LA PROVINCE ROMAINE PROCONSULAIRE D’ASIE

DEPUIS SES ORIGINES JUSQU’À LA FIN DU HAUT-EMPIRE

 

QUATRIÈME PARTIE — LES NOUVELLES RELIGIONS

CHAPITRE II — L’ACTION DES ROMAINS SUR LES INSTITUTIONS MUNICIPALES DANS LE DOMAINE RELIGIEUX

Texte numérisé et mis en page par Marc Szwajcer

 

 

§ 1. — LA RÉVISION DES PRIVILÈGES DES TEMPLES : LE DROIT D’ASILE.

Les sanctuaires avaient d’abord la prérogative de recevoir des présents, quelquefois d’un grand prix : à celle-là les Romains ne touchèrent pas ; mais ils jouissaient souvent aussi du privilège d’asile[1], exclusivement religieux, qui fut l’objet d’une plus grande rigueur. On sait que le mot άσυλία désigne le fait d’être à l’abri du droit de prise, de la contrainte et généralement de toute violence (συλεΐν = arracher)[2]. Certains temples étaient admis à offrir cet abri : primitivement il fallait que le suppliant embrassât l’autel, mais bientôt il lui suffit de se réfugier dans l’espace consacré ; et ainsi le nom d’asile en vint à être appliqué au lieu privilégié lui-même ; et ce lieu privilégié s’étendit dans quelques cas démesurément, englobant une vaste étendue de terrain autour du sanctuaire, comme nous le verrons pour Éphèse.

L’asylie était d’ordinaire conférée par un souverain à titre de faveur (δωρεά). Alexandre le Grand se montra libéral pour l’asile d’Éphèse ; depuis lors, comme l’Asie, sous la dépendance assez lâche des rois de Pergame, pouvait prendre parti entre divers compétiteurs, les concessions de ce genre furent inspirées par le désir de s’assurer les bonnes dispositions des villes. Et justement, au IIe et aussi au Ier siècle avant notre ère, le droit d’asile fut une des grandes préoccupations des cités d’Asie Mineure. Elles y trouvaient des profits évidents : une garantie contre les dévastations au cours d’une guerre, une source de richesses aussi ; Ptolémée, roi d’Égypte, se retira à Éphèse, où il vécut dans le temple d’Artémis[3] (697/57), non sans doute sans y apporter des trésors.

Il fallait généralement invoquer un prétexte pour se faire octroyer cet avantage. Les habitants de Magnésie du Méandre, à les en croire, eurent une apparition : la déesse leur enjoignit de célébrer des jeux en sa faveur et d’assurer l’inviolabilité de son territoire ; alors on envoya des députés à toutes les villes grecques pour en obtenir la reconnaissance du privilège. A Téos, le territoire fut, de la même manière, proclamé sacré et inviolable par un grand nombre de cités grecques, dont nous avons conservé les décrets, et par le Sénat romain[4]. A la date où ces événements se passaient, l’Empire du monde n’était pas encore fondé au profit de Rome ; d’autres nations y visaient, comme les Macédoniens ; mais rien n’était fixé ; la lutte continuant pour l’hégémonie, il fallait se procurer les adhésions individuelles des différents États[5]. Quel fut le motif allégué par les Téiens ? Dans leurs murs s’était établie la grande compagnie internationale des artistes dionysiaques ; il fallait garantir la liberté de leurs exercices ; aussi le droit d’asile couvrait-il, non seulement les citoyens, mais tous les habitants[6]. Les Romains, en fins politiques, consentirent à ce qui leur était demandé, sous cette condition que les Téiens leur resteraient fidèles, comme l’expriment les dernières lignes du sénatus-consulte ; or ils suivirent le parti d’Antiochus ; par suite, trois ans après, les Romains dévastèrent sans scrupule le territoire de Téos[7].

Mais, sous réserve de la condition de fidélité, les Romains de la République tolérèrent volontiers l’exercice du droit d’asile[8]. Mithridate n’eut garde, à Éphèse notamment, de se montrer moins généreux. Jusqu’à l’Empire, l’octroi de cette faveur fut généralement le prix de la résistance aux ennemis de Rome dans les guerres étrangères et d’une alliance inavouée dans les guerres civiles. Mais entre temps un grand nombre d’usurpations de cette prérogative s’étaient commises, et surtout, même légitimement exercée, elle avait entraîné dans la pratique une foule d’abus. A Rome parvenaient sans cesse à ce sujet des plaintes et des requêtes, qui décidèrent les Romains à un examen sérieux de la question en l’an 22, sous le règne de Tibère.

Tacite, qui nous rapporte, cet épisode[9], nous dit qu’il y avait trois sortes d’individus profitant particulièrement de l’άσυλία : les esclaves en fuite[10], les débiteurs poursuivis par leurs créanciers[11] et enfin les malfaiteurs, toutes gens indignes de la protection des dieux. Tibère invita donc les villes grecques, qui prétendaient à l’asile et à ses avantages, à envoyer des députés pour discuter, contradictoirement avec le Sénat, les droits et privilèges qui leur avaient été attribués par les décrets des rois ou les édits des magistrats romains ; les litres invoqués devaient être présentés pour une étude minutieuse, car à cette époque il était facile d’introduire des titres faux, attribués aux Séleucides. En même temps sans doute, on était résolu à déterminer le périmètre dans lequel le droit d’asile, une fois reconnu, pourrait s’exercer[12].

Quelques villes trouvèrent elles-mêmes leurs titres si peu présentables qu’elles n’envoyèrent pas de députés ; mais la plupart répondirent à la convocation, et ce fut, pendant les années 22 et 23, une avalanche de délégations, considérables sans doute et éloquentes, trop éloquentes ; car après avoir longtemps examiné les pièces, le Sénat fut enfin, à son ordinaire, fatigué de ces sollicitations et plaidoiries et remit l’affaire à l’appréciation des consuls. Les droits et privilèges demandés pour leurs temples par les villes furent en général confirmés, mais on réduisit la latitude d’en user, et en outre, afin d’éviter à l’avenir les άσυλίαι imaginaires, il fut enjoint aux Grecs d’afficher dans chaque sanctuaire intéressé, sur des tables de bronze, le sénatus-consulte qui consacrait sou droit d’asile. Nous devons à Tacite une énumération, non limitative[13], il est vrai, mais qu’on peut partiellement compléter par les inscriptions, des cités qui figuraient au procès ; et cette revue demande d’autant plus à être faite dans les détails qu’à de très rares exceptions près, Chypre et Ténos, il ne s’agit guère dans cette circonstance que de villes d’Asie.

Ce sont avant tout les grandes localités et celles du littoral qui ont joui de cette prérogative. L’origine du droit d’asile du temple d’Artémis à Éphèse se perdait dans la légende : les Perses, les Macédoniens, les Romains le consacrèrent. On voit par Strabon les accroissements qu’il reçut successivement[14]. Alexandre donna à l’άσυλία, tout autour du temple, un rayon de 185 mètres. Mithridate l’étendit à la distance à laquelle pouvait atteindre une flèche lancée d’un coin du monument — pour symboliser sans doute cette idée que le réfugié devait être aussi invulnérable, sous la protection de la déesse, de loin que de près, — mais cela augmentait de très peu la superficie. Antoine le triumvir doubla encore le rayon, et ainsi le territoire inviolable comprit une partie de la cité. Cette dernière extension déplut aux Romains ; aussi, comme les Éphésiens s’étaient rendus les premiers à l’invitation de Tibère, leur privilège, du reste immémorial, fut reconnu ; mais sous l’Empire aucune parcelle du territoire même de la ville ne put offrir une retraite aux vagabonds et aux débiteurs. Le triumvir Marc-Antoine épargna tous les complices de Brutus et Cassius réfugiés auprès d’Artémis, à deux exceptions près[15]. Les Romains eux-mêmes s’y étaient retirés eu hâte, mais vainement, lors du massacre ordonné par Mithridate[16]. Les magistrats romains d’ailleurs ne rougissaient pas de porter atteinte à la sainteté du lieu : le questeur Scaurus accusa sans scrupule un Éphésien de l’avoir empêché d’arracher de l’Artémision son esclave qui y avait cherché un abri. Le temple garda très longtemps son droit d’asile ; les monnaies souvent le rappellent : nous en avons une de Philippe l’Arabe, au milieu du IIIe siècle, qui en porte la mention[17] ; et depuis la révision de l’an 22 il n’y a plus trace d’une violation.

A Smyrne, le temple d’Aphrodite Stratonikis avait été doté de l’άσυλία par Séleucus II Callinicus, roi de Syrie, qui déclara la ville elle-même ίεράν καί άσυλον[18]. La prérogative dont se prévalaient les habitants n’avait pas une authenticité certaine ; ils envoyèrent cependant des députés, et il faut croire que les Romains se laissèrent imposer parle nom de Stratonikis donné à Aphrodite, — pour honorer Stratonice, une aïeule de Callinicus, — qui rendait la prétention vraisemblable ; car le droit d’asile, à Smyrne aussi, fut confirmé.

En Ionie encore, il y avait un sanctuaire célèbre, réputé très au loin à cause des oracles qui y étaient rendus, celui d’Apollon Didyméen. Les Milésiens surtout le vénéraient, et c’est eux qui demandèrent pour lui le maintien du droit d’asile, que lui avait conféré jadis Darius III. Il ne nous est pas dit que le sanctuaire ait été violé ; il n’y eut, à notre connaissance, que les pirates de Cilicie qui y commirent des déprédations[19]. Ils n’épargnèrent pas davantage un temple assez illustre, situé près de Colophon, dont il dépendait, et appelé τό Κλάριον. Un oracle encore y était attaché, que Germanicus, nouvellement élu consul et rentrant à Rome, alla consulter[20]. Tacite ne mentionne aucune députation en faveur de ce temple ; mais c’est de sa part une simple omission, on peut le croire, car souvent le droit d’asile était attribué aux temples ainsi pourvus d’un oracle, les visiteurs n’étant pas seulement des gens du pays, mais quelquefois des étrangers. Et nous voyons qu’au temps de Germanicus l’oracle de Claros était encore en renom.

Téos fut-elle sacrifiée ? Une fois de plus, il ne faudrait pas le conclure du silence de Tacite à son sujet ; l’historien ne s’intéressait pas spécialement à chaque ville, comme nous-même en ce moment ; il ne s’arrêtait qu’à ce débat si caractéristique élevé à l’occasion du droit d’asile, et à la façon dont les Romains, d’une manière générale, y mirent un terme. Au fait, la question n’est pas facile à élucider. Je suis moins frappé que M. Scheffler[21] des mots : άγνών Τηίων, qui figurent sur une monnaie de la ville[22], et de la qualification : ή ίερωτάτη πόλις, qui lui est donnée dans une inscription[23]. Si peu soucieux que fussent les Grecs d’une terminologie exacte, il n’en est pas moins vrai que ces épithètes n’impliquent point le droit d’asile ; la boulé était fréquemment appelée très sainte ; pourquoi pas une cité elle-même ? Je retiendrais plus volontiers ce fait que Téos avait montré jadis de l’hostilité à l’égard de Rome, qui s’était vengée sur son privilège ; en outre, ce dernier avait sa raison d’être dans l’hospitalité que Téos avait offerte à la grande compagnie des artistes dionysiaques, laquelle, depuis lors, s’était démembrée. Somme toute, on- ne peut rien affirmer. Je sais bien que l’άσυλία avait été attribuée à la ville (πόλις) et à tout son territoire (χώρα), pareillement consacrés à perpétuité à Dionysos. Mais ils ne devaient cet avantage qu’à l’honneur d’être la résidence des technites. Ce synode lui-même jouissait personnellement, depuis le IIIe siècle, de l’άσυλία et de l’άσφάλεια, qui lui avaient été reconnues par tous les Grecs, pour les temps de paix et de guerre, en vertu d’un oracle d’Apollon[24] ; personne ne devait lui créer d’obstacles, ses membres étaient sacrés comme rendant les honneurs légitimes à la divinité. Que devint leur propre άσυλία après leur départ de Téos et leur dispersion ? On l’ignore, mais il est permis de croire que celle de la ville, quand ils l’eurent quittée, n’ayant pas été confiée spécialement à un temple, comme dans les autres cités, s’éteignit par voie de conséquence ; l’histoire d’Éphèse nous fournit un autre argument : les Romains n’aimaient pas qu’une trop grande étendue de territoire fût inviolable.

