LE GÉNÉRAL LA FAYETTE

1757-1834

 

LE GÉNÉRAL LA FAYETTE.

 

 

VIII

 

Correspondance avec Washington et échange de cadeaux. — Voyage de La Fayette à Cherbourg avec le maréchal de Castries (juin 1786). — Le roi le ramène à Versailles dans son carrosse. — Achat de la seigneurie de Langeac. — Réception solennelle du nouveau seigneur, le 15 août 1786. — Le buste de La Fayette par Houdon est offert par les Etats de Virginie à la ville de Paris et placé dans une des salles de l'Hôtel de Ville, le 23 septembre 1786. — Diner à Saint-Ouen chez Necker. — Remise au duc de Nivernois d'un projet de réforme de la jurisprudence criminelle rédigé par Condorcet. — Lettre à Barbé de Marbois. — Visite de villes de garnison. — Séjour à Fontainebleau près de la Cour (octobre et novembre 1786). — Diner offert à William Pitt. — L'impératrice de Russie Catherine II le fait prier de venir à Pétersbourg. — La Fayette sollicite et obtient la permission d'aller la voir en Crimée. — Il se prépare à partir. — La convocation de l'assemblée des notables le retient en France 29 décembre 1786. — La Fayette est inscrit sur la liste des notables. — Double version à ce sujet. — Il est un des témoins du mariage de Condorcet, le 23 décembre 1786. — Il confie à Washington ses espérances sur le rôle de l'assemblée des notables et sur ce qu'il compte y faire. — Il assiste à l'ouverture de cette assemblée à Versailles, le 22 février 1787. — Il fait partie du 2e bureau présidé par le comte d'Artois. — Il joue un rôle actif dans les délibérations et combat le projet de Calonne. — Il demande que le roi élargisse tous ceux qui sont aux galères pour cause de contrebande. — Il attaque le monstre de l'agiotage et signe une déclaration à ce sujet. — Opinions sur le déficit. — Demande de la convocation d'une Assemblée nationale. — Colloque à ce sujet avec le comte d'Artois. — Vœu sur l'état civil des protestants et sur la réforme des lois criminelles le 21 mai 1787. — Dernière séance de l'assemblée des notables le 25 mai. — La Fayette fait le tableau des travaux de cette assemblée. — Il s'est attiré la haine des grands et le suffrage de la nation.

 

La Fayette ne cessait d'entretenir avec Washington une active et affectueuse correspondance. Les deux amis échangeaient des cadeaux. Comme les ânes étaient rares aux États-Unis, le marquis envoya un âne et deux ânesses à Washington[1], ainsi que des chiens courants, tandis que Mme Washington expédiait des jambons[2], qui figuraient sur la table de La Fayette, quand il recevait ses amis ou les Américains de passage à Paris[3]. Le 24 mai 1786, il écrivit à Washington :

Dans quelques jours, mon cher général, j'irai visiter le nouveau port de Cherbourg et de là, avec le ministre de la marine, Brest et Rochefort. Je me rendrai ensuite à ma demeure d'Auvergne, et ferai peut-être un tour en Hollande ; mais je passerai certainement le mois de septembre en Alsace avec les troupes qui sont sous l'inspection de mon beau-père le duc d'Ayen. J'examinerai ainsi le terrain de la dernière campagne de Turenne.

 

En effet, La Fayette accompagna le maréchal de Castries, ministre de la marine, dans le voyage que celui-ci fit à Cherbourg avec le roi, pour visiter les travaux exécutés dans le port de cette ville par le célèbre ingénieur de Cessart. Les maréchaux de Castries et de Ségur partirent le 19 juin, en compagnie du marquis, et Louis XVI ne se mit en route que le lendemain. Après avoir passé par Rambouillet, Houdan, le château d'Harcourt et Caen, il arriva à Cherbourg le jeudi 22 juin 1786, à onze heures du soir[4]. La ville et les bâtiments de la rade étaient illuminés. En arrivant à l'hôtel du gouvernement, le roi y fut reçu par les maréchaux de Castries et de Ségur, par les ducs de Chabot, de Liancourt, de Mortemart, de Polignac et de Guiche, et par le marquis de La Fayette[5]. Le 23 juin, dès trois heures du matin, il alla entendre la messe, puis il s'embarqua dans un canot doré, avec les seigneurs de sa suite, et alla assister à l'immersion d'un des cônes qui devaient fermer la rade de Cherbourg. Les jours suivants, l'escadre d'évolution manœuvra sous les ordres du comte d'Albert de Rioms, et donna le simulacre d'un combat naval. Après avoir admiré l'œuvre de Cessart et la flotte, Louis XVI quitta Cherbourg le lundi 26 juin, et il prit dans son carrosse les deux maréchaux, le duc de Liancourt, grand-maître de la garde-robe, et le marquis de La Fayette[6]. Le voyage de retour s'effectua par Caen, Lisieux, Ronfleur, le Havre, Rouen et Gaillon[7], et le roi rentra à Versailles le 29 juin, à trois heures de l'après-midi[8].

En revenant de cette intéressante excursion, La Fayette séjourna à Paris, puis se rendit en Auvergne, vers la fin de juillet 1786[9]. Il avait acheté, le 18 avril précédent, la terre de Langeac, voisine de Chavaniac, moyennant la somme de 188.000 livres[10]. Les mauvaises langues prétendaient qu'il agrandissait ses propriétés dans l'espoir de faire ériger son domaine en duché[11]. Quoi qu'il en soit, le 13 août 1786, monté sur un cheval blanc, il alla, de Chavaniac, où une escorte d'honneur l'était venu chercher, à Langeac, et il prit possession avec solennité de cette belle seigneurie. Le syndic de la ville lui présenta les clefs de la ville et le vin ; une grand'messe fut célébrée dans l'église Saint-Gal, et on chanta le Te Deum. Le nouveau seigneur visita les établissements publics, au milieu des habitants enthousiasmés, et la fête se termina par un banquet et par des réjouissances publiques[12].

