LE GÉNÉRAL LAFAYETTE

1757-1834

 

LE GÉNÉRAL LA FAYETTE.

 

 

II

 

Débarquement à South-Inlet le 13 juin 1777. — Réception à Georgetown par le major Huger. — Séjour à Charleston. — Enthousiasme de La Fayette pour l'Amérique et les Américains. — Départ pour Philadelphie le 25 juin, et arrivée dans cette ville le 27 juillet. — Acceptation de ses services comme major général par le Congrès. — Première entrevue avec Washington, à Philadelphie. — Attaché à la personne du général en chef. — Naissance d'une seconde fille. — Blessé à la bataille de Brandywine, le 11 septembre 1777. — Sa convalescence. — Correspondance avec sa femme. — Combat de Gloucester (25 novembre). — Reçoit le commandement d'une division. — Espère l'intervention de la France. — Est chargé d'une expédition contre le Canada. — Déclare ne vouloir servir que sous les ordres de Washington. — Est obligé d'abandonner l'expédition et exhale ses regrets. — Accès de vanité. — Est consolé par Washington. — Assiste à une assemblée d'Iroquois, et est surnommé Kayewia. — Reçoit les félicitations du Congrès. — Célèbre le traité de commerce et d'alliance conclu entre la France et les Etats-Unis. — Fait prêter serment aux officiers. — Conduit une expédition à Barren-Hill et fait une habile retraite (28 mai 1778). — Apprend la mort de sa fille Henriette. — Se distingue au combat de Montmouth (28 juin 1778). Rejoint la flotte du comte d'Estaing à Providence (4 août). — Proteste contre les reproches adressés à la flotte française. — Evacue Rhode-Island le 30 août 1778 et est félicité par le Congrès. — Envoie un cartel à lord Carlisle et en reçoit une réponse ironique. — Propose vainement une expédition au Canada. — Obtient du Congrès un congé, le 21 octobre 1778. — Part de Philadelphie pour Boston et tombe gravement malade à Fishkill. — Fait ses adieux à Washington et s'embarque à Boston sur l'Alliance le 11 janvier 1779.

 

La traversée de la Victoire fut longue. La Fayette empêcha le capitaine de relâcher aux Iles-sous-le-Vent, où il supposait avec raison qu'une lettre de cachet l'attendait. Le seul incident du voyage fut la rencontre d'un navire, qu'on prit pour un ennemi et qui se trouva être américain. Le marquis employa ses loisirs à apprendre l'anglais. En approchant des côtes on avait à craindre les croisières ennemies, mais la fortune favorisa la Victoire, qui aborda, après sept semaines de navigation, le vendredi 13 juin 1777, à deux heures de l'après-midi, à South-Inlet, petit port de la Caroline du Sud[1]. Aussitôt La Fayette entra dans un canot avec le baron de Kalb, le chevalier Du Buysson et d'autres officiers, et il remonta la rivière, sans rencontrer personne que des nègres pêchant des huîtres. Enfin, à dix heures du soir, les voyageurs aperçurent une lumière ; ils débarquèrent et leur présence fut dénoncée par les aboiements des chiens. On leur demanda qui ils étaient ; le baron de Kalb, qui savait l'anglais, répondit qu'ils étaient des officiers français venant combattre pour la cause américaine. Alors ils furent reçus avec la plus grande cordialité, dans la maison du major Huger, à Georgetown.

La Fayette avait enfin touché cette terre américaine, objet de ses vœux. Tout était nouveau pour lui et le charmait. Dès son arrivée il ajouta un mot à la longue lettre écrite à sa femme pendant la traversée et confia sa missive au capitaine d'un navire en partance. Les manières de ce monde-ci, disait-il, sont simples, honnêtes et dignes en tout du pays où tout retentit du beau nom de liberté. Et il terminait par ces mots : N'est-il pas vrai que vous m'aimerez toujours ? L'hospitalité du major Huger avait porté ses fruits. Après s'être reposé, La Fayette partit, le 14 juin au soir, pour Charleston, où le gouverneur Rutledge et les généraux Howe, Moultrie et Culden l'accueillirent avec distinction. Son enthousiasme ne fit que croître. Comme tout bon aventurier, notre héros avait foi en son étoile[2]. L'heureuse issue de son voyage le prédisposait à tout voir en beau, et son esprit, avide de nouveauté, se rassasiait naïvement. Il ne connaît encore qu'une ville, et, avec une présomption juvénile, il prétend juger la nature, les hommes et les choses.

La simplicité des manières, le désir d'obliger, l'amour de la patrie et de la liberté, une douce égalité règnent ici parmi tout le monde. L'homme le plus riche et le plus pauvre sont de niveau, et quoiqu'il y ait des fortunes immenses dans ce pays, je défie de trouver la moindre différence entre leurs manières respectives les uns pour les autres... La ville de Charleston est une des mieux bâties et des plus agréablement peuplées que j'aie jamais vues. Les femmes américaines sont fort jolies, fort simples et d'une propreté charmante... Il n'y a en Amérique ni pauvres, ni même ce qu'on appelle paysans[3].

Les mots : nous autres républicains, viennent tout naturellement sous sa plume. Quel mirage ont produit la ville et les habitants de Charleston dans la cervelle de ce gentilhomme de vingt ans ! Les cordiales réceptions le grisent ; à un dîner magnifique, offert par un particulier. il a risqué ce qu'il sait déjà d'anglais. C'est le comble du bonheur, semble-t-il, et cependant le héros s'attendrit et, par un de ces contrastes coutumiers à sa nature, il fait place au mari et au père. Le 19 juin 1777, il écrivit à sa femme :

Vous me manquez, mon cher cœur, mes amis me manquent et il n'y a pas de bonheur pour moi loin de vous et d'eux. Je vous demande si vous m'aimez toujours, mais je me le demande bien plus souvent à moi-même, et mon cœur me répond toujours que oui ; j'espère qu'il ne se trompe pas... Embrassez bien Henriette : puis-je dire, mon cœur, embrassez nos enfants Ces pauvres enfants ont un père qui court les champs, mais un bon et honnête homme dans le fond, et un bon père, qui aime bien sa famille, et un bon mari aussi, car il aime sa femme de tout son cœur[4].

