I. — PRISE DE LA VILLE. À ce moment-là, une certaine sécurité relative régnait à Jérusalem. La longue inaction des forces romaines, le péril même du dedans, avait fait oublier le péril du dehors. Le temps de Pâques approchait, et les apprêts de la fête amenaient entre les Juifs une sorte de trêve. Les pèlerins arrivaient assez librement, moins nombreux que dans les années de paix, nombreux pourtant ; lorsqu'eut lieu le coup de filet annoncé par les prophètes : Titus se mit en de Césarée pour Jérusalem[1]. Son armée pouvait monter à cinquante ou soixante mille hommes sans les esclaves. Il avait sous ses ordres les trois légions (5e, 10e et 15e) qui avaient fait sous Vespasien la guerre de Galilée, diminuées dans l'intérêt de la guerre civile, mais recrutées par des renforts venus d'Égypte. Il s'y ajoutait la 12e, celle qui avait été vaincue sous Cestius, ardente à réparer sa défaite ; les troupes des trois rois vassaux ; vingt cohortes des villes syriennes ; des nuées de cavaliers arabes, ennemis habituels du peuple juif. Des volontaires romains, courtisans du nouvel empire, se pressaient autour de Titus, empressés d'assister la dynastie Flavia dans sa première guerre et dans sa prochaine victoire[2]. Ce fut à Gabaath-Saül, à trente stades (une lieue et demie) de Jérusalem que Titus, venant de Césarée, rencontra la 5e légion qui, après avoir ravagé l'Idumée, arrivait d'Emmaüs, et la 10e, qui avait occupé la Pérée et arrivait de Jéricho. Le rendez-vous avait pu être donné presque aux portes de Jérusalem, tant cette ville était déjà serrée de près[3] ! Bientôt, des hauteurs de Scopos, qui fut le premier campement du siège, la ville sainte commença à leur apparaître (7 xanthicus, 9 avril). Le pays qui entourait Jérusalem ne présentait pas alors cet aspect de désolation et de nudité qui attriste aujourd'hui l'âme des voyageurs et leur a inspiré de si belles et de si mélancoliques paroles. Cinq siècles consécutifs d'habitation et de culture avaient vaincu l'âpreté du sol ; l'olivier, le figuier, la vigne croissaient partout. Les eaux, habilement ménagées, fécondaient cette terre naturellement stérile ; des aqueducs et des conduits souterrains amenaient l'eau à Jérusalem, qui n'en manqua pas au milieu de toutes les souffrances du siège[4]. Au milieu de cette riche campagne et par-dessus l'abrupte vallée du Cédron, l'œil atteignait Jérusalem ; et la ville, comme dit Pline, la plus glorieuse de tout l'Orient, apparaissait ceinte d'une rangée de tours, qui, plus élevées là où le sol était plus bas, semblaient toutes du même niveau et enchâssaient la cité comme un diadème[5]. Mais quelques faîtes plus élevés surgissaient encore au-dessus de cette couronne d'or. C'était, à droite, et plus éloignée, Sion, la cité de David, le point dominant de la ville, dominée elle-même par les trois tours Hippicos, Phasaël et Mariamne, dont chacune, massive et resplendissante, semblait taillée dans un seul bloc de marbre blanc. A gauche et plus près, c'était la tour Antonia, la gardienne du temple[6]. Plus en arrière, au-dessus de la colline de Bézétha, qui la coupait à mi-hauteur, apparaissait la partie haute du temple, blanche comme la neige, là où sa blancheur n'était pas relevée par des plaques d'or, et dressant au ciel les mille aiguilles dorées qui en couronnaient le faîte. La ville de David et de Salomon n'était 'pas alors la cité indigente et mélancolique qui rappelle au pèlerin les pleurs de Jérémie et les douleurs du Calvaire. C'était une ville riche, forte, puissante. Agrippa l'avait à peu près doublée ; tous les Hérodes avaient travaillé à l'embellir : Pilate lui avait construit des aqueducs ; les rois prosélytes de l'Adiabène avaient des palais dans ses murs ; les Césars l'avaient enrichie de leurs dons. Opulente et prévoyante à la fois, ceinte de tours et pleine de palais, ses citadelles étaient des lieux de délices ; ses tours, hautes de deux cents pieds, dont les créneaux devaient bientôt vomir l'huile bouillante sur les assaillants, contenaient des bains, des piscines, des salles de banquet, des logements pour des centaines de courtisans et d'esclaves. L'éclat des marbres blancs et de l'or dont elle était parée était relevé par le cadre de montagnes sur lequel elle se détachait. C'était, à gauche, au delà de l'aride vallée de Cédron, la montagne des Oliviers, dont le feuillage grisâtre faisait ressortir la blancheur des portiques du temple ; au fond, les montagnes plus lointaines de Thécoa, abruptes, rocheuses, grises, comme les voyageurs les décrivent aujourd'hui. Elles, du moins, n'ont pas changé[7]. Il ne faut pas croire que cette vue laissât insensibles même les païens de l'armée romaine. Pour les Syriens et les Arabes qui en formaient la plus grande partie, Jérusalem était l'antique ennemie, enviée et redoutée depuis longtemps, et qui leur apparaissait dans tout l'éclat de son opulence, au milieu de ses fêtes et de l'affluence de ses pèlerins, comme une proie longtemps désirée et que leur main allait saisir. Mais chez les Romains de Rome, si je puis ainsi parler, soldats plus désintéressés de cette guerre, il y avait des sentiments d'une autre nature il y avait là plus d'un esprit à quine manquait ni l'élévation de l'intelligence, ni même la religion du cœur ; philosophe et frappé de la grandeur du dogme hébraïque ; instruit dans l'histoire et émerveillé de l'étrange destinée du peuple juif artiste, et, dans son amour du beau, contemplant avec un certaine vénération curieuse ce temple, l'une des merveilles du monde ; peut-être même, en ce temps où le sentiment religieux était dépravé plutôt qu'anéanti, homme religieux ; comme tel, dégoûté des idoles, inquiet du vrai Dieu, ayant reçu un certain reflet de christianisme, arrivant presque en pèlerin au pied du seul temple au monde où il n'y avait pas d'idoles et où le vrai Dieu était adoré. Des Césars eux-mêmes avaient éprouvé ce respect ; pourquoi des tribuns militaires ne l'eussent-ils pas ressenti ? Nous verrons Chez Titus, en face de Jérusalem, ce sentiment mêlé de curiosité, d'admiration, de respect, de prière, qui le portèrent, après avoir vaincu, à se prosterner et à vouloir sauver le temple contre lequel il combattait. Que se passait-il cependant et dans cette ville et dans ce temple ? Quelles ressources s'y trouvaient pour la défense ? Quelles inclinations pour la paix ? La situation de Jérusalem était naturellement forte. Les deux vallées escarpées du Cition et du Cédron l'enveloppaient, l'une à l'occident, l'autre au nord et à l'est ; puis, se réunissant au midi, formaient autour d'elle comme un large fossé. Il n'y avait de côté accessible que l'intervalle de sept à huit stades (douze à quinze cents mètres) qui, au nord-ouest, séparait les deux vallées. Mais, là comme partout, la main de l'homme avait complété ou remplacé l'œuvre de la nature[8]. Cinq enceintes fortifiées se partageaient Jérusalem. Au sud-ouest, c'était Sion, la citadelle, la cité de David, défendue, du côté de la vallée, par la pente escarpée et rocheuse sur laquelle elle reposait ; du côté de la ville, par les trois tours, Hippicos, Phasaël et Mariamne, hautes de quatre-vingts à quatre-vingt-dix coudées ; de tous les côtés, par l'antique muraille de David haute de trente coudées et garnie de soixante tours[9] ; Sion était le point originaire de la cité, sa partie la plus forte ; ce devait être le dernier refuge de ses défenseurs. A l'est de Sion, et séparé d'elle par le ravin de Tyropœon (des fromagers), qui coupait en deux Jérusalem[10], était Moria, la montagne du temple, sanctuaire et forteresse à la fois[11], vaste plate-forme que la main de l'homme avait nivelée, élevée et escarpée du côté du nord, un fossé taillé dans le roc ; à l'est, l'escarpement à la fois naturel et factice qui la séparait de la vallée du Cédron[12] ; au midi, une élévation telle, dit Josèphe, qu'on ne pouvait regarder en bas sans vertige ; dans tous les sens une puissante muraille, défendaient le temple. Et de plus, vers l'angle nord-est du temple, avait été bâtie la tour Antonia, la citadelle romaine de Jérusalem, élevée de quarante coudées sur un rocher de cinquante ; et l'escarpement du rocher, afin de le rendre plus inaccessible, avait été garni d'un revêtement de pierre : dans les premiers soulèvements des Juifs, l'édifice central avait été détruit[13] ; mais le rocher et le mur d'enceinte qui le couronnait subsistaient toujours. Ces trois enceintes, de Sion, du temple et d'Antonia, formaient la partie la plus forte et la plus haute de la ville. Mais le reste ne laissait pas que d'être défendu. Au pied du temple s'étendait, à l'ouest, Acra, la ville basse, avec une enceinte fortifiée garnie de quatorze tours. Au nord du temple, au nord et à l'ouest d'Acra, à droite et à gauche du ravin de Tyropœon, se développait Bézétha, la ville neuve, dans laquelle se trouvait compris le Calvaire, réunie depuis Agrippa à l'enceinte de Jérusalem. La muraille de Bézétha avait été commencée par ce prince sur un plan qui eût rendu Jérusalem imprenable ; les pierres qu'il lui avait données pour assises avaient vingt coudées de long, dix de large, cinq de haut. Un ordre de l'empereur Claude avait arrêté ce travail ; au jour de l'insurrection on l'avait repris à la hâte, mais en donnant au mur une hauteur de vingt-cinq coudées seulement. Quatre-vingt-dix tours, hautes de quarante coudées, le garnissaient[14]. C'était évidemment de ce dernier côté, le moins fort par sa nature et le plus hâtivement fortifié, que Jérusalem devait être attaquée. Nais, Bézétha occupée, Acra se présentait. Après Acra, il fallait prendre le fort Antonia afin de pouvoir assiéger le temple. Le temple pris, Sion restait. C'était donc cinq places fortes à assiéger les unes après les autres[15]. Jérusalem eût donc été forte ; mais elle était encombrée. Une population immense et en grande partie inutile se pressait dans ses murs. Tacite y compte six cent mille âmes ; d'après le récit de Josèphe, il faudrait pousser l'évaluation jusqu'à douze cent mille. Ces chiffres ne doivent pas trop nous étonner. Il ne s'agit pas ici de la population habituelle et sédentaire, qui pouvait monter peut-être à deux cent mille âmes[16], mais d'une population accidentelle et violemment déplacée que la guerre avait jetée dans son enceinte. Les Romains, maîtres de la Palestine, en avaient refoulé les peuples vers la ville sainte ; de tant de bourgs de Galilée où les hommes avaient été massacrés, les femmes, les enfants, les vieillards, étaient venus chercher un refuge à Jérusalem ou sous l'ombre de ses remparts[17]. Et en même temps que les bourgades incendiées et détruites envoyaient leurs fugitifs, les bourgades soumises et respectées, encouragées par cet armistice tacite qui durait depuis neuf mois, avaient envoyé leurs pèlerins pour la Pâque. On sait que, dans les années ordinaires, la population de Jérusalem, au temps de la fête, fut quelquefois de trois millions. Toute cette foule de pèlerins et de fugitifs, qui avait dû camper aux alentours de la ville, à l'approche de l'armée de Titus, se précipita dans l'enceinte comme dans son dernier asile. Elle fourmillait là entassée, couchant sous les portiques ou même sur les toits, misérable, souffrant déjà les premières atteintes de la faim. C'était véritablement la nation juive tout entière sur laquelle Rome allait jeter son filet. Cette population ne fournissait pas à la défense des ressources proportionnées à son nombre. On comprend que dans cette foule, en grande partie échappée au fer du vainqueur, les êtres sans défense devaient surabonder. Faut-il