La chute de l’empire romain, la naissance et les progrès du christianisme et l’invasion des barbares

 

Étude première

 

 

Exposition

Trois vérités forment la base de l’édifice social : la vérité religieuse, la vérité philosophique, la vérité politique.

La vérité religieuse est la connaissance d’un Dieu unique, manifestée par un culte.

La vérité philosophique est la triple science des choses intellectuelles, morales et naturelles.

La vérité politique est l’ordre et la liberté : l’ordre est la souveraineté exercée par le pouvoir ; la liberté est le droit des peuples.

Moins la cité est développée, plus ces vérités sont confuses ; elles se combattent dans la cité imparfaite, mais elles ne se détruisent jamais : c’est de leur combinaison avec les esprits, les passions, les erreurs, les événements, que naissent les faits de l’histoire. A travers le bruit ou le silence des nations, dans la profondeur des âges, dans les égarements de la civilisation ou dans les ténèbres de la barbarie, on entend toujours quelque voix solitaire qui proclame les trois vérités fondamentales dont l’usage constant et la connaissance complète produiront le perfectionnement de la société.

Cette société, tout en ayant l’air de rétrograder quelquefois, ne cesse de marcher en avant. La civilisation ne décrit point un cercle parfait et ne se meut pas en ligne droite ; elle est sur la terre comme un vaisseau sur la mer ; ce vaisseau, battu de la tempête, louvoie, revient sur sa trace, tombe au-dessous du point d’où il est parti ; mais enfin, à force de temps, il rencontre des vents favorables, gagne chaque jour quelque chose dans son véritable chemin, et surgit au port vers lequel il avait déployé ses voiles.

En examinant les trois vérités sociales dans l’ordre inverse, et commençant par la vérité politique, écartons les vieilles notions du passé.

La liberté n’existe point exclusivement dans la république, où les publicistes des deux derniers siècles l’avaient reléguée d’après les publicistes anciens. Les trois divisions du gouvernement, monarchie, aristocratie, démocratie, sont des puérilités de l’école, en ce qui implique la jouissance de la liberté : la liberté se peut trouver dans une de ces formes, comme elle en peut être exclue. Il n’y a qu’une constitution réelle pour tout l’Etat : liberté, n’importe le mode.

La liberté est de droit naturel et non de droit politique, ainsi qu’on l’a dit fort mal à propos : chaque homme l’a reçue en naissant sous le nom d’indépendance individuelle. Conséquemment, et par dérivation de ces principes, cette liberté existe en portions égales dans les trois formes de gouvernement. Aucun prince, aucune assemblée ne saurait vous donner ce qui ne lui appartient pas, ni vous ravir ce qui est à vous.

D’où il suit encore que la souveraineté n’est ni de droit divin ni de droit populaire : la souveraineté est l’ordre établi par la force, c’est-à-dire par le pouvoir admis dans l’Etat. Le roi est le souverain dans la monarchie, le corps aristocratique dans l’aristocratie, le peuple dans la démocratie. Ces pouvoirs sont inhabiles à communiquer la souveraineté à quelque chose qui n’est pas eux : il n’y a ni roi, ni aristocrate, ni peuple à détrôner.

Ces bases posées, l’historien n’a plus à se passionner pour la forme monarchique ou pour la forme républicaine : dégagé de tout système politique, il n’a ni haine ni amour ou pour les peuples ou pour les rois ; il les juge selon les siècles où ils ont vécu, n’appliquant de force à leurs mœurs aucune théorie, ne leur prêtant pas des idées qu’ils n’avaient et ne pouvaient avoir lorsqu’ils étaient tous et ensemble dans un égal état d’enfance, de simplicité et d’ignorance.

La liberté est un principe qui ne se perd jamais ; s’il se perdait, la société politique serait dissoute : mais la liberté, bien commun, est souvent usurpée. A Rome elle fut d’abord possédée par les rois ; les patriciens en héritèrent ; des patriciens elle descendit aux plébéiens ; quand elle quitta ceux-ci, elle s’enrôla dans l’armée ; lorsque les légions, corrompues et battues, l’abandonnèrent, elle se réfugia dans les tribunaux et jusque dans le palais du prince, parmi les eunuques ; de là elle passa au clergé chrétien.

Les révolutions n’ont qu’un motif et qu’un but : la jouissance de la liberté, ou pour un individu, ou pour quelques individus, ou pour tous.

Quand la liberté est conquise au profit d’un homme, elle devient le despotisme, lequel est la servitude de tous et la liberté d’un seul ; quand elle est conquise pour plusieurs, elle devient l’aristocratie ; quand elle est conquise pour tous, elle devient la démocratie, qui est l’oppression de tous par tous, car alors il y a confusion du pouvoir et de la liberté, du gouvernant et du gouverné.

Chez les anciens, la liberté était une religion : elle avait ses autels et ses sacrifices. Brutus lui immola ses fils ; Codrus lui sacrifia sa vie et son sceptre : elle était austère, rude, intolérante, capable des plus grandes vertus, comme toutes les fortes croyances, comme la foi.

Chez les modernes, la liberté est la raison ; elle est sans enthousiasme : on la veut parce qu’elle convient à tous, aux rois, dont elle assure la couronne en réglant le pouvoir, aux peuples, qui n’ont plus besoin de se précipiter dans les révolutions pour trouver ce qu’ils possèdent.

Venons à la vérité philosophique.

La vérité philosophique, que la liberté politique protège, lui apporte une nouvelle force ; elle fait monter les idées théoriques à la sommité des rangs sociaux et descendre les idées pratiques dans la classe laborieuse.

La vérité philosophique n’est autre chose que l’indépendance de l’esprit de l’homme : elle tend à découvrir, à perfectionner dans les trois sciences de sa compétence, la science intellectuelle, la science morale, la science naturelle ; celle-ci consiste dans la recherche de la constitution de la nature, depuis l’étude des lois qui régissent les mondes jusqu’à celles qui font végéter le brin d’herbe ou mouvoir l’insecte.

Mais la vérité philosophique, se portant vers l’avenir, s’est trouvée en contradiction avec la vérité religieuse, qui s’attache au passé parce qu’elle participe de l’immobilité de son principe éternel. Je parle ici de la vérité religieuse mal comprise, car je montrerai tout à l’heure que la vérité religieuse du christianisme rendu à sa sincérité n’est point ennemie de la vérité philosophique.

De l’ancienne lutte de la vérité philosophique avec la vérité politique et la vérité religieuse naît une immense série de faits. Chez les Grecs et les Romains, la vérité philosophique mina le culte national et échoua contre l’ordre moral et l’ordre politique : dans les républiques elle combattit en vain cette liberté servie par des esclaves, liberté privilégiée, égoïste, exclusive, qui ne voyait que des ennemis hors de sa patrie ; dans les empires, la vérité philosophique se laissa corrompre au pouvoir, et elle ignora les premières notions de la morale universelle.

Cette vérité a produit dans le monde moderne des événements et des catastrophes de toutes les espèces : l’indépendance de l’esprit de l’homme, tantôt manifestée par le soulèvement des peuples, tantôt par des hérésies, irrita la vérité religieuse qu’obscurcissait l’ignorance.

De là les guerres civiles, les proscriptions, l’accroissement du pouvoir temporel des prêtres et du despotisme des rois. La vérité religieuse s’endormait-elle, la vérité philosophique profitait de ce sommeil : elle racontait l’histoire, se glissait dans les lois civiles, intervenait dans les lois politiques ; elle attaquait indirectement la vérité religieuse, en reprochant au clergé son avidité, son ambition et ses mœurs ; elle combattait directement l’ordre établi, en faisant, même à l’ombre des cloîtres, ces découvertes qui devaient produire une révolution générale. L’imprimerie devint l’agent principal des idées, jusque alors dépourvues d’organes intelligibles à la foule. Alors la vérité philosophique, se trouvant pour la première fois puissance populaire, se jeta sur la vérité religieuse, qu’elle fut au moment d’étouffer.

Aujourd’hui la vérité philosophique n’est plus en guerre avec la vérité religieuse et la vérité politique : la liberté moderne sans esclaves, sans intolérance, est une liberté qui coïncide à la vérité philosophique ; de sorte que l’indépendance de l’esprit de l’homme, hostile dans les vieux temps à la société religieuse et politique, l’aide et la soutient aujourd’hui. Les lumières propagées composent maintenant des annales particulières des peuples les annales générales des hommes ; l’écrivain doit désormais faire marcher de front l’histoire de l’espèce et l’histoire de l’individu.

Passons à la vérité religieuse, à savoir la connaissance d’un Dieu unique manifestée par un culte.

Cette vérité a fait jusque ici le principal mouvement de l’espèce humaine ; elle se trouve au commencement de toutes les sociétés ; elle en fut la première loi ; elle renferma dans son sein la vérité philosophique et la vérité politique : les hommes l’altérèrent promptement.

La vérité philosophique maintint, par la voie des initiations, des lumières religieuses qu’elle brouillait par ses doctrines spéculatives. Les platoniciens et les stoïciens créèrent quelques hommes de contemplation, d’intelligence, de morale et de vertu, mais les écoles furent livrées à la dérision ; on se moqua des péripatéticiens, qui s’adonnaient aux sciences naturelles ; on ne se proposa point d’aller habiter la ville demandée à Gallien, pour être gouvernée d’après les lois de Platon. Les philosophes, ou supportant le culte de leur siècle, ou voulant conduire les peuples par des idées abstraites, tombaient dans leurs erreurs communes, ou n’avaient aucune prise sur la foule. Ils ignoraient ce qui rend compte de tout, le christianisme. Ceci nous amène à parler de la vérité religieuse selon les peuples modernes civilisés, de cette vérité qui a engendré la plupart des événements, depuis la naissance du Christ, jusqu’au jour où nous sommes parvenus.

Le christianisme, dont l’ère ne commence qu’au milieu des temps, est né dans le berceau du monde. L’homme nouvellement créé pèche par orgueil, et il est puni ; il a abusé des lumières de la science, et il est condamné aux ténèbres du tombeau. Dieu avait fait la vie ; l’homme a fait la mort, et la mort devient la seule nécessité de l’homme.

Mais toute faute peut être expiée : un holocauste divin s’offrira en sacrifice ; l’homme racheté retournera à ses fins immortelles.

Tel est le fondement du christianisme. A la clarté de ce système, les mystères de l’homme se dévoilent, le mal moral et le mal physique s’expliquent ; on n’est plus obligé de nier l’existence de Dieu et celle de l’âme, afin d’éclaircir les difficultés par les lois de la matière, qui n’éclaircissent rien, et qui sont plus incompréhensibles que celles de l’intelligence.

La solidarité de l’espèce pour la faute de l’individu tient à de hautes raisons qui en détruisent l’apparente injustice. C’est une des grandeurs de l’homme d’être enchaîné au bien en punition d’une première rébellion : les fils d’Adam, travaillant ensemble à devenir meilleurs pour échapper à la faute du commun père, ne produiraient-ils pas la réhabilitation de la race ? Sans la solidarité de la famille, d’où naîtraient notre sympathie et notre antipathie pour les résolutions généreuses ou contre les mauvaises actions ? Que nous importeraient le vice ou la vertu placés à trois mille ans ou à trois mille lieues de nous ? Et toutefois, y sommes-nous indifférents ? ne sentons-nous pas qu’ils nous intéressent, nous touchent, nous affectent en quelque chose de personnel et d’intime ?

La postérité d’Adam se divisa en deux branches ; la branche cadette, celle d’Abel, conserva l’histoire de la chute et de la rédemption promise ; le reste, avec le premier meurtrier, en perdit le souvenir, et garda néanmoins des usages qui consacraient une vérité oubliée. Le sacrifice humain se rencontre chez tous les peuples, comme s’ils avaient tous senti qu’ils se devaient rédimer ; mais ils étaient eux-mêmes insuffisants à leur rançon. Il s’établit une libation de sang perpétuelle ; la guerre le répandit ainsi que la loi, l’homme s’arrogea sur la vie de l’homme un droit qu’il n’avait pas, droit qui prit sa source dans l’idée confuse de l’expiation et du rachat religieux. La rédemption s’étant accomplie dans l’immolation du Christ, la peine de mort aurait du être abolie ; elle ne s’est perpétuée que par une sorte de crime légal. Le Christ avait dit dans un sens absolu : Vous ne tuerez pas.

Bossuet a fait de la vérité religieuse le fondement de tout ; il a groupé les faits autour de cette vérité unique avec une incomparable majesté. Rien ne s’est passé dans l’univers que pour l’accomplissement de la parole de Dieu ; l’histoire des hommes n’est à l’évêque de Meaux que l’histoire d’un homme, le premier-né des générations pétri de la main, animé par le souffle du Créateur, homme tombé, homme racheté avec sa race, et capable désormais de remonter à la hauteur du rang dont il est descendu. Bossuet dédaigne les documents de la terre ; c’est dans le ciel qu’il va chercher ses chartes. Que lui fait cet empire du monde, présent de nul prix, comme il le dit lui-même ? S’il est partial, c’est pour le monde éternel : en écrivant au pied de la croix, il écrase les peuples sous le signe du salut, comme il asservit les événements à la domination de son génie.

Entre Adam et le Christ, entre le berceau du monde placé sur la montagne du paradis terrestre et la croix élevée sur le Golgotha, fourmillent des nations abîmées dans l’idolâtrie, frappées de la déchéance du père de famille. Elles sont peintes en quelques traits avec leurs vices et leurs vertus, leurs arts et leur barbarie, de manière à ce que ces nations mortes deviennent vivantes : le nouvel Ezéchiel souffle sur des ossements arides, et ils ressuscitent. Mais au milieu de ces nations est un petit peuple qui perpétue la tradition sacrée, et fait entendre de temps en temps des paroles prophétiques. Le Messie vient ; la race vendue finit, la race rachetée commence ; Pierre porte à Rome les pouvoirs du Christ ; il y a rénovation de l’univers.

On peut adopter le système historique de ce grand homme, mais avec une notable rectification : Bossuet a renfermé les événements dans un cercle rigoureux comme son génie ; tout se trouve emprisonné dans un christianisme inflexible. L’existence de ce cerceau redoutable, où le genre humain tournerait dans une sorte d’éternité sans progrès et sans perfectionnement, n’est heureusement qu’une imposante erreur.

La société est un dessein de Dieu ; c’est par le Christ, selon Bossuet, que Dieu accomplit ce dessein ; mais le christianisme n’est point un cercle inextensible, c’est au contraire un cercle qui s’élargit à mesure que la civilisation s’étend ; il ne comprime, il n’étouffe aucune science, aucune liberté.

Le dogme qui nous apprend que l’homme dégradé retrouvera ses fins glorieuses présente un sens spirituel et un sens temporel : par le premier, l’âme paraîtra devant Dieu lavée de la tache originelle ; par le second, l’homme est réintégré dans les lumières qu’il avait perdues en se livrant à ses passions, cause de sa chute. Rien ainsi ne se plie de force à mon système, ou plutôt au système de Bossuet rectifié ; c’est ce système qui se plie aux événements et qui enveloppe la société en lui laissant la liberté d’action.

Le christianisme sépare l’histoire du genre humain en deux portions distinctes depuis la naissance du monde jusqu’à Jésus-Christ, c’est la société avec des esclaves, avec l’inégalité des hommes entre eux, l’inégalité sociale de l’homme et de la femme ; depuis Jésus-Christ jusqu’à nous, c’est la société avec l’égalité des hommes entre eux, l’égalité sociale de l’homme et de la femme, c’est la société sans esclaves ou du moins sans le principe de l’esclavage.

L’histoire de la société moderne commence donc véritablement de ce côté-ci de la croix. Pour la bien connaître, il faut voir en quoi cette société différa dès l’origine de la société païenne, comment elle la décomposa, quels peuples nouveaux se mêlèrent aux chrétiens pour précipiter la puissance romaine, pour renverser l’ordre religieux et politique de l’ancien monde.

Si l’on envisage le christianisme dans toute la rigueur de l’orthodoxie, en faisant de la religion catholique l’achèvement de toute société, quel plus grand spectacle que le commencement et l’établissement de cette religion ?

Voici tout d’abord ce que l’on aperçoit.

A mesure que le polythéisme tombe et que la révélation se propage, les devoirs de la famille et les droits de l’homme sont mieux connus ; mais décidément l’empire des césars est condamné, et il ne reçoit les semences de la vraie religion qu’afin que tout ne périsse pas dans son naufrage. Les disciples du Christ, qui préparent à la société un moyen de salut intérieur, lui en ménagent un autre à l’extérieur : ils vont chercher au loin, pour les désarmer, les héritiers du monde romain.

Ce monde était trop corrompu, trop rempli de vices, de cruautés, d’injustices, trop enchanté de ses faux dieux et de ses spectacles, pour qu’il pût être entièrement régénéré par le christianisme. Une religion nouvelle avait besoin de peuples nouveaux ; il fallait à l’innocence de l’Évangile l’innocence des hommes sauvages, à une foi simple des cœurs simples comme cette foi.

Dieu ayant arrêté ses conseils, les exécute. Rome, qui n’aperçoit à ses frontières que des solitudes, croit n’avoir rien à craindre ; et nonobstant, c’est dans ces camps vides que le Tout-Puissant rassemble l’armée des nations. Plus de quatre cents ans sont nécessaires pour réunir cette innombrable armée, bien que les barbares, pressés comme les flots de la mer, se précipitent au pas de course. Un instinct miraculeux les conduit ; s’ils manquent de guides les bêtes des forêts leur en servent : ils ont entendu quelque chose d’en haut qui les appelle du septentrion et du midi, du couchant et de l’aurore. Qui sont-ils ? Dieu seul sait leurs véritables noms. Aussi inconnus que les déserts dont ils sortent, ils ignorent d’où ils viennent, mais ils savent où ils vont : ils marchent au Capitole, convoqués qu’ils se disent à la destruction de l’Empire Romain, comme à un banquet.

La Scandinavie, surnommée la fabrique des nations, fut d’abord appelée à fournir ses peuples ; les Cimbres traversèrent les premiers la Baltique ; ils parurent dans les Gaules et dans l’Italie, comme l’avant-garde de l’armée d’extermination.

Un peuple qui a donné son nom à la Barbarie elle-même, et qui pourtant fut prompt à se civiliser, les Goths sortirent de la Scandinavie après les Cimbres, qu’ils en avaient peut-être chassés. Ces intrépides barbares s’accrurent en marchant ; ils réunirent par alliance ou par conquête les Bastarnes, les Venèdes, les Sariges, les Roxalans, les Slaves et les Alains : les Slaves s’étendaient derrière les Goths dans les plaines de la Pologne et de la Moscovie, les Alains occupaient les terres vagues entre le Volga et le Tanaïs.

En se rapprochant des frontières romaines, les Allamans (Allemands), qui sont peut-être une partie des Suèves de Tacite, ou une confédération de toutes sortes d’hommes, se plaçaient devant les Goths, et touchaient aux Germains proprement dits, qui bordaient les rives du Rhin. Parmi ceux-ci se trouvaient sur le haut Rhin des nations d’origine gauloise, et sur le Rhin inférieur des tribus germaines, lesquelles, associées pour maintenir leur indépendance, se donnaient le nom de Franks. Or donc cette grande division des soldats du Dieu vivant, formée des quatre lignes des Slaves, des Goths, des Allamans, des Germains avec tous leurs mélanges de noms et de races, appuyait son aile gauche à la mer Noire, son aile droite à la mer Baltique, et avait sur son front le Rhin et le Danube, faibles barrières de l’Empire Romain.

Le même bras qui soulevait les nations du pôle chassait des frontières de la Chine les hordes de Tartares appelées au rendez-vous[1]. Tandis que Néron versait le premier sang chrétien à Rome, les ancêtres d’Attila cheminaient silencieusement dans les bois ; ils venaient prendre poste à l’orient de l’empire, n’étant, d’un côté, séparés des Goths que par les Palus-Méotides, et joignant, de l’autre, les Perses qu’ils avaient à demi subjugués. Les Perses continuaient la chaîne avec les Arabes ou les Sarrasins en Asie : ceux-ci donnaient en Afrique la main aux tribus errantes du Bargah et du Sahara, et celles-là aux Maures de l’Atlas, achevant d’enfermer dans un cercle de peuples vengeurs et ces dieux qui avaient envahi le ciel, et ces Romains qui avaient opprimé la terre.

Ainsi se présente le christianisme dans les quatre premiers siècles de notre ère, en le contemplant avec la persuasion de sa divine origine ; mais si, secouant le joug de la foi, vous vous placez à un autre point de vue, vous changez la perspective, sans lui rien ôter de sa grandeur.

Que ce soit un certain produit de la civilisation et de la maturité des temps, un certain travail des siècles, une certaine élaboration de la morale et de l’intelligence, un certain composé de diverses doctrines, de divers systèmes métaphysiques et astronomiques, le tout enveloppé dans un symbole afin de le rendre sensible au vulgaire ; que ce soit l’idée religieuse innée, laquelle, après avoir erré d’autels en autels, de prêtres en prêtres, s’est enfin incarnée ; mythe le plus pur, éclectisme des grandes civilisations philosophiques de l’Inde, de la Perse, de la Judée, de l’Egypte, de l’Ethiopie, de la Grèce, et des Gaules, sorte de christianisme universel existant avant le christianisme judaïque, et au delà duquel il n’y a rien que l’essence même de la philosophie ; que ce soit ce que l’on voudra pour s’élever au-dessus de la simple foi (apparemment par supériorité de science, de raison et de génie), il n’en est pas moins vrai que le christianisme ainsi dénaturé, interprété, allégorisé, est encore la plus grande révolution advenue chez les hommes.

Le livre de l’histoire moderne vous restera fermé si vous ne considérez le christianisme ou comme une révélation, laquelle a opéré une transformation sociale, ou comme un progrès naturel de l’esprit humain vers la grande civilisation : système théocratique, système philosophique, ou l’un et l’autre à la fois, lui seul vous peut initier au secret de la société nouvelle.

Admettre, selon l’opinion du dernier siècle, que la religion évangélique est une superstition juive, qui se vint mêler aux calamités de l’invasion des barbares ; que cette superstition détruisit le culte poétique, les arts, les vertus de l’antiquité ; qu’elle précipita les hommes dans les ténèbres de l’ignorance ; qu’elle s’opposa au retour des lumières et causa tous les maux des nations, c’est appliquer la plus courte échelle à des dimensions colossales, c’est fermer les yeux au fait dominateur de toute cette époque. Le siècle sérieux où nous sommes parvenus a peine à concevoir cette légèreté du jugement, ces vues superficielles de l’âge qui nous a précédés. Une religion qui a couvert le monde de ses institutions et de ses monuments ; une religion qui fut le sein et le moule dans lequel s’est formée et façonnée notre société tout entière, n’aurait-elle eu d’autres fins, d’autres moyens d’action, que la prospérité d’un couvent, les richesses d’un clergé, les cartulaires d’une abbaye, les canons d’un concile, ou l’ambition d’un pape ?

Les résultats du christianisme sont tout aussi extraordinaires philosophiquement que théologiquement parlant. Décidez-vous entre le choix des merveilles.

Et d’abord le christianisme philosophique est la religion intellectuelle substituée à la religion matérielle, le culte de l’idée remplaçant celui de la forme : de là un différent ordre dans le monde des pensées, une différente manière de déduire et d’exercer la vérité religieuse. Aussi, remarquez-le, partout où le christianisme a rencontré une religion matérielle, il en a triomphé promptement : tandis qu’il n’a pénétré qu’avec lenteur dans les pays où régnaient des religions d’une nature spirituelle comme lui : aux Indes il livre de longs combats métaphysiques, pareils à ceux qu’il rendit contre les hérésies ou contre les écoles de la Grèce.

Tout change avec le christianisme (à ne le considérer toujours que comme un fait humain) ; l’esclavage cesse d’être le droit commun ; la femme reprend son rang dans la vie civile et sociale ; l’égalité, principe inconnu des anciens, est proclamée. La prostitution légale, l’exposition des enfants, le meurtre autorisé dans les jeux publics et dans la famille, l’arbitraire dans le supplice des condamnés, sont successivement extirpés des codes et des mœurs. On sort de la civilisation puérile, corruptrice, fausse et privée de la société antique, pour entrer dans la route de la civilisation raisonnable, morale, vraie et générale de la société moderne : on est allé des dieux à Dieu.

Il n’y a qu’un seul exemple dans l’histoire d’une transformation complète de la religion d’un peuple dominateur et civilisé : cet exemple unique se trouve dans l’établissement du christianisme, sur les débris des idolâtries dont l’Empire Romain était infecté. Sous ce seul rapport, quel esprit un peu grave ne s’enquerrait de ce phénomène ? Le christianisme ne vint point pour la société, ainsi que Jésus-Christ vient pour les âmes, comme un voleur ; il vint en plein jour, au milieu de toutes les lumières, au plus haut période de la grandeur latine. Ce n’est point une horde des bois qu’il va d’abord attaquer (là, il ira aussi quand il le faudra) ; c’est aux vainqueurs du monde, c’est à la vieille civilisation de la Judée, de l’Egypte, de la Grèce et de l’Italie, qu’il porte ses coups. En moins de trois siècles la conquête s’achève, et le christianisme dépasse les limites de l’Empire Romain. La cause efficiente de son succès rapide et général est celle-ci : le christianisme se compose de la plus haute et de la plus abstraite philosophie par rapport à la nature divine, et de la plus parfaite morale relativement à la nature humaine ; or ces deux choses ne s’étaient jamais trouvées réunies dans une même religion ; de sorte que cette religion convint aux écoles spéculatives et contemplatives dont elle remplaçait les initiations, à la foule policée dont elle corrigeait les mœurs, à la population barbare dont elle charmait la simplicité et tempérait la fougue.

Si le dogme de l’unité d’un Dieu a pu remplacer les absurdités du polythéisme, c’est-à-dire si une vérité a pris la place d’un mensonge, qui ne voit que, la pierre angulaire de l’édifice social étant changée, les lois, matériaux élevés sur cette pierre, ont dû s’assimiler à la substance élémentaire de leur nouveau fondement ?

Comment cela s’est-il opéré ? quelle a été la lutte des deux religions ? que se sont-elles prêté ? que se sont-elles enlevé ? Comment le christianisme passé de son âge héroïque à son âge d’intelligence, du temps de ses intrépides martyrs au temps de ses grands génies, comment a-t-il vaincu les bourreaux et les philosophes ? Comment a-t-il pénétré à la fois tous les entendements, tous les usages, toutes les mœurs, tous les arts, toutes les sciences, toutes les lois criminelles, civiles et politiques ?

Comment les deux sexes se partagèrent-ils les postes dans l’action générale ? Quelle fut l’influence des femmes dans l’établissement du christianisme ? N’est-ce pas aux controverses religieuses, à la nécessité où les fidèles se trouvèrent de se défendre, qu’est due la liberté de la parole écrite, l’empire du monde étant le prix offert à la pensée victorieuse ?

Quel fut l’effet sous Constantin de l’avènement de la monarchie de l’Église, bien à distinguer de la république chrétienne ? Que produisit le mouvement réactionnaire du paganisme sous Julien ? Qu’arriva-t-il lors de la transposition complète des deux cultes sous Théodose ? Quelle analogie les hérésies du christianisme eurent-elles avec les diverses sectes de la philosophie ? A part le mal qu’elles purent faire, les hérésies n’ont-elles pas servi à prévenir la complète barbarie, en tenant éveillée la faculté la plus subtile de l’esprit, au milieu des âges les plus grossiers ?

Le principe des institutions modernes ne se rattache-t-il pas au règne de Constantin, cinq siècles plus haut qu’on ne le suppose ordinairement ? L’Empire d’Occident a-t-il été détruit par une invasion subite des barbares, ou n’a-t-il succombé que sous des barbares déjà chrétiens et romains ? Quel était l’état de la propriété au moment de la chute de l’Empire d’Occident ? La grande propriété se compose par la conquête et la barbarie, et se décompose par la loi et la civilisation : quel a été le mouvement de cette propriété, et comment a-t-elle changé successivement l’état des personnes ? Toutes ces choses, et beaucoup d’autres qui se développeront dans le cours de ces Etudes, n’ont point encore été examinées d’assez près.

Il y a dans l’histoire prise au pied de la croix et conduite jusqu’à nos jours de grandes erreurs à dissiper, de grandes vérités à établir, de grandes justices à faire. Sous l’empire du christianisme la lutte des intelligences et de la légitimité contre les ignorances et les usurpations cesse par degrés ; les vérités politiques se découvrent et se fixent ; le gouvernement représentatif, que Tacite regarde comme une belle chimère, devient possible ; les sciences, demeurées presque stationnaires, reçoivent une impulsion rapide de cet esprit d’innovation que favorise l’écoulement du vieux monde. Le christianisme lui-même, s’épurant après avoir passé à travers les siècles de superstition et de force, devient chez les nations nouvelles le perfectionnement même de la société.

Il fut pourtant calomnié ; on le peignit à Marc-Aurèle comme une faction, à ses successeurs comme une école de perversité ; dans la suite l’hypocrisie défigura quelquefois l’œuvre de vérité ; on voulut rendre fanatique, persécuteur, ennemi des lettres et des arts, ennemi de toute liberté, ce qui est la tolérance, la charité, la liberté, le flambeau du génie. Loin de faire rétrograder la science, le christianisme, débrouillant le chaos de notre être, a montré que la race humaine, qu’on supposait arrivée à sa virilité chez les anciens, n’était encore qu’au berceau. Le christianisme croît et marche avec le temps ; lumière quand il se mêle aux facultés de l’esprit, sentiment quand il s’associe aux mouvements de l’âme ; modérateur des peuples et des rois, il ne combat que les excès du pouvoir, de quelque part qu’ils viennent ; c’est sur la morale évangélique, raison supérieure, que s’appuie la raison naturelle dans son ascension vers le sommet élevé qu’elle n’a point encore atteint. Grâce à cette morale, nous avons appris que la civilisation ne dépouille pas l’homme de l’indépendance et qu’il y a une liberté née des lumières, comme il y a une liberté fille des mœurs.

