XIV Nouveau rapprochement tenté entre La Fayette et Mirabeau (1er juin 1790). — Mirabeau lui propose d'être Richelieu et de le prendre pour Éminence grise. — La Fayette ne se laisse pas prendre au piège. — Il assiste à la procession solennelle du Saint-Sacrement (3 juin). — Il fait décréter que personne n'aura le commandement des gardes nationales dans plus d'un département (8 juin). — Lettre aux gardes nationaux de Strasbourg. — L'Assemblée nationale prend le deuil de Franklin (11 juin). — Revue des gardes nationales. — La Fayette assiste au dîner par lequel la Société de 1789 célèbre l'anniversaire de la constitution des communes en Assemblée nationale (17 juin), et il est acclamé. — Il s'associe à l'abolition des titres de noblesse (19 juin). — Mirabeau le malmène à ce sujet, le roi lui présente des observations et La Fayette fait amende honorable. — Lettre du roi à La Fayette pour lui enjoindre de s'unir avec Mirabeau. — Elle est écrite, mais non expédiée. — Entrevue avec la reine. — Hommages rendus au général. — Il est représenté dans le cabinet de cire de Curtius. — Pamphlets et caricatures contre lui. — Il s'oppose au retour du duc d'Orléans et donne ses raisons à l'Assemblée le 6 juillet. — Préparatifs de la fête de la Fédération. — Menées de Mirabeau pour ruiner son crédit populaire. — Il est proclamé président de l'assemblée des fédérés, le 10 juillet. — Il présente une députation des fédérés à l'Assemblée nationale et au roi (13 juillet). — Fête de la Fédération (14 juillet 1790). — La Fayette prête le serment sur l'autel de la patrie. — Enthousiasme des fédérés pour lui. — Les fédérés font peindre son portrait par Weyler. — Clôture de l'assemblée des fédérés (20 juillet). — Le rôle joué par La Fayette à la fête déplaît à la Cour et est dénoncé au roi par Mirabeau. — Rendez-vous entre les deux rivaux. — Il assiste à l'éloge de Franklin par l'abbé Fauchet (21 juillet). — Pamphlet de Marat contre lui. — Conférence de trois heures avec Mirabeau, le 31 juillet 1790.Cependant les royalistes, ne pouvant écarter La Fayette, voulurent composer avec lui, afin de le mettre dans l'impuissance de nuire[1]. Ils poussèrent de nouveau Mirabeau à un rapprochement, malgré l'échec des précédentes tentatives ; un rendez-vous fut demandé et accepté par le général, qui n'y alla pas. Le 1er juin 1790, Mirabeau écrivit sur ce sujet à La Fayette. Après lui avoir montré combien il pouvait peu compter sur son entourage, il lui disait : Ici, ce qui me reste à vous dire deviendrait embarrassant, si j'étais, comme tant d'autres, gonflé de respect humain, cette ivraie de toute vertu ; car, ce que je pense et veux vous déclarer, c'est que je vaux mieux que tout cela, et que, borgne peut-titre, mais borgne dans le royaume des aveugles, je vous suis plus nécessaire que tous vos comités réunis... Oh ! M. de La Fayette ! Richelieu fut Richelieu contre la nation pour la Cour, et, quoique Richelieu ait fait beaucoup de mal à la liberté publique, il fit une assez grande masse de bien à la monarchie. Soyez Richelieu sur la Cour pour la nation, et vous referez la monarchie, en agrandissant et consolidant la liberté publique. Mais Richelieu avait son capucin Joseph ; ayez donc aussi votre Éminence grise, ou vous vous perdrez en ne nous sauvant pas. Vos grandes qualités ont besoin de mon impulsion ; mon impulsion a besoin de vos grandes qualités ; et vous en croyez de petits hommes, qui, pour de petites considérations, par de petites manœuvres, et dans de petites vues, veulent nous rendre inutiles l'un à l'autre, et vous ne voyez pas qu'il faut que vous m'épousiez et me croyiez, en raison de ce que