LE GÉNÉRAL LA FAYETTE

1757-1834

 

LE GÉNÉRAL LA FAYETTE.

 

 

I

 

Naissance de La Fayette (6 septembre 1757). — Sa famille. — Mort de son père. — Pension accordée par le roi. — Élevé en Auvergne. — Amené à Paris et placé au collège du Plessis. — Mort de sa mère. — Hérite de son grand-père maternel. — Entre dans les mousquetaires comme sous-lieutenant (9 avril 1771). — Projets d'union. — Mariage avec une fille du duc d'Ayen (11 avril 1774). — Période d'instruction militaire à Metz. — Se fait inoculer. — Va à la Cour. — Retourne à Metz. — Projet de départ pour l'Amérique. — Naissance d'une première fille. — Se fait réformer (11 juin 1776). — Se prépare secrètement et s'engage à partir avec promesse du grade de major général. — Voyage à Londres. — Retour à Paris. — Voyage à Bordeaux. — Le roi lui défend de partir. — S'embarque sur le vaisseau la Victoire, le 20 avril 1777. — Ecrit de son bord à sa femme. — Emotion causée par son départ.

 

Marie-Joseph-Paul-Yves-Roch-Gilbert du Motier[1], marquis de La Fayette, naquit au château de Chavaniac, entre Brioude et le Puy[2], le 6 septembre 1757[3], du marquis Gilbert de La Fayette, colonel aux grenadiers de France[4], et de Marie-Louise-Julie de La Rivière. Il fut baptisé le lendemain par le curé de Saint-Roch-de-Chavaniac et il eut pour parrain son grand-père maternel[5] et pour marraine Marie-Catherine de Chavaniac, sa grand-mère paternelle[6]. Il était le dernier rejeton d'une branche cadette d'une illustre famille d'Auvergne[7], qui compta au XVe siècle un maréchal de France, et au XVIIIe la belle Louise de La Fayette, qu'aima Louis XIII[8]. Il n'avait pas encore deux ans quand son père fut enlevé par un boulet de canon à la bataille de Minden, le 1er août 1759[9]. L'orphelin eut pour tuteur Nicolas de Bouillé, évêque d'Autun, son oncle à la mode de Bretagne et son plus proche parent du côté paternel. Comme sa fortune était assez médiocre, le roi lui accorda, le 6 octobre 1739, sur la demande de sa grand'mère paternelle, une pension de 780 livres[10]. Gilbert fut élevé au château de Chavaniac près de sa grand'mère et de ses tantes paternelles, Marguerite-Madeleine du Motier et Louise-Charlotte, veuve de Guérin de Chavaniac, baron de Montéoloux. Il fut confié aux soins de l'abbé Fayon. Sa mère, qui, dès 1762, s'était fait présenter à la Cour pour conserver des relations à son fils, habitait à Paris le palais du Luxembourg, avec son grand-père maternel et son père, le comte et le marquis de La Rivière. Elle allait passer, chaque année, plusieurs mois au château de Chavaniac. L'enfant rendait souvent visite à ses grand'tantes paternelles, Marie et Gabrielle du Motier de Champetières, religieuses dans l'abbaye des Chazes.

En 1768, sa mère l'emmena à Paris. Gilbert avait onze ans ; il fut aussitôt placé au collège du Plessis, rue Saint-Jacques, et y fit d'assez bonnes études latines. Il perdit sa mère le 3 avril 1770[11], et quelques jours plus tard son grand-père maternel. Il hérita de la fortune de ce dernier et se trouva, à l'âge de treize ans, riche de 120.000 livres de rente. Son éducation militaire fut confiée à un ancien officier, nommé Margelay. Le 9 avril 1771, La Fayette entra dans la 2e compagnie des mousquetaires du roi, dont son bisaïeul maternel avait été capitaine-lieutenant[12], puis, sur la demande du duc d'Ayen, le 7 avril 1773, il passa au régiment de Noailles, avec le rang de sous-lieutenant. Il correspondait, dès cette époque, avec une cousine, plus âgée que lui d'un an, et qui habitait Chavaniac[13].

Jean- Paul-François de Noailles, duc d'Ayen[14], maréchal de camp, fils aîné du maréchal de Noailles, avait projeté de marier le jeune marquis à la seconde des cinq filles issues de son mariage avec Anne-Louise-Henriette d'Aguesseau[15], petite-fille de l'illustre chancelier de France, tandis qu'il destinait la première à son neveu le vicomte de Noailles[16]. Mais le jeune âge des futurs époux provoqua de la part de la duchesse d'Ayen une opposition telle aux projets de son mari, qu'une brouille s'ensuivit. Elle cessa, le 21 septembre 1772, quand la duchesse adhéra à ces deux unions, sous la condition qu'on n'en parlerait pas à la cadette avant dix-huit mois. Toutefois, on ménagea entre le vicomte de Noailles, le marquis de La Fayette et les jeunes filles. des rencontres, soit à l'hôtel de Noailles. soit à la promenade[17]. Lorsque l'union de la sœur ainée Louise avec son cousin eût été célébrée (19 septembre 1773), on parla de La Fayette à Adrienne[18], qui n'eut pas de peine à donner son assentiment[19]. Le marquis passa quelque temps à l'Académie militaire de Versailles. Il revint à Paris. et le mariage eut lieu dans la chapelle de l'hôtel de Noailles, le lundi 11 avril 1774, par le vicaire général de l'archevêché de Paris, l'abbé Paul de Murat, cousin paternel de La Fayette, L'époux avait pour témoins son grand-oncle maternel, le comte de Luzignem, maréchal de camp, et son cousin le marquis de Bouillé, brigadier des armées du roi, et l'épouse son grand-oncle paternel le lieutenant général duc de Mouchy, et son oncle paternel le comte de Tessé, maréchal de camp. Le comte de La Rivière, lieutenant général, intervint dans l'acte en qualité de tuteur[20], et, le 30 avril, lui et le comte de Luzignem firent part du mariage de leur arrière petit fils et neveu[21]. Mademoiselle d'Ayen apportait une dot de 200.000 livres.