Tout en exprimant ainsi les sentiments divers qui agitaient son âme, La Fayette se préoccupait d'atteindre au plus tôt Philadelphie, siège du Congrès. Il renvoya en Europe son vaisseau, qui périt sur la barre de Charleston ; puis il acheta des chevaux et des voitures et, le 25 juin 1777[5], il quitta Charleston en brillant équipage, avec six officiers, parmi lesquels le baron de Kalb, le vicomte de Mauroy et le chevalier Du Buysson. La petite troupe arriva à Petersburg le 17 juillet, après une route pénible et fertile en accidents. Plus de voitures : c'est ce que La Fayette annonce gaiement à sa femme : Vous savez que j'étais parti brillamment en carrosse ; vous saurez à présent que nous sommes tous à cheval, après avoir brisé les voitures, selon ma louable coutume. Le 23, il passa par Annapolis, oubliant sa fatigue dans le plaisir des réceptions et l'ardeur de l'enthousiasme, et il entra enfin, le 27 juillet[6], dans Philadelphie, harassé de cette course de trente-deux jours, mais heureux de toucher le but désiré.

A peine descendu de cheval, La Fayette courut présenter ses lettres d'introduction. Des membres du Congrès les prirent et lui dirent de revenir le lendemain. L'accueil était froid, et non sans raison. Tout ce que l'Europe comptait d'aventuriers s'était abattu sur la terre américaine, offrant avec insolence et au plus haut prix des services dont on n'avait que faire. Le Congrès était décidé à repousser cette invasion ; aussi ses membres, voyant augmenter encore cette nuée de corbeaux par l'arrivée de prétendus officiers français, ne songèrent qu'à éconduire les nouveaux venus. Quand le lendemain, 28 juillet, La Fayette vint chercher la réponse, on lui demanda s'il avait été autorisé à venir en Amérique par Silas Deane et par Franklin. Il s'aperçut alors qu'on n'avait même pas ouvert ses lettres et il écrivit aussitôt et fit remettre au Congrès le billet suivant : D'après mes sacrifices, j'ai le droit d'exiger deux grâces : l'une est de servir à mes dépens, l'autre est de commencer à servir comme volontaire. Le président du Congrès, touché de ce dévouement et de cette modestie, lut les lettres : 'd'introduction et, voyant qu'il avait affaire à un gentilhomme français aussi distingué par son nom que par sa fortune, il lui fit accorder, le 31 juillet, dans les termes les plus flatteurs, la commission de major général dans l'armée des États-Unis.

Sur ces entrefaites, l'armée américaine vint camper à cinq milles au nord de Philadelphie, sur une éminence entre Germantown et la rivière Schuylkill. Washington entra dans la ville et, le 1er août 1777, dans un dîner, il vit pour la première fois La Fayette. Il l'accueillit paternellement et se montra satisfait de l'attitude modeste et respectueuse du jeune gentilhomme. Deux jours après il l'emmena inspecter les fortifications sur la rivière Delaware[7]. La Fayette montra beaucoup de tact et d'esprit.

Nous devons être embarrassés, lui disait Washington, de nous montrer à un officier qui quitte les troupes françaises. — C'est pour apprendre et non pour enseigner que je suis ici, répondit le marquis.

C'est ainsi que commença entre Washington et La Fayette une affection réciproque, qui ne fut brisée que par la mort.

Pendant que La Fayette courait les grands chemins, il lui était né, le 1er juillet 1777, une seconde fille, qui reçut les prénoms d'Anastasie-Louise-Pauline[8]. La mère ne fut informée que le 1er août de l'arrivée de son mari en Amérique[9]. La Correspondance de Métra[10], le Courrier de l'Europe[11] et la Gazette d'Amsterdam[12] avaient donné à cet égard les indications les plus erronées. Le marquis était, disaient ces informateurs, arrivé à Boston le 3o mai, époque à laquelle il était encore loin des côtes américaines.

Le 13 août 1777, La Fayette remercia officiellement le président du Congrès, Hancock, de ses lettres de commission de major général, et demanda à servir près de Washington jusqu'au jour où on le jugerait propre à commander une division de l'armée[13]. Washington, de son côté, se préoccupait de savoir quel emploi le marquis remplirait auprès de lui, et il demanda, le 19 août, à Benjamin Harrison, les instructions du Congrès, tout en déclarant qu'il le trouvait bien jeune et bien inexpérimenté pour conduire une division. Le lendemain 20, La Fayette arriva au camp de Neshaminy et, le 21, il assista à un conseil de guerre, prenant ainsi possession de son rang de major général[14].

Des officiers qui avaient fait la traversée de la Victoire, La Fayette garda pour aides de camp Gimat et La Colombe. Les autres furent congédiés, le 8 septembre 1777, par le Congrès, qui désavoua les engagements pris par Silas Deane, rendit hommage au dévouement des gentilshommes français et prit à sa charge les frais de rapatriement[15]. Attaché à Washington, notre héros suivit les mouvements de l'armée qui se porta au-devant de Cornwallis. A vingt-six milles de Philadelphie, le général en chef américain livra aux Anglais, le 11 septembre 1777, la bataille de Brandywine[16]. Le combat tourna à l'avantage des Anglais ; La Fayette, qui voyait le feu pour la première fois, se conduisit avec bravoure et habileté et eut une jambe traversée par une balle, tandis qu'il ralliait les troupes[17]. Il put remonter à cheval, grâce à son aide de camp Gimat, et fut transporté à Philadelphie, d'où il écrivit, le 12 septembre, à sa femme, pour la tranquilliser sur sa blessure. Il fut ensuite porté à Bristol, puis à Bethléem chez les frères Moraves. Le 1er octobre, il expliqua à sa femme le peu de conséquence que présentaient pour l'avenir la perte de la bataille et l'occupation de Philadelphie par les Anglais. Puis après un mouvement de sensibilité[18], il exprima son affection et sa reconnaissance pour Washington.