vos stupides partisans m'ont plus décrié, m'ont plus écarté ! Ah ! vous forfaites à votre destinée[2]. Être Richelieu avec Mirabeau pour Éminence grise, quelle proposition originale et inattendue, surtout de la part d'un homme tout pénétré de sa valeur personnelle et qui savait combien son rival était peu capable d'être un Richelieu ! La Fayette, avec sa finesse et son bon sens, comprit l'ironie et ne tomba pas dans le piège. Il se voyait entouré d'embûches et il doutait de la sincérité de son correspondant, comme s'il avait su que, le même jour où il lui témoignait tant de confiance, Mirabeau envoyait pour la première fois au roi une longue note confidentielle, indiquant les moyens d'affaiblir le pouvoir de La Fayette et de ruiner sa popularité[3]. Aussi, malgré une entrevue chez La Rochefoucauld, le 3 juin[4], les pourparlers se traînèrent sans résultat. Le jeudi 3 juin eut lieu la procession solennelle du Saint-Sacrement, Le roi, la reine et Monsieur y assistaient, et La Fayette et Bailly la suivirent, un cierge à la main, de l'église Saint-Germain-l'Auxerrois au Louvre. pour la plus grande édification des fidèles[5]. Le 5, le général envoya au roi la copie du décret relatif à la liste civile et lui manda qu'il lui soumettrait. le lendemain, ses réflexions à cet égard[6]. Le 8, Bailly le chargea d'intervenir, à la barre de l'Assemblée nationale, en faveur des vainqueurs de la Bastille, et de demander pour eux une place distinguée à la fête de la Fédération[7]. La question ne fut pas soulevée à la séance, mais La Fayette fit voter le décret suivant, qu'il avait proposé la veille : L'Assemblée nationale décrète comme principe constitutionnel que personne ne pourra avoir le commandement des gardes nationales dans plus d'un département : elle se réserve à délibérer si ce commandement ne doit pas même être borné à chaque district[8]. Il répondait ainsi aux soupçons de dictature répandus par ses ennemis. Le 9 juin 1790, La Fayette écrivit à la garde nationale de Strasbourg pour &excuser de ne pouvoir aller prêter serment dans cette ville. et il la convia en ces termes à la fête de la Fédération : Nous comptons alors recevoir, avec tous les sentiments de la plus tendre fraternité, nos compagnons d'armes de Strasbourg, et consacrer cette alliance, si redoutable aux ennemis de la Constitution. si rassurante pour les amis de la patrie, alliance dans laquelle vous devez tenir une place si distinguée[9]. Le 10 juin, La Fayette reçut la nouvelle de la mort de Benjamin Franklin, qui, selon l'expression de Mirabeau, était retourné au sein de la Divinité, le 17 avril, à l'âge de quatre-vingt-quatre ans. Le 11, Mirabeau, sur la demande de La Fayette, annonça à l'Assemblée nationale la perte que l'humanité venait de faire ; il rendit un hommage éloquent à ce puissant génie, à qui l'antiquité eût élevé des autels ; et demanda que l'Assemblée portât pendant trois jours le deuil de Benjamin Franklin. La Fayette et La Rochefoucauld appuyèrent la proposition de Mirabeau et furent soutenus par tout le côté gauche de l'Assemblée ; le décret fut voté par acclamation[10]. Le même jour, La Fayette en avertit le roi[11]. Le dimanche 13 juin 1790, les membres du conseil de ville se réunirent à onze heures du matin chez La Fayette et se rendirent ensuite au Champ de Mars, où ils passèrent en revue les gardes nationales, qui défilèrent devant la municipalité, avec le commandant général à leur tête, en lui rendant les honneurs dus au pouvoir civil[12]. Le même jour, les habitants du faubourg Saint-Marceau rédigèrent une adresse à La Fayette, qui était venu les visiter[13]. Le 17, le général se