La Fayette avait seize ans et demi et sa femme quatorze ans et cinq mois. Ils résidèrent dans l'hôtel de Noailles, rue Saint-Honoré, 451, près des Tuileries, car la duchesse d'Ayen n'avait pas voulu se séparer d'une fille si jeune et si inexpérimentée[22]. Le marquis fut pourvu, le 19 mai 1774, sur les instances de son beau-père, d'une compagnie dans le régiment de dragons de Noailles, mais le roi accorda cette grâce, à condition que le titulaire ne prendrait le commandement qu'à l'âge de dix-huit ans[23]. Peu après, le nouveau capitaine alla, au grand chagrin de sa femme[24], rejoindre à Metz son régiment. Il en revint au mois de septembre, loua une maison à Chaillot et s'y fit inoculer. Adrienne s'enferma avec son mari, et la duchesse d'Ayen vint donner à son gendre tous les soins que sa vigilance et sa tendresse savaient multiplier[25].

Le marquis et la marquise de La Fayette allaient à la Cour et assistaient, chaque semaine, au bal de la reine. Ils faisaient partie d'une société de jeunes gens qui s'était formée pour danser des ballets et se divertir. On soupait joyeusement à Versailles ou à Paris, dans l'auberge A l'Épée de bois, près des Porcherons, avec les Noailles, les Ségur, les Coigny, les Dillon, les Guéméné, les Durfort. Mais La Fayette, grand garçon aux cheveux roux, ne semble pas s'être trouvé à l'aise dans ce milieu. Il dansait mal, et la reine se moquait de sa gaucherie. Il ne savait pas boire comme son beau-frère le vicomte de Noailles, qui tenait tête aux Anglais. Un jour cependant, si nous en croyons le comte de La Marck[26], il absorba tant de vin de Champagne, qu'on dut le porter dans sa voiture. Pendant qu'on le ramenait chez lui, il ne cessait de répéter : N'oubliez pas de dire à Noailles comme j'ai bien bu !

A l'été de 1775, La Fayette s'arracha à cette vie oisive pour aller retrouver son régiment à Metz et apprendre son métier. C'est à ce moment que la nouvelle de la révolte des Américains contre les Anglais se répandit en France. Le 8 août de cette année[27], le comte de Broglie[28] donna, à Metz, un dîner en l'honneur du duc de Gloucester, frère du roi d'Angleterre, qui faisait un voyage dans notre pays. La Fayette y assista et entendit parler des Insurgents. Il s'enthousiasma aussitôt pour les opprimés et résolut d'aller soutenir leurs justes revendications. La grossesse de sa femme le ramena à Paris ; le 15 décembre 1775, il lui naquit une fille, qui reçut les prénoms de Adrienne-Henriette-Catherine-Charlotte[29]. Cet heureux événement ne le détourna pas de ses projets : pour assurer la liberté de ses mouvements, La Fayette se fit réformer le 11 juin 1776[30]. Dès que la déclaration d'indépendance des États-Unis (4 juillet 1776) fut connue, il entra en relations avec les députés des États, Silas Deane et Arthur Lee. Il se concilia les encouragements du comte de Broglie, qui le mit en rapport avec un de ses officiers, le lieutenant-colonel baron de Kalb[31]. Le jeune marquis embaucha son beau-frère le vicomte de Noailles et son ami le comte de Ségur, et, le 6 novembre 1776, le baron de Kalb les proposa tous trois à Silas Deane pour des grades importants dans l'armée américaine[32]. Celui-ci leur fit signer un engagement le 7 décembre ; mais les projets de ces jeunes gens ayant été éventés, les familles intervinrent ; le vicomte de Noailles et le comte de Ségur durent retirer leur engagement, et il fallut reconstituer l'état-major. En février 1777, un nouvel accord fut signé entre La Fayette et le baron de Kalb, d'une part, et Silas Deane, de l'autre, mais l'acte porta la même date que le premier, 7 décembre 1776[33]. Silas Deane garantissait aux officiers français un grade dans l'armée américaine, et notamment celui de major général à La Fayette et au baron de Kalb, et ceux-ci s'engageaient, en leur nom et en celui de leurs camarades, à partir dans le plus bref délai. Le marquis contracta un engagement spécial, qu'il ratifia dans les termes suivants[34] :

Sous les conditions exprimées ci-dessus, j'offre et promets de partir quand et comment M. Deane le jugera convenable, pour servir les États-Unis avec tout le zèle possible, sans aucune pension ou indemnité particulière, me réservant la liberté de revenir en Europe quand ma famille et mon roi me rappelleront.

