LA PROVINCE ROMAINE PROCONSULAIRE D’ASIE

DEPUIS SES ORIGINES JUSQU’À LA FIN DU HAUT-EMPIRE

 

TROISIÈME PARTIE — L’ADMINISTRATION ROMAINE : SES AGENTS, SES SERVICES, SES CRÉATIONS EN ASIE

CHAPITRE PREMIER — LE GOUVERNEUR ET SES AUXILIAIRES

Texte numérisé et mis en page par Marc Szwajcer

 

 

S’il est un travail critique universellement connu, c’est bien la magistrale préface placée par Waddington en tête de ses Fastes des provinces asiatiques, sous ce titre : Des gouverneurs des provinces et des règles de l’avancement[1]. Quelque écho qu’aient eu partout ces pages, qui ont épuisé le sujet et n’ont presque plus rien laissé à glaner derrière elles, il nous faut bien, pour éviter une grave lacune, exposer une fois de plus des conclusions qui rentrent forcément dans notre cadre, eu nous résignant à un emprunt permanent.

L’organisation des provinces de l’Empire romain date, on le sait, d’Auguste ; avant lui, les régies ont peu de fixité, et il n’existe pas de plan d’ensemble. L’Etat prend à l’égard de chaque province des décisions particulières. Nous avons remarqué plus d’une fois que les habitants de l’Asie avaient beaucoup souffert de cette situation pleine d’incertitude. Pourtant, même sous la République, il y a quelques principes généraux qui ne sont pas méconnaissables.

En temps de paix, le gouverneur est presque toujours un préteur, qui vient d’achever son année de magistrature urbaine ; il prend dès lois le titre de pro praetore (άντιστράτηγος) ; mais les Grecs ne le lui donnent pas toujours, n’étant pas encore familiarisés avec les désignations officielles des magistrats romains ; ils comprennent mieux le titre de στρατηγός, qui leur en rappelle un autre depuis longtemps en usage parmi eux. En temps de guerre, les circonstances sont différentes : il faut envoyer des troupes dans la province ; le commandement de plusieurs légions est un honneur excessif pour un simple préteur ; on y délègue un des deux consuls de l’année (ΰπατος) — tel est le cas du premier Flaccus, tel fut aussi celui de Lucullus — ou bien un consulaire avec le titre de proconsul (άνθύπατος) — tels Sylla, C. Trebonius, P. Ventidius Bassus[2].

A partir de Pompée (a. 702/52) il y eut une loi interdisant aux anciens consuls ou préteurs tout gouvernement de province pendant les cinq années qui suivaient le dernier jour de leur magistrature urbaine ; mais, les guerres civiles s’interrompant à peine de temps à autre, la règle fut souvent violée[3], et quant aux triumvirs, César. Antoine, ils installèrent dans la province d’Asie qui bon leur semblait. Il arriva même pendant les troubles qu’un gouverneur désignât en quelque sorte son successeur, par cela seul qu’au moment où il se donnait un suppléant, il s’en allait lui-même sans esprit de retour. Dans une lettre écrite à l’heure où il quittait Laodicée pour passer en Cilicie, en mai 704/50, Cicéron recommande au propréteur Thermus de confier en partant le gouvernement de l’Asie, sa province, à son questeur L. Antonius, afin de ne pas offenser la famille puissante des Antonii[4]. Et en effet nous voyons peu après ce dernier, devenu propréteur sans autre formalité apparente, prendre une décision relativement à certains privilèges des Juifs[5] ; il resta encore en fonctions de longs mois. On n’avait pas alors le loisir à Rome de s’occuper de l’Asie, tandis que l’an d’après, au contraire, une partie du Sénat et la plupart des magistrats romains allaient s’y transporter. La durée du gouvernement provincial, pendant cette première période, est très variable, bien qu’en général elle ne dépasse pas une année, comme plus tard.

Auguste, lors de sa grande réorganisation des provinces en l’an 727/27, attribua l’Asie au Sénat et en fit une des deux provinces proconsulaires. Je l’ai déjà dit plus haut, et que ce système demeura en vigueur sans modifications jusqu’à Dioclétien. Il est possible cependant que, dans les premières années d’application de ce régime, une situation exceptionnelle se soit créée.

Auguste avait fait de son gendre, M. Vipsanius Agrippa, une sorte de corégent, pourvu comme lui de la puissance tribunicienne. Quelle fut exactement l’autorité qu’Agrippa en retira ? On lit dans Flavius Josèphe : Άγρίππα μέν ούν άνιόντι ές τήν ‘Ρώμην, μετά τήν διοίκησιν τών έπί Άσίας δεκαετή γεγενημένην κτλ[6]. Il serait utile de savoir dans quel sens Josèphe emploie le mot Asie. Le même historien, disant dans un autre passage : Πέμπεται δέ Άγρίππας τοΰ πέραν Ίονίου διάδοχος Καίσαρος[7], semble indiquer qu’Agrippa reçut en Orient la puissance proconsulaire. M. Mommsen a pourtant pu constater qu’à la même époque il agit aussi, à plusieurs reprises, dans les provinces d’Occident[8]. Il est certain qu’il fut, pendant dix années (731/23-741/13) le véritable légat impérial de Syrie[9]. Mais pour les provinces sénatoriales d’Asie Mineure, la question, plus intéressante, est moins claire. Avant 738/16, on ne relève aucune trace de l’activité d’Agrippa dans ces régions ; il en est autrement dans les années suivantes : il s’occupe des privilèges des Juifs, adresse à ce sujet des lettres aux gouverneurs d’Asie ; Julius Antoninus, proconsul d’Asie en 750/4, rappelle les décisions d’Auguste et d’Agrippa, et paraît mettre ainsi ces deux hommes sur le même rang. Dans sa lettre aux Éphésiens, Agrippa ne donne au gouverneur Silanus on Silvanus que le titre de στρατηγός. Serait-ce donc un simple légat d’Agrippa, ce dernier ayant reçu un pouvoir général sur toutes les provinces asiatiques ? C’est ce qu’admet Zumpt[10] ; Josèphe aurait eu tort seulement d’attribuer à ce pouvoir une durée décennale, qui ne serait vraie que de sa légation de Syrie. Évidemment Josèphe s’est trompé, mais peut-être plus d’une fois, et il emploie à tort et à travers les expressions stratège et Asie. Qu’Agrippa ait eu quelque temps une autorité supérieure exceptionnelle, ce n’est pas douteux, mais rien ne prouve qu’elle supprima le gouverneur particulier de chaque province ; et j’ai peine à le croire, car Auguste venait d’organiser lui-même le régime provincial ; et de plus nous avons d’autres exemples analogues pour la suite : sous Tibère, Germanicus[11] ; sous Néron, Corbulon, envoyé contre les Parthes qui menaçaient l’Asie Mineure entière[12] ; sous Marc-Aurèle, Avidius Cassius[13].

Désormais, donc, l’Asie eut invariablement pour chef un proconsul, à douze faisceaux[14]. Les inscriptions l’appellent pro consule provinciae Asiae, ou pro consule Asiae, ou pro consule in Asia ; en grec άνθύπατος Άσίας, ou άνθύπατος ‘Ρωμαίων, ou ό τής Άσίας άνθύπατος ; les inscriptions gravées et exposées dans la province même portent simplement : pro consule, ou άνθύπατος. Ses fonctions, restées annuelles, ont parfois un caractère éponymique ; on trouve les formules suivantes de notation du proconsulat : άνθυπάτου ou έπί άνθυπατου, άνθυπατεύοντος, άνθυπάτω, κατά άνθύπατον, ou άνθυπατείας χρόνος. Il n’y a pas à tenir compte des expressions très incorrectes des auteurs du IIe et du IIIe siècles de notre ère, comme l’hilarque ou Appien, et en particulier des sophistes. La tonne adoptée le plus ordinairement par le rhéteur Aristide, c’est : ό τής Άσίας ήγεμών ; Hérodien dit de même (III, 2, 2) : ό τής Άσίας ήγούμενος. Autre expression d’Aristide : άρχειν, dans le sens suivant : être proconsul[15]. Philostrate écrit même σατράπης[16]. Il est curieux de mettre en regard des titres sonores et retentissants que les Grecs donnaient à leurs plus modestes cités, leur pauvreté d’invention quand il s’agit de décerner quelque appellation louangeuse à un gouverneur ; ils n’ont trouvé que λαμπρότατος et κράτιστος.