Cet homme respectable, dont j'admirais les talents, les vertus, que je vénère à mesure que je le connais davantage, a bien voulu être mon ami intime. Son tendre intérêt pour moi a eu bientôt gagné mon cœur. Je suis établi chez lui, nous vivons comme deux frères bien unis, dans une intimité et une confiance réciproques. Cette amitié me rend le plus heureux possible dans ce pays-ci. Quand il m'a envoyé son premier chirurgien, il lui a dit de me soigner comme si j'étais son fils, parce qu'il m'aimait de même.

Après une inaction forcée de trois semaines[19], La Fayette rejoignit, à peine guéri, le quartier général de Whitemarsh, d'où il écrivit au comte de Vergennes, le 24 octobre 1777, que nuire à l'Angleterre était, à son avis, servir sa patrie[20]. Dans une lettre datée de la veille 23, il exposait son projet de faire une expédition contre quelques îles anglaises, et sollicitait l'appui du comte de Broglie. Je vais, écrivait-il, m'amuser à guerroyer tout cet hiver. Il n'y a pas moyen de quitter l'Amérique en si beau chemin et dans une crise intéressante[21].

Le 29 octobre, il confia une lettre pour sa femme au colonel de Valfort, qui rentrait en France pour raison de santé. Le 6 novembre il mandait à son cher cœur que sa blessure était presque entièrement guérie et qu'il ne boitait plus que légèrement.

N'allez pas vous aviser d'être à présent inquiète sur moi ; tout est fini pour les grands coups ; il y aurait tout au plus de petites affaires en miniature qui ne me regardent pas : ainsi je suis aussi en sûreté dans le camp qu'au milieu de Paris.

Une de ces petites affaires en miniature ne tarda pas à se présenter. La Fayette, qui était attaché au corps du général Greene, fut chargé, le 24 novembre 1777, de reconnaître les positions de l'ennemi. Il vint donc à Haddonfield, et le 25 au soir, avec 300 hommes, il fit une reconnaissance. Il rencontra, à deux milles et demi de Gloucester, un poste de 35o Hessois et le culbuta avec une furia toute française[22]. Le 26 il rendit compte à Washington de ce coup de main et se loua du courage de sa troupe. Je n'ai jamais vu, dit-il, d'hommes aussi joyeux, aussi animés, aussi désireux de joindre l'ennemi, quelles que fussent ses forces, que l'étaient nos soldats pendant ce petit combat. La Fayette ayant fait ses preuves, le Congrès exprima, le 1er décembre 1777, le désir de le voir à la tête d'une division et le marquis prit le commandement des Virginiens. Sa division était faible d'effectif et ses hommes étaient presque nus[23]. Il dut s'occuper de les habiller.

Bientôt il fallut prendre ses quartiers d'hiver ; l'armée américaine passa le Schuylkill et alla se retrancher dans la forte position de Valley-Forge, à vingt-deux milles de Philadelphie. Une lettre écrite par La Fayette à son beau-père le duc d'Ayen, le 16 décembre 1777, peint bien la situation où se trouvait le marquis. Après avoir narré les événements accomplis depuis le commencement de la campagne, et fait l'éloge de Washington[24], il parle de l'intervention française en ces termes :

L'Amérique attend avec impatience que nous nous déclarions pour elle, et un jour, j'espère, la France se décidera à humilier la fière Angleterre... Avec le secours de la France, nous gagnerons avec dépens la cause que je chéris, parce qu'elle est juste, parce qu'elle honore l'humanité, parce qu'elle intéresse ma patrie, et parce que mes amis américains et moi y sommes engagés fort avant... Plus je vois les Anglais de près, plus je m'aperçois qu'il faut leur parler haut.

Puis il explique ses fonctions de major général :

Le major général remplace le lieutenant général et le maréchal de camp dans leurs fonctions les plus intéressantes, et j'aurais de quoi employer bien du mérite et de l'expérience, si la Providence et mon extrait de baptême m'avaient donné lieu de me vanter de l'une et de l'autre. Je lis, j'étudie ; j'examine, j'écoute, je pense, et de tout cela je tache de former une idée où je fourre le plus de sens commun que je peux. Je ne parlerai pas beaucoup, de peur de dire des sottises ; je hasarderai encore moins, de peur d'en faire ; car je ne suis pas disposé à abuser de la confiance qu'on daigne me témoigner. Tel est le plan de conduite que j'ai suivi et suivrai jusqu'ici.

Une cabale s'était formée contre Washington, auquel on essayait d'opposer Gates. Le général irlandais Conway, qui était l'âme du complot, voulut entraîner avec lui La Fayette, mais celui-ci refusa nettement. De quelque manière et dans tel lieu qu'il vous plaira de m'envoyer, écrivait le marquis à Washington, le 30 décembre 1777, comptez sur mes efforts. Je suis lié à votre sort, je le suivrai et vous servirai de mon épée et de toutes mes facultés[25].

La Fayette résidait dans le camp de Valley-Forge, d'où il écrivit, le 6 janvier 1778, à sa femme, lorsque le Congrès décida, le 22 janvier 1778, une expédition au Canada. Le marquis fut choisi pour la diriger et on mit sous ses ordres les généraux Conway et Stark. Des instructions détaillées lui furent remises par le général Gates, chef du bureau de la guerre[26]. La Fayette accepta, mais, le 31 janvier 1778, il prévint le Congrès qu'il voulait rester quand môme sous les ordres de Washington et donna ainsi une nouvelle preuve de déférence à son illustre ami[27]. Il était alors à Yorktown ; le 3 février, il annonça à sa femme la marque de confiance qu'on venait de lui donner.

Il vous suffira de savoir que le Canada est opprimé par les Anglais ; tout cet immense pays est en possession des ennemis ; ils y ont une flotte, des troupes et des ports. Moi je vais m'y rendre avec le titre de général de l'armée du Nord, et à la tête de 3.000 hommes, pour voir si l'on peut faire quelque mal aux Anglais dans ces contrées... J'entreprends un terrible ouvrage, surtout ayant peu de moyens. Quant à ceux de mon propre mérite, ils sont bien nuls pour une telle place, et ce n'est pas à vingt ans qu'on est fait pour être à la tête d'une armée, chargé de tous les immenses détails qui roulent sur un général, et ayant sous mes ordres directs une grande étendue de pays.