La Fayette rentra à Paris pour assister à une manifestation encore plus flatteuse pour son amour-propre. Les Etats de Virginie avaient fait exécuter par le sculpteur Houdon le buste du marquis, pour le placer dans leur capitale. Ils en offrirent un exemplaire à la ville de Paris. Le 27 septembre 1786, Jefferson, ministre plénipotentiaire des États-Unis, écrivit aux prévôts des marchands et échevins :

Les États de Virginie, en reconnaissance des services du major général le marquis de La Fayette, ont résolu de placer son buste dans leur capitale. Leur intention d'ériger un monument à ses vertus et aux sentiments qu'ils lui ont voués, dans le pays auquel ils sont redevables de sa naissance, leur a fait espérer que la ville de Paris consentirait à devenir la dépositaire de ce second témoignage de leur reconnaissance. Chargé par les États de l'exécution de la délibération qu'ils ont prise, j'ai l'honneur de solliciter MM. les prévôt des marchands et échevins d'accepter le buste de ce brave officier et de le placer dans un lien qui puisse rappeler toujours cet hommage honorable et attester le dévouement des alliés de la France[13].

 

L'offre fut agréée et. le lendemain 28 septembre. Short, ancien membre du conseil des États de Virginie, remplaçant Jefferson malade, apporta à l'Hôtel de Ville le buste de La Fayette. Le prévôt des marchands. Le Peletier de Mortefontaine. le reçut ; Ethis de Corny, avocat et procureur du roi, ancien commissaire des guerres à l'armée de Rochambeau et, comme tel, décoré de l'ordre de Cincinnatus, fit un discours, et le buste fut placé sur un socle, au bruit d'une musique militaire et aux acclamations des spectateurs. Cette manifestation excita la curiosité publique et les Parisiens coururent voir à l'Hôtel de Ville l'œuvre de Houdon[14].

La Fayette trouvait le temps de cultiver assidûment les relations mondaines. Il allait dîner à Saint-Ouen, chez Necker, avec Mmes de Staël et de Lauzun. Il rendait visite au duc de Nivernois, et lui remettait un petit projet de réforme de la jurisprudence criminelle, rédigé par Condorcet. C'est plutôt pour l'acquit de ma conscience, disait-il, que je fais cette démarche, que dans l'espoir de rien obtenir[15]. Il écrivait à Barbé de Marbois, consul de France aux États-Unis, pour dissiper les préjugés des Européens contre l'Amérique[16]. Il visitait des villes de garnison, afin de conserver l'habitude de voir les troupes et de juger leur instruction[17]. Il passa une partie des mois d'octobre et de novembre 1786 à Fontainebleau, où résidait momentanément la Cour[18]. C'est aussi à cette époque que William Pitt vint à Paris. La Fayette, presque guéri de ses préventions contre les Anglais[19], le reçut à dîner et fut enchanté de son esprit, de sa modestie et de sa noblesse[20].

De toutes parts, les témoignages de considération lui arrivaient. L'impératrice de Russie, Catherine II, allait partir pour la Crimée ; elle eut la curiosité de voir le héros de l'affranchissement de l'Amérique et elle le fit prier de venir à Pétersbourg. Le marquis riposta par une demande d'aller en Crimée. Ayant reçu une réponse favorable, il écrivit à Washington, le 26 octobre 1786, qu'il comptait partir dans les premiers jours de février pour la Crimée et revenir par Constantinople et l'Archipel. Un événement inattendu empêcha la réalisation de ce projet, et l'impératrice en témoigna ses regrets au comte de Ségur[21]. En effet, Louis XVI convoqua, le 29 décembre 1786, l'assemblée des notables, pour réformer les finances. Cette assemblée comprenait cent quarante-quatre membres. pris parmi les principaux des trois ordres du royaume, ne possédant pas de charge à la Cour. La noblesse y comptait trente-six représentants. La Fayette fut un d'entre eux. Son nom avait été, prétendait le marquis lui-même, porté sur la liste primitive, effacé, puis rétabli, sur la réclamation du baron de Breteuil et du maréchal de Castries[22] ; mais le bruit courait que son inscription n'était due qu'à ses vives sollicitations auprès du ministre Calonne, qui, le voyant désolé de ne pas figurer sur la liste des notables, avait proposé son nom et l'avait fait agréer par le roi[23]. Quoi qu'il en soit, La Fayette faisait partie de l'assemblée, et c'était une nouvelle porte ouverte à son activité et à son ambition politique.

Le lendemain même de la convocation de l'assemblée des notables, le 28 décembre 1786, le marquis fut un des témoins du mariage de son ami le marquis de Condorcet avec Mme de Grouchy[24]. Sa maison était ouverte à tous, et on voit par une lettre d'un jeune officier de dix-neuf ans, Xavier de Schonberg, écrite, le 14 janvier 1787, à sa mère, quelle hospitalité cordiale on y rencontrait[25] :

Nous avions été chez M. de La Fayette... Aujourd'hui, il m'a embrassé et reçu à merveille. C'est une maison de plus pour moi. Il me semblait être en Amérique plutôt qu'à Paris. Il y avait chez lui quantité d'Anglais et d'Américains, car il parle l'anglais comme le français. Ii a un sauvage de l'Amérique habillé suivant son costume, au lieu d'avoir un coureur. Ce sauvage ne l'appelle que mon père, father. Tout respire la simplicité chez lui. Marmontel et l'abbé Morellet y dinaient. Jusqu'à ses petites filles parlent l'anglais, comme le français, quoiqu'elles soient toutes petites. Elles jouaient en anglais et riaient avec les Américains, et cela aurait fait des sujets charmants d'estampes anglaises. J'admirais la simplicité d'un jeune homme aussi distingué, tandis qu'il y a tant de gens qui n'ont rien fait, qui sont aussi avantageux que celui-là l'est peu.