rendit à l'église Notre-Dame, où les députés de la basoche vinrent déposer solennellement leurs drapeaux[14]. Le soir, il assista, avec Bailly, Sieyès, Mirabeau, Talleyrand et Paoli, au dîner par lequel la Société de 1789 célébra, dans son local du Palais-Royal, l'anniversaire de la constitution de la Chambre des communes en Assemblée nationale. Il fut, ainsi que ses collègues, acclamé par le peuple assemblé sous les fenêtres[15]. Le 19 juin, il s'associa à l'abolition des titres de noblesse[16], et, comme on proposait de ne donner le titre de monseigneur à personne, à l'exception des princes du sang, il dit : Je demande à faire une observation sur cette exception. Dans un pays libre il n'y a que des citoyens et des officiers publics. Je sais qu'il faut une grande énergie à la magistrature héréditaire du roi. Mais pourquoi vouloir donner le titre de prince à des hommes qui ne sont à mes yeux que des citoyens actifs, lorsqu'ils se trouvent avoir les conditions prescrites à cet égard ? Le même jour, 19 juin, La Fayette écrivit au roi de venir en habit de revue à la revue de la garde nationale qu'il devait passer le lendemain dimanche[17]. Son attitude dans la discussion de l'abolition des titres de noblesse déplut à la Cour et Mirabeau appelait la séance du 19 la démence d'hier au soir, dont La Fayette a été, ou bêtement, ou perfidement, mais entièrement complice[18]. Il ajoutait qu'il était urgent que la reine, d'accord avec le roi, pressât énergiquement La Fayette de le prendre pour collaborateur[19]. La Fayette y était de moins en moins disposé, et, si nous en croyons Mirabeau lui-même, il disait à Frochot, dans une séance du comité La Rochefoucauld : M. de Mirabeau se conduit trop mal avec moi ; j'ai vaincu le roi d'Angleterre dans sa puissance, le roi de France dans son autorité, le peuple dans sa fureur ; certainement je ne céderai pas à M. de Mirabeau[20]. Le roi avait présenté des observations à La Fayette sur le décret du 19, abolissant les titres de noblesse, et le général s'excusa, dans une lettre du 27 juin, de n'avoir pas demandé une rédaction plus raisonnable, et promit d'essayer d'amener quelque décret explicatif qui préserve d'une exécution rigoureuse[21]. Le 28 juin, La Fayette accompagna, à Notre-Dame, le corps des chevaliers de l'arc de Paris, qui allait déposer son drapeau dans l'église[22]. Le 29, le roi, conformément aux désirs de Mirabeau[23] et, d'accord avec la reine et avec l'archevêque de Toulouse[24], écrivit à La Fayette la lettre suivante : Nous avons une entière confiance en vous ; mais vous êtes tellement absorbé par les devoirs de votre place, qui nous est utile, qu'il est impossible que vous puissiez suffire à tout. Il faut donc se servir d'un homme qui ait du talent, de l'activité, et qui puisse suppléer à ce que, faute de temps, vous ne pouvez pas faire. Nous sommes fortement persuadé que Mirabeau est celui qui conviendrait le mieux par sa force, ses talents et l'habitude qu'il a de manier les affaires dans l'assemblée. Nous désirons, en conséquence, et exigeons du zèle et de l'attachement de M. de La Fayette qu'il se prête à se concerter avec Mirabeau sur les objets qui intéressent le bien de l'État, celui de mon service et de ma personne[25]. Cette lettre comminatoire fut écrite, mais non envoyée, car on la retrouva dans l'armoire de fer. La Fayette déclara, en effet, ne l'avoir jamais reçue. Toutefois, il eut une entrevue avec la reine, ce dont le comte de La Marck avertit Mirabeau le 30 juin[26]. Cette ténacité des royalistes s'expliquait par la crainte
que leur inspirait la popularité de La Fayette, qui était alors à son apogée.