croire avec Tacite que, sous l'influence du patriotisme, tout ce qui, à la lettre, pouvait porter les armes, les avait prises[18] ? Josèphe nous peint au contraire la grande masse de la population découragée, épouvantée, opprimée, avide de soumission et de fuite ; la milice propre de la ville désarmée ou détruite ; les pontifes et les anciens, les chefs les plus réguliers et les plus dignes, suspects et proscrits, inutiles par conséquent, sinon hostiles, à la défense. Il réduit la force armée de l'insurrection sous les différents chefs qu'il énumère, à deux mille quatre cent zélateurs, six mille galiléens soldats de Jean, cinq mille iduméens, dix mille partisans de Simon, en tout vingt-trois mille quatre cents hommes, réguliers ou irréguliers[19]. Faut-il y ajouter un certain nombre de Juifs transeuphratiques ou de prosélytes de l'Abiadène, venus sous la conduite de quelques-uns de leurs princes au secours de Jérusalem[20] ? Ou bien encore quelques restes de l'ancienne milice urbaine, armée bon gré mal gré, faibles et suspects auxiliaires ? Toujours est-il que le nombre des défenseurs était sans proportion avec celui de la population désarmée. S'il lui eût été proportionnel ou nième supérieur, comme dit Tacite ; s'il y avait eu derrière les murailles une armée de cent mille hommes, Titus, qui, par les transfuges, connaissait bien l'intérieur de Jérusalem, n'eût probablement pas, avec cinquante ou soixante mille soldats, entrepris le siège ; il ne l'eût certes pas entrepris avec cette confiance dans la facilité du succès que Josèphe laisse voir en lui et que Tacite lui reproche. De plus, à ces défenseurs, nombreux ou non, les ressources de la guerre manquaient. Ni leur tactique ni leur armure n'étaient comparables à celles des Romains. Ils n'avaient point de cavalerie. La déroute de Cestius et la prise de la tour Antonia les avait mis en possession d'une artillerie nombreuse[21] ; mais l'art difficile de la manœuvrer leur fut longtemps inconnu, ou médiocrement enseigné par quelques déserteurs romains. En outre, autour d'eux, s'agitait une population immense, parmi laquelle beaucoup de timides, d'affamés, de désespérés, rêvaient la fuite, rêvaient la soumission, étaient prêts à se révolter pour se soumettre. Les magasins de vivres avaient été détruits ; et, quelques magasins qu'eût possédés Jérusalem, dès le premier jour où une telle multitude la remplissait, elle devait craindre la famine. Enfin, pour comble de douleur, les défenseurs eux-mêmes étaient divisés, guerroyant depuis deux ans les uns contre les autres, assiégeant et soutenant des sièges entre eux, tandis que tous allaient être assiégés par les Romains. Et c'étaient ces vingt-cinq mille hommes, bandits plus que soldats, mal armés, mal aguerris, encore moins disciplinés, sans chefs ou avec des chefs mutuellement hostiles, qui devaient, au dehors, tenir tête, dans une enceinte achevée à la hâte, à une armée de cinquante à soixante mille Romains, pourvue de toutes les ressources de la guerre ; au dedans, contenir des centaines de mille êtres humains inutiles et en partie mal disposés, les dompter jusqu'à la mort, leur imposer l'agonie de la faim pour vivre soi-même ; et à travers tout cela, faire face à leurs mutuelles inimitiés, et, au milieu de tant de périls, s'entretuer encore quelque peu. Le fanatisme juif accomplit ce chef-d'œuvre ; il l'accomplit, comme de raison, à force d'atrocité, mais, il faut le dire aussi, à force de courage. Ce fut l'énergie révolutionnaire à sa plus haute puissance ; ces révolutionnaires-là du moins savaient se dévouer. Il est vrai que ces révolutionnaires-là croyaient à quelque chose. Ce n'étaient point des Sadducéens, niant la résurrection et l'autre vie. C'étaient des Pharisiens, instruits par leurs traditions à croire à une existence future. Rien n'est plus vague et plus contradictoire que les opinions rabbiniques sur l'autre vie. Mais je ne sais à quelle époque une pensée s'était produite, bien adaptée à l'intelligence charnelle des Israélite, bien propre aussi à exalter leur fanatisme belliqueux. Tacite l'attribue aux Juifs en général, et Josèphe, par un caprice bizarre, la met dans la bouche de Titus. On prétendait que chez les hommes morts de maladie, l'âme, atteinte par la lente corruption de la chair, reste ensevelie avec le corps, et, quelque purement qu'elle ait vécu, demeure dans les ténèbres, oubliée de Dieu comme des hommes. Les âmes au contraire qu'une mort violente dans le combat ou dans les supplices a délivrées en une fois des liens corporels, s'élèvent, saines et libres, dans les limpides régions de l'éther, et deviennent des anges protecteurs pour leurs descendants[22]. On comprend quel encouragement donnait cette croyance au combattant, au supplicié et même au suicide. Elle inspirait aux exaltés du judaïsme ce goût de la mort qui rendit leur résistance si longue et si cruelle. Elle formait ces soldats de Simon qui, sur un mot de leur chef, dit Josèphe, se seraient fait une joie de se donner la mort. Telle était la situation de Jérusalem et de ses défenseurs. Titus, quant à lui, connaissait bien leur faiblesse matérielle ; il savait moins bien leur force morale. Touchant à ce succès qu'avaient préparé les sages lenteurs de son père, il avait hâte de l'atteindre : Rome et ses plaisirs, dont il était sevré depuis longtemps, le retour triomphant auprès de son père empereur, tout cela l'appelait et l'aiguillonnait. Il avait en même temps un certain désir d'en finir sans trop de carnage (car il n'était pas inhumain), et sans trop de désastre pour la cité sainte (car il ne laissait pas que de la respecter). Et, d'un autre côté, attendre d'un blocus la reddition de Jérusalem aurait ennuyé son impatience et humilié son amour-propre[23]. Pour concilier son impatience, son humanité et son amour-propre, il lui semblait que, par un coup de main hardi, accompagné de négociations pacifiques, il épouvanterait les fanatiques, encouragerait les hommes sages, obtiendrait la reddition d'une ville qui, en majorité, demandait à se rendre ; qu'il aurait la triple gloire de vaincre promptement, hardiment et sans trop de sang ni de désastres : et il se voyait rentrant bientôt dans Rome, sur le char de triomphe, sous les yeux de Bérénice, les lauriers d'imperator sur la tête, rendant à son père la Judée pacifiée, et le temple de Salomon conservé à l'empire des Césars. Ainsi commença le siège : au milieu des terreurs et des souffrances, promptement sensibles, de la multitude ; de l'obstination exaltée des zélateurs ; de l'impatience cupide des soldats romains ; de l'impatience plus noble de Titus, qui, glorieux et humain à la fois, comptait sur l'ardeur de ses soldats et sur l'éloquence de ses parlementaires, sur son épée et sur sa parole. Mais le premier succès trompa et ses espérances de victoire et ses espérances de paix. Dès le début du siège, la défense, loin de s'affaiblir, se fortifia par la réunion de deux des partis qui la divisaient. Le jour des Azymes (14 xant., 12 avril), les fidèles se présentèrent au temple. Comme c'était l'usage, les Galiléens, maîtres de l'enceinte extérieure, leur laissaient le passage libre ; les zélateurs, maîtres du temple intérieur, leur en ouvraient les portes. A titre de simples fidèles, et cachant leurs armes, beaucoup de soldats galiléens pénétrèrent dans cette dernière enceinte. Au bout d'un instant, ils se découvrent, jettent le cri de guerre, frappent la foule de leurs épées. Les zélateurs, hors d'état de soutenir le combat, se cachent dans les souterrains du temple. On les y poursuit, mais on leur fait grâce ; au dépens de quelques victimes parmi les neutres, Jean et Eléazar sont réconciliés, et dans le temple, du moins, il n'y a plus qu'un seul parti[24]. La défense, moins divisée, devint alors plus énergique. La tactique romaine était pesante ; elle marchait comme la politique romaine, lentement et sûrement ; comme la politique romaine, elle avait pour sa grande arme la patience ; elle punissait de mort l'impétuosité téméraire aussi bien que la lâcheté[25]. Ce courage patient, cette stratégie lente n'était pas faite pour un coup de main rapide comme l'aurait voulu Titus. Elle se laissa troubler par l'ardeur indisciplinée des Juifs. Pendant que les légions élevaient péniblement les murailles de leurs camps, faites, ce semble, pour durer des siècles, ces Juifs, mal armés, ignorants de la guerre, se jetaient sur elles, dispersaient les travailleurs ; et les légionnaires fuyaient comme ils l'eussent fait devant une artillerie puissante. Il fallait que Titus accourût. Dès le premier jour, une reconnaissance imprudente l'avait exposé sans casque et sans cuirasse à une sortie des assiégeants, et il n'avait dû son salut qu'à la vitesse de son cheval[26]. Les voies pacifiques ne lui réussissaient pas davantage. Un de ses officiers, qui était connu dans Jérusalem, s'étant approché du mur avec Josèphe, et parlant en faveur de la paix avait reçu pour réponse une flèche dans l'épaule. L'ennemi était devenu plus sérieux, le siège devait être plus long que Titus ne l'avait cru ; il fallut employer la grande arme de la patience, se sevrer de Rome pour quelque temps encore, et, au lieu du coup de main qu'il méditait, faire un siège en règle[27]. Le siège d'une ville était la grande œuvre des guerres antiques. Sans doute, on n'en était plus alors à ces sièges qui duraient trois ans, dix ans, vingt ans ; Philippe de Macédoine, Alexandre, Démétrius le preneur de villes, avaient perfectionné l'art de l'attaque. Mais, malgré tout, ne possédant pas la poudre à canon, on ne pouvait, comme aujourd'hui, dompter les villes de loin, et écraser, sans approcher d'elles, les plus puissantes murailles. A la vue de ces citadelles qui s'élevaient dans la plaine comme d'immenses rochers à pic, inébranlables à toute puissance, infranchissables à toute volonté humaine, meurtrières pour qui en approchait, indestructibles pour qui s'en tenait éloigné, on se demandait que faire ? Ce qu'on avait à faire, c'était d'élever, à force de travail et de patience, avec de la terre soutenue par des troncs d'arbres, une chaussée que l'on commençait hors de portée des machines de guerre, que l'on poussait peu à peu plume avant, en la faisant monter plus haut. C'était, pendant ce travail, de se garantir comme on pouvait par des toits portatifs (vineæ, crates), garnis de cuir ou de métal ; de répondre de son mieux aux flèches de l'ennemi par ses flèches, aux machines de guerre par ses propres machines. Et, quand chaussée que l'on édifiait ainsi était arrivée jusque dans le voisinage et jusqu'au niveau de la muraille assiégée, c'est-à-dire, à une hauteur de quarante, soixante, quatre-vingts pieds[28], il fallait sur cette pente hisser les machines de guerre, afin qu'elles se trouvassent de niveau avec celles de l'ennemi. Il fallait enfin la faire gravir à l'hélépole[29]. L'hélépole était une tour roulante, large quelquefois de soixante quinze coudées à sa base, haute quelquefois de neuf étages ; protégée contre le feu par un revêtement de métal, contre les pierres et les javelots par des sacs de cuir qui amortissaient les coups ; dans laquelle se logeaient des soldats ; sur laquelle s'établissaient les machines de guerre, afin de combattre l'ennemi de plus haut, de balayer le sommet des remparts et atteindre les défenseurs jusque derrière les parapets. Alors, sous la protection de l'hélépole, la tortue et surtout le bélier commençaient à travailler le pied de la muraille assiégée. La tortue n'était autre chose qu'un toit formé par la réunion des boucliers et