 

Le 13 janvier 1787. La Fayette informa Washington de ses nouvelles fonctions, qui l'obligeaient d'abandonner son projet de voyage en Crimée. Il exprimait ses espérances dans les termes suivants :

Vous comprenez aisément qu'il y a, au fond de tout cela, le désir d'avoir de l'argent, de façon ou d'autre, pour rétablir la balance entre les recettes et les dépenses que les profusions ont rendues énormes. Mais, pour arriver à ce but, il n'était pas de voie plus patriotique. plus franche, plus noble. Le roi et son ministre. M. de Calonne, méritent qu'on leur en sache gré, et j'espère qu'un tribut de gratitude et de bonne volonté récompensera cette mesure populaire. Mon vœu ardent et ma chère espérance est de voir cette réunion amener des assemblées populaires dans les provinces, la destruction de beaucoup d'entraves commerciales, et un changement dans le sort des protestants, toutes choses auxquelles, je vais, avec mes amis, travailler de tout mon cœur et dévouer nies faibles efforts.

A ce moment, Thomas Jefferson portait sur La Fayette le jugement suivant dans une lettre adressée de Paris, le 30 janvier 1737, à James Madison :

Le marquis de La Fayette est un très précieux auxiliaire pour moi. Son zèle est sans bornes et son influence près du pouvoir très grande. Son éducation ayant été purement militaire, le commerce était pour lui lettre morte. Mais, son bon sens le mettant à même de comprendre parfaitement ce qui lui est expliqué, son influence a été très efficace. Il a un talent solide, est bien vu du roi et sa popularité grandit. Il n'a rien contre lui que ses principes républicains. Je pense qu'il sera ministre un jour. Son faible est une faim canine pour la popularité et la renommée ; mais il s'élèvera au-dessus de cela[26].

 

Tous les notables allèrent s'installer à Versailles. On logea vingt d'entre eux au château. La Fayette fut au nombre de ces privilégiés ; il occupa une chambre située au-dessus de la salle des Cent-Suisses et portant le numéro 72, et il eut pour voisin, au n° 68, l'évêque de Blois[27].

Le jeudi 22 février 1787, à onze heures du matin, le roi ouvrit à Versailles. dans l'hôtel des Menus, l'assemblée des notables[28]. Il en répartit les membres en sept bureaux. dont il confia la présidence à Monsieur, au comte d'Artois, au duc d'Orléans, au prince de Condé, au duc de Bourbon, au prince de Conti et au duc de Penthièvre. La Fayette fut placé dans le second bureau, présidé par le comte d'Artois[29]. La seconde séance de l'assemblée eut lieu le lendemain 23 février, sous la présidence de Monsieur. Le contrôleur général Calonne y lut six mémoires sur l'établissement des assemblées provinciales, sur l'imposition territoriale, sur le remboursement des dettes du clergé, sur la taille, sur le commerce des grains et sur la corvée. C'étaient autant de questions proposées aux méditations des notables, qui les étudièrent dans leurs bureaux respectifs. Dès le 24 février, le second bureau se réunit ; le marquis prit place au côté gauche de la table, entre son ami le duc de Laval et le maitre des requêtes Laurent de Villedeuil[30]. Les séances étaient presque quotidiennes[31]. La Fayette y remplit un rôle actif. Le 6 mars, le comte d'Artois le désigna, avec le duc de Quines, le président de Cœur de Roi, le président Le Berthon et Le Peletier de Mortefontaine, prévôt des marchands, pour rédiger les avis motivés sur la taille, le commerce des grains et la corvée. Le 7, le second bureau prit connaissance de la rédaction de ces avis et y donna son approbation.

Le 12 mars 1787, l'assemblée des notables tint sa troisième séance. Calonne, après avoir déclaré que les observations présentées par les divers bureaux concordaient avec les sentiments du roi, déposa huit mémoires sur la réformation des droits de traites, sur la suppression des droits de marque des fers, de fabrication sur les huiles et savons, et d'ancrage sur les navires français, sur les droits à acquitter uniformément sur les marchandises coloniales, sur les modifications à apporter dans la jouissance des privilèges accordés à quelques provinces, relativement à l'impôt sur le tabac, et enfin sur la gabelle. Les notables s'occupèrent aussitôt de l'examen de ces diverses questions, mais ils s'émurent de ce que le discours du contrôleur général pouvait faire croire que les observations des bureaux étaient conformes aux mémoires présentés par lui, tandis qu'elles amendaient au contraire très sensiblement les projets ministériels. Chacun des bureaux formula une réclamation à ce sujet et demanda l'insertion de son avis dans le procès-verbal de l'assemblée. Le second bureau rédigea la sienne, le 14 mars. La Fayette était un des plus opposés au plan de Calonne. On n'en fit pas moins courir le bruit qu'il avait, ainsi que le comte d'Estaing et le marquis de Bouillé, montré, dans les discussions, la soumission la plus aveugle et la plus servile au gouvernement[32]. D'autre part, on racontait que le comte de Simiane venait de se tuer dans un accès de jalousie contre le marquis[33].

Les séances du second bureau continuèrent presque chaque jour. Le 20 mars 1787, La Fayette lut une réclamation des notables bretons, qui supplient les différents bureaux d'insérer, dans leurs procès-verbaux, la déclaration qu'ils font de réserver dans leurs avis les droits, franchises et libertés de la province de Bretagne. Le 21, il donna son opinion sur les observations présentées par la ville de Bordeaux sur les traites. Le 28, il parla sur l'avis de Monsieur relatif aux gabelles et ajouta que, si on adoptait le projet de l'impôt en argent, il serait de l'humanité du roi et de sa justice de faire sortir des galères tous ceux qui y sont enfermés aujourd'hui pour contrebande. Cet avis obtint l'approbation générale, et le marquis lut ensuite un arrêté du septième bureau réclamant la suppression des droits sur les cuirs[34].

