TROISIÈME PARTIE — L’ADMINISTRATION ROMAINE : SES AGENTS, SES SERVICES, SES CRÉATIONS EN ASIE
— I — On ne s’étonnera pas que je commence par cette étude la revue des divers services de l’administration provinciale. La question financière est ici de beaucoup la plus importante ; l’impôt formait, aux yeux des Romains, la raison d’être de la province d’Asie. Ils y sont venus pour en emporter de l’argent, et elle est de celles qui leur en ont le plus fourni. On sait quel était le fondement juridique de l’impôt provincial : si l’on met à part les villes libres (dans la conception primitive de la liberté), les habitants n’ont que la possessio des territoires qu’ils occupent ; la propriété est au peuple romain ; mais il condescend à laisser les indigènes vivre de leurs biens comme antérieurement, à charge d’une redevance, sorte de droit de location, qui est l’impôt. J’ai dit plus haut que les Romains avaient promis, dans un moment difficile, l’abolition des anciens φόροι payés à Attale par les gens du pays. Il était évident que la promesse ne pouvait être longtemps respectée, et les conquérants saisirent le premier prétexte qui se présenta pour l’annuler. J’ai montré qu’ils poussèrent même beaucoup plus loin leurs exigences et imposèrent fréquemment aux provinciaux de lourdes contributions de guerre ; mais ce sont faits accidentels ; nous n’avons plus à voir maintenant que les institutions qui ont duré. Or quel est l’impôt auquel les Asiatiques furent soumis au début ? Inter Siciliam ceterasque provincias, dit Cicéron[1], hoc interest quod ceteris aut imposition vectigal est certum, quod stipendiarium dicitur, ni Hispanis et pterisque Pœnorum, aut censoria locatio constituta est, ut Asiae lege Sempronia. La censoria locatio se trouve opposée au stipendium certum ; il s’agit donc d’un impôt de quotité variable, et en effet Cicéron mentionne en plusieurs autres endroits les decumani[2] et les decumae[3] de l’Asie ; c’était par conséquent une dîme. Mais la dîme a-t-elle été introduite par la lex Sempronia C. Gracchi de provincia Asia, qui date de l’an 123 ? Oui, dit-on généralement ; antérieurement Rome avait maintenu le régime d’impôts créé par les rois de Pergame. Non, répond dans une note fort résumée un philologue anglais, M. Pelham[4] ; la dîme a dû exister en Asie avant que cette loi n’eût été votée, et il s’appuie sur le texte suivant : Graecis, id quod acerbissimum est, quod sunt vectigales, non ita acerbum videri debet, propterea quod sine imperio populi Romani suis institutis per se ipsi ita fuerunt[5], texte qui nous montre bien que les sujets des rois de Pergame étaient soumis à des impôts, mais qui ne prouve nullement que ce fût à une dîme. D’autre part Appien fait tenir à Marc-Antoine, dans une assemblée de Pergame, le langage suivant : Hellènes, le roi Attale, par son testament, vous a légués à notre puissance, et aussitôt nous avons montré à votre égard de meilleures dispositions qu’Attale. Les impôts que vous deviez lui payer, nous vous en avons fait remise, jusqu’à ce que, des hommes s’étant montrés désireux de capter la confiance du peuple, le besoin d’impôts se soit fait sentir. Depuis lors, nous avons exigé, non pas des contributions fixes, que nous aurions perçues sans risques, mais une quote-part de vos récoltes annuelles, voulant partager même votre mauvaise fortune[6]. Et M. Pelham abuse des mots quand il signale le double emploi du même terme vague φόρος pour désigner et l’impôt d’Attale et l’impôt romain, comme s’il entraînait l’identité de la chose. L’esprit du texte est tout autre ; il signale au contraire une différence capitale. Il est bien clair que la dîme asiatique a été introduite par les Romains. Elle date sûrement aussi de la loi Sempronia. Pourquoi les Romains l’ont-ils établie ? On peut le conjecturer. Auparavant, le régime financier des Attalides avait dû être maintenu provisoirement ; à Rome, on était en pleines discordes civiles ; on n’avait guère le temps de jeter les bases d’un système d’impôts pour la nouvelle province. Mais bientôt s’éleva la puissance de Gaius Gracchus ; son rêve était d’abaisser le Sénat en lui opposant l’ordre équestre. La province d’Asie, la plus riche peut-être que possédât l’Empire, allait offrir à celui-ci un vaste champ d’exploitation. Pour accroître l’opulence des chevaliers, C. Gracchus fit deux choses : il créa la dîme, et il la fit affermer[7] par les censeurs. J’insiste sur ces derniers mots, car de là provient le caractère exceptionnellement accablant de l’impôt asiatique ; on ne l’a pas toujours suffisamment précisé : la locatio de l’impôt n’est pas particulière à la proconsulaire[8] : l’impôt personnel, la capitation, est généralement affermé à des publicains ; mais il ne peut donner lieu aux mêmes exactions que la dîme. La Sicile, seule avec l’Asie, s’est trouvée soumise au régime de la dîme générale, appliquée à tous les produits du sol. Seulement, dans ce dernier cas, la locatio n’est pas censoria ; elle a lieu dans la province même, à Syracuse, par les soins du questeur. Du moins tel fut le système adopté pour l’ensemble de l’impôt jusqu’en 75 av. J.-C, et même après cette date pour la dîme des céréales[9]. Pour l’Asie au contraire, comme les censeurs en sont chargés, l’opération se fait à Rome. Conséquence inévitable : l’Asie sera livrée, non plus à des enchérisseurs d’allures modestes, ayant peut-être quelques attaches dans le pays, ce qui est une demi-garantie, mais aux spéculateurs de haute marque, ayant des intérêts un peu dans toutes les parties du monde romain, et dirigeant de grandes entreprises financières et industrielles. Ceux-là seront plus impitoyables. Les chevaliers furent les premiers à profiter de cette innovation : ils avaient déjà la fortune et pouvaient faire d’importantes avances[10] en vue de l’accroître encore ; les sénateurs, eux, étaient plus accaparés par les affaires publiques. Mais de plus G. Gracchus créa la dîme. Un stipendium fixe eût offert peu d’avantages aux publicains ; les risques de l’affaire n’étaient pas grands ; il n’y avait que les chances d’insolvabilité de certains contribuables qui pussent influencer le cours des enchères, il en va autrement de la time : alors que, pour une somme fixe exigible, il n’y a pas place à la discussion, les tricheries sont plus aisées quand il s’agit de déterminer le dixième. Ce fut là, j’imagine, l’arrière-pensée de ceux qui votèrent le projet de loi. Même dans les mauvaises années, on retirerait le dixième, et, dans les autres, on tâcherait d’avoir beaucoup plus. La réputation de richesse de l’Asie était depuis longtemps bien établie, et on pensait déjà ce que Cicéron devait dire plus tard : Asia vero tam opima est ac fertilis, ut et ubertate agrorum et varietate fructuum et magnitudine passionis et multitudine earum rerum, quae exportantur, facile omnibus terris antecellat[11]. Et de fait la location de la dîme atteignit des chiffres extrêmement exagérés ; le résultat fut ce qu’il devait être : les sociétés de publicains épuisèrent la province. Le Sénat intervint quelquefois[12], mais les Grecs le fatiguaient par leur grandiloquence ; il écoutait peu volontiers leurs doléances et les renvoyait plutôt aux magistrats. Or ceux-ci étaient complices ; beaucoup s’enrichissaient non moins que les publicains. Eux-mêmes occasionnaient aux provinciaux toutes sortes de dépenses sous divers prétextes : il fallait construire des navires pour repousser les pirates ou défendre le pays contre les peuples voisins ; quand les troupes romaines traversaient la province, les populations étaient astreintes à les loger et nourrir[13], et même le simple passage du gouverneur, avec sa cohors ou son escorte, entraînait le versement d’importants subsides ; une ville devait payer la faveur de ne voir établir chez elle aucun campement[14]. Les plaisirs mêmes de la métropole étaient payés en partie par les Asiatiques. Quantum vero illud et beneficium tuum, quoi exiguo et gravi vectigali aedititiorum, magnis nostris simultatibus, Asiam liberasti ? Enimuero, si unus homo nobilis queritur palam, te, quod edixeris, ne ad ludos pecuniae decernerentur, HS CC sibi eripuisse ; quanta tandem pecunia penderetur, si omnium nomine, quicumque Romae ludos facerent, quod erat iam institutum, erogaretur ?