Le 3 juin 1790, la compagnie des grenadiers du bataillon des
Filles-Saint-Thomas avait fait frapper des jetons à son effigie. Mme de La
Fayette étant tombée malade, l'assemblée des représentants de la Commune
députa deux de ses membres pour s'informer de ses nouvelles[27]. Au
Palais-Royal, dans le cabinet des figures de cire de Curtius, on voyait
représentés La Fayette et Bailly debout près d'une table où se trouvaient
assis le roi, la reine et le dauphin[28]. Mais cette
popularité suscitait tout naturellement des ennemis au commandant général. On
vendait dans les rues un libelle intitulé : Vie privée, impartiale,
politique, militaire et domestique du marquis de La Fayette[29]. En vain, Cahier
de Gerville dénonçait avec indignation, le 9 juin, ce pamphlet à l'assemblée
des représentants de la Commune : les attaques ne cessaient pas sous les
formes multiples des brochures ou des caricatures. Sur une de ces dernières,
on figurait la tête de La Fayette, piquée sur un bougeoir et laissant passer
par son crâne une chandelle allumée, et au-dessous se lisait cette légende : Bon mot d'une ambassadrice. La réputation du grand général
ressemble à une chandelle qui ne brille que chez le peuple et pue en
s'éteignant[30]. C'est à la
baronne de Staël, femme de l'ambassadeur de Suède et amie de La Fayette,
qu'on prêtait ce propos. Les intrigues nouées autour du général, les racontars colportés dans les salons, les relations avec la Cour et avec le marquis de Bouillé, expliquaient des soupçons, qui n'allaient que se fortifier. Le retour du duc d'Orléans à Paris devait encore embrouiller davantage la situation. Le prince à la Cour, écrivait Mirabeau au roi le 1er juillet 1790[31], sera un embarras de plus pour La Fayette ; ces deux ennemis, en présence l'un de l'autre, se contiendront respectivement. Les préparatifs de la fête de la Fédération absorbaient alors La Fayette et lui faisaient oublier quelque peu les ennuis et les délicatesses de sa situation politique. Sur le terrain du commandement de la garde nationale il se sentait solidement établi ; sa puissance était aussi grande qu'il la pouvait souhaiter, et la Fédération ne devait que l'accroître encore et donner un regain à une popularité battue en brèche par' tant d'ennemis. Le 3 juillet, La Fayette assista à la nomination, par les électeurs désignés par les soixante bataillons de la garde nationale, des députés qui devaient assister à la Fédération. Il déclara qu'on ne pouvait pas dire qu'il y avait eu division dans la garde nationale et il signa le procès-verbal[32]. Le même jour, le duc d'Orléans envoya à l'Assemblée nationale, au roi et La Fayette, une note protestant contre les démarches faites auprès de lui par M. de Boinville, de la part du commandant général, pour le dissuader, au nom du repos public, de revenir à Paris. Dans la séance du 6 juillet, La Fayette donna des explications à l'Assemblée sur les motifs de la démarche qu'il avait fait faire auprès du prince, et il exprima sa confiance dans la réussite de la fête de la Fédération[33]. Est-ce à cette occasion ou pour ménager de nouveaux pourparlers avec Mirabeau, que La Fayette demanda un rendez-vous au comte de La Marck, le 5 juillet[34] ? On l'ignore, mais ce qui est certain, c'est que Mirabeau travaillait sans relâche à susciter des embarras à son rival et à diminuer son crédit populaire. Ainsi, le 7 juillet, il conseilla de faire inviter, par le roi, les ambassadeurs à la fête de la Fédération, afin que Louis XVI eût le mérite de cette démarche, au lieu de se laisser devancer par La Fayette[35]. Dans une note confidentielle du 9 juillet, il traitait le général de maire du palais. Ces menées n'empêchèrent pas La Fayette d'être proclamé, le 10 juillet, président de l'assemblée des fédérés. Dès lors la situation du commandant général devenait prépondérante. Le 12 juillet, un placard imprimé, portant la signature de celui-ci, prévint les fédérés qu'une députation des gardes nationales serait reçue le mardi 13 juillet par l'Assemblée nationale et par le roi[36]. Le lendemain, La Fayette fit cette présentation avec solennité. A la barre de l'Assemblée, il prononça un discours politique, où il adjura les députés de terminer la Constitution et qui finit par ces mots : Sous les auspices de la loi, l'étendard de la liberté ne deviendra jamais celui de la licence ; nous vous le jurons, Messieurs, ce respect pour la loi, dont nous sommes les défenseurs, nous vous le jurons sur l'honneur ; et des hommes libres, des