Le même jour, 3 février 1778, La Fayette se mit en route. Le 9, il écrivit de Flemmingtown à Washington qu'il avançait très lentement sous la pluie ou sous la neige. Le lac Champlain est trop froid pour produire le moindre brin de laurier, et si je ne suis pas noyé ou ne meurs pas de faim, je serai aussi fier que si j'avais gagné deux batailles. Le 17 février, La Fayette arriva à Albany. Un cruel mécompte l'y attendait. Son armée se réduisait à douze cents hommes, et les vivres et les équipements étaient insuffisants. Comment, dans des conditions telles d'infériorité, entreprendre cette expédition en pays glacial ? C'est ce que La Fayette, consterné, manda, le 19 février, à Washington :

Votre Excellence peut juger combien je suis affligé de ce désappointement. Ma nomination à ce commandement est connue dans tout le continent ; elle le sera bientôt en Europe, car plusieurs membres du Congrès m'avaient demandé d'écrire à mes amis que j'étais à la tête d'une armée. Le public va s'attendre à de grandes choses, et comment répondrai-je à cette attente ? Je crains que cela ne touche à ma réputation, et je le crains à ce point que je voudrais redevenir simple volontaire, à moins que le Congrès ne m'offre les moyens de réparer cette triste affaire par quelque glorieuse opération... Pour vous, mon cher général, je sais bien que vous ferez tout pour me procurer la seule chose que j'ambitionne : la gloire.

Le 23 février, La Fayette insista de nouveau sur son affligeante et ridicule situation :

Je suis envoyé avec grand bruit à la tête d'une armée pour faire de grandes choses. Le continent et bientôt la France, l'Europe, et, qui pis est, l'arillée anglaise, sont dans l'attente. Combien ils seront trompés ! combien on se rira de nous !... J'avoue, mon cher général, que je ne puis maîtriser la vivacité de mes sentiments, dès que ma réputation et ma gloire sont touchées.

Cet accès de vanité, qui est une des caractéristiques de La Fayette, dut faire sourire le sage et désintéressé Washington[28]. Toutefois celui-ci consola paternellement le marquis par sa lettre du 10 mars :

Quelle que soit la peine que votre ardeur pour la gloire vous fait ressentir de ce désappointement, soyez assuré que votre réputation est aussi belle qu'elle fut jamais et qu'aucune nouvelle entreprise n'est nécessaire pour effacer cette tache imaginaire.

La Fayette mit à profit ses loisirs forcés ; il distribua un peu d'argent à ses hommes, qui réclamaient leur paye arriérée, approvisionna les forts et tâcha de se concilier les Hurons et les Iroquois, alliés des Anglais, mais qui massacraient indistinctement amis et ennemis. C'est ainsi qu'une jeune Américaine fut tuée par les sauvages qu'un officier anglais, son amant, avait chargés de l'escorter. Une assemblée générale eut lieu à Johnson's Town, sur la rivière Mohawk, et La Fayette s'y rendit en traineau. Cinq cents hommes, femmes et enfants, lit-on dans ses Mémoires, bariolés de couleurs et de plumes, avec leurs oreilles découpées, leurs nez chargés de joyaux, et leurs corps presque nus marqués de figures diverses, assistaient à ces conseils. Les vieillards, en fumant, y parlaient fort bien sur la politique. La Fayette sut séduire ces Iroquois, qui lui donnèrent le nom d'un de leurs guerriers, Kayewla, et conclurent avec lui un traité d'alliance. Les Onéïdas et les Tuscaroras, nos seuls vrais amis, demandèrent un fort, qui resta sous la garde de l'officier Gouvion.

Cependant le Congrès déclarait, le 2 mars 1778, qu'il avait une haute opinion de la prudence, de l'activité et du zèle de La Fayette, et qu'il était pleinement convaincu que ni lui ni aucun des officiers qui l'accompagnaient n'avaient manqué en rien à ce qui pouvait donner à l'expédition le plus d'effet possible. La Fayette trouva, en rentrant à Albany, ce baume consolateur, et s'empressa de remercier Washington, le 25 mars. D'Albany, il regagna le camp de Valley-Forge, en Pennsylvanie[29].

La nouvelle du traité de commerce et d'alliance défensive conclu. le 6 février 1778, entre la France et les États-Unis, fut célébrée avec le plus vif enthousiasme, le 2 mai, par l'armée américaine, dont La Fayette, ceint d'une écharpe blanche, traversa les rangs, accompagné de tous les volontaires français. Le même jour, le marquis exprima son contentement de ce traité à Francy, agent de Beaumarchais ; le 14 mai, il écrivit au même personnage : Si mes compatriotes font la guerre dans quelque coin du monde, je volerai sous leurs drapeaux, et aussitôt que la flotte et un paquebot français seront arrivés, si je ne reçois pas d'ordre précis du roi, je partirai sur-le-champ pour les îles[30].

Un serment contenant la reconnaissance de la souveraineté des États-Unis et la renonciation à toute obéissance envers le roi d'Angleterre George III fut alors exigé par le Congrès de tous les officiers et des fonctionnaires civils. La Fayette le fit prêter aux officiers de la brigade du général Woodford, mais plusieurs de ceux-ci présentèrent des observations. Le 15 mai, le marquis en prévint 'Washington, qui répondit, le 17, que, le serment devant être un acte libre du cœur fondé sur une pleine conviction de l'engagement qu'il contient, il ne veut exercer aucune contrainte, mais que la formule du serment ne renferme aucune indignité et est parfaitement en harmonie avec la profession, les actions et les engagements implicites de tout officier.