Les barbares avaient à peine paru aux frontières de l’empire, que le christianisme se montra dans son sein. La coïncidence de ces deux événements, la combinaison de la force intellectuelle et de la force matérielle pour la destruction du monde païen est un fait où se rattache l’origine d’abord inaperçue de l’histoire moderne. Quelques invasions promptement repoussées, une religion inconnue se répandant parmi des esclaves pouvaient-elles attirer les regards des maîtres de la terre ? Les philosophes pouvaient-ils deviner qu’une révolution générale commençait ? Et cependant ils ébranlaient aussi les anciennes idées ; ils altéraient les croyances, ils les détruisaient dans les classes supérieures de la société à l’époque où le christianisme sapait les fondements de ces croyances, de ces idées, dans les classes inférieures. La philosophie et le christianisme attaquant le vieil ordre de l’univers par les deux bouts, marchant l’un vers l’autre en dispersant leurs adversaires, se rencontrèrent face à face après leur victoire. Ces deux contendants avaient pris quelque chose l’un de l’autre dans leur assaut contre l’ennemi commun ; ils s’étaient cédé des hommes et des doctrines ; mais quand, vers le milieu du IVe siècle, il fallut non partager mais assumer l’empire de l’opinion, le christianisme, bien qu’arrivé au trône, se trouva en même temps revêtu de la force populaire ; la philosophie n’était armée que du pouvoir des tyrans : Julien livra le dernier combat, et fut vaincu. Brisant de toutes parts les barrières, les hordes des bois accoururent se faire baptiser aux amphithéâtres, naguère arrosés du sang des martyrs. Le christianisme était alors démocratique chez la foule romaine, chez les grands esprits émancipés et parmi les tribus sauvages : le genre humain revenait à la liberté par la morale et la barbarie.

Voilà ce qu’il faut retracer avant d’entrer dans l’histoire particulière de nos pères ; je vais essayer de vous peindre ces trois mondes cœxistant confusément le monde païen ou le monde antique, le monde chrétien, le monde barbare ; espèce de trinité sociale dont s’est formée la société unique qui couvre aujourd’hui la terre civilisée.

Résumons l’exposition du système qui m’a paru le plus approprié aux lumières du présent, et qui me semble le mieux concilier nos deux écoles historiques. Je pars du principe de l’ancienne école, pour arriver à la conséquence de l’école moderne : comme on ne peut pas plus détruire le passé que l’avenir, je me place entre eux, n’accordant la prééminence ni au fait sur l’idée, ni à l’idée sur le fait.

J’ai cherché les principes générateurs des faits ; ces principes sont la vérité religieuse, la vérité philosophique avec ses trois branches, la vérité politique.

La vérité politique n’est que l’ordre et la liberté, quelles que soient les formes.

La vérité philosophique est l’indépendance de l’esprit de l’homme ; elle a combattu autrefois la vérité politique et surtout la vérité religieuse ; principe de destruction dans l’ancienne société, elle est principe de durée dans la société nouvelle, parce qu’elle se trouve d’accord avec la vérité politique et la vérité religieuse perfectionnées.

La vérité religieuse est la connaissance d’un Dieu unique manifestée par un culte. Le vrai culte est celui qui explique le mieux la nature de la Divinité et de l’homme ; par cette seule raison le christianisme est la religion véritable.

Soit qu’on le regarde avec les yeux de la foi ou avec ceux de la philosophie, le christianisme a renouvelé la face du monde.

Le christianisme n’est point le cercle inflexible de Bossuet ; c’est un cercle qui s’étend à mesure que la société se développe ; il ne comprime rien, il n’étouffe rien, il ne s’oppose à aucune lumière, à aucune liberté.

Tel est le squelette qu’il s’agit de couvrir de chair. Pour vous introduire dans le labyrinthe de l’histoire moderne, je vous ai armé des fils qui doivent vous conduire : la prédication de l’Évangile, ou l’initiation générale des hommes à la vérité intellectuelle et à la vérité morale ; la venue des barbares.

Deux grandes invasions de ces peuples sont à distinguer : la première commence sous Dèce, et s’arrête sous Aurélien ; à cette époque les barbares, presque tous païens, se jetèrent en ennemis sur l’empire ; la seconde invasion eut lieu pendant le règne de Valentinien et de Valens : alors convertis en partie au christianisme, les barbares entrèrent dans le monde civilisé comme suppliants, hôtes ou alliés des césars. Appelés pendant trois siècles par la faiblesse de l’Etat et par les factions, soutenant les divers prétendants de l’empire, ils se battirent les uns contre les autres au gré des maîtres qui les payaient et qu’ils écrasèrent : tantôt enrôlés dans les légions, dont ils devenaient les chefs ou les soldats, tantôt esclaves, tantôt dispersés en colonies militaires, ils prenaient possession de la terre avec l’épée et la charrue. Ce n’était toutefois que rarement et à contrecœur qu’ils labouraient : pour engraisser les sillons, ils trouvaient plus court d’y verser le sang d’un Romain que d’y répandre leurs sueurs.

Or, il convient de savoir où en était l’empire lorsque arrivèrent les deux invasions générales de ces peuples, nos ancêtres. peuples qui n’étaient pas même indiqués dans les géographies : ils habitaient au delà des limites du monde connu de Strabon, de Pline, de Ptolémée, un pays ignoré ; force fut de les placer sur la carte quand Alaric et Genseric eurent écrit leurs noms au Capitole.

 

Première partie : de Jules César à Dèce ou Decius

Après avoir prêché l’Évangile, Jésus-Christ laisse sa croix sur la terre : c’est le monument de la civilisation moderne. Du pied de cette croix, plantée à Jérusalem, partent douze législateurs, pauvres, nus, un bâton à la main, pour enseigner les nations et renouveler la face des royaumes.

Les lois de Lycurgue n’avaient pu soutenir Sparte, la religion de Numa n’avait pu faire durer la vertu de Rome au delà de quelques centaines d’années ; un pêcheur, envoyé par un faiseur de jougs et de charrues, vient établir au Capitole cet empire qui compte déjà dix-huit siècles, et qui, selon ses prophéties, ne doit point finir.

Depuis longtemps Rome républicaine avait répudié la liberté, pour devenir la concubine des tyrans : la grandeur de son premier divorce lui a du moins servi d’excuse. César est l’homme le plus complet de l’histoire, parce qu’il réunit le triple génie du politique, de l’écrivain et du guerrier. Malheureusement César fut corrompu comme son siècle : s’il fût né au temps des mœurs, il eût été le rival des Cincinnatus et des Fabricius, car il avait tous les genres de force. Mais quand il parut à Rome, la vertu était passée ; il ne trouva plus que la gloire ; il la prit, faute de mieux.

Auguste (An de R 725 ; An de J.-C. 29), héritier de César, n’était pas de cette première race d’hommes qui font les révolutions ; il était de cette race secondaire qui en profite, et qui pose avec adresse le couronnement de l’édifice dont une main plus forte a creusé les fondements : il avait à la fois l’habileté et la médiocrité nécessaires au maniement des affaires, qui se détruisent également par l’entière sottise ou par la complète supériorité.

La terreur qu’Auguste avait d’abord inspirée lui servit : les partis tremblants se turent ; quand ils virent l’usurpateur faire légitimer son autorité par le sénat[2], maintenir la paix, ne persécuter personne, se donner pour successeur au consulat un ancien ami de Brutus, ils se réconcilièrent avec leurs chaînes. L’astucieux empereur affectait les formes républicaines ; il consultait Agrippa, Mécène, et peut-être Virgile[3], sur le rétablissement de la liberté, en même temps qu’il envahissait tous les pouvoirs[4], se faisait investir de la puissance législative[5], et instituait les gardes prétoriennes[6]. Il chargea les muses de désarmer l’histoire, et le monde a pardonné l’ami d’Horace.

Les limites de l’empire romain furent ainsi fixées par Auguste[7] :

Au nord, le Rhin et le Danube ;

A l’orient l’Euphrate ;

Au midi, la haute Egypte, les déserts de l’Afrique et le mont Atlas ;

A l’occident, les mers d’Espagne et des Gaules. Trajan subjugua la Dacie au nord du Danube[8], la Mésopotamie et l’Arménie à l’est de l’Euphrate ; mais ces dernières conquêtes furent abandonnées par Adrien. Agricole acheva, sous le règne de Domitien, de soumettre la Grande-Bretagne[9] jusqu’aux deux golfes entre Dunbritton et Edimbourg.

Sous Auguste et sous Tibère, l’empire entretenait vingt-cinq légions[10] ; elles furent portées à trente sous le règne d’Adrien[11]. Le nombre de soldats qui composaient la légion ne fut pas toujours le même ; en le fixant à douze mille cinq cents hommes, on trouvera qu’un si vaste Etat n’était gardé du temps des premiers empereurs que par trois cent vingt-deux mille cinq cents, et ensuite par trois cent soixante-quinze mille hommes. Six mille huit cent trente et un Romains proprement dits et cinq mille six cent soixante-neuf alliés ou étrangers formaient le complet de la légion : sous la tyrannie, ce n’était plus Rome, c’étaient les provinces qui fournissaient les Romains. Les Celtibériens furent les premières troupes salariées introduites dans les légions[12]. Rome avait combattu elle-même pour sa liberté ; elle confia à des mercenaires le soin de défendre son esclavage.

Seize légions bordaient le Rhin et le Danube[13] ; deux étaient cantonnées dans la Dacie, trois dans la Mésie, quatre dans la Pannonie, une dans la Norique, une dans la Rhétie, trois dans la haute et deux dans la basse Germanie ; la Bretagne était occupée par trois légions ; huit légions, dont six séjournaient en Syrie et deux en Cappadoce, suffisaient à la tranquillité de l’Orient. L’Egypte, l’Afrique et l’Espagne se maintenaient en paix, chacune sous la police d’une légion. Seize mille hommes de cohortes de la ville et des gardes prétoriennes[14] protégeaient en Italie le double monument de la liberté et de la servitude, le Capitole et le palais des Césars.

Trois flottes, la première à Ravenne, la seconde à Misène, la troisième à Fréjus, veillaient à la sûreté de la Méditerranée orientale et occidentale[15] : une quatrième commandait l’Océan, entre la Bretagne et les Gaules, une cinquième couvrait le Pont-Euxin, et des barques montées par des soldats stationnaient sur le Rhin et le Danube[16] : telle était la force régulière de l’empire. Cette force, accrue graduellement, ne s’élevait pas toutefois au delà de quatre cent cinquante mille hommes, au moment où des myriades de barbares se préparaient à l’attaquer. Il est vrai que tout Romain était réputé soldat, et que dans certaines occasions on avait recours aux levées extraordinaires connues sous le nom de conjuration ou d’évocation, et exécutées par les conquisitores[17]. On arborait dans ce cas du tumulte deux pavillons au Capitole, un rouge, pour rassembler les fantassins, l’autre bleu, pour réunir les cavaliers.

Une ligne de postes fortifiés, surtout au bord du Rhin et du Danube, dans certains endroits des murailles, des manufactures d’armes placées à distance convenable, complétaient le système défensif des Romains. Ce système changea peu depuis le règne d’Auguste jusqu’à celui de Dèce. On ajouta seulement à la défense ce que l’expérience avait fait juger utile.

Sous Auguste s’alluma cette guerre de la Germanie où Varus perdit ses légions.

Lorsque Auguste entrait dans son douzième consulat, et que Caïus César était déclaré prince de la jeunesse, que se passait-il dans un petit coin de la Judée ?

Vers ce même temps, on publia un édit de César Auguste pour faire le dénombrement des habitants de toute la terre.

Joseph partit aussi de la ville de Nazareth, qui était en Galilée, et vint en Judée à la ville de David, appelée Bethléem, parce qu’il était de la maison et de la famille de David ;

Pour se faire enregistrer avec Marie, son épouse, qui était grosse.

Pendant qu’ils étaient en ce lieu, il arriva que le temps auquel elle devait accoucher s’accomplit.

Et elle enfanta son fils premier-né ; et l’ayant emmailloté, elle le coucha dans une crèche, parce qu’il n’y avait point de place pour eux dans l’hôtellerie.

Or, il y avait aux environs des bergers qui passaient la nuit dans les champs, veillant tour à tour à la garde de leur troupeau.

Et tout d’un coup un ange du Seigneur se présenta à eux, et une lumière divine les environna, ce qui les remplit d’une extrême crainte.

Alors l’ange leur dit : Ne craignez point, car je vous viens apporter une nouvelle qui sera pour tout le peuple le sujet d’une grande joie.

C’est qu’aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ.

Ces merveilles furent inconnues à la cour d’Auguste, où Virgile chantait un autre enfant : les fictions de sa muse n’égalaient pas la pompe des réalités dont quelques bergers étaient témoins. Un enfant de condition servile, de race méprisée, né dans une étable à Bethléem (An de R. 754. An de J.-C. 1er.), voilà un singulier maître du monde, et dont Rome eût été bien étonnée d’apprendre le nom ! Et c’est néanmoins à partir de la naissance de cet enfant qu’il faut changer la chronologie et dater la première année de l’ère moderne[18].

Tibère (An de J.-C. 14.), successeur d’Auguste, ne se donna pas comme lui la peine de séduire les Romains ; il les opprima franchement, et les contraignit à le rassasier de servitude. En lui commença cette suite de monstres nés de la corruption romaine.

Le premier dans l’ordre des temps, il fut aussi le plus habile ; tout dégénère, même la tyrannie : des tyrans actifs on arrive aux tyrans fainéants.

Tibère étendit le crime de lèse-majesté qu’avait inventé Auguste. Ce crime devint une loi de finances, d’où naquit la race des délateurs ; nouvelle espèce de magistrature, que Domitien déclara sacrée sous la justice des bourreaux[19].

Tibère sacrifia les droits du peuple aux sénateurs, et les personnes des sénateurs au peuple, parce que le peuple, pauvre et ignorant, n’avait de force que dans ses droits, et que les sénateurs, riches et instruits, ne tiraient leur puissance que de leur valeur personnelle.

Tibère mêlait à ses autres défauts celui des petites âmes, la haine pour les services qu’on lui avait rendus, et la jalousie du mérite : le talent inquiète la tyrannie ; faible, elle le redoute comme une puissance ; forte, elle le hait comme une liberté.

Les mœurs de Tibère étaient dignes du reste de sa vie ; mais on se taisait sur ses mœurs, car il appelait ses crimes au secours de ses vices : la terreur lui faisait raison du mépris.

La guerre des Germains continua sous ce prince ; elle servit aux victoires de Germanicus, et celles-ci préparèrent le poison qui les devait expier. Les triomphes de Germanicus lui coûtèrent la vie : il mourut de sa gloire, si j’ose parler ainsi.

L’année où sa veuve, la première Agrippine, après de longues souffrances, alla le rejoindre dans la tombe, le Fils de l’Homme achevait sa mission : il rapportait aux peuples la religion, la morale et la liberté au moment où elles expiraient sur la terre.

Cependant la mère de Jésus et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie-Madeleine, se tenaient auprès de sa croix.

Jésus ayant donc vu sa mère, près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : Femme, voilà votre Fils.

Puis il dit au disciple : Voilà votre mère. Et depuis cette heure-là ce disciple la prit chez lui.

Après, Jésus sachant que toutes choses étaient accomplies, afin qu’une parole de l’Ecriture s’accomplît encore il dit : J’ai soif.

Et comme il y avait là un vase plein de vinaigre, les soldats en emplirent une éponge, et, l’environnant d’hysope, la lui présentèrent à la bouche.

Jésus, ayant donc pris le vinaigre, dit : Tout est accompli. Et baissant la tête, il rendit l’esprit.

A cette narration, on ne sent plus le langage et les idées des historiens grecs et romains ; on entre dans des régions inconnues. Deux mondes étrangement divers se présentent ici à la fois : Jésus-Christ sur la croix, Tibère (An de J.-C. 33.) à Caprée.

La publication de l’Évangile commença le jour de la Pentecôte de cette même année. L’Église de Jérusalem prit naissance : les sept diacres, Etienne, Philippe, Prochore, Nicanor, Timon, Parmenas et Nicolas, furent élus[20]. Le premier martyre eut lieu dans la personne de saint Etienne ; la première hérésie se déclara par Simon le magicien[21], et fut suivie de celle d’Apollonius de Tyane. Saul, de persécuteur qu’il était, devint l’apôtre des gentils sous le grand nom de Paul. Pilate envoya à Rome les actes du procès du fils de Marie ; Tibère proposa au sénat de mettre Jésus-Christ au nombre des dieux[22]. Et l’histoire romaine a ignoré ces faits.

Après Tibère, un fou et un imbécile, Caligula (An de J.-C. 37.) et Claude (An de J.-C. 41.), furent suscités pour gouverner l’empire, lequel allait alors tout seul et de lui-même, comme leur prédécesseur l’avait monté, avec la servitude et la tyrannie.

Il faut rendre justice à Claude ; il ne voulait pas la puissance : caché derrière une porte pendant le tumulte qui suivit l’assassinat de Caïus, un soldat le découvrit et le salua empereur[23]. Claude, consterné, ne demandait que la vie ; on y ajoutait l’empire, et il pleurait du présent.

Sous Claude commença la conquête de la Grande-Bretagne, né à Lyon, l’empereur introduisit les Gaulois dans le sénat.

Les Juifs persécutés à Alexandrie députèrent Philon à Caligula. Hérode Antipas[24] et Pilate furent relégués dans les Gaules. Corneille est le premier soldat romain qui reçut la foi.

Le nombre des disciples de l’Évangile s’accroît, les sept Églises de l’Asie Mineure se fondent. C’est dans Antioche que les disciples de l’Évangile reçoivent pour la première fois le nom de chrétiens[25]. Pierre, emprisonné à Jérusalem par Hérode Agrippa, est délivré miraculeusement. Ce prince d’une espèce nouvelle, dont les successeurs étaient appelés à monter sur le trône des césars, entra dans Rome[26], le bâton pastoral à la main, la seconde année du règne de Claude (Claude emp. ; Pierre pape. An de J.-C. 42.). Avant de se disperser pour annoncer le Messie, les apôtres composèrent à Jérusalem le symbole de la foi. Cette charte des chrétiens, qui devait devenir la loi du monde, ne fut point écrite : Jésus-Christ n’écrivit rien ; sept de ses apôtres n’ont laissé que leurs œuvres ; il y en a d’autres, dont on ne sait pas même le nom : et la doctrine de ces inconnus a parcouru la terre ! Jean enseigna dans l’Asie Mineure, et retira chez lui Marie, que le Sauveur lui avait léguée du haut de la croix ; Philippe alla dans la haute Asie, André chez les Scythes, Thomas chez les Parthes, et jusqu’aux Indes où Barthélemy porta l’évangile de saint Matthieu, écrit le premier de tous les évangiles. Simon prêcha en Perse, Matthias en Ethiopie, Paul dans la Grèce ; Marc, disciple de Pierre, rédigea son évangile à Rome, et Pierre envoya des missionnaires en Sicile, en Italie, dans les Gaules, et sur les côtes de l’Afrique. Saint Paul arrivait à Ephèse lorsque Claude mourut, et il catéchisa lui-même dans la Provence et dans les Espagnes.

Nous apprenons par les épîtres de cet apôtre que les premiers chrétiens et les premières chrétiennes à Rome furent Epenitas, Marie, Andronic, Junia, Ampliat, Urbain, Stachys, Appelès. Paul salua encore les fidèles de la maison d’Aristobule et ceux de la maison de Narcisse[27], le fameux favori de Claude. Ces noms sont bien obscurs, et ne se trouvèrent point dans les documents fournis à Tacite ; mais il est assez merveilleux sans doute de voir, du point où nous sommes parvenus, le monde chrétien commencer inconnu dans la maison d’un affranchi que l’histoire a cru devoir inscrire dans ses fastes.

De même que tous les conquérants sont devenus des Alexandre, tous les tyrans ont hérité du nom de Néron (Néron emp. ; S.-Pierre. An de J.-C. 54). On ne sait trop pourquoi ce prince a joui de cet insigne honneur, car il ne fut ni plus cruel que Tibère, ni plus insensé que Caligula, ni plus débauché qu’Eliogabale : c’est peut-être parce qu’il tua sa mère, et qu’il fut le premier persécuteur des chrétiens. Peut-être encore son enthousiasme pour les arts donna-t-il à sa tyrannie un caractère ridicule qui a servi à la faire remarquer. Le beau ciel de Baia et les fêtes étaient les tableaux où Néron aimait à placer ses crimes.

Les sénateurs qui le condamnèrent à mort lui prouvèrent qu’un artiste ne vit pas partout, comme il avait coutume de le dire, en chantant sur le luth[28]. Ces esclaves, qui jugèrent leur maître tombé, n’avaient pas osé l’attaquer debout : ils laissèrent vivre le tyran ; ils ne tuèrent que l’histrion.

L’incendie de Rome (An de J.-C. 64.), dont on accusa les chrétiens, que l’on confondait avec les Juifs, produisit la première persécution : les martyrs étaient attachés en croix comme leur Maître, ou revêtus de peaux de bêtes et dévorés par des chiens, ou enveloppés dans des tuniques imprégnées de poix, auxquelles on mettait le feu[29] : la matière fondue coulait à terre avec le sang. Ces premiers flambeaux de la foi éclairaient une fête nocturne que Néron donnait dans ses jardins : à la lueur de ces flambeaux il conduisait des chars.

Paul, accusé devant Félix et devant Festus, vient à Rome, où il prêche l’Évangile avec Pierre[30].

Hérésie des nicolaïtes, laquelle avait pris son nom de Nicolas, un des premiers sept diacres. Saint Jacques, évêque de l’Église juive, avait souffert le martyre. La guerre de Judée commençait sous Sextus Gallus, et les chrétiens s’étaient retirés de Jérusalem.

Apollonius de Tyane, débarqué dans la capitale du monde pour voir, disait-il, quel animal c’était qu’un tyran[31], s’en fit chasser avec les autres philosophes. Pierre et Paul, enfermés dans la prison Mamertine au pied du Capitole, sont mis à mort : Paul a la tête tranchée (An de J.-C. 67. 29 juin.), comme citoyen romain, auprès des eaux Salviennes, dans un lieu aujourd’hui désert, où l’on voit trois fontaines, à quelque distance de la basilique appelée Saint-Paul-hors-des-Murs, qu’un incendie a détruite au moment même de la mort de Pie VII. Pierre, réputé Juif et de condition vile, fut crucifié la tête en bas sur le mont Janicule, et enterré le long de la voie Aurelia, près du temple d’Apollon[32] : là s’élèvent aujourd’hui le palais du Vatican et cette église de Saint-Pierre qui lutte de grandeur avec les plus imposantes ruines de Rome. Néron ne savait pas sans doute le nom des deux malfaiteurs de bas lieu, condamnés par les magistrats : et c’étaient, après Jésus-Christ les fondateurs d’une religion nouvelle, d’une société nouvelle, d’une puissance qui devait continuer l’éternité de la ville de Romulus.

Lin (Néron emp. ; Lin pape. An de J.-C. 67-68. Clet ou Anaclet, Clément papes. An de J.-C. 68-77), dont il est question dans les épîtres de saint Paul, succéda à saint Pierre, saint Clément ou saint Clé, à saint Lin.

Le peuple romain aima Néron, il espéra le retrouver après sa mort dans des imposteurs ; quelques chrétiens pensèrent que Néron était l’Antéchrist, et qu’il reparaîtrait à la fin des temps[33] ; le monde païen l’attendait pour ses délices, le monde chrétien pour ses épreuves.

Ce fut encore sous le règne de Néron que saint Marc fonda l’Église d’Alexandrie qui commença surtout parmi les thérapeutes, secte juive livrée à la vie contemplative[34], et qui servit de premier modèle aux ordres monastiques chrétiens. Les thérapeutes différaient des esséniens, qui ne se voyaient qu’en Palestine, et qui vivaient en commun du travail de leurs mains. L’école philosophique d’Alexandrie mêla aussi ses doctrines à celles du christianisme, subtilisa la simplicité évangélique, et produisit des hérésies fameuses.

La mort de Néron causa une révolution dans l’Etat. L’élection passa aux légions, et la constitution devint militaire. Jusque là la dignité impériale s’était maintenue dans la famille d’Auguste par une espèce de droit de succession ; le sénat, il est vrai, et les prétoriens avaient plus ou moins ajouté de la force à ce droit, mais enfin l’élection était restée attachée à la ville éternelle et au sang du premier des césars. Usurpée par les régions, elle amena des choses considérables, elle multiplia les guerres civiles, et partant les causes de destruction ; l’armée nommant son maître, et ne le recevant plus de la volonté des sénateurs et des dieux, méprisa bientôt son ouvrage. Les barbares introduits dans l’armée s’accoutumèrent à faire des empereurs : quand ils furent las de donner le monde, ils le gardèrent.

Dans le despotisme héréditaire il y a des chances de repos pour les hommes ; il perd de son âpreté en vieillissant. Dans le despotisme électif, chaque chef surgit à la souveraineté avec la force du premier ne de sa race, et se porte à l’oppression de toute l’ardeur d’un parvenu à la puissance : on a toujours le tyran dans sa vigueur élective, tandis que la nation, qui ne se renouvelle pas, reste dans sa servitude héréditaire. Et comme l’Empire Romain occupait le monde connu, comme l’empereur pouvait être choisi partout, de là cette diversité de tyrannies selon que le maître venait de l’Afrique, de l’Europe ou de l’Asie. Toutes les variétés d’oppression répandues aujourd’hui dans les divers climats s’asseyaient par l’élection sur la pourpre, où chaque candidat arrivait avec son caractère propre et les mœurs de son pays.

Séjan, qui, profitant de la jalouse vieillesse de Tibère, avait empoisonné Drusus, amené la disgrâce et par suite la mort d’Agrippine et de ses deux fils aînés, n’atteignit point le troisième fils de Germanicus. Celui-ci fut Caïus Caligula : Claude, son oncle, frère de Germanicus, proclamé empereur par les prétoriens, et surtout par les Germains de la garde, eut de Messaline l’infortuné Britannicus. Agrippine, sœur de Caligula et fille de la première Agrippine, femme de Germanicus, épousa en secondes noces son oncle Claude, et lui fit adopter Néron, qu’elle avait eu de son premier mariage avec Domitius Ahenobarbus. Néron, parvenu à l’empire après s’être défait de Britannicus, fut contraint de se tuer. En lui s’éteignit la famille d’Auguste. Malgré les vices et les crimes qui l’ont rendue exécrable, cette famille eut dans ses manières quelque chose d’élevé et de délicat que donnent l’exercice du pouvoir, l’habitude des richesses, les souvenirs d’une lignée historique. La maison de Jules prétendait remonter d’un côté à Enée, par les rois d’Albe, de l’autre à Clausus le Sabin, et à tous les Claudius, ses fiers descendants.

Galba, qui prit un moment la place de Néron, était encore de race aristocratique ; mais après lui commence une nouvelle sorte de princes. Toutes les fois qu’un grand changement dans la constitution d’un Etat s’opère, les anciennes familles disparaissent ; soit qu’elles s’épuisent et s’éteignent réellement, soit qu’obéissant ou résistant au nouveau pouvoir elles disparaissent dans le mépris qui s’attache à leur soumission, ou dans l’oubli qui suit leur fierté. Le despotisme était aristocratique par l’élection du sénat, il devint démocratique par l’élection de l’armée.

Remarquons sous la première année du règne de Néron la naissance de Tacite : il parut derrière les tyrans pour les punir, comme le remords à la suite du crime. Tite-Live était mort sous Tibère. Tite-Live et Tacite se partagèrent le tableau des vertus et des vices des Romains ; les exemples rappelés par le premier furent aussi inutiles que les leçons données par le second.

Pendant le règne de Néron la Grande-Bretagne se souleva, et fut écrasée ; les Parthes remuèrent, et furent contenus par Corbulon, les Germains restèrent tranquilles, hors les Frisons et les Ansibares, qui voulurent occuper le long du Rhin le pays que les Romains laissaient inculte. Le vieux chef des Ansibares, repoussé par le général romain, s’écria : Terre ne peut nous manquer pour y vivre ou pour y mourir[35]. Nous devons compter les Ansibares au nombre de nos ancêtres ; ils firent dans la suite partie de la ligue des Franks. Galba (Galba, Othon, Vitellius emp. ; Clet, Clément papes. An de J.-C. 68-69.), Othon et Vitellius passèrent vite ; ils eurent à peine le temps de se cacher sous le manteau impérial. Galba avait dit à Pison, dans le beau discours que lui prête Tacite, que l’élection remplacerait pour le peuple romain la liberté : cette liberté ne fut que la décision de la force.

Quelques mots de Galba sont dignes de l’ancienne Rome dont il conservait le sang. Des légionnaires sollicitaient une gratification nouvelle : Je choisis des soldats, répondit-il, et ne les achète pas[36].

Othon venait de soulever les prétoriens ; un soldat se présente à Galba l’épée nue, affirmant avoir tué Othon : Qui te l’a ordonné ? dit le vieil empereur[37].

Galba fut massacré sur la place publique. Entouré par les séditieux qu’avait soulevés Othon, il tendit la gorge aux meurtriers en leur disant : Frappez si cela est utile au peuple romain. Sa tête tomba ; elle était chauve : un soldat pour la porter fut obligé de l’envelopper dans une étoffe[38]. Cette tête aurait dû mieux conseiller un vieillard de soixante-treize ans : était-ce la peine de mettre une couronne sur un front dépouillé ?

Othon avait voulu l’empire ; il l’avait voulu tout de suite, non comme un pouvoir, mais comme un plaisir. Trop voluptueux pour régner, trop faible pour vivre, il se trouva assez fort pour mourir. Ses soldats ayant été battus par les légions de Vitellius, il se couche, dort bien, se perce à son réveil de son poignard[39], et s’en va à petit bruit, sans avoir lu le dialogue de Platon sur l’immortalité de l’âme, sans se déchirer les entrailles. Mais Caton expira avec la liberté ; Othon ne quittait que la puissance.

Vitellius, qui n’est guère connu que par ses excès de table, et dont le premier monument était un plat[40], Vitellius, successeur d’Othon, cassa les prétoriens, qui s’étaient déclarés contre lui. Bientôt il est attaqué par Primus, vainqueur au nom de Vespasien : on se bat dans Rome ; des Illyriens, des Gaulois, des Germains légionnaires, s’égorgent au milieu des festins, des danses et des prostitutions.