Français, ne promettent jamais en vain. Au roi, il déclara qu'il révérait en lui le plus beau de tous les titres, celui de chef des Français et de roi d'un peuple libre. Jouissez, sire, du prix de vos vertus ; que ces purs hommages, que ne saurait commander le despotisme, soient la gloire et la récompense d'un roi citoyen ! Le mercredi 14 juillet 1790, au Champ de Mars, après la messe, célébrée par l'évêque d'Autun, Talleyrand, La Fayette, en sa qualité de major général de la confédération, monta sur l'autel de la patrie, y plaça son épée et prononça le serment de fidélité à la nation, à la loi et au roi[37]. Ce fut le véritable héros de la fête ; la foule des citoyens lui prodigua les marques les plus extraordinaires de respect et d'admiration. Un écrivain royaliste en a témoigné en ces termes : On ne voulait pas le laisser redescendre de l'autel où il était monté ; on semblait exiger qu'il y restât exposé à la vénération publique. A peine redescendu, les fédérés s'élancèrent à l'envi vers lui ; les uns lui baisaient le visage, les autres les mains, les moins heureux l'habit. Il n'eut pas moins de peine à remonter à cheval. A peine fut-il en selle qu'on baisa ce qu'on put encore : ses cuisses, ses bottes, le harnais du cheval, enfin le cheval lui-même[38]. Un autre témoin s'écriait : Voyez-vous M. de La Fayette qui galope dans les siècles à venir ![39] Le commandant général pouvait à ce moment jouir de toute la force et de toute l'étendue de sa popularité. Le 17 juillet, les fédérés, assemblés dans l'église Saint-Roch, lui demandèrent l'autorisation de faire peindre son portrait par M. Weyler, peintre du roi, et de le faire ensuite graver[40] ; puis ils lui envoyèrent une adresse de félicitations et de remerciements. Le 18, La Fayette passa en revue au Champ de Mars six bataillons de la garde nationale parisienne en présence des fédérés et prononça une allocution[41] ; puis le 20, il clôtura par un nouveau discours la dernière séance tenue par les fédérés. Il leur dit : Séparons-nous avec le doux sentiment que ces beaux jours ont versé dans le cœur des bons Français, et n'oublions pas que c'est à la justice et à l'ordre à finir la révolution qu'un généreux effort a commencée[42]. Le rôle joué par La Fayette à la fête de la Fédération, l'enthousiasme des fédérés pour le major général. les acclamations de la foule, avaient déplu à la Cour. Le roi et la reine surtout en furent profondément blessés dans leur dignité et dans leur puissance. Mirabeau le constatait dans une note adressée au roi le 17 juillet 1790 : Il est inutile de s'appesantir sur la Fédération déjà passée, de montrer à quel point on a compromis le roi, sans profit pour son autorité, à quel point on a servi l'homme redoutable, et servi malgré lui-même, à quel point on a réparé ses propres fautes, à quel point on l'a rendu l'homme de la Fédération, l'homme unique, l'homme des provinces, quelque incapacité qu'il ait montrée dans cette solennelle occasion, où, avec les plus grands moyens imaginables, il a amoindri tout ce qu'il a touché[43]. Le même jour, Mirabeau annonçait à La Marck qu'il verrait La Fayette à un rendez-vous sollicité par celui-ci[44]. Le 21 juillet, le général assista, dans la salle de la halle au blé, à l'éloge funèbre de Franklin, prononcé par l'abbé Fauchet, au nom des représentants de la Commune. Il était placé entre le président de la Commune et les secrétaires[45]. Le 23, il se présenta à l'assemblée des représentants de la Commune à la tête d'une députation de fédérés. Il y fut reçu avec enthousiasme et exprima les sentiments de fraternité qui animaient les fédérés pour la capitale et pour la commune en particulier. Des remercîments furent votés à la garde nationale et à son commandant[46]. Le regain de popularité de La Fayette devait donner un nouvel essor aux attaques de ses ennemis. Marat publiait contre celui qu'il appelait le général Motié, un violent pamphlet intitulé : C'est fait de nous, et où il le dénonçait comme vendu à la Cour[47]. On saisit ce libelle, le 29 juillet 1790, mais La Fayette allait bientôt justifier devant l'opinion publique ces attaques et ces insinuations. Une entrevue de trois heures eut lieu le samedi 31 juillet, entre le général et Mirabeau[48], qui appelait plaisamment son rival Gilles César[49]. Ainsi se terminait le mois de juillet 1790, qui marquait un point culminant de la carrière politique de La Fayette. |
[1] Ce sont les propres expressions du comte de La Marck. (Cf. Correspondance, t. Ier, p. 152.)
