II Il ne suffit pas de parcourir la vallée de Barcelonnette et de montrer, textes en main, que c'est le chemin qu'Annibal a suivi pour aller en Italie ; il faut contrôler cette opinion, et pour cela explorer les autres vallées des Alpes, en lisant sur place ce qu'ont écrit les auteurs qui y ont fait passer Annibal ; il faut, d'une manière générale, rechercher s'il est vrai que les textes des deux historiens anciens se prêtent à toutes les interprétations, que partout dans les Alpes on rencontre des lieux qui répondent également bien aux données de Polybe et de Tite-Live. Les auteurs qui font passer Annibal par le Grand
Saint-Bernard, ont contre eux l'autorité de Polybe d'après lequel il est
descendu, non pas au pays des Salasses, mais au pays des Taurini, l'autorité
de Varron, l'autorité de Tite-Live qui dit que, du pays des Voconces et des
Tricorii, il alla traverser Pour soutenir cette vaine opinion, Withaker[2] et M. l'abbé Ducis[3] n'ont pas hésité à opposer à des témoignages si précis et d'une si haute valeur ceux d'auteurs tels que Pline l'ancien, Ammien Marcellin, Servius et Isidore de Séville, Luitpraud et Paul Jove. Mais on chercherait vainement chez Pline[4], chez Ammien
Marcellin[5], une affirmation
motivée ; ils se bornent à mentionner ce qui a été dit par ceux qui pensaient
que les Alpes Pennines devaient leur nom aux Carthaginois, Pœni, et les Alpes Grées à de prétendus voyages
d'Hercule. Ammien Marcellin, dans ce passage même où il rattache le nom des
Alpes Pennines aux souvenirs de la seconde guerre Punique, dit qu'Annibal a
passé par les pays des Voconces et des Tricorii, et qu'il a traversé Mais, dès le XVIe siècle, on avait signalé l'étonnante crédulité de Luitpraud et de Paul Jove ; on avait dit qu'Annibal n'aurait pu s'arrêter pour faire un travail tel que celui qu'on voit près de Donnas, pour couper avec le pic les rochers sur une pareille étendue ; on avait dit que, s'il y avait une inscription ancienne, c'était, sur une petite colonne milliaire, l'indication de la distance à partir d'Aoste ; et qu'en outre, au temps de Paul Jove, on pouvait y voir l'inscription en lettres gothiques rappelant que Thomas de Grimaldi a passé par ce défilé de Donnas et de Bard le 15 février 1474[11]. Nous avons suivi à travers les siècles cette vaine tradition relative aux Alpes Pennines, contre laquelle protestait déjà Tite-Live, en en montrant l'inanité, en la réduisant à une simple confusion de noms. M. l'abbé Ducis croit, il est vrai, pouvoir invoquer de plus hautes autorités, celle de Polybe[12], celle d'Appien[13]. Mais que Polybe ait dit que le Rhône coule d'abord dans une vallée qui n'est autre que le Valais, ce n'est pas une preuve qu'Annibal ait passé par cette vallée ; et c'est une erreur de dire qu'Appien qualifie la vallée d'Aoste de route d'Annibal ; Appien a dit que le passage suivi par Annibal a conservé le nom de passage d'Annibal ; il n'a pas dit qu'Annibal ait passé par la vallée d'Aoste. Suivant Withaker, Annibal est allé s'engager, de la
manière la plus invraisemblable, dans le massif des Cévennes, par Lodève, le Vigan,
Anduze ; il a passé le Rhône, non pas à quatre journées de la mer, mais à Horiol,
près de M. l'abbé Ducis entend, comme Withaker, que l'on prenne à
la lettre ce qu'a écrit Polybe au sujet de la marche le long du fleuve ; il
suppose cependant qu'Annibal a quitté le Rhône pour aller directement de
Vienne à Aoste, Saint-Genis, et pour prendre, au-dessus de Seyssel, la vallée
des Usses, où il fut attaqué par les Gaulois ; il aurait traversé M. l'abbé Ducis ne reconnaît d'autre autorité que celle de Polybe ; quant à Tite-Live, il se contente de déplorer son improbité littéraire. Mais lorsqu'il cherche l'explication littérale du texte de Polybe, relatif à la marche le long du fleuve, il reconnaît lui-même que cette explication est impossible ; il ne peut, pas plus que Withaker, rendre compte de l'indication des distances ; enfin, si Withaker et lui avaient essayé d'étudier le récit des deux attaques et les difficultés de la descente, ils auraient vu que leur hypothèse ne répond pas aux données de Polybe. Annibal a-t-il passé par le col de Les auteurs qui ont mis en avant cette opinion s'accordent
à dire qu'Annibal arrivait par la vallée de Beaufort. Le Doron, qui arrose cette
vallée, serait Et, comme Annibal cherche à plaisir les difficultés, il
aurait, dans le massif de Je me borne à exposer sommairement, sans m'arrêter à
discuter, parce que nous n'avons ni pour le Grand Saint-Bernard, ni pour le col
de Cœlius Antipater, qui, avait composé une histoire de la seconde guerre punique, disait qu'Annibal avait passé per cremonis jugum, par le Petit Saint-Bernard ; Tite-Live ne cite cette opinion que pour la combattre ; il faudrait, dit-il, qu'Annibal fie, descendu en Italie non par le pays des Taurini, mais par le pays des Salasses et celui des Gaulois Libuens[15]. D'autre part, nous lisons dans Cornélius Nepos qu'avant Annibal nul n'avait traversé les Alpes avec une armée, si ce n'est l'hercule grec, d'où le nom d'Alpes grecques donné à cette partie des Alpes[16]. Il est â remarquer que Cornélius ne dit pas d'une manière explicite qu'Annibal a passé les Alpes Grées ; mais, quand encore il le dirait, qu'y aurait-il là que de vains rapprochements entre la marche du général carthaginois et les prétendus voyages du héros grec, et, d'autre part, entre le nom des Grecs, Graii, et celui des Alpes Grées ? Dans un temps où les Alpes étaient si peu connues, on se plaisait à de semblables conjectures, et c'est là sans doute l'origine de l'opinion de Cœlius Antipater. Tite-Live, alors qu'il la mentionne, prend soin dé relever aussi l'erreur de ceux qui, séduits par ces mêmes analogies, faisaient passer les Carthaginois, Pœni, par le Grand Saint-Bernard, Alpes Penninæ. Indiquer la source de pareilles opinions, c'est les avoir réfutées. Si déjà dans ces temps reculés on n'était point d'accord sur la question qui nous occupe, ne donnons pas trop de portée à ces divergences d'opinions ; qui donc hésitait, qui donc se trompait C'étaient ceux qui demandaient à des étymologies la solution d'un problème d'érudition el de topographie. Ce vain et obscur témoignage a valu à Cornélius Nepos l'indulgence, que dis-je la faveur de tous les partisans de l'hypothèse du Petit Saint-Bernard. Les erreurs si graves et si nombreuses que présente sa vie d'Annibal, ils se les expliquent volontiers, ou au moins ils les lui pardonnent. Ils ont en son témoignage une confiance absolue, une foi inébranlable : hæc quidem unice probamus, dit l'un d'eux. Et en effet, qui invoquer après Cornélius ? Luitpraud, Paul Jove, gens de peu d'autorité et qui, du reste, ne fournissent pas l'argument qu'on leur demande ; ils parlent, il est vrai, de Bard, mais non des Alpes Grées, et les auteurs qui font passer Annibal par les Alpes Pennines citent précisément, nous l'avons vu, Luitpraud et Paul Jove. Cornélius Nepos n'ayant rien affirmé d'une manière
précise, Cœlius Antipater est le seul historien qui ait. fait passer Annibal
par le Petit Saint-Bernard, et l'on peut dire qu'il a contre lui tous les
auteurs anciens. C'est d'abord Cincius Alimentus. Cet historien, qui fut prisonnier
d'Annibal, affirme que les Carthaginois entrèrent directement dans le pays
des Taurini[17].
C'est Polybe, qui, au dire de Strabon, signalant à On a cherché, il est vrai, à infirmer ces témoignages si
positifs de Polybe et de Varron, à ne voir clans leurs termes les plus
essentiels qu'une opinion personnelle de Strabon ou de Servius. Mais rien ne peut
ébranler l'autorité de tant d'historiens anciens unanimes à condamner une
opinion qui n'a pour elle qu'une affirmation non motivée de Cœlius et un
texte obscur d'un homme aussi peu digne de foi que l'auteur de Comment les partisans de l'hypothèse du Petit Saint-Bernard acceptent-ils, comment interprètent-ils les textes de Polybe et de Tite-Live ? Tous ils admettent qu'il y a entre ces deux récits une contradiction radicale ; tous ils sacrifient Tite-Live à Polybe. Les dissertations consacrées à la défense de cette opinion
en France, en Suisse, en Allemagne, en Angleterre, ne sont que des plaidoyers
contre Tite-Live, dont les données, dit-on, pèchent
contre la géographie et contre le bon sens. — Il
présente un vivant exemple de ces écrivains
que Polybe censure comme invraisemblables et vides de raison. — Il est (Deluc, p.
288) d'une inexactitude rebutante ; il est en
géographie d'une ignorance impardonnable chez un historien... Lorsqu'on est arrivé à l'expédition d'Annibal en Italie, on
doit fermer Tite-Live et ne suivre que Polybe. — Il sacrifiait la précision scientifique au désir de plaire
et d'émouvoir ; au lieu d'un récit historique, il composait une déclamation ;
mes oreilles ne supportant que les récits simples et nus. — Je cherche une histoire sérieuse, et je ne trouve qu'un
tableau de fantaisie, une déclamation, une amplification faite avec de vagues
souvenirs admirablement exprimés, mais sans ordre, et presque toujours à contresens
(Rossignol). On veut bien reconnaître
en lui les dons de l'imagination et du style,
mais qu'il ne prétende pas au mérite de l'historien. Et, si quelque savant
proteste contre de pareilles appréciations, soutient que l'on peut concilier
les récits de Tite-Live avec ceux de Polybe, il faut voir quelles colères il
soulève et comme on hésite peu à l'accuser de légèreté
et à dire : C'est pour moi une chose incompréhensible
qu'un homme de bon sens, comme je suppose qu'est M. Letronne, ait pu soutenir
encore que l'on pouvait concilier entre eux le récit de Tite-Live avec celui
de Polybe[21]. Ce qu'on ne peut pardonner à Tite-Live, c'est d'avoir dit qu Annibal a passé par le pays des Voconces et celui des Tricorii et qu'il a traversé la Durance[22]. Mais les partisans de l'hypothèse du Petit Saint-Bernard sont-ils donc autorisés à rejeter les témoignages de Tite-Live, parce que ces témoignages sont en contradiction avec cette hypothèse ? Est-on en droit de condamner Tite-Live parce qu'il ne justifie pas, parce qu'il condamne les idées que l'on a ? On insiste, il est vrai, sur ses inexactitudes, sur les erreurs qu'il a commises ; mais nous savons comment elles s'expliquent et à quoi elles se réduisent ; il y a lieu de faire, en le lisant, certaines réserves ; mais rien n'autorise ceux qui ont tant d'indulgence pour Cornélius Nepos à se montrer si sévère pour Tite-Live et à lui refuser tout crédit. Mais, direz-vous, nous rejetons ce témoignage, relatif à
la marche entre le Rhône et Les partisans de l'hypothèse du Petit Saint-Bernard croient trouver dans l'historien grec des données inconciliables avec le récit de l'historien latin, et cela sur trois points principaux : la marche en remontant le Rhône, la marche à travers le pays des Allobroges, la descente d'Annibal au pays des Insubres. Je ne crois pas avoir à revenir sur la discussion de ces trois points du récit de Polybe, et je puis la considérer comme une réponse suffisante. J'ajouterai quelques mots seulement. Les partisans de l'hypothèse du Petit Saint-Bernard cherchent à prouver qu'Annibal a traversé l'Île ou delta, compris entre le Rhône et l'Isère, c'est-à-dire le pays où nous trouvons les Allobroges au temps de César, et dont Vienne est la ville principale. Mais les deux historiens anciens disent seulement qu'il arriva vers l'île[23], et, si Polybe ajoute qu'il trouva dans l'île, deux frères qui se disputaient le pouvoir, il se peut que, sans y pénétrer, il ait réglé ce différend. Ainsi l'entendait M. Letronne, qui faisait, autorité, je crois, et comme critique et comme helléniste : il a suffisamment montré qu'aucune expression des auteurs anciens ne permet d'affirmer qu'Annibal ait remonté le Rhône plus haut que l'embouchure de l'Isère. Polybe dit, et nous avons expliqué ce qu'il faut entendre
par là, qu'Annibal, de l'Isère aux Alpes, parcourut le long du fleuve 800
stades. C'est, dit-on, du Rhône, et du Rhône seulement, qu'il est question.