Fait à Paris, ce 7 décembre 1776.

LE MARQUIS DE LA FAYETTE.

 

La Fayette, libre et riche[35], voulait servir à ses frais, mais il se réservait le droit de revenir en France, quand le roi le rappellerait. En même temps qu'il signait cet engagement. il envoyait à Bordeaux un ancien secrétaire du comte de Broglie, Du Boismartin, acheter et équiper un vaisseau[36]. Puis, pour endormir les soupçons des siens et faire croire à sa soumission, il alla passer trois semaines à Londres, avec son cousin le prince de Poix, auprès de son oncle le marquis de Noailles, ambassadeur de France. Il fut présenté au roi d'Angleterre George III et n'en vit pas moins l'Américain Bancroft. II ne craignit pas d'afficher ses sympathies pour les Insurgents et de se réjouir de leur succès à Trenton. Mais sa loyauté lui fit refuser de visiter les ports de mer et d'assister aux embarquements contre les rebelles, et rejeter, comme il le dit, tout ce qui lui parut un abus de confiance[37]. Inébranlable dans sa résolution, il rédigea, à Londres même, le 9 mars 1777, la lettre destinée à informer son beau-père, le duc d'Ayen, de son prochain départ pour l'Amérique. Puis, refusant de suivre son oncle à la

Cour, sous le prétexte d'aller faire un tour à Paris. La Fayette quitta subitement Londres, traversa le détroit, gagna la capitale, où il resta trois jours incognito à Chaillot[38], chez le baron de Kalb, et conféra avec Silas Deane, Arthur Lee et Benjamin Franklin, qui était arrivé en France depuis le 4 décembre 1776. Il partit. le soir du 16 mars 1777, avec le baron et arriva, le 19, à Bordeaux. Pour dissimuler le véritable motif de ce voyage, il alla voir son oncle le maréchal de Mouchy, qui commandait en Guyenne, pendant que le baron visitait le navire comme un armateur[39]. Le 22. il fut inscrit par le capitaine Le Boursier sur le registre des passagers du vaisseau la Victoire, sous le nom de Gilbert du potier, chevalier de Chavaniac[40], allant au Cap pour ses affaires.

Dans la nuit du 25 mars 1777, La Fayette et Kalb venaient de prendre place dans une chaloupe pour rejoindre le navire à Pauillac quand on remit au marquis une lettre du vicomte de Coigny lui annonçant que le roi lui défendrait certainement de partir. La Fayette prit conseil du baron, qui lui conseilla d'obéir à son beau-père et aux ordres du roi[41]. A peine à bord, les deux amis furent incommodés par la mer. Le 26, à deux heures de l'après-midi, la Victoire leva l'ancre, par un temps superbe[42], et alla relâcher près de Saint-Sébastien, dans le petit port de Los Pasajes. Là, on attendit le courrier de Paris. Les ordres de la Cour parvinrent le 31 mars ; ils portaient que La Fayette devait se rendre immédiatement à Marseille et accompagner en Italie son beau-père, le duc d'Ayen, et sa tante, la comtesse de Tessé. Notre héros partit le lendemain 1er avril pour Bordeaux, après avoir dîné avec le baron de Kalb, qui lui renouvela son conseil d'abandonner une entreprise si téméraire, tout en le blâmant in petto de son inconstance, et ajouta l'avis de s'entendre avec l'armateur de son vaisseau moyennant une perte de vingt à vingt-cinq mille francs.

Je ne crois pas qu'il vienne me rejoindre, écrivait, le même jour, le baron à sa femme[43]. Il se trompait. Le marquis s'arrêta à Bordeaux et sollicita par des lettres et par des émissaires le consentement du roi ou du ministre, mais il essuya un refus absolu. Le 5 avril, il confirmait ce fait au baron, mais déclarait attendre le retour du courrier expédié par lui à Paris. Le 12, il annonçait son départ pour Marseille, se flattait de gagner le duc d'Ayen à sa cause et priait toutefois son ami de ne pas mettre sous voiles avant une nouvelle lettre de lui[44].

La Fayette était donc hésitant sur le parti à prendre, lorsqu'il apprit qu'une lettre de cachet était lancée contre lui. Cette mesure de rigueur fixa sa résolution. Pour échapper à une arrestation imminente, il quitta Bordeaux, et, trompant la surveillance de la police, il réussit à passer la frontière à Saint-Jean-de-Luz sous le déguisement d'un courrier avec le vicomte de Mauroy[45] ; il arriva, le 17 avril 1777, à Los Pasajes[46]. Cette fois, La Fayette n'avait plus aucune hésitation et, le dimanche 20 avril, sur le soir, le vaisseau, baptisé du nom prophétique de la Victoire, quitta le port et cingla vers la terre américaine[47].

Deux jours auparavant, le général anglais Clinton était parti pour aller prendre son commandement contre les rebelles ; il devait retrouver La Fayette sur les champs de bataille. De même que les volontaires français offraient leur service aux Insurgents, de même nombre d'officiers anglais demandaient à combattre pour maintenir l'autorité du roi contre les colonies révoltées[48].

Après avoir payé son tribut à la mer, La Fayette écrivit de son bord, le 30 mai, une touchante lettre à sa jeune femme. Défenseur de cette liberté que j'idolâtre, disait-il, libre moi-même plus que personne, en venant, comme ami, offrir mes services à cette république si intéressante, je n'y porte que ma franchise et ma bonne volonté, nulle ambition, nul intérêt. En travaillant pour ma gloire, je travaille pour leur bonheur.