Le 8 mai, les généraux américains Gates, Greene, Stirling, de Kalb, avaient tenu à Valley-Forge, avec La Fayette, un conseil de guerre, où on décida qu'il n'y avait rien à entreprendre pour le moment[31]. Le 18, La Fayette reçut de Washington l'ordre de marcher immédiatement vers les lignes de l'ennemi pour protéger le camp et le pays entre la Delaware et le Schuylkill, couper la communication avec Philadelphie, gêner les incursions des partis ennemis, connaître leurs mouvements et leurs projets[32]. Il partit avec deux mille quatre cents hommes d'élite et fit une pointe jusqu'à Barren-Hill. Les Anglais, commandés par les généraux Hove, Clinton et Grant, parvinrent, par une marche nocturne, à le tourner, de sorte que, le 28 mai 1778, au matin, il se vit sept mille hommes derrière lui et le reste devant[33]. La Fayette se tira avec habileté de ce mauvais pas ; il échappa, par une retraite de quarante milles, aux ennemis, qui se flattaient déjà de sa capture. et ne perdit que quelques hommes[34].

Rentré à Valley-Forge, il y apprit la mort de sa fille Henriette et, le t6 juin, exhala sa douleur dans une lettre à sa femme :

Si la malheureuse nouvelle que j'ai apprise m'était arrivée tout de suite, je serais parti sur-le-champ pour vous joindre ; mais celle du traité du 1er mai m'a arrêté. La campagne qui s'ouvrait ne me permettait pas de partir. Au reste, mon cœur a toujours été bien convaincu qu'en servant la cause de l'humanité et celle de l'Amérique, je combattais pour les intérêts de la France.

Le 25 juin. Washington confia une nouvelle expédition à La Fayette. Il lui enjoignit de faire tous ses efforts pour atteindre le flanc gauche et l'arrière-garde de l'ennemi et de lui causer le plus de mal possible, sans perdre ses communications avec l'armée[35]. Le 28, le marquis prit une part active à l'heureux combat de Montmouth, où Washington battit Clinton. Il marcha à l'avant-garde comme un volontaire et se fit remarquer par son audace[36].

Cependant une flotte de 12 vaisseaux français, sous les ordres du comte d'Estaing, arriva, le 8 juillet 1778, à l'entrée de la Delaware. La nouvelle en fut portée au camp, et La Fayette écrivit, le 14 juillet, à l'amiral pour lui exprimer sa joie :

C'est avec un plaisir bien vif, monsieur le comte, que j'apprends l'arrivée d'une flotte française sur les côtes d'Amérique ; je n'en ai pas moins à savoir que vous la commandez, et ce dernier m'en promet un bien plus grand encore, celui d'apprendre la nouvelle d'une victoire plus intéressante, je crois, dans cette conjoncture que jamais victoire n'a pu l'être. J'aime à penser que vous porterez les premiers coups sur une insolente nation, parce que je sais que vous appréciez le plaisir de l'humilier et que vous la connaissez assez pour la haïr[37].

Les 17 et 18. il lui adressa de nouvelles lettres et lui dépêcha son aide de camp Nevil. Le 22 juillet, Washington le chargea de conduire à Providence, dans l'État de Rhode-Island, un corps composé de deux brigades, et de se mettre ensuite sous les ordres du major général Sullivan, commandant de l'expédition contre Newport. La Fayette fit diligence. Le 24, il arriva à Stampfort, lieu situé à seize milles de Philadelphie, et il écrivit au comte d'Estaing : Je n'ambitionne encore que de vous paraître digne d'être un soldat français et de servir en cette qualité sous vos ordres. Le 30 juillet, il passa à Norrech et dans la nuit du août il parvint à Providence. Il se rendit aussitôt à bord du vaisseau amiral et fut très bien accueilli par le comte d'Estaing. Le 6, il écrivit à Washington :

Le comte d'Estaing a été ravi de mon arrivée et de pouvoir s'ouvrir librement à moi. Il m'a exprimé la plus grande anxiété sur ses besoins de toute espèce : vivres, eau, etc. Il espère que la prise de Rhode-Island le mettra en état d'y pourvoir. L'amiral voudrait, aussitôt que possible, joindre des troupes françaises au corps que je commande. J'avoue que la pensée de coopérer avec elles me rend très heureux, et, si j'avais imaginé un songe agréable, je n'aurais pu en souhaiter un plus doux que l'union de mes compatriotes à mes frères d'Amérique sous mon commandement et sous les mêmes drapeaux.

La Fayette céda, sur la demande de Washington, une partie de son commandement au général Greene, qui, en sa qualité d'originaire de Rhode-Island, pouvait être d'une grande utilité dans l'expédition, et reçut, le 10 août, les félicitations de son illustre ami. La flotte française se rendit à Rhode-Island, et, le 11 août, passant sous le feu des batteries de terre, elle mit en fuite les vaisseaux anglais ; elle allait s'en emparer, quand un terrible coup de vent sépara les deux escadres et mit en péril les navires français. La tempête apaisée, le comte d'Estaing revint à Newport, conféra avec le général Greene et avec La Fayette et leur exposa la nécessité où il se trouvait de conduire sa flotte à Boston, en raison de la prochaine arrivée d'une flotte anglaise et des instructions du roi à ce sujet. Cette mesure souleva les récriminations des généraux américains. Sullivan adressa à ses soldats un ordre du jour concluant en termes injurieux : Le général espère que cet événement montrera l'Amérique capable de se procurer, par ses propres forces, le secours que ses alliés lui refusent. La Fayette se montra très irrité de cette conduite. Le 22 août, il écrivit au comte d'Estaing :

Croiriez-vous qu'on a osé m'appeler à un conseil où l'on proteste contre une mesure prise par l'escadre française J'ai dit à ces messieurs que ma patrie m'était plus chère que l'Amérique, que ce que la France faisait était toujours bien, que M. le comte d'Estaing était mon ami, et que je soutiendrais ces sentiments avec une épée qui n'aurait jamais été mieux employée. J'ai dit que, si l'on avait manqué de délicatesse en m'appelant, je n'en mettrais pas dans mes expressions ; tout le monde m'a fait des excuses et m'a dit qu'on était bien loin d'exiger mon avis.