[15] Tels sont les compliments adressés par Cicéron au proconsul son frère, pour avoir rompu avec un mauvais usage invétéré. Mais enfin tout ceci était encore peu de chose auprès des exactions des collecteurs d’impôts, et c’est de ce côté qu’il fallait un remède. On a supposé que Sylla avait eu l’intention d’enlever la ferme des impôts aux chevaliers[16], en introduisant une annuité fixe, basée sur le rendement moyen de la locatio censoria antérieure. Mais si la réforme fut faite, ce qui est peu probable[17], elle ne dura guère, car nous avons encore de nombreux témoignages de l’activité des publicains dans les aunées suivantes[18] et des plaintes que ce régime arrachait aux Asiatiques[19]. César est le premier qui modifia cette situation, en l’année 48. Nous l’apprenons encore par la suite du discours d’Antoine : Les gens à qui le Sénat affermait cet impôt vous insultaient et vous demandaient bien plus que vous ne deviez ; aussi C. Caesar vous a fait remise du tiers de ce que vous leur versiez, et a fait cesser leur insolence ; car c’est à vous-mêmes qu’il a confié le soin de percevoir cette somme παρά τών γεωργούντων (c’est-à-dire sur ceux qui possèdent ou détiennent les terres). Et Dion Cassius dit de même[20] : Ayant chassé les publicains qui abusaient d’eux, il établit une contribution fixe à la place des divers impôts. Ainsi il n’y a plus d’affermage et il n’y a plus de dîme, il lui est substitué un impôt fixe : le véritable stipendium ; et à la place d’une contribution en nature, les Asiatiques doivent une somme d’argent d’un tiers plus faible que celle qu’ils payaient sous une autre forme aux publicains[21]. Ici encore, M. Pelham a une doctrine personnelle : en 48, le système de la dîme n’aurait pas été aboli ; il y aurait eu seulement modification du mode de perception. Il est bien difficile d’être de son avis. Pendant la guerre civile qui suivit la mort de César, Cassius exigea de la province d’Asie le paiement de l’impôt par anticipation pour une durée de dix ans[22] ; n’est-il pas dès lors très probable qu’il s’agit d’un impôt fixe ? Le proconsul Sex. Appuleius livre à Brutus, avec une armée, χρήματα (de l’argent) δσα έκ τών φόρων τής Άσίας συνείλκετο, et il s’agit d’une somme de 16 000 talents[23]. Donc l’ancienne contribution en nature avait été supprimée[24] ; on l’avait remplacée par une somme d’argent, déterminée d’après la moyenne des impôts affermés, calculée sur plusieurs années, et répartie, selon un mode inconnu, entre les diverses cités ; celles-ci devaient elles-mêmes faire rentrer l’impôt pour leur quote-part et en verser le montant entre les mains du gouverneur. Que représentent ces 16 000 talents ? Probablement le produit annuel du stipendium des Asiatiques. Le triumvir Marc-Antoine, quelques années plus tard, exigea de la même province, par anticipation, le tribut de dix années, mais se contenta ensuite de neuf annuités, payables en deux échéances[25]. Les dynastes et les villes libres, sous la République, n’étaient pas astreints normalement à l’impôt, et comme Plutarque[26] évalue à 200.000 talents la somme entière qu’Antoine préleva sur la province d’Asie, cette somme se décomposerait ainsi : neuf fois 16.000 talents ou 144.000, payés par les villes sujettes, et le reste, 56.000 talents, fourni exceptionnellement par les dynastes et les villes libres[27]. Mais ces 16.000 talents ne paraissent correspondre qu’au montant du tribut qui remplaça la dîme. Les Asiatiques étaient encore soumis à d’autres contributions : la scriptura ou droit de pâturage, affermé en bloc à des publicains, dits scripturarii, par l’intermédiaire des censeurs[28], et les douanes (portoria), perçues également par des fermiers[29]. Le droit de douane consistait en une somme proportionnelle à la valeur de la marchandise, ce qui conduisait, pour fixer le prix à payer, à des déclarations sur le prix d’achat. Le tant pour cent variait suivant les provinces : en Asie, il était de 2 ½, d’où le nom de quadragesima ou quarantième donné à l’impôt. On continua à le percevoir sous les Empereurs[30]. Une inscription bilingue de Milet[31] mentionne un οίκονόμος δοΰλος κοινωνών μ’ λιμένων (villicus seruus XXXX portuum Asiae), et une autre, provenant de Symi, dans la Pérée rhodienne[32], porte : Ποΰλχερ κοινωνών λιμένων Άσίας οίκονόμος έν Ίάσω. Pulcher est un employé, affranchi ou esclave, des κοινωνοί[33] ; ici il s’agit du portorium maritime (λιμένων), qui devait être le plus considérable en Asie, et de beaucoup. Et ces deux textes nous montrent que l’administration des douanes maritimes avait plusieurs subdivisions, dont deux sont rappelées ici : Iasos et Milet. On voit en même temps que César ne supprima pas le régime des fermes pour les douanes et les pâturages, mais seulement pour l’impôt direct, car du fait de celui-ci seulement l’Asie subissait un régime exceptionnel. Pourtant, au in0 siècle au moins, les droits de port n’étaient plus affermés, puisque le beau-père de Gordien fut procurator XXXX provinciae Asiae[34]. L’antiquité a connu également l’impôt personnel, regardé alors comme une marque de servitude, surtout l’impôt de capitation, égal pour tous. Existait-il en Asie ? M. Brandis le nie ; il est parfaitement exact en effet que le témoignage de Cicéron[35] pour l’année 51, rappelant une exactio capitum atque ostiorum, c’est-à-dire une taxe sur chaque habitant en proportion de ses biens, du nombre d’esclaves qu’il possède, du nombre de portes (ostia) de sa maison, se rapporte à une partie de la Phrygie qui était alors séparée de l’Asie et rattachée à la Cilicie ; qu’une observation analogue doit être faite pour l’inscription, généralement citée, de Ténos[36], île qui relevait de la Grèce d’Europe. Mais M. Brandis, a, je crois, tort de dire que la capitation ne fut qu’une exception rare en Asie. Peut-être faudrait-il reconnaître ce caractère à celle que Q. Caecilius Metellus Scipio préleva [37] ; mais Scipion n’était, semble-t-il, que simple chef militaire, et non gouverneur régulier de l’Asie ; c’est sa taxe qui est exceptionnelle ; ce n’est pas la capitation elle-même. Une inscription de Lampsaque, de date inconnue, mais d’époque romaine[38], figurait sur la base d’une statue, élevée à un bienfaiteur public, qui diminua de moitié, pour sa ville natale, le poids de l’έπικεφάλιον, par la tribu dont il était le phylarque. On ne sait d’ailleurs comment il y parvint : les mots : έπιτεύγμασιν κατορθώσαντα ne sont qu’une explication très insuffisante. Il s’agit vraisemblablement ici d’un impôt qui frappait toute fortune individuelle, alors que le stipendium n’atteignait que les γεωργοΰντες, les propriétaires fonciers[39]. Sous l’Empire, l’impôt principal fut assurément ce stipendium ; il paraît avoir subi encore des modifications depuis César. La situation avait été déplorable sous la République : les maux étaient dus à l’affermage — César l’avait supprimé — et aux contributions extraordinaires ; celles-ci tenaient aux guerres civiles, l’avènement de l’Empire y mit fin. Néanmoins, elles avaient causé déjà en Asie une banqueroute générale ; les dettes des provinciaux grossissaient démesurément. Auguste dut accorder une remise générale de toutes les dettes (χρεών άφεσις)[40]. Il n’en réussit pas moins à demander aux Asiatiques plus que César n’avait exigé, mais la répartition de l’impôt fut plus juste. Auguste, comme on le sait, avait fait entreprendre dans l’Empire de gigantesques opérations cadastrales ; l’arpentage fut aussi appliqué à l’Orient, et désormais on tint compte, pour la fixation de l’impôt foncier, non seulement de l’étendue, mais de la valeur des domaines, de la fertilité du sol, vectigal ad modum ubertalis per singula jugera constitulum[41]. Diverses inscriptions d’Asie rappellent la confection du cadastre dans le pays. Après les noms du propriétaire et du champ figure l’inscription des vignobles, des régions semées, des plantations d’oliviers, des pâturages, avec l’indication des troupeaux et des esclaves[42]. Enfin les impositions extraordinaires furent beaucoup plus réduites. Par contre le stipendium se généralise : j’ai déjà montré, au chapitre des villes libres, que l’autonomie n’eut plus de sens aux yeux des Romains au point de vue de l’impôt. Toutes les cités d’Asie furent également grevées, à part un très petit nombre, qui reçurent l’immunité par faveur spéciale. Tout ceci subsista au Bas-Empire, et même la répartition de l’impôt suivant la valeur du sol fut encore plus systématisée à partir de Dioclétien. Cet Empereur, autant qu’on en peut juger, car ces questions sont assez controversées, créa une unité fiscale, le jugum ; elle représentait une étendue abstraite de biens, d’une certaine valeur au point de vue de l’impôt, et chaque immeuble fut frappé d’une contribution foncière d’après sa valeur comparée à celle du jugum, unité type. Celle-ci équivalait à 5 jugera romains ou arpents de vignobles, 20 jugera de champs cultivés de la première classe, 40 de champs de la deuxième, à une étendue plantée de 223 oliviers de la première classe, etc. Je n’ai pas à exposer tout au long cette nouvelle organisation du tribut[43] ; je voulais seulement relater le développement régulier d’un système qui remontait au début de l’Empire. J’ai eu déjà l’occasion de donner un aperçu du mode de perception de l’impôt. Après que les publicains eurent été dépouillés de leurs