sous lequel les soldats armés de pics travaillaient à ébranler les assises en pierre. Le bélier était une poutre énorme suspendue par des chaînes et formant un balancier que des centaines d'hommes mettaient en mouvement, et qui allait heurter de sa tête de fer la muraille ennemie. Alors seulement, après des chocs multipliés, après bien des labeurs, après tant de journées perdues, après tant d'hommes sacrifiés, on pouvait espérer faire brèche et lutter corps à corps contre les assiégés. Titus se rapprocha donc de la partie attaquable de la ville. Il transporta son quartier général de Scopos à la partie nord-ouest de la cité, près du tombeau de la reine Hélène. Une légion placée à l'ouest, en face de la tour Hippicos, surveillait la citadelle de Sion ; une autre, à l'est, sur le mont des Oliviers, surveillait le temple. Sur toute la face nord-ouest de la ville, de Scopos au monument d'Hérode, le terrain fut nivelé, les arbres abattus, les maisons détruites, les rochers aplanis, pour faciliter le passage des troupes, des convois et de l'artillerie. Du coté où la muraille d'Agrippa était la moins forte, près du tombeau du grand prêtre Jean[30] (13 xanthicus, 13 avril), avec des arbres coupés dans toute la plaine, on commença à élever trois chaussées. Titus avait soin de menacer la seule partie de la ville gardée par Simon ; il laissait en paix Jean de Giscala et le temple, pour n'avoir affaire qu'à un seul ennemi, et comptant bien que Jean, libre des périls du dehors, ne cesserait pas toute hostilité contre Simon. Et pourtant, quand les chaussées furent debout (24 xanthicus, 22 avril) ; quand la redoutable hélépole, que les Juifs appelaient eux-mêmes Nicon (la Victorieuse), monta et s'établit fièrement sur ce piédestal ; quand, du haut de trois tours, élevées de cinquante coudées, les balistes et les catapultes commencèrent avec un fracas épouvantable à écraser les assiégés derrière l'abri même de leurs parapets, l'imminence du péril opéra un certain rapprochement parmi les Juifs[31]. Il n'y eut ni paix, ni embrassement ; seulement Simon, plus directement menacé, daigna permettre que les défenseurs du temple vinssent à son aide ; et Jean, non sans une certaine défiance, souffrit que quelques-uns de ses soldats sortissent du temple pour aller défendre l'enceinte de Bézétha. La résistance alors fut vive ; Titus eut à payer de sa personne, et, selon Josèphe et Suétone, tua de sa main douze combattants[32]. Dans une sortie, les machines romaines furent incendiées, une tour de bois s'écroula ; mais à ces balistes, qui lançaient à deux stades des pierres de cinquante livres, les Juifs, artilleurs inhabiles, ne répondaient que faiblement. Le quinzième jour du siège (25 xanthicus — 23 avril)[33] la brèche fut ouverte, et les Juifs ne la défendirent même pas. La vaste enceinte de Bézétha tomba donc entre les mains de Titus ; et il put planter sa tente romaine dans le lieu où Sennachérib avait eu la sienne, non loin du Calvaire et dans l'intérieur même de Jérusalem. Mais, Bézétha conquise, il avait Acra à emporter, pour être maitre seulement de la partie inférieure de Jérusalem ; et la lutte devenait plus acharnée à mesure que l'on approchait de l'enceinte du temple. Lorsque après cinq jours de combats et cinq nuits d'alerte, la muraille d'Acra eut enfin cédé (5 artémisius — 30 avril), comme celle de Bézétha, les Romains se crurent les maîtres de cette enceinte ; ils ne l'étaient pas. Les Juifs tinrent bon dans leurs ruelles, où les Romains se perdaient ; ils les acculèrent dans ces passages tortueux connus d'eux seuls. Le lendemain Acra 'n'appartenait plus aux Romains. Il leur fallut encore quatre jours de combats pour la reprendre et en rester maîtres[34] (5 artémisius — 2 mai). On en était là, après vingt-cinq jours de siège. La partie la plus vaste de Jérusalem, mais en même temps la partie inférieure et la moins forte, Acra et Bézétha étaient seules aux mains des Romains ; toute la partie élevée et fortifiée de la ville sainte restait à conquérir. Le temple et la forteresse Antonia étaient toujours occupés par les soldats d'Éléazar et de Jean ; Sion, la haute ville, appartenait toujours à Simon. L'insurrection gardait donc toutes ses citadelles. Elle occupait trois positions se touchant les unes les autres, où rien n'était plus aisé aux partis insurgés que de s'entendre et de se concerter, le jour où ils voudraient le faire. Elle gardait. toujours pour remparts, d'un côté la muraille salomonienne et les escarpements du temple ; de l'autre les tours et les précipices qui, à l'ouest et au midi, bordaient Sion. Si même elle se décidait à abandonner Jérusalem, la retraite ne lui était point fermée : la ville n'était pas encore investie. Mais elle n'entretenait pas une pareille pensée. Et chez les hommes armés, et même dans une partie du peuple, le fanatisme juif était loin d'être éteint. Ou par fanatisme, ou par contrainte, ou par peur, la masse de la population s'était retirée, comme les soldats, dans Sion et dans le temple. Le temple surtout avait été pour eux l'asile le plus aimé et le plus sûr. Dussent-ils y périr, c'était encore une consolation que de mourir là[35]. Un de ces faux prophètes, si nombreux alors, fous ou stipendiés, criait dans Jérusalem que Dieu ordonnait au peuple de monter dans le temple et qu'il lui donnerait là des signes de salut. Ces signes de salut, peu auparavant, un autre de ces prophètes envoyait le peuple les chercher sur le mont des Oliviers ; mais nul ne se rappelait que, depuis plus de quarante ans, et dans le temple, et sur le mont des Oliviers, et sur le Calvaire, ils avaient été donnés au peuple par Celui qui était plus que tous les prophètes. Celui-là était le seul qu'on n'eut jamais écouté. Il est vrai que la faim et la maladie se faisaient sentir d'une manière cruelle. Que nous admettions le chiffre de population que fait supposer Josèphe, ou le chiffre moitié moindre que donne Tacite, il est clair qu'une telle accumulation d'hommes avait dû enfanter immédiatement une mortalité effroyable. La ville manquait de magasins et avait grand peine à s'approvisionner. Chaque nuit, un certain nombre de maraudeurs ou d'affamés sortaient par les portes du Midi, se glissaient dans la vallée de Gilson, et, au risque d'être égorgés par les cavaliers arabes qui battaient la plaine, allaient ramasser quelques vivres dans bette campagne dévastée. Le pain eût-il été abondant, à une telle multitude l'air et le sol devaient manquer encore plus que le pain. Il est vrai encore qu'aux souffrances s'ajoutaient les présages sinistres. Si la révolte avait ses prophètes, Dieu avait les siens. Ce Jésus, fils d'Ananus, ce paysan inspiré dont nous avons parlé plus haut, ne cessait pas depuis sept années[36] de parcourir les rues en criant : Malheur à Jérusalem ! Lorsque le siège commença, dit Josèphe, il jugea que les oracles étaient accomplis et qu'il avait droit de se reposer. Après avoir donc crié comme à l'ordinaire : Malheur à la ville ! Malheur au temple ! Malheur au peuple ! il ajouta : Malheur à moi ! et une pierre jetée du dehors par une baliste, vint lui donner la mort quand la parole était encore sur ses lèvres. Mais ni ces souffrances de la multitude ni ces avertissements d'en haut rie touchaient les chefs de la révolte. Il semble même que, se fiant à la disette et à la maladie pour éclaircir la population de Jérusalem, ils souhaitassent peu la voir diminuée par la fuite. Car ils tenaient les portes fermées contre les traîtres qui eussent voulu aller rejoindre le camp romain ; ils n'étaient pas fâchés de garder les pontifes, les riches, les amis de la paix, comme des otages précieux, sinon à leur salut, du moins à leur vengeance. Eux-mêmes et leurs soldats ne souffraient pas encore de la faim. Ce qui était resté de blé dans la ville, ce qu'on avait pu dérober de grains et de légumes dans la campagne, leur appartenait. Ils avaient tous les droits et tous les profits de la tyrannie. Maîtres absolus de Jérusalem, ne craignant rien d'un peuple qui était stupéfié par la souffrance et la peur ou fasciné par le fanatisme, tranquilles et fiers derrière les inébranlables murailles de David, d'Hérode et de Salomon, nourris de la disette du peuple et triomphant de la mortalité qui le décimait[37], ces hommes se raillaient de la victoire des Romains, et, après avoir défendu plus ou moins vivement la ville inférieure, se préparaient à soutenir pour Sion et le temple une lutte autrement désespérée. Les Romains au contraire, après la pénible conquête de Bézétha et d'Acra, étaient fatigués, presque abattus ; ce succès avait exalté les vaincus et découragé les vainqueurs. On disait dans leur camp que ce qui restait à prendre était imprenable. Tel était le prestige de l'énergie judaïque, que de nombreux transfuges passaient du camp dans la ville, et, las de l'attaque, se condamnaient à tous les périls de la défense ; les assiégés firent trophée de ces déserteurs[38]. Aussi Titus fit-il suspendre les opérations du siège (du 8 au 11 artémisius, 5 au 8 mai), donnant à ses soldats quelques jours pour oublier, aux Juifs pour réfléchir. Ces jours d'ailleurs, il voulait les employer à effrayer ses ennemis on à les séduire. Sous le prétexte de payer la solde de ses troupes, il en fit sur le plateau de Scopos une revue solennelle. Du haut du rocher d'Antonia, des galeries du temple, des tours et des maisons de Sion, les Juifs accourus en foule eurent tout loisir pour contempler la plaine reluisante d'acier, d'argent et d'or, les légions sous les drapeaux, les vivres abondants qu'on leur distribuait. Ils purent se rassasier de la vue de ce camp romain, objet d'envie pour les affamés, de regret pour les captifs, de terreur pour les faibles, mais aussi de haine et de colère pour les combattants. En même temps qu'il frappait les yeux, Titus essayait de gagner les cœurs. Dans Bézétha et dans Acra, il avait défendu de tuer un homme désarmé, de détruire une maison ; il n'avait abattu que des remparts. Pour achever de gagner les esprits, il envoya Josèphe au pied de la muraille (dans cette guerre, on ne recevait pas de parlementaire) porter des paroles pacifiques à qui il pourrait et où il pourrait se faire entendre. Joseph prononça, selon lui, un magnifique et peu probable discours qui lui valut des injures et même des flèches. Il exalta la tolérance romaine qui, respectueuse pour une religion étrangère, se laissait arrêter par ses ménagements envers le temple ; il promit la main droite de César à qui la voudrait prendre ; il avertit qu'au jour de l'assaut la même clémence ne se retrouverait pas. Il toucha sans doute plus d'un cœur touché d'avance, et dès longtemps avide de se voir, heureux esclave, dans le camp romain. Nais il ne toucha pas ces hommes de fer, comme il les appelle, atroces et derniers défenseurs de la patrie juive, et qui se croyaient, peut-être avec raison, exceptés de toutes les amnisties[39]. Enfin Titus essaya de la cruauté. Il jeta sa cavalerie sur ces maraudeurs qui sortaient la nuit de Jérusalem pour ramasser quelques vivres, et que les soldats romains accusaient d'empoisonner les fontaines[40]. En un jour furent crucifiés cinq cents malheureux qui la plupart n'eussent pas demandé mieux que de passer au camp romain, s'ils n'eussent en femmes et enfants dans les murs de Jérusalem. Le bois manqua pour ces croix, terrible punition de la croix du Calvaire. Témoins de ce spectacle du haut des murs, les chefs de la révolte n'en furent pas touchés ; ils firent venir les parents et les amis des victimes et les leur montrèrent en disant : Voilà ce