Le 24 août, La Fayette renouvela ses plaintes à l'amiral et, le 25, exposa les faits à Washington, tandis qu'il obtenait de Sullivan un ordre du jour rectificatif. Washington répondit, le 1er septembre, qu'il désapprouvait les propos tenus contre le comte d'Estaing et la conduite de la flotte :

Laissez-moi cependant vous conjurer, mon cher marquis, de ne pas attacher trop d'importance à d'absurdes propos tenus peut-être sans réflexion et dans le premier transport d'une espérance trompée. Tous ceux qui raisonnent reconnaîtront les avantages que nous devons à la flotte française et au zèle de son commandant ; mais, dans un gouvernement libre et républicain, vous ne pouvez comprimer la voix de la multitude ; chacun parle comme il pense, ou, pour mieux dire, sans penser, et par conséquent juge les résultats sans remonter aux causes. Les critiques, qui ont été dirigées contre les officiers de la flotte française, seraient très probablement tombées avec plus de violence encore sur notre flotte, si nous en avions une en pareille situation. C'est la nature de l'homme que de s'irriter de tout ce qui déjoue une espérance flatteuse et un projet favori, et c'est une folie trop commune que de condamner sans examen.

Pendant que Washington ramenait par ces sages considérations son jeune ami à une plus exacte vision des événements, La Fayette, qui était allé à Boston conférer avec le comte d'Estaing, revint au quartier général pour prendre part à l'évacuation de Rhode-Island, prescrite, le 23 août, par le commandant en chef. Il eut le regret de ne coopérer qu'à la fin de l'opération, le 3o août, et il écrivit à ce sujet de Tyvertown, le 31, au comte d'Estaing :

La retraite a commencé à la nuit, et avant deux heures du matin l'arrière-garde et tous les postes rappelés étaient embarqués. Je m'attendais au moins à être interrompu dans les derniers moments, mais je n'ai pas eu le moindre dédommagement pour tout ce que j'ai perdu le jour précédent.

Le 1er septembre, le marquis partit pour Warren, près de Bristol. Il était chargé par Sullivan de garder la côte de l'Est. Il séjourna tantôt à Warren, tantôt à Bristol. C'est dans ce temps qu'il reçut la résolution prise, le 9 septembre. par le Congrès pour le féliciter de sa conduite à Rhode-Island, et qu'il répondit, le 23, en des termes ardents :

Du premier moment où j'ai entendu prononcer le nom de l'Amérique, je l'ai aimée ; dès l'instant où j'ai su qu'elle combattait pour la liberté, j'ai brûlé du désir de verser mon sang pour elle ; les jours où je pourrai la servir seront comptés par moi, dans tous les temps et dans tous les lieux, parmi les plus heureux de ma vie.

A ce moment La Fayette avait l'esprit monté au plus haut point contre les Anglais, dont les commissaires avaient taxé, dans une lettre publique, la nation française de perfidie. Le 13 septembre 1778, il écrivit de Bristol au comte d'Estaing :

J'ai été révolté de l'avant-dernier paragraphe de la lettre des commissaires au Congrès ; il va de l'honneur de la nation de ne pas le passer sous silence. Lord Carlisle est le président de ces messieurs ; c'est un homme de trente-cinq ans, bien constitué, bien leste, et dont la fortune, le rang et la naissance lui donnent une grande existence en Angleterre ; je vais lui écrire un billet doux et lui proposer une correction exemplaire, à la vue des armées américaines et anglaises. Je n'ai rien à faire ici de bien intéressant et, tout en tuant lord Carlisle, je peux faire à Whiteplains des arrangements plus importants. Je me flatte que le général Washington ne désapprouvera pas cette proposition, et je suis sûr qu'elle fera un bon effet en Amérique.

Le 24, il demanda à Washington l'autorisation d'envoyer un cartel à lord Carlisle, et, sans attendre la réponse, il somma, en termes hautains, le commissaire anglais de lui donner une réparation publique de l'offense faite à la France. Il s'attira de lord Carlisle une réponse ironique, concluant par ces mots : Je pense que toutes ces disputes nationales seront mieux décidées lorsque l'amiral Byron et le comte d'Estaing se rencontreront. Washington avait, d'ailleurs, prévu ce résultat, quand il écrivait à La Fayette, le 4 octobre :

Le généreux esprit de chevalerie, chassé du reste du inonde, a trouvé un refuge, mon cher ami, dans la sensibilité de votre nation seulement. Mais c'est en vain que vous tacherez de le conserver, si vous ne trouvez pas d'antagoniste, et, quoique cette susceptibilité pût être bien adaptée aux temps où elle existait, de nos jours il serait à craindre que votre adversaire, se couvrant des opinions modernes et de son caractère public, ne tournât un peu en ridicule une vertu de si ancienne date.

La Fayette n'avait plus qu'une pensée fixe : retourner en France.

Le 17 septembre, il écrivait de Bristol au comte d'Estaing :

Dans tous les cas, je vous prie de m'emmener avec vous, monsieur le comte ; mon cœur aime à s'attacher à votre fortune et j'espère que vous ne vous refuserez pas à l'attraction qui m'attire vers vous. D'ailleurs, dès qu'il n'y a plus de flotte ici, je me crois rappelé par mon devoir dans ma patrie.

Le 21 de Warren, il déclarait à l'amiral que, si on faisait une descente en Angleterre, il voulait y participer.

Si l'on y allait sans moi je me pendrais. J'aimerais mieux être soldat là que général partout ailleurs. et le bonnet de grenadier formerait complètement mon ambition, pourvu que j'eusse le plaisir de voir un beau feu à Londres.

Son enthousiasme pour les Américains avait baissé et sa correspondance en témoignait. Le bruit s'en répandit en France, et la Correspondance secrète le recueillit[38]. D'ailleurs, Washington conseillait lui-même à son ami de ne pas se laisser détourner de son projet de faire une visite à sa Cour, à sa femme. à ses amis, par l'espoir chimérique d'une expédition au Canada[39]. Cette expédition était en effet le rêve de La Fayette, qui en entretenait le Congrès et le comte d'Estaing, auquel il avait présenté un projet[40]. En voyant que ni le Congrès, ni Washington ne considéraient son idée comme réalisable, le marquis sollicita, le 13 octobre, du Congrès, la permission de rentrer dans son pays pour prendre part à la guerre contre l'Angleterre. Le Congrès lui en donna, le 21, l'autorisation dans les termes les plus flatteurs, et chargea son ministre plénipotentiaire à Versailles d'offrir, au nom de la nation américaine, au marquis, une épée de prix ornée d'emblèmes convenables[41]. Le lendemain 22, le président Laurens écrivit au roi Louis XVI une lettre relatant les services du major général et recommandant ce noble jeune homme à son attention. Il transmit la délibération du Congrès, le 24, à La Fayette, qui répondit, de Philadelphie, le 26 octobre, pour remercier du noble présent qui lui était fait. Mon vœu le plus ardent, ajoutait-il, est d'employer bientôt cette épée pour leur service contre l'ennemi commun de ma patrie et de ses chers et fidèles alliés.