Waddington a parfaitement montré dans quelles conditions s’opérait la désignation des gouverneurs. Auguste renouvela la règle due a Pompée : on ne peut aspirer au gouvernement de la province que cinq ans après l’achèvement du consulat à Rome. Le mode de nomination est le tirage au sort entre les consuls qui étaient, en charge cinq années, ou davantage, auparavant. Les inscriptions le rappellent quelquefois : proconsul Asiae sortitus[17] ; hic sorte [proconsul fac]tus provinciae Asiae se excusavit[18]. Tous ceux qui se trouvaient dans les conditions requises pouvaient y prendre part ; mais en fait, pour les deux provinces proconsulaires, l’Asie et l’Afrique, le tirage semble s’être pratiquement limité aux deux plus anciens consulaires se trouvant alors à Rome[19]. Ils étaient sûrs d’obtenir une des deux provinces ; il ne restait plus qu’à laisser au hasard le soin de décider laquelle. Encore même, dans bien des cas, ne s’en remettait-on pas à lui : si les deux consulaires n’avaient pas le même nombre d’enfants, le pore de famille le plus largement pourvu choisissait à sa fantaisie entre les deux provinces ; si l’un était marié, non l’autre, la règle était la même en faveur du premier[20]. On n’est pas surpris de retrouver là les préoccupations qui oui inspiré les lois démographiques d’Auguste[21]. Ces principes furent-ils toujours appliqués ? On en peut douter ; du moins ils eurent toujours une existence virtuelle et ne furent pas abrogés, puisque, sous Antonin le Pieux, l’orateur Cornélius Fronto, qui aurait préféré l’Afrique, sa patrie, ne put l’obtenir, en raison du jus liberorum qui avait permis à son concurrent d’indiquer ses préférences avant lui[22].

Voici un exemple qui nous montre cette pratique du roulement entre les consulaires et les droits de l’ancienneté : En l’an 22 apr. J.-C, le plus ancien consulaire avait demandé le gouvernement de l’Asie après tirage au sort. Dilatum nuper respotisum, nous dit Tacite[23], ..... adversus Servium Maluginensem..... prompsit Caesar..... Ita sors Asiae in eum qui consularium Maluginensi proximus erat contata. Et nous savons que Servius ne fut écarté que comme flamen Dialis, ces fonctions ne lui permettant pas de quitter Rome. Mais il ne s’agit toujours que du plus ancien consulaire présent à Rome ; et encore, on le voit, ne doit-il pas avoir d’autre emploi ; c’est sans doute faute de remplir cette dernière condition que C. Fonteius Capito n’arriva au proconsulat d’Asie qu’après plusieurs autres consulaires, tous moins anciens que lui.

Mais bientôt le nombre des consuls s’accrut ; pour l’obtention des provinces, les consuls suffects étaient mis sur le même rang que les consuls éponymes du début de l’année ; dès lors, la règle de l’ancienneté reculait de plus en plus la date d’admission au proconsulat. Bien peu arrivaient au consulat à l’âge minimum de trente-trois ans ; il en résultait que les participants au tirage étaient souvent des hommes fort âgés. Il fallut bien modifier le mode de recrutement des gouverneurs ; et le changement se fit de lui-même ; il se préparait déjà.

Les Empereurs s’arrogèrent le droit de désigner ceux qui devraient tirer au sort, en nombre égal à celui des provinces ; mais une incertitude planait encore : quelle province aurait chacun d’eux ? Quelquefois, pour ne plus rien laisser au hasard, les Césars nommèrent simplement eux-mêmes les proconsuls. L’intervention du prince dut toujours se produire, dicter souvent les choix d’une manière détournée. Il arrive fréquemment que le gouverneur appartienne, par des liens très étroits, à la famille impériale ; tel était le cas de P. Cornélius Scipio, proconsul d’Asie, fils d’un premier lit de Scribonia, première femme d’Auguste. Auguste lui-même, en raison des troubles qui se produisirent sur différents points de l’Empire à la fin de son règne, ne craignit pas de maintenir dans leur charge, après l’année réglementaire, des proconsuls qui connaissaient la province mieux que des nouveaux-venus et pouvaient plus promptement porter remède au mal. Ces années-là, le tirage au sort n’eut pas lieu ; même l’Empereur remplaça plusieurs des proconsuls par des légats, qui étaient ses familiers[24]. Sous Tibère, au moment de la révolte de Tacfarinas (a. 20), l’Empereur écrivit au Sénat pour l’inviter à ne pas s’en remettre au hasard, mais à désigner un proconsul très valide el pourvu d’expérience militaire, à cause de la rude campagne qu’il lui faudrait soutenir. Le Sénat ne laissa donc pas le sort se prononcer ; il nomma lui-même le titulaire de l’Asie, déclarant pour l’Afrique s’en remettre à l’Empereur ; mais celui-ci lui proposa seulement deux candidats, entre lesquels le choix n’était pas douteux[25]. On voit là un exemple des ménagements que Tibère affectait d’observer à l’égard de la haute assemblée. Dans le cas de Malugiuensis, il intervint personnellement, en ayant été prié. A la tin de son règne, alors qu’il vivait retiré à Caprée, il s’occupa de moins en moins activement des affaires publiques, et cependant nous constatons qu’il ne laissait pas toujours agir le sort ; même pour les provinces sénatoriales, il imposa des prorogations de charge[26]. P. Petronius fut six années proconsul d’Asie ; une monnaie de Pergame porte : έπί Πετρονίου τό C (= Ϛ)[27]. Le Sénat devait tenir beaucoup à l’annalité des gouvernements provinciaux ; c’était son intérêt évident ; aux yeux du titulaire, la durée de sa charge n’en rehaussait guère l’honneur, et la prolongation des proconsulats réduisait le nombre des proconsuls. Mais l’Empereur était porté à agir d’autre sorte, bien qu’il dût ainsi contrarier les vues de l’assemblée, causer des déceptions. Vespasien maintint trois ans en Asie Eprius Marcellus, ancien délateur de renom, qu’un désir d’apaisement le décida à tenir longtemps éloigné de Rome, où Marcellus comptait de nombreux ennemis. Ainsi, dans une certaine mesure, on considérait les provinces reculées comme des lieux de déportation déguisée, honorifique, pour des personnages dangereux, mais de grande famille. Ajoutons que les consulaires ne recherchaient pas seulement ces hautes situations dans les provinces par ambition de gloire et de puissance ; ils avaient aussi en vue le profit, suivant l’ancienne tradition qui s’était créée sous la République et perpétuée.

Les Empereurs en vinrent donc à penser que, s’il leur plaisait d’écarter certains candidats, il serait pourtant juste de leur accorder un dédommagement ; et à ce titre on fit don bien souvent au sénateur évincé de la somme même qui aurait formé ses appointements de proconsul, un million de sesterces d’ordinaire, d’après Dion Cassius[28]. Il était dès lors bien tentant pour des sénateurs vieillis et fatigués de ne pas s’expatrier, même pour une année, et de se faire attribuer plutôt l’indemnité pécuniaire. Ainsi s’expliquent des ras de renonciation qui déconcertent à première vue. Sans doute il devait arriver que le Sénat ou l’Empereur, faisant grand cas des qualités d’esprit ou d’expérience d’un ancien consul, tinssent fermement à lui confier un commandement, dans l’intérêt de la province et de Rome même ; une désignation semblable était un ordre, surtout s’il y avait nomination véritable, sans aucun rôle laissé au hasard. Mais supposons le fonctionnement régulier du tirage au sort, ou de la prérogative du jus liberorum qui revenait au même ; l’acceptation ne s’imposait plus. L’ancienneté nous apparaît comme conférant un droit ; rien ne prouve qu’elle imposât un devoir. Les amateurs ne devaient pas manquer, pourquoi alors ne pas déclarer simplement qu’on déclinait toute candidature ?