[2] Cf. Correspondance entre Mirabeau et La Marck, t. II, p. 19 à 23.
[3] Cf. Première note du comte de Mirabeau pour la Cour, en date du 1er juin 1790 (Correspondance, t. II, p. 25 à 32.) — Mirabeau proposait d'opposer à La Fayette le marquis de Bouillé, qui, s'il voulait être populaire, le serait bientôt plus que lui.
[4] Le 4 juin 1790, Mirabeau écrivait au comte de La Marck : J'ai vu hier l'homme aux indécisions, mais chez le duc de La Rochefoucauld seulement ; il me demanda que le rendez-vous du soir, arriéré par le comité, fût remis à ce soir et me fit entendre d'ailleurs ce qui devait s'y traiter. Je houspillai un peu lui et son comité, parce qu'il me parait pourtant un peu étrange que ces honnêtes gens-là soient toujours et en tout contre moi. (Cf. Correspondance, t. II, p. 34.)
[5] Le Courrier de Paris dans les provinces et des provinces à Paris consacra, dans son numéro du 4 juin, ces lignes à La Fayette : L'on n'a pas vu sans admiration le héros de l'Amérique s'honorer de paraître dans une pompe religieuse, et l'on souriait en voyant une main habituée à manier le glaive, tenir humblement un cierge bénit qu'il avait reçu de la main d'un lévite de la maison du Seigneur.
[6] Cette lettre, extraite, comme toute la correspondance de La Fayette avec le roi, de l'armoire de fer, figure dans les Mémoires.
[7] Cf. lettre de Bailly à La Fayette aux Pièces justificatives, n° XVII.
[8] Cf. Moniteur, t. IV, p. 571 et 578.
[9] Cette lettre fut publiée en français et en allemand sous ce titre : Copie de la lettre de M. de La Fayette à MM. de la garde nationale de la ville de Strasbourg du 9 juin 1790, in-4° de 2 pages. (Bibl. nat., Lb39 8941.)
[10] Cf. Moniteur, t. IV, p. 600.
[11] Cf. Mémoires de La Fayette.
[12] Cf. P. Robiquet, Le personnel municipal de Paris pendant la Révolution, p. 289. — Bailly avait écrit, le 10 juin 1790, à La Fayette au sujet de cette revue. (Cf. Bibl. nat., ms. Fr. 11697, p. 63.)
[13] Cf. Adresse des habitants du faubourg Saut-Marceau à M. de La Fayette le dimanche 13 juin 1790, dans le faubourg, impr. de 3 pages in-8°, dans ma collection révolutionnaire.
[14] Cf. Recueil des procès-verbaux de l'assemblée générale des représentants de la commune de Paris, t. VII, p. 277 à 289.
[15] Cf. Moniteur, t. IV, p. 687 et 688.
[16] La Fayette s'exprima en ces termes : Cette motion est tellement nécessaire que je ne crois pas qu'elle ait besoin d'être appuyée : mais, si elle en a besoin, j'annonce que je m'y joins de tout mon cœur. (Cf. Moniteur, t. IV, p. 676.)
[17] Cf. lettres de La Fayette à Louis XVI, des 11 et 19 juin 1790.
[18] Cf. Seconde note du comte de Mirabeau pour la Cour. (Correspondance, t. II, p. 38.)
[19] Mirabeau faisait, dans cette note, son propre éloge en disant : M. de Mirabeau est le seul homme d'Etat de ce pays-ci.