Au point de vue qui nous occupe, l’ancienne Ionie était assez favorablement traitée ; il faut noter combien la situation resta différente pour la Phrygie : Tacite n’en mentionne aucune ville ; mais les inscriptions font un sort exceptionnel à Aezani[25], qu’on voit au commencement du IIIe siècle, — et on ne sait depuis quand, — dotée du droit d’asile, en faveur sans doute de Zeus, la cité étant appelée νεωκόρος τοΰ Διός. Pourquoi cette parcimonie ? Elle s’explique sans peine : les villes de Phrygie sont de date plus récente que celles du littoral ; or, en matière d’inviolabilité, les Romains ont ratifié d’antiques privilèges, évitant d’en créer de nouveaux. Et surtout, cette région, la moins civilisée de toute la proconsulaire, au moins au début de l’Empire, n’offrait déjà que trop de repaires naturels, en certains endroits, aux gens suspects. Le cas isolé d’Aezani est dû à des motifs qui nous échappent.

On fera la même constatation pour la Mysie et la Lydie, mais les raisons en sont un peu différentes : sans doute, là aussi, la culture hellénique avait pénétré moins tôt que dans les contrées proprement côtières ; mais de plus les grandes villes étaient moins nombreuses et n’avaient pas joué dans les événements politiques récents le même rôle que les cités d’Ionie ou même que les localités échelonnées le long de la grande route vers l’Est. A Pergame, le droit d’asile avait été reconnu par le roi Eumène II au temple d’Athéna Niképhoros. Plusieurs États grecs ajoutèrent leur garantie et des peines sévères prévinrent les violations[26]. Pour les temps qui suivirent, nous n’en avons plus de nouvelles : après les Attalides, ce culte d’Athéna tomba dans l’oubli, à mesure que l’ancienne capitale perdait de sa gloire et de sa prospérité. En revanche, Pergame possédait un autre temple-asile, celui d’Asklépios. A l’époque de Mithridate, les Romains eurent beau s’y précipiter, ils n’en furent pas moins massacrés, comme dans l’enceinte d’Athéna[27]. A son égard, dit Tacite, les documents présentés parurent convaincants ; le droit d’Asklépios fut confirmé, et il en bénéficia longtemps ; Caracalla lui fut très prodigue de faveurs ; une maladie l’avait amené à Pergame, et dans le sanctuaire le dieu lui envoya des songes[28].

A Sardes, le temenos d’Artémis était inviolable depuis Alexandre, il demeura tel après l’an 22 ; les habitants d’une ancienne capitale pouvaient plus aisément invoquer des raisons plausibles. Le témoignage de Tacite à l’égard d’Hiérocésarée est plus déconcertant : les députés affirmèrent le droit d’asile de leur Diana Persica, alléguant qu’il avait été déjà sanctionné et accru par des chefs romains : M. Perperna, vainqueur en 130 d’Aristonicus, puis P. Servilius Isauricus, le proconsul de Cilicie de l’an 78, etc. Grâce à eux et à d’autres, le temple et son péribole étaient privilégiés dans un rayon de 2 000 pas. Ils eurent cause gagnée finalement, à la faveur, je pense, de la sympathie que dut inspirer aux juges du procès une ville baptisée d’un nom demi-romain, et à laquelle Tibère lui-même s’était intéressé.

Mais, de toutes les contrées de l’Asie, la Carie eut le plus grand nombre de portes ouvertes aux vagabonds et aux endettés. Elle était largement pourvue par endroits de villes illustres et riches, et elle avait montré pour la cause romaine un dévouement moins intermittent que les régions voisines. La petite cité d’Amyzon avait reçu l’άσυλία par le bienfait d’un roi, attesté dans une inscription datant de la première arrivée des Romains en Asie[29] ; quant à ses destinées ultérieures, le souvenir ne nous en est pas parvenu ; et l’on n’a nulle raison de se prononcer pour ou contre sa déchéance, le silence de Tacite à l’égard de cette modeste localité pouvant se concevoir aussi aisément que le retrait du privilège à un sanctuaire apparemment sans importance.

Tout autre est le cas d’Aphrodisias, la ville d’Asie qui éclipsait toutes les autres par ses fêtes brillantes et ses jeux. Elle avait, nous le savons, bien mérité des Romains ; ses députés, dit Tacite, pour s’assurer le droit d’asile, représentèrent l’édit du dictateur César rendu en récompense des services rendus par eux à son parti. Nous avons également un décret[30] par lequel Marc-Antoine, au nom des Triumvirs, concède au temple d’Aphrodite, à Plarasa-Aphrodisias, les mêmes prérogatives appartenant à celui d’Artémis à Éphèse ; les limites du territoire inviolable durent être reculées, puisque Alexandre, Mithridate et le même Antoine avaient donné une plus grande superficie à celui de l’Artémision. Cette concession avait dû être en 38 confirmée par le Sénat en même temps que les autres actes des Triumvirs[31]. Sous Tibère néanmoins, les gens d’Aphrodisias ne produisirent pas la lettre d’Antoine, dont les actes avaient été rescindés, mais seulement le décret de César et des rescrits d’Auguste. Ces documents rappelant des faits récents et bien connus, il n’y eut pas de difficultés ; on loua même les habitants de ce que l’irruption des Parthes n’avait rien changé à leur fidélité envers le peuple romain.

Stratonicée se trouvait dans des conditions identiques, et Tacite parle des deux villes à la fois. Les Stratonicéens se prévalaient même d’états de services plus beaux encore. Le sénatus-consulte de 81, dit de Lagina, avait récompensé les adversaires inébranlables de Mithridate ; mais plus décisif et moins lointain était un décret d’Auguste. Pendant l’invasion des Parthes, sous Labienus, le temple d’Hécate fut dévasté ; la paix rétablie, l’Empereur s’occupa de le purifier et de le relever, puis de le doter de privilèges[32], qui furent ratifiés en l’an 22 ; même il y avait à Lagina un champ consacré à Hécate et auquel s’étendait la prérogative octroyée à Stratonicée.

Le droit d’asile d’Arlémis Leucophryné à Magnésie du Méandre représentait une générosité de L. Cornélius Scipio, qui avait ainsi récompensé les Magnètes de leur fidélité pendant la guerre contre Antiochus ; Sylla l’avait confirmé en 84, on en fit autant sous Tibère.

Tacite ne parle pas de Nysa ; mais l’épigraphie supplée à son silence. Une inscription de l’an 1 avant J.-C.[33] nous apprend que le proconsul Cn. Lentulus Augur garantit à la ville le droit d’asile sollicité par les stratèges. Le gouverneur avait donc pour cela les pouvoirs nécessaires ? Il semble que le Sénat eût dû intervenir, mais il n’allait pas jusqu’au bout de ses droits, et nous possédons un fragment d’une lettre qui paraît être d’un Empereur, portant ratification des privilèges concédés par les anciens rois[34]. Ce texte est-il d’Auguste, approuvant la décision de Lentulus, ou de Tibère, à l’occasion de la révision générale ? Les deux hypothèses sont également admissibles, en l’absence de toute autre donnée. Sur un second monument très mutilé[35], dont la date est inconnue, on lit les épithètes ή ίερά καί άσυλος, qui ne peuvent guère s’appliquer qu’à Nysa. Ajoutons que le culte principal de cette ville était rendu à Hadès et à Corè et que beaucoup de monnaies ΝΥΣΑΕΩΝ représentent l’enlèvement de l’une par l’autre[36]. Or, Strabon fait allusion au droit d’asile accordé dans la région à ces deux divinités[37] ; il semble qu’il n’y ait pas de doute.

Tacite ne mentionne pas non plus Tralles, qui méritait cependant d’être citée ; un texte épigraphique conservé rapporte à Artaxerxés III Ochos[38] la collation du privilège d’άσυλία à cette ville. L’inscription semble du premier siècle de l’ère chrétienne, malgré les faits plus anciens qu’elle relate, et c’est peut-être une reproduction intégrale des antiques chartes de la cité, qu’on fit recopier eu y ajoutant le sénatus-consulte romain. Ce deuxième affichage ferait croire que les consuls s’étaient contentés du titre invoqué.

L’opération générale de révision dura plus d’une année, puisque en 23 Samos envoya des députés pour le même objet : Elle s’appuyait sur un décret des Amphictyons, arbitres suprêmes au temps où les Grecs, ayant fondé des villes en Asie, en tenaient les rivages. Les faveurs d’Auguste, son hôte, dont le souvenir était encore si présent, durent passer pour une recommandation plus puissante. Cos avait un titre non moins ancien et y joignait un mérite propre : elle avait donné refuge, dans son temple de l’Asklépieion, aux citoyens romains, quand, sur l’ordre de Mithridate, on les égorgeait dans toutes les îles et cités d’Asie.

Ainsi Rome s’est basée sur la tradition, quand elle était sérieusement établie, et plus encore sur les services rendus. Le nombre des sanctuaires pourvus du droit d’asile a dû diminuer[39] à la suite de ce recensement, dont la formule de conclusion ne demeura pas sans retouches, car nous constatons des actes ultérieurs[40]. Des mécontentements en naquirent sans doute ; il y eut aussi des satisfaits. La métropole poursuivait son œuvre de police et de pacification, qui profita à plus d’un peuple ; et surtout elle montrait sa force et imposait la soumission.

Mais en outre cet usage grec lui rendit encore un notable service : le Sénat avait limité le plus possible les privilèges des temples élevés aux anciennes divinités ; or un nouveau culte naquit, le culte impérial, et dans tout le monde romain les temples des Empereurs, et même les statues du prince vivant, obtinrent ce pouvoir de protection qui avait été reconnu au sanctuaire de Jules César, à Rome[41]. Sans doute il ne suffisait pas au coupable, pour échapper aux poursuites, de se réfugier chez le dieu ou d’embrasser son image : mais celle démarche valait au moins à celui qui la tentait la clémence du tribunal et la bienveillance de l’autorité publique[42]. C’était une prérogative plus restreinte que l’άσυλία de jadis ; en revanche, sitôt inauguré, tout temple impérial la possédait de plein droit, et les agents de Rome, qui n’avaient cure de l’autre, respectaient celle-là. Une comparaison s’imposait à l’esprit des Asiatiques, qui s’habituèrent à invoquer leurs « dieux Augustes » comme un pouvoir tutélaire et paternel.

 

§ 2. — LE SERVICE DU CULTE CONTRÔLÉ ET MODIFIÉ PAR LES ROMAINS.

L’influence romaine, à l’égard du personnel du service du culte, se fil sentir de plusieurs manières. On restreignit d’abord Tassez grande indépendance dont jouissaient les prêtres en face du pouvoir civil ; ils prirent de plus en plus le caractère de magistrats de la cité, ce qui est, on lésait, une idée surtout romaine, et à ce titre ils furent soumis, comme les autres fonctionnaires, à la suprématie de la boulé. Sur ce point rien de plus net que ce que j’ai rapporté des transformations subies par la hiérarchie de l’Artémision d’Éphèse.