Or, lorsqu'on mesure ces 800 stades, on n'arrive pas à l'entrée des Alpes,
mais à l'endroit où l'Ain et Où sont donc ces prétendues contradictions formelles entre Polybe et Tite-Live ? Sur quoi reposent-elles, si 'ce n'est sur la manière dont nous interprétons Polybe, tantôt prêtant à ses expressions une rigueur littérale que nous sommes obligés de désavouer nous-mêmes, tantôt essayant de lui faire dire plus qu'il ne veut dire, tantôt acceptant une donnée sans rétablir les détails et les explications qui la complètent. Qu'il faille pour comprendre la marche d'Annibal, fermer le livre de Tite-Live, voilà ce que je ne puis admettre. On a beaucoup dit, mais en réalité on n'a jamais prouvé que son récit n'était point digne de foi, ou qu'il était en contradiction avec celui de Polybe ; la persistance et la vivacité des attaques sont bien faites pour mettre en garde contre l'hypothèse qui veut qu'on l'écarte du débat. S'agit-il donc, pour arriver à une solution, de choisir à son gré les témoignages favorables, de rejeter les autres ? Non, mais de tenir compte de toutes les autorités et de les peser ; de lire nos deux grandes narrations avec un esprit exempt de prévention, qui les explique et les complète l'une par l'autre. Alors la conciliation s'accomplit, mais ce n'est pas en faveur de l'hypothèse du Petit Saint-Bernard. Voilà ce que, sans sortir de son cabinet, à ne considérer que les textes des historiens anciens et leur autorité relative, on peut se dire au sujet de l'hypothèse du passage d'Annibal par le Petit Saint-Bernard. Il resterait à la soumettre à un dernier contrôle, en cherchant comment elle répond aux descriptions des anciens. Si par un scrupule d'exactitude, ses partisans ont sacrifié Tite-Live, on est en droit d'attendre que, regardant Polybe comme seul digne de foi, ils n'éprouvent ni embarras, ni hésitation à expliquer sur les lieux mêmes les termes de la narration grecque. Il n'en est rien, cependant ce témoin, sur lequel ils ont cru pouvoir compter, qu'ils ne peuvent plus récuser, va protester contre eux. Je l'ai déjà dit, 800 stades parcourus le long du fleuve ne conduiraient pas à l'entrée des Alpes ; alors on va directement de Vienne à Aoste-Saint-Genis[24], et on trouve dans la vallée du Rhône, vers Penne, l'entrée des Alpes, au mont du Chat le théâtre de la première attaque. Mais il a fallu s'écarter de la donnée de Polybe. Et de ce point jusqu'aux plaines du Pô, il y aura 1.200
stades, dit Polybe. Mais il faut reconnaître aussitôt qu'il s'est trompé,
car, cet espace parcouru, nous nous trouvons dans les montagnes à Le passage du mont du Chat est des plus faciles : une pente à monter du côté du Rhône ; au sommet, une faible dépression, un petit vallon, une pente à descendre sur le lac du Bourget. Les auteurs qui placent ici la première attaque, font remarquer que le pays est des plus beaux, la vue charmante, ce que nous reconnaissons bien volontiers. Alors nous ne sommes pas dans ces lieux que les anciens ont appelés l'entrée des Alpes. Rien qui réponde au tableau tracé par Tite-Live[25] ; rien qui réponde aux données topographiques, si précises, si caractéristiques, du récit de Polybe. On nous montre une armée gravissant des pentes dont l'ennemi occupe les points culminants ; ce n'est pas ce que nous cherchons avec l'historien grec. Où est ce défilé où était engagée l'armée carthaginoise, Œil sont les abîmes Où sont ces difficultés au milieu desquelles l'armée courut de si grands dangers ? Où sont ces vallées où les Gaulois auraient pu, par surprise, l'anéantir ? Dès qu'Annibal s'est emparé des points les plus élevés, son armée peut passer, sans être inquiétée, ni à la montée, ni à la descente. Si les Gaulois ont précipité dans le lac hommes et bêtes de somme, comment Polybe, qui parle des abîmes, ne parle-t-il pas du lac ? Enfin la ville des Gaulois ne peut être Remenc, près de Chambéry, qui serait trop éloigné ; et si c'est au Bourget que les Gaulois s'étaient retirés pendant la nuit, comment, au matin, Annibal les en laissés sortir, alors qu'il était maître des hauteurs On a dit qu'Annibal avait remonté, non pas le Rhône, mais l'Isère. Alors il a parcouru, le long de cette rivière, jusqu'à Séez, 1.150 stades ; comment Polybe dit-il 800 ? Si l'on mesure 800 stades, seulement, on arrive vers Montmélian ; comment Polybe a-t-il placé l'entrée des Alpes, en ce point, dans cette belle et large vallée de l'Isère ? Annibal aurait été attaqué entre Aigueblanche et Moutiers, au mont Séran. Le défilé est long et difficile ; mais si Annibal s'est engagé d'abord sur la rive gauche, où l'on voit les vestiges d'une voie romaine, il pouvait tenter ensuite le passage par la rive droite, où est la route actuelle. Les Gaulois étaient obligés d'occuper et le mont Séran et la montagne qui est de l'autre côté de l'Isère, et, comme ces deux positions se rattachent l'une et l'autre à des chaînes prolongées et accessibles, elles peuvent être attaquées et franchies, le défilé peut être tourné, par la droite ou par la gauche ; ayant à défendre deux immenses fronts contre une armée plus nombreuse, les Gaulois auraient été aisément surpris et culbutés. Ce n'est pas ce front de Saint-Vincent, où le petit nombre avait l'avantage d'une position qui domine tout, barre la vallée et ne peut être tournée. Rien au mont Séran ne répond aux données de Polybe. D'ailleurs la première attaque aurait eu lieu, non pas à
l'entrée des Alpes, comme le veut Polybe, mais beaucoup trop loin de
l'endroit où le compte des 800 stades en a, à notre grand étonnement, fixé l'emplacement
; et elle aurait eu lieu beaucoup trop prés du pied du Petit Saint-Bernard,
où il faudra chercher la deuxième attaque. On ne pourrait comprendre Polybe
qui, entre les deux attaques, compte des journées de marche, pendant lesquelles
Annibal n'aurait eu parcourir que Les partisans de l'hypothèse du Petit Saint-Bernard s'accordent à placer la deuxième attaque au-dessus de Séez, à l'endroit où Annibal venait de quitter l'Isère et de s'engager dans le vallon du Reclus pour monter au Petit Saint—Bernard. Sur la rive gauche du Reclus on montre une roche blanche ; ce doit être la position sûre occupée par Annibal Ce qu'il y a en réalité, ce sont de vastes éboulements de bancs de schistes noirâtres de la montagne du Grand-Bois, et, dans ces schistes décomposés, des blocs de gypse d'un brun jaunâtre et des blocs de gypse blanc (gypse saccharoïde), dont la couleur réapparaîtra sous la main de l'homme ; tout cela dans un amas confus d'une teinte sombre. C'est la partie la plus basse des pentes du Grand-Bois ; on y est Par là même dominé, el la position serait loin d'être sûre ; on n'y serait pas à l'abri des Gaulois qui occuperaient les hauteurs. Le ravin du Reclus serait donc ce ravin profond ou s'était, d'après Polybe, engagée l'armée d'Annibal. Mais ce n'est pas un ravin dominé, d'un côté par une montagne, comme le disent nos deux historiens ; c'est un ravin encaissé entre deux montagnes. Du reste, ceux-là même qui nous y ont amenés hésitent, ne sont pas d'accord. Les uns disent, avec Polybe, que l'armée était dans le ravin ; d'autres, à l'aspect des lieux, rie le peuvent admettre. En effet, les nombreuses cascades du Reclus, les éboulements de la rive droite, et au-dessus de la pierre blanche, des éboulements sur les deux rives, le rendent absolument impraticable. Et comment aurait-on l'idée de s'y engager, quand on peut au Villars monter par des pentes garnies de prairies, Puis traverser le ravin, et de l'autre côté, continuer la montée par Saint-Germain Mais alors, dit un de nos auteurs, le poste qu'Annibal avait choisi devenait inutile pour protéger son armée ! Au passage du Petit Saint-Bernard, on est de toutes parts entouré de montagnes, et l'on est réduit à accuser de nouveau Polybe d'inexactitude. Comment a-t-il pu dire qu'Annibal montrait à ses soldats les plaines de l'Italie ? On voyait seulement, ajoute-t-on, que l'eau descendait, et qu'il n'y avait plus qu'à en suivre le cours ! Au moment où vers Un peu au-dessous de Supposons encore que ce passage étroit et ces avalanches
aient arrêté la marche d'Annibal : il n'avait alors qu'à remonter jusqu'à Ainsi nous ne rencontrons nulle part, à la descente du Petit saint- Bernard, les obstacles décrits par les anciens ; deux mauvais pas dont, on exagère la difficulté ne pouvaient arrêter Annibal qui les eût aisément franchis, plus aisément tournes, et n'expliqueraient pas les pertes considérables que fit dans cette partie de sa marche l'armée carthaginoise. Polybe dit que, le troisième jour après avoir franchi le
défilé, Annibal débouchait dans les plaines. Or, il y a de Pré-Saint-Didier à
Ivrée Enfin, Polybe ayant dit qu'Annibal s'était avancé vers le pays des Insubres, les partisans de l'hypothèse du Petit Saint-Bernard ont cru trouver dans ce texte un argument en faveur de leur thèse. Mais si Annibal a passé par les Alpes Grées, il est descendu au pays des Salasses. Or, nous avons d'autres textes de Polybe, et il y est dit qu'Annibal n'est pas entré en Italie par le pays des Salasses, qu'il est descendu chez les Taurini et a marché de là vers le Tessin. Et si Annibal était descendu par la vallée de Telle est cette hypothèse du Petit Saint-Bernard qui, dans l'antiquité, a contre elle tous les témoignages qui font autorité, qui suppose une contradiction absolue en Polybe et Tite-Live, et qui ne peut, sur place, donner des textes de Polybe une interprétation acceptable. Mise en avant par un Écossais, le général Melville, qui avait parcouru les Alpes en 1775, elle a été exposée par Deluc[27] ; plusieurs fois combattue par d'excellents critiques, parmi lesquels il faut compter M. Letronne et M. Larauza, elle a toujours trouvé de nouveaux défenseurs : en Angleterre, Wickham et Cramer[28] ; en Allemagne, Hander[29], Wijnne[30] ; en France, Larenaudière[31], M. Rossignol[32]. Annibal a-t-il remonté la vallée de l'Arc, la vallée qui conduit au Mont-Cenis ? Les partisans de cette hypothèse ne pourront, pas plus que ceux qui font passer Annibal par le Petit Saint-Bernard, concilier Polybe et Tite-Live. M. le colonel Perrin[33], tout occupé des questions de topographie, ne s'arrête pas à l'analyse et à la discussion des textes anciens ; il ne parait pas soupçonner la difficulté, cite Polybe et nomme à peine Tite-Live qui, dit-il, a copié servilement Polybe. Larauza[34] cherche à
rapprocher les deux auteurs, mais comment obtient-il une sorte de
conciliation ? En supposant que par le mot Druentia Tite-Live a désigné, non Robert Ellis[35] s'appuie sur le
seul témoignage de Polybe, et consacre un chapitre à la critique du récit de
Tite-Live ; mais il cherche en même temps à l'interpréter sur quelques
points, à ne l'avoir pas absolument contre lui. Avec Larauza, il traduit
Druentia par Drac, et place les Tricorii dans la vallée du Grésivaudan, en
étendant même leur territoire jusqu'à Allevard et aux montagnes qui dominent M. Maissiat[36] déclare dès l'abord qu'il y a un désaccord complet entre les deux historiens et qu'il faut opter entre leurs récits. Après avoir pris Polybe pour seul guide, il consacre la troisième partie de son ouvrage, quatre-vingts pages environ, à la critique du récit de Tite-Live, concernant l'expédition d'Annibal, et résume son appréciation en citant ces mots de Polybe : Si de l'histoire on ôte la vérité, à quoi sert-elle ? à rien. Si Annibal a passé par la vallée de l'Arc, où sont les différents points de sa marche ? La rivière près de laquelle il s'est arrêté après avoir,
pendant quatre jours, remonté le Rhône, c'est l'Isère pour les uns, pour
d'autres L'île, c'est le pays compris entre l'Isère, le Rhône et le
massif de Annibal remonte le Rhône pour aller passer au mont du
Chat, suivant celui-ci ; au mont de l'Épine, suivant tels autres ;
quelques-uns pensent qu'il a remonté l'Isère, d'autres qu'il a pris, entre le
Rhône et l'Isère, par Vienne, Pont-de-Beauvoisin et le passage des Échelles,
ou par la plaine du Grand-Lemps, la vallée de M. Maissiat suppose que la première attaque a eu lieu au mont de l'Épine, et que la ville prise par Annibal était Lémenc. Suivant Larauza et Ellis, il a remonté l'Isère ; mais dans la vallée de cette rivière ils ne trouvent rien qui réponde aux récits des anciens et ils s'en écartent, Ellis, pour chercher, dans la vallée qui de Concelin et du Cheylas conduit à Allevard, l'emplacement de la première attaque ; Larauza, pour placer l'entrée des Alpes à Malataverne, au sud-ouest de Chamousset, et la première attaque à l'entrée de la vallée de l'Arc, vers Aiguebelle. Suivant M. le colonel Perrin, Annibal qui à passé par le mont de l'Épine, traverse l'Isère vers Montmélian, s'engage dans la montagne à Hauteville et à Chamoux, pour retomber sur l'Arc à Saint-Alban, est attaqué par les Gaulois à Montandry. La deuxième attaque a eu lieu, d'après Ellis, à Larauza et M. Maissiat sont pour le passage du Grand
Mont-Cenis ; Ellis pour celui du Petit Mont-Cenis ; M. le colonel Perrin
suppose que, près du col du Petit Mont-Cenis, Annibal a pris à flanc de montagne
pour aller au col du Clapier ; enfin, Albanis Beaumont[38], renvoyant du
reste à ceux qui s'occupent de ces sortes de
recherches, émet l'avis qu'Annibal aurait pu remonter par
Lans-le-Bourg et Lans-le-Villard jusqu'à Bessan, et de là prendre par le val
de Vice, pour descendre vers Turin par la vallée de Larauza, Ellis, M. Maissiat font descendre Annibal du
Mont-Cenis à Suze par la vallée de Ainsi, ceux qui ont été d'avis qu'Annibal a passé par la vallée de l'Arc n'ont pu, sur aucun point, se mettre d'accord ; sur chaque question, chacun d'eux présente son hypothèse, à laquelle s'opposent aussitôt trois ou quatre autres solutions de même valeur ; on ne sait vraiment auquel entendre ; cette divergence des opinions et ces contradictions accumulées font pressentir que les lieux qu'on nous décrit ne sont pas ceux par où Annibal a passé, et on est un peu embarrassé d'avoir à exposer et à discuter tant d'opinions diverses. M. Maissiat, prenant pour base le calcul des distances que l'armée carthaginoise aurait pu parcourir en quatre journées à partir de l'embouchure du Rhône, suppose qu'elle traverse ce fleuve au-dessus de l'embouchure de l'Ardèche, entre Bourg-Saint-Andéol et Pierrelatte. Mais il est peu probable qu'elle ait franchi l'Ardèche, et d'ailleurs, d'après Polybe et Tite-Live, le point du passage du Rhône est à quatre journées de la mer et à quatre journées de l'Isère, c'est-à-dire à moitié chemin entre l'une et l'autre. Nos deux historiens disent qu'ayant remonté le Rhône
pendant quatre journées, Annibal arriva sur les bords de l'Isère ; M.
