LE GÉNÉRAL LA FAYETTE

1757-1834

 

PRÉFACE.

 

 

En 1894, je fus chargé de rédiger pour la Grande Encyclopédie l'article La Fayette. L'illustration du personnage et le grand nombre des publications dont il avait été l'objet semblaient rendre ma tâche aisée ; il n'en était rien. Les biographies offraient seulement des récits dépourvus de précision et suppléaient aux dates par des formules vagues. Il me fallut donc procéder comme s'il s'agissait d'un inconnu et dresser le curriculum vitæ de mon héros d'après les sources manuscrites et imprimées. Je rédigeai ensuite la notice ; mais, bien que je me fusse borné aux faits essentiels, elle se trouva trop étendue pour le recueil. En condensant, je la ramenai aux proportions convenables ; puis, pour utiliser mes recherches, le travail primitif fut publié, en 1895, dans la Révolution française, avec les références. L'accueil bienveillant qu'il reçut et les renseignements nouveaux qui me furent fournis m'encouragèrent à continuer ma tâche. Je rectifiai des erreurs, je précisai des faits, je rendis, en un mot, plus exact ce curriculum vitæ. L'abondance des documents me força d'élargir mon cadre et de multiplier les notes; telle fut la genèse du présent travail.

Les principales sources manuscrites ou imprimées de ce travail sont les suivantes :

1° Les Mémoires de ma main, écrits par La Fayette et publiés en 1837 par son fils, et les correspondances qui les complètent. C'est là que tous les biographes du général ont puisé leurs renseignements. En effet, ces Mémoires sont un document de premier ordre, et j'ai pu m'assurer que les textes des lettres étaient dignes de foi. Il ne faut pas cependant tout accepter sans contrôle, car un auteur de Mémoires, qui écrit après les événements et sur des notes et souvenirs, est exposé à des erreurs et à des confusions. Il suffit d'en donner pour preuve que La Fayette déclare être fils posthume, tandis qu'il avait deux ans lors de la mort de son père.

2° Les archives administratives et historiques du Ministère de la guerre, qui m'ont fourni les états de service du général et sa correspondance pendant la première campagne de 1792.

3° Les départements des imprimés, des manuscrits et des estampes de la Bibliothèque nationale, et le musée Carnavalet.

4° L'importante publication de M. Henri Doniol, Histoire de la participation de la France à l'établissement des États-Unis d'Amérique[1], qui a mis au jour les documents conservés dans les archives des Ministères des Affaires étrangères et de la Marine.

5° L'ouvrage de M. Charlemagne Tower, The marquis de La Fayette in the American Revolution[2], où se trouvent les documents empruntés aux archives des États-Unis.

6° Les Archives nationales, où j'ai consulté les dossiers des assemblées provinciales d'Auvergne et des deux assemblées des notables de 1787 et de 1788, et les documents relatifs au rôle de La Fayette à la tète de la garde nationale parisienne et de l'armée du Centre.

7° Les répertoires de MM. A. Tuetey et Maurice Tourneux, la publication de M. Aulard sur les Jacobins, et le recueil de M. Sigismond Lacroix sur les actes de la Commune de Paris.

 

J'ai aussi compulsé les journaux, les pamphlets, les biographies de La Fayette, notamment la dernière, due à M. A. Bardoux, la vie de la duchesse d'Ayen par sa fille, et celle de la marquise de La Fayette par Mme de Lasteyrie, la biographie du général américain Johann Kalb par M. Friedrich Kapp, le livre du Dr Jules Cloquet, et les collections particulières.

Enfin la bibliographie et l'iconographie n'ont pas été oubliées, et le texte est illustré de six portraits de La Fayette aux périodes principales de sa vie, de reproductions d'estampes et de caricatures, de fac-similé d'autographes, etc. Il convient de signaler le portrait de La Fayette, dessiné par Eugène Devéria après 1830, document inédit, dont je dois l'indication à l'obligeance de mon collègue, M. Henri Bouchot.

Grâce à ces sources, dont plusieurs étaient restées inédites ou n'avaient pas encore été utilisées, j'ai pu constituer une biographie de La Fayette qui permettra au lecteur de suivre pas à pas notre héros dans sa longue et romanesque carrière et de mieux embrasser peut-être les développements d'un esprit assez difficile à pénétrer. Je me suis efforcé d'appliquer à ce sujet moderne les méthodes critiques employées par les médiévistes et que je dois aux précieux enseignements de mes maîtres de l'École des Chartes. Les érudits ont pour mission de frayer la route aux historiens. Que d'erreurs, que d'inexactitudes auraient été épargnées à ceux-ci par des travaux préparatoires, qu'ils n'ont ni le loisir, ni la possibilité d'entreprendre ! Les esprits généralisateurs ont besoin de tels auxiliaires, et c'est une tâche honorable et utile que d'apporter ainsi sa pierre au monument qu'il leur appartient d'édifier. Cette tâche a été le souci et, je peux dire, le charme et la consolation de ma vie. Puisse cet essai être profitable aux historiens et plaire à ceux qui cherchent des faits et non des mots !

 

ÉTIENNE CHARAVAY.

 

 

 



[1] Cet ouvrage, dont la publication commença en 1886, comprend cinq volumes et a obtenu le grand prix Gobert.

[2] Ce livre, publié à Philadelphie en 1891, a deux volumes et n'a pas encore été utilisé par les biographes français.