L’explication la plus naturelle me semble fournie précisément par l’usage — irrégulier du reste et flottant — de l’indemnité. Sous Trajan, l’orateur Salvius Liberalis avait été désigné pour la province d’Asie, et désigné par le sort, d’après l’inscription qui nous rapporte le fait[29]. Il se récusa, alléguant probablement son grand âge ; mais il attendit que sa nomination fût chose l’aile, lorsqu’il pouvait, j’imagine, se retirer préalablement ; le million de sesterces, à ses yeux, n’était pas à dédaigner ; on pouvait courir la chance de l’obtenir ; nous ne savons d’ailleurs pas s’il lui fut donné.

En général, l’indemnité dut être accordée plutôt à ceux qu’on écartait des listes de candidature, en dépit de leurs droits acquis et d’une ambition non dissimulée de les faire valoir, mais pas forcément à eux seuls. Quand Agricola revint de Bretagne, où il s’était acquis une renommée d’administrateur habile, il resta quelques années à Rome, attendant son tour de recevoir un nouveau gouvernement. Or le soupçonneux Domitien prit ombrage de cette réputation et redouta de la voir grandir ; l’entourage du prince avertit Agricola des dispositions de l’Empereur et l’engagea à s’excuser ; il obtint en effet de voir Domitien, qu’il supplia de le dispenser du proconsulat ; Domitien y consentit[30]. Les expressions de l’historien auquel nous devons ces détails tendraient à faire croire qu’il fallait obtenir une dispense ; mais n’a-t-il pas voulu simplement mettre bien haut son beau-père, en le montrant comme un homme reconnu indispensable ? Qui pouvait solliciter Agricola de se laisser nommer ? Le Sénat ? Ce dernier aurait-il osé contrecarrer la volonté d’un Empereur tel que Domitien, dont les intentions malveillantes étaient bien nettes ? Y avait-il un devoir à remplir pour le citoyen ? Mais qui l’empêchait de s’absenter de Rome quelque temps, au moment de l’attribution des provinces, puisque nous savons que c’était un motif d’exclusion ? En réalité, Agricola était bien écarté par les préjugés de l’Empereur contre lui. Alors il préféra sans doute simuler le désintéressement, car une retraite plus discrète aurait peut-être passé inaperçue, et il eut été sûr de ne pas obtenir le dédommagement auquel il pensait bien pouvoir s’attendre. Il ne le reçut pas du reste, ce qui était contraire à l’usage, ajoute Tacite ; or nous devons considérer qu’exclu en réalité, Agricola était dans la forme — qui importe ici — un renonçant. En définitive, il n’y a eu sur ce point aucune limite à l’arbitraire des Empereurs.

Leur bon plaisir s’étendit plus loin encore, surtout au IIIe siècle, où la violence des Césars alla croissant, comme aussi le désordre de l’Empire. Etre un favori de l’Empereur, voilà le titre principal aux hautes fonctions. C. Julius Asper, deux fois consul et praefectus Urbi, un des hommes préférés de Caracalla, avait été, avant la mort de ce prince, désigné pour le proconsulat d’Asie. Il était en route pour se rendre à son poste, quand il apprit sa révocation sur l’ordre du nouvel Empereur, Macrin, qui lui avait donné un remplaçant. Voici du reste le récit de Dion Cassius[31] : Faustus Anicius fut envoyé en Asie à la place d’Asper. Celui-ci, d’abord, avait été en grande faveur auprès de Macrin, qui l’avait jugé propre à administrer l’Asie. Mais comme il était en route et approchait déjà du payscar la demande d’excuse qu’il avait adressée à Caracalla n’avait pas été reçue[32], Macrin le maltraita fort et lui retira son commandement, et sous prétexte qu’il avait été laissé de côté à nouveau pour raisons d’âge et de santé, il attribua l’Asie à Faustus, ne tenant pas compte du tirage au sort qui avait eu lieu sous Sévère. Les fantaisies et les revirements de Macrin se révèlent incroyables. Dion Cassius continue : Anicius Faustus avait donc reçu de Macrin l’Asie, mais comme le temps de son gouvernement était bien court, l’Empereur l’imita à le garder encore l’année suivante, à la place d’Aufidius Fronto. Celui-ci avait tiré au sort l’Afriquedont il était originaire, mais Macrin ne la lui laissa pas, les Africains ayant protesté contre ce choix, ni l’Asie, bien qu’il l’y eût transféré tout d’abord. Ainsi il y a candidature involontaire, tirage au sort imposé par l’Empereur, qui en annule ensuite le résultat ; l’an d’après, nouveau tirage ; l’Empereur n’en tient compte, donne lui-même un titulaire à l’Asie, puis change encore d’avis. Il ordonna qu’on remît à Fronto, pour le dédommager de rester chez lui, l’indemnité convenable, 250.000 (deniers), mais celui-ci ne voulut pas la recevoir, disant qu’il lui fallait, non l’argent, mais le gouvernement, qu’il obtint ensuite d’Élagabale.

Waddington a très nettement indiqué les conséquences du principe de l’ancienneté appliqué aux candidats pendant de si longues années. A de rares exceptions près, l’intervalle quinquennal entre le consulat et le proconsulat fut observé, et ce minimum se trouva bientôt dépassé, grâce à l’encombrement dans la carrière produit par la multiplication des consuls suffects : de la mort d’Auguste à celle de Vespasien, l’intervalle, ordinairement de dix ans, varie entre huit et quinze ; depuis cette date jusqu’à Alexandre-Sévère, il n’y a jamais moins de dix ans, et on arrive plutôt à quinze ou davantage. Il est bon de rappeler ces constatations, utiles surtout pour retrouver la date approximative du gouvernement d’un proconsul.

Sous Sévère-Alexandre se produisit une importante innovation : ce prince, plein d’égards pour le Sénat, sur lequel il avait pour système d’appuyer sa politique, renonça à intervenir dans la nomination des proconsuls qu’il abandonna simplement à la haute assemblée[33]. La conséquence fut double : il n’y eut plus de tirage au sort, et probablement la suppression du jus liberorum s’ensuivit. Mais le Sénat ne voulut pas s’en tenir au droit de choisir entre deux candidats pour la province d’Asie ou celle d’Afrique, avec obligation de donner l’une au premier, l’autre au second. Du reste, les listes de consulaires s’allongeaient indéfiniment. On maintint les droits exclusifs de cette classe d’anciens magistrats ; seulement on supprima la règle de l’ancienneté, en fait, sinon expressément, car nous n’avons pas trace de décision en ce sens, mais des exemples comme ceux de Marins Maximus et de Balbin, le futur Empereur, qui obtinrent chacun successivement les gouvernements d’Asie et d’Afrique, montrent que le choix du Sénat était devenu extrêmement libre, et qu’un second consulat n’était plus nécessaire entre deux proconsulats.

Le remaniement de la carte administrative au temps de Dioclétien ne pouvait manquer d’avoir une grande influence sur la distribution de ces gouvernements. L’Empire se morcela en circonscriptions beaucoup plus réduites que jadis, et l’ancienne proconsulaire fut divisée en sept provinces. L’une d’elles garda le nom d’Asie et son gouverneur celui de proconsul ; mais ce n’était que la persistance purement nominale d’une ancienne institution : le proconsul eut seulement un titre de plus que les praesides des provinces voisines, une sorte de suprématie toute morale et honorifique, avec une certaine indépendance vis-à-vis des préfets du prétoire[34]. Cette dignité devait fatalement paraître inférieure à celle même de consul, et l’on n’eut plus de raison de l’attribuer à des consulaires. Il n’est pas sûr que cette évolution se soit terminée en même temps que la réorganisation générale de l’Empire, mais sous Constantin tout au moins elle était chose accomplie.