Maissiat[39],
qu'après avoir remonté le Rhône pendant sept journées, il arriva sur les
bords de Pour lui, l'Ile serait le pays entre le Rhône et Mais comment ce pays aurait-il été appelé l'Ile, alors
qu'il n'a au nord aucune limite précise, qu'il s'étend dans le vaste bassin
de Si l'Ile, dit M. Maissiat, était le pays compris entre le
Rhône, l'Isère et le massif de Polybe dit que du point où Annibal traversa le Rhône au point où il entra dans les Alpes il y avait 1.400 stades, et ensuite, après avoir amené Annibal près de l'Ile sur les bords de l'Isère, il dit que de ce point il parcourut 800 stades pour arriver à l'entrée des Alpes. Il en résulte que du point du passage du Rhône jusque sur les bords de l'Isère il y avait 600 stades. Voilà ce que n'a pas remarqué M. Maissiat. S'il avait tenu
compte de cette donnée de Polybe, il aurait eu, sur la ligne suivie par Annibal,
un point précis, les bords de l'Isère ; il aurait déterminé plus exactement
l'endroit où le Rhône a été traversé, il ne se serait pas trompé au sujet de
nie ; il n'aurait pas conduit Annibal à Lyon ; il n'aurait pas eu à se
demander quelle était la distance parcourue par l'armée carthaginoise en une
journée de marche et à interroger à ce sujet Végèce ! Annibal en quatre
journées parcourut 600 stades, ce qui donne à peu près Mais M. Maissiat s'en prend à Polybe, qui, se mettant en contradiction avec lui-même, aurait dit tantôt qu'il y avait 1.400 stades, tantôt qu'il y en avait 800, entre le point du passage du Rhône et l'entrée des Alpes. Ne sachant comme opter entre ce qu'il appelle ces deux leçons contradictoires, dont l'une serait une erreur de lecture des manuscrits, M. Maissiat reporte successivement ces deux distances sur la carte ; à 800 stades, il est non loin de Vienne ; à 1.400 stades, il est vers Aoste-Saint-Genis, il peut dire qu'il est vers l'entrée des Alpes, ce qui oblige, ajoute-t-il, à rectifier la leçon de huit cents stades et à y rétablir la leçon précédente de quatorze cents stades, s'appliquant au même trajet. Il ne s'agit pas du même trajet, et il n'y a rien à rectifier. Annibal arrive par Novalaise, au pied de la chaîne de
l'Épine, qui est occupée par les Gaulois ; il établit successivement deux
campements entre Novalaise et la montagne. La nuit venue, il s'empare des
positions que les Gaulois ont abandonnées, et, après avoir monté environ Voilà, pour un mouvement qui se fait pendant la nuit, de bien longues marches et bien difficiles. Les anciens disent qu'Annibal occupa les hauteurs et engagea le gros de son armée dans le défilé ; où est le défilé ? Ils disent que les Gaulois avaient eu le tort de ne pas occuper des vallons d'où ils auraient pu se jeter, par surprise, sur les Carthaginois. Ici il eût été impossible à un si grand nombre d'Allobroges de se tenir cachés sur les rochers nus où ils durent prendre position pour dominer le chemin de la corniche. Si les Gaulois, comme dit M. Maissiat, s'étaient retirés à
Lémenc, la distance qu'ils auraient eu à parcourir deux fois dans la nuit eût
été bien longue, et ils auraient eu à descendre, puis à monter Comment Annibal qui, avec des troupes d'élite, s'est rendu maître de la chaîne de l'Épine, Annibal qui commande les pentes par où les Gaulois peuvent y avoir accès, les laisse-t-il revenir au matin et occuper de nouveau les hauteurs ? Comment les laisse-t-il s'insinuer sur le dos de la montagne et tout le long du chemin, particulièrement au-dessus de la corniche... attaquer de plusieurs côtés à la fois cette partie de l'armée qui monte par le chemin... et surtout l'accabler de blocs de rocher tout le long de la corniche ? Enfin Annibal tombe d'en haut sur les ennemis ; pourquoi n'est-il pas tombé d'en haut sur eux, lorsque le matin ils revenaient de Lémenc et remontaient les pentes de la chaîne de l'Épine ? M. le colonel Perrin fait également passer Annibal par le mont de l'Épine. Il faut rappeler ici, il faut lui opposer et opposer à M.
Maissiat ce que nous avons dit au sujet de l'hypothèse du Petit Saint-Bernard
: Annibal n'aurait pas passé par le pays des Tricorii, il n'aurait pas traversé
Les habitants de l'Ile auraient, d'après M. le colonel Perrin, abandonné Annibal au pied du mont de l'Épine ; ils ne l'auraient donc accompagné, escorté, que dans leur propre pays, alors que leur secours lui était inutile ; ce n'est pas ce que disent nos deux historiens. M. le colonel Perrin suppose qu'avant ce que nous appelons la première attaque (et il la place à Montandry, au delà de Montmélian) il y eut, au mont de l'Épine, un combat meurtrier, et que les Gaulois n'ont cessé de harceler Annibal alors qu'il côtoyait les Beauges, alors qu'après avoir traversé l'Isère, il longeait la crête de Montmayeur. Tout ceci est formellement contredit par les deux auteurs anciens. Ellis fait remarquer que Polybe compte par centaines de
stades et se croit par là même autorisé à ne pas calculer trop rigoureusement
les distances. Au lieu de parcourir le long de l'Isère 800 stades, ce qui le
conduirait à Malataverne, vers Chamousset, il quitte la vallée du Grésivaudan,
vers Goncelin, n'ayant fait que 127 ou Annibal aurait été attaqué au moment où il venait de s'engager dans la vallée qui conduit à Allevard ; mais cette vallée du Fay ne répond nullement aux données des anciens ; les Gaulois auraient eu à occuper, non pas une situation dominante, mais les montagnes qui sont des deux côtés de la vallée. S'il y a sur la rive gauche un rocher qu'il a fallu couper pour établir la route, ce n'était pas un obstacle suffisant et on pouvait passer par la rive droite ; les hauteurs qui la commandent auraient été aisément occupées par Annibal. Mais on se demande pourquoi Annibal a quitté la vallée de l'Isère pour faire ce détour invraisemblable ; on se demande pourquoi il n'est pas revenu à cette vallée, quand il a vu que les Gaulois lui fermaient le passage. Ellis suppose qu'il y avait, dans la vallée de l'Isère, des marais ; auraient-ils présenté autant de difficultés que les défilés où Annibal s'engagea, auraient-ils créé des dangers aussi sérieux que l'attaque des Gaulois Ce qu'Ellis n'a pu trouver le long de l'Isère, dans cette vallée large et ouverte, il est allé le chercher en jetant, contre toute vraisemblance, Annibal dans les gorges du Fay et du Bréda. D'après M. le colonel Perrin, l'entrée de la vallée de l'Arc jusque vers Aiguebelle était impraticable, et l'armée carthaginoise, qui était établie à Hauteville, dut à Chamoux prendre par le col de Montandry, le seul qui fut abordable. Cette gorge a dû être très fréquentée
jusqu'à l'occupation romaine, car c'était le chemin le plus court et le
meilleur, pour passer de Chamoux, qui
est dans la vallée du Gélon, à Saint-Alban et Corbière, dans la vallée de
l'Arc. — Mais il est permis de douter que ce passage ait été jamais très
fréquenté, car pour aller de Chamoux, qui est à 320m, à Corbière, qui est à
378m, il faut monter au col, qui est à 1.245m, franchir un petit vallon,
remonter au col du Grand Cucheron, 1.202m, ou au col du Petit Cucheron, 1.236m. Si la gorge était très étroite à sa partie inférieure, dit
M. le colonel Perrin, la vallée était très large et
très ouverte à partir de 500m d'altitude. — On cherche vainement sur
la carte de l'état-major cette partie très large et très ouverte. La vallée
de Montandry a partout des pentes fort raides ; elle est profondément
encaissée entre des crêtes dont les cotes sont 1.276, 1.320, 1.374, 1.345, 1.338m
; ces crêtes forment un grand cirque, un grand fer à cheval, ouvert seulement
du côté de l'ouest, et entre celles du nord et celles du sud la distance
n'est pas de plus de Il fallait aborder de front le
seul passage qui fut praticable. — Est-ce bien établi ? Sait-on, d'une
manière positive, quel était le cours de l'Arc, quel était l'état de la
vallée entre Chamousset et Aiguebelle en l'an 218 avant notre ère ? S'il
était impossible de s'y engager, ne pouvait-on tourner les positions de
Montandry, en passant à droite par Annibal, qui était à Hauteville, s'avance jusqu'à Chamoux ; voilà les deux campements. Si, pour se rapprocher des hauteurs, il était allé camper vers Montandry, il se serait fait écraser ; mais il est difficile d'admettre qu'il ait pu de Chamoux monter, pendant la nuit, jusqu'à des crêtes qui sont si élevées, s'emparer même de la crête qui est arrière et du col du Petit Cucheron. Si Annibal est maître des hauteurs, il descendra dans la vallée de l'Arc sans qu'il soit possible de l'inquiéter. Mais M. le colonel Perrin suppose que les Gaulois se sont emparés, le matin, du col du Grand Cucheron et de la crête de Mont Fauge, au midi de Montandry, crête que les Carthaginois ne pouvaient garnir complètement. Or, d'après Polybe et Tite-Live, les Gaulois, quand ils sont revenus le matin, n'ont pu réoccuper les hauteurs ; ils se sont engagés à flanc de montagne, dominés par Annibal et par une troupe d'élite. Les Gaulois battus, dit M. le colonel Perrin, furent rejetés dans le fond de la gorge. Ce n'est pas ce que disent nos deux historiens ; ils ne disent pas non plus que le gros de l'armée carthaginoise montait vers des cols, mais qu'il était engagé dans un défilé. Corbière serait la ville de ces Gaulois, la ville dont
Annibal s'empara. M. le colonel Perrin dit que des hauteurs qui dominent Montandry,
on pouvait descendre en trois quarts d'heure au plus à Corbière, et que, pour des races aussi vigoureuses et aussi habituées aux montagnes,
il leur fallait bien deux heures pour venir reprendre leurs postes. N'oublions
pas que la différence de niveau entre les crêtes de Montandry et Corbière est
de Suivant Larauza, Annibal a quitté l'Isère, en face de
Montmélian, à La première attaque aurait eu lieu vers Aiguebelle. Larauza nous dit bien qu'il était possible de camper dans la vallée, mais il ne précise rien, ni au sujet de la marche d'Annibal qui a pu remonter l'Arc par les deux rives simultanément, ni au sujet des positions qu'auraient occupées les Gaulois sur le flanc des montagnes des deux côtés de la vallée ; il ne rencontre, en effet, rien qui réponde aux données topographiques des anciens et aux péripéties de la lutte engagée entre les Gaulois et les Carthaginois ; quant à la ville prise par Annibal, il se borne à dire qu'on aperçoit des villages jetés çà et là dans ces montagnes et que cette ville devait être située par là. Cette ville, suivant Mann[40], ce serait Saint-Jean-de-Maurienne. Mais alors quel serait, à quelques kilomètres, le point où Annibal avait été attaqué par les Gaulois ? Suivant Ellis., la deuxième attaque aurait eu lieu entre
Saint-Martin-de-la-Porte et Saint-Michel. Sur la rive gauche, des rochers escarpés,
de grande élévation, sont battus par les eaux rapides de l'Arc et ne laissent
aucun passage. Sur la rive droite, un chaînon détaché des montagnes qui
séparent Il ne s'agit pas de savoir si ce passage présente quelques
difficultés, mais si ces difficultés sont celles qui ont été signalées par
Polybe et par Tite-Live. Ils disent qu'Annibal était engagé dans un défilé dominé
par une montagne aux flancs de laquelle étaient les Gaulois, qui faisaient
rouler des pierres, et qu'il occupa, en dehors de leurs atteintes, une
position sûre. Ici il a devant lui une ligne de hauteurs formant un vaste
front. S'il ne peut passer au Pas du Roc, le long de la rivière, à l'endroit