Vitellius fuit avec son cuisinier et son boulanger ; rentré dans son palais, il le trouve désert ; saisi de terreur, il court se cacher dans la loge d’un portier, près de laquelle étaient des chiens qui le mordirent[41]. Il bouche la porte de cette loge avec le lit et le matelas du portier ; les soldats arrivent, découvrent l’empereur, l’arrachent de son asile. Les mains liées derrière le dos, la corde au cou, les vêtements déchirés, les cheveux rebroussés, Vitellius demi-nu est traîné le long de la voie Sacrée. Son visage rouge de vin, son gros ventre, sa démarche chancelante comme celle d’un Silène[42], sont des sujets d’insulte et de risées. On l’appelle incendiaire, gourmand, ivrogne ; on lui jette des ordures ; on lui attache une épée sur la poitrine, la pointe sous le menton pour le contraindre à lever la tête, qu’il baissait de honte ; on l’oblige de regarder ses statues renversées, et dont les inscriptions portaient qu’il était né pour le bonheur et la concorde des Romains[43]. Enfin, après l’avoir accablé d’outrages et de blessures, on l’achève ; son corps est jeté dans le Tibre, sa tête plantée au bout d’une pique. Vitellius s’assit à l’empire, qu’il avait pris pour un banquet : ses convives le forcèrent d’achever le festin aux Gémonies.

Les Sarmates Rhoxolans furent battus pendant le court règne d’Othon. Tandis que Vespasien attaquait Vitellius, les Daces attaquaient la Mésie, et furent repoussés par Mucien. Civilis fit révolter les Bataves, et les Germains, alliés de Civilis, insultèrent les frontières romaines.

La mort de Vitellius suspendit le cours de ces ignominieuses adversités. Quatre-vingts années de bonheur, interrompues seulement par le règne de Domitien, commencèrent à l’élévation de Vespasien. On a regardé cette période comme celle où le genre humain a été le plus heureux ; vrai est-il si la dignité et l’indépendance des nations n’entrent pour rien dans leurs félicités.

Les premiers tyrans de Rome se distinguèrent chacun par un vice particulier, afin qu’on jugeât ce que la société peut supporter sans se dissoudre ; les bons princes qui succédèrent à ces tyrans brillèrent chacun par une vertu différente, afin qu’on sentît l’insuffisance des qualités personnelles pour l’existence des peuples, quand ces qualités sont séparées des institutions.

Tout ce qu’on peut imaginer de mérites divers parut à la tête de l’empire : ceux qui possédèrent ces mérites pouvaient tout entreprendre : ils n’étaient gênés par aucune entrave ; héritiers de la puissance absolue, ils étaient maîtres d’employer pour le bien l’arbitraire dont on avait usé pour le mal. Que produisit ce despotisme de la vertu ? rétablit-il la liberté ? préserva-t-il l’empire de sa chute ? Non. Le genre humain ne fut ni amélioré ni changé. La fermeté régna avec Vespasien, la douceur avec Titus, la générosité avec Nerva, la grandeur avec Trajan, les arts avec Adrien, la piété avec Antonin, enfin la philosophie monta sur le trône avec Marc-Aurèle, et l’accomplissement de ce rêve des sages n’amena aucun bien solide. C’est qu’il n’y a rien de durable ni même de possible quand tout vient des volontés, et non des lois ; c’est que le paganisme survivant à l’âge poétique, n’ayant plus pour lui la jeunesse et l’austérité républicaines, transformait les hommes en un troupeau de vieux enfants, sans raison et sans innocence.

Il y avait dans l’empire des chrétiens obscurs, persécutés même par Marc-Aurèle, et ils faisaient avec une religion méprisée ce que ne pouvait accomplir la philosophie ornée du sceptre : ils corrigeaient les mœurs et fondaient une société qui dure encore.

Vespasien (Vespasien, Titus emp. ; Clément pape. An de J.-C. 69-81.) mit fin à la guerre de Civilis et à la révolte d’où sortit la touchante aventure d’Eponine. Cette Gauloise doit être nommée dans une histoire des Français.

Du petit nombre de ces hommes que la prospérité rend meilleurs, Titus ne fut point obligé de soutenir au dehors l’honneur de l’empire ; il n’eut à combattre que ses passions : il les vainquit pour devenir les délices du genre humain. On a voulu douter de sa constance pour la vertu, au cas que sa vie se fût prolongée[44] : pourquoi calomnier le néant d’un avenir si vain qu’il n’a pas même été ?

On appliqua à Titus et à Vespasien les prophéties qui annonçaient des conquérants venus de la Judée[45]. Le Messie devait être un prince de paix : en conséquence Vespasien fit bâtir à Rome et consacrer à la Paix éternelle un temple qui vit toujours la guerre, et dont les fondements mis à nu aujourd’hui ont à peine résisté aux assauts du temps. Le véritable prince de paix était le roi de ce nouveau peuple qui croissait et multipliait dans les catacombes, sous les pieds du vieux monde passant au-dessus de lui.

Saint Clément écrivit aux Corinthiens pour les inviter à la concorde. Il raconte que saint Pierre avait souffert plusieurs fois, que saint Paul, battu de verges et lapidé, avait été jeté dans les fers[46] à sept reprises différentes. Il indique l’ordre dans le ministère ecclésiastique, les oblations, les offices, les solennités : Dieu a envoyé Jésus-Christ, Jésus-Christ les apôtres ; les apôtres ont établi les évêques et les diacres.

La religion accrut sa force sous les règnes de Vespasien et de Titus, par la consommation d’un des oracles écrits aux livres saints : Jérusalem périt.

La guerre de Judée avait commencé sous Néron. La multitude des Juifs qui se trouva à Jérusalem l’an 66 de Jésus-Christ, pour la fête des azymes, fut comptée par le nombre des victimes pascales : il se trouva qu’on en avait immolé deux cent cinquante-six mille cinq cents[47]. Dix et quelquefois vingt convives s’assemblaient pour manger un agneau, ce qui donnait, pour dix seulement, deux millions cinq cent cinquante-six mille assistants purifiés.

Des prodiges annoncèrent la destruction du Temple : une voix avait été entendue qui disait : Sortons d’ici. Jésus, fils d’Ananus, courant autour des murailles de la ville assiégée, s’était écrié : Malheur ! malheur sur la ville ! malheur sur le temple ! malheur sur le peuple ! malheur sur moi ![48] Famine, peste et guerre civile au dedans de la cité ; au dehors les soldats romains crucifiaient tout ce qui voulait s’échapper : les croix manquèrent, et la place pour dresser les croix. On éventrait les fugitifs pour fouiller dans leurs entrailles l’or qu’ils avaient avalé. Six cent mille cadavres de pauvres furent jetés dans les fossés, par-dessus les murailles. On changeait les maisons en sépulcres, et quand elles étaient pleines on en fermait les portes. Titus, après avoir pris la forteresse Antonia, attaqua le Temple le 17 juillet 70 de Jésus-Christ, jour où le sacrifice perpétuel avait cessé, faute de mains consacrées pour l’offrir. Marie, fille d’Eléazar, rôtit son enfant et le mangea[49] dans la ville où une autre Marie avait enseveli son fils. Jésus-Christ avait dit aux femmes de Jérusalem après le prophète : Un jour viendra où l’on dira : Heureuses les entrailles stériles et les mamelles qui n’ont point allaité !

Le Temple fut brûlé le 8 d’août de cette année 70, ensuite la ville basse incendiée, et la ville haute emportée d’assaut. Titus fit abattre ce qui restait du Temple et de la ville, excepté trois tours ; on promena la charrue sur les ruines. Telle fut la grandeur du butin, que le prix de l’or baissa de moitié en Syrie. Onze cent mille Juifs moururent pendant le siège, quatre-vingt-dix-sept mille furent vendus[50] ; à peine trouvait-on des acheteurs pour ce vil troupeau. A la fête de la naissance de Domitien, à celle de l’anniversaire de l’avènement de Vespasien à l’empire (24 octobre 70 et 1er juillet 71), plusieurs milliers de Juifs périrent par le feu et les bêtes, ou par la main les uns des autres, comme gladiateurs. A Rome, Titus et son père triomphèrent de la Judée : Jean et Simon, chefs des Juifs de Jérusalem, marchaient enchaînés derrière le char. Des médailles frappées en mémoire de cet événement représentent une femme enveloppée d’un manteau, assise au pied d’un palmier, la tête appuyée sur sa main, avec cette inscription : la Judée captive.

Les chrétiens trouvaient dans cette catastrophe d’autres sujets d’étonnement que la multitude païenne : il n’y avait pas trois années que saint Pierre était enseveli au Vatican ; saint Jean, qui avait vu pleurer Jésus-Christ sur Jérusalem, vivait encore, peut-être même, selon quelques traditions, la mère du Fils de l’homme était encore sur la terre ; elle n’avait point encore accompli son assomption en laissant dans sa tombe, au lieu de ses cendres, sa robe virginale ou une manne céleste[51].

Les Juifs furent dispersés : témoins vivants de la parole vivante, ils subsistèrent, miracle perpétuel, au milieu des nations. Etrangers partout, esclaves dans leur propre pays, ils virent tomber ce Temple dont il ne reste pas pierre sur pierre, comme mes yeux ont pu s’en convaincre. Une partie de leur population enchaînée vint élever à Rome cet autre monument où devaient mourir les chrétiens. Le ciseau sculpta sur un arc de triomphe qu’on admire encore les ornements qui brillaient aux pompes de Salomon, et dont sans ce hasard nous ignorerions la forme : l’orgueil d’un prince romain et le talent d’un artiste grec ne se doutaient guère qu’ils fournissaient une preuve de plus de la grandeur de la nation vaincue et de ses mystérieuses destinées. Tout devait servir, gloire et ruine, à rendre éternelle la mémoire du peuple que Moïse forma et qui vit naître Jésus-Christ.

Le Capitole, incendié dans les désordres qui signalèrent la fin de Vitellius, était la proie des flammes presque au moment où le temple de Jérusalem brûlait. Domitien fit dans la suite la dédicace du nouveau Capitole : l’autel de la servitude y remplaça celui de la liberté ; on eut encore le malheur de n’y pouvoir rétablir l’image fameuse du chien, dont les gardiens répondaient sur leur vie. Soixante millions furent employés à la seule dorure de cet édifice. Jupiter, en vendant tout l’Olympe, disait Martial[52], n’aurait pu payer le vingtième de cette somme. Le dieu des Juifs avait prononcé la destruction de son temple, et Julien essaya vainement de le relever.

La grande peste et l’éruption du Vésuve qui fit périr Pline le naturaliste sont de cette époque[53].

Ebion, Cérinthe, Ménandre, disciple de Simon, allaient prêchant leurs hérésies. Les philosophes furent de nouveau exclus de Rome. C’étaient Euphrate, Tyrien, d’abord ami et ensuite adversaire d’Apollonius de Tyane, Démétrius le cynique, Artémidore, Damis le pythagoricien, Epictète le stoïcien, Lucien l’épicurien, Diogène le jeune cynique, Héras et Dion de Pruse ; Musonius seul trouva grâce auprès de Vespasien.

Le pape Clément acheva de gouverner l’Église la soixante-dix-septième année de Jésus-Christ ; il céda sa chaire à saint Anaclet ou Clet (pape. An de J.-C. 77.), pour éviter un schisme[54]. On attribue à saint Clément les ouvrages les plus anciens après les livres canoniques.

Jamais frère ne ressembla moins à son frère que Domitien à Titus. Sous Domitien (Domitien, emp. ; Anaclet, Sixte Evariste, papes. An de J.-C. 82-97.) les peuplades du nord, pressées peut-être par le grand corps des Goths qui s’approchait, remuèrent aux frontières de l’empire. Domitien fut battu par les Quades et les Marcomans en Germanie ; il acheta la paix de Décébale, chef des Daces, en lui payant une espèce de redevance annuelle. Ce premier exemple de faiblesse profita aux barbares : selon les temps et les circonstances, ils continuèrent à vendre aux empereurs une paix dont le prix leur servait ensuite à recommencer la guerre.

Domitien vaincu ne s’en décerna pas moins les honneurs du triomphe : il prit avec raison le surnom de Dacique. Il donna des jeux, se consacra des statues, et se traîna dans la gloire où d’autres empereurs s’étaient précipités.

Ses armes furent plus heureuses dans la Grande-Bretagne. Agricola battit les Calédoniens, et sa flotte tourna l’île au septentrion.

Un coup funeste fut porté à l’empire par l’augmentation de la paye des soldats ; leur influence, déjà trop considérable, s’accrut ; le gouvernement dégénéra en république militaire : il faut toujours que la liberté, d’elle-même impérissable, se retrouve quelque part.

Domitien persécuta les philosophes[55], que l’on confondait avec les chrétiens : ils se retirèrent à l’extrémité des Gaules, dans les déserts de la Libye et chez les Scythes. Apollonius, interrogé par Domitien, montra du courage et une rude franchise.

On commença à voir de tous côtés la succession des évêques : à Alexandrie, Abilius succéda à saint Marc ; à Rome, saint Evariste à saint Clet ; Alexandre Ier ou Sixte Ier à saint Evariste. Vers la fin de son règne, Domitien se jeta sur les fidèles. L’apôtre saint Jean, relégué dans l’île de Pathmos, eut sa vision. Flavius Clément, consul et cousin germain de l’empereur, qui destinait les deux enfants de Clément à l’empire, avait embrassé la foi, et fut décapité. L’Évangile faisait des progrès dans les hauts rangs de la société.

Domitien assassiné, Nerva (Nerva, Trajan emp. ; Evariste, Alexandre Ier papes. An de J.-C. 97-118.) ne parut après lui que pour abolir le crime de lèse-majesté[56], punir les délateurs, et appeler Trajan à la pourpre : trois bienfaits qui lui ont mérité la reconnaissance des hommes.

Sous le règne de Trajan l’empire s’éleva à son plus haut point de prospérité et de puissance. Cet admirable prince n’eut que la faiblesse des grands cœurs : il aima trop la gloire. Vainqueur de Décébale, il réduisit la Dacie en province. Cette conquête, qui fut un sujet de triomphe, devait être un sujet de deuil, car elle détruisit le dernier peuple qui séparait les Goths des Romains. Trajan porta la guerre en Orient, donna un roi aux Parthes, prit Suze et Ctésiphon, soumit l’Arménie, la Mésopotamie et l’Assyrie, descendit au golfe Persique, vit la mer des Indes, se saisit d’un port sur les côtes de l’Arabie ; après tout cela il mourut, et son successeur, soit sagesse, soit jalousie, abandonna ses conquêtes.

Il faut placer à la dernière année du premier siècle de l’ère chrétienne la mort de saint Jean à Ephèbe ; il ne se nommait plus lui-même dans ses dernières lettres que le vieillard ou le prêtre, du mot grec presbyteros. Mes enfants, aimez-vous les uns les autres. Telles étaient ses seules instructions. Il avait assisté à la passion soixante-six ans auparavant. Saint Jude, saint Barnabé, saint Ignace, saint Polycarpe se faisaient connaître par leurs doctrines. Les successions des évêques étaient toujours plus abondantes et plus connues : Ignace et Héron à Antioche, Cerdon et Primin à Alexandrie. Après le pape Evariste vinrent Alexandre, Sixte et Télesphore, martyr.

Les chrétiens souffrirent sous Trajan, non précisément comme chrétiens, mais comme faisant partie des sociétés secrètes. Une lettre de Pline le jeune, gouverneur de Bithynie, fixe l’époque où les chrétiens commencent à paraître dans l’histoire générale. (...) On a proposé un libelle[57] sans nom d’auteur, contenant les noms de plusieurs qui nient d’être chrétiens ou de l’avoir été. Quand j’ai vu qu’ils invoquaient les dieux avec moi, et offraient de l’encens et du vin à votre image, que j’avais exprès fait apporter avec les statues des dieux, et de plus qu’ils maudissaient le Christ, j’ai cru devoir les renvoyer ; car on dit qu’il est impossible de contraindre à rien de tout cela ceux qui sont véritablement chrétiens. (...) Voici à quoi ils disaient que se réduisait leur faute ou leur erreur : qu’ils avaient accoutumé de s’assembler un jour avant le soleil levé, et de dire ensemble, à deux chœurs, un cantique en l’honneur du Christ comme d’un dieu ; qu’ils s’obligeaient par serment non à un crime, mais à ne commettre ni larcin, ni vol, ni adultère, ne point manquer à leur parole et ne point dénier un dépôt ; qu’ensuite ils se retiraient ; puis se rassemblaient pour prendre un repas, mais ordinaire et innocent ; encore avaient-ils cessé de le faire depuis mon ordonnance, par laquelle, suivant vos ordres, j’avais défendu les assemblées (...)

La chose m’a paru digne de consultation, principalement à cause du nombre des accusés ; car on met en péril plusieurs personnes de tout âge, de tout sexe et de toute condition. Cette superstition a infecté non seulement les villes, mais les bourgades et la campagne, et il semble que l’on peut l’arrêter et la guérir. Du moins il est constant que l’on a recommencé à fréquenter les temples, presque abandonnés, à célébrer les sacrifices solennels après une grande interruption, et que l’on vend partout des victimes, au lieu que peu de gens en achetaient. D’où on peut aisément juger la grande quantité de ceux qui se corrigent, si on donne lieu au repentir.

L’univers chrétien a depuis longtemps démenti les espérances de Pline. Mais quels rapides et étonnants progrès ! Les temples abandonnés ! on ne trouve déjà plus à vendre les victimes ! et l’évangéliste saint Jean venait à peine de mourir !

Trajan, dans sa réponse au gouverneur, dit qu’on ne doit pas chercher les chrétiens, mais que s’ils sont dénoncés et convaincus, il les faut punir : quant aux libelles sans nom d’auteur, ils ne peuvent fournir matière à accusation ; les poursuivre serait d’un très mauvais exemple et indigne du siècle de Trajan[58].

L’histoire offre peu de documents plus mémorables que cette correspondance d’un des derniers écrivains classiques de Rome et d’un des plus grands princes qui aient honoré l’empire, touchant l’état des premiers chrétiens.

Adrien (Adrien emp. ; Alexandre Ier, Sixte Ier, Télesphore papes. An de J.-C. 118-138.) maintint la paix en l’achetant des barbares, peut-être parce que son prédécesseur avait trouvé plus honorable et plus sûr d’employer le même argent à leur faire la guerre : naturellement envieux des succès, il ne pardonna pas plus à Apollodore l’architecte qu’à Trajan l’empereur. Voyageur couronné, grand administrateur, ami des arts, dont il renouvela le génie, il visita les lieux célèbres de son empire ; l’histoire a remarqué qu’il évita de passer à Italica, son obscure patrie. Il persécuta ses amis, quitta le monde en plaisantant sur son âme et laissant aux Romains, dignes du présent, un dieu de plus, Antinoüs.

Ce prince avait fait une divinité, et pensa lui-même être rejeté de l’Olympe : ce fut avec peine qu’Antonia obtint pour lui cette apothéose par qui les maîtres du monde prolongeaient l’illusion de leur puissance.

Les hérésies se multipliaient : Saturnin, Basilide, Carpocras, les gnostiques avaient paru. La calomnie croissait contre les chrétiens ; ils occupaient fortement le gouvernement et l’opinion publique. Le peuple les accusait de sacrifier un enfant, d’en boire le sang, d’en manger la chair, de faire, dans leurs assemblées secrètes, éteindre les flambeaux par des chiens et de s’unir dans l’ombre, au hasard, comme des bêtes.

Les philosophes, de leur côté, attaquaient le judaïsme et le christianisme, regardant le premier comme la source du second. Alors les fidèles commencèrent à écrire et à se défendre : Quadrat, évêque d’Athènes, présenta son apologie à Adrien ; et Aristide, autre Athénien, publia une autre apologie. Adrien lit suspendre la persécution. Eusèbe nous a conservé la lettre qu’il écrivit à Minutius Fondatus, proconsul d’Asie[59] : Si quelqu’un accuse les chrétiens, disait-il, et prouve qu’ils font quelque chose contre les lois, jugez-les selon la faute ; s’ils sont calomniés, punissez le calomniateur.

Adrien établit des colons à Jérusalem, et bâtit parmi ses débris une ville nommée Elea Capitolina. Des Juifs assemblés dans cette cité nouvelle se révoltèrent encore, et furent exterminés. La Judée se changea en solitude ; on défendit aux Israélites dispersés d’entrer à Jérusalem, ni même de la regarder de loin, tant était insurmontable leur amour pour Sion ! Une idole de Jupiter fut placée au Saint-Sépulcre, une Vénus de marbre élevée sur le Calvaire, un bois planté à Bethléem : la consécration à Adonis de la crèche où Jésus était né profana ces lieux d’innocence[60].

L’hérésie de Valentin, le martyre de saint Symphorose et de ses sept fils à Tibur pour la dédicace des jardins et des palais d’Adrien terminèrent à l’égard des chrétiens le règne de cet empereur.

Antonin (Antonin emp. ; Hygin, Pie Ier,, Anicet papes. An de J.-C. 139-162.) fut de tous les empereurs le plus aimé et le plus respecté des peuples voisins de l’empire. Grand justicier, il eut avec Numa quelques traits de ressemblance ; son caractère de piété le rendit plus propre au gouvernement que ne l’avaient été les Titus et les Trajan : la science des lois est liée à celle de la religion.

Sous Antonin les deux hérésiarques Marcion et Apelles parurent ; Justin, philosophe chrétien, publia sa première apologie, adressée à l’empereur, au sénat et au peuple romain. Il parla des mystères sans déguisement. Sainte Félicité confessa le Christ avec ses fils.

Marc-Aurèle (Marc-Aurèle emp. ; Anicet, Sotère, Eleuthère papes. An de J.-C. 162-181.) aimait la paix par caractère et philosophie, et il eut à soutenir de nombreuses guerres avec les barbares. Les Quades, qui se perdirent dans la ligue des Franks, menacèrent l’Italie d’une irruption ; les Marcomans, ou plutôt une confédération des peuples germains refoulés par les Goths, et d’autres peuples qui pesaient sur eux, cherchèrent des établissements dans l’empire : ils avaient profité du moment où les légions romaines étaient occupées à défendre l’Orient contre les Parthes. La grande invasion approchait, et le monde commençait à s’agiter. Marc-Aurèle ayant associé à l’empire son frère adoptif, Marcus Verrus, repoussa avec lui les agresseurs : les Marcomans et les Quades furent vaincus. A la suite de ces guerres, cent mille prisonniers furent rendus aux Romains, et des colonies de barbares formées dans la Dacie, la Pannonie, les deux Germanies, et jusqu’à Ravenne en Italie. Celles-ci se soulevèrent, et apprirent aux Romains ce qu’ils auraient à craindre de pareils laboureurs. Cent mille prisonniers rendus supposent déjà chez les nations septentrionales une puissance et une régularité de gouvernement auxquelles on n’a pas fait assez d’attention.

Les arts et les lettres brillèrent d’un dernier éclat sous les règnes de Trajan, d’Adrien, d’Antonin et de Marc-Aurèle : c’est le second siècle de la littérature latine, dans laquelle il faut comprendre ce que fournit le génie expirant de la Grèce soumise aux Romains. Alors parurent Tacite, les deux Pline, Suétone, Florus, Gallien, Sextus Empiricus, Plutarque, Ptolémée, Arien, Pausanias, Appien, Marc-Aurèle et Epictète, l’un empereur, l’autre esclave, et enfin Lucien, qui se rit des philosophes et des dieux.

Marc-Aurèle mourut sans avoir pu terminer complètement la guerre des barbares, et après avoir été obligé d’étouffer la révolte des colonies militaires. Il laissa l’empire à Commode son fils : faute de la nature que la philosophie aurait dû prévenir.

Si les Romains furent longtemps redevables du succès de leurs armes à la discipline, à l’organisation des légions, à la supériorité de l’art militaire, ils le durent encore à cette nécessité où se trouvait le légionnaire de combattre dans tous les climats, de se nourrir de tous les aliments, de s’endurcir par de longues et pénibles marches. Les peuples de l’Europe moderne (la nation française exceptée, pendant les dernières conquêtes de sa dernière révolution), les peuples de l’Europe moderne, divisés en petits Etats, ont presque toujours combattu contre leurs voisins, ou sur le sol paternel à peu de distance de leurs foyers. Mais l’empire romain renfermait dans son sein le monde connu ; ses soldats passaient des rivages du Danube et du Rhin à ceux de l’Euphrate et du Nil, des montagnes de la Calédonie, de l’Helvétie et de la Cantabrie à la chaîne du Caucase, du Taurus et de l’Atlas, des mers de la Grèce aux sables de l’Arabie et aux campagnes des Numides.

On entreprend aujourd’hui de longs et périlleux voyages dans les pays que les légions parcouraient pour changer de garnison : ces entreprises d’outre-mer qui rendirent les croisades si célèbres n’étaient pour les Romains que le mouvement d’un corps de troupes qui, parti de la Batavie, allait relever un poste à Jérusalem. Le général qui se transportait sur des terrains si divers, qui, forcé d’employer les ressources du lieu, se servait du chameau et de l’éléphant sous le palmier, du mulet et du cheval sous le chêne, accroissait son expérience et son génie avec le vol de ses aigles.

Le monde romain n’offrait point un aspect uniforme : les peuples subjugués avaient conservé leurs mœurs, leurs coutumes, leurs langues, leurs dieux indigènes, leurs lois locales : au dehors on ne s’apercevait de la domination étrangère que par les voies militaires, les camps fortifiés, les aqueducs, les ponts, les amphithéâtres, les arcs de triomphe, les inscriptions latines gravées aux monuments des républiques et des royaumes incorporés à l’empire ; au dedans l’administration civile, fiscale et militaire, les préfets et les proconsuls, les municipalités et les sénats, la loi générale qui dominait les justices particulières, annonçaient un commun maître. Les Romains n’avaient imposé à la terre domptée que leurs armes, leur code et leurs jeux.

Marc-Aurèle, stoïcien, n’aimait pas les disciples de la croix, par une sorte de rivalité de secte : Il faut être toujours prêt à mourir, dit-il dans une de ses maximes, en vertu d’un jugement qui nous soit propre, non au gré d’une pure obstination, comme les chrétiens. Il y eut plusieurs martyrs sous son règne : Polycarpe à Smyrne, Justin à Rome après avoir publié sa seconde apologie, les confesseurs de Vienne et de Lyon, à la tête desquels brilla Pothin, vieillard plus que nonagénaire, remplacé dans la chaire de Lyon par Irénée.

A cette époque, les apologistes, tels qu’Athénagore, changèrent de langage, et d’accusés devinrent accusateurs : en défendant le culte du vrai Dieu, ils attaquèrent celui des idoles. D’une autre part, les magistrats ne furent pas les seuls promoteurs des persécutions ; les peuples les demandèrent : le soulèvement des masses à Vienne, à Lyon, à Autun, multiplia les victimes dans les Gaules[61] ; ce qui prouve que les chrétiens n’étaient plus une petite secte bornée à quelques initiés, mais des hommes nombreux, qui menaçaient l’ancien ordre social, qui armaient contre eux les vieux intérêts et les antiques préjugés. La légion Fulminante était en partie composée de disciples de la nouvelle religion ; elle fut la cause d’une victoire remportée en 174, sur les Sarmates, les Quades et les Marcomans ; victoire retracée dans les bas-reliefs de la Colonne Antonine : selon Eusèbe, Marc-Aurèle reconnut devoir son succès aux prières des soldats du Christ[62].

L’Évangile avait fait de tels progrès que Méliton, évêque de Sardis en Asie, disait à Marc-Aurèle, dans une requête : On persécute à présent les serviteurs de Dieu... Notre philosophie était répandue auparavant chez les barbares : vos peuples sous le règne d’Auguste en reçurent la lumière, et elle porta bonheur à votre empire[63].

Un roi des Bretons, tributaire des Romains, écrivit, l’an 170, au pape Eleuthère, successeur de Soter, pour lui demander des missionnaires : ceux-ci portèrent la foi aux peuplades britanniques, comme le moine Augustin, envoyé par Grégoire le Grand, prêcha depuis l’Évangile aux Saxons vainqueurs des Bretons.

Marc-Aurèle avait toutefois trop de modération pour s’abandonner entièrement à l’esprit de haine dont étaient animées les écoles philosophiques : il écrivit la dixième année de son règne, à la communauté du peuple de l’Asie Mineure assemblée à Ephèse une lettre de tolérance. Il alla même plus loin que ses devanciers, car il disait : Si un chrétien est attaqué comme chrétien, que l’accusé soit renvoyé absous, quand même il serait convaincu d’être chrétien, et que l’accusateur soit poursuivi[64]. Mais il était difficile à lui de lutter contre la superstition et la philosophie entrées dans une alliance contre nature pour détruire un ennemi commun.

Les marcionites, les montanistes, les marcosiens jetèrent une nouvelle confusion dans la foi.

Avec Marc-Aurèle finit l’ère du bonheur des Romains sous l’autorité impériale, et recommencent des temps effroyables d’où l’on ne sort plus que par la transformation de la société. Un seul fait de cette histoire la peindra. Commode et ses successeurs jusqu’à Constantin périrent presque tous de mort violente. Quand Marc-Aurèle eut disparu, les Romains se replongèrent d’une telle ardeur dans l’abjection qu’on les eût pris pour des hommes rendus nouvellement à la liberté : ils n’étaient affranchis que des vertus de leurs derniers maîtres.

Deux effets de la puissance absolue sur le cœur humain sont à remarquer.

Il ne vint pas même à la pensée des bons princes qui gouvernèrent le monde romain de douter de la légalité de leur pouvoir et de restituer au peuple des droits usurpés sur lui.

La même puissance absolue altéra la raison des mauvais princes ; les Néron, les Caligula, les Domitien, les Commode furent de véritables insensés : afin de ne pas trop épouvanter la terre, le ciel donna la folie à leurs crimes, comme une sorte d’innocence.

Commode (Commode emp. ; Eleuthère pape. An de J.-C. 181-192.), rencontrant un homme d’une corpulence extraordinaire, le coupa en deux pour prouver sa force et jouir du plaisir de voir se répandre les entrailles de la victime[65]. Il se disait Hercule ; il voulut que Rome changeât de nom et prît le sien ; de honteuses médailles ont perpétué le souvenir de ce caprice. Commode périt par l’indiscrétion d’un enfant, par le poison que lui donna une de ses concubines et par la main d’un athlète qui acheva en l’étranglant ce que le poison avait commencé[66].

Sous le règne de Commode paraît une nouvelle race de destructeurs, les Sarrasins, si funestes à l’empire d’Orient.