privilèges, les villes se trouvèrent obligées de lever elles-mêmes le stipendium sur leurs propriétaires fonciers ; mais n’oublions pas qu’elles agissaient à cet égard suivant leur fantaisie ; elles devaient se conformer à la répartition basée sur le cadastre romain ; elles remettaient ensuite l’argent à l’administration romaine. J’ai signalé cette liturgie particulière des δεκάπρωτοι, percepteurs du tribut à leurs risques et périls et responsables de l’insolvabilité de leurs concitoyens. Entre les mains de qui versaient-ils l’argent ? Ici la question se complique infiniment : je n’ai pu aboutir qu’à une hypothèse en ce qui concerne les 44 régions de Sylla ; je crois qu’elles ont réellement existé, et qu’il n’y en eut pas davantage ; mais combien de temps ont duré ces circonscriptions financières ? c’est ce que je ne pourrais dire. Un autre point obscur, ce sont les rapports et les attributions réciproques du questeur sénatorial et des procurateurs impériaux ; car on trouve en Asie ces deux sortes de fonctionnaires, d’origine diverse. Le procurateur Lucilius Capito avait été accusé par la province : Tacite, qui nous raconte son procès[44], nous dit que le Sénat traitait encore toutes les affaires ; Tibère alla jusqu’à soumettre au jugement de cette assemblée le cas de Capito. Il déclara hautement non se ius nisi in servitia et pecunias familiares dédisse ; il ne lui avait donné de pouvoir que sur ses esclaves et ses biens particuliers ; en dehors de cela, l’autorité de Capito ne pouvait être qu’usurpée. Mais nous sommes alors au début de l’Empire ; la puissance des procurateurs a dû grandir depuis sans cesse, aux dépens de celle du questeur. Théoriquement, l’Asie proconsulaire étant province du Sénat, le produit de l’impôt aurait dû tomber tout entier dans l’aerarium. N’en fut-il prélevé aucune part pour l’Empereur ? C’est fort invraisemblable, étant donnée la présence des procurateurs, Marquardt dit que sur les recettes du stipendium l’Empereur eut tout au moins un certain droit de disposition[45]. En effet Hadrien approuvait Hérode Atticus d’avoir, comme corrector civitatum liberarum Asiae, fait construire un aqueduc en Troade, et il lui accorda pour cela trois millions de deniers ; mais comme déjà sept millions de deniers avaient été dépensés, les procurateurs de l’Asie (οί τήν Άσίας έπιτροπεύοντες) se plaignirent que le φόρος de toute la province fût employé à un seul ouvrage ; donc la générosité de l’Empereur ne consistait que dans un prélèvement, en faveur d’une région unique, sur le rendement général des impôts de l’Asie, et les procurateurs avaient le droit d’émettre leur avis sur ce point. M. Hirschfeld, lui[46], est d’avis que l’impôt foncier était acquis à l’aerarium, la taxe personnelle étant au contraire la propriété du fisc ; M. Mommsen, je l’ai déjà dit, croit que l’empereur avait sa part, même de l’impôt, foncier, et je le pense comme lui ; je ne sais davantage quelle était cette part ; du moins j’imagine qu’elle n’est pas restée invariable, mais s’est au contraire constamment accrue. D’après le passage de Philostrate[47] que j’ai rappelé au sujet d’Hérode Atticus, les procurateurs furent mécontents ; or, au commencement de l’Empire, il n’y a qu’un procurator Augusti provinciae Asiae unique[48] ; le nombre, depuis, a augmenté. La province, dit M. Brandis, fut divisée financièrement en deux districts : Asie et Phrygie ; il n’a peut-être pas pris garde à une inscription d’Aquilée qui mentionne un procurator provinciae Hellesponti[49]. Évidemment il ne s’agit pas là d’un démembrement de la proconsulaire ; sous Vespasien, époque de cette procuratelle, il ne peut être question de rien de tel. C’est sans doute simplement une circonscription financière, très différente, comme dans la plupart des cas, des circonscriptions administratives. Il y aurait donc eu déjà sous les Flaviens deux provinces procuratoriennes en Asie ; en voici une troisième, de formation peut-être plus tardive (les procurateurs qui en dépendent et que nous connaissons s’appellent Aurelius) : c’est celle de Phrygie. On a dit[50], remarquant que plusieurs de ces procurateurs étaient des affranchis des Empereurs, qu’ils sont à identifier avec les procuratores marmorum de Synnada et les administrateurs des domaines impériaux, nombreux dans cette région. Mais M. Brandis fait très bien remarquer que l’un d’eux, M. Aurelius Marcio, n’a été d’abord que proximus rationum proc. marmorum, et après seulement procurator provinciae Phrygiae ; et de plus il en est deux qui, avant la procuratelle de Phrygie, ont exercé d’autres procuratelles provinciales, bien supérieures eu dignité à celle des marbres de Synnada. Ce sont donc là des fonctions différentes, et il y a bien trace ici de trois provinces procuratoriennes[51]. Il n’y a pas lieu de s’étonner que, même au IIIe siècle, avec cette division tripartite, il y ait eu encore des procuratores provinciae Asiae, comme par exemple Timesitheus ; provincia désigne en pareil cas la province procuratorienne qui a gardé le nom de toute la province administrative. Au fisc allait également l’impôt du vingtième sur les héritages — qui n’atteignait que les citoyens romains — attendu que les procurateurs ordinaires eux-mêmes étaient quelquefois affectés à sa perception[52]. Pas toujours cependant : Timesitheus fut vice proc. XX in Asia. D’autres fois, il semble que, pour la levée de cette contribution, l’Asie ait été rattachée aux provinces voisines. Voici C. Valerius Quir. Fuscus procurator ad XX per Asiam, Lyciam, Pamphyliam[53] et Q. Cosconius M. f. Poll. Fronto procur. Augg. item ad vectigal XX her. per Asiam, Lyciam, Phrygiam, Galatiam, insulas Cycladas[54]. En plus de cette vicesima, l’Asie a-t-elle été soumise également à celle de la liberté ? Nous n’en avons aucun témoignage direct ; le raisonnement conduit pourtant à l’affirmative. Une inscription de Thyatira[55] rapporte un décret émanant du Κοινόν Άσίας en l’honneur d’un citoyen de cette ville, qui lui a rendu des services dans des moments difficiles ; cet homme a pris part à une ambassade ύπέρ τής εί[κοσ]τής (de vicesima). Quel est cet impôt, dont les Thyatiréniens avaient probablement demandé et obtenu, au moins pour quelque temps, la suppression ou 1’allègemeut ? Faut-il croire que c’est la XX hereditatium ? Non, observe très judicieusement M. Brandis ; celle-ci ne pesait que sur les citoyens romains ; or il n’y avait pas qu’eux dans l’assemblée du Κοινόν. C’est forcément le vicesima libertatis, qui frappait tous les affranchissements, même ceux réalisés par des provinciaux non citoyens romains. Au surplus, dans la plupart des cas, il est bien difficile de connaître le rôle exact des agents de l’Empereur dans cette province sénatoriale. Une inscription nous rappelle un exactor reipublicae Nacolensium[56]. Que faisait dans cette ville, qui devait avoir ses δεκάπρωτοι, cet employé romain des finances, d’ordre inférieur évidemment, et sans doute agent, non du Sénat, mais de l’Empereur ? C’est ce qu’on ne peut expliquer qu’en supposant une centralisation impériale progressive en Asie[57]. Il y avait un fiscus Asiaticus, simple section particulière du fisc général de Rome, et il est curieux de remarquer combien les employés de ce fisc se sont multipliés. Les inscriptions nomment des esclaves ou affranchis qui y ont été attachés comme procurator, adiutor, tabularius, adiutor tabulariorum, a commentariis[58]. Le tabularium, en Asie, bureau central où étaient conservés les documents du cadastre et toutes les écritures concernant l’impôt, devait dépendre plutôt du Sénat ; or on voit que là aussi les affranchis impériaux se sont glissés : tels l’arcarius[59], le dispensator[60], le tabularius[61] ; l’adiutor tabularii est même un esclave impérial[62]. Je crois donc à un empiétement méthodique et continuel des agents financiers de l’Empereur, aux dépens de ceux du Sénat[63] ; les premiers se sont multipliés, alors que les autres nous sont à peine mentionnés passé le premier siècle ; il y a bientôt trois procurateurs dans la proconsulaire, et le questeur reste toujours seul. Il n’est pas inutile de donner ici le tableau de ceux que l’on connaît, parmi ces ministres habiles et persévérants de l’œuvre impériale. Procurateurs d’Asie : M. Aurelius Lydius. JHSt, XVII (1897), p. 399. M. Aurelius Philippus, Aug. lib. CIL, X, 6571. Castrius Cinna. Rev. archéol., 1874, II, p. 110. T. Claudius T. f. Papiria Xenophon. CIL, III. 6575 = 7127. Sex. Cornélius Dexter. CIL, VIII, 8934. [Dom]itius (?) Eglectus Julianus. CIL, VI, 1608. C. Furius Sabinius Aquila Timesitheus. CIL, XIII, 1807. Ti. Julius C. f. Corn. Ale[xan]der. Sous Trajan. CIL, III, 7130. Lucilius Capito. A. 23. TACITE, Ann., IV,15 ; DION CASS., LVII,23. M. (?) Pompeius Macer. Sous Auguste. STRABON, XIII, 2, 3, p. 618 C. [Po]mpeius Sev[erus]. A. 127. BCH, XI (1887), p. 110. Quinctilius (?) C. f. Milieu du Ier s. CIL, VI, 1564. L. Valerius Proculus. Sous Hadrien ou Antonin le Pieux. CIL, II, 1970. L. Vibius C. f. Aemilia Lentulus. Procurateur de Trajan. Entre 102 et 116. Inscr. d’Éphèse : Jahreshefte des öst. Inst., III (1900), Beiblatt, p. 86. L. Art. Pius Maximus (sic). Sous Dioclétien. CIL, III, 1419527 (fortasse fuit Lartidius). Procurateur de l’Hellespont : C. Minicius C. f. Vel. Italus. Milieu du Ier s. ap. J.