J’ai eu l’occasion de dire déjà que la résidence du gouverneur était à Éphèse, où l’usage d’abord — la loi ensuite — voulaient qu’il touchât terre, lorsqu’il se rendait par mer dans sa province. Sous la République, l’administration provinciale annuelle avait son point de départ en mai[35] ; il fut changé pour quelque temps sous l’Empire ; en vertu d’une constitution de Tibère, le proconsul devait quitter Rome le 1er juin et le début de ses fonctions se plaçait vers les premiers jours de juillet[36] ; mais sous Claude l’époque du départ fut devancée et reportée définitivement aux ides d’avril[37]. Le proconsul qui voulait s’acquitter consciencieusement de sa mission ne manquait pas de préparatifs à faire, comme on l’aperçoit par une lettre adressée à Antonin le Pieux par Fronton qui, nommé gouverneur d’Asie, avait tout disposé pour cette tâche, mais fut obligé au dernier moment d’y renoncer, à cause du mauvais état de sa santé. L’usage était de faire appel à tous ses amis et parents et de se constituer, avec ceux qui consentaient à ce changement de séjour, une sorte de petite cour[38] à Éphèse, le proconsul ayant comme l’Empereur ses amici, ses comites[39], qui lui servaient de conseillers et dans une certaine mesure aussi de secrétaires[40].

La province d’Asie ne présente rien de particulier en ce qui concerne le cas d’un gouverneur mourant dans l’exercice de ses fonctions. En attendant l’époque du tirage annuel, après l’essai infructueux du transfert des pouvoirs au questeur, les Empereurs se décidèrent à confier l’interim à un procurateur qui, par son titre d’une tout autre nature que ceux du questeur et des légats, et ayant reçu ses fonctions directement du prince, ne portait pas ombrage aux autres hauts fonctionnaires. L’Asie nous offre deux exemples dé ce mode de remplacement : Civica Cerealis ayant été mis à mort par ordre de Domitien, le procurateur Minicius Italus fut chargé de l’administration de la province pour le restant de l’année en cours[41] ; et, sous Sévère-Alexandre, C. Furius Sabinius Aquila Timesitheus, futur beau-frère de Gordien, reçut un pouvoir intérimaire analogue[42], on ne sait après quel gouverneur.

Le proconsul avait sous ses ordres un questeur, dont le choix ne lui appartenait pas et qui se trouvait désigné pour une province par les mêmes règles du tirage au sort appliquées à la nomination du gouverneur[43]. En revanche, il s’attachait à son gré trois légats, qu’il lui arrivait de prendre dans sa propre famille[44], mais toujours sous réserve de l’approbation de l’Empereur[45]. Le questeur s’appelait en grec ταμίας, tout comme les trésoriers des villes, quelquefois aussi ταμίας καί άντιστράτηγον τής Άσίας (quaestor pro praetore), ou άντιταμίας (pro quaestore) lorsque, ancien préteur à Rome, il obtenait prorogation de sa charge, et cette fois dans une province ; et chacun des légats était nommé πρεσβευτής (καί) άντισάτηγος (legatus pro praetore). On connaît des légats qui n’ont même pas rang de questeurs[46] ; d’autres sont quaestorii ou tribunicii, mais la plupart appartiennent à la classe des praetorii. Eux aussi virent quelquefois leur charge renouvelée : c’est le cas de Julius Quadratus[47].

A part le procurator, dont l’étude se placera plus naturellement au chapitre des impôts, les inscriptions nous renseignent mal sur les autres fonctionnaires romains, petits ou grands, de la province ; quelques-unes citent seulement des noms, et d’une manière fort elliptique. A Trapezopolis de Phrygie, M. Anderson a copié une inscription en l’honneur de C. Attius T. f. Clarus, έπαρχος, bienfaiteur et sauveur et patron de la ville[48]. Quel est cet έπαρχος ou préfet ? Sa qualité de patron de la ville donne à penser qu’il ne s’agit pas d’un trop modeste personnage. A peine un praefectus fabrum parait-il un fonctionnaire d’importance suffisante ; et en effet M. Anderson le suppose au service d’un haut magistrat romain et ayant sur ce dernier une influence réelle, ou supposée des Trapézopolitains[49]. Mais de Philadelphie provient une inscription dont le commencement est mutilé et qui mentionne deux πραίφεκτοι[50]. Ils datent d’Antonin le Pieux ; figurant à la fin du texte, ils semblent être les dédicants. Quels sont ces magistrats ? Il n’est pas aisé de le dire, et on est d’autant plus embarrassé que deux à la fois sont cités sur la pierre. Ce sont sans doute encore des praefecti fabrum qui furent rappelés là. Un autre est honoré à Phocée par le conseil et le peuple[51]. On conçoit que cette classe d’agents ait été tenue en particulière estime par les habitants de l’Asie. L’administration romaine avait fait entreprendre de vastes travaux, et les chefs des ouvriers se trouvaient ainsi au premier plan, devenaient des bienfaiteurs du pays. D’autres titres encore nous sont mentionnés par des inscriptions[52], dont la plupart désignent des serviteurs spéciaux de l’Empereur : tel le tabularius provinciae Asiae, affranchi impérial[53] et l’adiutor tabularii prov. As., qui, auxiliaire du précédent, était par suite de situation inférieure (esclave de l’Empereur)[54]. Des inscriptions de la vallée moyenne du Méandre nous rapportent les noms d’affranchis des Empereurs, dans lesquels M. Ramsay croit reconnaître des agents du fisc, veillant aux intérêts impériaux dans la région[55].

On sait quels étaient les pouvoirs généraux du gouverneur : même dans une province pacifiée et pacifique comme l’Asie, il pouvait faire des levées d’hommes, à la fois parmi les citoyens romains et les habitants natifs de la province, et nous en avons en effet des exemples[56], mais surtout, du temps de la République ; il pouvait aussi réquisitionner pour les besoins de la guerre[57]. Il va sans dire que ces exigences suscitaient parmi les provinciaux de très vifs mécontentements[58]. Ils acceptèrent plus volontiers, comme nous l’avons vu, la juridiction des proconsuls : juridiction criminelle, comprenant le droit de vie et de mort, contre lequel les citoyens romains seuls avaient le jus provocationis[59] ; juridiction civile, soumise à des règles écrites dans l’édit que le gouverneur publiait avant d’entrer en charge[60], règles qui finirent par se fixer en un edictum provinciale, rédigé pour l’usage commun de toutes les provinces[61].

Cette juridiction civile concernait notamment et surtout le régime des biens, et c’est ici le lieu de rappeler la lettre du proconsul Anidius Quietus aux magistrats, au conseil et au peuple d’Aezani[62]. Elle est relative au règlement de certaines contestations qui divisaient les habitants de cette ville depuis plusieurs années. Il s’agissait de la jouissance de terres considérables autrefois consacrées au Zens d’Aezani et réparties depuis par les Séleucides et les rois de Pergame entre les citoyens. Ce partage avait donné lieu à des abus et à de nombreux procès, sans doute soit entre les possesseurs de terrains, soit entre ceux-ci et la cité. On doit croire que certains d’entre eux empiétaient sur les domaines de leurs voisins, ou même sur d’autres qui appartenaient à la commune. M. de Ruggiero pense que la cité dut essayer d’abord, mais en vain, de trancher ces difficultés par sa propre juridiction, et qu’obligée d’y renoncer elle fil alors appel à l’arbitrage du gouverneur, qui en référa à l’Empereur[63]. Je crois bien que cet auteur, préoccupé de recueillir le plus grand nombre possible d’actes d’arbitrage, en a, à son insu, inventé un dans cette circonstance, car rien ne le révèle à nos veux. L’autorité romaine avait plus d’une raison d’intervenir en cette affaire : Aezani n’a jamais été une ville libre, doue il appartenait au gouverneur d’examiner ces contestations tout à son gré ; du reste l’inscription nous reporte au commencement du IIe siècle, époque où la notion de l’autonomie a perdu bien du terrain. C’est d’autre part une période où commencèrent à apparaître, les logistes dans les villes sujettes, et bien que rien ne donne ce titre au personnage chargé de régler cette affaire, il n’est pas interdit de supposer qu’il agit à peu près en cette qualité. N’oublions pas enfin que les villes d’Asie devaient le stipendium, et quoique les δεκάπρωτοι fussent dans tous les cas responsables de l’exact paiement de cette contribution, qui pesait sur les citoyens en proportion de leurs biens, les Romains avaient intérêt à ce que ces difficultés eussent promptement une solution.