[20] Cf. lettre de Mirabeau au comte de La Marck, en date du 26 juin 1790 (Correspondance, t. II, p. 54). — M. A. Bardoux doute de la véracité de ce propos, au moins dans sa forme, et les termes sont, en effet, peu en harmonie avec la phraséologie ordinaire de La Fayette.
[21] Cf. Mémoires de La Fayette. — Le 26 juin, La Fayette témoigna au marquis de Bouillé son espérance que la Fédération n'amènerait pas de troubles. Constitution et ordre public doivent être le cri de ralliement de tous les bons citoyens, et c'est une belle occasion de s'en pénétrer.
[22] Cf. Recueil des procès-verbaux de l'assemblée générale des représentants de la Commune de Paris, t. VII, p. 428.
[23] Cf. note de Mirabeau, en date du 20 juin 1790, citée précédemment.
[24] Le dimanche 27 juin 1790, le comte de La Marck écrivait sur ce sujet à Mirabeau : L'archevêque de Toulouse a été exact au rendez-vous de neuf heures et il m'a quitté à onze. Il arrivait de chez la reine. où il avait préparé par écrit, pour changer le style et non les choses, ce qui sera dit demain au non Balafré, d'après le premier mémoire que vous avez fait passer. Si cet impuissant capitan tergiverse, on dira franchement : j'exige. (Cf. Correspondance, t. II, p. 61.)
[25] Cf. Mémoires de La Fayette.
[26] On lit dans cette lettre (Correspondance, t. II, p. 67) : La reine a écrit une lettre de plusieurs pages sur une entrevue qu'elle a eue avec Gilles-César : vous verrez cette lettre et vous en serez content.
[27] Cf. Recueil des procès-verbaux, t. VII, p. 329. — Le 22 juin, les députés rendirent compte que Mille de La Fayette, pour laquelle on avait craint la rougeole, était hors de danger (p. 348).
[28] L'Oldenbourgeois Halem en témoigne dans son Paris en 1790, trad. A. Chuquet, p. 195.
[29] Ce manège dura assez longtemps, car, le 1er mai 1791, on arrêta, sur le boulevard du Temple, un colporteur qui offrait aux passants, entre autres volumes, la Vie privée de La Fayette. (Cf. A. Tuetey, t. II, n° 1369.)
[30] Cette caricature fait partie de ma collection révolutionnaire.
[31] Cf. Correspondance entre Mirabeau et La Marck, t. II, p. 71.
[32] Cf. P. Robiquet, Le personnel municipal de Paris sous la Révolution, p. 315 à 317.
[33] La protestation du duc d'Orléans et la réponse de La Fayette furent publiées sous ce titre : Lettre de Philippe-Louis-Joseph Capet, ci-devant duc d'Orléans ; opinion de M. de La Fayette, in-8°. (Bibl. nat., Lb39 9041.) — On lit à ce sujet dans la Correspondance secrète, publiée par M. de Lescure, t. II, p. 456 : La correspondance du duc d'Orléans avec M. de La Fayette au sujet de son retour a donné au public quelques lumières sur le schisme qui divise les royalistes et les républicains.
[34] Cf. Correspondance entre Mirabeau et La Marck, t. II, p. 82.
[35] Cf. lettre de Mirabeau au comte de La Marck, du 7 juillet 1790 (Correspondance, t. II, p. 87.)
[36] Cf. Pièces justificatives, n° XVIII.
[37] La formule du serment était : Nous jurons d'être à jamais fidèles à la nation, à la loi et au roi ; de maintenir de tout notre pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi ; de protéger, conformément aux lois, la sûreté des personnes et des propriétés, la circulation des grains et subsistances dans l'intérieur du royaume, la perception des contributions publiques, sous quelques formes qu'elles existent ; de demeurer unis à tous les Français par les liens indissolubles de la fraternité.
[38] Cf. Histoire authentique et suivie de la Révolution de France ; Londres, 1792, 2 vol. in-12, t. Ier, p. 702. (Bibl. nat.. Lc2 2278.)