Pertinax (Pertinax, Julianus, emp. ; Victor, pape. An de J.-C. 193.) succède à Commode ; il se montra digne du pouvoir : son ambition était de celles qu’inspire la conscience des talents qu’on a, et non l’envie des talents qu’on ne peut atteindre. Le nouvel empereur fit redemander à des barbares le tribut qu’on leur accordait, et ils le rendirent : démarche vigoureuse ; mais les devanciers de Pertinax, en immolant à leurs faiblesses ou à leurs vices la dignité et l’indépendance romaines, avaient fait un mal irréparable. Pouvait-on racheter l’honneur d’un Etat qui allait être vendu à la criée ?

Pertinax était un soldat rigide ; les prétoriens le massacrèrent. L’empire est proposé au plus offrant : il se trouva deux fripiers de tyrannie pour se disputer les haillons de Tibère. Didius Julianus l’emporte sur son compétiteur par une surenchère de douze cents drachmes[67], et il fut menacé d’être exécuté pour dettes. Jadis le sénat avait proclamé la vente d’un morceau du territoire de la république : c’était celle du champ où campait Annibal.

Le sénat de Didius fut pourtant honteux ; il eut peur surtout quand il apprit le soulèvement des légions ; elles avaient élu trois empereurs. On se hâta de réparer une bassesse par une cruauté ; au bout de soixante-six jours Didius déposé fut condamné à mort : Quel crime ai-je commis ?[68] disait-il en pleurant. Le malheureux n’avait pas eu le temps d’apprendre la tyrannie ; il ignorait qu’avoir acheté l’empire et n’avoir ôté la vie à personne était une contradiction qui rendait son règne impossible : homme commun, il était au-dessous de son crime.

On ne sait pourquoi Rome rougit de l’élévation de Didius Julianus, si ce n’est par un de ces mouvements de dignité naturelle qui reviennent quelquefois au milieu de l’abjection. Denys à Corinthe disait à ceux qui l’insultaient : J’ai pourtant été roi. Un peuple dégénéré, qui ne songeait jamais à se passer de maître quand il avait le pouvoir de s’en donner un appela à l’empire Pescennius Niger, commandant en Orient ; mais Septime Sévère avait été choisi par les légions d’Illyrie, et Clodius Albinus par les légions britanniques. Alors recommencèrent les guerres civiles : Sévère, demeuré vainqueur de Niger en trois combats en Asie, fut également heureux contre Albinus, à la bataille de Lyon[69]. Sous prétexte de punir les partisans de ce dernier, il fit mourir un grand nombre de sénateurs. Les fortunes des familles sénatoriales étaient énormes ; on ne les pouvait atteindre avec l’impôt, mal entendu : le crime de lèse-majesté fut inventé comme une loi de finances : il entraînait la confiscation des biens. On voit des princes en parvenant à l’empire annoncer qu’ils ne feront mourir aucun sénateur : c’était déclarer qu’ils ne lèveraient aucune nouvelle taxe.

Sévère (Septime-Sévère emp. ; Victor Ier, Zéphirin, papes. An de J.-C. 193-212.) était né à Leptis, sur la côte d’Afrique : il se trouva que le chef des Romains parlait la langue d’Annibal. Il avait la cruauté et la foi puniques, et ne manquait pas toutefois d’une certaine grandeur. A l’imitation de Vitellius, il cassa d’abord les gardes prétoriennes ; ensuite il les rétablit et les augmenta, en les composant des plus braves soldats des légions d’Illyrie : jusque alors on n’avait admis dans ce corps que des hommes tirés de l’Italie, de l’Espagne et de la Norique, provinces depuis longtemps réunies à l’empire. Les barbares approchaient de plus en plus du trône ; nous les verrons s’élever au rang des favoris et des ministres, pour devenir empereurs.

Sévère força les sénateurs à mettre Commode au rang des dieux : Il leur convient bien, disait-il, d’être difficiles ! valent-ils mieux que ce tyran ? Il importait à Sévère de ne pas laisser dégrader Commode, puisqu’il voulait livrer le monde à Caracalla. Les empereurs cherchaient par le biais de l’association, et par les titres d’auguste et de césar, à rendre la pourpre héréditaire ; mais deux corps, l’armée et le sénat, leur opposaient des obstacles : dans l’un de ces corps était le fait, dans l’autre le droit ; et le fait et le droit, qui souvent se combattent, s’entendaient pour jouir de ce qu’ils s’étaient approprié en dépouillant le peuple romain.

Après avoir triomphé des Parthes, Sévère, sur la fin de sa vie, passa dans la Grande-Bretagne, battit les Calédoniens, et éleva pour les contenir la muraille qui porte son nom ; c’est l’époque de la fiction de Fingal.

L’empereur avait épousé Julie Domna, née à Emèse en Syrie, femme de beauté, de grâce, d’instruction et de courage : il en eut deux fils, Caracalla et Geta, qui furent ennemis dès l’enfance. Caracalla, pressé de régner, voulut se débarrasser de son père, lorsque celui-ci était engagé dans la guerre de la Calédonie. Sévère, rentré dans sa tente, se couche, met une épée à côté de lui et fait appeler son fils. Si tu veux me tuer, lui dit-il, prends cette épée, ou ordonne à Papinien ici présent de m’égorger ; il t’obéira, car je te fais empereur[70]. Peu de temps après, Sévère, malade à York, et sentant sa fin venir, dit : J’ai été tout, et rien ne vaut[71]. L’officier de garde s’étant approché de sa couche, il lui donna pour mot d’ordre : Travaillons[72] ; et il tomba dans le repos éternel.

Les règnes de Commode, de Pertinax, de Julianus et de Sévère virent éclater l’éloquence des premiers Pères de l’Église : parmi les Pères grecs, on trouve saint Clément d’Alexandrie (Le Maître et Les Stromates sont des ouvrages remplis de faits curieux) ; parmi les Pères latins, Tertullien est le Bossuet africain. Saint Irénée, bien qu’il écrivit en grec, déclare dans son traité contre les hérésies qu’habitant parmi les Celtes, obligé de parler et d’entendre une langue barbare, on ne doit point lui demander l’agrément et l’artifice du style. Il nous apprend que l’Évangile était déjà répandu par tout le monde ; il cite les Églises de Germanie, de Gaule, d’Espagne, d’Orient, d’Egypte, de Libye, éclairées, dit-il, de la même foi comme du même soleil[73]. Il nomme les douze évêques qui succédèrent à Rome depuis Pierre jusqu’à Eleuthère. Il affirme qu’il avait connu lui-même Polycarpe établi évêque de Smyrne par les apôtres, lequel Polycarpe avait conversé avec plusieurs disciples qui avaient vu Jésus-Christ[74], C’est un des témoignages les plus formels de la tradition.

En ce temps-là Pantenus, chef de l’école chrétienne d’Alexandrie, prêcha la foi aux nations orientales : il pénétra dans les Indes ; il y trouva des chrétiens en possession de l’Évangile de saint Matthieu, écrit en langue hébraïque, et que cette Église tenait de l’apôtre Barthélemy[75].

On voit par les deux livres de Tertullien à sa femme que les alliances entre les chrétiens et les païens commençaient à devenir fréquentes ; mais, selon l’orateur, c’étaient les plus méchants des païens qui épousaient des chrétiennes, et les plus faibles des chrétiennes qui se mariaient à des païens[76]. Ce traité répand de grandes lumières sur la vie domestique des familles des deux religions.

Le nombre des disciples de l’Évangile s’augmenta beaucoup à Rome sous le règne de Commode, surtout parmi les familles nobles et riches Apollonius, sénateur instruit dans les lettres et dans la philosophie, avait embrassé le culte nouveau : dénoncé par un de ses esclaves, l’esclave subit le supplice de la croix, d’après l’édit de Marc-Aurèle qui défendait d’accuser les chrétiens comme chrétiens[77]. Mais Apollonius fut condamné à son tour à perdre la tête, parce que tout chrétien qui avait comparu devant les tribunaux, et qui ne rétractait pas sa croyance, était puni de mort. Apollonius prononça en plein sénat une apologie complète de la religion.

Le pape Eleuthère mourut, et eut pour successeur Victor, qui gouverna l’Église de Rome pendant douze ans.

L’empereur Sévère aima d’abord les chrétiens, et confia l’éducation de son fils aîné à l’un d’eux, nommé Proculus ; il protégea les membres du sénat convertis à la foi, mais il changea de conseil dans la suite, et provoqua une persécution générale : elle emporta Perpétue, Félicité, et saint Irénée avec une multitude de son peuple. Tertullien écrivit l’éloquente et célèbre apologie où il disait : Nous ne sommes que d’hier, et nous remplissons vos cités, vos colonies, l’armée, le palais, le sénat, le forum : nous ne vous laissons que vos temples[78]. Il publia son Exhortation aux Martyrs, ses traités des Spectacles, de l’Idolâtrie, des Ornements des Femmes, et son livre Des Prescriptions : admirable ouvrage, qui servit de modèle à Bossuet pour son chef-d’œuvre Des Variations. Tertullien tomba dans l’hérésie des montanistes, qui convenait à la sévérité de son génie. Origène commençait à paraître.

Sous la persécution de Sévère, les chrétiens cherchèrent à se mettre à l’abri à prix d’argent ; cet usage fut continué. Sévère mort, Caracalla (Caracalla emp. ; Zéphirin pape. An de J.-C. 212-217.) régna avec son frère Geta ; bientôt il le fit massacrer, dans les bas de sa mère. Un mot de Papinien est resté : invité par l’empereur à faire l’apologie du meurtre de Geta, le jurisconsulte, moins complaisant que le philosophe Sénèque, répondit : Il est plus facile de commettre un parricide que de le justifier[79].

Avec Caracalla reparurent sur le trône la dépravation et la cruauté : des massacres eurent lieu à Rome, dans les Gaules, à Alexandrie. Cet empereur s’appela d’abord Bassianus, du nom de son aïeul, prêtre du soleil en Phénicie. Il quitta ce nom, par ordre de Sévère, pour celui de Marc-Aurèle Antonin. Les vices de Caracalla, en contraste avec les vertus sous le patronage desquelles on le voulait mettre, ne servirent qu’à le rendre plus odieux. Le mépris du peuple fit évanouir des surnoms glorieux dans ce nom de Caracalla, emprunté d’un vêtement gaulois que le fils de Sévère affectait.

Sévère avait ébranlé l’Etat par l’introduction des barbares dans les gardes prétoriennes ; Caracalla acheva le mal en étendant le droit du citoyen à tous ses sujets : le sang romain fut dégradé de noblesse, et par une sorte d’égalité démocratique tout sujet, barbare ou romain, fut admis à concourir à la tyrannie. Peu à peu les distinctions de villes libres, de colonies, de droit latin ou droit italique, s’effacèrent. En théorie c’était un bien, en pratique un mal ; il n’était pas question de liberté, mais d’argent ; il s’agissait non d’affranchir les masses, mais de faire payer aux individus comme citoyens le vingtième sur les legs et héritages dont ils étaient exempts comme sujets. Les vieilles habitudes et l’homogénéité de la race se perdirent ; on troqua la force des mœurs contre l’uniformité de l’administration[80].

Caracalla eut, comme tant d’autres, la passion d’imiter Alexandre : ces copistes d’un héros oubliaient que la pique du Macédonien fit éclore plus de cités qu’elle n’en renversa. Sur les bords du Rhin et du Danube, Caracalla rencontra par hasard deux peuples nouveaux, les Goths et les Allamans. Il aimait les barbares ; on prétend même que dans des conférences particulières il leur dévoilait le secret de la faiblesse de l’empire, secret que leur épée leur avait déjà révélé.

Passé en Asie, Caracalla visita les ruines de Troie. Pour honorer et rappeler la mémoire d’Achille, dont il se prétendait la vraie ressemblance, il voulut pleurer la mort d’un ami ; en conséquence, un poison fut donné à Festus, affranchi qu’il aimait tendrement ; après quoi il lui éleva un bûcher funèbre. Et comme Achille, le plus beau des Grecs, coupa sa chevelure blonde sur le bûcher de Patrocle, Caracalla, laid, petit et difforme, arracha deux ou trois cheveux que la débauche lui avait laissés, excitant la risée des soldats qui le voyaient chercher et trouver à peine sur son front la matière du sacrifice à l’ami qu’il avait fait empoisonner[81].

Caracalla était malade de ses excès ; son âme souffrait autant que son corps : ses crimes lui apparaissaient ; il se croyait poursuivi par les ombres de son père et de son frère[82]. Il consulta Esculape, Apollon, Sérapis, Jupiter Olympien ; il ne fut point soulagé : on ne guérit point des remords.

Macrin (Macrin emp. Zéphirin pape. An de J.-C. 217-218.), préfet du prétoire, menacé par Caracalla, le fit assassiner[83]. On croit que l’impératrice, accusée d’inceste avec Caracalla, son fils, mourut d’une mort douloureuse, volontaire ou involontaire[84]. Il ne resta rien de la famille de Sévère, dont les malheurs, malgré le dire des historiens, frappèrent peu les hommes. Dans les vieilles races, c’est la chute qui étonne ; dans les races nouvelles, c’est l’élévation : les premières en tombant sortent de leur position naturelle, les secondes y rentrent.

Caracalla eut des temples et des prêtres. Macrin demanda des autels pour son assassiné. Les Romains débarrassés de leurs tyrans, ils en faisaient des dieux. Ces tyrans jouissaient ainsi de deux immortalités : celle de la haine publique, et celle de la loi religieuse qui consacrait cette haine.

Macrin revêtait d’un extérieur grave et d’une apparence de courage un caractère frivole et timide : il désira l’empire, l’obtint, et s’en trouva embarrassé. Il avait l’instinct du mal, il n’en avait pas le génie ; impuissant à féconder ce mal, quand il avait commis un crime il ne savait plus qu’en faire : c’est ce qui arrive lorsque l’ambition dépasse la capacité, qu’une haute fortune se trouve resserrée dans un esprit étroit et dans une âme petite, au lieu de s’étendre à l’aise dans une large tête et dans un grand cœur. Après quatorze mois de règne, l’armée ôta l’empire à Macrin aussi facilement qu’elle le lui avait prêté.

Julie, femme de Septime Sévère et fille de Bassianus, avait une sœur, Julia Maesa ; celle-ci, mariée à Julius Avitus, en eut deux filles : Sœmis et la célèbre Mamée. Mamée mit au jour Alexandre Sévère, et Sœmis fut mère d’Elagabale, plus connu sous le nom altéré d’Héliogabale. Sœmis avait épousé Varius Marcellus, mais on ne sait si elle n’eut point un commerce secret avec Caracalla, et si Elagabale ne fut point le fruit de ce commerce.

Après la mort de Caracalla, Maesa, sœur de l’impératrice Julie, se retira à Emèse avec ses deux filles, Sœmis et Mamée, toutes deux veuves, et chacune ayant un fils : Elagabale avait treize ans, Alexandre neuf. Maesa fit donner à Elagabale la charge de grand-prêtre du soleil. Dans ses habits sacerdotaux il était d’une rare beauté ; on le comparait aux plus parfaites statues de Bacchus. Une légion le vit, en fut charmée, et par les intrigues de Maesa le proclama empereur Qu’on juge du caractère de l’armée : elle choisit Elagabale parce qu’il était beau, parce qu’elle le crut fils de Caracalla et de Sœmis, c’est-à-dire bâtard d’un monstre et d’une femme adultère.

Macrin dépêcha contre la légion un corps de troupes que commandait Ulpius Julianus. Celui-ci, abandonné de ses troupes, périt par un assassinat. Un soldat lui coupa la tête, l’enveloppa, en fit un paquet qu’il cacheta avec le sceau de Julianus, et la présenta à Macrin comme la tête d’Elagabale : Macrin déroula le paquet sanglant, et reconnut que cette tête demandait la sienne. Après avoir perdu une bataille contre son rival, qui déploya de la valeur, il s’enfuit, fut arrêté et massacré. Son fils, qu’il envoyait au roi des Parthes, éprouva le même sort.

Elagabale (Elagabale emp. ; Zéphirin, Caliste papes. An de J.-C. 218-222) régna donc. Il fallait que toutes les passions et tous les vices passassent sur le trône, afin que les hommes consentissent à y placer la religion qui condamnait tous les vices et toutes les passions.

Rome vit arriver un jeune Syrien, prêtre du soleil : le tour des yeux peint, les joues colorées de vermillon, portant une tiare, un collier, des bracelets, une tunique d’étoffe d’or, une robe de soie à la phénicienne, des sandales ornées de pierres gravées, ce jeune Syrien, entouré d’eunuques, de courtisanes, de bouffons, de chanteurs, de nains et de naines dansant et marchant à reculons devant une pierre triangulaire. Elagabale vint régner aux foyers du vieil Horace, rallumer le feu chaste de Vesta, prendre le bouclier sacré de Numa et toucher les vénérables emblèmes de la sainteté romaine[85].

Au milieu de tant de règnes exécrables, celui d’Elagabale se distingue par quelque chose de particulier. Ce que l’imagination des Arabes a produit de plus merveilleux en fêtes, en pompes, en richesses, ne semble qu’une tradition confuse du règne du prêtre du soleil : vous verrez ces détails à l’article des mœurs des Romains. Le vice qui gouverna plus particulièrement le monde sous Elagabale fut l’impudicité : ce prince choisissait les agents du pouvoir d’après les qualités qui les rendaient propres à la débauche[86] ; dédaignant les distinctions sociales ou les avantages du génie, il plaçait la souveraineté politique dans la puissance qui tient le plus de l’instinct et de la brute.

Il arriva qu’ayant pris plusieurs maris, il se donna pour maître tantôt un cocher du cirque, tantôt le fils d’un cuisinier[87]. Il se faisait saluer du titre de domina et d’impératrice ; il s’habillait en femme, travaillait à des ouvrages en laine. Homme et femme, prostitué et prostituée, il n’aurait pas été plus pur quand il se fût consacré au culte de Cybèle, comme il en eut la pensée. Il donna un siège à sa mère dans le sénat auprès des consuls, et créa un sénat de femmes qui délibéraient sur la préséance, les honneurs de cour et la forme des vêtements.

Elagabale n’était pas cependant dépourvu de courage. Le pressentiment d’une courte vie le poursuivait : il avait préparé pour se tuer, à tout événement, des cordons de soie, un poignard d’or, des poisons renfermés dans des vases de cristal et de porphyre, une cour intérieure pavée de pierres précieuses sur lesquelles il comptait précipiter du haut d’une tour. Ces ressources lui manquèrent ; il vécut dans des lieux infâmes, et fut tué dans des latrines[88] avec sa mère. On lui coupa la tête ; son cadavre, traîné jusqu’à un égout, ne put entrer dans l’ouverture, trop étroite[89] ; ce hasard valut à Elagabale les honneurs du Tibre, d’où il reçut le surnom de Tiberius, équivoque qui signifiait le noyé dans le Tibre ou le petit Tibère : ainsi les Romains jouaient avec leur infamie. Quand le despotisme descend si bas que sa dégradation lui ôte sa force, les esclaves respirent un moment : dans les temps d’opprobre, le mépris tient quelquefois lieu de liberté. N’oublions pas, afin d’être juste, qu’Elagabale était un enfant ; il n’avait guère que vingt-deux ans quand il fut massacré, et il avait déjà régné trois ans neuf mois et quatre jours : sa mère, son siècle et la nature du gouvernement dont il devint le chef le perdirent.

Les mêmes femmes dont l’ambition s’était trouvée mêlée au règne de Caracalla, de Macrin et d’Elagabale contribuèrent à la chute de ce dernier prince, et amenèrent l’inauguration de son successeur. Sœmis avait déterminé son fils à créer auguste son cousin Alexandre. Elagabale, jaloux de la vertu d’Alexandre, essaya d’abord de le corrompre ; n’y pouvant réussir, il le voulut tuer ; Mamée pour le sauver le conduisit au camp des prétoriens. Une réconciliation eut lieu et dura peu. Elagabale massacré, son cousin reçut la pourpre.

Chaque empereur, en passant au trône, y laissait quelque chose pour la destruction de l’empire : le luxe qu’Elagabale avait exagéré dans les ameublements, les vêtements et les repas, resta à dater de ce règne la profusion de la soie et de l’or, les largesses aux légions allèrent croissant. Le prince syrien avait fait frapper des pièces d’or, les unes doubles et quadruples des anciennes, les autres ayant dix, cinquante, cent fois cette valeur : il distribuait cette monnaie aux soldats, à l’exemple de ses prédécesseurs ; mais comme il comptait par le nombre et non par le poids des pièces, il centuplait quelquefois le prix du présent : or, pour changer les mœurs d’un Etat il suffit d’en changer les fortunes.

L’empereur Elagabale n’étant plus, on renvoya en Syrie le dieu Elagabale, introduit à Rome avec son grand-prêtre. Un décret interdit à jamais l’entrée du sénat aux femmes. Les essais du despote d’Asie n’en avilirent pas moins les antiques institutions : Jupiter Capitolin avait cédé sa place au Soleil, et une femme avait siégé dans des sénatus-consultes. La religion est si nécessaire à la durée des Etats que même lorsqu’elle est fausse elle entraîne en s’écroulant l’édifice politique. L’ancienne société périt avec le polythéisme ; mais dans son sein s’est élevé un autre culte, prêt à remplacer le premier et à devenir le fondement d’une société nouvelle.

Alexandre Sévère (Alex. Sévère emp. Urbain Ier, Pontien papes. An de J.-C. 222-235), prince économe et de bon sens, consacra presque tout son règne à des réformes : dans les vieux gouvernements, l’administration se perfectionne à mesure que les mœurs se détériorent : la civilisation passe de l’âme au corps. Malheureusement Alexandre ne put détruire le mal que le temps avait fait : les légions, séditieuses et avides, ne pouvaient plus être réformées que par le fer des barbares. Sous la quatrième année du règne de ce prince on place une révolution en Orient.

Après qu’Alexandre le Grand eut passé, et que les Romains, sans les couvrir, se furent répandus sur ses traces, la monarchie des Parthes se forma. Artaban, dernier rejeton de la dynastie des Arsacides, était encore sur le trône lorsque Alexandre Sévère fut mis à la tête du monde romain. Artaban avait été ingrat envers un de ses sujets, qui ne fut pas assez généreux pour pardonner l’ingratitude : il se révolte contre son maître, le renverse, et s’assied dans sa place[90].

Il se nommait Artaxerxés. Fils adultérin de la femme d’un tanneur et d’un soldat, il prétendit descendre des souverains de Babylone : on ne conteste point la noblesse des vainqueurs ; il fut ce qu’il voulut être. Proclamé l’héritier et le vengeur de Darius, il fit quitter à sa nation le nom des Parthes pour reprendre celui des Perses, établit un empire fatal à Rome, lequel, après avoir duré quatre cent vingt-cinq ans, fut renversé par les Sarrasins.

Non content d’avoir affranchi sa patrie, Artaxerxés redemanda aux Romains les provinces qu’ils occupaient dans l’Orient : voulait-il se faire légitimer par la gloire ? On ne sait si Alexandre Sévère vainquit Artaxerxés, mais il revint à Rome, et triompha[91]. De là il se rendit dans les Gaules. Les mouvements des Goths et des Perses, aux deux extrémités de l’empire, avaient obligé les Romains à porter leurs principales forces sur le Danube et sur l’Euphrate et à retirer cinq des huit légions qui gardaient les bords du Rhin. L’invasion des chrétiens suivait celle des barbares. Mamée, mère d’Alexandre, professait peut-être la religion nouvelle : du moins inspira-t-elle à son fils un grand respect pour cette religion. Il adorait, dans une chapelle domestique, l’image de Jésus-Christ entre celle d’Apollonius de Thyane, d’Abraham et d’Orphée[92] : A l’exemple de la communauté chrétienne, qui publiait les noms des prêtres et des évêques avant leur ordination, il promulguait les noms des gouverneurs de province[93], afin que le peuple pût blâmer ou approuver le choix impérial. Il prenait pour règle de conduite la maxime : Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse. Il avait ordonné qu’elle fût gravée dans son palais et sur les murs des édifices publics. Quand le crieur châtiait un coupable, il lui répétait la sentence favorite d’Alexandre[94] : une seule parole de l’Évangile créait un prince juste au milieu de tant de princes iniques.

Mais les jurisconsultes placés dans les conseils et dans les charges de l’Etat, Sabin, Ulpien, Paul, Modestin, étaient ennemis des disciples de la croix ; leur culte paraissait à ces magistrats, amateurs et gardiens du passé, une nouveauté destructive des anciennes lois[95] et des vieux autels. Ulpien avait formé le septième livre d’un traité sur le devoir d’un consul, des édits statuant les délits à punir et les peines à infliger aux chrétiens.

Ulpien, préfet du prétoire, égorgé de la main de ses soldats, avait été disciple de Papinien. On compte ensuite Paul et Modestin : à ce dernier s’éteint le flambeau de cette jurisprudence dont les oracles furent recueillis par Théodose le jeune et par Justinien. Au surplus si les belles lois attestent le génie d’un peuple, elles accusent aussi ses mœurs, comme le remède dénonce le mal. Au commencement les Romains n’eurent point de lois écrites : sous leurs trois derniers rois, une quarantaine de décisions furent recueillies sous le nom de code Papirien. Les douze Tables composant en tout cent cinquante textes (soit qu’elles aient été ou non empruntées à la Grèce et expliquées par l’exilé Hermodore[96]) suffirent à la république tant qu’elle conserva la vertu. Vinrent toujours sous la république, le droit flavien et le droit aelien. Avec Auguste commença sous l’empire la loi Regia qu’on a niée, et successivement s’entassèrent les diverses constitutions des empereurs jusqu’aux codes grégorien et hermogénien. Alors les Romains corrompus n’eurent plus assez des sénatus-consultes, des plébiscites, des édits des princes, des édits des préteurs, des décisions des jurisconsultes et du droit coutumier. La famille en vieillissant multipliait les cas de jurisprudence : l’esprit des tribunaux se subtilisait à mesure que s’enchevêtraient les rapports des choses et des individus. Deux mille volumes, compilés par Tribonien, forment le corps du droit romain sous le nom de Code, de Digeste ou Pandectes, d’Institutes et de Novelles, sans parler du droit grec-romain, ou de la paraphrase de Théophile, et des sept volumes in-folio des Basiliques, ouvrage des empereurs Basile, Léon le Philosophe et Constantin Porphyrogénète : solide masse qui a survécu à Rome, mais qui n’a pu l’arc-bouter assez pour l’empêcher de crouler. La société vit plus par les mœurs que par les lois, et les nations qui ne sauvent pas leur innocence périssent souvent avec leur sagesse.

Pendant les règnes de Sévère, de Caracalla, de Macrin, d’Elagabale et d’Alexandre, le pape Zéphirin succéda à Victor martyr, Calixte à Zéphirin, Urbain à Calixte, et Pontien à Urbain. Minutius Felix écrivit son dialogue pour la défense du christianisme. Minutius se promène un matin au bord de la mer à Ostie avec Octavius, chrétien, et Cecilius, attaché au paganisme : les trois interlocuteurs regardent d’abord des enfants qui s’amusaient à faire glisser des cailloux aplatis sur la surface de l’eau ; ensuite Minutius s’assied entre ses deux amis. Cecilius, qui avait salué une idole de Sérapis, demande pourquoi les chrétiens se cachent, pourquoi ils n’ont ni temples, ni autels, ni images ? Quel est leur Dieu ? d’où vient-il ? où est-il, ce Dieu unique, solitaire, abandonné, qu’aucune nation libre ne connaît, Dieu de si peu de puissance qu’il est captif des Romains avec ses adorateurs ? Les Romains sans ce Dieu règnent et jouissent de l’empire du monde. Vous, chrétiens, vous n’usez d’aucuns parfums, vous ne vous couronnez point de fleurs, vous êtes pâles et tremblants ; vous ne ressusciterez point comme vous le croyez, et vous ne vivez pas en attendant cette résurrection vaine.

Octavius répond que le monde est le temple de Dieu, qu’une vie pure et les bonnes œuvres sont le véritable sacrifice. Il réfute l’objection tirée de la grandeur romaine, et tourne à leur avantage le reproche de pauvreté adressé aux disciples de l’Évangile : Cecilius se convertit. Peu de dialogues de Platon offrent une plus belle scène et de plus nobles discours[97].

Origène, fils d’un père martyr, ouvrit à Alexandrie son école chrétienne ; il y enseignait toutes sortes de sciences. Mamée, mère de l’empereur, le voulut voir ; les païens et les philosophes assistaient à ses cours, lui dédiaient des ouvrages et le vantaient dans leurs écrits. Il avait appris l’hébreu ; il étudiait encore l’écriture dans la version des Septante et dans les trois versions grecques d’Aquila, de Théodotion et de Symmaque. Il composa un si grand nombre d’ouvrages, que sept sténographes étaient occupés à écrire chaque jour sous sa dictée[98] : on connaît sa faute et sa condamnation. Il eut le génie, l’éloquence et le malheur d’Abailard, sans le devoir à une passion humaine ; il n’eut de faiblesse que pour la science et la vertu. C’est dans Origène que s’opéra la transformation du philosophe païen dans le philosophe chrétien : sa méthode était d’une clarté infinie, sa parole d’un grand charme. D’autres écrivains ecclésiastiques se firent aussi remarquer alors, en particulier Hippolyte, martyr, et peut-être évêque d’Ostie : il inventa à l’effet de trouver le jour de Pâques un cycle de seize ans, qui nous est parvenu [Hier. Script.].

Vous avez vu Alexandre partir pour les Gaules, où trois légions seulement étaient restées. Le désordre s’était mis dans ces légions ; l’empereur s’efforça d’y établir la discipline ; elles se soulevèrent à l’instigation de Maximin. Le fils de Mamée avait déjà régné treize ans, et promettait de vivre ; c’était trop : les largesses que les gens de la pourpre faisaient au soldat à leur élection devinrent pour eux une nouvelle cause de ruine. L’empire était une ferme que le prince prenait à bail, moyennant une somme convenue, mais avec une clause tacite, en vertu de laquelle il s’engageait à mourir promptement.

Des assassins, suscités par Maximin, tuèrent Alexandre avec sa mère dans le bourg de Sécila, près de Mayence.