Pendant que La Fayette voguait vers le continent américain, la nouvelle de ce départ romanesque faisait grand bruit à la Cour et à la ville. Le duc d'Ayen exhalait sa fureur et son étonnement. II ne se doutait pas du tempérament de son gendre, et il ne savait pas que. sous un extérieur froid et timide, ce grand jeune homme roux cachait l'esprit le plus actif, le caractère le plus ferme et l'âme la plus brûlante[49]. La jeune marquise de La Fayette, enceinte de son second enfant, avertie par sa mère de ce départ imprévu, s'alarmait des dangers qu'allait courir son époux[50]. Le mariage du comte de Ségur avec la plus jeune sœur de la duchesse d'Ayen, Antoinette-Élisabeth-Marie d'Aguesseau, célébré à Paris dans la chapelle du duc de La Vallière, le 30 avril 1777, apporta quelque diversion à ces chagrins de famille[51].

Le marquis de Noailles, en sa qualité d'ambassadeur en Angleterre, se montra fort ému de la fugue de son neveu. Le 8 avril 1777, il écrivait d'un ton chagrin au comte de Maurepas :

Ma surprise a été extrême, monsieur le comte, en apprenant hier par des lettres de Paris que M. de La Fayette était parti pour l'Amérique. Son âge heureusement peut excuser de grandes légèretés ; c'est une consolation qui me reste dans le chagrin que me cause une démarche aussi inconsidérée[52].

Le comte de Maurepas le consola en ces termes, le 28 avril 1777 :

Vous aurez appris, monsieur le marquis, l'inutilité de nos précautions pour M. le marquis de La Fayette ; M. le maréchal, que j'eus l'honneur de voir hier, m'a paru tout aussi affligé que vous le serez sûrement. D'ailleurs, toute votre maison n'a rien à se reprocher et le roi ne peut vous savoir mauvais gré des démarches d'un jeune homme à qui on a fait tourner la tête[53].

 

Les journaux et les nouvellistes mentionnèrent le départ de La Fayette. Ils l'attribuaient au mécontentement qu'éprouvaient les militaires de végéter sans avancement dans les garnisons, mais d'aucuns lui donnaient pour cause un dépit amoureux[54]. Les renseignements donnés par la Correspondance de Métra[55] et par la Gazette d'Amsterdam[56] sont inexacts, mais témoignent du bruit que faisait cette aventure dans la société parisienne. L'Espion anglais raconta les faits avec plus de précision et donna des détails sur le marquis et sur sa famille, non sans une pointe malveillante[57].

Enfin, Benjamin Franklin et Silas Deane annoncèrent officiellement au Congrès, le 25 mai 1777, dans ces termes flatteurs, le départ de La Fayette :

Le marquis de La Fayette, jeune gentilhomme de grands entourages de famille ici et de grande fortune, est parti pour l'Amérique sur un vaisseau à lui, accompagné par quelques officiers de distinction, afin de servir dans nos armées. Il est extrêmement aimé et les vœux de tout le monde le suivent. Nous ne pouvons qu'espérer qu'il trouvera une réception qui lui rende le pays et son entreprise agréables. Ceux qui la censurent comme une légèreté de sa part, applaudiront néanmoins à l'esprit qui l'anime, et nous serions heureux que les prévenances et les respects qui lui seront montrés soient utiles à nos affaires ici en faisant plaisir, non seulement à ses puissantes relations et à la Cour, mais à toute la nation française. Il a laissé une jolie jeune femme et, pour l'amour d'elle particulièrement, nous espérons que sa bravoure et son ardent désir de se distinguer seront un peu retenus par la sagesse du général, de manière à ne pas permettre qu'il se hasarde trop, à moins que l'occasion ne l'exige[58].

 

 

 



[1] Motier, qu'on écrivait aussi Mottier, est le nom de la famille d'Auvergne d'où sortirent les seigneurs de La Fayette. (Cf. le P. Anselme.)

[2] Le château de Chavaniac est situé sur un promontoire à l'extrémité sud-est de la plaine de Chaliergues, près d'un village dont le nom a été successivement orthographié Chavanhat, Chavanhac, Chavagnac, Chavaniac. Ce village était le siège d'une paroisse placée sous le vocable de saint Roch et dépendant de l'élection de Brioude. Le château avait été réédifié en 1701. La Fayette le fit restaurer en 1791. (Cf. Henry Mosnier, Le château de Chavaniac-Lafayette ; Le Puy, 1883, in-8°.)

[3] Cf. le texte de l'acte de baptême, aux Pièces justificatives, n° I.

[4] Michel-Louis-Christophe-Roch-Gilbert, marquis de La Fayette, marié, le 22 mai 1754, à Marie-Louise-Julie de La Rivière, fille de Joseph-Yves-Thibaut-Hyacinthe, marquis de La Rivière. (Cf. Lachénaye-Desbois.)

[5] Joseph-Yves-Thibaut-Hyacinthe, marquis de La Rivière, marié, en 1735, à sa cousine Julie-Louise-Céleste de La Rivière, fille de Charles-Yves-Thibaut, comte de La Rivière, lieutenant général, morte à trente-deux ans, le 7 octobre 1753. — Cf. Pièces justificatives, n° II.