Chez les Grecs, le service du culte ne recevait aucune assistance publique des municipalités ; les temples étaient comme autant de banques privées, alimentées par les dons[43], le produit des oracles, le rendement des domaines sacrés. Les deux lacs situés à l’embouchure du Caystre appartenaient à Artémis éphésienne ; les rois de Pergame se les étaient appropriés ; les Romains en firent la restitution[44]. Le droit de pêche était loué à une société de fermiers[45]. Mais les Romains ne s’en tinrent pas là : ils firent passer dans la pratique le principe en vigueur en Italie, où les soins du culte étaient une obligation de l’État[46].

On le constate, quoique peu nettement, par l’affaire d’Aezani ; une discussion s’était élevée sur les lots du domaine sacré partagé entre les habitants ; l’Empereur décida que le tribut fixe prélevé sur les propriétaires de ces lots serait remis au trésorier du territoire sacré, non pour accroître les ressources de ce territoire, mais pour que les revenus de la ville ne fussent pas diminués[47]. Ici se manifeste la confusion croissante entre les biens religieux et les finances municipales. Nous avons déjà noté qu’à Éphèse l’administration du trésor de la déesse échappa à la comptabilité des prêtres[48].

Mais l’autorité romaine ne se borna pas à imposer au corps sacerdotal la supériorité des pouvoirs laïques ; elle exigea de lui naturellement une déférence envers elle-même. Tout comme les cités, les corps constitués, la boule, la gérousie, les neoi, on vit des collèges religieux saluer l’Empereur, le féliciter de son avènement au trône ou de la naissance de son fils ; ces marques de respect sont prodiguées à Smyrne, à l’égard d’Antonin le Pieux, qui reçoit les hommages du synode des gens qui célèbrent Briseus Dionysos et du synode des mystes[49]. Pour la célébration de certaines cérémonies sacrées, l’autorisation administrative des Romains était peut-être de rigueur ; on peut le déduire d’une inscription autrefois copiée par Cyriaque d’Ancône : A L. Mestrius Florus, proconsul, lettre de L. Pompeius Apollonius d’Éphèse : Des mystères et des sacrifices, Seigneur, sont chaque année, à Ephèse, offerts à Déméter Karpophore et Thesmophore et aux dieux Augustes par les mystes et les prêtresses, en toute pureté et suivant des usages réguliers, depuis de très nombreuses années, (cérémonies) conservées avec soin par les rois et les Augustes et les proconsuls de chaque année, comme leurs présentes lettres l’impliquent ; c’est pourquoi, la même nécessité pressant aussi sur loi, Seigneur, par mon intermédiaire le sollicitent ceux qui doivent accomplir les mystères, afin que connaissant leurs justes demandes[50] ..... Il y a bien là l’indice tout au moins d’une formalité requise.

Mais surtout le mode de recrutement du personnel qui desservait les sanctuaires dut se transformer. Avant la domination romaine, le procédé du tirage au sort était assez fréquemment employé[51] : nous devons croire qu’après la constitution de la province ce système fut de moins en moins usité[52], ou qu’on le corrigea pratiquement en restreignant le choix du hasard. Ce qu’il fallait avant tout aux maîtres du pays, c’était, là encore, assurer la suprématie de l’aristocratie locale. Comment s’y prirent-ils ? On ne peut retracer leur méthode par le menu, lui donner des traits précis que sans doute elle n’avait pas ; elle a dû varier suivant les temps, les lieux et les circonstances. Mais le résultat est certain. Du reste, dans le domaine religieux, un effort spécial des Romains vers ce but fut à peine nécessaire. La poussée insensible, mais insurmontable, qui portait aux fonctions municipales les hommes riches exclusivement, devait avoir forcément son contrecoup sur les sacerdoces ; les grandes familles, dans chaque ville, étaient appelées à en accepter et à s’en réserver le monopole, en raison de leur double caractère, honorifique et onéreux. A Laodicée du Lycus, un membre de la famille Zénon se glorifie d’être prêtre pour la quatrième fois ; un autre dit que cette charge est héréditaire parmi les siens ; donc, en droit ou en fait, c’était devenu un apanage de cette grande, riche et généreuse maison[53].

L’opinion de M. Bischoff, que la vente des fonctions sacerdotales est d’époque tardive, offre une grande vraisemblance : c’est surtout dans le système romain de recrutement que ces ventes se conçoivent, comme propres à assurer en permanence les privilèges de la fortune. Et de même la possession de ces titres par les femmes, même mineures, — et alors le tuteur les remplace[54] — fait bien entrevoir l’application d’un plan général, déjà exposé à propos des carrières municipales. Ce qu’il advint des employés inférieurs de jadis au service des temples nous est encore un indice : la charge de néocore ne va plus sans frais[55] : ou la trouve maintenant exercée par des hommes riches et influents qui s’en font honneur[56] ; il en est qui, à côté de ce titre, peuvent étaler celui d’asiarque[57] ; on crée la dignité d’archinéocore[58], et même celle de néocore à vie est concédée à ceux qui ont bien mérité de leur patrie.

Mais l’influence romaine s’est traduite encore d’une autre façon plus caractéristique et plus curieuse.

 

§ 3. — L’ASSOCIATION DES DIEUX ROMAINS AUX DIEUX GRECS. LE CULTE MUNICIPAL DES EMPEREURS[59].

Les Romains ne voulurent pas discipliner à l’excès l’élément religieux de leur conquête ; il y avait une manière de l’asservir qui valait mieux que la force ouverte, l’autorité visiblement imposée : c’était l’absorption, l’accaparement du zèle et des instincts religieux au profil du peuple-roi, de façon à créer entre lui et les provinciaux un lien sacré, plus fort évidemment que la crainte de l’imperium des magistrats, on même que la conscience de l’utilité pour le pays de la domination romaine.

En Asie, le terrain était merveilleusement préparé pour cette œuvre délicate : l’esprit de réceptivité de ces populations se révélait avec force dans tons les détails de la vie religieuse. Les Grecs, les derniers venus dans la péninsule avant les Romains, s’étaient familiarisés très vite avec les divinités locales. A l’organisation des sacerdoces primitifs ils avaient pu trouvera redire ; mais ils s’étaient à merveille accommodés des idoles lydiennes ou phrygiennes. Je n’ai pas à examiner comment celles-ci en vinrent à se vêtir à la grecque au point d’être à peine inconnaissables. On verrait par exemple, grâce aux travaux de M. Ramsay[60], les métamorphoses ou les accointances subies par le vieux M en phrygien. Les Asiatiques accueillirent à bras ouverts l’Isis et le Sérapis d’Egypte ; plus d’une ville eut son Serapeum[61]. A Pergame[62], deux ίεραφόροι consacrèrent, sur l’ordre d’une oracle, les statues de toute une kyrielle de divinités égyptiennes : Sérapis, Isis, Anubis, Osiris, Apis. A vrai dire, je ne prétends pas insinuer que tout ceci est un reflet particulier de l’hellénisme ; dans l’Empire, l’Occident s’est montré lui-même très hospitalier aux dieux et déesses des étrangers introduits dans son Panthéon.

Mais voici qui est plus franchement oriental : les peuples d’Asie Mineure étaient si accueillants pour toute nouvelle personnalité surhumaine qu’ils ne s’en rappelaient pas toujours la grandeur ; à force de se multiplier parmi eux, les divinités ont perdu un peu de leur prestige. La vénération qu’on leur témoignait affecta bien souvent des formes qui n’étaient respectueuses qu’en apparence ; elle s’alliait sans mesure à l’expression de sentiments qui ne visaient que des hommes. Faut-il quelques exemples de ce curieux mélange ? Ό δήμος Γάϊον Πομπαϊον Σαβϊνον Ήρη[63]. Telles sont les brèves mentions d’une pierre trouvée par M. Decharme à Samos. Le peuple, voulant glorifier Q. Pompeius Sabinus, lui a élevé une stèle qu’il consacre à Junon ! Inscription analogue à Cnide : C. Julius Theopompos a été honoré par Apollonios, son ami, pour sa bienveillance envers lui ; suit cette dédicace : Άπόλλωνι Καρνείω[64]. Ici encore deux bénéficiaires, de rang fort inégal. La même cité témoigne sa reconnaissance à Semius Sulpicius, εύνοίας ένεκα τάς είς αύτόν θεοΐς[65]. Ainsi il y a partage d’honneurs entre Sulpicius et les dieux. Dira-t-on qu’il ne faut voir dans les derniers mots de ces dédicaces qu’une formule d’hommage banale, sans portée, destinée à rendre la divinité favorable ? Préoccupation qui se traduit ailleurs par l’expression : Άγαθή Τύχη. Donc, que ceci tourne à bonne fortune, ou bien : que Junon, Apollon, les dieux en prennent soin, seraient de simples variantes d’une même phrase, devenue de style en épigraphie.

Soit. Mais on expliquera moins aisément le petit monument suivant de Blaundos de Mysie[66] : A la bonne fortune. Θεοΐς πατρίοις καί Αύτοκράτορι Καίσαρι Μάρκω Αύρ[ηλίω Άντωνείνω] Εύσεβεϊ..... [Σ]ενπ[ρ]ώνιος Είδομενεύς άστυνόμος τόν Σέραπι[ν] έκ τών ίδίων κτλ... Je suis moins intrigué que Le Bas et Waddington par la question de savoir si l’Empereur cité là est Caracalla ou Élagabale ; mais je ne puis ne pas remarquer en passant l’ingéniosité de ce personnage qui élève aux dieux de la pairie et à l’Empereur Σέραπιν, une statue de Sérapis probablement. Une inscription d’Éphèse est encore plus singulière[67] : [A l’Artémis d’Éphèse][68] et à l’Empereur Antonin le Pieux, et à la première et très grande métropole d’Asie, deux fois néocore des Empereurs, la ville d’Éphèse, et à ceux qui s’occupent d’affermer la pèche des poissons[69], Comimia Julia, avec l’autel, a posé l’Isis à ses frais. Cette fois tout le monde a son tour ; et on ne sait plus quel départ faire entre le sentiment religieux et le sentiment purement humain. Nous avons de Samos un spécimen analogue de cette confusion[70] : A Héra de Samos et à l’Empereur Nerva Caesar Aug. Trajan. Germanic., et au peuple des Samiens, Q. Nerius Carpos, cornicularius, avec Fausta, sa femme, et ses enfants, a posé l’Asklépios et l’Hygie.

C’est donc bien une habitude chez ces populations de rassembler dans une même formule de dédicace des noms de dieux et des noms d’hommes ou de collectivités[71]. Cela tient à ce qu’elles sont devenues incapables de distinguer nettement entre les honneurs proprement divins et les autres ; dès le temps de la République, elles résolurent plus d’une fois d’élever des temples à des gouverneurs ; ou se rappelle que les Asiatiques voulaient en construire un en l’honneur de Q. Cicero, honneur auquel son frère, l’orateur, aurait été associé, et qu’il décida Quintus à décliner. Tel fut encore le cas de L. Munatius Plancus, gouverneur en l’an 41 av. J.-C, et une inscription, un peu mutilée, il est vrai, paraît bien rappeler un prêtre de celui-ci[72]. Et pourtant ils ne sont pas dieux ; nulle part on ne les donne expressément pour tels ; et ils ont leurs temples et leurs prêtres !