où sont aujourd'hui la route et le chemin de fer, il peut passer au Pas de Du reste, Ellis a placé cette attaque beaucoup trop loin du col par lequel Annibal a franchi les Alpes. M. le colonel Perrin prend la traduction de Polybe, par
Dom Thuillier, et y lit qu'Annibal fut attaqué quand
on fut entré dans un vallon qui, de tous côtés, était fermé par des rochers
inaccessibles ; or, dit-il, il n'y a dans
toutes les Alpes que la chaîne rocheuse de l'Esseillon qui satisfasse au
récit de l'historien grec, car la vallée de l'Arc est complètement fermée en
travers depuis l'Aiguille de Scolette jusqu'à Mais Polybe ne parle pas du tout d'un vallon fermé de tous
côtés par des rochers inaccessibles ; il nous montre les Carthaginois engagés
dans un ravin difficile, escarpé, dans un défilé creusé par les eaux, et Tite-Live
dit de même : dans un passage étroit dominé d'un
côté par une montagne. Les données topographiques des anciens sont très simples : un ravin, une montagne qui le domine, une position où l'on est à l'abri. Et de même l'histoire du combat est très simple ; Les Carthaginois sont engagés dans un défilé, dans un ravin au pied d'une montagne ; les Gaulois qui occupent les pentes de cette montagne jettent des pierres, font rouler des rochers, et il est évident que leur position est telle qu'Annibal ne peut les attaquer, les en déloger ; il occupe, avec la moitié de ses troupes, en dehors de leurs atteintes, une position sûre ; il les repousse quand ils descendent jusqu'au ravin et viennent couper son arillée ; il défend son arrière-garde menacée et il assure le passage de ses troupes. D'après M. le colonel Perrin, les Gaulois, venus par
Amodon, attaquent Annibal au moment où son arrière-garde arrive à hauteur du
Bourget ; il dispose ses troupes entre l'Arc et Chatelania, sur un front de
bataille qui peut avoir 800 à Tel aurait été ce combat, bien différent de celui qu'ont décrit les anciens. En en lisant le récit, on se demande notamment comment les Carthaginois auraient été plus à l'abri en descendant à Avrieux, et surtout ce que faisait Annibal, avec 'la moitié de son armée, sur son rocher prés du Bourget, pendant que le reste de ses troupes et ses convois étaient engagés entre le Bourget et Aussois, comment il pouvait leur porter secours, protéger leur marche et repousser les attaques des Gaulois qui, maîtres des pentes de la montagne, dominaient la ligne suivie par les Carthaginois. On se demande enfin pourquoi Annibal ne suit pas la rive gauche de l'Arc, pourquoi il ne remonte pas la vallée par les deux rives. Il y avait, nous dit-on, des escarpements infranchissables en face d'Amodon ; mais Annibal aurait fait ce qu'il fait à Amodon où le rocher qui porte le village est à pic et vient plonger dans l'Arc. Il aurait, nous dit-on, rencontré des difficultés ;
auraient-elles été plus grandes que celles qu'a présentées la rive droite
Suivons un peu sa marche, en prenant quelques cotes sur la carte de
l'état-major. Il est à Saint-André, Je le demande de nouveau : la marche sur la rive gauche, par Modane et Villarodin, aurait-elle présenté d'aussi grandes difficultés ? Annibal se serait-il engagé sur ces pentes de la rive droite, si tourmentées, coupées par des ravins si profonds, où les Gaulois ont tout l'avantage des positions et peuvent si aisément l'empêcher de monter au plateau d'Aussois, c'est-à-dire de sortir du cul-de-sac où il se serait enfermé ? M. Maissiat dit comme M. le colonel Perrin, c'est-à-dire comme Dom Thuillier, qu'Annibal arriva vers un vallon qui de tous côtés était fermé par des rochers inaccessibles, et ce vallon, pour lui comme pour M. Perrin, c'est le passage que commande l'Esseillon. Mais, d'après lui, l'armée carthaginoise est sur la rive gauche et elle est échelonnée de Saint-André à Sollières-Envers, au-delà de Bramans, sur une ligne d'une vingtaine de kilomètres. Les Gaulois occupent les pentes des montagnes et s'avancent en suivant la marche des Carthaginois, jetant des pierres, faisant rouler des rochers. Annibal s'établit, avec la moitié de son armée, sur un
rocher fort et découvert... sur les assises rocheuses qui bordent la rive droite de l'Arc,
vis-à-vis Sollières-Envers, dans l'étendue d'environ De cette position dominante, dit M. Maissiat,... le regard d'Annibal embrasse toute l'étendue du désordre ; il veille sur le passage de ses convois ; les fait défiler sous ses yeux. En réalité, Annibal ne pouvait voir que ce qui était au plus près, il ne pouvait voir ce qui se passait dans les endroits les plus difficiles, notamment au passage du Nant, en face de l'Esseillon ; et si, en prenant position sur la rive droite, il s'est mis en sûreté, il s'est mis aussi dans l'impossibilité de protéger la marche des siens, de leur porter secours, de repousser les Gaulois sur les points où ils sont descendus pour couper la marche de son armée. Mais, dit M. Maissiat, Bramans est non loin, Bramans dont le nom évoque un souvenir de cris de détresse et d'alarme à l'endroit où s'était établi Annibal est une chapelle de Notre-Dame-de-Pitié, et il y était entre deux ruisseaux qui, par la plus amère et la plus gauloise des ironies, s'appellent les ruisseaux de Bonne-Nuit ! Suivant Larauza, la deuxième attaque a eu lieu entre Thermignon et Lans-le-Bourg, à l'endroit où la vallée est plus resserrée, où il y a sur la rive gauche des escarpements rocheux ; au-dessus de ces escarpements serait le rochier blanc, la position où, l'on peut être à l'abri des attaques. Mais les Gaulois auraient occupé, à droite„et à gauche, les grandes pentes continues qui dominent la rivière et ce escarpements rocheux ; Annibal se serait engagé des deux côtés pour les combattre et faire passer son armée, ce qui est contraire au récit des historiens anciens, et la position qu'il aurait prise au-dessus des escarpements de la rive gauche, dominée par de longues pentes, n'aurait pas été une position sûre. Larauza et M. Maissiat supposent qu'Annibal a remonté la vallée de l'Arc jusqu'à Lans-le-Bourg et passé le Mont-Cenis ; Ellis le fait passer par le Petit Mont-Cenis, c'est-à-dire par un col plus élevé et de plus difficile accès, où le sentier est tantôt taillé en corniche, tantôt supporté par des murs de soutènement. Les uns et les autres font camper Annibal sur le plateau du Mont-Cenis, aux bords du lac, et disent qu'il n'est pas impossible, en s'élevant quelque peu, d'entrevoir, par quelque échappée, les montagnes qui s'abaissent vers l'est et la vallée qui conduit vers les plaines. La possibilité de répondre sur ce point aux données des anciens est un des grands arguments des partisans du Mont-Cenis. On pourrait de Corna-Rossa, dit Larauza, avoir cette vue. C'est du col même, en se portant un peu à droite ou un peu à gauche, que M. Maissiat croit apercevoir les plaines du Pô et la direction de Rome, et, après avoir cité Polybe : ce texte, dit-il, est décisif dans la question du véritable itinéraire d'Annibal. En conséquence, nécessairement c'est par le col du Mont-Cenis qu'Annibal a franchi la ligne de faite des Alpes. M. le colonel Perrin donnera la même importance à ce texte de nos auteurs et démontrera que c'est nécessairement par le col du Clapier qu'Annibal est entré en Italie. Sur les bords du lac du Mont-Cenis, il y a quelques mamelons boisés, et la forêt qui domine Lans-le-Bourg s'élève jusqu'à la hauteur du col (2.055m) et même jusqu'à 2.200m. Nous n'atteignons pas cette région dépourvue d'arbres dont parle Polybe et aussi ne trouverons-nous pas, sous la neige nouvelle, les neiges persistantes. Suivant Larauza, la première partie de la descente de M. Maissiat cherche vainement de la plaine Saint-Nicolas à
Lorsque Polybe, dans les termes les plus précis, dit qu'Annibal, rencontrant un obstacle qu'il ne pouvait franchir, essaya de le tourner, mais en fia, empêché par la neige qui venait de tomber et par la neige de l'hiver précédent, et qu'il dut renoncer à son projet, M. Maissiat, laissant de côté le texte, transcrit la traduction de dom Thuillier : La première pensée qui vint à Annibal fut d'éviter le défilé par quelque détour ; mais la neige ne lui permit pas d'en sortir. Il y fut arrêté... Ainsi, de la tentative que lit Annibal pour tourner la barricade, pas un mot ; et, comme on ne trouve pas la neige des hivers précédents, il est entendu que Polybe s'est trompé, et il s'est trompé parce qu'il a voulu faire parade d'une vaine science : L'explication présentée par Polybe ne me semble pas pouvoir supporter l'épreuve de la critique. Il ne s'agit pas d'une explication générale et scientifique des phénomènes que présente la neige sur les hauts sommets des Alpes ; explication sur laquelle il ne conviendrait point d'être sévère, vu l'état des sciences physiques à l'époque ou Polybe écrivait. Reconnaissons donc, nonobstant ce texte, que sur le chemin suivi par Annibal à la descente des Alpes, il existait seulement de la neige nouvellement tombée. Ellis, qui prend plaisir aux difficultés, qui a supposé
qu'Annibal avait quitté la vallée de l'Isère pour s'engager dans les gorges
du Fay et du Bréda, qu'il avait passé par le Petit Mont-Cenis, a ici l'idée
la plus invraisemblable, la plus étrange : Annibal aurait passé Sur la rive gauche, prodigieusement escarpée au-dessus de
l'abîme où est Busching, dit Ellis, faisait certainement allusion à ce chemin de la rive gauche, lorsqu'il disait qu'avant les travaux exécutés par ordre d'Emmanuel III, la descente présentait des passages dangereux et n'avait parfois qu'un pied de large. Mais Busching parlait tout simplement du mauvais état où était le chemin connu, fréquenté, celui de la rive droite, avant qu'il Rit réparé par Emmanuel III. Ellis dit que les gens du pays font encore usage de ce
chemin de la rive gauche[44]. Il faut
s'entendre : on m'adjura de ne point essayer d'y passer ; le syndic de Mais comment expliquer celte folle tentative d'Annibal,
quand la rive droite lui offre plus d'un passage naturel, relativement très
facile, quand il peut descendre, soit par la ligne de l'ancienne route, sur le
mamelon de Biolay qui domine Et rencontrera-t-on, en suivant Ellis, quelque chose qui réponde aux données des anciens. Peut-il nous montrer l'endroit où
Annibal campa[45]
pendant qu'on attaquait de main d'homme le rocher qui faisait obstacle, les
passages par oïl il avait essayé de tourner, les neiges des hivers précédents
qui le forcèrent à renoncer à cette tentative ? Mais rien, absolument rien.
Les grandes avalanches qui descendent de Saint-Pancrace, du Rimalle,
descendent, l'une en avril, l'autre en mars, remplissent momentanément le lit
de Comprend-on qu'Annibal, suivi de ses soldats, de sa cavalerie, de ses bêtes de somme, de ses éléphants, se fût engagé dans ces pentes effroyables et ces couloirs d'avalanches, se livrant ainsi à des fantaisies à peine pardonnables chez un touriste ? Les excentricités n'étonnent pas Ellis. Ne dit-il pas que
César, se rendant en Gaule pour combattre les Helvètes, a passé, comme Annibal,
par le Petit Mont-Cenis, qu'il a quitté la vallée de l'Arc pour aller, par le
col de Glandon, dans la combe d'Olle, et de là rejoindre, par le col de Suivant M. le colonel Perrin, Annibal s'est engagé dans la
vallée d'Ambin, est monté par les lacets du Petit Mont-Cenis, qui étaient exactement à cette époque ce qu'ils sont
aujourd'hui (comment le sait-on ?).