[6] La Fayette tenait de son parrain le prénom d'Yves et de son père celui de Gilbert, qu'il adopta. C'est ce qu'il déclare dans une lettre écrite à Mme de Pougens après son retour de captivité et dont l'original appartient à M. Charles de Croze. On y lit : Vous me demandez mes prénoms. J'ai été baptisé comme un Espagnol. Ce n'est pas ma faute, et, sans prétendre me soustraire à la protection de Marie, Paul, Joseph, Roch et Yves, je me suis plus souvent réclamé de saint Gilbert. Encore l'ai-je fort négligé, ainsi que le vieux nom de Mottier, pour m'en tenir à celui que ma famille porte depuis longtemps, et auquel j'ai valu, parmi quelques témoignages de bienveillance, une prodigieuse quantité d'injures.

[7] Les armes des La Fayette étaient : De gueules, à une bande d'or et une bordure de vair. — Cf. Pièces justificatives, n° II.

[8] La comtesse de La Fayette, l'auteur de la Princesse de Clèves et de avait épousé un membre de la branche aînée de cette famille.

[9] Il était âgé de vingt-cinq ans. — La Fayette, dans ses Mémoires, dit que sa naissance suivit de près la mort de son père à Minden. C'est là une erreur bizarre, que démentent l'acte de baptême de La Fayette, ou figure le père, et la date même de la bataille de Minden, postérieure de près de deux ans à la naissance. MM. Doniol, Bardoux et Tower ont suivi cette version erronée et écrit que le colonel de La Fayette laissa sa femme enceinte de Gilbert. — Cf. Pièces justificatives, n° III.

[10] Cf. Pièces justificatives, n°  IV.

[11] Cette date est donnée par Jal, d'après l'acte de décès, tandis que les Mémoires disent le 12 avril.

[12] Cf. lettre du 8 février 1772 aux Pièces justificatives, n° V.

[13] Le comte de La Rivière avait donné sa démission le 12 avril 1760.

[14] Né à Paris le 26 octobre 1739, maréchal de camp le 3 janvier 1770, lieutenant général le ter janvier 1784, duc de Noailles en 1793, mort à Fontenay-Trésigny (Seine-et-Marne) le 20 octobre 1824.

[15] Née à Paris le 11 février 1717, mariée au duc d'Ayen le 5 janvier 1755, décapitées Paris le 4 thermidor an II, 22 juillet 1794. Sa vie, écrite par sa fille, Madame de La Fayette, a été publiée à Dampierre en l'an IX et réimprimée chez Téchener en 1868.

[16] Louis-Marie, vicomte de Noailles, né à Paris le 17 avril 1756, second fils du maréchal de Mouchy, mestre de camp de cavalerie le 17 avril 1779, député de la noblesse du bailliage de Nemours aux Etats-Généraux, maréchal de camp le 28 novembre 1791, blessé dans un combat naval le 1er janvier 1804, mort à La Havane le 7 du même mois. (Cf. Jacques Charavay, Les Généraux morts pour la patrie, p. 96.)

[17] Cf. Vie de Madame la duchesse d'Ayen, éd. Téchener, p. 42, 44 et 45.

[18] Marie-Adrienne-Françoise de Noailles, née à Paris le 2 novembre 1759.

[19] Madame de La Fayette dit, dans la Vie de sa mère, p. 47 : Ce fut pendant ce temps qu'on me parla de M. de La Fayette, pour qui l'attrait de mon cœur avait prévenu ce sentiment si profond qui nous a unis tous les jours d'une manière plus étroite et plus tendre, au milieu de toutes les vicissitudes de cette vie, au milieu des biens et des malheurs qui l'ont remplie depuis vingt-quatre ans.

[20] Cf. le texte de l'acte de mariage aux Pièces justificatives, n° VI.

[21] Cf. la lettre de faire part, à la Bibliothèque nationale. Fr. 37603, Pièces originales, 1119, pièce n° 72 (dossier La Fayette).

[22] La Fayette payait une pension alimentaire de 8.000 livres.

[23] Le duc d'Ayen avait demandé cette faveur au ministre de la guerre dès le 11 janvier 1774 et il avait insisté, le 27 avril suivant, en spécifiant que le capitaine ne commanderait sa compagnie que lorsqu'il aurait accompli sa dix-huitième année. (Cf. Arch. adm. de la guerre.)

[24] Cf. Madame de Lasteyrie, Vie de Madame de La Fayette, p. 195.

[25] Cf. Madame de La Fayette, Vie de la duchesse d'Ayen, p. 59.

[26] Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de La Marck, t. I, 63.

[27] Et non en 1776, comme La Fayette le dit dans ses Mémoires.

[28] Charles-François, commandant intérimaire des Trois-Évêchés.

[29] Elle mourut à Paris deux ans plus tard, le 3 octobre 1777.

[30] Aucun biographe, à ma connaissance, n'a dit que La Fayette avait été réformé, quoique ce fait, consigné dans ses états de service, explique comment il put, sans déserter, offrir son épée aux Américains.