Au mois de novembre 1778, La Fayette partit à cheval de Philadelphie pour Boston. Depuis son arrivée en Amérique, il avait déployé une si fébrile activité qu'il s'était échauffé le sang. Les derniers événements et de nombreuses veillées et libations complétèrent ce surmenage. A Fishkill, situé à huit milles du quartier général, il fut pris d'une inflammation d'intestins si grave que le malade se crut perdu et que les médecins pensèrent de même. Le bruit se répandit que le jeune héros, the soldier's friend, l'ami du soldat, était mourant, et de toutes parts s'élevèrent des plaintes et des regrets. Washington allait prendre chaque jour des nouvelles de son ami et montrait un visage attristé. Heureusement la nature vint à l'aide du patient et des médecins : une hémorragie abondante, qui parut devoir emporter le malade, le sauva. La convalescence dura trois semaines, au bout desquelles La Fayette eut la permission de voir le général et de s'occuper de ses affaires. Il fit de tendres adieux à Washington et, quoique faible encore, reprit sa route. Il arriva, le vendredi 18 décembre 1778, à Boston[42], où il acheva de se réconforter par du vin de Madère. Le 5 janvier 1779, il écrivit à Washington[43], et le lundi 11 il s'embarqua[44] à bord de la frégate l'Alliance, mise à sa disposition par le gouvernement américain[45]. Au moment de lever l'ancre, il adressa un dernier adieu à son cher et à jamais bien-aimé ami Washington :

Adieu, mon cher général, j'espère que votre ami français vous sera toujours cher. J'espère que je vous reverrai bientôt, que je vous pourrai dire moi-même avec quelle émotion je quitte à présent la côte que vous habitez, et avec quelle affection, quelle vénération je serai toujours votre respectueux et sincère ami.

 

 

 



[1] Et non le 15, comme je l'ai dit. Les dates concernant l'arrivée et le séjour de La Fayette en Amérique ont été rectifiées d'après l'ouvrage de M. Charlemagne Tower.

[2] La Fayette écrivait à sa femme, le 19 juin 1777, qu'il craignait que les Anglais n'interceptassent sa lettre. Cependant, je compte assez sur mon étoile pour espérer qu'elle vous parviendra. Cette étoile vient de me servir de manière à étonner tout ce qui est ici ; comptez-y un peu, mon cœur, et soyez sûre qu'elle doit vous tranquilliser entièrement. — La perte de son vaisseau la Victoire, qui sombra en essayant de franchir la barre de Charleston, dut confirmer encore la foi de La Fayette en son étoile.

[3] Lettre de La Fayette à sa femme, du 19 juin 1777.

[4] Le 19 juin, pour assurer l'arrivée de ses nouvelles en France, La Fayette écrivit à ses amis de Coigny, de Poix, de Noailles, de Ségur, et à sa belle-mère, la duchesse d'Ayen.

[5] Et non le 21. — Cf. le récit du chevalier Du Buysson, publié par M. H. Doniol, t. III, p. 215, d'après les Archives des affaires étrangères.

[6] Et non le 30. — Cf. Tower, I, 179.

[7] Cf. Tower, I, 216.

[8] C'est la future comtesse Charles de la Tour-Maubourg.

[9] On lit à ce sujet dans la Vie de la duchesse d'Ayen, p. 59 : Les premières nouvelles de M. de La Fayette arrivèrent le premier d'août, un mois après mes couches. La consolation qu'elles me donnèrent fut vivement partagée.

[10] 26 mai 1777, p. 382.

[11] T. II, n° du 18 juillet 1777, p. 106.

[12] 1er août 1777, nouvelles de Paris du 25 juillet. Ce n'est que depuis peu que la famille du marquis de La Fayette est informée qu'il est arrivé à Boston le 10 mai dernier, qu'il a levé un régiment à ses propres frais et qu'il est traité, ainsi que les autres Argonautes, ses compagnons, de la façon la plus distinguée.

[13] Cf. le texte de cette lettre aux Pièces justificatives, n° X.

[14] Cf. Tower, I, 218 à 220.

[15] Ces officiers quittèrent Philadelphie, le 15 septembre 1777. Seul le baron de Kalb reçut, au moment de s'embarquer, la commission de major général que lui avait promis Silas Deane, et resta en Amérique. (Cf. Tower. I, 187 et 188.)

[16] Cf. le récit et le plan de la bataille de Brandywine dans Tower, I, 248.

[17] Washington écrivit, de Chester, le 11 septembre 1776, au Congrès pour annoncer le mauvais résultat de la bataille de Brandywine et il mentionna la blessure de La Fayette. Cette lettre fut publiée par la Gazette d'Amsterdam du 11 novembre 1777.

[18] On lit dans cette lettre du 1er octobre 1777 : Pensez, mon cher cœur, que je n'ai encore reçu de vos nouvelles qu'une fois par le comte Pulaski. J'ai un guignon affreux et j'en suis cruellement malheureux. Jugez quelle horreur d'être loin de tout ce que j'aime dans une incertitude si désespérante. Il n'y a pas moyen de la supporter, et encore, je le sens, je ne mérite pas d'être plaint : pourquoi ai-je été enragé à venir ici ? J'en suis bien puni. Je suis trop sensible, mon cœur, pour faire de ces tours de force.

[19] Pendant ce temps il écrivit de Bethléem, le 14 octobre 1777, au général Gates pour le féliciter de la prise du fort de Montgomery. (Cf. Tower, I, 259.)