Au dernier lacet, Certes, dit M. le colonel
Perrin[46], si Polybe ne nous eût pas dit que, du haut des Alpes, le
général carthaginois avait montré l'Italie à ses soldats, il nous aurait été
complètement impossible de déterminer sa marche ; mais ce renseignement si
précis est le phare lumineux qui a guidé nos recherches et fixé toutes nos
indécisions. Annibal reste deux jours campé dans le haut du vallon de Savines. Y avait-il dans ce vallon l'espace suffisant pour un campement ? A la descente vers l'Italie les pentes étaient fort
raides, et, comme la neige venait de tomber, elles ne laissaient pas de
présenter certain danger. Le passage infranchissable décrit par les anciens
serait vers la cote 1.800m, c'est-à-dire environ Ainsi on nous dit que, dans les pentes du clapier, il y a
un point où la pente est plus raide, cela sur une hauteur d'environ Ainsi les partisans de l'hypothèse du Mont-Cenis ne peuvent donner des textes de nos deux historiens une interprétation quelque peu acceptable, et si, en général, ils sont portés à sacrifier Tite-Live à Polybe, ils sont réduits parfois à accuser Polybe lui-même d'inexactitude. Ils cherchent vainement, ils ne rencontrent nulle part des lieux qui répondent aux données des anciens, et l'impossibilité où ils sont, de mettre d'accord, sur chaque point, des contradictions qui déconcertent l'esprit, montrent assez que leur hypothèse est en dehors du vrai. D’Anville, Gibbon ont supposé qu'Annibal avait passé par
le mont Genèvre et par la vallée de M. Letronne s'éleva contre ceux qui veulent voir entre les données de Polybe et celles de Tite-Live une contradiction absolue, et montra que, pour étudier la marche d'Annibal, il fallait invoquer les témoignages des deux historiens en s'appliquant à les concilier ; il fixa la situation de l'Ile, fit remarquer que rien n'autorisait à affirmer qu'Annibal y avait pénétré et que l'on ne pouvait savoir quelles étaient, au temps d'Annibal, les limites du territoire des Allobroges ; il établit que les expressions de Polybe relatives à une marche le long du fleuve ne pouvaient être prises dans leur sens latéral et indiquaient une direction générale, et d'autre part que, dans l'énumération des passages des Alpes par Polybe, les mots ήν Άννίβας διήλθεν, sont de Polybe, et non de Strabon, comme le voulait Deluc il ramena à leur vrai sens et à leur vraie valeur les témoignages de Huitprand et de Paul Jove, sur lesquels les partisans du Petit Saint-Bernard croyaient pouvoir s'appuyer ; quant à l'existence, prés de Pont-de-Beauvoisin, d'une localité nommée Passage, quant au fameux bouclier d'Annibal, trouvé dans les environs, et qui n'est qu'un de ces plats ou plateaux qui ornaient les buffets des riches : dans l'état actuel de la critique, dit M. Letronne, ce n'est point, sur de pareils faits, ou faux, ou mal interprétés, ou soumis à une multitude de chances d'incertitudes et d'erreurs, qu'il convient de s'en reposer pour une question de la nature de celle-ci. Il semble que, grâce à l'intervention d'un savant, d'un critique tel que M. Letronne, un certain nombre de points était désormais acquis. Et cependant combien d'erreurs, signalées par lui, ont été depuis reproduites, et ne voyons-nous pas, jusqu'à une date récente, invoquer, comme un argument, la découverte du fameux bouclier ? L'opinion que présentait M. Letronne, au sujet de la marche d'Annibal, n'avait pas la même valeur que ses observations critiques, et demeure très contestable. Suivant lui, Annibal remonta d'abord l'Isère jusqu'au
confluent du Drac ; là, il aurait pris sur sa droite, et si Tite-Live dit sur
sa gauche, ad lævam, c'est, en effet,
à la gauche par rapport à Tite-Live, par rapport à Rome ; Annibal serait
arrivé à l'entrée des Alpes, vers Saint-Bonnet, aurait atteint M. Letronne n'a donné qu'une sorte d'esquisse ; il s'est borné, sans entrer dans les détails, à indiquer une solution qui semble avoir l'avantage de concilier les récits de Polybe et de Tite-Live. Il n'est pas allé dans les Alpes et il ne se croit pas obligé de déterminer, d'une manière précise, les lieux où Annibal a été attaqué et ceux où les difficultés de la descente lui ont fait courir de si sérieux dangers. Ces difficultés, on les a cherchées au pas de Faire passer Annibal par le mont Genèvre et la vallée de La plupart des partisans de l'hypothèse du Mont-Genèvre
ont pensé qu'au lieu de suivre la vallée de Par où Annibal est-il allé des bords du Rhône aux bords de
Suivant le chevalier de Folard, Annibal a quitté la vallée de l'Isère vers Grenoble, est allé à Briançon par le Mont-de-Cana, où il y eut un premier combat contre ceux du pays, et par le col du Lautaret. Mais, si Annibal a remonté la vallée de Le général de Vaudoncourt ne peut admettre qu'Annibal ait
passé par la vallée de De Tallard, Annibal remonte Ainsi il y a d'une part la ville principale, d'autre part, la ville où se retiraient la nuit ceux qui ont attaqué Annibal, ville dont on ne fait, pas connaître la situation. Le combat a lieu dans des conditions qui ne sont nullement
celles qu'indiquent les auteurs anciens ; il se réduit à une tentative que
font les Gaulois pour couper l'armée carthaginoise au passage de l'Avance ;
de Vaudoncourt ne nous montre pas les campements successifs d'Annibal, les
Gaulois engagés à flanc de montagne, faisant rouler les pierres pour
précipiter les Carthaginois dans les abîmes ; il ne nous fait pas assister
aux péripéties de cette grande lutte ; si l'abîme n'était autre que le lit de
Suivant le comte Fortia d'Urban, l'Ile serait comprise
entre l'Aygues et Annibal a laissé à sa gauche le pays des Tricastins (c'est ainsi que Fortia d'Urban traduit ad lævam in Tricastinos flexit) ; se portant vers l'orient, il a remonté, non pas la vallée du Rhône, comme le disent Polybe et Tite-Live, mais la vallée de l'Aygues. Il n'a pas marché quatre jours de suite, έξής, mais il a, pendant quatre jours successivement, έξής, mis en marche les différentes parties de son armée. Il n'y a pas à tenir compte de l'indication des distances
parcourues le long du Rhône ; tous ces calculs ne
sont qu'approximatifs et ne peuvent servir de base à un raisonnement
rigoureux. Si Polybe dit qu'Annibal parcourut d'abord 600 stades en
remontant le Rhône, puis 800 stades du Rhône à l'entrée des Alpes, Fortia
d'Urban lui fait parcourir d'abord 800 stades des bords du Rhône à Mons Séleucos,
C'est ainsi que Fortia d'Urban, après avoir annoncé l'intention de concilier Polybe et Tite-Live, ne cesse de les accuser d'inexactitude. De la vallée de l'Aygues Annibal aurait, par celle du
Buech. Atteint le pays des Tricorii, puis il aurait traversé trois fois De Vaudoncourt et Fortia d'Urban supposent qu'Annibal a
remonté Du reste, le mestre de camp n'accepte pas plus l'autorité de Polybe que celle de Tite-Live, et au sujet des 800 stades, il écrit ces 800 stades, sans qu'il soit besoin d'évoquer l'ombre de Polybe pour nous tirer d'embarras, seront une imagination, une faute des copistes, dont mon auteur se moquerait, s'il mettait la tête hors de son tombeau. Tout autre est le langage du général de Vaudoncourt, et ce
n'est pas sans quelque plaisir qu'on lit ce qu'il a écrit[50] au sujet de
Polybe et de Tite-Live, quelques années avant la publication des deux mémoires
de M. Letronne : j'ai tâché d'accorder mes deux
guides, ou, pour mieux dire, j'ai cherché à prouver qu'ils ne s'écartaient
pas l'un de l'autre quand au fond. Le Grec écrivit laconiquement tout ce qui ne
tient ni à la tactique ni à la stratégie... et
comme il travailla sous les yeux des Scipions, et qu'il était presque
contemporain, il dut se servir de matériaux très exacts. Aussi, je l'ai suivi
religieusement dans toutes les narrations militaires. Cependant la concision
qu'il s'était prescrite, ne lui permit pas de rapporter toutes les
circonstances intermédiaires qui servent à la liaison des faits... les commentateurs, qu'on me permette de le dire, plus
attachés à la lettre qu'au sens de leur auteur, nièrent tout ce qu'il n'avait
pas dit, et plutôt que de chercher dans Tite-Live les moyens de remplir les
lacunes que l'auteur grec avait volontairement laissées, chacun taxa le latin
de mensonge et d'ignorance. Tite-Live cependant a non seulement puisé ses matériaux
dans Polybe, mais il avait sous les yeux Cincius Alimentus, Cælius et les
Archives de Au sujet de la marche entre Briançon et les plaines du Pô,
de Folard, de Vaudoncourt, Fortia d'Urban sont d'accord : du Mont-Genèvre Annibal
est descendu jusqu'à Césanne il a quitté la vallée de Qu'Annibal ait descendu de Mont-Genèvre à Césanne 500m d'élévation pour en remonter immédiatement zoo, le col de Sestrières étant à 2.069m, et qu'il ait ensuite fait une étonnante pérégrination du col de Sestrières au col de Fenestre, de Folard et Fortia d'Urban trouvent cela tout naturel il faut amener Annibal à Balbottet pour qu'il puisse montrer les plaines à ses soldats. De Vaudoncourt, reconnaissant qu'il y a là quelque chose
d'invraisemblable, cherche une explication ; si Annibal a quitté la vallée de
Des trois ouvrages que nous avons en ce moment sous les yeux, aucun ne présente une étude quelque peu détaillée de la deuxième attaque ; aucun même ne désigne le point qu'aurait occupé Annibal pour être en sûreté et protéger la marche de son armée. De même, aucune étude des difficultés que présenta la descente ; quelques mots vagues au sujet d'un défilé ; mais où était-il, où était l'obstacle infranchissable d'un stade et demi, par où a-t-on essayé de le tourner, où a-t-on trouvé les neiges de l'hiver précédent ? Ce que j'ai dit du col de Mont-Genèvre, il faut le dire du col de Sestrières ; jusqu'à l'arête du col, on est au milieu des cultures, et l'on voit près de soi les sapins et les mélèzes ; on ne s'est pas élevé à cette région nue, dépourvue de végétation, dont parlent les anciens ; et l'on chercherait vainement vers Fenestrelles les neiges des hivers précédents. J'ai cité plus haut les pages de l'Histoire d'Annibal, où M. Hennebert expose l'idée dominante de la méthode qu'il suit au nom de ce qu'il appelle la raison militaire. Voyons comment il applique cette méthode. Qu'Annibal, alors qu'il était à Carthagène, se soit renseigné sur les pays qu'il aurait à traverser, sur les difficultés qu'il rencontrerait, sur les dispositions des populations, qu'il ait été sur les bords du Rhône plus exactement informé par Magilus, venu à sa rencontre, c'est ce que nous savons par Polybe et par Tite-Live. Ce que nous apprenons par M. Hennebert, c'est qu'il avait des ingénieurs, des officiers du service topographique, chargés de lever la carte du pays ; qu'il avait par eux des données topographiques extrêmement précises, que, grâce à eux, il avait des cartes des Alpes, des itinéraires, des notes hydrographiques que, par des rapports spéciaux, ils lui faisaient connaître l'orographie et l'hydrographie des Alpes, et leur constitution géologique, et la hauteur de tous les cols, et les populations qui habitaient les Alpes, et la faune et la flore, et l'importance des passages au point de vue militaire ;... et ces rapports, M. Hennebert les transcrit : Le rapport des officiers topographes peut se résumer ainsi qu'il suit pour nos lecteurs :... Ces appréciations couvraient la dernière page du mémoire placé sous les yeux du général en chef, à son quartier général... Annibal lut attentivement les mémoires descriptifs de ces ingénieurs militaires[51]. Or, ces rapports des Ingénieurs, ces mémoires des officiers topographes, c'est à peu près le dernier mot de nos connaissances actuelles, ce sont des pages et des pages des cours de l'École militaire de Saint-Cyr et des cours de l'École de Fontainebleau ! Ainsi renseigné, Annibal a arrêté la directrice de marche, et rien ne l'en fera dévier. La présence de Scipion aux bouches du Rhône n'était pas un incident de nature à introduire une variante dans son itinéraire[52]. Ceci peut nous étonner, mais la raggion di querra immutabile ! M. Hennebert détermine cette directrice de marche, à l'aide de sept éléments de la ligne d'opération[53] : 1. per
Tricastinos ; 2. πρός
νήσον, ad Insulam
; 3. per extremam
oram Vocontiorum ; 4. ad saltus Tricorius
; 5. ad Druentiam
; 6. δία
Ταυρινών, per Taurinos ; 7. βαρυτάτην πόλιν, Taurinorum
unam urbem, caput gentis. Qu'Annibal, après avoir passé le Rhône, ait pris sur sa gauche, par le pays des Tricastins, pour remonter jusqu'à l'Isère, qu'il soit allé de là au pays des Voconces, c'est ce que j'admets avec M. Hennebert. Mais Tite Live dit qu'Anibal traversa Annibal, que M. Hennebert a conduit ainsi au Mont-Genèvre,
pourrait, pour descendre en Italie, suivre le cours de Quoi ! Annibal était donc si peu renseigné ? Où est la raggion immutabile ? La présence de l'armée romaine n'était pas un incident de nature à introduire une variante dans son itinéraire, et voilà que la directrice de marche se trouve affectée d'un jarret ? Qu'est-il donc arrivé ? Quoi ? Les officiers topographes auraient-ils laissé une lacune dans leurs cartes, une erreur dans leurs itinéraires ? Si Annibal avait suivi le cours de Les savants, il est vrai, n'ont eu garde de s'appuyer sur cette donnée de Strabon, et cela pour une bonne raison, c'est qu'elle est erronée ; et cette erreur commise par Strabon a appelé l'attention des commentateurs ; elle est signalée par Aymar du Rivail[55], au XVIe siècle, puis par d'Anville[56], par Gosselin[57], par Larauza[58]... On sait que Strabon s'est trompé plus d'une fois, et
précisément pas écrit, au sujet de cette même région des Alpes, que, pour aller
de Pavie à Océlum, qui est dans la vallée de Du reste, pour rectifier l'erreur qu'il a commise en
plaçant les Salasses dans la vallée de Ne faisons pas reposer une argumentation sur une erreur manifeste de Strabon, et laissons les Salasses où ils étaient. Si Annibal a, non pas longé, mais seulement traversé Ceci nous dispenserait de suivre M. Hennebert dans sa pérégrination, d'autant plus que, suivant lui (il a pris soin, de nous le dire à l'avance), on voit dans les Alpes tout ce qu'on veut. Eh bien, qu'a-t-il vu ? De Grenoble, Annibal aurait passé par Vizille et par
Laffrey pour gagner Hennebert n'a pas parcouru le pays dont il parle. Annibal aurait quitté la vallée du Drac à
Forest-Saint-Julien, se serait engagé dans le vallon d'Ancelle pour sauter dans la vallée de Voilà ce que dit M. Hennebert[63]. Mais Tite-Live dit formellement qu'Annibal ne fut pas
inquiété avant le passage de Et comment les Gaulois, qui l'ont escorté jusqu'à l'entrée des Alpes, le laissent-ils se détourner de ces cols aisés à traverser, qui se présentent devant lui, col Bayard, col de Manse ? Pourquoi le laissent-ils se jeter dans ce vallon d'Ancelle, vallon âpre et sauvage, d'où l'on ne peut sortir que par des cols difficiles et plus élevés d'un millier de mètres, où il ne semblera s'engager que pour le plaisir de courir des dangers, les Gaulois pouvant occuper toutes les positions avantageuses ? Si M. Hennebert nous amène, contre toute vraisemblance, dans
la haute vallée d'Ancelle et au col de Qu'est-ce que le col de Courhéous ? je ne sais. Le col de
Rouanette est probablement le col de Roucette, entre le vallon d'Ancelle et
Orsières. Il faudrait à l'énumération ajouter le col de Fleurandon, qui conduit,
comme le col de Dire que ce col est. entre le pic de Piolit et le sommet de Chategré, c'est rester dans le vague ; la distance de l'un à l'autre, en ligne directe, n'est pas de moins de cinq kilomètres, et entre les deux il y a un pic de 2.371m, ce qui aurait permis une détermination plus précise. Le col de Piolit n'est pas, comme le veut M. Hennebert, à
l'ouest de la pointe de même nom ; il est à l'est, à l'endroit où la carte
d'état-major marque la cote 2.256m ; il est, du reste, comme l'indique la
carte, dans les u pic et ne petit titre franchi que par des piétons qui. s'accrochent
aux rochers. Enfin, il descend, non dans la vallée de Dans la partie haute de cette vallée, à l'ouest du Piolit,
2.467m, entre cette pointe et la cime cotée Enfin, entre le pic coté 2.371m et le sommet de Chategré
se trouve le col de Moissière, et si Annibal a été, comme le dit M.