qu'on gagne à passer au camp romain ! Titus essaya un autre moyen de terreur. Il renvoya dans Jérusalem d'autres captifs, les mains coupées (ce qui dans cette guerre était presque un acte de douceur) porteurs pour Jean d'un message de paix et le suppliant d'épargner la ville et le temple. Mais ces ambassadeurs sanglants et mutilés, n'eurent pas plus de succès que Josèphe, l'ambassadeur favori de Titus. On répondit du haut des murs par d'atroces injures contre Titus et contre Vespasien[41]. Épuisé de prières, épuisé de menaces, il fallut donc reprendre le siège. Mais le siège devenait de plus en plus difficile. Simon et Jean étaient rapprochés, sinon réconciliés ; on ne pouvait plus attaquer l'un sans menacer l'autre ; il fallait les tenir tous deux en échec. Les murailles plus fortes, les escarpements plus marqués, exigeaient un plus rude labeur ; il fallut dix-sept jours (du 12 au 29 artém. — 9 au 26 mai) avant que quatre chaussées nouvelles s'élevassent, deux contre Jean et la face orientale de la tour Antonia, deux contre Simon et la face nord de Sion[42]. Enfin les balistes et les catapultes n'étaient plus des armes inutiles aux mains des Juifs ; ils avaient appris à s'en servir. Les chaussées romaines étaient à peine terminées, que Jean, au moyen d'une galerie souterraine, fit écrouler celles qui le menaçaient, et les ouvrages des assiégeants s'abîmèrent dans un nuage de poussière, de flammes et de fumée. Du côté de Simon, deux hommes, avec une incroyable audace, sortirent, des flambeaux à la main, et allèrent droit aux machines romaines qu'ils incendièrent ; on se disputa les béliers à demi enflammés. Le camp de Titus fut envahi ; lui-même ne rallia ses soldats qu'avec peine. De toutes parts les terrasses furent détruites, les machines brûlées, le soldat romain découragé, Jérusalem triomphante[43] (vers le 3 dœsius, 30 mai). Jusqu'ici donc la puissance romaine n'avait fait que se briser contre l'obstination juive. On n'avait pas écouté les paroles de paix de Titus ; on s'était raillé de ses menaces. Sa prétention d'emporter Jérusalem par un coup de main avait été promptement déjouée. Le siège en règle avançait peu et promettait un labeur où il semblait que les légions dussent succomber. Alors un conseil de guerre se rassembla dans le camp romain. Les plus ardents proposaient un assaut donné par toute l'armée à la fois, tuerie effroyable, succès douteux, fatal peut-être ; d'autres la construction de nouvelles terrasses, mais le bois manquait dans ce pays dévasté ; d'autres le blocus, et il fallut bien que l'impatience et l'amour-propre de Titus acceptai ce parti longtemps écarté. Ainsi Dieu n'avait permis le succès de la résistance judaïque que pour amener les dernières douleurs de Jérusalem et le dernier accomplissement de la prophétie. II. — PRISE DU TEMPLE. Il fallut donc que Jérusalem fût investie. On traça le plan d'un mur dont Josèphe décrit exactement le parcours. Il partait du quartier général de Titus, situé non loin du Golgotha ; il coupait, en allant vers l'orient, le faubourg de Bézétha, parallèlement à cette voie douloureuse que le Seigneur avait suivie pour aller au Calvaire ; puis il descendait dans la vallée de Cédron, et la traversait un peu au-dessus du point où Jésus l'avait traversée ; suivait du nord au midi les cimes du mont des Oliviers ; passait sur le mont du Scandale, célèbre par l'idolâtrie de Salomon ; franchissait encore une fois la vallée ; rencontrait, sur la colline du Mauvais-Conseil, le champ d'Haceldama, acheté avec les trente deniers, et cette maison de campagne de Caïphe, où avait eu lieu le conciliabule qui décida la mort du Sauveur ; il continuait ensuite du midi au nord, toujours en couronnant les hauteurs, et venait rejoindre le camp de Sennachérib devenu celui de Titus. Il enfermait ainsi complètement la partie assiégée de Jérusalem. Comme s'ils eussent eu conscience de la prophétie qu'ils accomplissaient, les soldats romains travaillèrent à ce mur avec une activité surhumaine. Je ne sais quelle impulsion divine s'était emparée d'eux, dit Josèphe ; expression digne d'être notée, parce que nous allons la retrouver dans une occasion semblable. Chaque légion, chaque cohorte luttait à qui aurait plus vite achevé sa tâche. Il avait fallu dix-sept jours pour élever les chaussées ; trois jours (du 4 au 6 dœsius — 31 mai au 2 juin) suffirent pour achever cette muraille de terre, de pierre ou de gazon, longue de trente-neuf stades (7 kilom. 800 mètres), et garnie de treize redoutes. Elle passait sur le mont des Oliviers à cette place même où, selon la tradition chrétienne, Jésus-Christ apercevant Jérusalem avait pleuré sur elle et avait dit : Des jours viendront sur toi, et tes ennemis t'environneront d'une muraille, et ils t'enfermeront, et ils te serreront de toutes parts. Dès lors, toutes les issues furent fermées aux habitants de Jérusalem. Il n'y eut plus entre la ville et la circonvallation romaine que les deux arides vallées auxquelles sont /restés les noms lugubres de Géhenne et de Josaphat. Les passages souterrains qui donnaient issue dans ces vallées furent désormais inutiles. Plus d'espérance ni de fuite ni d'approvisionnement. Quoique fort éclaircie par la désertion et par la mort, la population hiérosolymitaine réfugiée dans Sion et dans le temple était encore bien serrée. Il pouvait y avoir là deux ou trois cent mille âmes, la plupart femmes, enfants et vieillards, à qui l'adresse et la promptitude avaient manqué pour fuir. Réfugiés de tous les points de la Judée ou pèlerins de tous les coins du monde, par prudence ou par piété, ils avaient apporté de l'or en abondance ; dès le début du siège, les denrées s'étaient vendues le double de leur valeur[44]. Mais cet or, leur seule provision, ne leur en donnait aucune autre. Ces deux cent mille hommes manquaient de pain. On donnait tout ce qu'on avait, les moins riches pour un boisseau d'orge, d'autres pour un boisseau de froment ; le boisseau de froment se vendait un talent (6.000 francs)[45]. On mangea des peaux d'animaux, le cuir des boucliers. On fouilla les égouts, on chercha jusque dans la fiente des animaux. Avec cet égoïsme qui caractérise les grandes calamités, le moindre débris qui pouvait être un aliment fut disputé avec rage entre le mari et la femme, entre le fils et le père, entre la mère et l'enfant. Et encore, le peu qu'on avait recueilli, il fallait le cacher. Les gens armés, qui avaient à leur disposition les débris des magasins, réclamaient pour eux tout le reste. Ils allaient par la ville, épiant quiconque semblait se nourrir, traînant une femme par les cheveux afin de lui arracher la miette de pain qu'elle serrait obstinément dans sa main. Si un visage un peu moins défait, si un peu de fumée sortant d'un toit, si seulement une porte fermée leur faisait soupçonner une maison où l'on se nourrissait, elle était envahie ; les habitants mis à la torture pour découvrir un lambeau de chair mal cuite ; les enfants brisés contre la pierre pour arracher à leurs dents l'aliment où elles avaient mordu. On tentait bien de s'échapper ; dans cette ville où l'or abondait, on réunissait un peu d'or, on l'avalait pour le mieux cacher. Et alors on se jetait à tout risque du haut des murs, ou l'on descendait par un égout, ou l'on se mêlait à une sortie des assiégés pour se rendre en transfuges au camp romain. Mais que de dangers encore ! Des affamés, accueillis dans le camp, se jetaient avidement sur la nourriture qui, pour leurs estomacs resserrés, était un poison. Des milliers d'autres, avant d'arriver au camp, étaient arrêtés par les cavaliers arabes, qui, soupçonnant toutes les entrailles juives de contenir de l'or, égorgeaient ces malheureux pour fouiller dans leurs intestins. Le plus simple était donc de se laisser mourir. On s'étendait dans les rues ou sur les toits ; on jetait au temple un dernier regard, et on attendait que la faim eût fait son œuvre. La maladie y aidait souvent ; mais auprès de la faim elle jouait un si faible rôle, que Josèphe en parle à peine[46]. Les plates-formes des maisons, les places, étaient remplies de cadavres ; certaines maisons devenaient tout à coup silencieuses comme des cimetières, et n'étaient plus habitées que par des morts. On ne pleurait pas, on ne regrettait pas, ion n'ensevelissait pas. Ceux qui erraient par les rues, pâles, hydropiques et enfles par la maladie, jetaient un regard d'envie sur ceux qui ne marchaient plus et ne souffraient plus[47]. On avait longtemps payé, avec les deniers de la ville. l'enterrement des pauvres. Selon un transfuge, on paya ainsi jusqu'à six cent mille funérailles. Selon un autre, par une seule porte, dans un espace de deux mois et demi seulement (du 14 xanthicus au 1er panémus), on emporta cent quinze mille huit cent quatre-vingts cadavres[48]. L'or, qui ne manquait pour rien dans Jérusalem, finit par manquer pour cette dépense. Du haut de Sion ou du haut des portiques du temple, on jeta les cadavres nus sur les pentes abruptes des deux vallées. Le païen Titus, qui les vit là pourrissant ensemble sur les bords du torrent, leva les mains au ciel et prit Dieu à témoin qu'il n'était pas coupable de ces malheurs[49] Les Juifs, s'ils savaient encore les Écritures, pouvaient se rappeler ces paroles du Psalmiste : Ils ont dressé des embûches contre ma vie. Les forts se sont élancés contre moi. J'étais pourtant sans iniquité et sans crime... Mais, le soir, ils reviendront à leur demeure ; ils souffriront la faim comme des chiens, et ils rôderont par toute la ville. Seigneur, dispersez-les dans votre puissance, et mettez-les sous le joug, Seigneur qui me protégez... Qu'ils soient surpris dans leur orgueil, que l'on raconte partout leur abomination et leur mensonge. Perdez-les dans votre colère, perdez-les ; et qu'ils ne soient plus... Et le soir, ils reviendront à leur demeure, et ils souffriront la faim comme des chiens, et ils rôderont par toute la ville[50]. L'affreux courage des révolutionnaires ne fléchissait pourtant pas. Titus parlait encore de miséricorde ; Josèphe errait encore autour des murs pour prêcher une dernière fois la soumission : Josèphe reçut une pierre qui le renversa. Les derniers survivants du pontificat et de la noblesse pouvaient encore être les négociateurs de la paix ; la proscription fut renouvelée contre eux. Quinze des chefs du peuple, un scribe, deux pontifes, et parmi ceux-ci Mathias, qui avait jadis ouvert à Simon les portes de Jérusalem, furent livrés au bourreau. Mathias ne demanda d'autre grâce que celle de mourir avant ses trois fils ; Simon la lui refusa. Chez ces zélateurs si obstinés à proscrire, à combattre et à mourir, que se passait-il ? Ce n'était pas l'amour de la patrie qui les soutenait : quand on voulait les attendrir sur le sort de leur cité, ils répondaient en raillant que, morts, ils se passeraient bien de patrie. Ce n'était pas non plus la religion du temple : quand on leur demandait d'épargner le temple : Dieu, disaient -ils, a un temple plus beau que celui de Salomon, c'est le monde. Il n'y avait plus en eux que le fatalisme grossier du bandit ou le fanatisme du sectaire déçu. S'immolant ainsi, eux et Jérusalem, à des espérances qu'ils savaient trompées, à des prophéties auxquelles ils ne devaient plus croire, il semblait, dit Josèphe, qu'ils n'eussent ni corps ni âme ; tant leur corps était insensible à la souffrance, leur âme à la pitié[51]. Mais le sort de la ville était maintenant décidé. Depuis le labeur de la circonvallation accompli, la situation morale des deux camps était tout autre. Sûrs d'être maîtres de