Ce sentiment religieux si vague, si flottant, si compréhensif tout ensemble, fait surtout d’amour de la pompe et de penchant à l’adulation, avait ses racines assez loin dans le passé[73]. Nous allons avoir à parler du culte des Empereurs ; personne n’ignore que son origine est tout orientale ; il y eut un culte rendu aux rois de Pergame. Une inscription de la petite ville d’Elæa, près de Pergame[74], nous renseigne à cet égard ; c’est un décret de cette localité en l’honneur d’Attale III, dernier de sa race. Il est dit fils du dieu Eumène Soter ; et à la ligne 27 il est fait mention du stéphanéphore des douze dieux et du roi Eumène. Quant à Attale lui-même, le décret énumère les honneurs dont il sera l’objet : couronne d’or, banquets, statue équestre près de l’autel de Zeus, sur lequel on sacrifiera pour lui chaque jour ; et le huitième de chaque mois aura lieu une procession ; une autre statue devra représenter le roi marchant sur des ennemis défaits qu’il foule aux pieds, et sera placée dans le temple d’Asklépios, afin qu’il partage le temple avec le dieu, ϊνα ή[ι] σύνναος τώι θεώι. Et cependant il n’est pas appelé dieu littéralement dans ces dédicaces ; malgré tout il partage le temple d’un dieu, alors qu’on en prie un autre pour lui.

Les premiers cultes romains consacrés en Orient remontent à une date reculée : ils sont plus anciens que la province d’Asie elle-même[75]. Il y eut une Dea Roma vénérée à Smyrne dans un temple qui lui fut élevé dès 195[76] ; et peu après, en 170, Alabanda de Carie imita cet exemple, organisant par surcroît des jeux sur lesquels une ambassade, envoyée spécialement à Rome, attira l’attention bienveillante du Sénat[77]. Pour obtenir une faveur de cette assemblée, les Rhodiens décidèrent d’ériger dans leur principal sanctuaire une statue du peuple romain haute de trente coudées[78]. Il y eut des temples — ou tout au moins des autels — et des prêtres de la déesse Rome à Assos[79], à Euménie[80], à Ilium[81], à Perperene[82], à Pitane[83], à Sardes[84], à Astypalée[85], à Stratonicée[86], à Tripolis de Phrygie[87]. A Pergame, on trouve un prêtre de Rome et du Salut[88], à Philadelphie et à Cos des jeux romains[89]. Monnaies ou inscriptions nous signalent des prêtres de César à Assos[90], à Cibyra[91], à Alexandria Troas[92], puis des prêtres des Augustes et de leur maison à Pergame[93], Perperene[94], Magnésie du Sipyle[95], Acmonia[96], Aphrodisias[97], Thyatira[98], Aezani[99], Bargylia[100], dans les deux colonies Julia Parium et Aug. Alexandria Troas[101].

La déesse Rome fit majestueusement son entrée dans le Panthéon gréco-asiatique ; elle y acquit un rang de faveur ; on lui voua un culte qui, dans le principe, ne s’adressait qu’à elle ; aucune divinité parèdre ne participa aux marques de vénération qui lui étaient prodiguées. Elles partaient d’un élan sincère de la population, effet de la crainte ou de l’espérance, que l’autorité romaine, en tout cas, n’avait pas directement provoqué. Il en va tout autrement à mesure qu’on avance dans l’histoire : ce qui était la règle devient sous l’Empire une exception. Les cultes romains dès lors — je parle des cultes municipaux — sont presque toujours des cultes associés. Et cette fois une intervention gouvernementale dut se faire sentir, mais discrète et bien conduite[102].

Il entrait dans les plans de Rome de flatter ces provinciaux, de trouver une forme concrète qui parût attester qu’une parfaite entente rapprochait du peuple sujet le peuple souverain ; l’alliance des religions devait symboliser, mieux que toute autre chose, l’union des cœurs et des consciences. Cette intervention d’ailleurs, dans quelques cas, n’est pas à soupçonner ; il convient de la constater[103]. A Ephèse même, dans le τέμενος d’Artémis, fut bâti un Augusteum, et l’Empereur prêta personnellement attention à tout ce qui concernait les constructions élevées dans cette enceinte. Une inscription[104] porte : Imp. Caesar div. f. Aug..... ex reditu Dianae fanum et Augusteum muro muniendum curavit, C. Asinio [Gallo procos.], curatore Sex. Lartidio leg. Notons qu’elle est bilingue : un texte grec reproduit exactement le texte latin ; ce fait déjà serait un indice à recueillir, mais la teneur du document est suffisamment instructive : dans l’ancien territoire sacré d’Artémis, un sanctuaire fut consacré à Auguste ; celui-ci prit soin de faire entourer d’un mur et l’Artémision et l’Augusteum ; et le travail s’accomplit sous la direction d’un légal du proconsul, aux frais du trésor de la déesse. Sans doute, c’étaient les Éphésiens qui avaient pris l’initiative de construire ce monument d’Auguste ; mais il est plaisant de voir l’ancienne divinité elle-même subvenir à l’entretien de ce nouveau temple. Un culte illustre entre tous se trouvait désormais lié au culte de l’Empereur, et les sacerdoces créés pour les desservir à la fois s’ouvraient aux Hellènes et aux Romains tout ensemble.

En Ionie et en Lydie nous surprenons des faits analogues. Tandis qu’à Smyrne naissait un culte de Jupiter Capitolin, de grands bouleversements se produisaient dans les institutions religieuses de Téos : aux jeux célébrés jusque-là uniquement en l’honneur de Dionysos, on en joignit d’autres en l’honneur des Césars, et ce ne fut plus chaque année, mais tous les cinq ans, qu’eurent lieu ces Διονυσιακά Καισάρηα[105]. Les officiants, de condition médiocre, étaient choisis autrefois dans des collèges de τεχνϊται ou de συναγωνισταί ; désormais il y eut des prêtresses de haute naissance[106]. Magnésie, du Méandre institue également des prêtres de la patrie et des Augustes[107]. Les μύσται d’Éphèse se consacrent à la fois aux mystères éleusiniens et au culte des Θεσί Σεβαστοί[108]. Semblable est le cas de Thyatira : la vieille divinité nationale, Tyrimnas, fut associée aux Empereurs dans un culte commun : les grands jeux célébrés pour fêter la première prirent en même temps le nom des autres (Σεβαστά Τυρίμνηα). Nous connaissons les grandes actions d’un agonothète πάσας τάς είς τόν θεόν καί είς τούς κυρίους αύτοκράτορας εύχάς καί θυσίας... πεπληρωκότα[109]. Par exception, c’est au seul C. Julius, fils du dieu Auguste, νεωι θεώι lui-même, qu’un autel fut dressé par le δάμος Άλασαρνιτών de l’île de Cos[110].

Des témoignages du même ordre abondent en Carie : près d’Antioche, M. Sterrett a retrouvé la mention d’un néocore τών πατρίων [θεών κα]ί τοΰ κυρίου [αύ]τοκράτορος[111] : à Héraclée du Salbacos, un personnage est dit : θύσα[ντα τοΐς] πατρίοις θ[εοΐς καί τοΐς Σε]βαστοϊς[112]. De la petite ville de Céramos provient une dédicace à Trajan et aux dieux des Céramiètes[113]. A Iasos, Commode est honoré dans le même temple qui fut élevé pour la déesse locale Artémis Astias[114]. En ce qui concerne Aphrodisias, notons une statue de Claude dédiée par le peuple et par Menandros, άρχιερεύς αύτοΰ καί Διονύσου[115]. A Alabanda, Auguste est associé au dieu national. Apollon Eleutherios[116] ; la ville avait beaucoup souffert pendant l’invasion de Labienus[117], et elle dut acclamer l’avènement d’Auguste comme l’aurore d’une ère de paix et de liberté. Près de Bargylia, une inscription rappelait un temple d’Artémis Cyndias, dont le desservant était aussi grand-prêtre de la déesse Rome, de l’Empereur Vespasien et de son fils Titus[118]. A Cys, le protecteur de la ville, Zeus libérateur, a même prêtre que l’Empereur Auguste[119]. A Milet, le très ancien culte d’Apollon fut uni au culte des Césars[120], et les Romains virent très longtemps avec faveur ce culte didyméen ; il acquit une telle importance qu’à une époque qui ne nous intéresse déjà plus, l’Empereur Julien ne dédaigna pas d’en être créé prophète. A Stratonicée, le temple d’Hécate avait été fort éprouvé dans la résistance opposée par la ville aux Parthes de Labienus ; les jeux quinquennaux n’avaient pu y être célébrés. Auguste le fit réparer, une impératrice donna 1.000 deniers pour aider les prêtres à organiser des jeux et des festins[121] ; aussi le culte d’Hécate fut-il d’abord associé à celui de la déesse Rome Εύεργέτις[122], puis le sacerdoce suprême des Césars fut joint à celui d’Hécate[123], et la reconnaissance de la ville se marqua sans cesse par de nombreuses légations de prêtres, envoyées à Rome pour saluer les nouveaux Empereurs[124]. A Laodicée du Lycus, le sacerdoce le plus en vue était celui de Zeus Laodicenus ; on célébrait en l’honneur de cette divinité les jeux appelés Aeta, qui depuis reçurent le nom de Δεΐα Σεβαστά[125], et il est clair que la transformation des fêtes implique celle du culte dans le même sens.

Ce système général d’association de dieux grecs et de personnages romains gagna naturellement en effet la Phrygie comme les autres parties de la province. La vénération pour l’Empereur y prit même quelquefois une forme encore plus respectueuse et plus humble. Ainsi, à Aezani, un ίερός fit graver un jour une dédicace à Zeus et aux Κύριοι[126]. A Acmonia, nous avons vu l’union de Dionysos et d’Alexandre-Sévère, dont l’οΐκος, la domus divina, est associée dans le même hommage. Une inscription de Bria est ainsi conçue : A Zeus et à Aug. Caes., Euxenos, fils d’Asklepiades, le prêtre[127].

A Assos en Troade, voici un prêtre d’Aug. le dieu César et prêtre de Zeus ayant même temple (τοΰ Όμονώου)[128]. A Khirogamas, dans l’île de Cos, le célèbre Xénophon, άρχίατρος τών θεών Σεβαστών, est dit : άρχιερέα τών θεών καί ίερέα [διά βί]ου τών Σεβαστών καί Άσκλαπιοΰ Ύγίας καί Ήπιόνης[129]. A Lesbos, nous l’apprenons d’une inscription sans doute antérieure à l’Empire, c’est la ‘Ρώμα Νικηφόρος qui reçoit des présents en même temps que d’autres divinités[130].

Il est à remarquer que, dans chaque ville, le culte d’un ou de plusieurs Empereurs n’est pas forcément lié à celui d’un seul et unique dieu ou groupe de dieux, toujours le même. A Aphrodisias, nous avons rencontré séparément une dédicace à Aphrodite et aux Augustes, un grand prêtre de Claude et de Dionysos. A Éphèse, nous savons que sur le territoire d’Artémis se dressait un Augusteum ; et dans les toutes premières aunées de l’ère chrétienne, on y avait déjà associé au culte de Déméter celui des θεοί Σεβαστοί[131]. Il n’y a plus guère de divinités locales qui se présentent seules, sans quelque ombre romaine qui les accompagne ; dans les cas exceptionnels où l’on en rencontre cependant, elles ont encore quelque qualification qui les met à la mode nouvelle : ainsi à Smyrne un texte épigraphique rappelle la construction d’un bain d’Apollon et de Sé[rapis] Augustes[132].

D’autre part, le personnage romain ne figure pas toujours à titre de divinité parèdre ; il absorbe quelquefois en lui le dieu local, le remplace, prenant seulement son épithète ou son aspect extérieur. Sur des monnaies de Magnésie du Sipyle, Néron est appelé Zeus Eleutherios[133]. A Germé de Mysie, Hadrien, à la place de Zeus, devint Πανελλήνιος[134], et à Aezani il fut Γενέτωρ, ayant supplanté Apollon[135]. A Cyzique Commode est qualifié d’Hêraklès romain[136]. A Tiberiopolis de Phrygie, Livie et Tibère semblent avoir été identifiés avec la Mère des dieux et son fils[137].