[39] Le futur général Thiébault, qui assistait à la fête de la Fédération, parle en ces termes de La Fayette dans ses Mémoires, éd. F. Calmettes, t. Ier, p. 261 : c Mais un homme qui occupait l'attention de tous les assistants, c'était M. de La Fayette. Chargé de tous les pouvoirs pendant cette solennité, et quoiqu'il ne commandât que des fédérés, il semblait commander à la France entière. Monté sur un cheval blanc, je l'aperçois encore, parcourant à peu près en maitre ce vaste espace, et je citerai un mot d'un homme d'esprit, qui, me le montrant du doigt, me dit : Voyez-vous M. de La Fayette qui galope dans les siècles à venir !
[40] Cf. Moniteur, t. V, p. 564. — Le portrait de La Fayette fut exécuté par Weyler en octobre 1790 ; il figura au Salon de 1791 et fut gravé en 1792 par Christophe Guérin. Le 14 octobre 1790. La Fayette avait écrit à Cham-boitas, commandant de la ville de Sens, le billet suivant, publié dans les Mémoires : M. Weyler vous dira, Monsieur, que je me suis rendu aux ordres dont vous avez été l'organe. Mais je veux vous exprimer encore une fois ma vive sensibilité pour un témoignage si flatteur de l'estime et de l'amitié de mes frères d'armes. Puissent-ils, en revoyant les traits du plus affectionné de leurs camarades, se rappeler les sentiments qu'il leur a voués jusqu'au dernier soupir !
[41] Cf. Moniteur, t. V, p. 188. — Le 15 juillet, le district de Henri IV avait donné une fête sur le Pont-Neuf, devant la statue de ce prince, parée d'une écharpe tricolore et d'un bouquet. Sur le devant de la grille, on voyait un rocher sur lequel était élevé l'autel de la patrie ; aux deux côtés étaient placés deux pins, à la tige desquels on voyait deux médaillons : l'un représentait M. de La Fayette et l'autre M. Bailly, offrant chacun un bouquet à Henri IV.
[42] Cf. Mémoires de La Fayette.
[43] Cf. Douzième note du comte de Mirabeau pour la Cour. (Correspondance, t. II, p. 103.)
[44] Cf. Correspondance, t. II, p. 109. — Je possède un billet inédit de Mirabeau à La Fayette, sans date, mais que le comte de La Marck attribue à l'année 1790. J'en donne ici le texte et le fac-simile, à titre de spécimen de la correspondance des deux rivaux :
Votre lettre contient des
raisonnements sans réplique : il y a de l'autre côté une force d'inertie qui
retarde votre plan et quelques circonstances qui me font varier d'avec vous sur
l'époque. Causons ensemble aujourd'hui, et si l'heure de huit vous convient, je
vous attendrai chez moi avec Maubourg et La Côte. Je ne puis vous exprimer
combien j'ai été satisfait de notre dernière conversation et désire bien que
vous soyez content de moi.
Lf.
Ce vendredi.
J'ai pris copie de la lettre sur les subsistances, comme vous me l'aviez permis.
[45] Cf. Procès-verbaux de l'assemblée des représentants de la Commune de Paris, t. VIII, p. 589.
[46] Cf. Procès-verbaux, t. VIII, p. 601 à 603.
[47] Cf. A. Tuetey, t. Ier, n° 1325.
[48] Mirabeau écrivait à l'archevêque de Toulouse, le 1er août : Je ne sais comment je m'étais mis en tête que je devais vous voir hier, où, j'eus avec Gilles-César une conférence de trois heures, où il a été sur la piste de Cromwell plus que ne comporte sa pudibonderie naturelle. (Correspondance, t. II, p. 125.)
[49] Ce sobriquet de Gilles-César avait été appliqué, si nous en croyons le comte de La Marck, par le duc de Choiseul à La Fayette, lors de son retour d'Amérique. Le ministre, agacé des éloges sans fin prodigués par des dames dans son salon au jeune marquis, avait dit : Pour moi, Mesdames, je ne vois dans La Fayette que Gilles-César.