leurs ennemis par la faim, comme les Juifs étaient sûrs de succomber par elle, les Romains se fortifièrent de tout le courage que perdaient les assiégés. Les soldats par un élan militaire, Titus par un sentiment presque miséricordieux qui le portait à en finir avec cette épouvantable tragédie, reprirent les travaux d'attaque. Le bois manquait auprès de Jérusalem ; on alla le chercher jusqu'à quatre-vingt-dix stades de la ville ; et, après vingt et un jours de travail (du 8 dœs. au 1er panémus, 4-26 juin), quatre nouvelles chaussées, plus hautes que les premières, menacèrent les quatre faces de la citadelle Antonia[52]. La tour Antonia était la clef du temple ; qui occuperait ce point dominerait le sanctuaire et en serait bientôt maitre[53]. Et cependant le courage des Juifs, épuisés par la faim, trouva à peine un peu d'élan pour défendre les abords du temple. Ils ne surent ni faire écrouler les chaussées, ni incendier les machines de l'ennemi. La muraille résista seule à leur place, et le bélier la battait en vain ; lorsque quelques soldats, sous l'abri de la tortue, ayant avec le pic et avec la main détaché quatre assises, le mur s'écroula pendant la nuit, et le jour vêla une large brèche. Mais derrière cette muraille en apparut une autre construite pendant le siège. Il fallut que les débris de la première servissent de marchepied pour escalader la seconde. Et une nuit (5 panemus, 30 juin), après plusieurs assauts repoussés, vingt soldats, un porte-étendard et un trompette, escaladèrent sans bruit, tuèrent les sentinelles juives, arborèrent le drapeau, sonnèrent de la trompette. Non-seulement alors la tour Antonia appartint aux Romains ; mailles Juifs épouvantés, qui par des couloirs souterrains se réfugiaient dans le temple, furent poursuivis l'épée dans les reins. On se battit cette fois dans l'enceinte sacrée : on se battit dans des passages étroits, où, serrés les uns contre les autres, marchant sur des cadavres, foulant des armures brisées, on n'avait que le choix de tuer ou de mourir. Il y eut même un centurion romain qui franchit le portique extérieur et s'élança seul sur ce parvis de mosaïque que jamais combattant païen n'avait souillé ; les Juifs, effrayés par son audace, reculèrent jusqu'à l'angle du temple intérieur. Si les clous de sa chaussure ferrée n'eussent glissé sur le marbre du parvis, cet homme à lui seul eût pris le temple et terminé la guerre[54]. Il fallait maintenant, pour les Juifs, combattre dans le temple et pour le temple ; pour les Romains, entreprendre, après le triple siège de Bezetha, d'Acra et de la tour Antonia, un quatrième siège qui ne devait pas encore être le dernier. C'est donc le moment de décrire en quelques mots ce temple qui allait périr[55]. Il couronnait, comme on le sait, ou plutôt il enfermait dans son enceinte la colline de Moria, où Abraham avait été sur le point d'immoler son fils. Depuis le temps de Salomon, le travail du peuple et l'or du sanctuaire avaient été employés à agrandir, à aplanir, à escarper la plate-forme qui formait la base inébranlable du temple. Pour l'agrandir, des profondeurs de trois cents coudées (cent-cinquante mètres), selon Joseph, avaient été comblées ; pour la prolonger vers le midi, Hérode y avait ajouté des constructions immenses, dont les voltes et les multiples colonnes sont encore debout. La colline gardait pourtant encore quelque chose de sa forme première, et le sanctuaire en était le centre et le point culminant[56]. C'était d'abord, quand vous arriviez de l'orient, et que vous aviez descendu le mont des Oliviers, l'antique muraille de Salomon qui soutenait et enfermait la plate-forme du temple. La porte Dorée s'ouvrait dans cette muraille, et, par une rampe ou par des degrés, vous arriviez dans le portique, qui, couronnant le sommet de la muraille, dessinait comme elle les quatre côtés de l'enceinte sacrée. Ce portique était formé de somptueuses galeries avec des colonnes de marbre et des lambris artistement sculptés ; celle du midi, bâtie par Hérode, plus large et plus haute que les autres, avait quatre rangées de colonnes, trois nefs, des piliers que trois hommes avaient peine à embrasser. De cette première enceinte formée par la muraille de Salomon et par le portique, il reste aujourd'hui quelques vestiges : les blocs énormes de Salomon sont debout de loin en loin, aisément reconnaissables au milieu de la mesquine maçonnerie turque dans laquelle ils sont enchâssés, et entourant encore aujourd'hui la plate-forme sacrée, vénérable aux musulmans comme elle l'était aux Juifs[57]. Ensuite vous franchissiez le portique ; et devant vous s'ouvrait le parvis des Gentils, vaste cour pavée de mosaïque, où le Grec et le Syrien se coudoyaient avec l'Israélite, où, grâce à l'esprit libéral de la loi juive, tous les peuples avaient accès, comme pour attendre le jour où la porte même du sanctuaire leur serait ouverte. Mais, sous la loi de Moïse, le sanctuaire leur était fermé encore ; et, à quelques pas plus loin, une balustrade vous arrêtait : là des écriteaux, placés de distance en distance, portant des inscriptions dans les deux langues païennes de la Grèce et de Rome, interdisaient le passage à quiconque n'était pas purifié selon la loi de Moise. Le Gentil devait s'arrêter là sous peine de mort. Mais le Juif allait plus loin ; à lui, un sanctuaire plus intime, une enceinte plus vénérée, renfermée dans la première enceinte, le temple intérieur était ouvert. Il montait quelques degrés[58] ; il passait sous une porte revêtue d'argent et d'or, haute de trente coudées, large de quinze ; et, à travers une seconde rangée de portiques qui dessinait la seconde enceinte, arrivait à la Cour des Femmes ; c'est de là, en effet, que les femmes prenaient part à la prière et au sacrifie. Il montait encore d'autres degrés, et une porte faite en airain de Corinthe, plus somptueuse que les précédentes, un vestibule plus large et plus haut, le conduisait à la Cour des enfants d'Israël. S'il était de la tribu sainte, il montait encore, et il était dans la Cour des Lévites, au pied de l'autel. Là se déployaient toutes les magnificences et se conservaient tous les mystères du culte hébraïque. C'était d'abord l'autel, véritable édifice, haut de dix coudées, sur une base de trente-deux en carré[59], sur lequel le prêtre montait pour immoler et brûler les victimes, et qui paraît n'avoir été autre chose que la cime même du rocher de Morio, respectée par le fer, conformément à la loi de Moise, et cachée sous un revêtement d'airain : aujourd'hui encore cette pierre, vénérée des musulmans, donne son nom à leur mosquée (El-Sakhrah). Au delà de l'autel, le pèlerin apercevait le bassin de purification, qui tenait lieu de la mer d'airain de Moïse, détruite sous Nabuchodonosor. Au delà encore, il voyait s'élever la façade du sanctuaire, haute et large de cent coudées, construite en marbre blanc et revêtue en partie de plaques d'or. Le sanctuaire était enfermé dans le temple intérieur comme le temple intérieur l'était dans le temple extérieur. C'était le centre, c'était le sommet et de la montagne et du temple et de la religion. Dans le sanctuaire, nul, si ce n'est les prêtres, ne pouvait pénétrer. Mais une porte sans battants, une immense ouverture de soixante-dix coudées sur vingt-cinq, laissait plonger le regard dans le vestibule du sanctuaire. Une seconde porte, haute de cinquante-cinq coudées sur seize, surmontée d'une vigne d'or dont les grappes pendantes avaient la taille d'un homme[60], séparait le vestibule du Lieu Saint : c'est dans le Lieu Saint qu'étaient la table des pains de proposition, le chandelier à sept branches, l'autel des parfums. Mais il y avait une enceinte plus vénérée encore : Séparé du Lieu Saint par un voile tissu de pourpre et d'or, le Saint des saints se cachait à tous les regards. Là il n'y avait ni autel ni candélabre ; l'arche d'alliance seule y avait demeuré autrefois ; l'arche d'alliance disparue, ce lieu n'était plus habité que par le nom et.la majesté divine. Dans ce sanctuaire impénétrable, le grand prêtre seul pouvait entrer, et une seule fois dans l'année. Tout cet édifice, qui se composait ainsi du vestibule, du Saint, et du Saint des saints, quatre-vingt-neuf ans auparavant reconstruit par Hérode, embelli par ses descendants, avait été orné des dons envoyés du bout du monde par Juda dispersé, mais opulent[61]. On voyait là la lampe et la table d'or données par la reine Hélène, prosélyte du judaïsme ; la couronne offerte par le général romain Sosius, premier vainqueur de Jérusalem ; les vases d'or- d'Auguste et de Livie ; la chaîne d'or consacrée par le roi Agrippa, égale en poids à la chaîne de fer qu'il avait portée sous Tibère. Les chapiteaux corinthiens dont parle Josèphe, les restes qui se voient encore de la porte Dorée et de diverses autres portes du temple extérieur prouvent que, grâce à Hérode, les richesses de l'art gréco-romain étaient venues s'ajouter à l'habileté du ciseau judaïque. Tout cet ensemble du temple extérieur, du temple intérieur, du sanctuaire, formant trois enceintes rectangulaires inscrites les unes dans les autres, était plein de splendeur et de dignité. Au lever du soleil, lorsque de loin sur la sainte montagne apparaissait le sanctuaire dominant de plus de cent coudées les deux rangées de portiques qui formaient sa double enceinte ; quand le jour versait ses premiers feux sur cette façade d'or et de marbre blanc ; quand scintillaient ces mille aiguilles dorées qui surmontaient le toit et le préservèrent, dit-on, de la foudre ; il semblait, dit Josèphe, que ce fût une montagne de neige, s'illuminant peu à peu et s'embrasant aux feux rougeâtres du matin. L'œil était ébloui, l'âme surprise, la piété éveillée : le païen même se prosternait. Maintenant, il est vrai, cette splendeur était bien ternie. Depuis plus de deux ans, le temple était une citadelle. Tout ce qui l'entourait avait été saccagé, ou par les Romains ou par les Juifs armés les uns contre les autres. Sur les décombres de la tour Antonia, que les légions romaines travaillaient à déblayer, commençaient à s'élever trois chaussées ; l'une contre la face ouest, l'autre contre la face nord des portiques du temple, la troisième contre l'angle placé entre deux[62]. Du donjon encore debout de cette forteresse détruite, le païen Titus pouvait plonger un regard profane sur l'intérieur de l'enceinte sacrée, sur laquelle on n'avait pas permis jadis au Juif Agrippa de jeter un coup d'œil du haut de son palais. Et ce regard, que pouvait-il découvrir ? Ces somptueux portails (exèdres), par où le peuple jadis arrivait en foule au sanctuaire, chargés comme des tours de balistes et de catapultes ; ce pavé de mosaïque déchiré par la chaussure de fer des soldats païens ; ces marbres tachés d'un sang qu'on ne prenait plus la peine de laver ; sur les degrés, des morts qu'on ne relevait même plus ; au lieu d'adorateurs, des fugitifs et des soldats ; des enfants et des femmes mourant de la faim et de la peste, à côté des hommes armés qui trébuchaient ivres du vin du sanctuaire. Mais surtout une grande douleur avait affligé le peuple et
le temple : le 17 du mois hébraïque de Thammouz (17
panémus, 12 juillet), le sacrifice perpétuel avait cessé. La loi de
Moïse ordonnait que chaque matin et chaque soir un agneau fût offert au
Seigneur par son peuple[63]. Seules, les
plus grandes calamités, la captivité de Babylone et la persécution
d'Antiochus avaient interrompu ce sacrifice ; et Daniel, prophétisant le
règne d'Antiochus, avait annoncé cette interruption comme la plus grande des
douleurs[64].