L'assemblée des notables tint sa quatrième séance le 29 mars 1787. Calonne y lut deux mémoires sur les domaines du roi et sur les forêts domaniales. Cette question amena des débats passionnés. Le samedi 31 mars, le président de Nicolay dénonça les marchés de domaines onéreux à l'Etat, et il fut ardemment soutenu par La Fayette et par l'évêque de Langres. Le comte d'Artois rendit compte de ces attaques au roi, qui fit observer que, lorsqu'on se permettait des inculpations si graves, il fallait les signer. Le comte, dans la séance du 2 avril, rapporta les paroles de Louis XVI. Le président de Nicolay gardant le silence, La Fayette revendiqua la responsabilité de la dénonciation et demanda de lire à ce sujet un mémoire signé de son nom et qu'il priait Monseigneur de porter à Sa Majesté comme venant de lui seul. Autorisé à faire cette lecture, il avait à peine commencé que le comte d'Artois l'interrompit, en déclarant que le ton de ce document était trop fort et trop personnel. Le marquis répliqua qu'en qualité de gentilhomme. il avait le droit de porter ses représentations au pied du trône ; il fut appuyé par de Castillon, procureur général au Parlement d'Aix, et par d'autres notables[35], et il continua en ces termes :

Le roi nous invite à n'indiquer des abus particuliers qu'en signant nos avis. Celui que j'ai ouvert samedi dernier[36] nous vaut cette permission. J'en profiterai, Monseigneur, avec le zèle, l'impartialité et la liberté qui sont dans mon cœur. J'ai dit qu'il faut attaquer le monstre de l'agiotage, plutôt que de le nourrir... J'ai proposé et propose au bureau que Sa Majesté soit suppliée d'ordonner un examen sérieux, par personnes non suspectes, de tous les biens du roi pour les domaines, ainsi que des titres des bons, rentes, échanges ou achats qui sont ou devraient être à la Chambre des comptes.

Cette ferme déclaration se terminait par ces paroles caractéristiques :

Et puisque l'avis ouvert et signé par moi doit être remis à Sa Majesté, je répète avec une double confiance la réflexion que j'ai faite et soumise à Monseigneur, c'est que les millions qu'on dissipe sont levés par impôt, et que l'impôt ne peut être justifié que par le vrai besoin de l'État ; c'est que tous les millions, abandonnés à la déprédation ou à la cupidité, sont le prix des sueurs, des larmes et peut-être du sang des peuples, et que le calcul des malheureux qu'on a faits pour composer des sommes si légèrement prodiguées, est un calcul bien effrayant pour la justice et la bonté, que nous savons être les sentiments naturels de Sa Majesté.

 

Une attaque si vive contre l'agiotage ne pouvait manquer d'émouvoir Calonne, qui, si nous en croyons La Fayette, proposa de mettre son auteur à la Bastille. Sur ces entrefaites, les notables entrèrent en vacances le 4 avril 1787, pour les fêtes de Pâques. La Fayette avait grand besoin de repos. Son ardeur et ses discours ayant enflammé sa poitrine, il se soigna sérieusement et put reprendre, le lundi 16 avril, sa tâche quotidienne[37]. Le 17, il donna son opinion sur les domaines du roi ; le 23, il assista à la cinquième séance de l'assemblée, qui fut présidée par Louis XVI. Pendant les vacances pascales, le roi avait demandé à Calonne de donner sa démission[38] et il l'avait, le 10 avril, remplacé par le conseiller d'État Bouvard de Fourqueux. Celui-ci présenta deux mémoires sur le droit de timbre et sur les remboursements à époque fixe. Le 25 avril, La Fayette parla sur la première question et sur la convenance de faire payer un droit de papeterie sur le papier même. La question du déficit étant des plus graves à résoudre, le comte d'Artois forma, le 27 avril, quatre comités pour l'étudier. La Fayette fit partie du second avec l'abbé de Fabry, Angran, Le Peletier de Mortefontaine et le maire de Montpellier[39].

Le jeudi 10 mai 1787, le comte d'Artois répartit les membres de son bureau en quatre comités chargés de rédiger l'avis sur les moyens à proposer au roi pour empêcher le déficit de se reproduire. Le marquis entra dans le quatrième avec le comte de Chastellux, le président de Nicolay, Le Peletier de Mortefontaine et le maire de Montpellier[40]. Il rédigea trois opinions sur le déficit ; il y exposa les réformes à opérer pour conjurer le péril financier ; il réclama la diminution graduelle des impôts et se rangea à l'opinion de Leblanc de Castillon, procureur général du Parlement d'Aix, sur les contributions à demander au luxe et à la faveur. Il termina par ces considérations :

Mais, dans tous les cas, les travaux de l'assemblée, la salutaire influence des assemblées provinciales, les talents et les vertus de l'administration actuelle, doivent amener un nouvel ordre de choses dont l'énumération pourrait être contenue dans un mémoire particulier que je propose de présenter à Sa Majesté. Comme le crédit doit être transporté sur des bases plus naturelles, que la baisse de l'intérêt de l'argent peut diminuer celui de la dette publique dans le rapport de 7 à 4, comme la simplification de perception doit délivrer l'État des compagnies de finances, dont les engagements finissent dans cinq ans, il me semble que cette époque est celle que nous devons supplier Sa Majesté de fixer dès à présent pour ramener à elle le compte de toutes les opérations et en consolider à jamais l'heureux résultat par la convocation d'une Assemblée nationale.