L’empire perdit le reste d’ordre dans lequel nous l’avons vu se survivre jusque ici : guerres civiles, invasion générale des barbares, territoire démembré, provinces saccagées, plus de cinquante princes élevés et précipités, tel est le spectacle qu’on a sous les yeux pendant un demi-siècle, jusqu’au règne de Dioclétien, où le monde se reposa dans d’autres malheurs. Un Etat qui renferme dans son sein le germe de sa destruction marche encore si personne n’y porte la main, mais au moindre choc il se brise : la science consiste à le laisser aller sans le toucher.

Maximin (Maximin emp. ; Anthère, Fabien papes. An de J.-C. 235-238.) remplaça Alexandre.

Voici un premier barbare sur le trône, et de cette race même qui produisit le premier vainqueur de Rome. Il était né en Thrace ; son père se nommait Micca, et était Goth ; sa mère s’appelait Ababa, et descendait des Alains. Pâtre d’abord, il devint soldat sous Septime Sévère, centurion sous Caracalla, tribun sous Elagabale, qu’il fut au moment de quitter par pudeur[99], et enfin le commandant des nouvelles troupes levées par Alexandre : cet ambitieux barbare sacrifia son bienfaiteur.

Il avait huit pieds et demi de haut ; il traînait seul un chariot chargé, brisait d’un coup de poing les dents ou la jambe d’un cheval, réduisait des pierres en poudre entre ses doigts, fendait des arbres, terrassait seize, vingt et trente lutteurs sans prendre haleine, courait de toute la vitesse d’un cheval au galop, remplissait plusieurs coupes de ses sueurs, mangeait quarante livres de viande et buvait une amphore de vin dans un jour[100]. Grossier et sans lettres, parlant à peine la langue latine, méprisant les hommes, il était dur, hautain, féroce, rusé, mais chaste et amateur de la justice ; il était brave aussi, bien qu’il ne fût pas, comme Alaric, de ces soldats dont l’épée est assez large pour faire une plaie qui marque dans le genre humain. On sent ici une nouvelle race d’hommes, laquelle avait trop de ce que l’ancienne n’avait plus assez. Dieu prenait par la main l’enrôlé dans ses milices, pour le montrer à la terre et annoncer la transmission des empires. Il n’y avait que treize années entre le règne d’Elagabale et celui de Maximin : l’un était la fin, l’autre le commencement d’un monde.

Ainsi une même génération de Romains eut pour maîtres en moins d’un quart de siècle un Africain, un Assyrien et un Goth ; vous allez bientôt voir passer un Arabe. De ces divers aventuriers candidats au despotisme qui affluaient à Rome, aucun ne vint de la Grèce ; cette terre de l’indépendance se refusait à produire des tyrans. En vain les Goths firent périr ses chefs-d’œuvre ; la dévastation et l’esclavage ne lui purent ravir ni son génie ni son nom. On abattait ses monuments et leurs ruines n’en devenaient que plus sacrées ; on dispersait ces ruines, et l’on trouvait au-dessous les tombeaux des grands hommes ; on brisait ces tombeaux, et il en sortait une mémoire immortelle : patrie commune de toutes les renommées, pays qui ne manqua plus d’habitants, car partout où naissait un étranger illustre là naissait un enfant adoptif de la Grèce, en attendant la résurrection de ces indigènes de la liberté et de la gloire qui devaient un jour repeupler les champs de Platée et de Marathon !

Les Romains, revenus de leur surprise, se soulevèrent ; ils ne supportèrent pas l’idée d’être gouvernés par un Goth devenu citoyen en vertu du décret général de Caracalla : comme s’il était séant à ces esclaves de montrer quelque fierté.

Des conspirations éclatèrent, et furent punies : Maximin prétendait réformer l’empire de la même façon qu’il avait rétabli la discipline des légions, par des supplices. A la moindre faute, il faisait jeter aux bêtes, attacher en croix, coudre dans des carcasses d’animaux nouvellement tués, les principaux citoyens. Il détestait le sénat et ces patriciens, les plus vils et les plus insolents des hommes ; il avait la faiblesse de rougir de sa naissance devant ces nobles, qui oubliaient trop lâchement leur origine pour avoir le droit de se remémorer la sienne. Des amis qui l’avaient secouru lorsqu’il était pauvre furent massacrés : il ne leur put pardonner leur souvenir[101]. Ce n’étaient pas les témoins de sa misère qu’il devait tuer, c’étaient ceux de sa fortune. Il inspira une telle frayeur aux sénateurs, qu’on fit des prières publiques afin qu’il plût aux dieux de l’empêcher d’entrer dans Rome.

On l’avait appelé Hercule, Achille, Ajax, Milon le Crotoniate ; on le nomma Cyclope, Phalaris, Busiris, Sciron, Typhon et Gygès : peuple retombé par la corruption dans les fables, comme on retourne à l’enfance par la vieillesse.

Maximin battit les Sarmates et les Germains. Il mandait au sénat : Nous ne saurions vous dire ce que nous avons fait, pères conscrits ; mais nous avons brûlé les bourgs des Germains, enlevé leurs troupeaux, amassé des prisonniers et exterminé ceux qui nous résistaient. Une autre fois : J’ai terminé plus de guerres qu’aucun capitaine de l’antiquité, transporté dans l’empire romain d’immenses dépouilles et fait tant de captifs, qu’à peine les terres de la république pourraient les contenir[102].

Mais l’Afrique se soulevait et proclamait augustes les deux Gordien, le père et le fils.

Gordien le vieux, proconsul d’Afrique, descendait des Gracques par sa mère, de Trajan par son père, de ce que Rome libre et esclave eut de plus illustre. Son père, son aïeul, son bisaïeul et lui-même avaient été consuls ; ses richesses ne se pouvaient compter : on citait ses jeux, ses palais ses bains, ses portiques ; c’étaient bien des prospérités pour mourir : il est vrai que l’empire l’atteignit malgré lui.

Un receveur du fisc ayant été massacré à Thysdrus en Afrique, les auteurs du meurtre, pour échapper à la vengeance de Maximin, revêtirent Gordien le vieux des insignes de la puissance. Il les repoussa, se roula par terre en pleurant : résistance inutile, on le condamna à la pourpre. Gordien le jeune fut salué auguste : ami des lettres, il déplorait les malheurs de sa patrie entre les femmes et les Muses.

Le sénat confirma l’élection des deux Gordien, et déclara Maximin ennemi de la république. L’empereur à cette nouvelle se heurta la tête contre les murs, déchira ses habits, saisit son épée, voulut arracher les yeux à son fils, but, et oublia tout. Le lendemain, il assemble ses troupes : Camarades, les Africains ont trahi leurs serments ; c’est leur coutume. Ils ont élu pour maître un vieillard à qui le tombeau conviendrait mieux que l’empire. Le très vertueux sénat, qui jadis assassina Romulus et César, m’a déclaré ennemi de la patrie tandis que je combattais et triomphais pour lui. Marchons contre le sénat et les Africains, tous leurs biens sont à vous[103].

Lorsque Maximin tenait ce discours, il n’avait déjà plus rien à craindre des Gordien[104] : Capellien, gouverneur de la Numidie, fidèle à Maximin, gagna une bataille où le jeune Gordien perdit la vie. Le vieux Gordien s’étrangla avec sa ceinture, pour ne pas survivre à son fils et pour sortir librement des grandeurs où il était entré de force.

Le sénat désigna deux nouveaux empereurs, Maxime Papien, brave soldat, et Claude Balbin, orateur et poète ; il les choisit parmi les vingt commissaires qu’il avait chargés de la défense de l’Italie. Petit-fils du vieux Gordien, et neveu ou fils du jeune, un troisième Gordien, âgé de treize ans, fut en même temps proclamé césar. Des messagers coururent de toutes parts, ordonnant aux habitants des campagnes de détruire les blés, de chasser les troupeaux, de se retirer dans les villes et d’en fermer les portes à Maximin.

Cependant un accident avait fait éclater à Rome la guerre civile, il y eut des assauts, des combats, des incendies. La présence de l’enfant Gordien apaisa le tumulte : les deux partis se calmèrent à la vue de la pourpre ornée de l’innocence et de la jeunesse[105].

L’empereur n’avait point communiqué son ardeur à ses soldats ; sa rigueur à maintenir la discipline lui avait enlevé l’amour des légions. Il mit le siège devant Aquilée : les habitants se défendirent ; les femmes coupèrent leurs cheveux pour en faire des cordes aux machines de guerre. En mémoire de ce sacrifice, un temple fut élevé à Vénus la Chauve[106]. La fortune se retira de Maximin : on le massacra, lui et son fils.

Le courrier qui transmit à Rome le message de l’armée trouva le peuple au théâtre ; c’était là qu’on était toujours sûr de le rencontrer. Ce peuple, tourmenté de grandeur et de misère, nourri dans les fêtes et les proscriptions, devina la nouvelle avant de l’avoir entendue. Il s’écria : Maximin est mort ! Les jeux finissent, on court aux temples remercier les dieux : tradition et moquerie des grands hommes et des hauts faits de la liberté républicaine. La tête de l’auguste et celle du césar furent dépêchées au sénat. Le fils du géant Maximin avait été instruit dans les lettres ; ses goûts, ses manières, sa parure étaient élégants et recherchés ; beaucoup de femmes l’avaient aimé. Au lieu de l’armure de fer de son père, il portait une cuirasse d’or, un bouclier d’or, une lance dorée, un casque enrichi de pierreries[107]. Après sa mort son visage, meurtri, souillé de sang et de poussière, offrait encore des traits admirables. On avait jadis appliqué au jeune césar les vers où Virgile compare la beauté du fils d’Evandre à l’étoile du matin sortant tout humide du sein de l’Océan[108]. Son sort attendrit un moment la populace, qui brûla dans le Champ de Mars, avec mille outrages, la tête charmante sur laquelle elle venait de pleurer. Ainsi finirent ces deux Goths souverains à Rome avant Alaric, mais par la pourpre et non par l’épée.

Il faut fixer au règne de Maximin le commencement de cette succession d’empereurs militaires nés des circonstances, qui, demi-barbares, soutinrent l’empire contre les efforts des barbares. C’est aussi à cette époque qu’éclata la rivalité du sénat et de l’armée pour l’élection du prince : nouvelle cause de destruction ajoutée à toutes celles qui fermentaient dans l’Etat.

Ce sénat, d’ailleurs si abject, avait jusque là conservé, par ses traditions de gloire, par son nom, par la richesse de ses membres et les dignités dont ils étaient revêtus, une sorte de puissance inexplicable : c’était au sénat que les empereurs rendaient compte de leurs victoires ; c’était le sénat qui gouvernait dans les interrègnes. Les années se marquaient par consulats ; la religion et l’histoire se rattachaient à l’existence sénatoriale. On lisait partout S. P. Q. R., lorsqu’il n’y avait plus ni sénat ni peuple : Rome parlait encore de liberté, comme ces rois modernes qui inscrivent au protocole de leurs titres les souverainetés qu’ils ont perdues.

Jusqu’au règne de Maximin il y avait eu sinon intelligence, du moins accord forcé entre les légions et le sénat ; mais pendant les troubles de ce règne les sénateurs ayant élu seuls trois maîtres furent si satisfaits de ce retour d’autorité qu’ils ne se purent empêcher de témoigner l’envie de la garder. Les légions s’en aperçurent, et ne se laissèrent pas dominer. Les empereurs proclamés dans les provinces par les armées s’habituèrent à considérer le sénat comme un ennemi de leur pouvoir et dont le suffrage ne leur était pas nécessaire ; ils s’éloignèrent de Rome, où ils ne résidèrent plus que rarement et malgré eux. La ville éternelle s’isola peu à peu au milieu de l’empire ; et tandis qu’on se battait autour d’elle, elle s’assit à l’ombre de son nom, en attendant sa ruine.

Maximin persécuta la religion. On trouve dans cette persécution la première mention certaine de basiliques chrétiennes ; toutefois, il est question d’un lieu consacré au culte du Christ sous le règne d’Alexandre Sévère.

Quelques auteurs ont cru que la persécution avait eu pour but principal en Orient d’atteindre Origène : le peuple et les philosophes auraient regardé comme un grand triomphe l’apostasie de ce défenseur de l’Église[109], qui, par l’ascendant de son génie avait opéré une multitude de conversions.

D’autres écrivains ont pensé que la persécution prit naissance à l’occasion du soldat en faveur duquel Tertullien écrivit le livre De la couronne. Je vous ai souvent dit qu’à l’élection d’un empereur l’usage était de faire des largesses aux soldats : ceux-ci pour les recevoir se couronnaient de laurier. Lors de l’avènement de Maximin, un légionnaire s’avança, tenant sa couronne à la main ; le tribun lui demanda pourquoi il ne la portait pas sur la tête comme ses compagnons : Je ne le puis, répondit-il, je suis chrétien.

Tertullien approuve le légionnaire[110], le couronnement de laurier lui paraissant entaché d’idolâtrie.

Auprès des élections par le glaive se continuaient les élections paisibles des autres souverains qui régnaient par le roseau. Le pape Urbain étant mort avait eu pour successeur Pontien, lequel, exilé dans l’île de Sardaigne, abdiqua. Autéros, qui le remplaça, ne vécut qu’un mois, et Fabien fut proclamé évêque de Rome.

La science, au milieu des guerres civiles et étrangères, brillait dans les hautes intelligences chrétiennes. Théodose ou Grégoire de Pons, surnommé le Thaumaturge, paraissait ; Africain écrivait son Histoire universelle, qui, commençant à la création du monde, s’arrêtait à l’an 221 de notre ère[111]. L’histoire y était traitée d’une manière jusqu’alors inconnue ; un chrétien obscur venait dire à l’empire éclatant des césars qu’il était nouveau, que ses faits et ses fables n’avaient qu’un jour, comparés à l’antiquité du peuple de Dieu et de la religion de Moïse. A cette échelle devait se mesurer désormais la vie des nations. La chronique d’Africain ne se retrouve plus que dans celle d’Eusèbe.

Origène publia l’ouvrage qui lui avait coûté vingt-huit ans de recherches[112] ; c’était une édition de l’Ecriture à plusieurs colonnes, et qui prit le nom d’Hexaple, d’Octaple et de Tetraple, selon le nombre des colonnes. Dans les Hexaples, la première colonne contenait le texte hébreu en lettres hébraïques ; la seconde, le même texte en lettres grecques ; la troisième, la version grecque d’Aquila ; la quatrième, celle de Symmaque ; la cinquième, celle des Septante ; la sixième, le texte hébreu de Théodotion.

Les Octaples avaient deux colonnes de plus, composées de deux versions grecques, l’une trouvée à Jéricho, par Origène lui-même, l’autre à Nicopoli en Epire. L’idiome des maîtres du monde n’était pas employé dans cet immense travail. Quelques versions latines, faites sur la version des Septante, suffisaient aux besoins de l’Église de Rome et des autres Églises d’Occident. Les Grecs s’obstinaient à regarder la langue de Cicéron comme une langue barbare.

Les conciles se multipliaient, soit pour les besoins de la communauté chrétienne, soit pour régler la discipline et les mœurs, soit pour combattre l’hérésie. Cyprien, jeune encore, faisait entendre sa voix à Carthage : homme dont l’éloquence fleurie devait inspirer l’éloquence de Fénelon, comme la parole de Tertullien animer la parole de Bossuet.

Tout s’agitait parmi les barbares : les uns s’assemblaient sur les frontières, les autres s’introduisaient dans l’empire, ou comme vainqueurs, ou comme prisonniers, ou comme auxiliaires. Les chrétiens augmentaient également en nombre, et étendaient leurs conquêtes parmi les conquérants.

Maxime et Balbin (Maxime et Balbin emp. ; Fabien pape. An de J.-C. 238.) se trouvèrent empereurs après la mort de Maximin ; le premier était environné d’un corps de Germains qui lui étaient attachés comme les Suisses et les gardes écossaises à nos rois. Les prétoriens en prirent ombrage ; ils n’approuvaient point une élection uniquement due au sénat. Ils coururent aux armes dans le temps que la ville était occupée des jeux capitolins : les empereurs, arrachés de leurs palais, furent égorgés avec les outrages jadis prodigués à Vitellius. Il y avait dans les archives de l’Etat des précédents pour toutes les espèces de meurtres et de vices. Maxime, fils d’un serrurier ou d’un charron, était un homme brave, habile dans la guerre, modéré, et si sérieux qu’on l’avait surnommé le Triste. Balbin, d’une famille qui passait pour noble, sans être ancienne, était doux et affable : on disait du premier qu’il faisait accorder ce qui était dû ; et du second, qu’il donnait au delà. Le troisième Gordien, petit-fils de Gordien le vieux, avait déjà été nommé césar : les prétoriens le saluèrent auguste ; le sénat et le peuple le reconnurent.

Ce prince régna trop peu : il eut pour beau-père son maître de rhétorique, Mysithée, qui l’arracha aux mains des eunuques[113]. Gordien fit de Mysithée son préfet du prétoire et son ministre. Mysithée avait été un homme obscur avant de prendre les rênes de l’Etat ; condition nécessaire pour parvenir lorsqu’on est né avec des talents : dans la carrière politique on ne monte point au pouvoir avec une réputation faite.

La guerre sous Gordien III ne fut pas considérable, mais elle offrit de grands noms. Sapor, fils d’Artaxerxés, attaqua l’empire en Orient, et les Franks se montrèrent dans les Gaules. Aurélien, depuis empereur, commandait alors une légion ; il battit les Franks près de Mayence, en tua sept cents et en fit trois cents prisonniers. Cela passa pour une victoire si importante, que les soldats improvisèrent deux méchants vers, qui sont restés :

Mille Francos, mille Sarmatas semel occidimus ;

Mille, mille, mille Persas quaerimus[114].

Ainsi le nom de nos pères se trouve pour la première fois dans une chanson de soldats, qui exprime à la fois leur valeur et la frayeur des Romains.

Gordien III se prépare à repousser Sapor ; avant de sortir de Rome il ouvre le temple de Janus ; c’est la dernière fois qu’il est question de cette cérémonie dans l’histoire. On présume que le temple ne se ferma plus : ce fut comme un présage des destinées de l’empire. Gordien, passant par la Mésie et par la Thrace, défit les Goths, et fut moins heureux contre les Alains. Il remporta quelques avantages sur Sapor. Il dut son succès à Mysithée, que le sénat honora du nom de tuteur de la république. Gordien eut la candeur d’en convenir en rendant compte de ses victoires au sénat[115] : c’est être digne de la gloire que de la rendre à celui qui nous la donne.

Rome caduque ne portait qu’en souffrant un grand citoyen : quand par hasard elle en produisait un, comme une mère épuisée elle n’avait plus la force de le nourrir. Mysithée mourut, peut-être empoisonné par Philippe, qui lui succéda dans la charge de préfet du prétoire. Dès ce moment le bonheur abandonna Gordien : il y a des esprits faits pour paraître ensemble, et qui sont leur complément mutuel. Les sociétés à leur naissance réparent facilement la perte d’un homme habile ; mais quand elles touchent à leur terme, si des gens de mérite qui leur restent viennent à manquer, tout tombe.

Le nouveau préfet du prétoire était Arabe et fils d’un chef de brigands. Philippe, d’abord associé à Gordien, finit par l’immoler. Gordien s’abaissa à demander successivement le partage égal du pouvoir, le rang de césar, la charge de préfet du prétoire, le titre de duc ou de gouverneur de province, enfin la vie : le meurtrier lui refusa tout, excepté de petites funérailles. Le dernier descendant des Gracques comptait à peine vingt-trois années : l’humble tombeau du jeune empereur romain s’éleva loin du Tibre, au confluent du Chaboras et de l’Euphrate, à quelque distance des ruines de cette Babylone qui vit pleurer Israël auprès des sépulcres des grands rois.

Philippe (Philippe emp. ; Fabien pape. An de J.-C. 244-249.), proclamé auguste, et son fils césar, conclurent la paix avec Sapor, et vinrent à Rome. Jugez de l’état où Rome était parvenue : on ne sait si l’on doit placer à l’époque de l’avènement de Philippe l’existence de deux empereurs, un Marcus, philosophe de métier, et un Severus Hostilianus. On ne connaît que les noms de ces deux titulaires du monde ; on ignore même s’ils ont régné.

C’est aussi à compter de cette époque qu’on nomme tyrans, pour les distinguer des empereurs, les prétendants à l’empire, lesquels, élus par les légions, n’étaient pas avoués du sénat. Il n’y avait pourtant entre ces hommes également oppresseurs que l’inégalité de la fortune : on donnait au succès le titre que l’on refusait au malheur.

On est encore dans le doute sur la vérité d’un fait grave : Philippe était-il chrétien ? Les preuves sont faibles, et nous aurons dans la suite d’assez méchants princes de la foi sans revendiquer celui-ci. Mais c’est une marche historique à signaler que la coïncidence de l’élévation à l’empire d’un Goth dans Maximin et peut-être d’un chrétien dans Philippe.

Philippe célébra les jeux séculaires (en 248, 21 avril) : Horace les avait chantés sous Auguste ; jeux mystérieux, solennisés pendant trois nuits à la lueur des flambeaux au bord du Tibre[116], et qu’aucun homme ne voyait deux fois dans sa vie : ils accomplissaient alors une période de mille ans pour l’ancienne Rome ; ils furent interrompus. Plus de mille autres années s’écoulèrent avant qu’un prince de la Rome nouvelle les rétablit, sous le nom de jubilé, l’an 1300 de l’ère vulgaire. Boniface VIII officia avec les ornements impériaux ; deux cent mille pèlerins se trouvèrent réunis à la fête. Clément VI, Urbain VI et Paul II fixèrent successivement le retour du jubilé, le premier à la cinquantième, le second à la trente-troisième, le dernier à la vingt-cinquième année : Clément, en considération de la brièveté de la vie ; Urbain. en mémoire du temps que Jésus-Christ a passé sur la terre ; Paul, pour la rémission plus prompte des fautes. Les esclaves et les étrangers n’assistaient point aux jeux séculaires de Rome idolâtre : les infortunés et les voyageurs étaient appelés au jubilé de Rome chrétienne.

Philippe fit la guerre aux Carpiens, peuples habitants des monts Carpathes, dans le voisinage des Goths. Ces derniers avaient commencé dès le règne d’Alexandre Sévère à recevoir un tribut des Romains : les Carpiens voulurent obtenir la même faveur, et furent vaincus.

Tout à coup s’élèvent deux nouveaux empereurs, Saturnien en Syrie, Marinus en Mésie. Dèce, dont le nom rappelle la première grande invasion des barbares, était né de parents obscurs ; élevé au consulat ou par ses talents ou par les révolutions qui faisaient surgir indistinctement le mérite et la médiocrité, le vice et la vertu, Dèce se trouva chargé de punir les partisans de Marinus : ils le forcèrent de prendre sa place, de marcher contre Philippe et de lui livrer bataille. Les crimes étaient tombés dans le droit commun, et les guerres civiles formaient le tempérament de l’Etat. Philippe fut vaincu et tué à Vérone[117], son fils égorgé à Rome.

On raconte de ce jeune homme que depuis l’âge de cinq ans il n’avait jamais ri ; il ne monta point au trône, et perdit les joies de l’enfance : il les eût gardées s’il fût resté sous la tente de l’Arabe. Dans ces temps un prince ne périssait presque jamais seul, ses enfants étaient massacrés avec lui. Cette leçon répétée ne corrigeait personne : on trouvait mille ambitieux, pas un père.

Tel était l’état des hommes et des choses à l’avènement de Dèce : tout hâtait la dissolution de l’Etat.

Les barbares n’avaient rien devant eux, sauf le christianisme, qui les attendait pour les rendre capables de fonder une société, en bénissant leur épée.

 

Deuxième partie : de Dèce ou Décius à Constantin

La véritable histoire des barbares s’ouvre avec le règne de Dèce (Decius emp. ; Fabien, Corneille papes. An de J.-C. 249-251.). On les va maintenant mieux connaître ; ils vont donner un autre mouvement aux affaires ; ils vont mêler les races, multiplier les malheurs accomplir les destinées du vieux monde, commencer celles du monde nouveau. Aux courses rapides, aux incursions passagères que les Calédoniens faisaient dans la Grande-Bretagne, les Germains et les Franks dans les Gaules, les Quades et les Marcomans sur le Danube, les Perses et les Sarrasins en Orient, les Maures en Afrique, succéderont des invasions formidables : les Goths paraîtront ; les autres barbares, campés sur les frontières, les pousseront, les suivront. Il semble déjà que le bruit des pas et les cris de cette multitude font trembler le Capitole.

Les Goths, peut-être de l’ancienne race des Suèves, et séparés d’elle par Cotualde, les Goths, fils des conquérants de la Scandinavie, dont ils avaient peut-être chassé les Cimbres, avaient étendu leur domination sur une partie des autres barbares, les Bastarnes, les Venèdes, les Saziges, les Rhoxolans, les Slaves, ou Vandales, ou Esclavons, les Antes et les Alains, originaires du Caucase[118]. Odin, leur premier législateur, fut aussi leur dieu de la guerre, à moins qu’on ne suppose deux Odin : en le plaçant dans le ciel, ils ne firent qu’une seule et même chose de la loi et de la religion. Odin avait un temple à Upsal, où l’on immolait tous les neuf ans deux hommes et deux animaux de chaque espèce, si toutefois Odin, Upsal et son temple existaient dans ces temps reculés[119], ou si même ils ont jamais existé.

Dans le siècle des Antonins, au moment où l’empire romain arrivait au plus haut point de sa puissance, les Goths firent leur premier pas, et s’établirent à l’embouchure de la Vistule. Les colonies des Vandales, ou sorties de leur sein, ou Slaves enrôlés à leur suite, se répandirent le long des rivages de l’Oder, des côtes du Mecklembourg et de la Poméranie. Les Goths séparés en Ostrogoths et en Visigoths, Goths occidentaux et Goths orientaux, se subdivisèrent encore par bandes ou tribus sous les noms d’Hérules, de Gépides, de Burgondes ou Bourguignons, de Lombards[120]. Si l’on ne veut pas que ces derniers soient d’origine gothique, il faudra du moins admettre qu’ils étaient devenus Goths par la conquête, et qu’ensuite détachés de la confédération gothique, quand celle-ci vint à se briser, ils fondèrent les monarchies des Burgondes et des Lombards. Les Goths levèrent leur camp, firent un second pas, se montrèrent sur les confins de la Dacie, et bientôt arrivèrent au Pont-Euxin. Le roi qui gouvernait alors leur monarchie héréditaire se nommait Amala ; il prétendait descendre des Anses[121] ou demi-dieux des Goths.

Trajan en subjuguant les Daces au delà du Danube rendit, sans le savoir, l’empire voisin de ses destructeurs. Les Goths ne furent connus sous leur véritable nom que pendant le règne de Caracalla : quand Rome l’eut appris, elle ne l’oublia plus.

Fiers de leurs conquêtes, grossis de toutes les hordes qu’ils s’étaient incorporées, les Goths, comme un torrent enflé par des torrents, se précipitèrent sur l’empire vers l’époque de la chute de Philippe et l’élévation de son successeur.

Conduits par leur roi Cniva, ils inondent la Dacie, franchissent le Danube, forcent Martianopolis à se racheter, se retirent, reviennent, assiègent Nicopolis, emportent Philippopolis d’assaut, égorgent cent mille habitants et emmènent une foule de prisonniers illustres[122]. Chemin faisant, ils s’amusent à donner un maître au monde ; sauvages, demi-nus, ils accordent la pourpre à Priscus, frère de Philippe, qui la leur avait demandée. Dèce accourt avec son fils pour s’opposer à leurs ravages ; trahi par Gallus, qui veut aussi recevoir l’empire de la main des barbares, attiré dans un marais, il y reste avec son fils et son armée[123].

Dèce, prince remarquable d’ailleurs, qui vit commencer la grande invasion des barbares, s’était de même armé contre les chrétiens : impuissant à repousser les uns et les autres, il ne put faire face aux deux peuples à qui Dieu avait livré l’empire. Cette persécution amena des chutes que saint Cyprien attribue au relâchement des mœurs des fidèles[124]. Dans l’amphithéâtre de Carthage, le peuple criait : Cyprien aux lions ! L’éloquent évêque se retira[125]. Denis d’Alexandrie fut sauvé ; ses disciples le cachèrent. Grégoire le Thaumaturge invita ses néophytes à se mettre en sûreté et se tint lui-même à l’écart sur une colline déserte. L’exécution du prêtre Pionius à Smyrne, de Maxime en Asie, et de Pierre à Lampsaque, est restée dans les fastes de la religion. Le pape Fabien confessa d’âme et de corps le 20 janvier 250. A compter de son martyre les années du pontificat romain deviennent certaines, comme l’ère du Christ est fixée à la croix Alexandre, évêque de Jérusalem ; Babylas, évêque d’Antioche, qui avait obligé l’empereur Philippe et sa mère à se mettre au rang des pénitents la nuit de Pâques, périrent dans les cachots : l’un, vieillard, était éprouvé pour la seconde fois ; l’autre voulut être enterré avec ses fers[126]. Origène, cruellement torturé, résista. Un jeune homme de la basse Thébaïde, nommé Paul, fuyant la persécution, trouva une grotte ombragée d’un palmier et dans laquelle coulait une fontaine qui donnait naissance à un ruisseau. Paul s’enferma dans cette grotte, y vécut quatre-vingt-dix ans, et remporta cette gloire de la solitude qui a fait de lui le premier ermite chrétien[127].

Divers évêques fondèrent des églises dans les Gaules : Denis à Paris, Gatien à Tours, Strémoine à Clermont en Auvergne, Trophime à Arles, Paul à Narbonne, Martial à Limoges.

Après le martyre de Fabien, trois évêques proclamèrent pape Novatien, premier antipape, chef du premier schisme. Le clergé avait élu de son côté Corneille, homme d’une grande fermeté. Il y eut vacance du siège pendant seize mois. On comptait alors à Rome quarante-six prêtres, sept diacres, sept sous-diacres, quarante-deux acolytes, cinquante-deux exorcistes, lecteurs et portiers, quinze cents veuves et autres pauvres nourris par l’Église[128]. Seize évêques avaient concouru à l’ordination de Corneille, confirmée par le peuple. Les soldats de Jupiter faisaient des tyrans, les soldats du Christ des saints ; différence des deux empires.

Gallus proclamé auguste avec Hostilien, second fils de Dèce, s’engage à payer aux Goths un tribut annuel. Ils consentent, à ce prix, à respecter les terres romaines : on tient les conditions qu’on reçoit, non celles qu’on impose : les Goths manquent à leur parole. Une peste effroyable se déclare. Gallus fait exécuter Hostilien, fils de Dèce, et le remplace par son propre fils. La persécution continue. Deux papes, Corneille et Lucius Ier, y succombèrent.

