Théodose Ier ne fut un moment maître de tout l’empire que pour le partager entre ses deux fils.