A l'époque que nous racontons, ce sacrifice cessa, parce que, dans le temple
assiégé et affamé, les victimes manquaient[65]. Il cessa pour
la première fois depuis deux cent trente-trois ans ; et il cessa pour ne
jamais se renouveler. Aujourd'hui encore les Juifs célèbrent par un jeûne
solennel l'anniversaire de ce jour, le dernier de leur culte véritable. Ainsi
s'accomplissait ce mot d'Isaïe : Ne m'offrez plus de
sacrifices, votre encens est une abomination pour moi. Vos néoménies, vos
sabbats, vos fêtes, je ne les supporterai plus ; vos kalendes et vos
solennités, mon âme les déteste... Quand vous
étendrez vos mains pour prier, je détournerai mes yeux ; quand vous
multiplierez vos prières, je ne vous écouterai pas, car vos mains sont
pleines de sang ![66] A ces douleurs du temple s'ajoutaient et dans le temple et dans Sion les horreurs de la faim. Après avoir essayé de manger le cuir des boucliers, on essayait de se nourrir de foin desséché. Les gens armés qui rôdaient par la ville, enragés comme des chiens, selon l'expression de Josèphe et du Psalmiste, entraient dans la même maison jusqu'à deux ou trois fois en une heure pour la fouiller. Ils fouillaient même les mourants, supposant que leur agonie était feinte et qu'ils cachaient quelque aliment sous leur robe. On n'épargna bientôt plus la chair humaine. Une certaine Marie, fille d'Éléazar, femme qui avait été opulente, dans l'égarement de la faim, tua l'enfant qui était à ses mamelles, le lit cuire, en mangea une partie ; et, quand les patriotes armés, attirés par l'odeur, entrèrent chez elle, elle leur montra ce plat et leur en offrit froidement une part[67]. Ce fait avait été prophétisé par Moise : Si tu n'écoutes pas, avait-il dit, la voix du Seigneur ton Dieu... tu seras assiégé entre tes murailles. — Tu mangeras le fruit de tes entrailles, les chairs de tes
fils et de tes filles, au milieu des
angoisses et de la pauvreté que t'infligera ton ennemi. — L'homme délicat et plein de recherches portera envie à son
frère et à la femme qui repose sur son sein, de peur d'être obligé de lui
donner à manger des chairs de ses enfants, parce qu'il ne lui restera plus
rien, grâce à la famine amenée par le siège. — La femme tendre et délicate qui ne pouvait marcher ni faire un pas sur
la terre à cause de la mollesse extrême et de la tendreté de ses pieds,
portera envie au mari qui repose sur son sein et lui disputera la chair de
ses fils et de ses filles... . . . . . . . . . Car ils les mangeront EN
SECRET à cause du manque de toutes choses
et des souffrances et des dévastations du siège[68]. En face de ces calamités religieuses, de ces horreurs et de ces désastres, au moment de porter au temple le coup qui allait le détruire, Titus se demanda si les Juifs ne pourraient pas enfin être ébranlés. Dès le lendemain de la cessation du sacrifice, il envoyait Josèphe et d'autres après lui au pied des murailles, parler, non au peuple, mais au seul Jean de Giscala, qui était le maitre du peuple. Il lui faisait offrir son pardon ; s'il voulait à toute force combattre, Titus lui proposait de sortir avec ceux qui voudraient le suivre, et de laisser au temple son intégrité et sa paix. Jérusalem est la cité de Dieu, répondit Jean de Giscala ; Jérusalem ne périra point. Le peuple, témoin de cette entrevue, pleurait en silence ; mais l'homme de fer ne fut pas touché des larmes du peuple, et, subjuguée par son énergie, la multitude songea tout au plus à la fuite, nullement à la révolte, et surtout se résigna à la mort[69]. Et Titus, jugeant sa conscience déchargée, protesta devant Dieu que c'étaient bien les Juifs qui préféraient à la paix le combat, à la liberté la servitude, à l'intégrité de leur religion son abaissement, à l'abondance l'aliment horrible dont Marie venait de se nourrir : la ville qui avait été témoin d'un tel crime ne méritait plus de voir le soleil ! Le temple touchait donc à son moment suprême. Les Juifs, désespérés, avaient hâte d'en finir, et, prêts à combattre sur les parvis du temple, ils retrouvaient dans leurs cœurs cet héroïque courage qui avait un instant faibli sur les décombres de l'Antonia. Les assiégeants, qui achevaient à grand'peine leurs chaussées avec des bois rapportés d'une distance de cent stades (cinq lieues), les assiégeants avaient également hâte d'en finir avec ces sièges toujours renaissants, ces Juifs qu'ils détestaient, ce temple qui leur était odieux, ces trésors qu'ils convoitaient. Seul, Titus, dégagé de sa pitié pour les Juifs, conservait de la pitié pour le temple et eût voulu vaincre plutôt que détruire. Le premier signal fut donné par les Juifs. Les légions romaines étaient encore, la pelle à la main, occupées à leurs travaux inachevés, quand les assiégés sortent, poussés par la faim et le désespoir, se jettent dans la vallée de Cédron, gravissent ce mont des Oliviers où Jésus avait tant souffert et tant prié pour eux, attaquent la Circonvallation romaine et sont prêts à la franchir : Titus accourt, et les rejette dans le temple. Ils essayent alors de se concentrer dans le temple intérieur, et ils abandonnent en les embrasant les portiques du nord et de l'ouest (22 au 28 panémus, 18 au 24 juillet). Les Romains envahissent un de ces portiques, qui leur semble encore intact ; mais les lambris sont chargés de matières combustibles, et le dernier Juif, en se retirant, y met le feu : les malheureux soldats qui y ont pénétré sont réduits à se jeter ou dans les bras des Juifs, qui les égorgent, ou sur le pavé de la ville, où ils se brisent[70]. Mais néanmoins la première enceinte est aux mains de l'assiégeant. Le temple intérieur, avec le sanctuaire qu'il renferme, appartient seul aux Juifs ; et déjà, grâce aux chaussées enfin achevées (8 Ioüs, 2 août), les béliers montent vers le temple, roulent sur le marbre de la cour des Gentils et viennent battre la muraille sacrée. Mais la muraille du temple semble inébranlable comme l'âme de ses défenseurs. La plus puissante de toutes les hélépoles a en vain battu pendant six jours l'exèdre occidentale ; la pioche, avec un labeur inouï, a en vain détaché quelques pierres de la porte du Nord : la masse n'est point ébranlée. Une escalade tentée contre cette porte est repoussée, et le drapeau romain, un instant arboré sur elle, reste aux mains des Juifs. Il semble qu'un certain respect religieux se soit glissé dans les âmes païennes à la vue de ce sanctuaire qui défie toutes les attaques : Titus a peine à les faire marcher contre le temple[71]. C'est alors qu'il est question de recourir au feu. Mais le feu, ce n'est pas seulement la victoire, c'est la ruine ; c'est la destruction de ce temple que Titus voudrait sauver. Il permet cependant que le feu soit mis au bas d'une des portes. Elle s'allume, cette porte magnifique. Des flots d'argent liquéfié coulent de toutes parts et portent partout l'incendie. Bientôt cette seconde rangée de portiques qui formait le temple intérieur et environnait le sanctuaire est tout entière embrasée. Ses lambris de cèdre propagent la flamme d'un bout à l'autre. Elle brûle vingt-quatre heures et demeure détruite en grande partie. Il y eut alors un jour de trêve (9 Ioüs, 3 août). Les portiques brûlaient ; les Juifs, chassés par la flamme, refoulés dans le sanctuaire ou au pied du sanctuaire, étaient épuisés d81 force, sinon de courage ; Titus, dans sa religion pour le temple, faisait éteindre par ses soldats l'incendie qu'ils avaient allumé ; il délibérait en conseil de guerre s'il lui était permis de brûler ce sanctuaire, sacré pour les païens eux-mêmes. Ce n'était plus un lieu sacré, lui disaient ses lieutenants moins timorés. Les Juifs l'avaient profané. Ils en avaient fait une citadelle : qu'on le traitât comme une citadelle. Titus recula encore, et il ordonna un assaut général, pour s'épargner un nouvel incendie[72]. Mais ni Dieu, qui voulait anéantir le sanctuaire, ni les Juifs, qui avaient renoncé à le sauver, n'attendirent l'heure de l'assaut. Ils prirent encore l'initiative par une sortie désespérée (10 Ioüs, 4 août). Titus la repousse et va se reposer dans sa tente. Pendant qu'il se repose, les Juifs, impatients dans leur agonie, tentent une nouvelle sortie. Elle est repoussée encore, et ils sont rejetés jusque sur la muraille du sanctuaire. Mais, cette fois, Titus n'est plus-là : et, sans ordre de personne, sans remords d'un tel crime, mû par une certaine impulsion divine[73], un soldat saisit un tison encore allumé de l'incendie qui avait commencé l'avant-veille, se fait hisser par un de ses camarades à la hauteur d'une de ces fenêtres d'or qui, du côté du nord, donnaient sur des chambres attenantes au sanctuaire, jette son tison, et la flamme éclate. A ce moment fatal, les Juifs n'ont de force que pour pousser un cri de désespoir. Titus accourt et trouve son armée acharnée à l'incendie. Il n'y a plus de discipline ; la voix de César se perd dans le bruit ; ses gestes ne sont pas obéis. Ses soldats cupides, qui voient tout revêtu d'or au dehors et croient tout d'or au dedans, se poussent, se renversent, s'écrasent sur les ruines fumantes. Titus entre un instant dans ce lieu qui n'était plus le Lieu Saint. Il lui est donné quelques secondes pour en contempler les richesses et promener ses regards profanes sur ce qu'avait seul vu l'œil du grand prêtre. Au moment où il sort pour crier encore d'éteindre l'incendie, un soldat, derrière lui, met le feu sous la porte qui séparait le vestibule du Lieu Saint. Ces soldats avaient mission de Dieu et ne se laissaient arrêter par personne. Cette dernière heure du temple fut une heure d'épouvantable destruction. Qu'on se figure, accumulés dans cette enceinte du temple et du sanctuaire, équivalente à quelques arpents, les huit mille hommes de Jean et d'Éléazar, au moins six mille fugitifs, des centaines de lévites et de prêtres ; et, se ruant au travers, dix ou vingt mille hommes