Livie inaugure une autre série, parallèle à celle que nous venons de suivre : les grandes dames romaines se sont vu élever à leur tour jusqu’à l’Olympe. On a retrouvé à Priène[138] une dédicace à Ίουλία θεά καλλίτεκνος (mère d’une illustre postérité), fille du dieu César Auguste, c’est-à-dire à Livie, adoptée par testament de l’Empereur dans la famille Iulia et dès lors appelée Julia Augusta et Augusti filia[139]. Samos reconnaît les bienfaits de la déesse Julia Augusta[140]. Un fragment mutilé, copié par M. Alffr. Körte à Aezani, est relatif au culte de Néron et de sa mère Agrippine en cette ville[141]. Les habitants de Sardes admettent sur leurs monnaies l’effigie de la déesse Octavie, femme de Néron[142] ; et sur celles de Cyzique, on voit une Korè Soteira sous les traits de Faustine la jeune[143]. Il devient de style, dans plus d’un monument où est glorifié quelque dieu Auguste, de joindre une flatterie du même ordre pour l’impératrice, le plus souvent dénommée Héra, ou même pour la fille du prince[144]. D’autres épithètes encore ont cours : on voit à Acmonia[145] un prêtre à vie d’une Augusta Eubosia, qui n’est autre qu’Agrippine la jeune ; ou bien ce sont des parentes des Empereurs qui deviennent Karpophores comme Déméter[146]. A Pergame, mention d’une prêtresse d’Athena Nikephoros et Polias et de Julia, σύνθρονος de la déesse de la ville, nouvelle Nikephoros, fille de Germanicus César[147].

On est frappé malgré soi du nombre des dédicaces adressées aux deux filles de Germanicus, l’aînée surtout, Iulia Drusilla, que son porc, l’Empereur Caligula, in modum justae uxoris propalam habuit[148] et fit vénérer après sa mort, dans tout l’Empire, comme une déesse[149] ; mais les Cyzicéniens n’avaient pas attendu l’injonction de Caligula[150]. Sa cadette, Julia Livilla, fut de son vivant l’objet d’un culte[151], auquel l’Empereur mit fin en la condamnant au bannissement. La femme même de Germanicus fut proclamée déesse d’Éolide[152] ; on lui donna ce nom dans diverses localités ; mais il avait été imaginé à Lesbos, où elle s’était retirée avec Germanicus[153], lequel de son côté, en récompense de ses bienfaits, fut appelé θεός νέος. Sur toute la côte et dans les îles, il jouissait alors d’un grand prestige[154], et les habitants de Calymnos lui avaient consacré un monument, en même temps qu’à Apollon Délien, Καλύμν[α]ς μεδέοντι[155]. A Rhodes, le peuple dédia une statue à Augusta Poppaea Sabina, déesse, femme de l’Empereur[156].

Une inscription d’Ilium enfin donne comme la formule achevée de l’adulation des Asiatiques envers leurs maîtres[157] : A Antonia, nièce du dieu Auguste, devenue femme de Drusus Claudius, le frère de l’Empereur Tibère, fils d’Aug., Aug., mère de Germanicus César et de Tib. Claudius Germanicus, et de la déesse Livia Aphrodite Anchisias, ayant fourni la plupart et les plus considérables des branches de la plus divine famille, Philon, fils d’Apollonios, à sa déesse et bienfaitrice, à ses frais. Cette Antonia était alors mère et grand’mère de tous les rejetons de la famille impériale pouvant aspirer à la succession de Tibère ; le Grec Philon exprimait ce jour-là les sentiments d’un véritable Romain. L’inscription, que j’ai cru devoir traduire tout au long, montre en effet que l’usage de mettre au rang des dieux les Césars s’était étendu dès le début du principal aux membres de la famille impériale, et de plus qu’il atteignait ces personnages de leur vivant, aussi bien qu’après leur mort, car à cette date[158] Antonia était encore de ce monde.

Il y a un détail auquel on reconnaîtrait l’origine grecque de cette dédicace, même à travers une traduction, et qui prouve bien qu’un Romain n’y a pas mis la main. Entre tant de dieux reconnus par Philon, il y en a un d’oublié : c’est l’Empereur, cité ici comme un simple mortel. Sans doute il vit encore, mais Antonia pareillement, et, à l’égard de celle-ci, le dédicant n’a pas éprouvé les mêmes scrupules. Tout ceci nous montre le degré de conviction profonde et intime dont étaient animés les provinciaux en mettant, en quelque sorte sur commande, la maison impériale au-dessus des choses d’ici-bas ; l’auteur de l’inscription avait négligé une grave question de hiérarchie[159]. S’efforçant à l’enthousiasme, sur un point il dépassait la mesure, en même temps qu’il commettait le plus grave des oublis.

Les Grecs n’ont guère marchandé pourtant les honneurs divins aux Empereurs encore sur le trône. Néron surtout, qui s’y complaisait plus qu’aucun autre, en fut gratifié sans mesure[160]. Est-ce bien à lui que, dans une inscription de Smyrne, les Grecs d’Asie donnèrent le titre, non exceptionnel, de Ζεύς πατρώος[161], comme s’il eût été un protecteur spécial de cette terre ? M. Brandis y contredit[162], et avec quelque raison, je crois. Les mots Νέρωνος Κλαυδίου sont une restitution de Waddington, à qui elle paraît de toute évidence ; mais il dit simplement que la flatterie des Grecs h l’égard de Néron ne connut pas de bornes ; elle n’en eut guère non plus à l’égard d’Auguste, et il est bien vrai que le culte de Rome ne se retrouve pas uni à celui de Néron, dans l’état actuel de nos informations, mais à celui d’Auguste. On est autorisé à croire, en revanche, que la ville d'Apollonie du Salbacos voua, du vivant même de Claude, un culte particulier à Néron, adopté par l’Empereur et désigné comme son héritier officiel[163]. L’habitude se prit aussi de rappeler la divinité des Empereurs à propos de tout ce qui émanait d'eux : on voit ainsi honorer un de leurs procurateurs sous la qualification d’έπίτροπος τών θειοτάτων αύτοκρατόρων[164], et ces derniers mots se rapportent forcément à des princes encore au pouvoir, comme Marc-Aurèle et L. Verus, ou Septime-Sévère et Caracalla.

Ainsi, déifiés vivants on morts, divinités parèdres ou seules dans leurs temples, de nom encore romain ou vêtues à la grecque, les Empereurs ont formé, en Asie comme à Rome, une série de dieux ininterrompue, et qui commence tout au début du principat, la veille même, avec Jules César. Le Sénat romain l'avait déclaré dieu, en reconnaissance de ses victoires et des services qu'il avait rendus à la patrie : les Grecs d'Asie eurent un motif beaucoup plus sérieux : César était leur parent.

Nul n’ignore les rapports que la poésie et la légende ont établis entre les troyens et les fondateurs de Rome. Les Romains s’en souvenaient volontiers, et la logique leur imposait de le faire voir ; dès l’origine ils montrèrent beaucoup de bienveillance à la ville d’Ilium, bien changée depuis ces temps fabuleux[165]. Après la paix conclue avec Antiochus, Manlius Vulso et les dix commissaires du Sénat lui donnèrent l’immunité, lui attribuant en outre les bourgades de Rhoeteum et de Gergithes, non tam ob recentia ulla merita quam originum memoria[166]. Elle posséda ainsi tout le rivage, de Dardanos jusqu’en face de l’île de Ténédos, et le conserva au moins jusque sous Tibère[167]. Elle osa, si grande était sa faveur auprès de Rome, se mêler aux affaires d’Asie qui ne l’intéressaient pas directement, et notamment s’entremettre dans le conflit entre Lyciens et Rhodiens[168]. Les rois de Pergame aussi furent généreux pour Ilium, peut-être en vue de plaire à Rome. Fimbria seul la traita rudement, mais elle en fut dédommagée. Sa fortune s’épanouit surtout sous César. Quelque chose en lui devait vivement frapper l’imagination des habitants ; c’était son gentilice qui le faisait remonter, à n’en pas douter, à Iule, fils d’Énée[169] ; du reste, il accrut encore les possessions des Iliens, leur confirma leur liberté et leur immunité[170]. Eux-mêmes publiaient que César devait être fait roi, à cause de la parenté qui l’unissait à Énée et à ses descendants : les monnaies frappées dans cette ville un peu avant Auguste présentent le type de la louve allaitant Remus et Romulus[171], ou bien d’Énée portant son père Anchise et conduisant Iule par la main ; et ces types monétaires se retrouvent encore sous les Empereurs, notamment avec les têtes de Faustine la jeune, de Commode, de Julia Domna[172] ; ils furent empruntés par les colonies romaines voisines. Parium et surtout Alexandria Augusta Troas, dont le nom ne rappelait pas moins ces glorieux souvenirs[173]. Le bruit se répandit même à Rome, peu de temps avant la mort de César, qu’il voulait émigrer à Alexandria ou à Ilium et y transférer le siège de l’Empire[174]. Mais ces inquiétudes étaient vaines et se dissipèrent, pour ne plus jamais renaître. Les Empereurs favorisèrent toujours Ilium ; des constitutions du IIe siècle lui reconnaissent des privilèges[175], et la coutume se conserva quelque temps chez les, citoyens de la ville de traiter de parents les Empereurs[176]. Les autres villes d’Asie n’en conçurent pas une jalousie bien vive, toute la province se fit gloire de participer aux démonstrations de respect dont César était l’objet ; ainsi le conseil et le peuple d’Éphèse et, parmi les autres Grecs, les villes έν τή Άσίας κατο[ικοΰσαι] καί τά έθνη, honorèrent César né d’Arès et d’Aphrodite, dieu illustre et sauveur commun de la vie humaine[177].

On le voit donc, l’Asie présente ceci de particulier que le culte des Empereurs y a une double origine : la tradition, déjà lointaine, qui fit mettre au rang des dieux les Séleucides, les Ptolémées et les Attalides[178], et en outre le sentiment d’une parenté séculaire entre ces Césars et les Grecs[179], sentiment qui ne s’affaiblit qu’à peine quand s’épuisa sur le trône la série des Empereurs de la gens Iulia , et qui devait les rendre apparemment plus chers aux indigènes que les monarques, si tolérants, mais de sang étranger, qui avaient régné à Pergame[180]. Et pourtant ces Empereurs se montrèrent habiles en voulant, comme pour compléter leur union avec le pays, au regard des provinciaux, inspirer ou favoriser l’association de leur culte et de celui des vieilles divinités indigènes. Ce ne fut pas une. règle absolue, ce fut seulement le cas le plus fréquent ; et, bien entendu, comme la province, agglomération de cités jadis indépendantes, n’avait pas de divinités nationales communes, il ne s’agit là que d’un culte municipal.

Les noms des prêtres qui le desservaient varient constamment ; on pouvait s’y attendre, sachant quelle diversité régnait parmi les sacerdoces de l’époque hellénistique. En rappelant la plupart des cultes ainsi associés, nous avons eu l’occasion de citer quelques-uns de ces litres sacerdotaux, qui n’étaient assez souvent que le titre du prêtre de la divinité vénérée primitivement seule, auquel on ajoutait la mention des Augustes ou d’un Empereur unique ; on disait par exemple à Bargylia : le prêtre d’Artémis Cvndias et de César Auguste[181]. Mais quand un César était à lui seul l’objet d’un culte, le sacerdoce recevait sa forme définitive et sa qualification un peu au hasard. A Acmonia, il y avait un σεβαστοφάντης, titre tout romain qui est un équivalent de flamen Augustii[182] ; à Smyrne, un néocore des Augustes[183] ; à Aezani, un prêtre de l’Empereur à vie[184] ; à Stratonicée, un prêtre des Augustes[185] ; à Cys, un prêtre du dieu Auguste[186]. Du moins, comme il s’agissait de divinités redoutables, on préféra en général un titre pompeux et on Choisit sans hésiter celui de grand-prêtre (άρχιερεύς)[187]. On trouve des grands-prêtres des Césars ou de tel ou tel Empereur dans un certain nombre de villes[188].