-C. CIL, V, 875. Procurateurs de Phrygie : Aurelius Aristaenetus. Rev. archéol., 1876,1, p. 198. M. Aurelius Grescens, affranchi impérial. CIG, 3888. M. Aurelius Marcio, affranchi impérial. CIL, III, 348. [M. Ulpius ?] Marianus, affranchi impérial. Ephem. epigr., III, 127, 128. J’y joins la liste des autres procurateurs dont les fonctions n’apparaissent pas très clairement[64] : Aristides. Sous Caracalla et Geta. CIL, III, 1419536. Aurelius Apollonius. CIG, 3969, 3970. M. Aurelius Claudius. CIG, 3950. — Add. 2840 (?). Aurelius Euphrates. Rev. archéol., 1874, II, p. 111.— Sous Marc-Aurèle ? GALENUS, XIV, p. 4 K. Aurelius Hermophilus. WOOD, Inscr. of the Site, I. Ti. Claudius Zoilus. Ath. Mit., VI (1881), p. 268. C. Julius Philippus. LEB., 605 = CIG, 2933 ; BCH, V (1881), p. 346, n° 8 ; X (1886), p. 456. Macrianus. CIG, 3939. Sulpicius Ju[lia]nus. IBM, 489. — II — En somme, la province d’Asie a beaucoup payé à Rome, plus que d’autres ; mais elle était riche, et les contributions dont on l’a frappée n’ont pas empêché sa prospérité. L’ordre matériel et la paix la dédommageaient, en lui permettant de s’acquitter, et nous ne voyons pas que les habitants se soient plaints hautement de l’impôt. Mais l’impôt n’est pas le seul facteur d’appauvrissement d’un pays ; la politique monétaire des gouvernants n’a pas moindre importance ; il nous faut maintenant étudier ce côté particulier de l’administration financière romaine, qui n’est guère à admirer. Quand les Romains s’établirent en Asie, tout n’y était pas à créer ; nous l’avons déjà constaté, le pays devait à leurs prédécesseurs plus d’une institution utile. Le commerce leur était redevable d’une innovation dont le besoin s’était longtemps fait sentir. Primitivement, toutes les cités avaient leurs monnaies spéciales ; les nécessités du change dans toute transaction de ville à ville étaient une source de retards et d’embarras. Les rois de Pergame eurent le mérite d’imaginer et de lancer dans la circulation une monnaie de caractère international : ce sont les cistophores pièces d’argent plates, de peu de relief et ainsi nommées de la ciste mystique ou dionysiaque, qui y était représentée, entr’ouverte et laissant échapper un serpent au milieu d’une couronne de lierre, munie de ses corymbes[65]. Elles étaient frappées : en Mysie, à Adramytlium, Parium, Pergame ; en Ionie : à Éphèse, Smyrne ; en Lydie : à Sardes, Thyatira, Tralles ; en Phrygie : à Apamée, Laodicée ; en Carie : à Nysa, toutes villes soumises aux rois de Pergame. Ceux-ci eurent d’ailleurs pour visée de ruiner le commerce de Rhodes, déjà bien atteint après les événements de 167, à l’aide de cette monnaie panasiatique, dont les Romains du reste, ennemis eux-mêmes des Rhodiens, favorisèrent volontiers la large circulation. Cette pièce nouvelle avait l’avantage de combiner deux systèmes : son poids moyen la faisait équivaloir à peu près à trois drachmes attiques, et en même temps à quatre drachmes légères de Rhodes. Au commencement du IIe siècle avant notre ère, c’était une monnaie d’usage courant en Asie Mineure ou même dans certaines parties de la Grèce d’Europe ; on voit des cistophores portés en grand nombre, comme butin, dans certains triomphes des généraux romains[66]. Après le testament d’Attale, les cistophores devinrent la monnaie officielle de la province d’Asie et la frappe continua comme antérieurement. Pourtant quelques innovations se produisirent : outre les noms et les symboles des villes d’émission, les noms et monogrammes des magistrats monétaires, les nouveaux cistophores portèrent des dates calculées suivant une ère qui avait pour point de départ la formation de la province. De plus, à partir du milieu du Ier siècle av. J.-C, on y écrivit en latin les noms des proconsuls des deux provinces où avaient lieu les émissions de cette monnaie, la Cilicie et l’Asie, la Phrygie ayant passé de l’une à l’autre. On trouve le nom de Cicéron sur des cistophores d’Apamée et de Laodicée, districts alors ciliciens, et notamment avec le titre d’imperator qu’il s’était fait décerner[67]. Ses lettres prouvent que ce genre de pièces était la monnaie la plus répandue dans sa province et dans celle que gouverna antérieurement son frère Quintus, mais qu’on éprouvait quelque peine à la faire changer par les banquiers de Rome[68]. Bientôt la ciste fut remplacée au droit par la tête de Marc-Antoine, avec ou sans celle d’Octavie, et reléguée au revers. Après Actium, Octave fit frapper des pièces du système des cistophores portant son effigie, avec celle de la Paix et les mots : ASIA RECEPTA. La province d’Asie continua quelque temps à avoir sa monnaie d’argent particulière ; jusqu’à Hadrien, elle frappa des tetradrachmes dont le poids était combiné suivant les principes appliqués aux cistophores. Mais la ciste, devenue d’abord très secondaire, finit par disparaître ; les tetradrachmes impériaux n’ont plus de grec que leur poids, la nature de l’unité ; et d’ailleurs ils correspondent toujours à trois deniers romains ; les légendes et effigies sont purement latines, on dirait des monnaies frappées à Rome même. Après une interruption sous Néron et Vespasien, la fabrication de ces pseudo-cistophores recommence ; seulement sous Hadrien on en fit le recensement général, on en vérifia le titre et le poids ; les plus usés furent retirés du commerce, les autres restèrent en usage dans les limites de la province, mais à partir de ce prince il ne fut plus frappé de tetradrachmes provinciaux ; Rome se réserva l’émission des grands instruments d’échange[69]. Jusqu’à présent nous n’avons parlé que de la monnaie provinciale. La frappe de la monnaie municipale a-t-elle été arrêtée ? Il faut distinguer suivant la nature du métal. Déjà les souverains de Macédoine avaient suspendu en Asie Mineure le monnayage de l’or, qui était sans doute considéré comme un des attributs de la royauté suzeraine ; le gouvernement romain adopta ces vues, qu’il avait déjà coutume d’appliquer ailleurs, et ne permit d’émettre de la monnaie d’or ni aux villes auxquelles il laissa une apparence d’autonomie, ni aux dynastes, qui gouvernaient leurs états comme ses vassaux ; il n’y a d’exception de lait que pour Mithridate qui s’était mis en révolte ouverte contre Rome. Mais, l’or mis à part, l’autonomie monétaire était restée, pour les villes grecques d’Asie Mineure, la règle normale depuis Alexandre jusqu’à la conquête romaine. Les rois de Pergame surtout avaient fait grande attention à ne pas choquer les susceptibilités des populations helléniques ou hellénisées de leurs domaines ; ils laissaient avec soin aux cités les apparences de l’indépendance, tolérant les marques extérieures qui semblaient l’attester ; d’où le libéralisme de leur politique monétaire. Les formes de l’intervention royale s’y dissimulent, au lieu de s’y accuser[70]. C’est ainsi que leurs cistophores présentent une absolue uniformité de types, et si les villes n’y sont rappelées que par des indications secondaires, le monarque, lui, n’y est même pas mentionné. L’émission de cette nouvelle monnaie n’en constituait pas moins un élément d’unification. Et quand Rome donna aux souverains de Pergame les provinces d’Antiochus, la frappe s’étendit de la capitale, d’Adramyttium et de Parium à plusieurs villes, déjà citées, d’Ionie, Lydie, Phrygie et Carie. Les Romains ne supprimèrent pas, en principe, le monnayage local ; ils avaient proclamé trop haut la liberté de l’Asie ; ils réglementèrent seulement l’usage, soumis à d’importantes restrictions. Ils n’imposèrent pas l’étalon du denier, on continua à compter par drachmes[71], mais ils assurèrent le cours légal à leur propre monnaie d’or et d’argent dans des conditions avantageuses pour elle. Un tarif lut établi, fixant la valeur réciproque des vieilles pièces indigènes et du denier, et suivant lequel les transactions durent invariablement se régler. Les anciens tetradrachmes grecs, quel que fût leur poids, furent tarifés à trois deniers ; et parmi les nouvelles monnaies grecques on n’admit que celles dont l’unité se trouvait dans un rapport déterminé avec le denier romain. A l’égard des cistophores, ou exigea une valeur intrinsèque un peu supérieure à celle des trois deniers, afin de favoriser la monnaie romaine. Sous la République encore, les comptes officiels se faisaient en drachmes et en deniers ; mais Auguste rendit obligatoire l’emploi de cette dernière unité pour les comptes publics dans toutes les provinces. En même temps, le monnayage d’argent devint extrêmement rare ; si l’on parcourt les volumes de Mionnet ou les catalogues de monnaies grecques du British Muséum, on n’y trouve, pour l’époque romaine, qu’un nombre de drachmes ou de tetradrachmes infiniment réduit. Rhodes fut parmi les favorisées ; comme elle avait conservé les apparences de la liberté, la suprématie romaine s’y manifesta d’une manière moins rigoureuse que dans la plus grande partie du continent ; l’île émit longtemps des monnaies sur lesquelles ne figure ni une date qui rappelle sa réduction en province romaine, ni aucun signe de la suprématie de Rome. Sous Vespasien encore, bien que cette frappe paraisse avoir alors cessé, il circulait en Asie des pièces d’argent rhodiennes. De Stratonicée on a quelques monnaies d’argent de l’époque impériale ; elles témoignent d’une faveur spéciale accordée sans doute par Hadrien, durant ses voyages, à titre temporaire ; Tabac également frappa quelques pièces du même métal au commencement de l’Empire ; Alabanda et Attuda en tirent autant sous la République, et au Ier siècle av. J.