peut-être, irrités par quatre mois de siège, ivres de cupidité et de colère, exaltés par le carnage et l'incendie, ne reconnaissant plus ni le bâton du centurion ni la voix de César, tuant enfants ou soldats, suppliants ou combattants. Le sol encombré de morts au point qu'on rie pouvait ni marcher sur le pavé ni mêmes le voir ! La rampe de cet autel, sur lequel, depuis vingt-neuf jours, le sang des agneaux ne coulait plus, inondée de suie humain ! Et, au milieu de tout cela, l'incendie, propagé avec fureur, achevant de détruire les portiques, le trésor du temple, le sanctuaire, des monceaux d'or et de pierres précieuses ! Il y eut un moment suprême où il parut, à voir de loin cette flamme immense, que toute la montagne de Moria brûlât jusque dans ses racines. C'est alors qu'aux cris de fureur des soldats païens, aux hurlements des Juifs qui combattaient environnés de flammes, aux clameurs de cette multitude désarmée que les combattants juifs repoussaient vers les Romains et les Romains vers l'incendie, répondit de la montagne voisine de Sion une acclamation de douleur qui retentit, selon Josèphe, jusque de l'autre côté de la mer Morte, dans les montagnes de la Pérée. Alors des hommes agonisants de la faim, et depuis longtemps muets, trouvèrent dans leur poitrine un dernier cri lorsqu'ils surent que le temple périssait. Cependant quelques survivants luttaient encore. Beaucoup, en voyant le temple embrasé, avaient cessé de combattre, s'étaient jetés dans les flammes ou s'étaient percés mutuellement, heureux de périr dans le temple et avec lui[74]. Mais quelques prêtres s'étaient réfugiés sur un reste de muraille encore debout, épais de huit coudées. Ils y restèrent jusqu'à cinq jours ; la soif les contraignit de se rendre. Titus prononça que le temps de la miséricorde était passé et les fit tous mourir[75]. Six mille hommes du peuple, femmes, enfants, vieillards, s'étaient réfugiés sous le portique extérieur du midi, le plus éloigné des attaques romaines. Avant que Titus eût pu décider de leur sort, le feu fut mis au portique, et ils périrent tous dans les flammes. Quant aux débris des bandes armées, ils se réunirent, Jean de Giscala à leur tête ; ils parvinrent, avec une incroyable énergie, à percer les bataillons romains ; gagnèrent le temple extérieur, puis le pont qui, du temple, menait vers Sion ; furent reçus là par Simon, peut-être enfin réconcilié avec eux, afin qu'un peu plus tard Jérusalem livrât son dernier combat avec leur sang. La ruine du temple était complète ; le peu que l'incendie avait respecté fut bientôt détruit. Des portiques, du temple intérieur, du sanctuaire, selon la parole de l'Évangile, il ne resta pas pierre sur pierre. L'idolâtrie insulta même à ces décombres. Ce n'est pas qu'on puisse admettre cette fable rabbinique selon laquelle Titus, entré dans le Saint des saints avec une courtisane, aurait déchiré de son épée le voile du temple et foulé aux pieds le livre de la loi[76]. Il y eut assez d'insultes sans un tel sacrilège. Pendant que l'incendie dévorait encore le sanctuaire, les légions romaines réunirent leurs aigles dans le temple, et, devant la porte orientale, firent un sacrifice à ces dieux du soldat. Ces décombres fumants, informes, sanglants, profanés ; ce lieu que souillaient les cadavres, les idoles, les idolâtres, et tout ce que la loi déclarait impur ; ce lieu ne fut plus dès lors le temple du Dieu vivant ; toute sa sainteté disparut. Ce ne fut plus cette enceinte marquée par David, dédiée par Salomon, relevée par Zorobabel ; ce sanctuaire dont le Seigneur avait dit : Mon nom sera ici[77], et que la majesté du Très-Haut avait rempli comme une nuée lumineuse[78]. Ce fut un lieu sinistre et désolé ; car alors, plus que jamais, s'était vérifiée la parole de Daniel, et l'abomination de la désolation avait pris possession du Lieu Saint. Les choses sacrées avaient péri comme le temple. L'autel des parfums fut détruit. Les vases et tous les dons que la libéralité des Juifs avait entassés là depuis deux siècles tombèrent aux mains des soldats ; ils revinrent apportant pour leur part demie lauriers leur charge d'or, et la valeur de l'or baissa de moitié en Syrie. Un prêtre, pour racheter sa vie, livra deux candélabres semblables à celui du sanctuaire ; un autre, les vêtements des prêtres et une masse énorme de parfums[79]. Le voile du Saint des saints, le livre de la loi, la table des pains de proposition, le chandelier à sept branches, la lame d'or qui brillait au front du grand prêtre, tout cela, souillé par des mains païennes, fit partie du butin de Titus. Aussi l'anniversaire de la chute du temple est-il toujours pour les Juifs un jour de grande douleur. C'est de ce moment qu'ils comptent leur ère de désolation. Le neuvième jour du mois d'Ab (Ioüs), mois néfaste où rien de bon n'arriva jamais, ils marchent pieds nus dans les synagogues ; ils mangent assis par terre (signe de douleur dans toute l'antiquité). Dès le premier du mois ils s'abstiennent du vin, de la viande, du bain. Dès le dixième jour du mois précédent, ils tiennent tous les jours pour malheureux. Ils célèbrent ainsi par un même deuil un double anniversaire, celui de la chute du premier temple sous Nabuchodonosor, celui de la chute du second temple sous Titus, tous deux tombés le même jour à six cent soixante-dix-sept ans de distance, le premier pour soixante-dix ans, l'autre pour tous les siècles[80]. En effet, il faut bien le comprendre : la cessation des sacrifices, la désolation du temple, la profanation des symboles sacrés, ce n'était pas seulement un malheur pour la religion mosaïque, c'en était la fin. La loi de Moise, en effet, n'était pas, comme celle du Christ, une loi toute spirituelle, indépendante des conditions de race, de temps, de lieux. Attachée au sol et à la pierre, elle tombait avec le sanctuaire qui en était le centre et le foyer. Incorporée étroitement à des emblèmes visibles, elle périssait avec eux. Ni le temple en effet, ni le portique du temple, ni la table sacrée, ni le chandelier à sept branches, au dire des rabbins, ne pouvaient être remplacés[81]. Or, dans le temple, et dans le temple seul, ou, selon le langage de Moise, devant l'entrée du tabernacle de témoignage, pouvaient s'accomplir les sacrifices solennels, l'holocauste, le sacrifice de paix, le sacrifice pour les péchés, le sacrifice quotidien, la purification des femmes[82]. C'était dans le temple, devant l'autel des parfums et le chandelier à sept branches, que l'encens devait fumer tous les jours par la main du prêtre[83]. C'était dans le Saint des saints, et là seulement, que le grand prêtre, au jour des expiations, entrait pour purifier le peuple, les prêtres, le temple, l'autel, le sanctuaire[84]. C'est au lieu choisi de Dieu, c'est-à-dire devant l'édifice bâti sur le mont Noria, que trois fois par an tout être masculin devait comparaître devant la face du Seigneur[85]. La bénédiction donnée à Abraham n'était universelle ni pour le temps, ni pour l'espace. Elle était circonscrite à une époque, à un peuple, à une cité, à un lieu. Tout, dans cette religion, avait sa place, son jour, son instrument, son ministre ; et, cette place profanée, ce jour interdit, cet instrument anéanti, ce ministre souillé, la religion de Moise s'arrêtait. Le temple tombé, les sacrifices disparaissaient ; le Saint des saints anéanti, le nom de Dieu n'était plus au milieu de Juda. Jérusalem n'était plus la cité choisie ; les promesses étaient abrogées ; les bénédictions cessaient. C'était la fin de la loi, que Christ était venu, non pas abolir, mais accomplir, mais que le peuple juif, par son crime et sa démence, avait abolie[86]. Mais il faut toujours en revenir aux prophètes ; écoutons Jérémie : Elle est donc devenue une caverne de voleur, cette maison où mon nom a été invoqué.... Moi qui suis, moi je l'ai vu, dit le Seigneur. Allez à mon sanctuaire en Silo[87], là où dans le commencement mon nom a aussi habité, et vous verrez ce que j'en ai fait à cause de la malice de mon peuple d'Israël. De même, à cette maison dans laquelle mon nom a été invoqué...., je ferai ce que j'ai fait à Silo, et je vous rejetterai de ma face comme j'ai rejeté vos frères de la race d'Éphraïm[88]. Écoutons surtout ce que le Seigneur avait dit à Salomon : Si vous vous détournez de moi, vous et vos fils, si voua cessez de me servir et d'observer mes préceptes et les cérémonies que je vous prescris...., j'arracherai Israël de la terre que je lui ai donnée, je rejetterai loin de moi le temple que j'ai sanctifié en mon nom. Israël sera la fable et la risée de tous les peuples ; et cette demeure servira d'avertissement ; quiconque passera auprès s'étonnera, et sifflera, et dira : Pourquoi le Seigneur a-t-il ainsi traité cette terre et cette maison ? et l'on répondra : Parce qu'ils ont abandonné le Seigneur leur Dieu[89]. Si, pour en finir avec le temple, nous suivons jusqu'au bout le sort de la montagne sacrée, nous verrons combien cette menace se vérifie exactement sous nos yeux. Pour que l'avertissement subsistât, enceinte du temple est demeurée visible ; les restes de la muraille salomonienne en dessinent presque complètement le contour. Cette enceinte est même demeurée sacrée, et ceux qui l'ont successivement occupée y ont bâti tour à tour, Chrétiens leurs églises, Musulmans leurs mosquées. Mais de tous les édifices qu'au temps des juifs supportait cette plate-forme, rien ne subsiste ; bâtis sur le roc, ils n'avaient pas de fondations ; aussi les fouilles les plus exactes n'en sauraient faire retrouver un vestige ; il n'en est exactement pas demeuré pierre sur pierre. Chrétiens et Musulmans passent en sifflant près de cette enceinte, et, conformément à la parole prophétique, ils se disent : Pourquoi le Seigneur a-t-il ainsi traité cette terre et cette maison ? Et, conformément à la parole prophétique, Chrétiens et Musulmans répondent : Parce