Emilien bat les Goths en Mésie et prend la pourpre. Gallus (Gallus, Emilien, emp. ; Corneille, Lucius Ier, papes. An de J.-C. 251-253.) marche contre lui. Les troupes de Gallus se révoltent, le tuent, lui et son fils, et passent sous les aigles d’Emilien. Valérien amenait au secours de Gallus les légions de la Gaule. Celles-ci, en apprenant la mort de l’empereur, proclament Valérien ; Emilien est assommé à son tour par ses soldats[129]. Valérien partage la puissance avec son fils Gallien. Un tyran s’était élevé sous le règne de Dèce, un autre sous celui de Gallus.

Eprouvé dans les emplois militaires et civils, député des deux premiers Gordien au sénat, Valérien (Valérien, Gallien, emp. ; Etienne, Sixte II, Denis, papes. An de J.-C. 253-360.) se trouva mêlé à toutes les affaires de son temps. La censure lui fut déférée d’une commune voix, lorsque les deux Decius rétablirent cette magistrature, réunie à la dignité impériale. La vie de Valérien, disait-on, censure perpétuelle, retraçait les mœurs de la vénérable antiquité. Pourtant Valérien n’était qu’un génie raccourci qui n’avait pas la taille de sa fortune.

Gallien, que son père avait fait auguste, alla commander dans les Gaules. Le père et le fils couraient de tous côtés pour s’opposer aux barbares : ils étaient aidés d’habiles capitaines, Posthume, Claude, Aurélien, Probus, qui se formaient à l’école des armes par des crimes et par la nécessité. Les Germains, peut-être de la ligue des Franks, envahirent la Gaule jusqu’aux Pyrénées, traversèrent ces montagnes, ravagèrent une partie de l’Espagne, et se montrèrent sur les rivages de la Mauritanie, étonnés de cette nouvelle race d’hommes[130]. Ils furent combattus et repoussés par Posthume sous les ordres de Gallien. Les Allamans, autres Germains, au nombre de trois cent mille, s’avancèrent en Italie jusque dans le voisinage de Rome. Gallien les força à la retraite. Les Goths, les Sarmates et les Quades trouvèrent Valérien en Illyrie, qui les contint, assisté de Claude, d’Aurélien et de Probus.

La Scythie vomissait ses peuples sur l’Asie Mineure et sur la Grèce. Il est probable que ces Scythes Borans, qui se débordèrent alors, n’étaient autres qu’une colonne de Goths, vainqueurs du petit royaume du Bosphore. Ils s’embarquent sur le Pont-Euxin, dans des espèces de cabanes flottantes, se confiant à une mer orageuse et à des marins timides. Repoussés en Colchide, ils reviennent à la charge, attaquent le temple de Diane et la ville d’Oéta qu’immortalisèrent la fable et le génie des poètes, emportent Pythionte, surprennent Trébizonde, ravagent la province du Pont, et, enchaînant les Romains captifs aux rames de leurs vaisseaux, retournent triomphants au désert[131].

D’autres Goths ou d’autres Scythes, qu’encourage cet exemple, font construire une flotte par leurs prisonniers, partent des bouches du Tanaïs, et voguent le long du rivage occidental du Pont-Euxin : une armée de terre marchait de concert avec la flotte. Ils franchissent le Bosphore, abordent en Asie, pillent Chalcédoine, entrent dans Nicomédie, où les appelait le tyran Chrysogonas, saccagent les villes de Lius et de Pouse, et se retirent à la lueur des flammes dont ils embrasent Nicée et Nicomédie[132].

Pendant ces malheurs, Valérien était allé à Antioche ; il s’occupait d’une autre guerre, à lui fatale. Sapor, invité par Cyriade, aspirant à l’empire, était entré en Mésopotamie : Nisibe, Carhes et Antioche devinrent sa proie. Valérien arrive, rétablit Antioche, veut secourir Edesse, que pressaient les Perses, perd une bataille et demande la paix. Sapor lui propose une entrevue ; il l’accepte, et demeure prisonnier d’un ennemi sans foi. La simplicité n’est admirable qu’autant qu’elle est unie à la grandeur, autrement c’est l’allure d’un esprit borné. Valérien était un homme sincère, de même qu’il était un homme nul ; ses vertus avaient le caractère de sa médiocrité.

En sa personne furent expiés la honte et le malheur de tant de rois humiliés au Capitole. Enchaîné et revêtu de pourpre, il prêtait sa tête, son cou ou son dos en guise de marchepied à Sapor lorsque celui-ci montait à cheval[133]. Sapor croyait à tort fouler la puissance : l’empire persan ne s’était pas élevé ; c’était l’empire romain qui s’était abaissé.

Valérien mort (Gallien emp. ; Denis pape. An de J.-C. 260-268.), sa peau, empaillée, tannée et teinte en rouge, resta suspendue pendant plusieurs siècles aux voûtes du principal temple de Perse[134]. Qu’est-ce que la vue de ce trophée fit au monde ? Rien.

Gallien lui-même, regardant le malheur comme une abdication, se contenta de dire : Je savais que mon père était mortel[135]. Il prit l’autre moitié de la pourpre que Valérien avait laissée, comme on dérobe le linceul d’un mort.

Il existe de très belles médailles de Valérien, représentant une femme couronnant l’empereur avec ces mots : Restitutoris Orientis. La fortune démentit l’effronterie de cette adulation. Gallien ne songea ni à racheter ni à venger son père ; il en fit un dieu[136] : cela coûtait moins.

L’empire présente à cette époque un spectacle affreux, mais singulier ; c’était comme une scène anticipée du moyen âge. Jamais depuis les beaux jours de la république on n’avait vu à la fois tant d’hommes remarquables : ces hommes, nés des événements qui forcent les talents à reprendre leur souveraineté naturelle, ne possédaient pas les vertus des Caton et des Brutus ; mais, fils d’un autre siècle, ils étaient habiles et aventureux. Rentrés malgré eux sous la tente, ces Romains de l’empire avaient repris quelque chose de viril par la fréquentation des mâles générations des barbares.

Trente ou plus sûrement dix-neuf tyrans parurent pendant les règnes de Valérien et de Gallien : en Orient, Cyriades, Macrien, Baliste, Odénat et Zénobie ; en Occident, Posthume, Lokien, Victorin et sa mère Victoria, Marius et Tetricus ; en Illyrie et sur les confins du Danube, Ingennus, Régilien et Auréole ; dans le Pont, Saturnin ; en Isaurie, Trébellien ; en Thessalie, Pison ; Valens en Grèce ; en Egypte, Emilien ; Celsus en Afrique. La plupart de ces prétendants qui défendirent l’empire contre les ennemis du dehors, et qui se le voulurent approprier, auraient été des princes capables.

Macrien, vieillard rusé, politique et hardi, était estropié[137] : il faisait porter les ornements impériaux par ses deux fils, jeunes et vigoureux, au lieu de les traîner lui-même[138].

Odénat, qui repoussa Sapor et vengea Valérien, est encore plus connu par sa femme Zénobie et par le rhéteur Longin[139].

Baliste, Ingennus, étaient d’illustres capitaines.

On donnait à Calphurnius Pison le nom d’homme.

Régilien fut si renommé que le sénat lui décerna les honneurs du triomphe, malgré sa révolte contre Gallien[140].

Posthume, qui étendit sa domination sur les Gaules, l’Espagne et peut-être la Grande-Bretagne, eut du génie.

Son successeur Victorin possédait de grands talents, mais avec la faiblesse qui souvent les accompagne, l’amour des femmes[141].

Victoria, mère de Victorin, qui se donnait le titre d’auguste et de mère des armées, fut la Zénobie des Gaules ; celle-ci disait d’elle : J’aurais voulu partager l’empire avec Victoria, qui me ressemble. Il n’y eut pas jusqu’à l’armurier Marius, élevé au rang d’auguste par Victoria, qui ne se trouvât être un partisan de caractère. Amis, dit-il à ses compagnons d’armes, devenus ses sujets, on me reprochera mon premier état : plaise aux dieux que je ne sois jamais amolli par le vin, les fleurs et les femmes ! Qu’on me reproche mon état d’armurier, pourvu que les nations étrangères apprennent par leurs défaites que j’ai appris à manier le fer ! Je dis ceci parce que la seule chose que pourra me reprocher Gallien, cette peste impudique, c’est que j’ai fabriqué des armes[142].

Marius fut tué par un soldat, jadis ouvrier dans sa boutique, qui lui passa son épée au travers du corps en lui disant : C’est toi qui l’as forgée[143].

Après la mort de Marius, Victoria ne s’effraya point : cette Gauloise fit encore un empereur, Tetricus, gouverneur de l’Aquitaine, qui prit la pourpre à Bordeaux.

De ces divers tyrans un seul était sénateur, et Pison seul était noble. Il descendait de Numa par ses pères ; ses alliances lui donnaient le droit de décorer ses foyers des images de Crassus et de Pompée. Les Calphurniens avaient échappé aux proscriptions : on les retrouve consuls depuis Auguste jusqu’à Alexandre Sévère. Rome se couvrait de plantes nouvelles : quand ses vieilles souches poussaient quelques rejetons, ils se flétrissaient vite, et ne se renouvelaient plus.

D’autres hommes de mérite, tels qu’Aurélien, Claude et Probus, servaient Gallien en attendant la souveraine puissance. Lui-même offrait un caractère sinon estimable, du moins peu commun.

Orateur et poète[144], Gallien était indifférent à tout, même à l’empire. Lui apprenait-on que l’Egypte s’était révoltée : Eh bien, disait-il, nous nous passerons de lin. La Gaule et l’Asie sont perdues : Nous renoncerons à l’aphronitre, nous ne porterons plus de sagum d’Arras[145]. Mais ne touchez pas aux plaisirs de Gallien ! Si le bruit d’une rébellion ou d’une invasion trop voisine menace sa paix, il court aux armes, déploie de la valeur, écarte le danger, et se replonge avec activité dans sa paresse. Féroce pour conserver son repos, il écrivait à l’un de ses officiers après la révolte d’Ingennus, en Illyrie : N’épargnez pas les mâles, quel que soit leur âge, enfants ou vieillards. Tuez quiconque s’est permis une parole contre moi[146]. Il condamnait à mort quatre ou cinq mille soldats rebelles, tout en bâtissant de petites chambres avec des feuilles de roses et des modèles de forteresses avec des fruits[147]. Un marchand avait vendu des perles de verre à l’impératrice pour de vraies perles : Gallien le condamne à être jeté aux bêtes et fait lâcher sur lui un chapon[148].

A chaque nouvelle désastreuse, Gallien riait, demandait quels seraient les festins, les jeux du lendemain et de la journée[149]. Le monde périssait, et il composait des vers pour le mariage de ses neveux : Allez, aimables enfants, soupirez comme la colombe, embrassez-vous comme le lierre, soyez unis comme la perle et la nacre[150]. Il philosophait aussi ; il accordait à Plotin une ville ruinée de la Campanie pour y établir une république selon les lois de Platon[151]. Au milieu de la société croulante, couché à des banquets parmi les femmes[152], cet Horace impérial ne voulait de la vie que le plaisir : tout fut troublé sous son règne[153], excepté sa personne ; il ne maintenait le calme autour de lui et pour lui qu’à la longueur de son épée.

Représentez-vous l’Etat en proie aux diverses usurpations, les tyrans se battant entre eux, se défendant contre les troupes du prince légitime, repoussant les barbares ou les appelant à leur secours : Ingennus avait un corps de Rhoxolans à sa solde, Posthume un corps de Franks. On ne savait plus où était l’empire : Romains et barbares, tout était divisé, les aigles romaines contre les aigles romaines, les enseignes des Goths opposées aux enseignes des Goths. Chaque province reconnaissait le tyran le plus voisin ; dans l’impossibilité d’être protégé par le droit, on se soumettait au fait. Un lambeau de pourpre faisait le matin un empereur, le soir une victime, l’ornement d’un trône ou d’un cercueil. Saturnin obligé d’accepter la souveraine puissance s’écria : Soldats, vous changez un général heureux pour faire un empereur misérable[154].

Et à travers tout cela des jeux publics, des martyrs, des sectes parmi les chrétiens, des écoles chez les philosophes, où l’on s’occupait de systèmes métaphysiques au milieu des cris des barbares.

La peste, continuant ses ravages, emportait dans la seule Rome cinq mille personnes par jour : disette, famine, tremblement de terre, météores, ténèbres surnaturelles, révolte des esclaves en Cilicie, rébellion des Isauriens, qui renouvelèrent la guerre des anciens pirates ; tumulte effroyable à Alexandrie : chaque édifice, dans cette immense cité, devint une forteresse, chaque rue un champ de bataille ; une partie de la population périt, et le Brachion resta vide. Et parmi ces calamités il faut encore trouver place pour la suite de la grande invasion des Goths.

Sapor, rentrant dans l’Asie romaine, reprit Antioche, s’empara de Tarse en Cilicie et de Césarée en Cappadoce. Des Goths se jetèrent sur l’Italie ; d’autres Goths ou d’autres Scythes sortirent une troisième fois du Pont-Euxin, assiégèrent Thessalonique, ravagèrent la Grèce[155], pillèrent Corinthe, Sparte, Argos, villes depuis longtemps oubliées, qui apparaissent dans ce siècle comme le fantôme d’un autre temps et d’une autre gloire. En vain Athènes avait rétabli ses murailles, renversées par Lysander et Sylla : un Goth voulut brûler les bibliothèques, un autre s’y opposa : Laissons, dit-il, à nos ennemis ces livres, qui leur ôtent l’amour des armes[156]. La patrie de Thémistocle fut cependant délivrée par Dexippe l’historien, surnommé le second Thucydide[157] et le dernier des Grecs dans ces âges moyens et dégénérés. Athènes revoyait les barbares : du temps des Perses, ses grands hommes la sauvèrent : ses chefs-d’œuvre n’ont point permis aux Goths de faire périr sa mémoire.

Enfin, les Goths allèrent brûler le temple d’Ephèse, sept fois sorti de ses ruines et toujours plus beau[158] : il ne se releva plus. Un conseil éternel amenait des désastres irréparables ; il s’agissait, non de la conservation des monuments, mais de la fondation d’une nouvelle société. Partout où le polythéisme avait mis des dieux, un destructeur se présenta ; chaque temple païen vit un homme armé à ses portes ; la Providence n’arrêta la torche et le levier que quand la race humaine fut changée.

Toutefois, l’heure finale n’étant pas sonnée, il y eut repos. Odénat vainquit Sapor et soulagea l’Asie ; Posthume contint les nations germaniques ; les autres ennemis furent repoussés tantôt par les tyrans, tantôt par les généraux des empereurs. Les tyrans eux-mêmes s’entre-détruisirent ; et lorsque Claude parvint au pouvoir, il ne trouva plus à combattre que Tetricus dans les Gaules et Zénobie en Orient. Elle s’était déclarée indépendante après qu’Odénat eut été massacré dans un festin.

Auréole ayant pris la pourpre en Italie, le bruit de cette usurpation pénétra jusqu’au fond du palais de Gallien, qui s’en importuna ; il quitte ses délices, et assiège Auréole dans Milan ; une flèche, lancée en trahison, le tue, lorsqu’à peine armé il courait à cheval, l’épée à la main, pour repousser une sortie.

Marcien, qui venait de battre les Goths en Illyrie, était le principal chef de cette conspiration.

Une innovation de Gallien resta : il interdit aux sénateurs le service militaire, soit que l’usurpation de Pison l’eût plus alarmé que les autres, soit que le sénat, en repoussant un parti de barbares qui s’était avancé jusqu’à la vue de Rome, eût agi avec trop de vigueur. Alors s’établit la distinction d’homme de robe et d’homme d’épée. Les sénateurs formèrent un corps de magistrature, dont les membres, ignorés du soldat, perdirent toute influence sur l’armée. Ils murmurèrent d’abord, mais ensuite leur lâcheté regarda comme un honneur le droit qu’elle obtint de se cacher. L’édit de Gallien acheva de rendre militaire la constitution de l’empire, et prépara les grands changements de Dioclétien.

Claude II (Claude II emp. ; Felix pape. An de J.-C. 268-270.), désigné à la pourpre par Gallien, le remplaça. Les grandeurs avaient cessé d’imposer ; tout était jugé, apprécié, connu ; on tuait les princes comme d’autres hommes, et cependant chacun voulait être souverain : jamais on ne fut aussi rampant, aussi prosterné aux pieds du pouvoir qu’au moment où l’on n’y croyait plus. Le sénat confirma l’élection de Claude, et se porta aux dernières violences contre les amis et les parents de Gallien.

Il ne faut pas croire que ces décisions du sénat fussent le résultat de raisons graves, mûrement examinées ; ce n’étaient que les acclamations d’un troupeau d’esclaves qui se hâtaient de reconnaître leur servitude, comme si entre deux règnes ils eussent craint d’avoir un moment de liberté. Assemblés en tumulte au temple d’Apollon (ils ne se purent réunir assez longtemps au Capitole, à cause d’une fête de Cybèle), les sénateurs s’écrièrent[159] : Auguste Claude, que les dieux vous conservent pour nous ! Cette acclamation fut répétée soixante fois. Claude Auguste, c’est vous ou votre pareil que nous avions toujours souhaité ! (Quarante fois). Claude Auguste, la république vous désirait ! (Quarante fois). Claude Auguste, vous êtes un père, un frère, un ami, un excellent sénateur, un empereur véritable ! (Quatre-vingts fois). Claude Auguste, délivrez-nous d’Auréole ! (Cinq fois). Claude Auguste, délivrez-nous de Zénobie et de Victoria ! (Sept fois).

Et c’étaient là les héritiers d’un sénat de rois ! Claude[160] extermina, en Macédoine, une armée de Goths, et coula à fond leur flotte, composée de deux mille barques. Parmi les prisonniers il se trouva des rois et des reines. Les vaincus furent incorporés dans les légions ou condamnés à cultiver la terre[161].

Claude, surnommé le Gothique, ayant triomphé, mourut. Son frère Quintilius[162] prit la pourpre en Italie, et se tua au bout de dix-sept jours.

Aurélien (Aurélien emp. ; Felix, Eutichien, papes. An de J.-C. 270-275.), autre soldat de fortune, reçut l’empire à la recommandation de Claude. Sa mère était prêtresse du soleil dans un village de l’Illyrie où son père était colon d’un sénateur romain. Passionné pour les armes et toujours à cheval, vif, ardent, cherchant querelle et aventure, ses camarades lui avaient donné le nom d’Aurélien l’épée à la main, pour le distinguer d’un autre Aurélien[163]. C’est le premier Romain, comme je vous l’ai dit, qui eut affaire aux Franks.

Aurélien, devenu chef souverain, rencontra deux ennemis redoutables, deux femmes : Victoria la Gauloise, Zénobie la Palmyrienne. Victoria mourut lorsque Aurélien passa dans les Gaules ; il ne trouva plus que son ouvrage, le tyran Tetricus, qui trahit ses soldats et se rendit à Aurélien.

Zénobie s’était emparée de l’Egypte : Aurélien marcha contre elle, la battit à Emèse, l’assiégea dans Palmyre, et la fit prisonnière lorsqu’elle fuyait. Palmyre fut livrée au pillage, et le philosophe Longin condamné à mort pour le courage de ses conseils. Tous les tyrans détruits, l’Egypte soumise, la Gaule pacifiée, l’empereur voulut triompher à Rome. Avant de marcher en Orient, il avait délivré l’Italie d’une espèce de ligue des Allamans, des Marcomans, des Juthongues et des Vandales.

Ce fut à l’occasion de ces courses de barbares qu’Aurélien fit relever ou plutôt bâtir les murailles de Rome. Jadis les sept collines, dans une circonférence de treize milles, avaient été fortifiées ; mais Rome, se répandant au dehors avec sa puissance, ajouta, par d’immenses et magnifiques faubourgs, plusieurs villes à l’antique cité. Zosime écrit[164] que du temps d’Aurélien l’ancienne clôture était tombée : celle de cet empereur ne fut achevée que sous Probus[165], et il paraît qu’on y travaillait encore sous Dioclétien[166]. On voit aujourd’hui mêlés aux constructions subséquentes quelques restes des constructions d’Aurélien. Les murailles de Rome ont elles seules donné lieu à une curieuse histoire [Nibbi], où les infortunes de la ville éternelle sont comme tracées par son enceinte ; Rome s’est pour ainsi dire remparée de ses calamités. Un siècle et demi devait encore s’écouler avant qu’elle subît le joug des barbares, et déjà Aurélien élevait les inutiles bastions qu’ils devaient franchir.

Aurélien, dans son triomphe, outre une multitude de prisonniers goths, alains, allamans, vandales, rhoxolans, sarmates, suèves, francs, traînait après lui Tetricus, sénateur romain, revêtu de la pourpre impériale, et Zénobie, reine de Palmyre. Elle était si chargée de perles, qu’elle pouvait à peine marcher ; les grands de sa cour, captifs comme elle, la soulageaient du poids de ses chaînes d’or. Aurélien était monté sur un char traîné par quatre cerfs, autre espèce de dépouilles et de richesses d’un roi goth. Ce char allait attendre Alaric au Capitole[167].

Aurélien donna à Tetricus le gouvernement de la Lucanie en échange de l’empire : Tetricus n’avait pas le génie de Victoria : il se contenta d’être heureux.

Quant à Zénobie, vous savez qu’elle était peut-être Juive de naissance ; Longin fut son maître de lettres grecques et de philosophie : elle avait composé à son usage une histoire abrégée de l’Orient. Elle inclinait aux sentiments des Hébreux touchant la nature de Jésus-Christ. On l’accuse d’avoir fait mourir le fils qu’Odénat avait eu d’une autre femme, et peut-être Odénat lui-même. Elle eut trois filles et trois fils, dont l’un, Vaballath, devint roi d’un canton inconnu en Asie[168]. Ses trois filles, captives avec elle, se marièrent, et saint Zénobe, évêque de Florence, du temps de saint Ambroise, descendait de la reine de Palmyre. Le courage de Zénobie se démentit avec la fortune ; elle demanda la vie en pleurant. La belle élève du magnanime Longin ne fut plus à Rome que la délatrice de quelques sénateurs entrés dans une conjuration vraie ou supposée contre Aurélien. Elle habitait une maison de campagne à Tibur, non loin des jardins d’Adrien et de la retraite d’Horace, laissant, avec un nom célèbre, des ruines qu’on va voir au désert.

Aurélien était naturellement sévère ; la prospérité le rendit cruel. Il ne voulait pas que le soldat prît une seule poule au laboureur ; il disait que les guerriers doivent faire couler le sang des ennemis et non les pleurs des citoyens[169] : beau sentiment et noble maxime ! Il eut à soutenir une singulière guerre au sein même de Rome, la guerre des monnayeurs, qui lui tuèrent sept mille soldats dans un combat sur le mont Cœlius[170]. Les châtiments que l’empereur faisait infliger étaient affreux. Il méditait une persécution générale contre les chrétiens[171] ; et lorsqu’il se rendit en Orient, dans le dessein de porter la guerre chez les Perses, il fut tué par les officiers de son armée, entre Héraclée et Byzance[172].

Le monde demeura sept mois sans maître : le sénat et l’armée se renvoyèrent le choix d’un empereur. L’un refusait d’user de son droit, l’autre de sa force[173]. Les deux derniers souverains avaient tellement affermi l’Etat, que rien ne bougea ; mais Rome ne reprit pas sa liberté : qu’en eût-elle fait ?

Claudius Tacite (Tacite, emp. ; Eutichien pape. An de J.-C. 275-276.), sénateur, âgé de soixante-quinze ans, fut enfin proclamé par le sénat. Telle est la souveraineté naturelle du génie : il n’y a point d’homme qui ne préférât aujourd’hui avoir été Tacite l’historien à Tacite l’empereur. Celui-ci sembla craindre la marque dont son aïeul avait flétri les tyrans ; il vécut sur la pourpre comme en présence et dans la frayeur du peintre de Tibère[174].

L’empereur rendit au sénat quelques-unes de ses prérogatives ; et le sénat, dans sa décrépitude corrompue, crut voir renaître la chaste enfance de la république[175]. Tacite, allant se mettre à la tête de l’armée en Thrace, pour repousser une attaque des Alains, à qui les Romains avaient manqué de foi, mourut de fatigue ou fut tué à Tharse, ou à Tyanes, ou dans le Pont, selon les versions différentes des historiens[176]. Peu de temps avant sa mort, la tombe de son père s’était ouverte, et il avait vu l’ombre de sa mère. Le tombeau de nos pères s’ouvre toujours pour nous ; mais il y a ici quelques souvenirs confus du sépulcre d’Agrippine : le génie de l’historien dominait l’imagination de l’empereur.

Florien, frère de Tacite, se fit déclarer auguste en Asie, Probus (Probus emp. ; Eutichien pape. An de J.-C. 276-282.) en Orient. Une guerre civile de deux ou trois mois termina la lutte en faveur du dernier. La défaite des Franks, des Bourguignons, des Vandales, des Logions ou Lyges, qui s’étaient emparés des Gaules, signala le commencement du règne de Probus. Il tua quatre cent mille barbares, délivra et rétablit soixante-dix villes, transporta dans la Grande-Bretagne des colonies de prisonniers, soumit une partie de l’Allemagne, obligea les peuples vaincus à se retirer au delà du Necker et de l’Elbe, de payer aux Romains un tribut annuel en blé, vaches, brebis, et de prendre les armes pour la défense de l’empire contre des nations plus éloignées[177] ; enfin il bâtit un mur de deux cents milles de longueur, depuis le Rhin jusqu’au Danube[178]. Probus conçut le plan régulier de défendre l’empire contre les barbares avec des barbares. Quand la république réunissait des peuples à ses domaines, elle leur apportait la vertu en échange de la force qu’elle recevait d’eux. Que pouvaient les Romains du siècle de Probus pour les barbares ?

Une poignée de Franks auxiliaires, que Probus avait relégués sur le rivage du Pont-Euxin, s’ennuyèrent ; ils s’emparèrent de quelques barques, franchirent le Bosphore, désolèrent les côtes de la Grèce, de l’Asie et de l’Afrique, prirent et pillèrent Syracuse, entrèrent dans l’Océan, et, après avoir côtoyé les Espagnes et les Gaules, vinrent débarquer dans leur patrie aux embouchures du Rhin[179], laissant le monde étonné d’une audace qui annonçait un grand peuple.

Probus passa en Egypte, défit, dans la Thébaïde, les Blemmyes, sauvages d’Ethiopie, dont on ne sait presque rien ; de là il marcha contre les Perses. Assis à terre, sur l’herbe, au haut d’une montagne d’Arménie, mangeant dans un pot quelques pois chiches, habillé d’une simple casaque de laine teinte en pourpre, la tête couverte d’un chapeau, parce qu’il était chauve, sans se lever, sans discontinuer son repas, Probus reçut les ambassadeurs étonnés du grand roi. Il leur dit qu’il était l’empereur ; que si leur maître refusait justice aux Romains, il rendrait la Perse aussi nue d’arbres et d’épis que sa tête l’était de cheveux ; et il ôta son couvre-chef. Avez-vous faim ? ajouta ce Popilius de l’empire, partagez mon repas ; sinon, retirez-vous[180].

Probus donna des terres en Thrace à cent mille Bastarnes (nation scythe ou gothique), qui s’attachèrent au sol. Il en avait partagé d’autres aux Gépides, aux Juthongues, aux Vandales, aux Franks : tous ceux-ci se soulevèrent à divers intervalles.

On peut fixer au règne de Probus la fin de la première grande invasion des barbares, bien que les mouvements s’en fissent encore sentir sous Carus, Carin, Numérien, et qu’ils se prolongeassent sous Dioclétien jusqu’à l’avènement de Constantin à l’empire.

Probus, délivré des guerres étrangères, étouffa les révoltes de Saturnin, de Proculus et de Bonose. Dans le retour d’une si grande paix, il affirmait qu’on n’aurait bientôt plus besoin d’armée. Il occupa les troupes oisives à planter des vignes dans la Pannonie, la Mésie et les Gaules, et, selon Vopiscus, jusque dans la Grande-Bretagne. On croit que la Bourgogne lui est redevable de ses premières richesses. Probus, guerrier si digne du sceptre, n’en fut pas moins tué par ses soldats dans une guérite de fer, d’où il surveillait les légions employées au dessèchement des marais de Sirmich, sa patrie[181].

Carus (Carus emp. et ses deux fils, Carin et Numérien. Eutichien pape. An de J.-C. 282-283.), qui vint après Probus, était né à Narbonne, selon les deux Victor. Il se disait originaire de Rome, et il n’est pas sûr qu’il vit jamais cette capitale du monde dont il était souverain. Il fut foudroyé après des victoires remportées sur les Perses, non loin de Ctésiphon, qu’il avait pris[182]. Quand la guerre, fatiguée, discontinuait le meurtre de ses princes, le ciel s’en chargeait.

Les fils de Carus, Carin et Numérien (Carin et Numérien Ier empereurs. Caïus pape. An de J.-C. 284.), reconnus empereurs, célébrèrent à Rome les jeux romains[183], que Calpurnius ou Calphurnius, poète oublié comme ces jeux, a chantés[184].

Numérien, revenant de la Perse, fut tué par Aper, préfet du prétoire, dont il avait épousé la fille. Montesquieu remarque que les préfets du prétoire étaient à cette époque auprès des empereurs ce que sont les vizirs auprès des sultans[185]. Le jeune prince avait versé tant de larmes sur la mort de son père, que sa vue en était affaiblie ; on le portait dans une litière au milieu des légions. Aper, qui convoitait la pourpre, s’était trop hâté ; son forfait avait devancé ses brigues ; le cadavre de Numérien, assassiné dans la litière fermée, tomba en pourriture avant que le meurtrier eut pu s’assurer du suffrage des soldats. La présence du crime et le néant des grandeurs humaines furent dénoncés par l’odeur qui s’en élevait[186].

L’armée tint un conseil à Chalcédoine, afin d’élire le chef de l’Etat. Dioclétien, qui commandait les officiers militaires du palais, fut choisi[187]. Tout aussitôt, descendant de son tribunal, il perce Aper de son épée, et s’écrie : J’ai tué le sanglier fatal. Une druidesse de Tongres lui avait promis l’empire quand il aurait tué un sanglier, en latin aper[188]. A cette élection, du 17 septembre 284, commença l’ère fameuse dans l’Église connue sous le nom de l’ère de Dioclétien ou des Martyrs[189].