[31] Johann, baron de Kalb, né à Hüttendorf le 29 juin 1721, entré au régiment de Lowendal en 1743, major en 1756, lieutenant-colonel en mai 1761, remplissait le rôle de recruteur pour l'armée américaine. Il obtint du roi, le 4 novembre 1776, un congé de deux ans. Il partit avec La Fayette, comme major général, et reçut, en Amérique, le commandement d'une division : il fut mortellement blessé à la bataille de Camden, dans la Caroline du Sud, le 19 août 1780. La Fayette n'oublia pas son ancien compagnon d'armes et, dans une lettre adressée, le 11 floréal an IX (10 avril 1800), à la fille du baron, il rendit pleinement témoignage à la bravoure et aux talents de ce héros de la guerre de l'indépendance. — La vie du baron de Kalb a été écrite par Friedrich Kapp, sous ce titre : Leben des Amerikanischen generals Johann Kalb ; Stuttgardt, 1862, in-8°. (Bibl. nat., P2 401.)

[32] Une première liste d'officiers avait été convenue, le 1er décembre 1776, entre Silas Deane et le baron de Kalb. (Cf. Friedrich Kapp, p. 281.)

[33] Cf. Pièces justificatives, n° VII.

[34] Cf. C. Tower, The marquis de La Fayette in the American Revolution ; Philadelphia, 1895, 2 vol. in-8° (Bibl. nat., Ln27 43535), t. I, p. 35.

[35] Il avait 146.000 livres de revenus. — Cf. Pièces justificatives, n° VIII.

[36] Les armateurs de Bordeaux, Raimbaux et Cie, s'engagèrent à livrer le navire au mois de mars moyennant la somme de 112.000 francs, payable un quart comptant et les trois autres quarts dans les quinze mois suivants. (Cf. H. Doniol, t. II, p. 378.)

[37] Cf. Mémoires de La Fayette.

[38] C'est vraisemblablement pendant ce séjour que La Fayette alla, à sept heures du matin, surprendre dans sa chambre le comte de Ségur et lui dit : Je pars pour l'Amérique ; tout le monde l'ignore, mais je t'aime trop pour avoir voulu partir sans te confier mon secret. (Cf. Mémoires du comte de Ségur, I, III.)

[39] Cf. Friedrich Kapp, ch. VI.

[40] Notre héros signa sur le registre Gilbert du Motier. — Cf. Pièces justificatives, n° IX.

[41] Le 6 avril 1777 le baron de Kalb écrivait à sa femme : Il faut savoir s'il a transigé avec ses armateurs ou si la cargaison reste à son compte. De quelque façon que ce soit, son équipée lui coûtera toujours fort cher. Je dis équipée. du moment qu'il n'a pas osé braver les menaces et continuer son projet après tout ce qu'il avait fait jusque-là. La lettre qu'il a reçue à Bordeaux du vicomte de Coigny par le retour du courrier qu'il lui avait envoyé, l'a fait changer subitement. Si, à la réception, nous n'eussions pas été dans la chaloupe pour descendre la rivière et aller il bord, je crois qu'il aurait pris le parti de s'en retourner tout de suite, et il eût, selon moi, mieux fait. Mais enfin, après m'avoir consulté sur ce qu'il avait à faire, je n'ai pas cru devoir lui conseiller de braver son beau-père et l'ordre du roi, dont on le prévenait qu'il serait menacé. J'ai, au contraire, cru qu'il me convenait de lui conseiller la soumission et la conservation de l'amitié de sa famille. S'il ne s'était pas toujours flatté de l'approbation de M. le duc d Aven, je lui aurais constamment dit de ne point aller aussi loin qu'il a été. li m'a fortement assuré que sa famille le trouverait bon, d'après que M. le duc d'Ayen voulait s'employer lui-même, pendant un temps, à le faire aller en Amérique avec son autre gendre, le vicomte de Noailles, et qu'après tout Mme de La Fayette serait prévenue par ses père et mère et préparée à le trouver bon. Car j'ai fortement trouvé à redire en tout temps qu'il ait fait un mystère à sa femme jusqu'après son départ, et, s'il m'avait dit à Paris tout ce qu'il m'a dit sur cela depuis, je lui eusse fait les représentations les plus fortes contre son entreprise. Enfin, il en sera quitte pour un peu d'argent qu'il lui en aura coûté. Il est en état de souffrir cette perte sans se déranger, et, si l'on dit qu'il a fait une folie, on peut ajouter qu'elle était fondée sur un motif honorable et qu'elle n'empêche pas de marcher tète levée vis-à-vis de tous les gens qui pensent bien. (Cf. Friedrich Kapp. ch. VI, et H. Doniol, t. III, p. 210.)

[42] Le baron de Kalb écrivit à sa femme, le 26 mars 1777, à midi : Dans deux heures nous serons en pleine mer. Nous levons actuellement l'ancre par le plus beau temps du monde ; cela doit nous présager un heureux voyage. Arrivés à bord du navire la nuit dernière, nous sommes déjà bien malades tous ; mon compagnon de voyage l'est beaucoup. (Cf. Friedrich, ch. VI. et H. Doniol, t. III, p. 206.)