-C, Halicarnasse émit quelques drachmes de genre attique, des hémidrachmes et trihémioboles d’argent. Ajoutons Chios, Éphèse, Erythrée. Mais il ne faut pas oublier que les spécimens de monnaies d’argent de ces villes sont tellement rares que leur frappe ne paraît devoir s’expliquer que par des raisons encore obscures. mai> assurément exceptionnelles. En revanche, le gouvernement impérial produisit lui-même des monnaies d’argent, pour lesquelles on tint compte à la fois de l’ancien étalon indigène et du denier romain ; ce sont les tetradrachmes d’argent impériaux ; ils forment la série dite des impériales grecques ; il y en eut de fabriquées en Asie Mineure ; nous savons que Mylasa avait dans ses murs un de ces ateliers, qui travaillait pour le compte de la métropole. Mais celle-ci, en ce qui concerne le cuivre, ne suivit pas les mêmes errements : les monnaies de bronze, même de l’époque romaine, sont extrêmement abondantes eu Asie, comme du temps des rois de Pergame. Quelle était sur ce point la pensée des Romains ? D’abord ils ne voulaient pas apporter trop d’entraves aux transactions commerciales ; or les monnaies de métal bas étaient fabriquées en faible quantité à Rome, et la lourdeur de la matière à transporter rendait nécessaire une frappe locale. Ils ne mirent nul obstacle à l’émission des pièces même de grand module, il s’en faisait à Rhodes qui portaient dans la légende leur nom local et atteignaient jusqu’à la valeur de deux drachmes (δίδραχμον). Ces pièces de formidables dimensions ne servaient plus seulement de monnaies d’appoint ; il arrivait qu’on en remît une certaine quantité pour représenter une somme fixe et importante, et c’est ainsi qu’à Mytilène a été trouvé un trésor de 400 monnaies de cuivre en un lot, dont les dates se répartissent d’Antonin le Pieux à Gallien. Outre que le commerce se ressentait favorablement de ce régime, le droit de frappe n’était pas sans flatter la vanité des villes, qui y voyaient un privilège, assurément encore plus apparent que réel. Elles consentaient d’ailleurs volontiers à modifier leurs anciens types ; elles fabriquèrent des espèces dont la valeur est estimée en as romains, mais par fractions ou multiples inconnus à Rome ; des monnaies de basse époque de Chios ont la valeur de 1 ½, 2 et 3 assaria ; or les pièces de 3 as font défaut dans la numismatique romaine[72]. Les Romains, pour ces pièces comme pour les autres, dressèrent une table de correspondance avec leurs propres monnaies, qui n’était point favorable aux espèces asiatiques, et qu’ils modifièrent arbitrairement en toute liberté. La drachme rhodienne avait été tarifée d’abord aux ¾ du denier ou 12 assaria, le denier en valant 16 ; plus tard[73] on abaissa sa valeur relative à 10/16 de denier. Ajoutons que ce droit de frappe, même limité au billon, était essentiellement révocable et qu’il fut, dans certains cas, révoqué, aussi bien à rencontre des villes libres et autonomes que des autres. Leurs séries impériales subissent parfois des interruptions notables, et qui contrastent à tel point avec l’abondance monétaire, brusquement arrêtée, des périodes immédiatement voisines, qu’on ne peut envisager ces vides comme des lacunes fortuites dans les richesses des collections. On ne remarque pas non plus que la prérogative de l’autonomie se soit traduite par un développement supérieur du monnayage municipal. Une règle, qui semble à peu près absolue, fut imposée : au droit de chaque spécimen devaient figurer l’effigie et le nom de l’Empereur ou de quelqu’un de sa famille, qu’on pouvait pourtant remplacer par une tête symbolique, avec la légende : ΙЄΡΑ CΥΝΚΛΗΤΟC ; et ceci est spécial à l’Asie, car, seule dans tout l’Orient grec, cette province fut constamment soumise au Sénat, d’Auguste à Dioclétien ; on lui laissa ce moyen de rendre hommage à la haute assemblée[74]. Et les collections de médailles fournissent ainsi des données pratiques aidant à délimiter exactement la province proconsulaire[75]. Pour atteindre le même résultat, on peut encore tirer parti d’une autre variété de légendes, qui s’expliquent beaucoup moins aisément : les pièces frappées dans cette province, d’Auguste à Gallien, se distinguent de celles du reste de l’Asie Mineure par ce caractère général qu’elles portent seules, et très fréquemment, des noms de magistrats ou de grands prêtres locaux. Il suffit dès lors de lire sur une monnaie provenant d’Anatolie une semblable mention pour qu’on puisse en toute sûreté attribuer la ville qui l’a signée à la proconsulaire ; en revanche, le seul fait qu’aucune indication de ce genre ne figure sur les monnaies d’une municipalité même dans une série largement représentée, n’autorise pas à placer cette ville dans une autre province[76]. A quoi tient cet usage ? Chose singulière, il se trouve restreint à l’Asie. La vanité des villes paraît l’explication la meilleure ; la signature de leurs magistrats apposée sur les monnaies pouvait, aux yeux des habitants, passer pour une sorte de déclaration d’indépendance ; pourtant la Bithynie et la Cilicie avaient alors toutes raisons de suivre la même coutume, et elles ne le firent pas. D’autre part, il ne semble nullement que les magistrats locaux rappelés sur les pièces fussent les fonctionnaires chargés par leur cité de diriger et surveiller son monnayage particulier : le plus souvent, ces mentions n’ont aucun rapport avec les magistratures proprement monétaires, et ne représentent que de simples dates éponymiques ; on désigne l’année d’émission par le fonctionnaire supérieur qui lui donnait son nom. Encore ces légendes varient-elles pour la même ville ; le mot άρχων, là également, a le sens vague de haut magistrat que nous lui avons déjà reconnu ; les formules suivantes sont caractéristiques[77] : sur une monnaie de Docimaeum : ЄΠΙ CΤΡΑΤ(ηγοΰ) ΜΑ(ρκου) ΑΛЄΘΑΝΔ(ρου) ΑΡΧΟΝΤΟC Α (= πρώτου)[78] ; et sur une pièce d’Aegialos : ЄΠΙ ΑΡΧ(οντος) ΠΡΥΤΑΝЄΙ(αν) ЄΠΙΚΡΑΤΟΥ Β (= δευτέρου)[79]. Assez souvent, le secrétaire figure comme éponyme, ainsi à Éphèse, Alabanda, Mylasa, Nysa, Tralles, Eucarpia. Il est à constater que cette éponymie monétaire est une éponymie spéciale, car dans les mêmes villes et dans d’autres circonstances, par exemple dans les décrets, on voit des magistrats différents donner leur nom à l’année. Dans la légende, parfois à l’archonte se trouve jointe une prêtresse, comme à Acmonia[80] ; ou bien le magistrat laïque pourvu en même temps d’un sacerdoce mentionne plus volontiers ce dernier que son office civil : tel l’asiarque. Retrouver le magistrat monétaire véritable est généralement d’une difficulté insurmontable. Mais, du reste, la frappe municipale, sous l’Empire, paraît n’avoir été abondante et continue que dans un très petit nombre de centres de premier ordre ; les émissions, en général, n’avaient lieu que par intervalles, au fur et à mesure des besoins de la circulation, et surtout à l’occasion de solennités agonistiques ; il fallait, en pareil cas, payer les prix consistant en une somme d’argent et solder les frais généraux d’organisation ; la ville s’assurait un bénéfice de monnayage qui la faisait rentrer en partie dans ses débours ; et en même temps, par un supplément de numéraire, on facilitait les transactions dans les foires qui accompagnaient de semblables fêles. On devait probablement alors confier l’opération à un commissaire spécial et temporaire, au lieu de créer une magistrature normale et permanente[81]. Il se forma plus d’une fois, en vue d’un culte à pratiquer en commun, des όμόνοιαι dont l’existence nous est attestée par des médailles ; ces dernières ne sont pas de véritables