Dioclétien livra divers combats à Carin, dont les mœurs rappelaient celles des princes déréglés prédécesseurs des empereurs militaires. Carin triompha ; mais ses soldats victorieux lui ôtèrent la vie, à l’instigation d’un tribun dont il avait déshonoré la couche. Ils se soumirent à Dioclétien.

Vous aurez à considérer plusieurs choses sous le règne des derniers empereurs, Gallus, Emilien, Valérien, Gallien, Claude, Aurélien, Tacite, Probus, Carus et ses fils, par rapport aux chrétiens.

Bien que tous les évêques portassent le nom de pape, l’unité de l’Église s’établissait : un traité de saint Cyprien la recommande[190].

Gallus et Valérien excitèrent des persécutions : outre ces persécutions générales, il y en avait de particulières. Les empereurs ayant publié des édits contradictoires au sujet de la religion nouvelle, et ces édits ne s’abrogeant pas mutuellement, il arrivait que les délégués du pouvoir, selon leurs caractères, leurs principes et leurs préjugés, usaient de la tolérance ou de l’intolérance de la loi[191].

Les papes Corneille, Etienne, Sixte II, succombèrent. Celui-ci avait transporté les corps de saint Pierre et de saint Paul dans les catacombes, qui servaient de temple et de tombeau aux chrétiens. En parlant des mœurs des fidèles, je vous raconterai quelque chose du martyre de saint Laurent.

Cyprien eut la tête tranchée à Carthage ; trois cents chrétiens sans nom égalèrent, à Utique, la fermeté de Caton : ils furent précipités dans une fosse de chaux vive[192]. Théogène, évêque, souffrit à Hippone, Fructueux à Taragone, Paturin à Toulouse, Denis à Lutèce [Martyr., 14 mai.], première illustration de cette bourgade inconnue : comme un arbre dans le clos des morts, le christianisme poussait vigoureusement dans le champ des martyrs. Grégoire le Thaumaturge, près d’expirer, demande s’il reste encore quelques idolâtres dans la ville épiscopale ; on lui répond qu’il en reste dix-sept. Je laisse donc à mon successeur autant d’infidèles que je trouvai de chrétiens à Néocésarée[193].

Les barbares en entrant dans l’empire étaient venus chercher des missionnaires : les envoyés de la miséricorde de Dieu allèrent au-devant des envoyés de sa colère pour la désarmer. Des évêques, la chaîne au cou, guérissaient les malades en prêchant la sainte parole. Les maîtres prenaient confiance dans ces esclaves médecins ; ils se figuraient obtenir par eux la victoire et demandaient le baptême. Les prisonniers se changeaient en pasteurs ; des Églises nomades commençaient au milieu des hordes guerrières rentrées dans leurs forêts comme sous leurs tentes. Ces diverses nations se combattaient les unes les autres, se formaient en confédérations, dissoutes et recomposées selon les succès et les revers ; gens féroces, qui brisaient tous les jougs et se soumettaient au frein de quelques prêtres captifs.

De tous les corps de l’Etat, l’armée romaine était celui où le christianisme faisait le moins de progrès. Les chrétiens répugnaient à l’enrôlement, parce qu’ils regardaient les festins, la mesure et la marque comme mêlés de paganisme. Maximilien, appelé au service, disait au proconsul Dion, à Tebeste en Numidie : Je ne recevrai point la marque ; j’ai déjà reçu celle de Jésus-Christ[194]. D’une autre part, le légionnaire attaché à ses aigles renonçait difficilement à l’idolâtrie de la gloire.

Les hérésiarques et les philosophes continuèrent leur succession : Manès, avec sa doctrine des deux principes, Plotin et Porphyre, beaux esprits, ennemis du Christ.

Dioclétien (Dioclétien et Maximien empereurs. Caius et Marcelin papes. An de J.-C. 284-305.) associa Maximien au pouvoir suprême, et nomma deux césars, Galère et Constance : l’Orient et l’Italie tombaient dans le département des augustes ; les césars eurent la garde du Danube et du Rhin, en deçà desquels se plaçaient les provinces de l’Occident. La possession romaine se trouva divisée entre quatre despotats, ce qui prépara la séparation finale des deux empires d’Orient et d’Occident.

L’armée, obéissant à quatre chefs, n’eut plus assez de force pour les créer ; il n’y eut plus assez de trésors dans l’une des quatre divisions territoriales pour fournir à un usurpateur le moyen d’acheter l’élection. Dioclétien diminua le nombre des prétoriens, et leur opposa deux nouvelles cohortes, les joviens et les herculiens.

Mais ce qui fit la sûreté du prince causa la ruine de l’Etat : ces légions, qui choisissaient les empereurs, repoussaient en même temps les barbares ; c’était une république militaire qui se donnait des maîtres nationaux et n’en voulait point d’étrangers. Lorsque Dioclétien eut opéré ses changements ; lorsque Constantin, continuant la même politique, eut cassé les prétoriens ; lorsque, au lieu de deux préfets du prétoire, il en eut nommé quatre ; lorsqu’il eut rappelé les légions qui gardaient les frontières pour les mettre en garnison dans le cœur de l’empire, le règne des légions expira, le pouvoir domestique prit naissance. Le droit d’élection fut partagé entre les soldats et les eunuques[195] : la liberté romaine, qui avait commencé dans le sénat, passé au forum, traversé l’armée, alla s’enfermer dans le palais avec des esclaves à part de la race humaine ; geôliers de la liberté qui n’avaient pas même la puissance de perpétuer dans leur famille la servitude héréditaire.

Le sénat partagea l’abaissement des légions. Rome ne vit presque plus ses empereurs ; ils résidèrent à Trêves, à Milan, à Nicomédie, et bientôt à Constantinople. Dioclétien modela sa cour sur celle du grand roi ; il se donna le surnom de Jupiter ; au lieu de la couronne de laurier, il ceignit le diadème, et ajouta au manteau de pourpre la robe d’or et de soie. Des officiers du palais de diverses sortes, et partagés en diverses école furent constitués : les eunuques avaient la garde intérieure des appartements. Quiconque était introduit devant l’empereur se prosternait et adorait. Les successeurs de Dioclétien, et peut-être lui-même, se firent appeler Votre Eternité, et ils vécurent un jour[196]. Sachez néanmoins que les empereurs s’arrogèrent ce titre par une espèce de droit d’héritage. Rome se surnommait la ville éternelle ; le peuple romain avait vu dans l’immutabilité du dieu Terme le présage de la durée de sa puissance : en usurpant les pouvoirs politiques, les despotes usurpèrent aussi les forces religieuses. Toutefois cette transmission du sort de l’espèce au destin de l’individu n’était qu’une fausseté impie : les nations qui changent de mœurs, de lois, de nom, de sang, ne meurent point, il est vrai : mais est-il rien de plus vite et de plus mortel que l’homme ?

Ce ne fut guère que six ans après l’association de Maximien à l’empire que Dioclétien s’adjoignit les deux césars Galerius et Constance. On vit dans les Gaules, sous le nom de Bagaudes[197], une insurrection de paysans assez semblable à celles qui éclatèrent en France dans le moyen âge, Oelianus et Amandus, chefs de ces paysans, prirent la pourpre. Leurs médailles nous sont parvenues[198], moins comme une preuve historique du pouvoir d’un maître que comme un monument de la liberté : on a cru qu’Oelianus et Amandus étaient chrétiens[199]. Maximien soumit ces hommes rustiques, dont le nom reparut au Ve siècle. Salvien, à cette dernière époque, excuse leur révolte par leurs souffrances : la faction de la misère est enracinée.

Carausius dans la Grande-Bretagne, Aquilée en Egypte, furent vaincus, l’un par Constance, l’autre par Dioclétien, après une usurpation plus ou moins longue. Galerius, d’abord défait par les Perses, les défit à son tour.

Dioclétien, grand administrateur, homme fin et habile[200], répara et augmenta les fortifications des frontières ; battit, à l’aide de ses associés et de ses généraux, les Blemmyes en Egypte, les Maures en Afrique, les Franks, les Allamans, les Sarmates en Europe ; il sema la division parmi les Goths, les Vandales, les Gépides, les Bourguignons, qui se consumèrent en guerres intestines. Ceux des barbares du Nord que l’on avait faits prisonniers furent ou distribués comme esclaves aux habitants des territoires de Trêves, de Langres, de Cambrai, de Beauvais et de Troyes, ou adoptés comme colons, nommément quelques tribus de Sarmates, de Bastarnes et de Carpiens.

Au moment de triompher, le christianisme eut à soutenir une persécution générale. Poussé par Galerius, qu’excitait sa mère, adoratrice des dieux des montagnes, Dioclétien assembla un conseil de magistrats et de gens de guerre. Ce conseil fut d’avis de poursuivre les ennemis du culte public. L’empereur envoya consulter Apollon de Milet : Apollon répondit que les justes répandus sur la terre l’empêchaient de dire la vérité ; la pythonisse se plaignait d’être muette. Les aruspices déclarèrent que les justes dont parlait Apollon étaient les chrétiens. La persécution fut résolue. On en fixa l’époque à la fête des Terminales, dernier jour de l’année romaine [23 février 301], jour réputé heureux et qui devait mettre fin à la religion de Jésus. Dioclétien et Galerius se trouvaient à Nicodémie.

L’attaque commença par la démolition de la basilique bâtie dans cette ville, sur une colline, et environnée de grands édifices[201]. On y chercha l’idole, qu’on n’y trouva point.

Le décret d’extermination portait en substance : Les églises seront renversées et les livres saints brûlés ; les chrétiens seront privés de tous honneurs, de toutes dignités, et condamnés au supplice sans distinction d’ordre et de rang ; ils pourront être poursuivis devant les tribunaux, et ne pourront poursuivre personne, pas même en réclamation de vol, réparation d’injures ou d’adultère ; les affranchis redeviendront esclaves[202].

C’est toujours par l’effet rétroactif des lois ou par leur déni que les grandes iniquités sociales s’accomplissent : le refus de justice est sur le point où l’homme se trouve plus éloigné de Dieu. Un édit particulier frappait les évêques, ordonnait de les mettre aux fers et de les forcer à abjurer.

La persécution, d’abord locale, s’étendit ensuite à toutes les provinces de l’empire. La maison de l’empereur fut particulièrement tourmentée. Valérie, fille de Dioclétien, et Prisca sa femme, accusées de christianisme, sacrifièrent ; Dorothée, le premier des eunuques, Gorgonius, Pierre, Judes, Mygdonius et Mardonius, souffrirent. On mit du sel et du vinaigre dans les plaies de Pierre ; étendu sur un gril, ses chairs furent rôties comme les viandes d’un festin[203]. On jeta pêle-mêle dans les bûchers femmes, enfants et vieillards ; d’autres victimes, entassées dans des barques, furent précipitées au fond de la mer[204].

La bassesse, comme toujours, se trouva à point nommé pour faire l’apologie du crime : deux philosophes[205] écrivirent à la lueur des bûchers contre les chrétiens.

Le martyre de la légion thébéenne, massacrée par ordre de Maximien, est de cette époque. Nantes, dans l’Armorique, se consacra par le sang des deux frères Donatien et Rogatien[206].

Arnobe et Lactance défendirent le christianisme ; le dernier nous a peint la mort des persécuteurs et l’extinction de leur race[207] : Licinius, Galerius et Candidien son fils ; Maximien avec son fils âgé de huit ans, sa fille âgée de sept, sa femme noyée dans l’Oronte, où elle avait fait noyer des chrétiennes ; Dioclétien, Valérie et Prisca, fugitives cachées sous de misérables habits, reconnues, arrêtées, décapitées à Thessalonique et jetées dans la mer : victimes de la tyrannie de Licinius, elles n’étaient coupables que d’appartenir à un sang maudit.

Dioclétien et Maximien étaient venus triompher en Italie, l’un des Egyptiens, l’autre des peuples du Nord ; c’est le dernier triomphe authentique qu’ait vu Rome. L’empereur ne descendit du char de sa victoire que pour monter à Nicomédie sur le tribunal de son abdication. Cette scène eut lieu dans une plaine qu’inondait la foule des grands, du peuple et des soldats. Dioclétien déclara qu’ayant besoin de repos, il cédait l’empire à Galerius. En même temps il indiqua le césar qui devait remplacer Galerius, devenu auguste : c’était Daïa ou Daza Maximin, fils de la sœur de Galerius. Il jeta son manteau de pourpre sur les épaules de ce pâtre[208], et Dioclétien, redevenu Dioclès, prit le chemin[209] de Salone, sa patrie.

Cet homme extraordinaire avait les larmes aux yeux en déposant le pouvoir ; il avait également pleuré lorsque Galerius, dans un entretien secret, lui signifia qu’il prétendait être le maître, et que si lui, Dioclétien, ne voulait pas s’éloigner, lui, Galerius, l’y saurait contraindre. D’autres ont écrit que Dioclétien renonça au trône par mépris des grandeurs humaines[210]. Soit que ce prince ait quitté l’empire de gré ou de force, avec courage ou faiblesse, sa retraite à Salone a donné à sa vie un caractère de philosophie qui fait aujourd’hui sa principale renommée.

Dioclétien habitait au bord de la mer une maison de campagne [peut-être Spalatro], que Constantin le Grand dit avoir été simple[211], et que Constantin Porphyrogénète[212] a crue magnifique. Maximien Hercule se dépouilla de l’autorité souveraine à Milan en faveur de Constance Chlore, et nomma césar Valerius Sévère, obscur favori de Galerius, le même jour que Dioclétien accomplissait son sacrifice à Nicomédie. Maximien, ayant dans la suite ressaisi la pourpre, fit inviter Dioclétien à suivre son exemple. Dioclétien répondit : Je voudrais que vous vissiez les beaux choux que j’ai plantés, vous ne me parleriez plus de l’empire[213]. Paroles démenties par des regrets.

Pendant les neuf années que Dioclétien vécut à Salone, sa femme et sa fille périrent misérablement, et il ne put les sauver, obligé qu’il fut alors de reconnaître l’impuissance d’un prince auquel il ne reste d’autorité que celle des larmes. Menacé par Constantin et Licinius, peut-être même par le sénat[214], il résolut d’abréger sa vie. On est incertain du genre de sa mort ; on parle de poison, d’abstinence, de mélancolie[215]. L’empereur sans empire ne dormait plus, ne mangeait plus : il soupirait, il gémissait ; saint Jérôme laisse entendre qu’avant d’expirer il vomit sa langue rongée de vers[216].

La philosophie fut aussi inutile à Dioclétien pour mourir que la religion à Charles Quint : tous deux eurent des remords d’avoir abandonné le pouvoir ; le premier, sur son lit et sur la terre, où il se roulait au milieu de ses larmes[217] ; le second, au fond du cercueil où il se plaça pour assister à la représentation de ses funérailles[218].

Dioclétien multiplia les impôts ; il couvrit l’empire de monuments onéreux, qu’il faisait souvent abattre et recommencer sur un plan nouveau. La Providence a voulu qu’une salle des thermes du persécuteur des chrétiens soit devenue, à Rome, l’église de Notre-Dame-des-Anges. Dans le cloître, jadis vaste cimetière de cet édifice, l’espace se trouve aujourd’hui trop grand pour la mort ; un petit retranchement, pratiqué au pied de trois ou quatre colonnes, suffit aux tombeaux diminuants de quelques chartreux, qui finissent aussi, et qui, dans leur abdication du monde, ne regrettent rien de la terre.

Les faits sont comme il suit après l’abdication de Dioclétien.

Constance (Galerius, Constance emp. ; Marcelin pape. An de J.-C. 306.) gouvernait les Gaules, l’Espagne et la Grande-Bretagne ; il était doux, juste, tolérant envers les chrétiens, et si dénué de fortune, qu’il était obligé d’emprunter de l’argenterie lorsqu’il donnait un festin[219]. Suidas l’appelle Constance le Pauvre[220], un des plus beaux surnoms que jamais prince absolu ait portés.

Il eut d’Hélène, fille d’un hôtelier, sa femme légitime ou sa concubine, Constantin le Grand, et de Théodora, fille de la femme de Maximien Hercule, trois filles et trois garçons. On le força de répudier Hélène, comme étant d’une naissance trop inférieure.

Constantin avait alors dix-huit ans : entraîné dans l’humiliation de sa mère, il fut attaché à Dioclétien, et porta les armes en Egypte et dans la Perse. Galerius, jaloux de la faveur dont le fils de Constance jouissait auprès des soldats, se voulut défaire de lui en l’excitant à se battre, d’abord contre un Sarmate, ensuite contre un lion[221]. Constantin, sorti heureusement de ces épreuves, se déroba par la fuite aux complots de Galerius ; afin de n’être pas poursuivi, il fit couper de poste en poste les jarrets des chevaux dont il s’était servi[222]. Il rejoignit son père à Boulogne, au moment où celui-ci, vainqueur de Carausius, s’embarquait pour la Grande-Bretagne. Constance mourut à York. Les légions, par un dernier essai de leur puissance, sans attendre l’élection du palais, proclamèrent Constantin empereur, au nom des vertus de son père. Galerius n’accorda à Constantin que le titre de césar, conférant à Valère celui d’auguste.

Galerius avait ordonné un recensement des propriétés, afin d’asseoir une taxe générale sur les terres et sur les personnes ; il y voulut soumettre l’Italie : Rome se soulève, appelle à la pourpre Maxence, gendre de Galerius et fils de Maximien Hercule. Le vieil empereur abdiqué sort de sa retraite, se joint à son fils. Sévère, réfugié dans Ravenne, qu’il rend par capitulation à Maximien Hercule, est condamné à mort, et se fait ouvrir les veines.

Maximien s’allie avec Constantin (Constantin emp. ; Marcellus, Eusèbe, Melchiade, Silvestre Ier, papes. An de J.-C. 307-337.), lui donne Fausta, sa fille, en mariage, et le nomme auguste. Galerius fond sur l’Italie avec une armée : parvenu jusqu’à Narni, et forcé de retourner en arrière, il élève Licinius, son ancien compagnon d’armes, au rang d’où la mort avait précipité Sévère. Maximin Daïa, le césar qui gouvernait l’Egypte et la Syrie, enflammé de jalousie, se décore aussi de la dignité d’auguste. Six empereurs (ce qui ne s’était jamais vu et ce qui ne se revit jamais) règnent à la fois : Constantin, Maxence et Maximien en Occident ; Licinius, Maximin et Galerius en Orient.

La discorde éclate entre Maximien Hercule et Maxence, son fils Maximien se retire en Illyrie, ensuite dans les Gaules, auprès de Constantin, son gendre. Il conspire contre lui, et, sur une fausse nouvelle de la mort de ce prince, s’empare d’un trésor déposé dans la ville d’Arles. Constantin, occupé au bord du Rhin à repousser un corps de Franks, revient, assiège son beau-père dans Marseille, le prend, et condamne à mort un vieillard dont l’ambition était tombée en enfance[223].

Galerius meurt à Sardique, d’une maladie dégoûtante[224], attribuée par les chrétiens à la vengeance céleste. Galerius avait été le véritable auteur de la persécution. Maximin Daïa et Licinius se partagent ses Etats. Licinius fait alliance avec Constantin, Maximin avec Maxence. Constantin, vainqueur des Franks et des Allamans, livre leur prince aux bêtes dans l’amphithéâtre de Trêves[225].

Maxence, oppresseur de l’Afrique et de l’Italie, invente le don gratuit[226], que les rois et les seigneurs féodaux exigèrent dans la suite pour une victoire, une naissance, un mariage, et pour l’admission de leur fils à l’ordre de chevalerie : sous les Romains, il s’agissait du consulat du jeune prince. Maxence immole les sénateurs et déshonore leurs femmes. Sophronie, chrétienne et femme du préfet de Rome, se poignarde afin de lui échapper[227].

Maxence médite d’envahir la Gaule. Constantin, décidé à prévenir son ennemi, voit dans les airs le labarum, et commence à s’instruire de la foi. Maxence avait rétabli les prétoriens ; son armée se composait de cent soixante-dix mille fantassins et de dix-huit mille cavaliers. Constantin ne craignit point d’attaquer Maxence avec quarante mille vieux soldats. Il passe les Alpes Cottiennes sur une de ces voies indestructibles qui n’existaient pas du temps d’Annibal ; il emporte Suse d’assaut, défait un corps de cavalerie pesante aux environs de Turin, un autre à Bresse ; Vérone capitule : la garnison captive est liée des chaînes forgées avec les épées des vaincus[228], Constantin marche à Rome, et gagne la bataille où Maxence perd l’empire et la vie.

Cette bataille est du petit nombre de celles qui, expression matérielle de la lutte des opinions, deviennent non un simple fait de guerre, mais une véritable révolution. Deux cultes et deux mondes se rencontrèrent au point Milvius ; deux religions se trouvèrent en présence, les armes à la main, au bord du Tibre, à la vue du Capitole. Maxence interrogeait les livres sibyllins, sacrifiait des lions, faisait éventrer des femmes grosses, pour fouiller dans le sein des enfants arrachés aux entrailles maternelles : on supposait que des cœurs qui n’avaient pas encore palpité ne pouvaient recéler aucune imposture. Constantin, dans son camp, se contentait de dire, ce qu’on grava sur son arc de triomphe, qu’il arrivait par l’impulsion de la divinité et la grandeur de son génie. Les anciens dieux du Janicule rangèrent autour de leurs autels les légions qu’ils avaient envoyées à la conquête de l’univers : en face de ces soldats étaient ceux du Christ. Le labarum domina les aigles, et la terre de Saturne vit régner celui qui prêcha sur la montagne : le temps et le genre humain avaient fait un pas.

Six mois après la victoire de Constantin, Maximin Daïa voulut enlever à Licinius la partie de l’empire qu’il gouvernait ; vaincu auprès d’Héraclée, il alla mourir à Nicomédie. Des six empereurs il ne restait plus que Constantin et Licinius.

Ceux-ci se brouillèrent. Une première guerre civile, suivie d’une seconde amenèrent les batailles de Cibalis, de Mardie, d’Andrinople et de Chrysopolis, où Constantin fut heureux. Licinius, resté aux mains du vainqueur, fut exilé à Thessalonique. Quelque temps après, on lui demanda sa tête, sous prétexte d’une conspiration ourdie par lui dans les fers : ce moyen de crime, si souvent reproduit dans l’histoire, accuse de stérilité les inventions de la tyrannie.

Constantin, demeuré en possession du monde, résolut, vers la fin de sa vie, de donner une seconde capitale à ses Etats : Constantinople s’éleva sur l’emplacement de Byzance, au nom de Jésus-Christ, comme Rome s’était élevée sur les chaumières d’Evandre, au nom de Jupiter [Virgile]. Le fondateur de l’empire chrétien déclara qu’il bâtissait la nouvelle cité par l’ordre de Dieu[229] : il racontait qu’endormi sous les murs de Byzance, il avait vu dans un songe une femme, accablée d’ans et d’infirmités, se changer en une jeune fille brillante de santé et de grâce, laquelle il lui semblait revêtir des ornements impériaux[230]. Constantin, interprétant ce songe, obéit à l’avertissement du ciel ; armé d’une lance, il conduit lui-même les ouvriers qui traçaient l’enceinte de la ville. On lui fait observer que l’espace déjà parcouru était immense : Je suis, répondit-il, le guide invisible qui marche devant moi ; je ne m’arrêterai que quand il s’arrêtera[231].

La cité naissante fut embellie de la dépouille de la Grèce et de l’Asie : on y transporta les idoles des dieux morts et les statues des grands hommes, qui ne meurent pas comme les dieux. La vieille métropole paya surtout son tribut à sa jeune rivale, ce qui fait dire à saint Jérôme que Constantinople s’était parée de la nudité des autres villes[232]. Les familles sénatoriales et équestres furent appelées des rivages du Tibre à ceux du Bosphore, pour y trouver des palais semblables à ceux qu’elles abandonnaient ; Constantin éleva l’église des Apôtres, qui vingt ans après sa dédicace était tombante ; et Constance bâtit Sainte-Sophie, plus célèbre par son nom que par sa beauté. L’Egypte demeura chargée de nourrir la nouvelle Rome aux dépens de l’ancienne.

Il y a des jugements que les historiens répètent sans examen ; vous aurez souvent lu que Constantin avait hâté la chute de la puissance des césars en détruisant l’unité de leur siège : c’est, au contraire, la fondation de Constantinople qui a prolongé jusque dans les siècles modernes l’existence romaine. Rome demeurée seule métropole n’en eut pas été mieux défendue ; l’empire se serait écroulé avec elle, lorsqu’elle succomba sous Alaric, si la nouvelle capitale n’eût formé une seconde tête à cet empire ; tête qui n’a été abattue que plus de mille ans [mille quarante-sept ans] après la première, par le glaive de Mahomet II.

Mais ce qui fut favorable à la durée du pouvoir temporel tel que le créa Constantin devint contraire au pouvoir spirituel dont il se déclara le protecteur. Fixés dans l’Occident, sous l’influence de la gravité latine et du bon sens des races germaniques, les empereurs ne seraient point entrés dans les subtilités de l’esprit grec : moins d’hérésies auraient ensanglanté le monde et l’Église. Constantinople naquit chrétienne ; elle n’eut point, comme Rome, à renier un ancien culte, mais elle défigura l’autel que Constantin lui avait donné.

 

 

 



[1] Selon le système de De Guignes, d’après les recherches modernes, les Huns seraient d’origine finnoise. Voyez Klaproth, Tableaux historiques de l’Asie, et M. Saint-Martin, dans ses savantes notes à l’Histoire du Bas-Empire, par Le Beau.

[2] Dionis, Hist. Rom., lib. LIII, éd. Joannis Leunclavii, p. 502, 503.

[3] Dionis, Hist. Rom., lib.LII, p. 463. — Pag. ultim. Vitae Virgilii tributae Donato, edit. 1699, a P. Ruaeo ; Parisiis.

[4] Dionis Cassii, Hist. Rom., lib. LI, p. 442, édit. Joannis Leunclavii. — Dionis Cassii, Hist. Rom., lib. LII, p. 463 ; lib. LIII, p. 474, 511, n° 2, p. 40.

[5] Ulpian. lib. I, Princ., etc., de Constit. princip.

[6] Suet., in Vita Aug.

[7] Just. Lips., de Magn. Rom., lib. I, cap. III ; Antuerpiae, 1637, 6 tom. in-fol. ; - tom. III, p. 379. — Aur. Victor, Hist. abbrev., part. II. chap. IV. ; Suet., Hist. Rom., vol. II, p. 127. — Sext. Ruf., Brev. ; Suet., Hist. Rom., vol. II, p. 166.)

[8] Eutrope, lib. VIII, cap. II et III ; Lugduni Batavorum, 1762, in-8°, p. 360 et sqq.

[9] Tac., Agric., cap. XXIII ; Suet., Hist. Rom., vol. III, p. 369. — Tac., Agric., cap. X ; Suet., Hist. Rom., vol. III, p. 366.)

[10] Tac., Ann., lib. IV, cap. V ; Suet., Hist. Rom., vol. III, p. 185. — Dion., lib. LV- cap. XXIII. Stamburgi, 1752, in-fol., p. 794.)

[11] Spart., in Hadrian., cap. XV ; Suet., Hist. Rom., vol. II, p. 281. — Lips., De Magnit. Rom., lib. I, cap. IV ; Antuerpiae, 1637, in-fol. ; tom. III, p. 379.)

[12] Tit. Liv., lib. XXIV, cap. XLIX ; Lugduni Batavorum et Amstelodami, 1740, 4° ; tom. III, p. 934.

[13] Il y avait vingt-huit légions sous Auguste, dont on peut voir la distribution dans le passage de Tacite ; ensuite on en changea le nombre et la destination. (Just. Lips., De Magnit. Rom., lib. I, cap. IV, Antuerpiæ, 1637, in-fol. ; tome III, p. 379.)

Sous le règne d’Alexandre Sévère il n’en restait que dix-neuf des vingt-huit d’Auguste, les autres ayant été ou dissoutes ou réunies, ainsi que Dion le dit ; mais d’autres y furent ajoutées par les successeurs d’Auguste. (Dion, lib. LV, cap. XXIII et LIV ; Hamburgi, 1752, in-fol., p. 794 et sqq.)

[14] Dion, lib. LV, cap. XXIV ; Hamburgi, 1752, in-fol., p. 797. — Tacite, Ann., lib. IV, cap. V ; Suet., Hist. Tom., vol. III, p. 185.

Elles furent augmentées sous Vitellius. (Tacite, Hist., lib. II, cap. XCIII ; Suet., Hist. Rom., p. 311.)

[15] Suet., Aug., cap. XLIX ; Suet., Hist. Rom., vol. III, p. 30. — Veget., lib. IV, cap XXXI ; Vesaliae Clivorum, 1670, in-8°, p. 133.

[16] Tac., Ann., lib. XII, cap. XXX ; Suet., Hist. Rom., vol. III, p. 224. — Hor., lib. IV, cap. XII ; Suet., Hist. Rom., vol. II, p. 51.

[17] Cic., Phil.

[18] La vraie chronologie doit placer la naissance de Jésus-Christ au 25 décembre de l’an de Rome 751, la vingt-septième année du règne d’Auguste ; mais l’ère commune la compte, comme je l’ai remarqué, de l’an 754 de la fondation de Rome.

[19] Tac., Ann, lib. I. cap. LXXII, p. 128 et 129, édit. 1715 a Christ. Hauffio ; Leipsick. - Cod., lib. IX, tit. VIII, Ad legem Juliam majestatis. - Digest.. codem.

[20] Act. Apost. V. S., p. 289 ; Lyon, 1684.

[21] Juff., Mart. Apol., t. II, p. 69.

[22] Eusèbe Caes., Chron., an. Dom. XXXVIII ; Bâle.

[23] Vita Claudii, cap. II. p. 202 ; édit. de 1761, par Ophelot de La Pause ; Paris.

[24] Joseph., 18-14. — Eusèbe Caes., Historiae, lib. II, p. 482, édit. 1559 ; Basileae, per Henricum Petri, in-4°.