Une formule rencontrée assez communément dans les inscriptions qui datent ou paraissent dater du début de l’Empire est celle-ci : prêtre de la déesse Rome et de l’Empereur, le dieu Auguste (ou bien : et de César Auguste)[189]. Il y avait encore en effet, sous Auguste et jusqu’à sa mort, des nobles, des sénateurs sont prêts à le railler ou à lui faire une sourde opposition. Il fallait que le prince prêtât le moins possible à la critique, moqueuse ou jalouse[190]. Associer à son culte celui de l’Urbs, pour tous sacrée, était peut-être le moyen le plus sûr d’imposer à ces hommes le respect. Les Asiatiques — et d’autres provinciaux — étaient déjà de longue date habitués à vénérer Rome : il n’en résultait aucun changement grave dans leurs usages[191]. Dès l’an 29, après la bataille d’Actium, Auguste autorisa la construction de deux sanctuaires dédiés à Rome et à Jules César, l’un à Éphèse, métropole de l’Asie ; l’autre à Nicée, ville de Bithynie[192] ; et bientôt il allait permettre que, dans ces deux provinces, un temple fût élevé pour Rome et pour lui-même, à Pergame et à Nicomédie. On apprend de Dion Cassius qu’il fit cette distinction parce qu’il entendait réserver aux Grecs le soin de l’adorer et obliger les Romains domiciliés en Orient (plus nombreux dans la capitale) d’adorer César. C’était singulièrement habile : il introduisait d’abord le culte d’un prédécesseur défunt, dont personne ne pouvait plus prendre ombrage, ce qui créait un précédent ; et d’autre part, il épargnait aux Romains l’ennui de lui rendre à lui-même des hommages divins. Cette religion, si bien lancée dans le monde, eut une splendide fortune ; et la déesse parèdre, la ville de Rome, s’effaça d’elle-même. Auguste mort, il n’en est plus guère question[193]. Pour la proconsulaire, je n’ai relevé que deux exemples isolés : celui de Bargylia de Carie, sous Titus[194], et un autre que nous allons voir ; ils appelleraient peut-être une explication exceptionnelle qui nous échappe encore.

D’une façon générale, le culte impérial, fondé dans une cité d’Asie, se modelait en somme, dans la plupart des cas, sur l’organisation des cultes existants. Une inscription, copiée par Buresch entre Sardes et Mostène[195], rappelle un κοινόν τών Καισαριαστών, synode libre de cultores Agusti, serviteurs du culte des Empereurs[196]. On ne doit pas songer à une imitation de l’Augustalité ; le texte mentionne des βραβεταί, qui sont sans doute des administrateurs de la caisse du collège et organisateurs des fêtes et sacrifices qu’il célébrait ; l’άρτόκρεας ou visceratio, division du pain et de la viande, paraît une de leurs fonctions principales. Ces brabeutes sont à rapprocher des magistrats de même nom que s’était donnés une κώμη des environs d’Hyrcanis[197], vers la même époque, et le Koinon des Césariastes du κοινόν ou σύνοδος τών Άτταλιστών de Téos, fondé au commencement du IIe siècle av. J.-C.[198] L’institution affecte des caractères exclusivement grecs.

Même emprunt en ce qui concerne les ύμνωδοί θεοΰ Σεβαστοΰ καί θεάς ‘Ρώμης[199]. La mention de la divinité parèdre est à noter, car le texte se lit sur un autel de Pergame du temps d’Hadrien, plus d’un siècle après Auguste. Ce collège n’a pas abrégé immédiatement son nom, dès que la déesse Rome fut délaissée ; cela s’est fait à la longue : nous voyons cité[200] comme hymnode du dieu Auguste, et de lui seul, le mari d’une prêtresse de la déesse Faustine ; il vivait donc à la fin du IIe siècle, et, du reste, dans l’inscription, il n’est dit mot d’honneurs rendus à la déesse Rome ; le culte réellement associé à celui d’Auguste est décerné à Livie (Σεβαστή), dont la statue se trouve placée auprès de celle de son époux, et dont on fête également le jour de naissance (D, 4). Le fragment A du premier monument — qui est en quatre morceaux — cite 35 membres du synode ; ils appartiennent à la classe riche, si l’on en juge par les dépenses qu’ils ont à subir (D, 13 sq.) ; les fils sont admis comme membres extraordinaires ; on accueille même les gens étrangers à Pergame, contre versement d’un droit d’admission (C, 12). Le collège se réunit dans son propre palais, l’Hymnodeion (B, 17). Auguste est particulièrement honoré à l’anniversaire de sa naissance (B, 4) et même au quantième correspondant de chaque mois (B, 13), comme jadis les rois de Pergame[201]. On célèbre aussi les jours de naissance des Empereurs qui lui ont succédé (B, 14 sq.), mais sans doute une seule l’ois l’an et avec moins d’éclat, car il n’est parlé de dépenses que pour de simples couronnes. Les hymnodes fêtent aussi le début de l’année romaine, au 1er janvier (B, 6 ; C, 4 ; D, 6). Dans presque toutes les cérémonies, en dehors des jours anniversaires des Empereurs, où l’on se borne à des sacrifices religieux, les ministres annuels du collège, l’εΰκοσμος, l’ίερεύς, le γραμματεύς, peut-être aussi le θεολόγος, procèdent à des distributions de pain et de vin. La bonne chère a dû contribuer à rendre sympathique au peuple la religion des Césars : ces générosités, auxquelles subviennent probablement les cotisations des nouveaux membres (C, 12), faites en tout cas έκ τοΰ κοινοΰ (B, 24), s’élevaient dans l’année jusqu’à treize mines.

Le thiase que nous révèle cette inscription est-il rattaché au culte local des Empereurs ou au culte provincial, que dirige l’άρχιερεύς Άσίας ? M. Fränkel se prononce pour la dernière solution ; et il est notoire en effet qu’un temple à Rome et à Auguste fut élevé à Pergame sous le règne de ce dernier. Les membres cités, on le reconnaît à leurs tria nomina, sont presque tous citoyens romains. On peut croire qu’ils auraient dédaigné davantage d’entrer dans un collège exclusivement municipal ; la large admission des étrangers est également un indice[202]. Néanmoins, comme il s’agit ici d’une corporation libre en apparence, au moins dans sa formation, ce qui marque une initiative purement locale, elle établit pour nous une sorte de transition entre le culte des Empereurs dans les cités et le culte provincial, qu’il nous faut maintenant aborder, et où nous trouverons, à côté d’une adaptation très réelle d’institutions anciennes, infiniment plus de nouveauté.

 

 

 



[1] L’opuscule le plus récent sur la question n’est déjà plus entièrement au courant : BARTH, De Graecorum asylis, diss. in., Strasbourg, 1888.

[2] DION CASSIUS, XLVII, 19.

[3] DION CASSIUS, XXXIX, 16.

[4] Cf. LEB., 60 à 85 ; le sénatus-consulte romain est le premier rapporté.

[5] Sur ce point très clair, l’argumentation de M. SCHEFFLER, De Rebus Teiorum, p. 79-87, est superflue.

[6] LEB., 62.

[7] TITE-LIVE, XXXVII, 27.

[8] Sauf à le violer, le cas échéant, pour leur propre compte : Antoine s’était épris de Cléopâtre ; entre autres actes insensés que lui inspira cette passion, dit DION CASSIUS (XLVIII, 21, 2), il fit mettre à mort les frères de cette femme, qu’il arracha de l’Artémision d’Éphèse. Peut-être d’ailleurs, dans la pensée des Romains, le droit d’asile ne pouvait-il mettre obstacle qu’à l’action des tribunaux indigènes et non à l’exercice du droit de souveraineté (MOMMSEN, Röm. Strafrecht, p. 460, note 1).

[9] Ann., III, 50-63. Dans la conception romaine, l’inviolabilité des temples était autre chose que l’άσυλία grecque. Elle ne s’étendait qu’au sanctuaire lui-même, à ses trésors et à son personnel. Cf. MOMMSEN, op. laud., p. 458 sq.

[10] Cf. CICÉRON, Verr., II, I, 33, § 85.

[11] PLUTARQUE, De vit. aer. alien., 3 D.

[12] TACITE : ... multo cum honore, modus tamen praescribebatur.

[13] L’enquête instituée par le Sénat, dit M. HAUSSOULLIER (Caligula et le temple didyméen, Rev. de Philol., XXIII (1899), p. 153, note 3 ; add. Milet et le Didymeion, p. 263 sq.), porta seulement sur les sanctuaires où l’exercice de l’άσυλία avait engendré des abus et des plaintes. En effet, on ne comprendrait pas sans cela l’omission de Delphes et d’Oropos. Néanmoins, même avec cette restriction, la liste de Tacite n’est pas complète, car il dit (63) : auditae aliarum quoque civitatium legationes ; et il ne nomme pas ces aliae civitates.

[14] XIV, 1, 21, p. 641 C.

[15] APPIAN., Bel. civ., V, 4.

[16] APPIAN., Bel. Mithr., 23.

[17] MIONNET, III, p. 120-121, n° 432 et 412. Cf. une monnaie de Domitien (ECKHEL, II, p. 519).

[18] CIG, 3137, l. 12.

[19] V. PLUTARQUE, Pompée, 24. — Il nous est parvenu une inscription concernant un personnage qui était allé à Rome défendre les droits de Milet (HAUSSOULLIBR, op. laud., p. 264).

[20] TACITE, Ann., II, 54 : C’est un prêtre qui se trouve là, choisi dans certaines familles, et généralement à Milet ; il ne fait que demander le nombre et les noms des personnes qui consultent l’oracle, se retire dans une caverne, y absorbe de l’eau d’une fontaine mystérieuse, et donne les réponses en vers. Cf. HAUSSOULLIER, L’Oracle d’Apollon à Claros (d’après des inscriptions d’époque romaine. — Revue de Philologie, XXII (1898), p. 257-273).

[21] Op. cit., p. 79-37. — La lettre du préteur M. Valerius Messala, de l’an 193 (DITTENBERGER, SIG, 2e édit., 279), dut paraître bien insuffisante.

[22] MIONNET, suppl., VI, p. 376, n° 1890.

[23] CIG, 3108, l. 9.

[24] CIG, 3067, l. 16.

[25] CIG, 3841dg.

[26] HAUSSOULLIER, BCH, V (1881), p. 372-383 ; p. 373, l. 17-18.

[27] APPIAN., Mithridate, 23.

[28] HERODIAN., IV, 8, 3.

[29] CIG, 2899.

[30] CIG, 2737b, l. 13.

[31] DION CASSIUS, XLVIII, 34, 1.

[32] DIEHL et COUSIN, BCH, XI (1887), p. 151, n° 56. Nous avons aussi un décret du conseil de Stratonicée en l’honneur de Zeus Panémérios et d’Hécate, qui ont sauvé la ville et valu à ton temple la reconnaissance du droit d’asile par le Sénat de Rome (LEB., 519 = CIG, 2715, l. 3).

[33] CIG, 2943 ; cf. LEB., 1663c.