 

A ces mots d'Assemblée nationale, le comte d'Artois s'écria : Quoi, monsieur, vous demandez la convocation des États généraux ?Oui, monseigneur, répartit La Fayette, et même mieux que cela. — Vous voulez donc que j'écrive et que je porte au roi : M. de La Fayette faisant la motion de convoquer les États généraux ?Oui, monseigneur[41]. Cet étrange colloque n'eut pas de suites. Oui se doutait que le délai de cinq ans fixé pour la convocation d'une Assemblée nationale serait très abrégé ? La Fayette lui-même ne se croyait pas si bon prophète[42].

Dès son entrée à l'assemblée des notables, le marquis avait résolu de présenter un vœu au sujet de l'état civil des protestants. Il tint parole. Dans la séance du 23 mai, après avoir été désigné au nombre des six commissaires chargés de prendre un extrait du travail accompli par le second bureau, La Fayette proposa de supplier Sa Majesté d'accorder l'état civil aux protestants et d'ordonner la réforme des lois criminelles. Le comte d'Artois objecta que ces questions n'ayant pas été soumises aux bureaux. c'était peut-être outrepasser les pouvoirs des notables que de s'en occuper ; toutefois il se chargea d'en parler au roi, si le bureau le désirait. Les membres approuvèrent à, l'unanimité la motion de La Fayette et on remit au lendemain la rédaction de l'arrêté[43]. Le 24, le marquis présenta le vœu sur les deux objets. Celui qui concernait les protestants fut la raison déterminante de l'édit de novembre 1787, qui accorda enfin un état civil aux sujets non catholiques du roi.

Le bureau, pénétré d'une vive et respectueuse confiance dans l'équité et la bonté du roi, croit ne pas devoir se séparer sans solliciter son attention sur trois objets, étrangers, il est vrai, au travail du bureau, mais si importants à l'humanité, à la justice, au bien de l'Etat et à la gloire de Sa Majesté, qu'elle ne peut désapprouver cette dernière démarche, dictée par le zèle le plus pur et conforme aux vœux de la nation.

1° Une partie de nos concitoyens, qui n'a pas le bonheur de professer la religion catholique, se trouve être frappée d'une sorte de mort civile. Le bureau connaît trop bien le cœur du roi pour n'être pas persuadé que Sa Majesté désirant faire aimer la vraie religion à tous ses sujets dont il est le père commun, et sachant que la vérité se soutient de sa propre force et que l'erreur seule a besoin d'employer la contrainte, joint les dispositions d'une tolérance bienfaisante à toutes les vertus qui lui ont mérité l'amour de la nation. Le bureau s'empresse de présenter à Sa Majesté ses sollicitations pour que cette portion nombreuse de ses sujets cesse de gémir sous un régime de proscription également contraire à l'intérêt général de la religion, aux bonnes mœurs, à la population, à l'industrie nationale et à tous les principes de la morale et de la politique.

2° Le bureau prend encore la liberté de supplier le roi que les lois civiles et criminelles des années 1667 et 1670, celle des eaux et forêts de 1669, et celle du commerce de 1673, lois portées sur les objets les plus intéressants pour la prospérité publique, pour la sûreté des biens, de l'honneur et de la vie des citoyens, soient examinées, afin de donner à la législation française toute sa perfection, par les changements que la seule ancienneté de ces lois et la différence des temps et des mœurs peuvent exiger et dont le progrès des lumières assurera l'utilité.

 

Le 25 mai 1787, le roi présida la sixième et dernière séance de l'assemblée des notables, et ceux-ci signèrent la minute du procès-verbal.

Le marquis a résumé, dans une lettre adressée à John Jay dans les derniers jours de mai 1787, les travaux auxquels il avait pris une part si active :

Une répartition plus égale des taxes, comprenant le clergé, qui jusqu'à présent s'en était exempté, et les plus considérables de la noblesse, qui n'étaient pas fort exacts à payer ; des assemblées provinciales fondées sur un principe électif, lesquelles avec le temps sont grosses d'heureuses, de très heureuses conséquences, destinées à voir le jour à mesure que nous avancerons ; des économies montant au moins à quarante millions ; la destruction des douanes intérieures ; une modification dans la gabelle ; une publication annuelle du compte des finances ; l'impression de toutes les pensions, dons, etc. ; de meilleurs arrangements dans quelques départements ministériels ; et une instruction plus générale, l'habitude de penser aux choses publiques, etc. ; tels sont les bons effets de cette assemblée, qui, bien qu'elle ne frit pas nationale, puisque nous manquions du caractère représentatif, s'est conduite avec beaucoup de justesse et de patriotisme.

 

La Fayette avait montré trop de franchise et avait attaqué avec trop d'ardeur et trop de succès le monstre de l'agiotage pour ne pas s'attirer des haines. Il ne se gênait guère d'ailleurs dans l'expression de son opinion. Se trouvant chez le duc d'Harcourt, gouverneur du Dauphin, et entendant discuter sur le choix des livres d'histoire à mettre entre les mains du jeune prince, il dit : Je crois qu'il ferait bien de commencer son histoire de France à l'année 1787[44]. Aussi écrivait-il à Washington, dès le 5 mai 1787 :

Le roi et sa famille, ainsi que les grands seigneurs de son entourage, à l'exception de quelques amis, ne me pardonnent pas les libertés que j'ai prises et le succès que j'ai obtenu parmi les autres classes de la nation.

 

 

 



[1] Cf. lettre de La Fayette à Washington, en date du 8 février 1786.

[2] Washington écrivait à La Fayette, le 8 juin 1786, que sa femme envoyait à Mme de La Fayette une barrique de jambons. Je ne sais s'ils sont meilleurs ou même aussi bons qu'en France, mais ils sont de notre fabrique vous savez que les dames de Virginie s'estiment elles-mêmes d'après la bonté de leurs jambons, et nous nous rappelons que ce mets était de votre goût. Elle a donc désiré que je vous les offrisse.