Voici le passage qu’Eusèbe, d’après Nicéphore et Josèphe (Antiq. Jud.), rapporte dans l’endroit indiqué : In tantes et tam graves calamitates, ut fertur, incurrit ut, necessitate adductus, sibi propria manu mortem conscisceret, suorumque ipse scelerum vindex exsisteret. (Eusèbe, Hist. Eccles., lib. II, cap. VII.)

[25] Act. Apostolor., cap. XI, vers. XXVI, p. 295 ; Lugduni, 1684.

[26] Eusèbe Caes., Hist. Eccles., lib. II. p. 487, édit. Basileae, per Henric. Petri ; 1559, in-4°. — Eusèbe Caesaris, Chronicon, D. Hieronymo interprète, anno Dom. 44, p. 77, édit. Basileae, per Henricum Petri ; 1559.

[27] Ep. 16 B. Pauli ad Romanos, vers. 11.

[28] Suet., in Vita Neronis.

[29] Juv., Sat. I, vers. 139. — Suet., in Vit. Neronis, p. 251, cap. XVI. — Tacit., Annal., lib. XV, édit. de Barbou.

[30] Act. Apost., cap. XXVIII, vers. 16, N.d.A.

[31] Philostrate, in Vita Ap. Tyan.

[32] Eusèbe, Hist. Ecclés., lib. II, p. 49 ; lib. III, cap. I, p. 51 — Balch., Matryr., p. 289.

[33] Sulpit. Severi, Sacrae Hist., lib. II, p. 95, édit. Elzeveriana ; Lugduni Batavorum, anno 1643 ;  Dialog. II, p. 306, édit. ead.

[34] Eusèbe, Hist. Ecclés., lib. II, p. 29.

[35] Tacit., Annal., lib. XIII, p. 236 ; apud Barbou, Parisiis 1779.

[36] Sueton., in Vit. Galb.

[37] Sueton., in Vit. Galb.

[38] Suétone ajoute quelques circonstances à ce récit : Galba fut égorgé près du lac Curtius. On le laissa sur place tel qu'il se trouvait. Enfin un soldat qui avait été chercher sa ration de grains, l'aperçut, jeta sa charge et lui coupa la tête. Ne pouvant la prendre par les cheveux, parce qu'elle était chauve, il la mit dans sa robe ; puis, lui passant le pouce dans la bouche, il la porta à Othon. (Sueton., in Vit. Galb., p. 298 et 299.

[39] Sueton., in Vit. Othonis, p. 308.

[40] Suet., in Vita Aul. Vitell., p. 317. — Dion, Hist. Rom., lib. LXV, p. 735.

[41] Suet., in Vit. Aul. Vitell. p. 321. — Dion., Hist. Rom., lib. LXVI.

[42] Suet., in Vit. Aul. Vitell., p. 322.

[43] Tacit., Histor., lib. IV. p. 476, édit. de Barbou. — Suet., in Vit. Vitell., N.d.A.

[44] Dion., p. 754. N.d.A.

[45] Tacit., Hist., lib. V, cap. XIII.

[46] Clementis, ad Corinth. Epist., p. 8.

[47] Joseph., Bell. Jud., lib. XII, cap. XVII, p. 960.

[48] Joseph., Bell. Jud., lib. VII, p. 96.

[49] Joseph., Bell. Jud., cap. VIII, p. 954-55.

[50] Joseph., Bell. Jud., cap. XVII.

[51] De Assumpt. B. Maria Sermo, tributus divo Hieronymo, t. IX, p. 67.

[52] Martial, lib. IX, Epigr. 4. – N.d.A.

[53] Plin., lib. VI, epist. XVI.

[54] Epiphanius, Contra Hœreses, cap. VI.

[55] Eusèbe, Chron., ann. 92 ; Philost., Vit. Apoll., lib. VII, cap. IV.

[56] Claude avait tenté cette abolition.

[57] Pour ne pas refaire moi-même ce qui est très bien fait, j’emprunte la traduction de Fleury, d’un style plus naturel et plus franc que l’élégante traduction de Sacy.

[58] Eusèbe, lib. III, cap. XXXIII ; Plin., lib. X, epist. XCVII, XCVIII. Tertullien a très bien fait remarquer ce qu’il y avait de contradictoire et d’injuste dans le raisonnement et la décision de Trajan.

[59] Eusèbe, lib. IV, Hist., cap. VIII et IX.

[60] Hier., ad Paulinum, p. 102 ; Bâle, 1537.

[61] Eusèbe, Hist. eccl., lib. IV, cap. I, p. 102.

[62] Eusèbe, Hist. eccles., lib. V, p. 93.

[63] Eusèbe, Hist. eccles., cap. XXV, p. 108 et 109.

[64] Chron. Alex. ; Eusèbe, Hist., IV, cap. XIII.

[65] Hist. Aug., p. 128.

[66] Herodian., Vit. Commod., lib. I, p. 91-92.

[67] Dion., Hist. rom., lib. LXXIII, p. 835. — Dion., Hist. rom., p. 61. — Herodian., lib. II, p. 130, 131 et 134)

[68] Herodian., p. 170. — Dion., lib. LXXIV, p. 839. — Hist. Aug., p. 63.

[69] Dion., lib. LXXIV ; Herod., lib. VII ; Spart., Hist., p. 33.

[70] Dion., Hist. Rom., lib. LXXVII, p. 868.

[71] Aurel. Victor

[72] Hist. Aug., p. 364.

[73] S. Iraen., lib. I, cap. X, Contra Hœreses., p. 49.

[74] S. Iraen., lib. III, cap. III, n° 4.

[75] Eusèbe, Hist. eccles., lib. V, p. 95.

[76] Tert., lib. II. cap. II. p. 167, et cap. VIII, p. 171.

[77] Eusèbe, in Chron., an. 171.

[78] Tert., Apologétique.

[79] Hist. Aug., p. 88.

[80] L’édit de Caracalla, ou un édit semblable, est attribué par quelques glossateurs à Marc-Aurèle. J’ai suivi l’opinion pour laquelle il y a un plus grand nombre d’autorités.

[81] Herodian., lib. IV, p. 310-311.

[82] Dion., Hist. Rom., lib. LXXII, p. 877, et lib. LXVIII, p. 883.

[83] Hist. Aug., p. 88.

[84] Dion., lib. LXXVIII, p. 886.

[85] Hist. Aug., lib. CII. — Herodian., lib. V, p. 376-377, et p. 181.

[86] Hist. Aug., p. 474.

[87] Hist. Aug., p. 472 ; Dion, lib. LXXIX ; Herodian., lib. V.

[88] Hist, Aug., p. 478.

[89] Dion., lib. LXXIX ; Herodian., lib. V ; Hist. Aug., p. 478.

[90] Dion., lib. LXXX ; Herodian., lib. VII.

[91] Hist. Aug., p. 133 ; Herodian., lib. VI. M. de Saint-Martin, dans ses notes sur l’Histoire du Bas-Empire, de Le Beau, a jeté un nouveau jour sur l’histoire confuse des rois de Perse et d’Arménie.

[92] Lamprid., in Vit. Alex. Severi, p. 328.

[93] Lamprid., Hist. Aug., p. 320, et p. 345.

[94] Lamprid, Hist. Aug., p. 350.

[95] Lactance, Div. Inst., lib. V, p.417.

[96] Les anciens glossateurs du droit romain racontent sérieusement que les Grecs, avant de faire part de leurs lois aux députés romains, envoyèrent à Rome un philosophe pour savoir ce que c’était que Rome. Ce philosophe, arrivé dans cette ville inconnue, fut mis en rapport avec un fou qui, par de certains signes des doigts, lui indiqua la Trinité. Le philosophe rendit compte de sa mission aux Grecs, et les Grecs trouvèrent que les Romains étaient dignes d’obtenir les lois qui ont fait le fond des douze Tables.

[97] Minutius, in Octav.

[98] Eusèbe, lib. VI, cap. 21, 23 et sqq.

[99] Hist. Aug., p. 370.

[100] Hist. Aug., p. 368, 369, 372.

[101] Hist Aug., p. 141 ; Herodian., lib VII, p. 237.

[102] Herodian., lib. VII, Hist. Aug.

[103] Herodian., lib. VII, Hist. Aug.

[104] Le vieux Gordien avait régné trente-six jours.

[105] Herodian., lib. VII, Hist. Aug.

[106] Herodian., lib. VII, Hist. Aug., p. 398. — Lactance, Div. Inst., p. 88, in-4°.

[107] Hist. Aug., p. 306.

[108] Hist. Aug., p. 392. — Dans ce passage du huitième livre de l’Enéide, il y a un vers retranché et un vers interpolé.

[109] Oros., lib. VII, cap. XIX.

[110] Tertul., De Cor.

[111] Eusèbe, lib. VI, Hist., cap. XXXII ; Phot., Bibl., cod. XXXIV.

[112] Eusèbe, lib. VI, Hist., cap. XVI ; Epiph., De Mens., n. 18, 19.

[113] Hist. Aug., p. 161.

[114] Vopisc., in Vit. Aurelian. ; Hist. Aug.

[115] Hist. Aug., Aurel. Victor

[116] Zosime, lib. II.

[117] Zosime, lib. I ; Zonard., lib. XII.

[118] Consultez, pour cette histoire embrouillée des barbares, Bayer, Gatterer, Adelung, Schloezer, Reineggs, Malte-Brun, etc., etc. Ces savants hommes ont des systèmes contradictoires : l'un ne voit en Germanie que des Sueves et des non-Suèves ; l'autre veut que les Slaves soient les Vandales ; celui-ci fait des Slaves des Venèdes et reconnaît des Slaves mêlés et des Slaves proprement dits. Les Suèves deviennent des Allamans, les Allemands d'aujourd'hui, etc., etc. Au milieu de tout cela, il faut encore trouver place pour le système par la division des langues, la race finnoise caucasienne, que sais-je ? J'ai présenté ici au lecteur, et dans l’exposition de ce discours, ce qui m'a semblé le moins obscur. Je crois avoir été le premier à recueillir les noms et le nombre des hordes de l'Amérique septentrionale (Voyage en Amérique) ; malgré l'aridité et la confusion des traditions de ces sauvages, il est moins difficile de s'en faire une idée approximative que de répandre quelque clarté sur l'histoire des peuples germaniques. Les Romains, qui ignoraient les langues de ces peuples, ont tout confondu ; et quand ces peuples se sont civilisés, déjà loin de leur origine, ils n'ont plus trouvé que quelques chansons et des traditions orales mélangées de fables et de christianisme. Malheureusement la grande Histoire des Goths de Cassiodore est perdue, et il ne nous en reste que l'abrégé de Jornandès. Grotius a donné une édition des écrivains goths. Agathias et surtout Procope offrent une des grandes sources de l'histoire gothique. Jornandès parle de quelques chroniques des Goths en vers, citées par Ablavius ; et l'on a dans la traduction des quatre évangiles par Ulphilas le plus ancien monument de la langue teutonique. Il est du IVe siècle. Ulphilas avait été obligé d'inventer des lettres inconnues pour exprimer certains sons de la langue des Goths. Cette traduction est antérieure de plus de quatre cent quatre-vingts années au serment de Charles, en allemand, dans Nithard (842), et de plus de cinq siècles au chant teutonique qui célèbre la victoire de Louis, fils de Louis le Bègue, sur les Normands, en 881. La chronique de Marins, qui commence à l'an 455 et finit à l'an 581, contient des renseignements sur les Goths et sur les Bourguignons. On a une généalogie des rois goths, publiée d'après un manuscrit du monastère de Moissac.

[119] Adam de Brême, Saxo gram. Les Eddas, les Saggas, l’Histoire de Suède, etc.

[120] On fait descendre les Burgondes ou Bourguignons des Vandales, Slaves ou Venèdes conquis par les Goths. Ils étaient ennemis des Allamans (Ammien Marcellin, liv. XXVIII. Pline, Hist. Nat., IV). Une tradition les faisait venir des soldats romains qui gardaient vers les rives de l’Elbe les forteresses de Drusus (Orose, liv. VII). Paul Warnefrid (le diacre) place le berceau des Goths et des Lombards dans la Scandinavie. Entre les règnes d’Auguste et de Trajan on trouve les Lombards établis sur l’Elbe et l’Oder. (Velleius Paterculus, II) -

[121] Jornandès, De Reb. Getic., p. 607.

[122] Ammien Marcel., lib. XXXI, cap. V.

[123] Aurel. Victor., cap. XXIX ; Jornandès, cap. XVIII ; Zosime, lib. I ; Zonare, lib. XII ; Hist. Aug., p. 225.

[124] Epist. 11.

[125] Epist. 10, 20, 59, 60.

[126] Martyrol., 24 jan.

[127] Hieron., in Vita Pauli eremitœ, p. 338 ; Basileae.

[128] Eusèbe, Hist., lib. VI, cap. XXXV, p. 178.

[129] Zonar., lib. XII ; Eutrop., lib. IX, cap. VI.

[130] Eutrop., lib. IX, cap. VI ; Aurelius Victor.

[131] Zosime, lib. I ; Greg. Thaum., Epist. ap. Masc.

[132] Zosime, lib. I.

[133] Lactance, De Morte Persecut., cap. V, p. 60. — Eutrop., in Vita Pontii manuscripta ; apud Lactance, p. 60

[134] Eusèbe, Orat. Const., p. 442. — Lactance, De Morte Persecut., cap. V, p. 59. - Eusèbe, Vit. Const.

[135] Gallien, in Hist. Aug.

[136] Hist. Aug., p. 466 et p. 468.

[137] Hist. Aug., p. 116, Triginta Tyran.

[138] Zonar., p. 296.

[139] Hist. Aug., p. 215.

[140] Hist. Aug., p. 194.

[141] Hist. Aug., p. 187.

[142] Hist. Aug., Trig. Tyran., p. 500.

[143] Hist. Aug., Trig. Tyran., p. 500.

[144] Hist. Aug., p. 469.

[145] Hist. Aug., p. 464.

[146] Trebell. Poll., Trig. Tyran., de Ingenno ; Hist. Aug., p. 500.

[147] Hist Aug., p. 476, 475.

[148] Hist. Aug., p. 471.

[149] Hist. Aug., p. 464, 487.

[150] Hist. Aug., p. 475, 470

[151] Plotini vita ejus operibus praefixa auctore.

[152] Porphyre, Hist. Aug., p. 476.

[153] Porphyre, Hist. Aug., p. 475.

[154] Hist. Aug., Trig. Tyran., p. 522.

[155] Les auteurs varient sur l’époque de cette invasion ; les uns la placent sous Valérien, d’autres sous Gallien, d’autres encore sous Claude, et même jusque sous Aurélien.

[156] Zonar., lib. XII.

[157] Il avait écrit l’Histoire des temps depuis Alexandre Sévère jusqu’à Claude, l’Histoire des Guerres de Scythie et quatre livres de l’Histoire des Successeurs d’Alexandre. Il nous reste deux fragments des Guerres de Scythie dans les Extraits les Ambassades. (Phot., Biblioth., cap. LXXXII. Voss., De Hist. graec., p. 243.

[158] Hist. Aug., p. 178. ; Jornandès, cap. XX.

[159] Hist. Aug., in Vit. div. Claud., p. 541.

[160] Hist. Aug., in Vit. div. Claud., p. 545.

[161] Hist. Aug., in Vit. div. Claud., p. 545. — Zosime, Hist., lib. I, p. 13 ; Basileae.

[162] Zosime, Hist., lib. I, p. 13 ; Basileae. — Hist. Aug., p. 549.

[163] Hist. Aug., p. 211.

[164] Zosime, lib. I, p. 665.

[165] Zosime, lib. I, p. 665.

[166] Boll., 20 jan., p. 278, in Act. S. Sebast., ann. 287.

[167] Aur. Vopisc., in Hist. Aug., p. 220 ; Trig. Tyran., c. XXIII, XXIX.

[168] Le canton des Ucrimes.

[169] Hist. Aug., p. 222.

[170] Suid., p. 494.

[171] Eusèbe, Chron.

[172] Hist. Aug., p. 218.

[173] Vopisc., Hist. Aug., p. 229.

[174] Dix copies des Annales et des Histoires devaient être placées annuellement, par ordre de Claudius Tacite, dans les bibliothèques publiques : si cet ordre avait été exécuté, il est probable que nous posséderions entiers les chefs-d’œuvre que la main du temps a mutilés. Claudius Tacite était de la famille de Cornelius Tacite ; mais il n’est pas certain qu’il descendît en ligne directe de l’historien. (Hist. Aug., Vit. Tac.)

[175] Hist. Aug., Vit. Tac.

[176] Victor. jun. ; Aurel. Victor. ; Eusèbe, Chron.

[177] Prob., Vit, Hist. Aug., p. 238 et sqq. ; Zos., lib. I ; Buchar. Hist. Belg., lib. III, p. 1 ; Hier., Chron.

[178] Danielis Schopflini, Alsat. Illust., t. I, p. 223.

[179] Zosime, lib. I, p. 20, édit. Basileae.

[180] Synesii episcopi Cyrenes de regno ad Arcadam imperat., interprete Dyonisio Petavio Jesu Presbytero. (p. 18, Lutetiae, 1633.) - On sait qu’il y a erreur dans le texte de Synesius, et qu’il faut rapporter à Probus ce qu’il attribue à Carin.

[181] Victor, Ep., Eut.

[182] Carus, Hist. Aug., p. 666.

[183] September habet dies 30. - 27. - Ludi romaniani. Aegidii Bucherii.

[184] Calpurn. egloga septima. J'ai pris place sur des bancs, au milieu des sièges des femmes, d'où la populace, dans les sales habits de sa misère, regardait les jeux ; car toute l'enceinte qui se trouve en plein air est occupée par les tribuns aux toges blanches ou par les chevaliers. (...) J'admirais (...) Alors un vieillard : Pourquoi t'étonner de tant de richesses, toi qui ne connais pas l'or et n'as jamais habité que sous un toit au hameau, puisque moi-même, que cette ville a vu vieillir, je suis ébloui ? (...) L'or resplendit au portique, et les pierreries au pourtour. Au bas du mur de marbre qui environnait l'arène était une roue formée de morceaux d'ivoire rapportés avec art, qui, par son axe arrondi et par sa surface glissante, fuyait subitement sous les ongles des bêtes féroces et empêchait leur approche. Des filets dorés étaient enlacés sur l'arène à des dents d'éléphant toutes égales (...) J'ai vu toutes sortes d'animaux, des lièvres blancs, des sangliers armés de cornes, une menticore (un phoque), des taureaux, des veaux marins combattant contre des ours. Ah ! combien de fois n'ai-je pas été saisi de frayeur, lorsque, l'arène s'entrouvrant, des bêtes sauvages sortaient du gouffre ! souvent aussi du brillant abîme poussaient des arbousiers aux tiges safranées.

[185] Grandeur et décadence des Romains.

[186] Flav. Vopisc., Numerianus. Hist. Aug., p. 669.

[187] Carus Aug. Vit., p. 250.

[188] Carus Aug. Vit., p. 252. Avant le meurtre d’Aper, il avait coutume de dire qu’il tuait toujours des sangliers, mais qu’un autre les mangeait : utitur pulpamento.

[189] Elle servit longtemps au comput de la fête de Pâques, et elle est encore employée par les Cophtes et les Abyssins.

[190] De unitate Ecclesiae catholicae, vulgo de simplicitate praelatorum. (Oper. Cyp., p. 206.)

[191] Pagian., 252 ; Catalog. Bucher.

[192] Prudent., Peristeph., 12.

[193] Greg. Nyss., p. 1006. D.

[194] Acta sincera Ruinartii, p. 310.

[195] Adrien de Valois remarque qu’autre chose était milites chez les Romains et autre chose exercitus ; à l’appui de sa remarque il cite ce passage d’Idace : Apud Constantinopolis Marcianus a militibus et ab exercitu, instante etiam sorore Theodosis, Pulcheria regina, efficitur imperator. Le savant historien entend par exercitu la cour et les officiers du palais : il a raison. Grégoire de Tours et d’autres auteurs emploient la même distinction : la suite des faits démontre que l’élection était devenue double, c’est-à-dire qu’elle s’opérait par le concours des officiers du palais et de ceux de l’armée. Valesiana, p. 79.

[196] Aur. Victor, p. 323 ; Eutrop., p. 586 ; Greg. Naz., Or. 3 ; Ath., Apolog. cont. Arian. ; Ammian. Marcel., lib. XV.

[197] Aur. Victor, p. 524.

[198] Eutrop., p. 585 ; Goltz. Mes. rei. antiq., p. 12.

[199] Vit. S. Babol. in And.Du Ch. Hist. Fr. Scrip.

[200] J'ai tracé dans Les Martyrs les portraits de Dioclétien, de Galerius et de Constantin avec la fidélité historique la plus scrupuleuse : au lieu de les refaire, qu'il me soit permis de les rappeler.

Dioclétien a d'éminentes qualités ; son esprit est vaste, puissant, hardi ; mais son caractère, trop souvent faible, ne soutient pas le poids de son génie. Tout ce qu'il fait de grand et de petit découle de l'une ou de l'autre de ces sources. Ainsi l'on remarque dans sa vie les actions les plus opposées : tantôt c'est un prince plein de fermeté, de lumières et de courage, qui brave la mort, qui connaît la dignité de son rang, qui force Galerius à suivre à pied le char impérial comme le dernier des soldats ; tantôt c'est un homme timide, qui tremble devant ce même Galerius, qui flotte irrésolu entre mille projets, qui s'abandonne aux superstitions les plus déplorables, et qui ne se soustrait aux frayeurs du tombeau qu'en se faisant donner les titres impies de Dieu et d'Eternité. Réglé dans ses moeurs, patient dans ses entreprises, sans plaisirs et sans illusions, ne croyant point aux vertus, n'attendant rien de la reconnaissance, on verra peut-être ce chef de l'empire se dépouiller de la pourpre par mépris pour les hommes et afin d'apprendre à la terre qu'il était aussi facile à Dioclétien de descendre du trône que d'y monter.

Soit faiblesse, soit nécessité, soit calcul, Dioclétien a voulu partager sa puissance avec Maximien, Constance et Galerius. Par une politique dont il se repentira peut-être, il a pris soin que ces princes fussent inférieurs à lui et qu'ils servissent seulement à rehausser son mérite. Constance seul lui donnait quelque ombrage, à cause de ses vertus ; il l'a relégué loin de la cour, au fond des Gaules, et il a gardé près de lui Galerius. Je ne vous parlerai point de Maximien auguste, guerrier assez brave, mais prince ignorant et grossier, qui n'a aucune influence. Je passe à Galerius.

Né dans les huttes des Daces, ce gardeur de troupeaux a nourri dès sa jeunesse, sous la ceinture du chevrier, une ambition effrénée. Tel est le malheur d'un Etat où les lois n'ont point fixé la succession au pouvoir ; tous les coeurs sont enflés des plus vastes désirs ; il n'est personne qui ne puisse prétendre à l'empire ; et comme l'ambition ne suppose pas toujours le talent, pour un homme de génie qui s'élève, vous avez vingt tyrans médiocres qui fatiguent le monde.

Galerius semble porter sur son front la marque ou plutôt la flétrissure de ses services ; c'est une espèce de géant, dont la voix est effrayante et le regard horrible. Les pâles descendants des Romains croient se venger des frayeurs que leur inspire ce césar en lui donnant le surnom d'Armentarius. Comme un homme qui fut affamé la moitié de sa vie, Galerius passe les jours à table et prolonge dans les ténèbres de la nuit de basses et crapuleuses orgies. Au milieu de ces saturnales de la grandeur, il fait tous ses efforts pour déguiser sa première nudité sous l'effronterie de son luxe ; mais plus il s'enveloppe dans les replis de la robe du césar, plus on aperçoit le sayon du berger.

Outre la soif insatiable du pouvoir et l'esprit de cruauté et de violence, Galerius apporte encore à la cour une autre disposition bien propre à troubler l'empire : c'est une fureur aveugle contre les chrétiens. La mère de ce césar, paysanne grossière et superstitieuse, offrait souvent, dans son hameau, des sacrifices aux divinités des montagnes. Indignée que les disciples de l'Evangile refusassent de partager son idolâtrie, elle avait inspiré à son fils l'aversion qu'elle sentait pour les fidèles. Galerius a déjà poussé le faible et barbare Maximien à persécuter l'Église ; mais il n'a pu vaincre encore la sage modération de l'empereur.

[201] Eusèbe, lib. VII, cap. II.

[202] Eusèbe, lib. VII, cap. II.

[203] Lactance, De Morte Persec., martyr. 26 déc.

[204] Voici le tableau de cette persécution, encore emprunté des Martyrs : ce n'est qu'un abrégé exact du long récit d'Eusèbe et de Lactance (Eusèbe, cap. VI, VII, VIII, IX, X, XI, lib. IV, Lactance) : La persécution s'étend dans un moment des bords du Tibre aux extrémités de l'empire. De toutes parts on entend les églises s'écrouler sous les mains des soldats ; les magistrats, dispersés dans les temples et dans les tribunaux, forcent la multitude à sacrifier ; quiconque refuse d'adorer les dieux est jugé et livré aux bourreaux ; les prisons regorgent de victimes ; les chemins sont couverts de troupeaux d'hommes mutilés qu'on envoie mourir au fond des mines ou dans les travaux publics. Les fouets, les chevalets, les ongles de fer, la croix, les bêtes féroces déchirent les tendres enfants avec leurs mères ; ici l'on suspend par les pieds des femmes nues à des poteaux, et on les laisse expirer dans ce supplice honteux et cruel ; là on attache les membres du martyr à deux arbres rapprochés de force : les arbres en se redressant emportent les lambeaux de la victime. Chaque province a son supplice particulier : le feu lent en Mésopotamie, la roue dans le Pont, la hache en Arabie, le plomb fondu en Cappadoce. Souvent, au milieu des tourments, on apaise la soif du confesseur et lui jette de l'eau au visage, dans la crainte que l'ardeur de la fièvre ne hâte sa mort. Quelquefois, fatigué de brûler séparément les fidèles, on les précipite en foule dans le bûcher : leurs os sont réduits en poudre et jetés au vent avec leurs cendres. (...) Les villes sont soumises à des juges militaires, sans connaissances et sans lettres, qui ne savent que donner la mort. Des commissaires font les recherches les plus rigoureuses sur les biens et les propriétés des sujets ; on mesure les terres, on compte les vignes et les arbres, on tient registre des troupeaux. Tous les citoyens de l'empire sont obligés de s'inscrire dans le livre du cens, devenu un livre de proscription. De crainte qu'on ne dérobe quelque partie de sa fortune à l'avidité de l'empereur, on force par la violence des supplices les enfants à déposer contre leurs pères, les esclaves contre leurs maîtres, les femmes contre leurs maris. Souvent les bourreaux contraignent des malheureux à s'accuser eux-mêmes et à s'attribuer des richesses qu'ils n'ont pas. Ni la caducité, ni la maladie, ne sont une excuse pour se dispenser de se rendre aux ordres de l'exécuteur ; on fait comparaître la douleur même et l'infirmité ; afin d'envelopper tout le monde dans des lois tyranniques, on ajoute des années à l'enfance, on en retranche à la vieillesse : la mort d'un homme n'ôte rien au trésor de Galerius, et l'empereur partage la proie avec le tombeau. Cet homme, rayé du nombre des humains, n'est point effacé du rôle du cens et il continue de payer pour avoir eu le malheur de vivre. Les pauvres, de qui on ne pouvait rien exiger, semblaient seuls à l'abri des violences par leur propre misère ; mais ils ne sont point à l'abri de la pitié dérisoire du tyran : Galerius les fait entasser dans les barques et jeter ensuite au fond de la mer, afin de les guérir de leurs maux. (Martyrs, lib. XVIII)

[205] Pagi, an. 302, n. 13 ; Epiphane, Hœres., 68.

[206] Act. sinc., p. 295.

[207] De Morte Persecut.

[208] Eutrope, p. 56, Victor, Epit.

[209] Rhedœ impositus, dit le texte.

[210] Eutrope, lib. IX, cap. XVIII ; Aurel. Victor, Lumen Panegyr. vet., VII, 15.

[211] Ad cœtum sanct., cap. XXV ; Eusèbe

[212] De Administ. imp. ad Rom. fil., p. 72, 85, 86.

[213] Victor, Ep., p. 223 ; Eutrope, p. 587.

[214] Lactance, De Morte Persecut.

[215] Lactance, De Morte Persecut. ; Eusèbe, lib. VIII, cap. XVII ; Victor, Epit.

[216] Commentarior. D. Hieron. in Zachar., lib. III, p. XIV, p. 370-h. ; Romae, in aedibus populi romani, 1571.

[217] Lactance, De Morte Persecut.

[218] Robertson’s Hist. Of Charl. V, vol. the third, p. 317 ; 1760. — Marianae, Hist. Hisp. Continuatio ab Emmanuele Miniana, lib. V, p. 216, t. IV.

[219] Eutrope, p. 587 ; Rer. Romanar., lib. II, p. 135 ; Basileae, anno 1532.

[220] Suidae, Lexicon, t. II, Genevae, 1690.

[221] Photh.. Bib., cap. LXII, in Praxag., Zonar., Ann. Vitae Diocl.

[222] Zosime, lib. II, et les deux Victor.

[223] Il y a divers récits contradictoires de sa mort.

[224] Lactance, De Morte Persecut. ; Eusèbe, cap. XVI ; Aurel. Victor, Epit.

[225] Paneg. Orat. int. vet. paneg.

[226] Aurel. Victor, p. 526.

[227] Rufin., Hist. eccles. p. 145.

[228] Incerti Panegyricus Constantino Augusto, cap. II, p. 498, t. II ; Trajecti ad Rhenum, 1787.

[229] Cod. Theod., lib. V.

[230] Sozomène, p. 444, Conq. de Const., lib. I.

[231] Philostorg., Hist. eccles., lib. II, cap. IX.

[232] Chron., p. 181. Nuditas, qui n’est pas de la bonne latinité, ne peut être employé ici que dans le sens de la Bible. Les principaux objets d’art transportés à Constantinople furent les trois serpents qui soutenaient, à Delphes, le trépied d’or consacré en mémoire de la défaite de Xerxès, le Pan également consacré par toutes les villes de la Grèce et les Muses d’Hélicon. La statue de Rhée fut enlevée au mont de Dyndème ; mais, par une barbarie digne de ce siècle, on changea la position des mains de la déesse, pour lui donner une attitude suppliante, et on la sépara des lions dont elle était accompagnée.