[34] Cf. RADET, BCH, XIV (1890), p. 224, n° 1 et 2.

[35] Cf. RADET, BCH, XIV (1890), p. 225.

[36] ECKHEL, II, p. 586-7 ; MIONNET, III, p. 362 sq.

[37] STRABON, XIV, 1, 44, p. 649 C.

[38] CIG, 2719.

[39] SUÉTONE va jusqu’à dire (Tibère, 37) : abolevit et vim moremque asylorum quae usquam essent.

[40] C’est ainsi que le fantasque Caligula ajoute un don de deux milles τή προϋπαρχούση άσυλία du Didymeion, dont il avait décidé de faire le sanctuaire de sa propre divinité. — Cf. HAUSSOULLIER, op. laud., p. 274.

[41] DION CASSIUS, XLVII, 19, 2-3.

[42] V. MOMMSEN, Röm. Strafrecht, p. 460 : .....wird das Schutzsuchen bei einem Kaiseibildniss wenigstens als ein an die öffentliche Gewalt gerichteter Hülfruf beachtet.

[43] CIG, 2852 sq. (Branchides) ; BCH, XV (1891), p. 172 sq. (temple de Zeus Panamaros) ; ibid., VIII (1884), p. 28 (Calymnos).

[44] STRABON, XIV, 26, p. 642 C. — ZIEBARTH, Griech. Vereinsw., p. 25.

[45] Cf. IBM, 503.

[46] LIEBENAM, Städteverwalt., p. 68.

[47] LEB., 860, l. 15 sq.

[48] Sur l’administration des trésors sacrés dans les villes d’Orient, cf. SWOBODA, Wiener Studien, X (1888), p. 278 sq.

[49] CIG, 3176 A et B.

[50] RIEMANN, BCH, I (1877), p. 289.

[51] Il est manifesté par des formules comme celle-ci : έπιλαχών ίερεύς Άλίου (de Rhodes, ICI, I, 833, l. 8). N’oublions pas que les inscriptions de Rhodes conservées sont presque toutes du IIe siècle av. J.-C.

[52] M. GÄBLER (Erythrae, p. 70 sq.) énumère différents modes d’attribution des sacerdoces : πράσις, vente par l’État ; έπίπρασις, vente par les titulaires ; διασύστασις, transmission aux enfants ou à des parents. Autres cas de vente : DITTENBERGER, SIG, 2e éd., 601 (Halicarnasse) ; PATON-HICKS, 27 (Cos) : Ath. Mit., XIII (1888), p. 166 (Chio).

[53] Cf. RAMSAY, Cities and Bishoprics, I, p. 51 sq.

[54] Cf. CIG, 3494.

[55] Cf. pour le ζάκορος à Stratonicée : BCH, XI (1887), p. 387.

[56] Smyrne : CIG, 3193 ; Aezani : LEB., 815.

[57] CIG, 3190 ; Μουσεΐον, III (1879-80), p. 177.

[58] Aezani : LEB., 812 = CIG, 3831a, 13.

[59] Pour ce chapitre et les suivants, cf. W. DREXLER, Kaisercultus, dans ROSCHER, Lexikon d. Mytholog., II, p. 901-919, et RAMSAY, The geographical conditions determining History and Religion in Asia Minor (Extr. du Geographical Journal, sept. 1902).

[60] Add. P. PERDRIZET, BCH, XX (1896), pp. 55-106.

[61] Telle Stratonicée : LEB., 518.

[62] FRÄNKEL, 336.

[63] Bullettino di corrisp. archeol., 1866, p. 209. — Cf. de Samos encore : WADDINGTON, Fastes, p. 128 : Ό δήμος Πόπλιον [Σ]ουίλ[λι]ον ‘Ροΰφον τόν άνθύπατον Ήρη.

[64] LEB., 1572.

[65] IBM, 799.

[66] LEB., 1044 = Rev. de Philol., I (1815), p. 218.

[67] Hermès, IV (1870), p. 187. — Add. CIL, III, 14193 4, 5, 6, 7, 9.

[68] Restitué à l’aide de CIG, 2958.

[69] Il s’agit de la pêche dans des étangs consacrés à Artémis et appartenant à son domaine. — STRABON, XIV, 1, 26. p. 612 C.

[70] Ern. FABRICIUS, Ath. Mit., IX (1884), p. 256.

[71] Cf. encore : d’Acmonia : LEB., 768 = CIG, 3858f : A Dionysos et à Sévère-Alexandre et à toute sa maison, et à la patrie. — D’Aphrodisias : BCH, IX (1885}, p. 78, n° 8 : A Aphrodite et aux dieux Augustes et au peuple. — D’une κώμη entre Sardes et Magnésie du Sipyle : BURESCH-RIBBECK, p. 1 : A l’Empereur Hadrien et à la jeune Héra Sabina Augusta et au bourg des Tatikomètes, Cornelia Pulchra a érigé la (statue d’)Aphrodite. De Cys de Carie : BCH, XI (1887), p. 306 sq. : Aux dieux et au peuple de Cys.

[72] BCH, XII (1888), p. 15, n° 4.

[73] Le plus ancien exemple d’un Diadoque recevant les honneurs divins dans une cité grecque nous est révélé par la lettre d’Antigone à la ville de Skepsis (MUNRO, JHSt, XIX (1899), p. 330 ; cf. KÖHLER, Berlin. Sitzungsber., 1901, p. 1057).

[74] FRÄNKKEL, 216 = Ch. MICHEL, 515.

[75] Cf. GUIRAUD, Les Assemblées provinciales dans l’Empire romain, Paris, 1887, Introduction, p. 20 à 36 ; MONCEAUX, De Communi, p. 7-9.

[76] TACITE, Ann., IV, 56 : At Smyrnaei..... seque primos templum urbis Romae statuisse, M. Porcio consule, magnis quidem iam populi Romani rebut, nondum tamen ad summum elatis, stante adhuc Punica urbe et validis per Asiam regibus.

[77] TITE-LIVE, XLIII, 6 ; ECKHEL, D.N.V., II, p. 571.

[78] POLYBE, XXXI, 16, 4.

[79] LEB., 1727.

[80] CIG, 3837.

[81] MIONNET, II, p. 660, n° 206 ; MACDONALD, Hunter. Coll., II, p. 302.

[82] MIONNET, II, p. 623, n° 700.

[83] MIONNET, II, p. 623, 719.

[84] Μουσεΐον, 1880, p. 182.

[85] CIG, 2485, l. 43-4. — VIERECK, S. G., 21, l. 44.

[86] Pap. Am. Sch., I, 20, l. 20.

[87] MACDONALD, Hunter. Coll., II, p. 496.

[88] CIL, III, 399.

[89] CIG, 3424 ; BCH, V (1881), p. 232.

[90] LEB., 1033 — CIG, 3569.

[91] LEB., 1212, l. 6.

[92] CIL, III, 386.

[93] MIONNET, Suppl., V, p. 246, n° 1040.

[94] MIONNET, Suppl., V, p. 483, n° 1207 et 1208.

[95] MIONNET, Suppl., IV, p. 72, n° 387-8 ; BABELON, Coll. Waddington, 5075 ; GrCBM, Lydia, p. 144.

[96] LEB., 763 = CIG, 3858c.

[97] LEB., 1062 = CIG, 2820.

[98] CIG, 3504.

[99] CIG, 3504, add., 3831a 13, 14, 15.

[100] BCH, V (1881), p. 192.

[101] CIL, III, 376, 386.

[102] Elle aboutissait du reste à une combinaison très propre à satisfaire l’esprit pratique des Grecs. Sans ce genre d’associations, ils n’auraient pu s’acquitter de tous leurs devoirs religieux, anciens et nouveaux, qu’à condition de s’imposer des charges écrasantes, auxquelles les ressources publiques ou privées n’auraient peut-être pas suffi.

[103] Il y a là quelque chose de particulier aux régions orientales de l’Empire : le culte des souverains y avait acquis une force très grande, en raison de la domination des Séleucides, M. Ernst KORNEMANN a signalé avec raison (Zur Geschichte der antiken Herrscheikulte, Beïtrage zur alten Geschichte, Leipzig, Dietrich, I, 1 (1901), p. 51-146) la facilité avec laquelle s’établit, sous cette dynastie, le culte du prince régnant, qui ailleurs n’était, jusqu’à sa mort, considéré que comme un demi-dieu ou un héros fondateur de ville. Cette forme la plus extrême du loyalisme, dit cet auteur (v. son résumé, p. 144) tenta de prendre pied en Occident avec César ; mais elle était en contradiction avec l’esprit des habitants, même avec les traditions proprement helléniques. La réaction se produisit, et le dictateur fut assassiné ; les Augustes ne furent plus que des divi, non des dei. Tibère repoussa plus que tout autre les marques de dévotion qui s’adressaient à sa personne ; Claude, le premier, revint aux coutumes des Séleucides. M. Kornemann n’a peut-être pas souligné suffisamment l’ardeur exceptionnelle des Orientaux. Il reconnaît pourtant (p. 103) que Tibère lui-même dut se départir de son intransigeance quand les habitants de l’Asie voulurent lui élever un temple. Le rôle personnel d’Auguste à Éphèse me parait bien plus caractéristique encore ; les indigènes trouvaient la chose toute naturelle ; quant à lui, il tenait à ne pas être moins grand personnage que les monarques des anciens temps.

[104] IBM, 522 = CIL, III, 6070=7118.

[105] CIG, 3082, l. 5 sq.

[106] CIG, 3092.

[107] KERN, Inschr., 113.

[108] IBM, ad n. 506.

[109] BCH, XI (1887), p. 105, n° 26. Tyrimnas et les Empereurs furent concurremment patrons et projeteurs de la ville ; d’après M. CLERC, le fait se serait produit sous Caracalla : il s’appuie sur une inscription de cette époque (ibid., p. 450, n° 22) qui indique une première panégyrie ; j’ai peine à croire que le contact de ces deux cultes ne se soit pas effectué plus tôt ; et l’expression πρ[ώτης] doit être dans cette hypothèse ou restituée à tort ou mal interprétée.

[110] HERZOG, Koische Forschungen, 222, p. 229.

[111] Epigraph. Journey, 5.

[112] Epigraph. Journey, 17.

[113] HIKS, JHSt, XI (1890) p. 123, n° 6.

[114] LEB., 300 = CIG, 2683.

[115] LEB., 1621 = CIG, 2739.

[116] LEB., 349 = CIG, 2903b.

[117] DION CASSIUS, XLVIII, 26, 4.

[118] BCH, V (1881), p. 192, n° 14. 4. 7.

[119] BCH, XI (1887), p. 306 sq.

[120] CIG, 2882 — jeux didyméens, en l’honneur de Zeus et d’Apollon, célébrés avec les jeux en l’honneur de Commode.

[121] BCH, XI (1887), p. 151.

[122] BCH, IX (1885), p. 450.

[123] BCH, XI (1887), p. 155, n° 61.

[124] BCH, XI (1887), p. 155, n° 61, 62 ; CIG, 2719, 2721.

[125] IBM, 605, 615.

[126] LEB., 851 = CIG, 3842b.

[127] JHSt, XVII (1897), p. 416, n° 17.

[128] LEB., 1033 = CIG, 3569.

[129] M. DUBOIS, BCH, V (1881), p. 473.

[130] CICHORIUS, Ath. Mit., XIII (1888), p. 57.

[131] Inscription de Cyriaque d’Ancône : BCH, I (1877), p. 289.

[132] LEB., 33.

[133] MIONNET, Suppl., VII, p. 377, n° 278, 281, 282.

[134] LEB., 1042.

[135] LEB., 864.

[136] MACDONALD, Hunterian Collection, II, p. 208, n° 31.