monnaies fédérales, comme celles qui circulaient avant la domination romaine ; les Romains ayant pris soin de créer un moyen d’échange universel, ces unions monétaires n’avaient plus la même utilité. Aussi les όμόνοιαι de l’époque impériale[82] ne naissent plus que de motifs religieux : plusieurs villes réalisent un accord pour célébrer ensemble les cérémonies du culte dans quelque sanctuaire en renom, ainsi que les fêtes et jeux qui en étaient inséparables ; les Empereurs, les gouverneurs en ont permis la commémoration sous forme de pièces de monnaies, mais nous ignorons les règles spéciales édictées à cette occasion[83]. La frappe monétaire fut entraînée à son tour dans l’évolution qui transformait peu à peu la plupart des institutions municipales de l’Asie ; elle devint une liturgie, ou bien elle prit le caractère d’un don gracieux. Souvent un généreux citoyen, voulant faire hommage d’une somme d’argent à sa patrie, la remettait à ses concitoyens sous forme de monnaies, fabriquées sur son ordre et à ses frais, et qui alors portaient son nom. Le gouvernement romain n’y mettait pas plus d’opposition que les autorités locales, pourvu qu’on n’émît que du billon — et non de l’or ni de l’argent — ; mais le nombre des espèces nouvelles répandues sur le marché n’en était que plus considérable, et le donateur pouvait de la sorte, plus sûrement encore, éterniser numismatiquement le souvenir de sa libéralité[84]. C’est le procédé que révèle à nos yeux la formule άνέθηκεν qui figure sur certaines pièces, lesquelles ne sont pas toujours du reste des monnaies proprement dites, et dont la nature, plutôt artistique et toute de luxe, se rapproche de celle de nos médailles, dépourvues, elles, de caractère monétaire. Nous possédons ainsi des médailles commémoratives de rétablissement d’un culte nouveau. P. Claudius Attalus, sophiste et fils de l’illustre et riche Polémon, fit frapper à son compte, sous le règne de Marc Aurèle, nombre de médaillons qu’il dédia à diverses cités d’Asie. On a de lui des pièces de concorde destinées à ses deux patries : Smyrne et Laodicée de Phrygie, l’une étant sa résidence et l’autre sa ville natale[85]. Même limitée au cuivre, la frappe monétaire nous fournit d’autre part un moyen fort commode de reconnaître l’expansion du régime municipal en Asie ; on le remarquera surtout pour la Carie. Le sol de cette région est très montagneux ; on y trouve souvent des vallées, rarement une plaine ; aussi l’habitude de vivre κατά κώμας y a-t-elle très longtemps subsisté. Etienne de Byzance nous cite les noms de beaucoup de petites bourgades et de villages, qui n’ont presque pas laissé de monuments numismatiques. Plus tard elles ont formé par leur réunion de grandes villes, comme Stratonicée et Aphrodisias ; mais l’argent monnayé n’y vint en usage que longtemps après Alexandre le Grand. C’est surtout la victoire des Romains sur Antiochus qui marque dans ce pays l’avènement d’un nouvel état de choses ; et ce sont eux qui, tout en favorisant un rapide développement d’activité commerciale, ont introduit des monnayages autonomes dans les centres principaux de population. Ce demi-libéralisme des Romains en matière monétaire a eu d’heureuses conséquences ; à la longue néanmoins ce devint une nouvelle duperie ; ils ont donné à quelques villes, qui l’avaient jusqu’alors ignoré, le droit de frapper de menues pièces divisionnaires, et l’ont laissé à celles qui le possédaient antérieurement. Mais ils ne se bornaient pas à surveiller le bon aloi des produits de ces officines locales, ils les ont menacées, mêmes atteintes, par une concurrence déloyale. Le gouvernement romain, pendant de très longues années, s’est établi faux monnayeur, et il a provoqué dans tout l’Empire, au IIIe siècle, une crise générale dont nous avons le souvenir, pour l’Asie, dans une inscription, déjà citée, de Mylasa[86]. Les lignes 47 à 55 de ce texte, extrêmement mutilé, nous montrent d’une façon générale, car on ne peut restituer le passage dans sou intégrité, que les habitants se plaignent de quelques spéculateurs louches, qui mettent en périple salut de la ville en accaparant la petite monnaie. Faute de pièces divisionnaires, les habitants sont en peine de se procurer les choses nécessaires à la vie ; on n’a plus de quoi payer les fournisseurs, et il faut un prompt remède à cette situation. M. Théodore Reinach, dans son commentaire[87], nous explique l’origine et le caractère du conflit et des mesures que les pouvoirs publics de Mylasa crurent devoir prendre à cette occasion. Parmi les monnaies romaines, l’aureus est celle qui est restée le plus longtemps inaltérée ; il n’en va pas de même de la monnaie d’argent : le denier a diminué régulièrement de poids et de litre ; l’Empereur Septime-Sévère, tout au début du IIIe siècle, lui porta un grave dommage en lui ajoutant une forte proportion de cuivre. Légalement, il valait toujours le 1/25 de l’aureus[88] ; mais les commerçants n’étaient point obligés, dans leurs affaires purement commerciales, de tenir compte de cette valeur légale, artificielle ; et à leurs yeux, le denier ne valait qu’en proportion de sa quantité d’argent fin. Si grande qu’elle fût, la dépréciation de la monnaie d’argent n’approchait pas de celle de la monnaie de bronze, attendu qu’en outre la valeur de l’as baissa relativement à celle du denier. Suivant le tarif officiel, le denier valait 16 as, mais le monde grec des affaires n’en avait cure. Au ne siècle déjà, dans la donation de Vibius Sain taris d’Éphèse[89], il est question (l. 142 sq.) d’une somme de 600 deniers à distribuer entre 1200 citoyens tirés au sort et à raison de 9 as par tête, ce qui suppose un calcul par 18 as, au lieu de 16, au denier ; et l’on prévoit même le cas (l. 147) où le change du denier se ferait à un taux encore plus avantageux. Il s’agit ici de monnaie de fabrication romaine (donc dépréciée), et il n’y a pas lieu de s’en étonner : à Éphèse, centre important de transactions et capitale de la province, où affluaient beaucoup d’Italiens, cette monnaie devait être bien plus abondante que la monnaie locale. Il n’en était sans doute pas de même à Mylasa, ville située un peu plus à l’intérieur et en dehors des grandes routes. Voici donc, indépendamment des pièces d’or, le genre de numéraire dont les habitants de cette cité avaient à se servir : d’une part, d’anciens deniers peu altérés, des as de fabrication déjà lointaine et par suite d’un titre encore appréciable, et surtout des pièces de cuivre, asiatiques, qualifiées oboles (ou multiples d’oboles), qui, elles, étant donnée la surveillance des autorités romaines, ne devaient pas être altérées ; et d’autre part des deniers ou des as de frappe récente et d’une valeur intrinsèque très inférieure à leur cours légal. L’intérêt évident des commerçants était de conserver les premiers et de se débarrasser le plus possible des seconds, et c’est ce que firent les plus avisés dès qu’ils apprirent l’avilissement de la monnaie de Sévère, avant que tout le monde n’en eût été informé. A Mylasa, il y avait bien une banque publique gardant le monopole du change ; mais on se passa de son intermédiaire ; il était facile de s’arranger dans toute affaire de manière à recevoir une soulte en menue monnaie ; cela fait, on thésaurisait les bonnes pièces, ne laissant en circulation que les nouvelles, forcément encore en petit nombre. Et c’est ainsi que les habitants manquèrent de pièces divisionnaires pour solder leurs menues dépenses et ne purent s’en procurer à bas prix. Par une aberration économique, le conseil de Mylasa ne trouva rien de mieux que de renforcer le monopole de la banque chargée officiellement du change. Rien n’y fit évidemment, puisqu’en 270, sous Aurélien, le gouvernement romain, pour imposer sa monnaie de billon, dont la valeur légale n’était plus admise, se décida à interdire aux villes grecques la frappe du cuivre, ce qui ne fut pas davantage un remède. L’inscription de Mylasa nous rapporte tout autre chose qu’un fait divers : l’événement survenu dans cette petite ville de Carie est d’ordre général ; il nous fait entrevoir toutes les conséquences d’un système, bien conçu peut-être à l’origine, mais trop tôt faussé dans l’application. En somme, si les maîtres de l’Asie rétablirent l’ordre plus d’une fois dans les comptes et les finances des cités, ils n’en accablèrent pas moins d’impôts les habitants et leur imposèrent un régime monétaire qui causa une longue crise et de fréquents désastres. Nous arrivons ainsi à une conclusion, qui est vraie du reste pour les autres provinces, mais dont l’évidence est plus frappante pour l’Asie, à raison de ses ressources et du parti qu’on en voulut tirer : la question financière nous révèle la partie la plus défectueuse de l’administration provinciale des Romains. |
[1] In Verres, II, III, 6, 12.