Je conclus donc à un acte d’autorité pur et simple, accompli par le proconsul, et les termes de la lettre ne font pas voir autre chose. Qu’il se soit adressé à l’Empereur, nous n’avons pas à nous en étonner : ces consultations, demandées par les gouverneurs au prince, se produisaient à tout instant, même en ce qui louche les provinces sénatoriales. La lettre de Quietus et celles qu’il envoya également aux Aezanites[64] nous montrent qu’Hadrien ordonna un nouveau partage, par lots de grandeur moyenne, conformément aux usages des villes voisines, recommandant de s’informer des dimensions ordinaires des plus grands lots et des plus petits dans la région. Une redevance à payer à la ville fut établie[65], et l’acquittement des intérêts moratoires, pour les cas où il y en aurait, rigoureusement exigé. Quietus ne chargea pas de l’opération ses propres agents ordinaires, légats ou questeur, mais le procurateur de l’Empereur, Hesperus. Le proconsul avait donc autorité sur ce dernier, car la lettre de l’Empereur n’indique pas ce choix qui semble une idée personnelle de Quietus. Comment l’expliquer d’ailleurs ? Ou bien Hesperus fut délégué comme curateur, car souvent le logiste d’une cité n’est autre qu’un procurateur impérial de la province, ou bien, ce qui est encore plus probable, les intérêts du fisc étaient engagés dans l’affaire, et nous avons là une raison de plus de penser avec M. Mommsen, conformément du reste à un texte explicite de Tacite[66], que, sur le stipendium des provinces du Sénat, il était remis une portion au fiscus, trésor de l’Empereur. Les règles mêmes suivies pour la nomination des gouverneurs d’Asie, la qualité de consulaire exigée d’eux, faisaient que cette province ne pouvait guère être administrée par des gens du pays. Les Romains ne prodiguèrent pas le droit de cité, surtout dans les premiers temps ; et l’obtention de la civitas Romana n’était qu’un tout petit acheminement aux fonctions supérieures. Aussi les gouverneurs de la proconsulaire étaient presque tous des Italiens. Pourtant certains Empereurs, surtout les Flaviens, firent entrer d’emblée au Sénat, en leur conférant par adlectio le rang de tribun ou de préteur, un certain nombre de provinciaux choisis parmi les plus illustres citoyens des grandes villes[67]. C. Salvius Liberalis était un provincial — originaire on ne sait d’où — devenu gouverneur de notre province. C. Antius A. Julius Quadratus se trouva dans le même cas, et de plus nous apprenons positivement qu’il était, par une exception rare, un fils de la province même qu’il administrait, étant né à Pergame[68]. Dans le discours où il célèbre le quatorzième anniversaire du fils de cet homme, Apelles, le rhéteur Aristide fait un éloge pompeux du proconsul[69] : Quadratus avait été désigné par le dieu comme devant restaurer la ville (Pergame), que les années avaient affaissée ; il s’en est acquitté et si bien (et ici Aristide ajoute une phrase assez intraduisible en français) ώστ’ εΐναι λοιπόν τά μέν άλλα γένη τής πόλεως φάσκειν, τοΰδε δέ τοΰ γένους τήν πόλιν ; et ce n’est pas moi qui le dis, mais la ville elle-même le proclame, on le crie dans les prétoires, dans les théâtres, dans les assemblées, etc. Il est naturel que l’honneur d’avoir donné à la province un gouverneur ait provoqué dans la ville une manifestation d’orgueil démesuré ; c’est en effet le seul exemple que nous puissions citer, avec celui de Sex. Quintilius Maximus, originaire d’Alexandria Troas, comme toute la famille Quintilia qui joua un rôle considérable sous Marc-Aurèle[70].

En revanche, nous voyons que les descendants des anciens souverains de l’Asie Mineure n’ont pas été tenus en suspicion par les Romains, et plus d’un a reçu d’eux le pouvoir proconsulaire. La plupart des rois et tétrarques vassaux de Rome avaient obtenu la civitas et ils étaient entrés dans la gens Julia. Sous Antonin le Pieux, l’Asie eut une année pour gouverneur Ti. (Julius) Severus, qui descendait des anciens rois et tétrarques de la Galatie[71], et vers la même époque C. Julius Alexander Berenicianus[72]. M. Mommsen, qui a fait une étude détaillée de la filiation de ce dernier[73], a montré qu’il descendait de la dynastie iduméenne. Son père était sans doute C. Julius Agrippa, quaestor pro praetore, connu par une inscription d’Éphèse[74], et lui-même fils du roi Alexander. Celui-ci, qui descendait directement d’Hérode le Grand, épousa Jotapé, fille d’Antiochus IV, roi de Commagène ; Vespasien lui avait concédé en apanage l’île d’Elaeussa, lorsqu’il réduisit le reste de la Cilicie Trachée en province romaine[75]. Le cognomen Berenicianus est une indication non moins précise, car les Bérénices abondaient dans la famille des princes idimiéens. Aristonicus eût été, on le voit, bien avisé de se soumettre. Ses petits-neveux, sinon lui-même, auraient pu, comme ces dynasties indigènes, l’aire souche de fonctionnaires romains.

Qu’a valu, pratiquement, ce mode de recrutement de l’administration supérieure de l’Asie ? Ici, on ne peut que reproduire le jugement de Waddington : Soumis à des règles d’avancement bien entendues et assez strictement observées dans leur ensemble, recrutés parmi des fonctionnaires qui, dès leur jeunesse, étaient entrés au service de l’État, et qui passaient alternativement par des postes militaires et des postes civils, (les proconsuls) apportaient dans leur gouvernement l’expérience et les lumières qu’une longue carrière publique peut seule donner. Les défauts que leur reprochent les auteurs contemporains, et pour lesquels ils étaient traduits devant le Sénat, sont souvent l’avarice, quelquefois la cruauté, rarement l’incapacité[76].

Il faut ajouter néanmoins que les gouverneurs n’ont pas eu toujours une entière liberté de mouvements. Bien qu’à la tête d’une province du Sénat, ils ont été forcés de compter avec la fantaisie de quelques Empereurs, dont la tyrannie, ressentie surtout à Rome, n’en avait pas moins une certaine répercussion sur la vie calme des provinces. Néron entre autres princes atteints de folie, se mettant à l’école de Verres, avait recommencé dans tout l’Orient les dilapidations que les Asiatiques avaient dû subir tant de fois pendant la République. Deux de ses affranchis eurent pour mission spéciale de dépouiller les temples des provinces grecques au profit de leur maître et d’en enlever les offrandes et les statues des dieux : Per Asiam atque Achaiam non dona tantum, sed simulacra nimirum abripiebantur, missis in eas provincias Acrato ac Secundo Carinate[77]. Le gouverneur ne pouvait s’y opposer ; il fut pourtant accusé de ce chef à la fin de son proconsulat, et les allégations de Tacite n’ont rien que de vraisemblable : Baream Soranum iam sibi Ostorius Sabinus eques Romanus poposccerat teum ex proconsulatu Asiae, in qua offensiones principis justitia atque industria, et quia portui Ephesiorum aperiendo curam insumpserat, uimque civitatis Pergamenae, prohibentis Acratum Caesaris libertum statuas et picturas enehere, inultam omiserat[78]. Soranus était coupable de ne pas avoir puni la résistance de Pergame, qui ne voulait se laisser dépouiller, et d’avoir par suite géré son proconsulat plus en vue de sa popularité que de l’intérêt général, en favorisant les rébellions des villes[79].

Même honnêtes, les gouverneurs ne pouvaient toujours traiter généreusement leurs administrés. En fut-il de personnellement cruels ? Sénèque nous parle de M. Valerius Messala Volesus, proconsul d’Asie sous Auguste, qui avait frappé trois cents personnes dans un jour à coups de hache et, se promenant, superbe, parmi les cadavres, s’écriait en grec, fier de ses exploits : Ô action vraiment royale ! Quel roi en eût fait autant ?[80] Tacite en rappelle un autre, P. Celer, accusé de nombreux crimes et eu particulier d’un empoisonnement[81]. Un troisième avait encore commis des sévices et des concussions, C. Julius Silanus[82].