Hennebert, dominé dans sa marche par les Gaulois qui occupaient Chategré et Saint-Philippe,
le col par où il a passé n'est pas le col de Piolit, c'est le col de
Moissière (1.590m), mais alors pourquoi
M. Hennebert appelle-t-il col de Le torrent de Pancrasse de M. Hennebert, c'est le torrent qui passe au village de Saint-Pancrasse et qui a pris le nom de ce village. Enfin, il est difficile d'admettre que les Gaulois aient pu chaque soir, des positions qu'ils occupaient, descendre jusqu'à Chorges pour revenir chaque matin occuper ces mêmes positions ; et la différence d'altitude étant, entre Chorges et, Chategré, de près de 850m, entre Chorges et le pic de Piolit, de plus de 1.550m, on peut dire qu'il y aurait là une impossibilité absolue. Hennebert n'a pas parcouru les lieux dont il parle et s'est contenté de la lecture, d'une lecture trop rapide, de la carte ; ses indications topographiques manquent de sûreté et de netteté ; sur le point essentiel, elles sont insuffisantes, puisque nous ne savons même pas par quel col a passé Annibal ; et, ne le sachant pas, on est un peu embarrassé à discuter ce que dit M. Hennebert de la lutte entre l'armée carthaginoise et les Gaulois. Comment les Gaulois comptaient-ils défendre contre une armée aussi nombreuse et aussi redoutable un pays aussi ouvert que le pays de Chorges, et quelles dispositions avaient-ils prises ? Pouvaient-ils, comme le dit M. Hennebert, garder tous les cols ? Quand ils ont su qu'Annibal remontait le Drac, ils ont dû
penser qu'il passerait par le col Bayard ou le col de Manse ; quand ils ont
su qu'il était' à Ancelle, ils ont occupé Chategré et Comme l'emplacement de la première attaque doit être cherché entre ces limites : Pioly, Chategré, et demeure ainsi indéterminé, M. Hennebert va rester dans le vague ; il ne nous montrera pas les deux camps d'Annibal, et des lieux qui répondent à cette donnée précise de Tite-Live : castra inter confragosa præruptaque, quam extentissima potest valle locat. Il ne nous montrera pas ces vallons où les Gaulois auraient pu dissimuler leur présence pour se jeter, par surprise, sur les Carthaginois. Il ne nous montrera pas nettement, ce que distinguent avec soin nos deux historiens, les hauteurs où sont les Gaulois d'abord, Annibal ensuite ; à flanc de montagne, les positions que viennent occuper les Gaulois ; à flanc de montagne aussi, mais plus bas, la ligne où sont engagés les Carthaginois, et au-dessous de cette ligne, les abîmes. Il emploie bien les expressions : abîmes et gouffre, mais sans insister, sans dire de quelles cimes il est question et de quelles pentes, sans dire quels sont ces abîmes. On sent trop qu'il n'a pas lu Polybe et Tite-Live sur place ; il les a lus dans son cabinet, et encore assez rapidement, puisqu'il laisse de côté, sans les citer, ces expressions si nettes et si caractéristiques : οὔσης οὐ μόνον στενῆς καὶ τραχείας τῆς προσβολῆς ἀλλὰ καὶ κρημνώδους... ἐφέρετο κατὰ τῶν κρημνῶν ; præcipiter deruptæque angustiæ. — Multus turba in immensum altitudinis dejecit. Il y a, dans Polybe et dans Tite-Live, au sujet de cette première attaque, des données topographiques très précises ; il fallait les dégager toutes ; et nous montrer des lieux, bien déterminés, répondant à toutes ces données. Annibal remonte le cours de Dans cette grande vallée, était-il possible aux Gaulois de préparer une surprise et de la dissimuler assez bien pour faire courir à l'armée d'Annibal de réels dangers ? C'est, une question. M. Hennebert dit que les habitants vinrent demander à Annibal son amitié, et, qu'après l'avoir accompagné, ils l'ont ensuite abandonné. Il ne cite pas les expressions de Polybe et de Tite-Live ; il ne paraît pas soupçonner la perfidie de ces Gaulois qui ne se firent accepter comme guides que pour l'égarer dans sa marche et l'amener dans les lieux où l'on avait résolu de l'attaquer. La deuxième attaque aurait eu lieu au Pertuis Rostan. Au-dessus de l'Abessée ( Je laisse un correspondant du Ministère de l'Instruction publique, M. Roman, qui habite le pays d'Embrun, nous en donner la description[65] : Le Pertuis Rostan, ancien passage
d'une route aujourd'hui abandonnée pour une meilleure, est un boyau de
cinquante-cinq mètres de longueur sur une largeur maxima de dix mètres, qui
se réduit parfois à huit. Ce couloir offre une pente assez forte, mais
régulière, et loin qu'il y coule un torrent, une rivière ou une cataracte, on
n'y trouve pas même une fontaine. Il serpente entre deux rochers,
sensiblement horizontaux à leur sommet, et mesurant, à l'une des extrémités
du Pertuis, cinquante centimètres, et, à l'autre, quinze mètres de hauteur.
Voilà le Pertuis Rostan, d'après les mesures que j'en ai prises moi-même[66]. Or, voici ce qu'a écrit M. Hennebert : Qu'on se représente une ruelle
sombre entre deux murailles de rochers à pic dont les arêtes vives déchirent
crûment le ciel, un de ces corridors sauvages dont le sol est ravagé par les
eaux d'un torrent. De tels couloirs ne sont pas rares en pays de montagnes,
où on les désigne ordinairement sous le nom de portes ; chacun sait ce qu'il faut
entendre par Thermopyles, Portes Caspiennes, Bibans ou Portes
de fer. Les habitants des Alpes les appellent le plus souvent combes ; mais
celui que les Carthaginois abordaient a reçu depuis longtemps une
dénomination spéciale, celle de Pertuis Rostand. Le profil de cet étranglement
fameux est bien conforme à la description si concise, mais si expressive en
même temps que nous a laissée Polybe, mais tracée de main de maître et que
Tite-Live eût dû s'attacher à reproduire en termes précis, au lieu d'essayer
une autre description, que la fantaisie semble avoir inspirée. Ce pertuis est
bien une porte ouverte, non par la main de l'homme, mais par celle du
Créateur, frappant, aux premiers âges du globe, la loi des grands bouleversements
géogéniques. C'est une gorge à parois verticales, parois dont les
stratifications discordantes dressent en saillies aiguës leurs surplombs
menaçants, et qui sont partout déchirées de failles, crevassées de ravins
sombres qu'éclaire en bondissant l'écume des cascades. Au fond de ce pertuis
aux flancs sauvages roulent tumultueusement les eaux de C'est un vrai décor de drame que cette description, dit M. Roman. Celui dont l'imagination se plaît à de pareils exercices de rhétorique, a-t-il bien le droit de reprocher à Tite-Live de tracer des tableaux de fantaisie ? L'erreur de l'auteur de l'Histoire
d'Annibal, dit M. Roman, vient d'une
mauvaise lecture de la carte de l'État-Major. Le Pertuis Rostan n'étant pas
indiqué sur cette carte, le colonel, qui n'est pas venu sur les lieux, a
confondu avec ce Pertuis, le gouffre au fond duquel passe Quand M. Hennebert nous dit que l'armée
est tout entière massée dans le Pertuis qu'elle remplit de son serpentement,
ces expressions n'ont aucun sens : l'armée n'était pas massée dans l'abîme où
est M. Hennebert cite ces mots de Polybe : φάραγγά τινα δύσβατον καὶ κρημνώδη, qui représentent bien, dit-il, un étranglement, une gorge encaissée par des rochers à pic ; mais Tite-Live, dit-il, a essayé une autre description que la fantaisie nous semble avoir inspirée : angustiorem viam ex parte altera subjectam jugo super imminenti.... Tite-Live entend parler ici d'un étroit chemin à flanc de coteau, non d'une gorge encaissée par des rochers à pic ; il est ainsi en complet désaccord avec Polybe. Nous ne saurions donc, en l'état, soumettre à la critique l'opinion des commentateurs qui se plaisent à confondre les deux tableaux au lieu de les disjoindre. Qu'a donc écrit Tite-Live qui ne soit la traduction du texte de Polybe ? Les barbares, dit celui-ci, occupaient les positions dominantes et s'avançaient à flanc de montagne. M. Hennebert ne cite pas les mots ταΐς παρωρείαις, qui renferment la donnée topographique essentielle. Suivant Tite-Live, le passage était dominé par une montagne dont les Gaulois occupaient les pentes ; suivant Polybe les Gaulois s'avançaient en se tenant sur un flanc de la montagne ; ils sont parfaitement d'accord ; si l'un dit ταΐς παρωρείαις, l'autre dit per obliqua. Mais M. Hennebert, qui veut que l'armée Carthaginoise soit engagée entre deux murailles de rochers à pic, laisse de côté ce que dit Polybe des pentes de la montagne et reproche à Tite-Live d'en avoir parlé ! Annibal, arrivé au Mont-Genèvre, serait redescendu jusqu'à Césanne pour remonter aussitôt à un col plus élevé et plus difficile, le col de Sestrières. M. Hennebert, en des lignes que j'ai citées plus haut, a fait lui-même ressortir la haute invraisemblance d'une pareille supposition ; et elle a contre elle les témoignages des anciens. M. Hennebert qui ne trouvera pas, dans le haut du val de Pragelas, les espaces nécessaires pour un campement de l'armée carthaginoise, suppose que c'est au Mont-Genèvre qu'elle a campé pendant deux jours. Mais Polybe et Tite-Live disent qu'elle ne campa qu'après avoir franchi les Alpes, et les Alpes sont-elles donc franchies, quand on a à passer le col de Sestrières ? Ils disent que lorsqu'on quitta le campement, on commença à descendre ; est-ce donc descendre que remonter aussitôt vers un col de deux cents mètres plus élevé que le Mont-Genèvre ? Et ils décrivent, avec le plus grand détail, toutes les difficultés et tous les dangers que présenta cette descente vers l'Italie, mais y a-t-il rien, dans leurs descriptions, qui se rapporte au passage du col de Sestrières ; et, je le répète, si Annibal avait passé deux cols, comment ne l'auraient-ils pas dit Annibal, alors que ses troupes étaient campées, leur montrait l'Italie, les plaines du Pô, la direction de Borne. Était-il au Mont-Genèvre, comme le veut M. Hennebert on y est de toutes pat ts entouré de hautes montagnes. Au moment où l'armée commence à descendre, elle rencontre un obstacle ; quelle en était la nature ? Les textes, dit M. Hennebert, il n'est pas nécessaire de les interroger longuement... leur réponse catégorique ne se fait pas attendre et ne saurait surtout prêter a l'équivoque... il ne peut âtre ici question ici d'autre chose que d'un éboulement[67]. Et il cite les textes qui paraissent confirmer cette opinion : τῆς ἀπορρῶγος καὶ πρὸ τοῦ μὲν οὔσης, τότε δὲ καὶ μᾶλλον ἔτι προσφάτως ἀπερρωγυίας... σχέδόν έπί τρία ήμιστάδια, natura locus jam ante præceps recenti lapsu terræ... abruptus erat. Et il ajoute : Il serait assurément puéril de songer à soutenir une discussion topographique contre les commentateurs qui cherchent le point du val de Pragelas où cet éboulement s'est produit. Or voici le texte de Polybe : διὰ τὴν στενότητα, σχεδὸν ἐπὶ τρί´ ἡμιστάδια τῆς ἀπορρῶγος καὶ πρὸ τοῦ μὲν οὔσης, τότε δὲ καὶ μᾶλλον ἔτι προσφάτως ἀπερρωγυίας. Dans un passage étroit, escarpé, d'un stade et demi de longueur, on trouvait deux choses qu'il faut distinguer, un éboulement récent, et une partie qui avait résisté, une partie rocheuse. M. Hennebert ne fait pas cette distinction, et démembrant
le texte de Polybe, prenant le σχεδὸν ἐπὶ τρί´ ἡμιστάδια, pour la mesure non pas de
l'ensemble de l'escarpement, mais du seul éboulement, il dit : l'arrachement produit par l'éboulement ne mesure pas moins
de Rétablissons, d'autre part, les témoignages de Tite-Live : au seul texte cité par M. Hennebert, il faut en joindre deux autres, dont les données sont beaucoup plus nettes et caractéristiques : Ventum deinde ad multo angustiorem rupern, atque ita rectis saxis ut... Rupem inviam esse... Ainsi, d'abord des rochers escarpés donnant sur un précipice, et ensuite, un éboulement récent, voilà la donnée de Tite-Live, donnée conforme à celle de Polybe. Annibal cherche à passer au-dessus de l'éboulement ; mais dit M. Hennebert, la neige récemment tombée recouvrait la neige de l'hiver précédent[69]. Quoi, des neiges de l'hiver précédent, des neiges persistantes, quand on a déjà descendu une partie du val de Pragelas ! La description topographique de Polybe et de Tite-Live, a dit M. Hennebert, dès le début[70], se rapporte également bien à toutes les régions des Alpes. Oui, quand nous n'y prenons que ce qu'il nous convient d'y prendre. On peut voir et on voit effectivement tout ce qu'on veut dans les Alpes[71]. Oui, à la condition de ne pas y aller et d'avoir beaucoup d'imagination. M. Hennebert lit les textes anciens à sa manière ; au lieu de les prendre dans leur intégralité, d'en donner une traduction exacte et complète en en expliquant chaque expression pour en dégager et le vrai sens et toutes les données qu'elle renferme, il ne voit de ces textes que ce qui est conforme à son opinion, que ce que les lieux tels qu'il se les imagine lui permettent de voir, et il supprime le reste, sans daigner le discuter, le tenant simplement comme valeur négligeable. S'il a une manière à lui de lire les textes anciens, il a aussi une manière à lui de lire la carte, et aussi n'accorde-t-il aucune valeur aux descriptions topographiques de Polybe et de Tite-Live. Au col de Piolit, sa topographie restait vague, incertaine ; au Pertuis Rostan elle se perdait dans les fantaisies déclamatoires ; il traçait librement le tableau de la première attaque, le tableau de la deuxième, dans des paysages imaginaires, irréels. Ici, il efface les traits précis et saisissants du tableau que nous ont fait les anciens des obstacles rencontrés à la descente vers l'Italie ; tout se réduit à un simple éboulement, et, comme en pays de montagnes il peut y avoir des éboulements partout, et partout, à ce qu'il parait, des flaques de neiges des hivers précédents, demander où un éboulement s'était produit dans le val de Pragelas, en l'an 218 avant notre ère, serait en effet puéril. Et voilà pourquoi il n'y a pas de tableau, pas de topographie du tout ! Les auteurs qui ont fait passer Annibal par le col de