[43] Le 1er avril 1777, le baron de Kalb écrivait à sa femme : Nous sommes partis de Bordeaux, ma chère bonne amie, le 25, comme je te l'ai marqué à bord du vaisseau, et ayant eu le vent favorable. Nous avons levé l'ancre le 26 au matin, avec la résolution de relâcher ici jusqu'au retour du courrier envoyé à Paris ; mais nous n'avons pas la peine de l'attendre puisqu'on vient de nous en envoyer un de Bordeaux, arrivé hier au soir ici (où nous sommes à l'ancre depuis vendredi 281, avec ordre de la Cour pour Ni. le marquis de se rendre à Marseille pour attendre M. le duc d'Ayen et Mule la comtesse de Tessé, sœur du duc, pour voyager avec eux en Italie. Ainsi le voilà revenu de son voyage et de la guerre d'Amérique. Il part en ce moment pour Bordeaux, et de là il se propose d'aller, s'il y a moyen, le voyage d'Italie n'étant pas de son goût, à Paris... Je n'ai aucune idée qu'il puisse me rejoindre ; aussi lui ai-je conseillé de voir MM. Raimbaux et Cie, qui ont armé et chargé notre vaisseau pour son compte, de s'arranger avec eux et de kilt' recéder tout, s'ils veulent ne lui faire perdre que 20 à 25.000 livres sur la totalité de l'armement, parce que par ce moyen-là il lui reviendrait de l'argent comptant, y ayant mis et payé 40.000 livres. (Cf. Friedrich Kapp. ch. VI, et H. Doniol, t. III, p. 207.)

[44] Cf. Friedrich Kapp, ch. VI.

[45] Le vicomte de Mauroy avait été enrôlé comme major général par Silas Deane.

[46] Le 17 avril 1777, le baron de Kalb écrivait à sa femme : A l'instant même le marquis arrive et il partira dans quelques jours avec nous. Il a pris cette résolution sur l'assurance qu'on lui a donnée à Paris que le duc d'Aven seul a demandé l'ordre du roi, qu'au contraire tout le monde approuvait son entreprise, qu'on blâmait sévèrement son beau-père de lui avoir créé des difficultés, et que les ministres, interrogés sur leur véritable opinion à ce sujet, ont répondu qu'ils n'auraient fait mention de rien, sans les plaintes du duc d'Ayen. Nous sommes donc résolus à continuer notre route, à moins qu'il ne nous arrive encore un empêchement extraordinaire. (Cf. Friedrich Kapp, ch. VI, et H. Doniol, t. II, p. 404.)

[47] Les passagers de la Victoire comprenaient, outre La Fayette et le baron de Kalb, treize officiers, à savoir : François-Augustin Du Boismartin, 32 ans, de Barbezieux ; Louis-Ange de La Colombe, 22 ans, du Puy-en-Velay ; Charles Bedoulx, 25 ans, de Neuchâtel, en Suisse ; Philippe-Louis Candon, 26 ans, de Versailles, qui figurent dans l'acte d'embarquement du 21 mars 1777, avec le baron de Kalb, comme se rendant à Saint-Domingue pour leurs affaires ; — Jacques Franval, 26 ans, de La Réole ; Louis Gimat, 22 ans, d'Agen ; Léonard Price, 22 ans, de Sauveterre ; embarqués, le 21 mars, pour la même destination de Saint-Domingue ; — Louis Devrigny, 36 ans, de Strasbourg ; Jean-Pierre Rousseau de Fayols, 27 ans, de Notre-Dame, près de Ruffec ; Guillaume de Lesser, 25 ans, d'Angoulême ;Charles Antoine de Valfort, 27 ans, de Thionville. embarqués, le 22 mars, à destination du Cap : — Jean Capitaine, 18 ans, de Ruffec ; le chevalier Du Buysson, 25 ans, de Moulin en Bouvarais (?), embarqués le 24 pour aller au Cap ; — le vicomte de Mauroy, venu de Bordeaux avec La Fayette. Les désignations d'âge et de lieu d'origine sont celles portées sur les actes d'embarquement, niais on n'en peut garantir l'exactitude. (Cf. H. Doniol, t. II, p. 418 et 419.)

[48] Cf. dans la Gazette d'Amsterdam, numéro du 25 avril 1777, les nouvelles datées de Londres, 18 avril : Hier, le général Clinton et lord Thomas Pelham Clinton, fils du duc de Newcastle et membre du Parlement de la part de Westminster, qui doit servir sous le général Clinton, en qualité d'adjudant, eurent un long entretien avec le roi, de qui ils prirent congé, et se sont embarqués aujourd'hui pour l'Amérique. Le même jour, le comte de Bulkeley, officier dans la brigade écossaise au service de la France et résolu de servir en Amérique comme volontaire, fut introduit auprès du roi au palais Saint-James et gracieusement reçu. S. M. Très Chrétienne a non seulement agréé la résolution de ce comte, mais a accordé à d'autres officiers la permission d'aller joindre en Amérique les troupes de la Grande-Bretagne et d'y maintenir l'autorité du roi contre les colonies révoltées.

[49] Le comte de Ségur a, dans ses Mémoires (I, p. 109), tracé le portrait suivant de son ami : La Fayette, dit-il, eut de tout temps, et surtout quand il était jeune, un maintien froid, grave, et qui annonçait mente très faussement une apparence d'embarras et de timidité. Ce froid extérieur et son peu d'empressement à parler faisaient un contraste singulier avec la pétulance, la légèreté et la loquacité brillante des personnes de son âge : mais cette enveloppe, si froide aux regards, cachait l'esprit le plus actif, le caractère le plus ferme et l'âme la plus brûlante. J'avais été mieux que personne à portée de l'apprécier, car, l'hiver précédent, amoureux d'une dame aimable autant que belle, il m'avait cru mal à propos son rival, et, malgré notre amitié, dans un accès de jalousie, il avait passé presque toute une nuit pour me persuader de disputer contre lui, l'épée à la main, le cœur d'une beauté sur laquelle je n'avais pas la moindre prétention.