[2] Ad Att., V, 13, 1.
[3] Pro leg. Manilia, 6, 15 ; pro Flacco, 8, 19.
[4] Transactions of the Oxford Philological Society, 1881-82, p. 1.
[5] CICÉRON, ad Q. fr., I, 1, 11, 33.
[6] APPIAN., Bel. civ., V, 4.
[7] Cf. FRONTO, ad Ver., II, p. 125 Naber : iam Gracchus locabat Asiam. — Sénatus-consulte de Asclepiade de l’an 78 (CIL, I, 203). — CICÉRON, de imp., 6, 15 ; de leg. agr., II, 29, 80.
[8] V. MOMMSEN, Dr. publ. rom., trad. fr., IV, p. 115 sq.
[9] CICÉRON, In Verres, III, 7, 18 ; V, 21, 53 ; MOMMSEN, Dr. publ. rom., trad. fr., IV, p. 117.
[10] Pourtant la mise à ferme n’était apparemment pas générale, englobant toute la province, mais devait se faire par districts. — CICÉRON, pro Flacco, 37, 91 : At fructus isti Trallianorum Globulo praetore venierant. Falcidius emerat HS nongenlis millibus.
[11] De imp. Pomp., 6, 14.
[12] Cf. la contestation entre les publicains et les habitants de Pergame au sujet d’un terrain (BCH, II (1878), p. 128 = VIERECK, S. G., XXII).
[13] Cf. ce que CESAR (Bel. civ., III, 31) dit de Q. Caecilius Metellus Scipio, qui n’était peut-être même pas proconsul, mais simple chef militaire : Deductis Pergamum atque in locupletissimas urbes in hiberna legionibus, maximas largitione fecit et confirmandorum militum causa diripiendas his civitates dedit.
[14] CICÉRON, ad. Att., V, 21, 7.
[15] CICÉRON, ad Q. fr., I, 1, 9, 26.
[16] APPIAN., Mithr., 62 ; MOMMSEN, H. R., loc. cit.
[17] Il est plus probable qu’il ne fit qu’imposer une amende spéciale en punition du massacre des citoyens romains et comme indemnité pour les frais de la guerre contre Mithridate, et que cette amende, perçue aegualiter, laissa subsister telles quelles les dispositions existantes pour la levée de l’impôt ordinaire.
[18] Cf. outre les passages cités de Cicéron, VAL. MAX., VI, 9, 7 ; PLUT., Lucul., 7, 5 ; 20, 1.
[19] CICÉRON, ad Att., I, 17, 9 : Asiani, qui de censoribus conduxerant, quetti sunt in Senatu se cupiditate prolapsos nimium magno conduxisse ; ut induceretur locatio postulauerunt.
[20] XLII, 6, 3. — Cf. CASSIOD., II, epist. 39.
[21] PLUTARQUE, Caes., 48, 1.
[22] APPIAN., Bel. civ., IV, 74.
[23] APPIAN., Bel. civ., IV, 75.
[24] Je reconnais qu’Appien ne le fait pas dire expressément à Antoine ; mais il n’y A pas à examiner de très près le discours, qui est assez mal construit. J’ajoute que la remise du tiers ne se conçoit guère avec le maintien du tant pour cent sur les récoltes. Les Asiatiques auraient eu alors à payer 6,666 66... %. Singulière proportion ! La même difficulté n’existe plus quand il s’agit d’une somme d’argent.
[25] APPIAN, Bel. civ., V, 4 et V, 5, 6.
[26] V. Anton., 24, 4.
[27] BRANDIS, art. cit.
[28] Et cette fois la locatio censoria n’était pas spéciale à l’Asie ; mais le droit de pâture était bien moins important que la dîme.
[29] CICÉRON, de imp. Pomp., 6, 15 : ita neque ex portu neque ex decumis neq ex scriptura vectigal conservari potest. — Cf. Cicéron, de leg. agr., II, 29, 80 : Quid nos Asiae portus iuuabunt ? et LUCILIUS, fr. lib. 26, d’après NONIUS, p. 39 :
Publicanus
vero ut Asiae fiam scripturarius
Pro
Lucilio id ego nolo ; et uno hoc non muto omnia.
[30] SUÉTONE, Vespasien, 1 : publicum quadragesimae in Asia egit.
[31] CIL, III, 447.
[32] DÜRRBACH et RADET, BCH, X (1886), p. 267.
[33] En général on trouve plutôt δημοσιώναι.
[34] CIL, XIII, 1807.
[35] Ad Fam., III, 8, 5 ; ad Att., V, 16.
[36] CIG, 2336.
[37] CAESAR, Bel. civ., III, 32, 1-2 : Acerbissime imperatae pecuniae ; multa praeterea generatim ad avaritiam excogitabantur ; in capita singula servorum ac liberorum tributum imponebatur.
[38] LEGRAND, BCH, XVII (1893), p. 553-4, n° 56.
[39] APPIAN., Bel. civ., V, 4.
[40] DION CHRYS., or. XXXI ; vol. I, p. 602 R.
[41] HYGIN., Gromat., Lachmann, I, p. 205.
[42] Astypalée : CIG, 8651 ; Tralles : BCH, IV (1880), p. 337. Cf. encore des fragments du tableau cadastral à Lesbos (IGI, II, 76 à S0). Le texte d’Astypalée est du Ve ou VIe siècle, mais provient sans doute d’une refonte ; les données de ces travaux d’arpentage devaient être l’objet de révisions périodiques ; on a retrouvé à Magnésie du Méandre (KERN, Inschr., 122) un monument analogue qui paraît remonter seulement à l’époque de Dioclétien.
[43] Cf. MARQUARDT, trad. fr., X, p. 282 sq.
[44] Annales, IV, 15.
[45] Trad. fr., X, p. 389.
[46] Untersuchungen....., p. 15 sq.
[47] V. soph., II, 1, 4.
[48] JOSÈPHE, Ant. jud., XVI, 26 ; CIG, 2933 ; CIL, II, 1970 ; III, supp., 6575, 7127, 7130 ; VI, 1564, 1608 ; XIII, 1807.
[49] CIL, V, 875.
[50] RAMSAY, Mélang. d’arch. et d’hist., II (1882), p.290, et JHSt, VIII (1887), p. 483 ; VAGLIERI, loc. cit. ; sic, plus récemment, O. HIRSCHFELD, Der Grundbetitz der römischen Kaiser in den ersten drei Jahrhunderten, II (Beiträge zur alten Geschichte, II, 2 (1902), p. 301-2).