[3] La Fayette écrivait à Washington, le 20 octobre 1786 : J'ai reçu les jambons et je suis bien reconnaissant de cette aimable attention de Madame Washington. Le premier a été servi, il y a trois jours, à un dîner composé d'Américains, où notre ami Chastellux était invité.

[4] Cf. Mémoires secrets, t. XXXII, p. 158 ; Correspondance de Grimm, éd. Tourneux, t. XIV, p. 418 ; le journal le Courrier de l'Europe, t. XIX, n° du 16 juin 1786, p. 377 ; la Gazette de France, n° du 30 juin 1786, p. 215.

[5] Cf. le Courrier de l'Europe, n° du 18 juillet 1786, t. XX, nouvelles de Paris, du 9 juillet 1786.

[6] On lit dans les Mémoires secrets, à la date du 11 juillet 1786, t. XXXII, p. 168 : M. le marquis de La Fayette s'étant trouvé à Cherbourg, lors du voyage du roi, Sa Majesté l'a pris dans son carrosse pour le retour, ainsi que les maréchaux de Castries et de Ségur, et le duc de Liancourt, grand-maître de la garde-robe de Sa Majesté. — Cf. aussi le Courrier de l'Europe, n° du 11 juillet 1786.

[7] Cf. Correspondance de Grimm, t. XIV, p. 18, et le Courrier de l'Europe, n° du 30 juin 1786, p. 215.

[8] Cf. le Courrier de l'Europe, n° du 11 juillet 1786.

[9] Nous ne pensons pas que La Fayette visita Brest et Rochefort, comme il en avait l'intention.

[10] Cf. Henry Mosnier, Le château de Chavaniac-La Fayette, p. 24 à 26. — Le 28 avril 1786, les habitants de Langeac prirent une délibération pour féliciter La Fayette et ils envoyèrent ensuite des commissaires congratuler Mole de Chavaniac sur l'achat fait par son neveu. La Fayette leur adressa ses remerciements le 8 juin suivant. (Cf. Tablettes historiques du Velay, 1872, p. 317.)

[11] Son compatriote le comte d'Espinchal racontait à ce sujet : La Fayette, naturellement très ambitieux, ne dédaignait point alors les grâces de la Cour. Il se latta d'être fait duc et, dans cette espérance, il lit l'acquisition de quelques terres aux environs de ses possessions en Auvergne, pour pouvoir asseoir un duché. (Cf. Revue rétrospective de Paul Cottin, 1894, p. 293.)

[12] Un avocat auvergnat fit une relation en vers de cette prise de possession, sous le titre suivant : La belle journée ou relation fidèle de la fête donnée à M. le marquis de La Fayette par les habitants de Langeac, le 13 août 1786, par J.-B. Belmont, avocat en Parlement, lieutenant civil, criminel et de police de la prévôté royale de Saint-Ilpize, en Auvergne. Cette relation a été publiée par M. Paul Le Blanc dans les Tablettes historiques du Velay, 1872, p. 305.

[13] Cf. Mémoires secrets, t. XXXIII, à la date du 7 octobre 1786, p. 76.

[14] Cf. Mémoires secrets, t. XXXIII, à la date du 6 octobre 1786, p. 76.

[15] Cf. un fragment de lettre de La Fayette, d'août 1786, dans les Mémoires.

[16] Le 10 septembre 1786, il écrivait à Barbé de Marbois, consul de France aux Etats-Unis : Il se glisse ici beaucoup de préjugés contre l'Amérique, dont la plupart sont mal fondés. Je crois que vous rendrez service aux deux nations en vous étendant dans vos dépêches, sur les vérités qui peuvent établir la confiance et la bonne harmonie. Je connais bien les reproches qu'on peut faire, mais ils sont exagérés, et il y a beaucoup d'idées que vous pouvez redresser en exposant la vérité avec quelque, détails. On vient de nommer un comité composé de conseiller, d'État, intendants des finances et du commerce, inspecteurs du commerce et fermiers généraux, pour examiner nos rapports mercantiles avec l'Amérique. C'est une opération que je sollicite depuis longtemps. et comme je suis admis dans le comité, j'y disputerai pour la bonne cause. sinon avec des talents, du moins avec de bons poumons. Mon objet est de faciliter le, retours d'Amérique pour établir un commerce d'échange et paver en manufactures à nos alliés ce que nous payons en or à nos ennemis. (Lettre inédite communiquée par M. Noël Charavay.)

[17] Cf. lettre de La Fayette à Washington, en date de Paris, 26 octobre 1786.

[18] La Cour résida à Fontainebleau, du 9 octobre au 16 novembre 1786.

[19] Dans une lettre de La Fayette, datée de Paris, mardi matin, et publiée dans les Mémoires, sans date et sans nom de destinataire, on lit ce curieux passage : Depuis que nous avons gagné la partie, j'avoue que j'ai un plaisir extrême à voir les Anglais. L'humiliation de l'avant-dernière guerre et leur insolence pendant la paix m'avaient donne contre eux un sentiment d'aversion qui n'a fait que croitre avec les horreurs dont ils ont souillé l'Amérique, et l'adjonction de leur nom à celui Je la tyrannie en a fait prendre à mes oreilles une habitude défavorable : mais à présent. je les vois avec plaisir, et, soit comme Français. toit comme soldat américain ou bien même comme simple individu, je nie trouve sans embarras au milieu de cette fière nation. Ma conversion n'est cependant pas complète. Sans avoir la fatuité de les traiter en ennemis personnels, je ne puis oublier qu'ils sont ennemis de la gloire et de la prospérité françaises, car, en fait de patriotisme, je puis étonner le public, comme on dit que je l'ai fait en sensibilité.

[20] On lit dans la lettre sans date de La Fayette : Mon diner d'hier a fort bien réussi ; M. Pitt était soutenu de cinq Anglais et il y avait une douzaine de rebelles, en comptant les dames.