[50] Madame de La Fayette dit de sa mère à ce propos, dans la Vie de la duchesse d'Ayen, p. 57 : Elle m'apprit elle-même le cruel départ et s'occupa de me consoler en cherchant les moyens de servir M. de La Fayette avec cette tendresse généreuse, cette supériorité de vues et de caractère qui la développaient tout entière.

[51] Cf. Journal de Paris, du 2 mai 1777, p. 4. — Le comte de Ségur devint, par ce mariage, l'oncle de La Fayette.

[52] Arch. des Affaires étrangères, Angleterre, t. 522, fol. 370. (Cf. H. Doniol, t. II, p. 396.)

[53] Arch. des Affaires étrangères, Angleterre, t. 522, fol. 452. (Cf. H. Doniol, t. II, p. 410.)

[54] On disait en effet que le jeune marquis était amoureux de la jolie comtesse d'Hunolstein, fille de Mme de Barbantane, et qu'ayant été éconduit, il avait voulu faire quelque action d'éclat pour mériter, au retour, les faveurs de sa belle. C'est ce que raconte le comte d'Espinchal dans un récit plein de sentiments hostiles pour La Fayette. (Cf. Paul Cottin, Revue rétrospective, année 1894, p. 291, communication de M. Paul Le Blanc, d'après les papiers du comte, conservés à la bibliothèque de Clermont-Ferrand.)

Les Mémoires secrets de Bachaumont, t. XXIII, p. 35, publient, à la date du 30 juin 1783, l'information suivante sur le même sujet :

Madame la comtesse d'Hunolstein est une jeune et jolie femme attachée à Madame la duchesse de Chartres, et dont le mari est colonel du régiment de ce prince, infanterie. Il est connu que Son Altesse en a été amoureuse, et en a eu les bonnes grâces. Le marquis de La Fayette, qui en était épris dans le même temps, ne pouvant réussir auprès d'elle, de dépit passa chez les Insurgents, et elle devint indirectement le principe de sa fortune et de sa gloire. La première fois qu'il revint d'Amérique, sa passion n'étant pas éteinte, mais bien celle du duc de Chartres, Madame d'Hunolstein fut moins cruelle, et l'on ajoute qu'il en survint un enfant. Quoi qu'il en soit, elle a depuis mené une vie très débordée... Ce qu'il y a de constant, c'est que Madame de Barbantane, sa mère, a écrit à Madame la duchesse de Chartres pour lui représenter que sa fille était désormais indigne de ses bonnes grâces et même d'approcher de sa personne ; qu'en conséquence elle lui demandait la permission de la faire enfermer pour mettre un frein à son libertinage, à ses escroqueries, et empêcher qu'elle ne déshonore plus longtemps sa famille et son nom. Tel était hier le bruit général de l'Opéra et du Palais-Royal...

[55] On lit dans le tome IV, p. 264, à la date du 2 avril 1777 : Le mécontentement presque général de notre militaire et les offres que les agents des Américains font ou vont faire, engagent nombre de nos officiers à passer en Amérique avec congé, si on le leur accorde, et sans congé, si on le leur refuse. Le marquis de La Fayette, gendre du duc de Noailles, dégoûté de l'inexécution des promesses du ministre pour son avancement, a pris le parti de faire armer en secret un navire à Bordeaux, sur lequel il s'est embarqué avec cinquante autres officiers pour aller joindre Washington, laissant sa femme, jeune, jolie et fort riche, et un enfant de quatre ans. Au moment de son départ d'ici, qu'il avait concerté avec MM. Franklin et Deane, il avait confié son intention au duc de Coigny, son ami, qui crut devoir en avertir la famille ; elle a fait courir après le marquis, niais il était déjà en pleine mer, lorsque les ordres de l'arrêter sont arrivés.

[56] On lit dans la Gazette d'Amsterdam, à la date du 11 mai 1777, les nouvelles suivantes de Paris, du 5 mai : Le marquis de La Fayette, qui, depuis quelque temps, sans en avoir demandé permission au roi, voulait partir pour l'Amérique et servir comme volontaire dans l'armée des Insurgents, mais qui reçut à Saint-Sébastien ordre de la Cour de suspendre son voyage et obtint, depuis lors, de Sa Majesté la liberté de voyager pendant cinq mois, a profité de cette occasion de s'embarquer à Bordeaux et de passer à bord de son vaisseau, qui mouille à Saint-Sébastien, pour se rendre de là en Amérique.

[57] Cf. à la date du 26 mai 1777, t. VI, p. 55 à 60. M. H. Doniol a reproduit cet article, t. II, p. 421. Voici un des passages :

Je veux croire que le marquis de La Fayette, entraîné par une louable ambition, ait conçu de lui-même le hardi projet d'aller servir la cause des Insurgents : il n'y a rien là d'extraordinaire ; mais s'il est enflammé de l'ardeur de la gloire, il est en même temps très jeune et d'un caractère modeste et timide. Est-il vraisemblable qu'il ait osé ou pu l'exécuter sans que sa famille en ait eu connaissance ?

[58] Cf. H. Doniol, t. II, p. 414.