[51] Waddington suppose même qu’il y en eut quatre ; les Iles de la mer Egée, selon lui, en auraient formé une supplémentaire ; mais c’est là un groupement du Bas-Empire ; et de plus je n’ai pas cru devoir admettre que l’Archipel entier dépendît de la proconsulaire.
[52] Cf. le proc. prov. As. et hereditatium de CIL, III, 431 =7116 ; add. 141995 et peut-être 1419537.
[53] CIL, VI, 1633.
[54] CIL, X, 7583, 7584 add.
[55] CIG, 3487, 1. 19 ; cf. WAGENER, Inscr. grecq. recueillies en Asie Mineure, n° 15 (Mémoires cour. par l’Acad. r. de Belgique, XXX (1861), Bruxelles).
[56] CIL, III, 349.
[57] L’exactor perçoit en effet l’impôt foncier au Bas-Empire ; pendant le Haut-Empire, il ne parait qu’exceptionnellement.
[58] CIL, VI, 8570 : Hermae Aug. lib. a cubiculo Domitiae Aug. Fortunatut proc. fisc. Asiatic. ; 8578 : Salvius Aug. lib. adiut. fisci Asiatici ; 8571 : tabularii, et : D. M. Glyceri adiut. tab. fisci Asiatic. ; 8572 : D. H. Piero Caetaris vern. a commentariis fisc. Asiat.
[59] CIL, III, 6077. — Peut-être le tabularium avait-il des représentants et correspondants dans différentes parties de la province. Je me vois très embarrassé par la formule suivante qu’on lit dans une inscription de Pergame contemporaine de Trajan (Ath. Mit., XXIV (1899), p. 171, n° 11) : άρκάριος Μυσίας τής κάτω. Ce texte doit-il faire supposer l’existence d’une nouvelle province procuratorienne ? Cela me semble très douteux.
[60] CIL, 7150.
[61] CIL, 6081 = 7121.
[62] CIL, 6075.
[63] Dans le même ordre d’idées, nous noterons l’inscription qui nous a conservé une lettre d’Hadrien, par laquelle l’Empereur fait remise aux habitants de Stratonicée de Lydie du tribut dont ils étaient redevables. M. RADET a, je crois, exactement établi que la formule d’abandon est assez large pour s’appliquer à la totalité de cet impôt, et non pas seulement à la part qui tombait dans le lise, et qui, seule, eût dû concerner l’Empereur (BCH, XI (1887), p. 108 sq.).
[64] Il y a sans doute, parmi ceux-ci, des administrateurs de domaines impériaux, mais il est difficile de les distinguer des autres procurateurs, par exemple des percepteurs des diverses vicesimae.
[65] Cf. PANEL, De cistophoris, Lugdun., 1731 ; ECKHEL, D. N. V., IV, p. 352-368 ; PINDER, Über die Cistophoren (Abhandl. d. Berl. Akad., 1835, p. 533-571) ; MOMMSEN, trad. BLASAS, Hist. de la monnaie romaine, I, p. 54 sq. ; III, p. 301-6, Fr. LEMORMANT, La monnaie dans l’antiquité, II, pp. 12-11 et 115-8, et art. Cistophori (Dict. des Antiq. de DAREMBERG et SAGLIO) ; BABELON, Traité des monnaies grecques et romaines, I, I (1901), p. 511-3.
[66] TITE-LIVE, XXXVII, 48, 58, 59 ; XXXIX, 7.
[67] Ep. ad Famil., II, 10.
[68] Ad Attic., II, 6, 2 et 16, 4 ; XI, 1, 2.
[69] Je ne reviens pas sur l’erreur de Marquardt, qui croyait que les villes des conventus juridici se confondaient avec les ateliers d’émission des cistophores. Ceux-ci étaient déjà frappés sous les Attales ; quelles raisons les Romains pouvaient-ils avoir de déplacer les officines, de les transférer dans des villes choisir pour une autre destination et purement romaine ? Toutes les villes à conventus avaient en effet un hôtel monétaire d’où provenaient des cistophores, mais des ateliers se rencontrent en outre dans d’autres cités : Nysa, Parium, Phocée, Stratonicée, Tabæ.
[70] LENORMANT, La monnaie dans l’antiquité, II, p. 18.
[71]
Une inscription de Sanaos de Phrygie, copiée par M. ANDERSON (JHSt, XVII (1897), p. 414, n° 15) édicté
une amende funéraire ainsi libellée : τολμήσας
άποδώσει [τ]ώ
ίερωτάτω
ταμείω Άτικάς (sic)
X βφ' κέ
τώ Σαναηνών
δήμω ίς τειμάς
τοΰ Σεβ... ; l’inscription est donc de
l’époque impériale. X avec le sens, non de denier, mais de
drachme, est curieux. Serait-ce la première forme de l’influence romaine en
matière de monnaies de compte ? Le paiement en drachmes attiques est d’ailleurs
rappelé dans d’autres cas (ibid., n°
10 : [Ά]τικάς
πεντακισχιλίας).
— Cf., pour Apamée et Thyatira : RAMSAY, Cities
and Bish., II, p. 321. Par contre, comme on eut de la peine à s’habituer au
compte par deniers romains, sous les tout premiers Empereurs on abrégeait
encore par δη(νάρια),
au lieu de X
qui devint d’un usage général plus tard.
[72] MOMMSEN, trad. DE BLACAS, op. laud., p. 299-309. Du moins on ne les rencontre plus après la réforme d’Auguste (15 av. J.-C), qui fit disparaître le tripondius, auquel le règlement de Marc-Antoine n’avait donné qu’une durée éphémère. — Cf. BABELON, Traité des monnaies grecques et romaines, I, 1 (1901), pp. 596 et 600.
[73] Cf. inscription de Cibyra, de 71 apr. J.-C, CIG, 4380a, l. 10-12.
[74] Les Empereurs n’ont pas toléré que les monnaies d’Asie portassent des effigies de proconsuls de la province ; sous Auguste seulement, on voit encore des bottes de gouverneurs sur des cistophores ; ces personnages, faisant exception en si petit nombre, étaient sans doute alliés à la famille impériale, car nous savons que refait était assez général alors (WADDINGTON, Mélanges de numismatique, III, p. 133). LENORMANT (op. cit., II, p. 253 ; propose une autre explication : ces monnaies étaient spéciales en ceci qu’elles étaient frappées en vertu de l’imperium militaire ; il ne s’agit donc pas là d’honneurs rendus par les administrés à leur chef ; cette particularité ne se remarque que sur les monnaies d’Asie et d’Afrique, c’est-à-dire dans les deux premières provinces sénatoriales, où les gouverneurs avaient théoriquement, et au début, des pouvoirs pareils à ceux que le prince, gouverneur universel en tant qu’imperator, possédait dans toute l’étendue de l’Empire.
[75] Cette légende facilite encore l’identification de certaines villes, dont le nom n’est pas suffisamment précisé sur la monnaie même, et qui avaient des homonymes dans les provinces voisines. Citons les groupes de villes appelés : Apollonie (de Carie et de Pisidie), Hadrianopolis (de Phrygie et de Thrace), Héraclée (de Carie et de Bithynie), Sébastopolis (de Carie et du Pont).
[76] Et c’est pourquoi je ne comprends guère les incertitudes de WADDINGTON touchant la condition de Samoa, pour cette raison insuffisante (Fastes, p. 28).
[77] Citées par LENORMANT, Mélanges de numismatique, publ. par F. DE SAULCY et Anat. DE BARTHELEMY, III, 1882, p. 1 sq.
[78] MIONNET, IV, p. 284, n° 516.
[79] MIONNET, II, p. 388, n° 5.
[80] ECKHEL, III, p. 128 ; MIONNET, IV, p. 198 sq. ; supp., VII, p. 484, n° 13.
[81] Cf. Is. LEVY, Rev. Et. gr., XIV (1901), p. 62-4.
[82] On en trouvera de nombreux exemples dans les catalogues du British Muséum (V. les INDICES).
[83] ECKHEL, IV, p. 339 ; LENORMANT, ibid., III (1877), p. 203.
[84] LENORMANT, op. laud., II, p. 39.
[85] MIONNET, III, p. 232 sq., n° 1299 à 1304, 1308 ; supp., VI, p. 344, n° 1713).
[86] BCH, XX (1896), p. 523-518.
[87] P. 515-518 ; lui-même ne donne son interprétation que comme hypothétique ; mais on en découvrirait difficilement une autre, d’autant que le phénomène économique rappelé par cette inscription n’a rien de particulier à l’Asie ; la crise monétaire qu’elle atteste a été ressentie dans l’Empire tout entier.
[88] DION CASS., LV, 12, 4 ; MOMMSEN-BLACAS, Monn. rom., t. III, p. 140.
[89] IBM, 481.