[21] Le comte de Ségur a écrit à ce sujet dans ses Mémoires, t. III, p. 52 : M. de La Fayette avait aussi annoncé l'intention de venir à la Cour de Catherine, mais, comme il fut nommé membre de l'assemblée des notables, il ne put exécuter son projet. L'impératrice m'en montra un vif regret : elle avait un grand désir de le connaitre, car alors l'enthousiasme pour l'affranchissement de l'Amérique avait gagné tout le monde, jusqu'aux têtes couronnées.

[22] La Fayette dit à ce sujet, dans une lettre à Washington, en date du 13 janvier 1787 : J'avais été sur les premières listes, et mon nom ne se trouvait pas sur la dernière : mais on l'a rétabli avant que j'aie pu savoir le motif de l'exclusion.

[23] Cette version hostile se trouve dans les Mémoires secrets, qui publièrent, à la date du 21 février 1787, la note suivante sur La Fayette (t. XXXIV, p. 166) :

D'un caractère doux et timide, peu instruit, il n'y a pas grand'chose à en attendre. Soufflé par les Noailles, il sera conseillé d'être du parti de la Cour et de ne pas se compromettre. On apprend, d'ailleurs, que c'est lui qui a sollicité fortement M. de Calonne de le mettre sur la liste des notables, qui lui a dit désirer cette faveur autant que le bâton de maréchal de France. Ce ministre lui répondit qu'il était bien jeune, qu'il n'avait fait preuve d'aucunes connaissances en administration, qu'il n'avait aucune dignité qui le rendit susceptible d'être appelé à cette assemblée, mais que, cependant, étant très recommandable par son personnel, il ne voyait aucun inconvénient de le proposer au roi ; qu'il ne doutait pas que Sa Majesté ne l'agréât, mais qu'il le priait de faire attention que c'était un engagement qu'il contractait d'entrer dans toutes les vues du monarque pour le bien de ses sujets ; et M. de La Fayette de promettre zèle et soumission.

Le comte d'Espinchal reproduit la même version (Cf. Revue rétrospective de Paul Cottin, 1891, p. 294) :

Voulant être de tout et désirant, à quelque prix que ce flet, jouer un rôle, quel ne fut pas son désespoir de ne pas se trouver sur la liste des notables convoqués en 1787 ! Il courut aussitôt chez le contrôleur général Calonne, qui, à cette époque, était tout-puissant, lui peignit sa vive douleur, se regardant comme arrêté dans sa brillante carrière, même comme perdu, anéanti, s'il n'était pas un des notables. Le complaisant ministre se laissa toucher et promit d'en parler au roi, qui accorda la grâce que sollicitait La Fayette avec tant d'instance. Le nombre des notables étant rempli, Calonne fit supprimer le marquis de Noailles, qui avait déjà reçu sa lettre d'avis, et le marquis de La Fayette fut mis à sa place. Son premier soin dans l'assemblée des notables fut de dénoncer son bienfaiteur et de se montrer l'un des plus ardents persécuteurs de Calonne, qui finit par être culbuté.

[24] Cf. A. Guillois, La marquise de Condorcet, p. 68.

[25] Cette lettre, empruntée aux archives départementales de Seine-et-Oise, 3151, a été communiquée par M. Pierre de Nolhac à M. Bardoux, qui l'a publiée dans La jeunesse de La Fayette, p. 193.

[26] Cf. The writings of Thomas Jefferson.

[27] Les notables logés au château étaient : le comte d'Estaing, l'archevêque de Narbonne, le duc de Laval, le comte de Puységur, le maréchal de Mouchy, le comte de Périgord, l'archevêque de Reims, le maréchal de Beauvau, le comte de Chastellux, le duc de Nivernois, l'évêque de Blois, le marquis de La Fayette, le maréchal de Stainville, le duc du Châtelet, le duc de Luxembourg,  le conseiller d'Etat Lenoir, de Sauvigny, Boutin, le premier président d'Aligre, Le Peletier de Morfontaine, de Tolozan et le président de Saron. Les autres furent placés au Grand-Commua. à l'ancien gouvernement, à Trianon et dans des hôtels ou des maisons de la ville. (Cf. État des logements des notables qui composent l'assemblée indiquée au février 1787 : Paris, impr. royale, 1787, in-4° de 10 pages, Bibl. nat., Le 21 3.)

[28] La Fayette figurait sur la liste des notables avec cette dénomination : Messire Marie-Paul-Joseph-Roch-Yves-Gilbert du Motier, marquis de La Fayette, maréchal des camps et armées du roi, major général dans l'armée des Etats-Unis de l'Amérique septentrionale. (Cf. Archives nationales, C 1.)

[29] Voici, d'après la liste imprimée. les noms des trente et un membres qui composaient le second bureau ; l'archevêque de Toulouse (Loménie de Brienne) ; l'évêque de Langres (de la Luzerne) ; le duc d'Harcourt ; le maréchal de Stainville ; le prince de Robecq ; le duc de Laval ; le duc de Guines : le marquis de La Fayette ; Lambert, conseiller d'Etat ; de Villedeuil, maître des requêtes : de Nicolay, premier président de la chambre des comptes de Paris ; Le Berthon, premier président du Parlement de Bordeaux ; de Cœur de Roi, premier président du Parlement de Nancy ; de Castillon, procureur général du Parlement d'Aix ; l'abbé de Fabry, député du clergé des Etats d'Artois ; le comte de Chastellux, député de la noblesse des Etats de Bourgogne ; Le Peletier de Morfontaine, prévôt des marchands de Paris ; Angran d'Alleray, lieutenant civil de Paris ; le chevalier Deydé, maire de Montpellier ; de Beauvoir, maire de Bourges ; de maire de Limoges.