A l’égard du premier il est probable, et pour les deux autres il est sûr que l’accusation partit de la province même, et l’on ne pourrait citer d’autre cas analogues datant de l’Empire[83] ; encore semble-t-il que, comme sous la République, les haines particulières s’y soient mêlées aux griefs des populations. Silanus fut chargé par son questeur et un de ses légats : et trois sénateurs alléguèrent qu’il avait porté atteinte a la divinité d’Auguste, s’était rendu coupable de lèse-majesté envers Tibère ; on savait que ses familiers et ses amis n’oseraient lui prêter assistance, devant une semblable accusation. Et ceci paraît bien indiquer des inimitiés à Rome non moins vives que les plaintes des provinciaux.

Pour Volesus, il nous est parlé en termes vagues[84] de libelli qu’Auguste rendit contre lui et qui attestent une action, peut-être un ressentiment personnels du prince. A l’égard d’un autre gouverneur, Suillius Rufus, l’initiative de la mise en jugement vint de Rome. On répandit en Asie des émissaires chargés de recruter des délateurs et de former contre cet homme un dossier rempli d’accusations vraies ou fausses[85]. Enfin n’oublions pas qu’à l’exception de celui de Volesus, les procès que je viens de rappeler se placent sous les règnes de Tibère, Claude, Néron, Empereurs jaloux et soupçonneux, très portés a attribuer à un gouverneur, même de bonne réputation, quelque ambitio concitiendae provinciae ad spes novas, comme on le fit pour Barca Soranus. Sollicités d’accabler quelque proconsul mal en cour, il n’est pas inadmissible que les Grecs du début de l’Empire s’en soient donné à cœur joie[86].

Après Néron, nous n’entendons plus parler d’accusations portées contre un gouverneur d’Asie. De fait, lui mort, et à part Domitien, la lignée des Empereurs cruels ou déséquilibrés se trouva interrompue pour plus d’un siècle ; les autres n’eurent pas toujours pour leurs sujets une bienveillance purement passive. Hadrien voyagea beaucoup ; son contrôle actif, quoique passager, était forcément un frein pour les administrateurs peu consciencieux. D’autres, comme Antonin le Pieux, veillaient avec beaucoup de sollicitude sur les affaires des provinces et examinaient méticuleusement les rapports qui leur en étaient adressés. Ce prince avait été lui-même autrefois proconsul en Asie, et seul il avait pu l’emporter par sa justice sur son beau-père Arrius Antoninus. D’après son biographe[87], à Cyzique on ôta à un dieu sa couronne pour en orner la statue d’Antonin. Du reste, les couronnes décernées aux gouverneurs étaient devenues un usage, peut-être sans dérogation. Paullus Fabius Maximus eut les siennes[88], M. Plautius Silvanus également[89], et bien d’autres. Les dédicaces gravées sur le marbre[90], les statues également ne manquent guère[91]. Des proconsuls eurent même leurs temples, et cela dès l’époque de la République. Cicéron écrivait à son frère, gouverneur alors de l’Asie[92] : Quamquam has querelas hominum nostrorum illo consilio oppressimus, quod in Asia nescio qitonam modo, Romae quidem non mediocri cum admiratione laudatur, quod cum ad templum monumentumque nostrum civitates pecunias decrevissent, cumque id et pro meis magnis meritis, et pro tuis maximis beneficiis, summa sua voluntate fecisseni, nominatimque lex exciperet, ut ad templum monumentumque capere liceret ; cumque id, quod dabatur, non esset interiturum, sed in ornamentis templi futurum, ut non mihi potius, quam populo Romano ac diis immortalibus datum videretur : tamen id..... accipiendum non putaui. Ce texte nous apprend que les Asiatiques avaient voté des fonds pour élever un temple à Q. Cicero en raison de ses bienfaits, et ils voulaient le consacrer en même temps à son frère, pour ses mérites. L’orateur avait déjà flétri les déprédations de Verres en Orient, sans avoir encore défendu Flaccus et accablé d’ironie ses accusateurs.

Le passage cité atteste en outre que cette coutume de bâtir des temples aux propréteurs ou proconsuls n’était pas seulement tolérée en fait, mais même autorisée par les lois. On en avait édicté une pour empêcher que, sous quelque prétexte, ils ne levassent des impositions extraordinaires sur les peuples, mais en admettant une exception (lex nominatim exciperet) : ces contributions des villes étaient autorisées quand il s’agissait de construire des temples de ce genre ; en s’y soumettant de plein gré, les provinciaux donnaient comme un signé de sujétion, agréable aux Romains. Nous voyons encore du même coup que les temples élevés à des particuliers étaient dédiés tout ensemble au peuple romain et aux dieux immortels. On ne voulait pas à Rome qu’un gouverneur acquît une popularité trop grande qui l’eût rendu dangereux pour la République.

Tout ceci pourtant ne doit pas nous faire illusion : remarquons que, vu la date de la lettre de Cicéron, les honneurs que les provinciaux voulaient rendre à son frère datent du début de son proconsulat, alors qu’on l’avait à peine vu à l’œuvre. Nous l’avons noté, en étudiant l’histoire générale de la province : Flaccus le père n’était pas encore arrivé en Asie que déjà des jeux avaient été votés en son honneur. Y avait-il donc réellement dans l’octroi de ces couronnes, l’érection de ces statues ou de ces stèles portant des décrets honorifiques[93], un acte de reconnaissance de la population ? Dans certains cas peut-être ; mais souvent ce n’était qu’une marque de servilité, une déférence préalable habilement calculée ; il fallait se rendre favorable le gouverneur par un accueil empressé. Après tout, les auteurs seuls nous renseignent sur les proconsuls sanguinaires ou concussionnaires ; les inscriptions ne révèlent que les bienfaits, et encore amplifiés. Or, pour une bonne partie de cette histoire, les documents littéraires sont rares et de faible valeur, les sources restent avant tout épigraphiques. Voilà donc une raison de nous mettre en garde contre l’optimisme excessif auquel pourrait nous conduire la pénurie d’informations[94].

N’apportons pas cependant dans notre conclusion une réserve exagérée. L’Asie ne semble pas différer beaucoup sur ce point des autres provinces : elle a dû à la domination romaine, après une période de pillages, des heures de pleine tranquillité. Le développement des travaux publics est un très sûr garant de l’œuvre utile, que les Romains accomplissaient dans le pays[95]. Ils ont souvent eux-mêmes réparé les maux de la guerre[96] ; ils ont donné à l’Asie des routes, des aqueducs[97], des monuments, et le, pays en a toujours profité, s’il est avéré que parfois c’est lui qui en supporta les frais[98]. Il est vrai que tout n’est pas l’œuvre des proconsuls ; les Empereurs eux-mêmes se sont montrés généreux pour l’Asie. Ainsi Hadrien était appelé fondateur et sauveur d’Éphèse, en raison de ses dons qu’on ne saurait dépasser (άνυπέρβλητα), comme dit une inscription ; il avait donné à Artémis ses justes privilèges et ses lois, fourni à la ville des approvisionnements d’Egypte, rendu le port accessible aux navires et détourné le Caystre qui l’embarrassait[99]. Il n’est pas trop hardi de supposer que, sous les bons Empereurs, les gouverneurs se sont mis à l’unisson, et c’est déjà un indice favorable pour eux que les écrivains de l’Histoire Auguste, qui nous donnent les noms de plusieurs d’entre eux, se bornent à les mentionner sans commentaire. Il est frappant en effet que nos renseignements sur les proconsuls du IIe, et surtout du IIIe siècle, se réduisent, à peu d’exceptions près, à une simple nomenclature. Cette liste, il convient pourtant de la donner, — ne fût-ce qu’à titre de cadre utile pour le classement des découvertes à venir, — avec celle des questeurs et des légats.

 

 

 



[1] On n’a guère fait depuis lors que développer ses conclusions et examiner des points secondaires : Cf. ZIPPEL, Die Loosung der konsularischen Prokonsuln in der früheren Kaiserzeit, Konigsberg, 1883 ; MOMMSEN, Droit public romain, trad. fr., III, p. 287 sq.