Sestrières et la vallée du Chisone espéraient trouver dans cette vallée les
difficultés que ne présente pas la vallée de César est parti d'Aquilée, avec cinq légions, pour aller
combattre les Helvètes ; il prend le chemin qui le mènera le plus directement
dans On a dit : Il y a dans la vallée du Chisone un Usseaux, Uxellum, Uscellum, donc César a passé par la vallée du Chisone. Et on a dit, avec autant, de raison : il y a dans le val de Viu un Usseglio, Ucelium, Ocelium ; donc César a passé par le val de Viu[74]. Mais Ocelum, l'Ocelum de César, est dans la vallée de J'avais étudié la question et je terminais un mémoire a ce
sujet, lorsque je connus l'excellent article publié par M. Jacobs, au mois d'août
1859, dans Les trois vases de Vicarello, des Aquæ Apollinares,
portent : Segnisione, Ocelo XX[75], Taurinis XX, et l'anonyme de Ravenne, sans indiquer
les distances : Segatione, Oceilio, Fines, Taurinis. Dans l'Itinéraire d'Antonin, dans De même Strabon[76], dans cieux
passages qui contiennent, il est vrai, certaines inexactitudes, dit qu'en
remontant A moitié chemin, entre Sure et Turin, Ad Fines remplaça
Ocelum comme station lorsqu'on eut établi un chemin le long de la rivière
pour éviter d'avoir à gravir la colline. Durandi[77] le place au lieu
dit Li Fini, qui est au delà de Castelletto, à Mais revenons à Annibal. Que lui et César aient passé par le pays des Voconces, ce n'est pas une preuve qu'ils aient franchi les Alpes par le même point. De ce qui ne pouvait titre qu'une simple présomption, une conjecture à examiner, les partisans du val de Pragelas se sont fait un argument, et voilà que cet argument ne repose que sur une erreur géographique ; Ocelum n'est pas ou ils 'le plaçaient ; il faudra bien en prendre son parti. Qu'Annibal ait franchi le col de Mont-Genèvre, ou qu'il ait franchi ce col et le col de Sestrières, il ne s'est pas élevé au-dessus de cette région moyenne des Alpes, de celle où l'on trouve les arbres et une certaine culture, et nulle part, même en s'écartant de sa route, il ne rencontrera les neiges persistantes ; pour répondre aux données si précises de Polybe et de Tite-Live, il faut chercher dans une région plus élevée le passage qu'il a suivi. Enfin, il est une autre raison qui permet d'affirmer qu'Annibal n'a pas passé par le Mont-Genèvre. Pompée, dans sa lettre au Sénat, dit qu'il vient d'ouvrir,
à travers les Alpes, un chemin différent de celui d'Annibal, et qui est plus avantageux
pour les Romains, nobis opportunius[78]. Ce texte se comprend
si l'on fait passer Pompée par le Mont-Genèvre[79] ; le
Mont-Genèvre lui ouvre la vallée de L'impossibilité d'expliquer celte lettre de Pompée, l'impossibilité de nous montrer cette région décrite par nos deux historiens, cette région supérieure à celle de la végétation et où l'on touche aux neiges éternelles, l'impossibilité de trouver des points des Alpes qui répondent, et pour les deux attaques et pour la descente vers l'Italie, aux données topographiques si précises de Polybe et de Tite-Live, prouvent que ce n'est pas par cette partie des Alpes qu'Annibal est entré en Italie. Annibal a-t-il passé par la vallée du Guil, par le Queyras ? C'est ce qu'a pensé M. Imbert Desgranges[81]. Suivant lui, la rivière que Polybe appelle Scoras serait l'Aygues, l'Île serait le pays qui est au confluent de cette rivière et du Rhône, et Annibal, pour aller vers les Alpes, aurait remonté la vallée de l'Aygues. Mais, l'indication par Polybe et par Tite-Live des journées de marche et des distances parcourues le long du Rhône, les limites assignées par eux à cette île qui est comprise entre le Rhône et la rivière qu'ils nomment l'un Isara, l'autre Scoras, ne permettent pas d'admettre ces suppositions de M. Imbert Desgranges. Annibal, arrivé sur les bords de Les Gaulois l'auront-ils attaqué à Le Château-Queyras est-il la ville dont s'empara Annibal
mais de Trouverons-nous au moins des lieux analogues à ceux qui furent le théâtre de cette nouvelle attaque Nous en cherchons vainement sur le chemin des cols, et l'on est réduit à supposer qu'à la quatrième journée de marche, Annibal n'était encore qu'à sept kilomètres de Château-Queyras, lorsque les Gaulois l'attaquèrent au-dessus d'Aiguilles au milieu des rochers qui dominent la route sur un kilomètre et demi mais ces rochers ne sont qu'un banc de peu d'élévation et des pentes faciles donnent accès sur les plateaux qui les couronnent : on ne voit ni la position formidable occupée par les Gaulois ni celle que prit Annibal pour leur résister du haut du rocher blanc. Annibal n'a pas passé par les cols de la vallée du Guil,
le col de Le col de Je n'ai pas eu à invoquer le témoignage des auteurs qui ont pensé qu'Annibal avait passé par la vallée de Barcelonnette ; ils n'ont pas étudié les détails de sa marche, ils n'ont pas cherché à justifier leurs affirmations, et leurs indications sont restées dans le vague. Suivant Aymar du Rivail, Annibal est allé de Tallard par Le marquis de Saint-Simon[83] dit qu'Annibal,
d'ans le delta compris entre Lyon, Valence et Pont-de-Beauvoisin, arrivé dans
Hie, a campé à Vienne, qu'il a redescendu ensuite le Rhône jusqu'au pays des
Tricastins, qu'il a passé par l'extrémité du pays des Voconces et par celui des
Tricoriens, suivant vers l'intérieur des terres, vers l'Est, la direction
indiquée par Polybe. Cette direction de la marche
conduit, dit-il, à Les idées du marquis de Saint-Simon sont tellement vagues, tellement insaisissables, qu'elles échappent à la discussion. S'il ne sait pas par quels cols Annibal a pu passer, il nous dispense de le rechercher et de le dire pour lui. M. le Dr Ollivier, qui s'est occupé beaucoup des
antiquités et gauloises et romaines de la vallée de Barcelonnette, et à qui
l'on devait une Étude sur les anciens peuples inscrits sur les monuments
de Mais j'avais supposé qu'Annibal avait remonté l'Isère,
puis M. le Dr Ollivier a dit qu'Annibal, pour aller du Rhône à Cette opinion se concilie aussi bien que celle que j'avais
précédemment admise avec ce que dit Tite-Live du pays des Voconces et du pays
des Tricorii, et elle répond beaucoup mieux aux données de Polybe. La marche
de 800 stades est la marche entre le Rhône et Lorsqu'on remonte la vallée de l'Ubayette pour aller vers
le col de Larche, on est dominé, au midi, par une belle montagne, l'Euchastraye,
le noeud de l'Euchastraye ; au-delà, on trouverait les bassins du Var et de Du Grand Saint-Bernard au col de Larche, nous venons
d'explorer une dizaine de passages, sans compter, en dehors de l'axe de la grande
plaine, bon nombre de cols, soit en France, soit en Italie. On nous a fait
remonter le Rhône jusqu'à Martigny et Et partout, sur notre chemin, on a invoqué les traditions. Pour le Grand et pour le Petit Saint-Bernard, elles remontent à Tite-Live et même au delà ; pour les autres passages, on voit assez comment elles se sont formées ; un érudit avait exprimé une opinion, après avoir étudié la question, ou sans l'avoir étudiée, peu importe ; elle est reproduite dans les histoires locales, dans les géographies de ces parages, en ces derniers temps vulgarisée par les journaux ; elle se répand peu à peu, d'autant plus aisément acceptée par les habitants qu'ils se croient intéressés d'amour propre ; quelques années plus tard, celui qui vient, trouve la tradition établie et, sans manquer de bonne foi, se laisse aller à en tenir compte. Dans Et partout dans ces vallées, dans ces passages des Alpes,
on nous a signalé des monuments et des objets de toute nature : dans les
Basses-Alpes, près de Thorane, dans le bassin du 'Verdon, a Loriol et dans d'autres
localités du département de ta Drôme, des camps d'Annibal ; entre Tours et
Saint-Dalmas, une large pierre, qui est une table d'Annibal ; au Petit
Saint-Bernard, ce cercle de pierres qui est le cercle d'Annibal ; au pied de
ce passage, du côté de Et partout dans ces vallées, dans ces passages des Alpes,
on a signalé à notre attention les noms des localités, les lieux dits : le
nom de Courthezon, près d'Orange, vers l'entrée de la vallée de l'Aygues,
rappelle le nom de Carthage ; Annibal a passé dans la vallée de l'Aygues, au
village de Piles, dont le nom, si vous voulez bien, pourrait signifier en
grec Portes ; il a passé au village du Passage, près de Pont-de-Beauvoisin ;
il a passé dans Les ouvrages où il est question du passage d'Annibal dans les Alpes sont très nombreux ; il serait aisé d'en indiquer 300 et plus[86] ; mais après avoir à plaisir enrichi cette liste, étalé ce luxe bibliographique, il ne serait pas inutile de dire que des réductions sont possibles et que de tous ces ouvrages il en est bon nombre que l'on consulterait sans grand profit. Ce sont d'abord des histoires générales ou locales, des géographies, des descriptions des Alpes, des voyages, itinéraires et guides, des annuaires et des statistiques, des mémoires sur les antiquités ; ce sont des commentaires et annotations des auteurs anciens, en un mot des ouvrages où l'on a, comme en passant, mentionné l'une des opinions connues, où l'on ne trouve pas une opinion personnelle, étudiée, motivée. Cette catégorie comprendrait une grande partie de la liste. Il y aurait, d'autre part, à éliminer les ouvrages où l'on n'a fait que reproduire sous une autre forme ce qui a déjà été publié. Resteraient les travaux des auteurs qui ont fait de la question une étude spéciale, qui ont exposé une opinion personnelle et motivée. Et ces ouvrages ne sont pas tous de la même valeur. Parfois l'imagination qui prédomine, la fantaisie qui surabonde nous mettent sur nos gardes. Si quelques-uns fout une assez large place aux traditions, aux découvertes d'objets anciens ou prétendus anciens, à de vains rapprochements de noms, il est permis de penser qu'ils n'ont pas à faire valoir de très bons arguments. Ailleurs, nous trouvons les interprétations arbitraires des textes, et même l'habitude de ne les lire que dans les traductions. Ailleurs, on voit trop que l'auteur n'a pas parcouru les lieux dont il parle. Quelques auteurs acceptent sans contrôle et sans critique des témoignages de la nature la plus diverse, et en viennent à préférer à Polybe et à Tite-Live Cœlius Antipater ou Cornélius Nepos, Isidore de Séville ou Luitpraud. Un grand nombre d'auteurs se refusent à admettre qu'il
soit possible de concilier Polybe et Tite-Live, et rejettent d'abord les
témoignages de celui-ci, sauf à accuser, l'instant d'après, Polybe
d'inexactitude et d'erreur. L'estime que l'on fait de Tite-Live est une
affaire de latitude ; le 45e degré en décide. Au Grand Saint-Bernard, au col
de M. Letronne est peut-être le premier qui ait porté dans ces recherches et ces discussions les habitudes d'exacte interprétation des textes, de méthode et de sage critique. Ses deux mémoires sont de 1819 ; Deluc, auquel il répondait, remania son travail et publia en 1825 une deuxième édition ; le travail de Larauza, Histoire critique du passage des Alpes par Annibal, parut en 1826. Il semble qu'on entrait dans une ère nouvelle. On a dit que les Français ont le tort de chercher à concilier Tite-Live avec Polybe ; n'avons-nous pas le droit d'être quelque peu reconnaissants à M. Letronne et à Larauza de nous avoir valu ce reproche ? FIN |
[1] XXI, 38.