[137] RAMSAY, Histor. Geogr., p. 117.

[138] IBM, 421.

[139] TACITE, Ann., I, 8 ; VELLEIUS PAT., II, 73, 3.

[140] FABRICIUS, Ath. Mit., IX (1881), p. 237.

[141] Ath. Mit., XXV (1900), p. 401.

[142] IMHOOF-BLUMER, Kleinasiat. Münzen, I, p. 184, n° 3.

[143] MACDONALD, Hunterian Collection, II, p. 266, n° 16 à 18.

[144] Avec Hadrien on honore la jeune Héra Sabina Augusta (BURESCH-RIBBECK, p. 1) ; en Phrygie, Julia Damna est qualifiée également de νέα Ήρα Ίουλία (JHSt., VIII (1887), p. 831, n° 12) ; à Halicarnasse, la fille de Titus porte les noms majestueux de Ίουλία νέα Ήρα Σεβεΐνα Σεβαστή (BCH, I (1877), p. 396) ; cf. MOMMSEN, Ephem. epigr., IV, p. 222. — Et l’on retrouve sur des monnaies d’Alabinda et de Stratonicée l’effigie de la νέα θεά Ήρα Πλαύτιλλα (IMHOOF-BLUMEH, Kteinasiatische Münzen, 1 (1901), p. 106 et 156).

[145] LEB., 751 = CIG, 3858, et Add., p. 1091.

[146] CIG, 2177, 2183 ; ECKHEL, VI, p. 153 et 168.

[147] FRÄNKEL, 497.

[148] SUÉTONE, Caligula, 24.

[149] DION CASSIUS, LIX, 11, 2-3.

[150] V. Ephem. epigr., II, 255, rem. 3.

[151] FRÄNKEL, 497.

[152] Cymé : CIG, 3528 ; Lesbos : IGI, II, 210, 212 et 213.

[153] TACITE, Annales, II, 51.

[154] Et même nous avons de Philadelphie, ville de l’intérieur, des monnaies signées d’un ίερεύς Γερμανικοΰ (GrCBM, Lydia, p. 194-5, n° 51-2), à l’effigie de Caligula.

[155] IBM, 301.

[156] Archäol.-epigr. Mit. aus Öst.-Ung., 1883, p. 125.

[157] LEB., 1039.

[158] L’inscription, on le voit, fut gravée du vivant même de Tibère, avant la mort de Germanicus, entre 14 et 19 apr. J.-C.

[159] Une bizarrerie qu’on ne peut expliquer que par des considérations du même genre, c’est la qualification de héros, donnée à Antonin le Pieux en 140, alors qu’il était déjà Empereur, par le conseil et le peuple de Sardes (CIG, 3457). — Cf. à Samos : Le peuple à Vibius Postumius, trois fois proconsul, héros et bienfaiteur (BCH, VIII (1884), p. 467). Ce mode de désignation eût pu ne pas plaire, car il conduisait à une comparaison Relieuse. Le nom d’ήρως fut attribué quelquefois à des fonctionnaires dans deux villes : Cyzique et Aphrodisias. Qu’indiquait-il ? La question est controversée. On a dit : hommage posthume à un magistrat mort en fonctions, ou nommé fictivement, après sa mort, moyennant abandon à la cité d’une part de sa succession ; ou encore titre honorifique, accordé au plus méritant (Cf. WADDINGTON, ad LEB, 1639 ; Th. REINACH, BCH, XIV (1890), p. 537 ; RAMSAY, Cities and bishoprics, II, p. 334-5). Je ne vois pas le moyen d’éclaircir la difficulté ; mais en tout cas, mort ou vivant, il ne s’agissait que d’un mortel ordinaire, d’un provincial, que l’on qualifiait comme l’Empereur avait été qualifié.

[160] Cf. LEB., 600a (Tralles).

[161] CIG, 3187, un peu modifié dans WADDINGTON, Fastes, p. 133. Ce titre avait été déjà donné aux Séleucides (CIG, 4458).

[162] PAULY-WISSOWA, Realencyclop., u. Άρχιερεύς, II, 1, p. 479, l. 21.

[163] PARIS et HOLLEAUX, BCH, IX (1885), p. 344. Les éditeurs conviennent que la restitution du dernier mot n’est pas certaine, mais elle paraît la plus probable, s’ils ont tenu compte rigoureusement de l’écartement des lettres.

[164] BCH, XVII (1893), p. 283, n° 85.

[165] Cf. l’excellente dissertation inaugurale de M. P. HAUBOLD, De rebus Iliensium, Lipsae, 1888, depuis la p. 33, et BRÜCKNER, dans DÖRPFELD, Troja und Ilion, p0 586 sq.

[166] TITE-LIVE, XXXVIII, 39.

[167] STRABON, XIII, 1, 39, p.600 C.

[168] POLYBE, XXIII, 3, 3.

[169] STRABON, XIII, 1, 27, p. 594-5 C.

[170] LUCAN., Pharsale, IX, 954 sq.

[171] MIONNET, II, p. 659, n° 202 ; supp., V, p. 557 sq., n° 399, 400, 402.

[172] MIONNET, II, p. 658, 661, n° 195 sq., 213 ; supp., V, p. 557, n° 396-398.

[173] MIONNET, II, p. 581, 583, 585, n° 441, 453, 460 ; p. 642, n° 90 sq. ; supp., V, p. 392, n° 684, 685, 688 ; p. 514, n° 105 à 107.

[174] SUÉTONE, Caesar, 79.

[175] Digeste, XXVII, 1, l. 17, 1 ; L, 1, l. 1, 2. La Minerva Iliensis fut une des très rares divinités qu’il était permis à un Romain d’instituer son héritière (ULPIAN., Regul., XXII, 6. Le jurisconsulte cite comme étant dans le même cas : Apollinem Didymaeum Mileti, ..... Dianam Ephesiam, Matrem deorum quae Smyrnae colitur).

[176] Τόν συνγενή, dit de Tibère une inscription (SCHLIEMANN, Ath. Mit., XV (1890), p. 217, n° 2).

[177] LEB., 142 = CIG, 2957.

[178] V. BEURLIER, De divinis honoribus quos acceperunt Alexander et successores ejus, Paris, 1890. — Add. G. RADET, La Déification d’Alexandre (Rev. des Univ. du Midi, I (1895), p. 162).

[179] Aussi l’enthousiasme des Asiatiques fut-il plutôt encore peur la personne des Empereurs que pour Rome même. Il n’y a guère introduction chez eux de certains cultes romains de caractère abstrait, comme, à Aezani, la Σεβαστή Πρόνοια (CIG, 3831a15). La Σεβαστή Είρήνη d’Euménie (CIG, 3886) ne doit pas être assimilée à la Pax Augusta ; l’inscription porte : ίερές άγαθοΰ δαίμονος καί εύσεβεστάτης Σεβαστής Είρήνης, et Bœckh conjecture avec beaucoup de vraisemblance qu’il s’agit d’un Empereur et de l’Impératrice, sa femme. Evidemment, ces divinités avaient en elles trop peu d’anthropomorphisme pour plaire à des Hellènes. De même, ils eurent peu de goût pour les dieux spéciaux à l’ancienne Rome ; on trouve pourtant un Jupiter Capitolin à Smyrne (CIG, 3153), un à Nysa (ibid., 2943, l. 3-4), un autre à Assos (Pap. Am. Sch., I, p. 50, n° 26).

[180] Peut-être même arriva-t-il aux habitants des villes grecques, en raison du caractère vague et indéterminé de leur religion el de leurs traditions, de donner à un Empereur, par flatterie, le nom du héros éponyme qui avait fondé la cité. On a trouvé à Erythrée, sur un bloc de marbre, dans une grotte, un petit poème grec, récit d’une sibylle ; fille d’une naïade, dit-elle, et née à Erythrée, elle a vécu neuf cents ans et, pendant ce temps, a parcouru la terre. Maintenant je suis de nouveau assise auprès de la pierre sur laquelle j’ai rendu mes oracles, jouissant de l’agréable fraîcheur des eaux ; je suis heureuse de voir venir le jour où j’ai prédit qu’Erythrée serait bien gouvernée el prospère, à l’arrivée d’un nouvel Erythros dans ma chère patrie. Ces derniers mots font allusion sans doute, suppose M. S. REINACH, à un Empereur romain du IIe s., peut-être L. Verus, qui visita l’Asie Mineure en 163 (Comp.-Rend. Acad. des Inscr., 31 juillet 1891).

[181] BCH, V (1881), p. 192, n° 14.

[182] LEB., 755 = CIG, 3858e.

[183] CIG, 3190.

[184] CIG, add. 3831a13.

[185] LEB., 525.

[186] BCH, XI (1887), p. 306, l. 6. C’est un Rhodien ; un prêtre d’Auguste en effet ne remplit pas toujours ces fonctions dans sa patrie. Cf. CIG, 2943 et 3524, l. 55. J’y verrais un nouveau signe du caractère international de ce culte, comparé à celui des divinités poliades ordinaires.

[187] Les grands-prêtres du culte impérial, représentant la personne du dieu, portèrent la robe de pourpre de l’Empereur et aussi une couronne de laurier d’or, comme le stéphanéphore. Sur certaines monnaies on lit ΚΟΡ : ce serait, suggère M. RAMSAY, l’abréviation du titre κορόνατος, qui aurait été réservé pour eux (Cities and Bishop., I, p. 57).

[188] Aphrodisias : LEB., 1602a ; Iasos : JHSt, IX, p. 339 ; Magnésie du Méandre : KERN, Inschr., 113 ; Stratonicée : XI (1837). p. 155, n° 61 ; XII (1888), p. 85, n° 10 ; Thyatira : CIG, 3501 ; ajoutons un grand-prêtre de Claude à Aphrodisias : LEB., 1621 = CIG, 2739.

[189] Nysa : CIG, 2913 ; Cymé : ibid., 3521, l. 55 ; Alabanda : BCH, X (1886), p. 307 ; Mylasa : BCH, XII (1888), p. 15, n° 4 ; Smyrne : CIG, 3187.

[190] TACITE, Annales, I, 10.

[191] Il semblerait même que, sur quelques points, le culte de Rome ait subsisté seul, encore sous l’Empire ; une inscription d’Apollonius Sozopolis de Phrygie, copiée par M ANDERSON (JHSt, XVIII (1898), p. 97, n° 37), mentionne un ίερέα 'Ρώμης γενόμενος, πρεσβεύσαντα πρός τόν Σεβαστόν δίς δωρεάν.

[192] DION CASSIUS, LI, 20 ; cf. CIG, 2957.

[193] Cf. KORNEMANN, op. laud., p. 117.

[194] BCH, V (1882), p. 192, n° 14, l. 4.

[195] Aus Lydien, p. 6 sq.

[196] Cf. TACITE, Annales, I, 73 : cultores Augusti qui per omnes domus in modum collegiorum habebantur.

[197] BURESCH-RIBBECK, p. 37 sq., n° 23.

[198] CIG, 3069, 3071 ; BCH, IV (1880), p. 161, n° 21, l. 7.

[199] FRÄNKEL, 374.

[200] FRÄNKEL, 523.

[201] FRÄNKEL, 18.

[202] En voici un nouveau : des collèges d’hymnodes impériaux se trouvent encore dans d’autres villes, où ils ont charge du culte provincial : Smyrne (CIG, 3148, l. 39 ; 3170, l. 1-2 ; add. 3201). A Éphèse, d’après M. HICKS (IBM, ad n. 604), pour éviter une confusion, on aurait laissé le titre d’ύμνωδοί aux chanteurs de l’Artémision, et appelé θεσμωδοί ceux de l’Augusteum (cf. 481, l. 328, 371).