[2] On trouve souvent dans les textes ou les inscriptions de cette époque les titres de στρατηγός ΰπατος et στρατηγός άνθύπατος. Sur le sens de ces qualificatifs, la doctrine de Waddington a par exception vieilli, depuis que M. P. FOUCART a fait une étude approfondie et méthodique de la traduction en grec des titres romains. L’auteur des Fastes traduisait ainsi le premier des deux cités plus haut : général en chef des Humains (V. ad LEB., III, p. 196). M. Foucart a montré que le titre véritable, le seul qui ligure dans les documents officiels rédigés pour des Romains, est ΰπατος, consul ; στρατηγός est une addition imaginée pour faire comprendre aux Grecs la qualité du consul, qui va auprès d’eux comme général, pourvu de l’imperium militaire. Quant à στρατηγός άνθύπατος, M. MOMMSEN (Dr. publ., tr. fr., III, p. 365) interprétait : préteur encore en charge, mais ayant l’imperium proconsulaire. En réalité ici encore la solution est la même ; il s’agit simplement d’un proconsul (άνθύπατος) qu’on veut représenter aux Grecs comme un chef militaire (στρατηγός). (V. Rev. de Philologie, XXIII (1899), p. 254-269).

[3] DION CASSIUS, XL, 30, 56.

[4] Ad Famil., II, 18.

[5] JOSÈPHE, Ant. jud., XIV, 10, 17.

[6] Ant. jud., XVI, 3, 3 (éd. Didot, p. 626, l. 28).

[7] Ant. jud., XV, 10, 2.

[8] Droit publ., trad. fr., V, p. 473, note.

[9] WADDINGTON, Fastes, p. 88.

[10] Comment. epigr., II, p. 70-S2.

[11] TACITE, Annales, II, 43 : permissae Germanico provinciae quae mari dividuntur.

[12] TACITE, Annales, XV, 25.

[13] DION CASSIUS, LXXI, 3.

[14] DION CASS., LIII, 12, 14 ; STRABON, XVII, 3, 25, p. 810 C.

[15] I, p. 521 Dindorf.

[16] V. soph., I, 22, 5.

[17] CIL, XIV, 3609.

[18] CIL, IX, 5533.

[19] Cependant une limitation rigoureuse n’était pas possible dans la pratique. Les consuls étaient nommés deux par deux ; quand l’un des deux plus, anciens consulaires mourait, il fallait, pour le remplacer, arriver a un autre groupe de deux consulaires, placés exactement sur le même rang l’un que l’autre ; donc trois concurrents pour deux provinces. Aussi M. Mommsen admet plutôt qu’il y eut toujours six à dix candidats, pris parmi les plus anciens consulaires que le sort n’avait pas encore favorisés. Il est visible que plus d’un obtint le proconsulat d’Asie avant son tour, et nous savons que le tirage avait lieu pour la deuxième province, quand la première avait été attribuée par choix individuel (TACITE, Ann., III, 32 et 58), et que le nombre total des provinces à répartir était plus élevé que celui des appelés (DION CASS., LIII, 14). Cf. MOMMSEN, Dr. publ. rom., ibid., pp. 287, 289, note 4 ; 290, note 1.

[20] DION CASSIUS, LIII, 13.

[21] Cf. BOUCHÉ-LECLERCQ, Rev. historiq., LVII (1895) p. 251-5.

[22] Cf. Epist. ad Ant., 8.

[23] Annales, III, 71.

[24] DION CASSIUS, LV, 28. — Exemples divers de renouvellements de charge sous l’Empire : CIL, III, 468 ; X, 3853 ; XIV. 2612 ; Ath. Mit., VIII (1883), p. 317 ; LEB., 232. — BCH, VIII (1884), p. 467 : inscription de Samos élevée à Vibius Postumus τό τρίς άνθυπάτω ; c’est l’exemple le plus ancien pour l’Asie.

[25] TACITE, Annales, III, 32, 35.

[26] DION CASSIUS, LVIII, 23, 5.

[27] Cf. WADDINGTON, Fastes, p. 119.

[28] DION CASSIUS, LXXVIII, 22, 5.

[29] CIL, IX, 5533 : hic sorte [proconsulfac]tus provinciae Asiae se excusevit.

[30] TACITE, de vit. Agricola, 42.

[31] LXXVIII, 22, 2-4 ; ce sont des événements de l’année 217.

[32] Ces mois ne me paraissent pas contredire en droit la thèse, que j’ai cru pouvoir soutenir, de la liberté des candidatures. A une époque comme celle dont il s’agit, les principes sont écartés, et il n’y a pas de liberté individuelle assurée.

[33] Scr. Hist. Aug. : LAMPRIDE, Vit. Alex., 24.

[34] EUNAPE, p. 60, 80, éd. Boissonade.

[35] Cf. CICÉRON, ad Fam., XII, 16.

[36] DION CASSIUS, LVII, 14, 5.

[37] DION CASSIUS, LX, 17, 3.

[38] Quand le gouverneur se déplaçait, tout ce monde-là l’accompagnait ; d’où une charge terrible pour les habitants des régions traversées. Cicéron les plaint d’y être soumis, et à son ordinaire fait valoir son désintéressement en ces circonstances (Ep. ad Att., V, 16) : Ces pauvres villes sont bien à plaindre ; du moins elles ne font pas de dépenses pour nous ; nous ne prenons ni le foin ni les autres choses que la loi Julia nous accorde ; nous payons même le bois ; on ne nous fournit que les lits ; nous couchons généralement sous la tente.

[39] Cf. l’inscription de Milet (Rev. de Philol., XIX (1895), p. 131, l. 13) : συνέγδημος άναγραφείς έν αίραρίω Μεσσάλλα τοΰ γενομένου τής Άσίας άνθυπάτου (= comes proconsulis, et en cette qualité delatus in aerarium, inscrit à l’aerarium, car les personnages de l’entourage du proconsul, dont celui-ci avait communiqué la liste à Rome, touchaient des indemnités en espèces ou en nature. V. Digeste, XVIII, 1, De Excusation., l. 41, § 2, et IV, 6, Ex quib. causa major, I. 32) καί λαβών μόνος όμοΰ πίστιν έπιστολών άποκριμάτων διαταγμάτων κτλ.

[40] FRONTO, ad Ant., 8 : Quaecumque ad instruendam provinciam adtinerent, quo facilius a me tanta negotia per amicorum copias obirentur, sedulo praeparavi. Propinquos et amicos meos, quorum fidem et integritatem cognoveram domo accivi. Alexandriam ad familiares meos scripsi, ut Athenas festinarent, bique, me opperirentur, usque Graecarum epistularum curam doctissimis viris detuli. Ex Cilicia etiam splendidos viros, quod magna mihi in ea provincia amicorum copia est, cum publice privalimque semper negotia Cilicum apud te defenderim, ut venirent hortatus sum. Ex Mauretania quoque virum amantissimum mihique mutuo carum Julium Senem ad me vocavi, cujus non modo fide et diligentia, sed etiam militari industria circa quaerendos et continendos latrones adjuvarer. — Il est vrai que ces gigantesques préparatifs dépassaient sans doute la moyenne. Fronton avait des difficultés spéciales : Haec omnia feci spe fretus, posse me victu tenui et aqua potanda malam valetudinem, qua impedior, si non omnino sedare, certe ad majus intervallum ejus impetus mitigare.

[41] CIL, V, 875 : proc. provinciae Asiae quam mandata principis vice defuncti procos. rexit.

[42] CIL, XIII, 1807 : proc. prov. Asiae, ibi vice [XX et XXXX itemque vice procos.

[43] DION CASSIUS, LIII, 14, 7, et CICÉRON, Ep. ad Q. fr., I, 1, 3, 11 : quaestorem habes, non tuo judicio delectum, sed eum quem sors dédit.

[44] ORELLI, 6500 : legatus patris sui proconsulis Asiae.

[45] DION CASSIUS, LIII, 14, 7.

[46] CIL, III, 6813 ; VI, 1140.

[47] LEB., 1722a ; BCH, I (1887), p. 101.

[48] JHSt, XVII (1897), p. 403, n° 9.

[49] Rappelons-nous que ce fonctionnaire était étroitement attaché au gouverneur ; il porte quelquefois le titre de praefectus fabrum proconsulis (CIL, III, 7089, sous le proconsulat de M’. Lepidus).

[50] LEB, 1669a.

[51] Th. REINACH, BCH, XVII (1893), p. 35.