[2] The Course of Hannibal
over the Alps ascertamed, Londres, 1794.
[3] Le Passage d'Annibal du Rhône aux Alpes, 1869, et les Alpes Graies, Pœnines et Cottiennes, 1872.
[4] III, 21, 17.
[5] XV, 10.
[6] Ad Æn., X, 13.
[7] De Originibus, XIV, 8.
[8] I, 8.
[9] Hist., XV, p. 297.
[10] A ces témoignages on pourrait joindre celui de Warnefrid, de gestis Longob., II, 18. — et celui de la totale et vraye description de tous les passaiges, lieux et destroitz par lesquels on peut passer et entrer des Gaules en Italie (1515) : Là (au lieu de Bar) est ung merveilleux passaige, qu'on dit que le dit Hannibal feist faire en rompant la montaigne à force d'engins, de feu et de vinaigre, ainsi comment est escript et insculpé contre le roch d'icelluy passaige, et l'appellent lou communément le pas de Hannibal.
[11] Simler, Vallesiæ et Alpium descriptio, 1574. — Theatram Statuam regiæ Cels. Sabandiæ Ducis, 1682.
[12] III, 47.
[13] De bello Annib., c. 4.
[14] III, 47.
[15] XXI, 38.
[16] Vita Hannib., c. 3.
[17] Tite-Live, XXI, 38.
[18] Strabon, IV, 6. — Polybe, XXXIV, 10 ; cf. III, 50.
[19] XXI, 38, 39. — De même Silius Italicus, IIIe vol., 646.
[20] De bello Annib., c. 5.
[21] Larauza fait remarquer que, dans l'édition de Tite-Live publiée par Lemaire, l'auteur de l'excursus de transita Alpium, M. Larenaudière a traité la question comme si Tite-Live n'avait rien écrit sur ce sujet.
[22]
Deluc, Histoire du passage des Alpes par Annibal, 2e éd., p. 240 : Ce
qui a dérouté, dit-il, ceux qui ont voulu chercher d'après Tite-Live le chemin
suivi par Annibal, c'est l'addition, je l'appellerai
même l'interpolation, à la fin du chapitre 49 de Polybe, du nom des peuples
chez lesquels l'auteur latin suppose qu'Annibal passa, et la supposition, en
outre, du passage de
[23] Polybe, III, 49. — Tite-Live, XXI,
31.
[24] Deluc suppose qu'Annibal a quitté le Rhône à Vienne, et dit (2e éd., p. 81) : Quoique Polybe nous dise qu'Annibal marcha le long du Rhône jusqu'à la montée des Alpes, nous ne pouvons supposer que ses guides lui firent suivre tous les détours du fleuve ; ils lui firent éviter nécessairement le grand coude que le Rhône fait à Lyon, et celui qu'il fait dix lieues plus haut, pour rejoindre ce fleuve à Saint-Genis-d'Aouste.
[25] Et aussi lisons-nous dans l'Histoire du passage des Alpes par Annibal de Deluc, p. 250 : Cette peinture de Tite-Live n'a aucune espèce de vérité de quelque côté qu'on aborde les Alpes... Ainsi, par exemple, transportons nous aux environs de Yenne et de Chevelu, au pied du Mont du Chat... La petite ville de Yenne n'est élevée que de 106 toises au-dessus du niveau de la mer... il y a dans les environs des vignobles qui produisent de très bons vins et ces vignobles s'élèvent jusqu'aux deux tiers du passage de la montagne... des environs de Yenne on ne peut pas voir la haute chaîne des Alpes... les hautes Alpes couvertes de neige sont très éloignées. Ainsi donc la description que nous fait Tite-Live des objets qui devaient épouvanter les Carthaginois, est absolument imaginaire.
[26]
Velo, Dei passagi Alpini, 1804, p. 110, dit qu'on peut trouver cette
position par des sentiers qui, à partir de l'hospice, prennent à droite ou à
gauche et descendent, à
[27] Histoire du passage des Alpes par Annibal, 1818 ; 2e éd., 1825.
[28] A Dissertation on the
Passage of Hannibal over the Alps, 1820 ; 2e
édition, 1828.
[29] Der Heerzug Hannibals über
die Alpen, 1828.
[30] Quæstiones criticæ de belli Punici Secundi parte priori, 1848.
[31] Classiques latins, éd. Lemaire. Tite-Live, tome IV : Excursus de transita Alpium.
[32] Mémoires lus en 1861 dans les Séances extraordinaires des Sociétés savantes ; Archéologie (1863).
[33] Marche d'Annibal des Pyrénées au Pô, Paris, 1887.
[34] Histoire critique du passage des Alpes par Annibal, 1826.
[35] A Treatise on Hannibal's
passage of the Alps, in which his route is traced over the little Mont-Cenis, 1853.
[36] Annibal en Gaule, 1874.
[37]
Nous avons vu que, d'après les auteurs qui font passer Annibal au
Grand-Saint-Bernard ou au Col de
[38] Description des Alpes Grecques et Cottiennes, 1806. — V. Larauza, Histoire critique du passage des Alpes par Annibal, p. 175.
[39] M. Maissiat lit Polybe et Tite-Live dans des éditions des siècles derniers ; il lit : ibi Arar et ne veut pas admettre la vraie leçon ibi Isara : c'est un expédient, dit-il ; l'origine de cet expédient parait remonter à un savant allemand du XVIIe siècle, Jacques Gronovius. — De même il lit dans Polybe : Ό Άραρος, qui justifie son hypothèse.
[40] Abauzit, Œuvres diverses, tome II, p. 178.
[41] Ellis : Villard-Putier ; État-Major Sarde : Villar Buttier.
[42] Et ce sens, dit Larauza, nous parait sortir naturellement du texte de Polybe.
[43] Journal des Savants, 1819. p. 757, 758.
[44]
M. le colonel Perrin (Marche d'Annibal des Pyrénées au Pô) dit, p. 168 :
à Ferrières... en
suivant la rive gauche de
[45]
Ellis dit qu'Annibal campa entre
[46] Page 73, 74.
[47] Histoire de Polybe, traduction par Dom Thuillier, avec les annotations du Chevalier de Folard, mestre de camp, 1727.
[48] Histoire des campagnes d'Annibal en Italie, par le général Frédéric Guillaume, Milan, 1812.
[49] Dissertation sur le passage du Rhône et des Alpes par Annibal, 3e éd., 1821.
[50] Page XVIII et suiv., de l'Avant-propos.
[51]
1er vol. p. 357, 358 ; 2e vol., p. 73, 77, lift, 182. — M. Roman (
[52] 2e vol., p. 77. Cf. 1er vol., p. 455.
[53] 2e vol., p. 85.
[54] 2e vol., p. 239.
[55] Description du Dauphiné... au XVIe siècle.
[56] Notice de l'ancienne Gaule, Druentia.
[57] Note de la traduction de Strabon de Coray.
[58] Histoire critique du passage des Alpes, p. 169.
[59] V, I, 11.
[60] IV, 6, 7.
[61] IV, 6, 7 et 11.
[62]
Voir dans le Bulletin de
[63] 2e vol., p. 207 suiv.
[64]
Voir la feuille VII des cartes qui accompagnent le travail de M. Hennebert. —
Sur ces passages successifs de
[65]
Page
[66] 2e vol., p. 220.
[67] Page 241, 242.
[68] Page 244.
[69] Page 245.
[70] Page 67.
[71] Page 72.
[72] Histoire d'Annibal, 2e vol, p. 281.
[73]
De Bello Gallica, I, IV. — Suivant M. Maissiat, César en Gaule, 1er vol., le
mot ocelum désignerait, d'une manière
générale, un poste de surveillance, un poste établi à une frontière, et l'ocelum où a passé César serait sur
[74] Albanis Beaumont, Description des Alpes Grecques et Cottiennes.
[75] L'un d'eux XXVII, qui est une erreur.
[76] IV, I, 3 ; V, I, 11.
[77] Piemonte Transpad., p. 93.
[78] Salluste, Fragm. — De même Appien, de bell. civ., I, p. 109.
[79] On a invoqué pour prouver que Pompée a passé par le Mont-Genèvre la lex Pompeia par laquelle étaient rattachées a des municipes douze cités qui firent partie du royaume de Cottius et ne furent pas inscrites sur l'Arc de Suze parmi les gentes Alpinæ devictæ. Mais cette loi est du père de Pompée, Pompeius Strabo, consul l'an 89 av. J.-C.
[80] Histoire d'Annibal, 2e vol., p. 91 suiv. ; p. 278, note.
[81] Mémoires de l'Académie Delphinale, tome I, 1840, p. 122, et traduction de Tite-Live, par Miard, tome I, p. 884. — De même M. Fauché-Prunelle, Essai sur les anciennes institutions autonomes des Alpes Cottiennes Briançonnaises, 1856.
[82]
Description du Dauphiné, de
[83] Histoire de la guerre des Alpes ou campagne de 1744, Amsterdam, 1770.
[84] Saint-Simon dit que les habitants de la vallée vinrent à la rencontre d'Annibal avec des rameaux d'olivier comme symboles de paix et que la vallée de Barcelonnette est la seule vallée des Alpes où il y ait des oliviers. Or il n'y a pas d'oliviers dans la vallée de Barcelonnette et Saint-Simon n'a fait que reproduire un contresens de la traduction de Polybe par Dom Thuillier, contre sens qui se trouve également dans la traduction latine de Casaubon.
[85] Une voie Gallo-romaine dans la vallée de l'Ubaye et passage d'Annibal dans les Alpes, étude historique.
[86] Voir la liste publiée par M. Hennebert dans le 2e vol. de son Histoire d'Annibal.