[30] Cf. le plan de la table aux Archives nationales, C 2.

[31] Le second bureau tint cinquante et une séances, du 24 février au 24 mai 1787. Les procès-verbaux sont conservés aux Archives nationales, C 2.

[32] On lit dans les Mémoires secrets, à la date du 19 mars 1787, p. 272 : On apprend avec peine que messieurs le comte d'Estaing, le marquis de Bouillé et le marquis de La Fayette, personnages si utiles à la patrie durant la dernière guerre, se sont très mal montrés dans l'assemblée des notables ; qu'accoutumés tour à tour et à l'obéissance passive du militaire et au génie de despotisme que donne le commandement des troupes, non seulement ils n'ont ouvert aucun avis vigoureux, mais ont montré la soumission la plus aveugle et la plus servile dans tous les cils où il s'est élevé des contestations et déployé quelque énergie de la part des autres notables.

[33] On lit dans les Mémoires secrets, à la date du 14 mars 1787, p. 259 : Le bruit court que M. le comte de Simiane, le mari de la belle comtesse de Simiane si renommée, attachée à Madame comme dame pour l'accompagner, s'est tué ces jours derniers dans un accès de jalousie contre le marquis de La Fayette.

[34] Cf. Archives nationales, C 2. — La Fayette donne à cette séance la date du 24 mars, mais le procès-verbal est du 28.

[35] Un notable s'écria : Vos exploits en Amérique vous avaient déjà placé parmi les héros ; mais c'est surtout maintenant que vous méritez ce glorieux titre. Que ne m'est-il donné d'avoir ici un artiste qui sculpte votre image, dans ce moment où votre zèle patriotique vous met au rang des plus fidèles sujets de Sa Majesté.

[36] Cette séance du 2 avril a été l'objet d'une brochure intitulée : Discours de M. le marquis de La Fayette prononcé au bureau des notables, présidé par Monseigneur le comte d'Artois, le 24 avril 1777, in-8° de 8 pages. (Bibl. nat., Le 21 13.) Or, la date du 24 avril est erronée. En effet, dans une lettre à Washington, du 5 mai 1787, La Fayette dit : A l'époque où nous allions nous séparer pour les fêtes de Pâques, j'ai demandé qu'il fût fait une enquête sur les marchés par lesquels, sous prétexte d'échanges, des millions avaient été prodigués aux princes et aux favoris. L'évêque de Langres a soutenu ma motion. On voulut nous intimider, et le frère du roi dit, au nom de Sa Majesté, que de telles propositions devaient être signées ; sur quoi, je signai le papier que je joins ici. Cette lettre mentionne deux séances antérieures à la fête de Pâques, qui tombait, cette année là, le 8 avril. Dans le texte imprimé du mémoire, on lit, à côté des mots : samedi dernier, une date en parenthèse : 13 mars. C'est encore là une erreur, probablement typographique, car le 13 mars était un mardi. Ces discussions ne se trouvant pas relatées dans les procès-verbaux manuscrits des séances du second bureau, conservés aux Archives nationales, les éléments précis manquent pour reconstituer les dates. Toutefois, étant donné que ces séances avaient eu lieu, d'une part, après la séance de l'assemblée des notables du jeudi 29 mars et, d'autre part, avant le 3 avril, dernière séance du second bureau avant la fête de Pâques, j'ai cru pouvoir attribuer au samedi 31 mars la première séance, qui est signalée comme ayant eu lieu samedi dernier, et au lundi, 2 avril, la seconde.

[37] La Fayette écrivait de Paris, le 5 mai 1737, à Washington : Ma santé a souffert durant l'assemblée, de manière à affecter un peu ma poitrine ; mais un bon régime, un peu de patience m'ont mis en chemin de guérison sans avoir été forcé d'interrompre le soin des affaires publiques.

[38] La Fayette écrivit, le 5 mai 1787, à Washington, au sujet de son attaque contre l'agiotage et de la retraite de Calonne : M. de Calonne alla chercher le roi et demanda que je fusse enfermé à la Bastille. On s'attendait à une bataille oratoire entre nous pour la prochaine séance, et je rassemblais les preuves de ce que j'avais avancé, lorsque Calonne a quitté le ministère, ce qui a terminé notre querelle.

[39] Cf. Archives nationales, C 2.

[40] Cf. Archives nationales, C 2.

[41] Cf. dans les Mémoires de La Fayette le texte des trois opinions sur le déficit et les détails de cette anecdote.

[42] Benjamin Franklin répondit, le 17 avril 1787, à la lettre que La Fayette lui avait écrite en février 1786. Il le félicitait de son retour d'Allemagne. (Cf. Correspondance, t. II, p. 430.)

[43] Cf. Archives nationales, C 2. — Voici le texte du procès-verbal : M. le marquis de La Fayette a proposé de supplier Sa Majesté d'accorder l'état civil aux protestants et d'ordonner la réforme des lois criminelles. Il a demandé la permission de lire un projet d'arrêté à ce sujet. Cette lecture faite, Monseigneur a observé que cet objet étant absolument étranger à ceux qui avaient été présentés au bureau, ce serait peut-être outrepasser les pouvoirs des notables que de s'en occuper, que cependant il se chargeait volontiers d'en parler au roi, si c'était le vœu du bureau. En conséquence, il a demandé les avis. Ils ont été unanimes pour adopter la motion de M. le marquis de La Fayette et pour que la réforme à faire dans les ordonnances ne soit pas bornée à celle de l'ordonnance criminelle, mais embrasse aussi l'ordonnance civile, l'ordonnance du commerce et celle des eaux et forêts. Monseigneur a adopté cet avis et, pour rédiger l'arrêté du bureau, a indiqué la séance au jeudi 24, à six heures du soir.

[44] Cette anecdote a été rapportée par La Fayette dans ses Mémoires.