[52] Une inscription bilingue de Ténos (O. HIRSCHFELD, Jahreshefte d. öster. Instit., V (1902), p. 149-151) nomme un praefectus tesserariarum navium (ό έπί τών τεσσεραρίων έν Άσίας πλοίων), placé à la tête de la flottille chargée de l’expédition des dépêches, c’est-à-dire de la poste gouvernementale eu Asie. Les circonstances de la découverte donnent à penser que ce petit monument date de l’époque où Auguste fit un séjour en ces pays, et surtout à Samos : il n’indique point par suite le régime normal et ne prouve pas que le fonctionnaire cité fût sous les ordres du proconsul d’Asie. Du moins, il nous fait connaître un service organisé pour la province et dans ses limites.

[53] CIL, III, 6081.

[54] CIL, III, 6075.

[55] Cities and Bishop., I, p. 157 sq., n° 32, 65 et 66.

[56] CICÉRON, ad Att., V, 18, 2 ; ad Fam., XV, 1, 5.

[57] Et notamment des navires : CICÉRON, ad Fam., XII, 13 (lettre de Cassius) : Nos ex ora maritima Asiae provinciae et ex insulis, quas potuimus naves deduximus. — Cf. Pro Flacco, 12, 27.

[58] Cf. la même lettre de Cassius : Delectum remigum, magna contumacia civitatum, tamen salis celeriter habuimus.

[59] V. le cas de saint Paul, Ad. Apost., XXV, 10-12 ; XXVI, 32.

[60] Pour l’Asie, il y a dans Cicéron une allusion à l’édit du deuxième Q. Mucius Scaevola (CICÉRON, ad Attic., VI, 1, 15) : Exceptionem habeo ex Q. Mucii P. f. edicto Asiatico ;multaque sum seculus Scaevolae, in iis illud in quo sibi libertatem censent Graeci datam, ut Graeci inter se disceptent suis legibus.

[61] On admet généralement que c’était celui-là qui formait l’objet de l’edicti interpretatio de GAIUS, dont nous devons d’autant plus, pour notre sujet spécial, regretter la disparition, que l’auteur, comme l’a soutenu avec beaucoup d’arguments et de force M. MOMMSEN, avait vécu dans la moitié grecque de l’Empire, et probablement dans la province proconsulaire d’Asie (cf. sa lettre critique jointe aux Institutiones de ce jurisconsulte, dans la Collectio librorum juris antejustiniani de MM. KRÜGER et STUDEMUNT, 2e éd., Berlin, 1884).

[62] LEB., 860 = CIG, 3835, et add., p. 1064.

[63] L’arbitrato..., p. 380 sq.

[64] Et qui font suite dans le recueil de Le Bas.

[65] Ceci encore m’empêche de croire à un jugement arbitral sollicité par les parties.

[66] Annales, II, 47 : (Sardianis) quantum aerario aut fisco pendebant, in quinquennium remisit.

[67] SUÉTONE, Vespasien, 9.

[68] Cf. l’inscription de cette ville (CIG, 3249).

[69] Apellae natalit., I, p. 116 Dind. = II, p. 203 Keil.

[70] PHILOSTR., V. soph., II, 1, 24, 25.

[71] CIG, 4033 (Ancyre de Galatie).

[72] BCH, I (1877), p. 292.

[73] Ath. Mit., I (1876), p. 36.

[74] Hermès, IV (1870), p. 190.

[75] JOSÈPHE, Ant. jud., XVIII, 5, 4 (éd. Didot, p. 707, l. 8).

[76] Fastes, p. 18.

[77] TACITE, Annales, XV, 45.

[78] Annales, XVI, 23.

[79] TACITE, Annales, XVI, 30.

[80] De ira, II, 5.

[81] Annales, XIII, 33.

[82] TACITE, Annales, III, 66-67 : C. Silanum proconsulem Asiae repetundarum a sociis postulatum (socii a le sens de provinciaux dans Tacite comme dans Cicéron)..... Nec dubium habebatur saevitiae captarumque pecuniarum teneri reum. M. MOMMSEN expose (Dr. publ. rom., trad. fr., III, p. 309, cf. note 2 ; et Rom. Strafrecht, p. 238, note 1) que ces cruautés ne pourraient se comprendre sans la juridiction criminelle du proconsul. J’ai admis le principe de cette juridiction ; mais des faits comme ceux que nous voyons rapportés, n’ont rien à voir avec l’exercice de la justice. La conduite de Messala est simplement celle d’un fou qui dispose de la force.

[83] Il faut y joindre encore celui d’un procurateur : TACITE, Annales, IV, 15 : Procurator Asiae Lucilius Capito accusante provincia damnatur.

[84] TACITE, Annales, III, 68.

[85] TACITE, Annales, XIII. 42-43 : Reperti accusatores direptos socios, cum Suillius provinciam Asiam regeret, ac publicae pecuniae peculatum detulerunt.

[86] Il y a certainement un peu de vrai dans l’exclamation de Cicéron plaidant pro Flacco (8, 19) : Mirandum vero est, homines eos, quibus odio sunt nostrae secures, nomen acerbitati, scriptura, decumae, portorium morti, libenter arripere facultatem laedendi, quaecumque detur !

[87] JUL. CAPITOLINUS, Ant. P., 3, 4.

[88] CIG, 3902a, (Euménie).

[89] Cf. la monnaie décrite par WADDINGTON, Fastes, p. 104.

[90] Myndos : BCH, XII (1888), p. 28, n° 6 ; Smyrne : CIG, 3186.

[91] Cf. CIL, II, 4312 : Nummio Aemiliano Dextro, u. c., propter insignia bene gesti proconsulatus, omnes (sic) Asia concernant beneficio principali statuant consecravit. — M. Valerius Messala Potitus fut honoré d’une statue par les gens de Pergame (FRÄNKEL, 417), et même Sylla par ceux d’Halicarnasse (HULA et SZANTO, Denkschrift. der Wien. Akad.,132, II (1890), p. 29.)

[92] Ep. ad Q. fr., I, 1, 9, 26.

[93] Et naturellement les gouverneurs n’étaient pas les seuls à voir leurs noms ainsi célébrés ; des noms de légats figurent également dans des dédicaces (V. par exemple Éphèse : LEB., 147a) ainsi que des noms de questeurs (ibid., Hermès, IV (1870), p. 92).

[94] Tout en faisant la part du pessimisme un peu brutal de l’auteur, on ne doit pas perdre de vue cette réflexion savoureuse de TACITE (V. Agricola, 6) : (Agricolae) sors quaesturae provinciam Asiam, pro consule Salvium Titianum dedit, quorum neutro corruptus est, quamquam et provincia dives ac parata peccantibus, et pro consule in omnem aviditatem pronus quantalibet facilitate redempturus esset mutuam dissimulationem mali.

[95] Et ces travaux dépendaient en grande partie de l’initiative du gouverneur ; un des grands voyers les plus actifs de l’Asie fut le proconsul Médius Lollianus ; des milliaires montrent que sous son administration quatre routes avaient été réparées.

[96] A Ephèse, M. Herennius Picens, à la fin de la République, dédommagea la ville des désastres causés par la lutte sous la bannière d’Aristonicus, la guerre contre Mithridate et celle des triumvirs (Hermès, IV (1870), p. 195).

[97] A Lesbos, les Romains avaient construit un aqueduc, dont plusieurs tronçons sont encore visibles. — V. KOLDEWEY, Antike Baureste der Insel Lesbos, Berlin, 1890, f°, p. 65-68. — Smyrne possédait un aqueduc dit de Trajan, construit par le père de l’Empereur de ce nom (CIG, 3146) et restauré par Baebius Tullus (ibid., 3147), deux proconsuls.

[98] Ainsi le mur de l’Augusteum fut réparé par un légat avec l’argent provenant des recettes sacrées (FONTRIER, Ath. Mit., X (1885), p. 401, mieux publié par FOUCART, BCH, X (1886), p. 95).

[99] RIEMANN, Inscriptions grecques de Cyriaque d’Ancône, BCH, I (1877), p. 891. — Cf. STRABON, XIV, 1, 24, p. 641 C. — Le même Empereur, fondateur d’Apollonie du Rhyndacus (JHSt, XVII (1897), p. 270), avait fait élever dans cette ville une construction restée inconnue (LEB., 1068).