[20] Le même jour, 24 octobre 1777, la Gazette d'Amsterdam publiait sous la rubrique de Lorient, 12 octobre, la nouvelle suivante, dont la fantaisie montre combien les journaux étaient alors mal informés : Il vient d'arriver ici un navire américain qui a apporté la nouvelle que le marquis de La Fayette, à la tète d'un corps de 2.500 hommes, dont le Congrès lui a confié le commandement, avait attaqué à la fin du mois d'août dernier un corps de troupes anglaises, composé de 2.000 hommes, dont il avait fait 600 prisonniers et mis le reste en déroute, après un combat opiniâtre et très sanglant.

[21] Orig. aut., Archives nationales, Musée.

[22] Cf. le récit et le plan du combat de Gloucester dans Tower, I, 248.

[23] Dans sa lettre du 16 décembre 1777 au duc d'Ayen, La Fayette dit à ce propos : Depuis mon retour du Jersey, il (Washington) m'a dit de choisir de plusieurs brigades la division qui me conviendrait le mieux. J'en ai pris une toute composée de Virginiens. Elle est faible à présent, même en proportion de la faiblesse de l'armée : elle est presque nue, mais on me fait espérer et du drap dont je ferai des habits, et des recrues dont il faudrait faire des soldats à peu près dans le même temps ; mais, par malheur, l'un est plus difficile que l'autre, même pour des gens plus habiles que moi.

[24] Notre général, écrivait La Fayette, est un homme vraiment fait pour cette révolution, qui ne pouvait s'accomplir sans lui. Je le vois de plus près qu'aucun homme au monde, et je le vois digne de l'adoration de son pays... J'admire tous les jours davantage la beauté de son caractère et de son âme. Quelques étrangers, piqués de ne pas être placés, quoique cela ne dépende en aucune façon de lui, quelques-uns dont il n'a pas voulu servir les projets ambitieux, quelques jaloux cabaleurs voudraient ternir sa réputation ; mais son nom sera révéré dans tous les siècles par tous les amateurs de la liberté et de l'humanité...

[25] Washington répondit, le 21 décembre, à La Fayette dans les termes les plus affectueux. J'ai la conviction que ce qui arriva est pour le mieux, que nous triompherons de tous nos revers, et que le dénouement sera heureux.

[26] Cf. Tower, I, 272.

[27] Cf. Tower, I, 276.

[28] La Fayette ne cessait de chanter les louanges de Washington. Il écrivit, le 12 mars 1778, au baron de Steuben : Ce grand homme ne peut avoir d'autres ennemis que ceux de son pays... Je crois le connaitre autant que qui ce soit ; son honnêteté, sa franchise, sa haute raison, sa vertu, dans toute l'acception la plus étendue du mot, sont au-dessus de toute louange.

[29] Cf. lettres de La Fayette à sa femme, de Valley-Forge, 14 avril, et de Germantown. 28 avril.

[30] Cf. E. Lintilhac, Beaumarchais et ses œuvres, 1887, in-8°.

[31] Cf. Tower, I, 124.

[32] Cf. Tower, I, 326.

[33] Ce sont les propres expressions de La Fayette, dans la lettre écrite à sa femme le 16 juin 1778.

[34] Cf. dans Tower, I, 328, le plan de la retraite de Barren-Hill.

[35] Cf. Tower, I, 352. — La Fayette écrivit à Washington de Cranberry, le 25 juin, et d'Icetown, le 26.

[36] Cf. dans Tower, I, 368, le plan du combat de Montmouth.

[37] La correspondance de La Fayette avec le comte d'Estaing est conservée aux Archives de la marine et elle a été publiée par M. H. Doniol, en 1892, dans la Revue d'histoire diplomatique, p. 395 à 448. Nous y avons fait de nombreux emprunts. — La lettre du 14 juillet est signée Gilbert du Motier, mis de La Fayette.

[38] On lit dans la Correspondance secrète à la date du 1er janvier 1779, t. VII, p. 195 : Le marquis de La Fayette a écrit à un ami : Je commence à m'apercevoir que, séduit par un faux enthousiasme, j'ai fait une faute de tout quitter pour courir en Amérique : mais c'en serait une plus grande d'en revenir. Le calice est tiré ; il faut le boire jusqu'à la lie, mais la lie se fait déjà sentir.

[39] Lettre de Washington à La Fayette, en date du 25 septembre 1778.

[40] Cf. Tower, II, 13.

[41] Le 20 octobre, La Fayette écrivit de Philadelphie au comte d'Estaing qu'il avait obtenu son congé, et qu'il porterait des instructions à Franklin.

[42] On lit dans le Courrier de l'Europe (t. V, n° XIII, 12 février 1779. p. 101), cet extrait de la Gazette de Trenton, du 31 décembre 1778, sous la rubrique de Boston, 19 décembre : Vendredi dernier (18 décembre) l'honorable général marquis de La Fayette, qui s'est si noblement distingué dans la cause de notre pays, est arrivé dans cette ville, venant du quartier général.

[43] Washington écrivit, le 23 décembre 1778, à Benjamin Franklin, pour lui recommander tout spécialement La Fayette : Les généreux motifs qui l'ont décidé à traverser l'Atlantique, le tribut qu'il a payé à la bravoure, à la bataille de Brandywine, ses succès en Jersey, avant que ses blessures ne fussent guéries, dans une affaire où il menait de la milice contre des grenadiers anglais, la brillante retraite par laquelle il a évité une manœuvre combinée de toutes les forces britanniques dans la dernière campagne, ses services dans l'expédition contre Rhode-Island, sont de telles preuves de zèle, de son ardeur guerrière et de ses talents, qu'elles l'ont rendu cher à l'Amérique et doivent grandement le recommander à son prince.

[44] La Fayette s'embarqua avec MM. de Raymondis, chef de pavillon, de Brosses et Duplessis, officiers d'artillerie. (Cf. le Courrier de l'Europe, t. V, n° XVI, 23 février 1779, p. 122.)

[45] L'Alliance était une belle frégate de 16 canons : elle avait pour commandant un marin français, natif de Saint-Malo, au service des Etats-Unis, et elle comptait cent trente-cinq hommes d'équipage. (Cf. le Courrier de l'Europe, t. V, n° XVIII, 2 mars 1779, p. 138.)