qu'ils ont abandonné le Seigneur leur Dieu. Et, de plus, quels que fussent les maîtres de cette enceinte, Chrétiens ou Musulmans, ils se sont accordés pour en exclure le culte et le peuple judaïque ; nul pied juif ne l'a désormais foulée. Le seul Julien l'Apostat a voulu rappeler ce peuple, relever la ville, rebâtir le temple, on sait avec quel succès ! Tout ce que les descendants de Salomon et de Zorobabel ont pu obtenir, c'est de s'approcher du mur extérieur, et, aujourd'hui comme au temps de saint Jérôme, de couvrir de leurs baisers et d'arroser de leurs larmes quelques pierres encore debout de cette enceinte qui leur est fermée. Les reliques du temple ont eu un aussi triste sort. Après avoir figuré à la suite du triomphe de Titus, au milieu de toutes les abominations idolâtriques, le chandelier à sept branches, la table des pains de proposition, deux des trompettes sacrées, deux vases destinés à porter l'encens, la lame d'or inscrite au nom de Jéhovah, ont été déposés dans le temple de la Paix. Le livre de la loi et le voile du sanctuaire sont demeurés dans le palais de Vespasien[90]. Aujourd'hui encore, nous voyons l'image de ces saintes dépouilles gravée sur les monnaies de Vespasien et sur les bas-reliefs de l'arc de Titus. Mais ce butin de la victoire n'a pas reposé en paix. Au bout d'un siècle, sous Commode, il a fallu l'emporter à la hâte du temple de la Paix, qu'un incendie a détruit[91]. Plus tard, à la prise de Rome par le Vandale Genséric (430), ces trésors ont été portés en Afrique. A la destruction du royaume des Vandales par Bélisaire (520), ils ont été retrouvés et rapportés à Rome. Gardez-vous, dit alors un Juif, de déposer dans le palais de l'empereur ces dépouilles du temple. Il n'est permis de les garder qu'au lieu où Salomon les plaça ; leur présence, contraire à la volonté de Dieu, a livré tour à tour Rome à Genséric et le royaume de Genséric aux Romains. L'empereur Justinien fut averti de ce propos, et, timoré comme le Juif, envoya ces trésors à l'église chrétienne de Jérusalem[92]. L'histoire n'en parle plus ; ils auront péri dans la cité pour laquelle ils avaient été faits. Ainsi ont disparu jusqu'au dernier les symboles du culte
mosaïque et toutes les traces de la bénédiction de Dieu sur Israël, afin de
vérifier cette dernière prophétie qui renferme toutes les autres, en même
temps qu'elle renferme une espérance : Les enfants
d'Israël demeureront pendant bien des jours sans roi, sans prince, sans
sacrifice, sans autel, sans éphod et sans téraphim. Et ensuite les enfants d'Israël
reviendront, et ils chercheront le Seigneur leur Dieu et David leur roi, et
ils honoreront le Seigneur et les dons du Seigneur au dernier jour[93]. Cependant Jérusalem n'était pas encore conquise tout entière. Sion restait debout après le temple. III. — PRISE DE SION. Sion, en effet, était la citadelle de Jérusalem. Des précipices abrupts la séparaient au midi et à l'ouest de la vallée du Gihon. Au nord, la muraille de David, flanquée des trois tours hérodiennes, la séparait de la cité. Ces tours, élevée'. chacune sur un cube de maçonnerie de vingt-cinq, trente, quarante coudées, construites sur des assises dont quelques-unes avaient vingt coudées de long, dix de large, cinq de profondeur, étaient faites pour défier toutes les hélépoles et briser tous les béliers. C'était derrière cet imprenable rempart que le roi Hérode avait abrité son palais et que s'abritait maintenant l'agonie de la liberté judaïque. Sauf les trois châteaux hérodiens de Massada et de Machéronte, encore occupés par l'insurrection, tout ce qui restait de Juifs indépendants dans Sion. Simon et Jean étaient là, réconciliés enfin à leur dernier jour ; après tant de luttes, tant de souffrances, tant de soldats, de parents et d'amis tués auprès d'eux, à bout de force, non de courage. Ils étaient là avec quelques soldats et une population désarmée, encore immense, qui encombrait les maisons, même les rues. C'était les derniers de ces réfugiés que tous les coins de la terre sainte avaient envoyés à Jérusalem. C'étaient les survivants des six cent mille morts dont Josèphe nous parle, ceux qui, après tant de désertions, n'avaient pas voulu ou n'avaient pas osé fuir, les plus acharnés à vivre et les plus acharnés à ne pas se rendre. Tout cela achevait misérablement de mourir, enviant ceux qui avaient eu le bonheur de périr dès le début du siège, ou la consolation de succomber avec le temple. Du reste, l'histoire de cette agonie ne sera pas longue. Le fanatisme juif s'affaiblissait : son temple détruit, sa religion morte, sa ville perdue, pour qui combattait-il ? Même parmi les combattants, beaucoup songeaient à fuir. Jean et Simon sentirent leur faiblesse, et demandèrent une entrevue à Titus. Elle eut lieu sur le pont qui passait au-dessus du ravin de Tyropœon, joignant le temple à la citadelle. La naissance de l'arche de ce pont est encore visible dans la muraille extérieure du temple[94]. Ils s'abordèrent là, Jean et Simon d'un coté, Titus de l'autre ; derrière ceux-là, une multitude de Juifs, haletants et inquiets ; derrière celui-ci, des soldats romains irrités et que César avait peine à empêcher de lancer leurs javelots contre les Juifs. Titus parla le premier par un interprète. Il parla beaucoup de la mansuétude romaine, attribua à un sentiment' d'humanité la lenteur calculée des opérations de son père, proposa un dernier pardon et offrit sa main droite en signe de paix. Nous n'accepterons pas ta main, dirent les deux Juifs, nous avons juré de ne jamais la prendre. Ouvre-nous seulement un passage, pour que nous, nos femmes et nos enfants, nous puissions nous retirer dans le désert. La ville te restera. Titus, blessé de leur arrogance, rompit l'entrevue, et fit proclamer par un héraut qu'il ne tendrait plus la main à personne, et qu'il fallait maintenant se défendre ou mourir. En même temps, il permit à ses soldats d'incendier la ville d'Acra, respectée jusque-là, et les cris des malheureux qui y périrent vinrent apprendre aux habitants de Sion qu'il n'y avait plus de miséricorde dans le camp romain[95]. Ce fut alors dans Sion une terreur et un abattement presque universels. Le fanatisme, que de telles menaces eussent di exalter, succomba devant elles. En dépit de Titus et des refus de pardon qu'il annonçait, en dépit des chefs juifs et des javelots qu'ils faisaient lancer aux déserteurs, on ne pensa qu'à se jeter à tout hasard dans le camp romain. Jusqu'à ces redoutables chefs iduméens, jusqu'aux princes courageux de l'Adiabène, mendièrent le pardon de truie : tus. Au risque de se démentir, il ne le refusa pas ; gardant les, princes comme otages, ce que Rome ne manquait jamais d'en faire ; faisant vendre comme esclaves les captifs les plus suspects ; rendant aux êtres inoffensifs leur liberté[96]. Il ne restait donc sous les armes qu'un groupe de fanatiques isolés, mourant eux-mêmes de faim, et, à ce dernier moment, fanatiques de pillage plus que de liberté. Leur seul coup de main hardi fut d'aller au milieu d'Acra embrasée, s'emparer du palais de la reine Hélène ; ils le savaient plein de Juifs fugitifs qu'ils mirent à mort, plein d'or qu'ils pillèrent ; ils se retirèrent, riant et laissant les Romains brûler le reste à leur aise. Ces brigands d'autrefois, devenus pendant quelques jours des héros patriotiques, avaient dépensé tout leur héroïsme, et, voyant la patrie à bout, redevenaient brigands comme devant. Dans les rues de Sion, ils pillaient ; ils allumaient l'incendie afin de pouvoir massacrer comme déserteurs ceux qui se jetaient dans les fossés pour échapper aux flammes ; ils fouillaient leurs victimes, afin de trouver sur elles quelques aliments qu'ils mangeaient ensanglantés, et ensuite ils jetaient les corps sans sépulture. Toute leur pensée était, au premier cri de victoire des assaillants, de s'enfuir, chargés d'or, dans les souterrains pratiqués sous la ville. Cette insurrection patriotique expirait en achevant de déchirer la patrie ; cette insurrection religieuse s'achevait par des scènes dignes de l'enfer. Cependant la lenteur avec laquelle les chaussées se construisaient prolongea cette situation pendant près d'un mois. Les légionnaires à l'ouest du côté de la vallée, les auxiliaires à l'est du côté du temple, élevèrent leurs ouvrages, que cette fois aucune attaque, aucune tentative d'incendie ne troubla (du 20 Ioüs au 7 gorpiœus - du 14 au 31 août). A l'approche des hélépoles, bien des combattants quittèrent les murailles pour s'aller cacher dans les souterrains ou se glisser furtivement dans Acra. Au moment où le bélier eut achevé son œuvre et ouvert la brèche, la brèche fut désertée. Le mur d'occident est renversé ! les Romains entrent ! les Romains sont là ! Ce cri détermina un sauve-qui-peut universel. Jean et Simon, troublés eux-mêmes, ne songèrent pas que les trois tours. Hippicos, Phasaël et Mariamne, pouvaient leur offrir un asile à peu près imprenable ; ils eurent peina à rallier quelques soldats, se jetèrent dans la vallée du midi, dans l'espérance de forcer la circonvallation romaine, furent repoussés, et allèrent se cacher chacun de son côté, dans les souterrains[97]. Les Romains entrèrent donc, l'épée à la main et la rage dans le cœur. Mais la faim et la maladie avaient cruellement avancé leur tâche. En entrant dans certaines maisons, les pillards recalèrent d'horreur ; elles étaient pleines de morts et ne servaient plus que de cimetières. Mais Jérusalem renfermait à la fois et un peuple de vivants et un peuple de morts. On fouillait les maisons ; celles qui n'étaient pas pleines de cadavres étaient encombrées de fugitifs. On descendait dans les souterrains ; ils rendaient par milliers des captifs et des morts. Une seule grotte renfermait deux mille corps ; l'infection fit d'abord reculer les plus hardis ; mais on savait ces Juifs chargés d'or, et la cupidité l'emporta. Ailleurs, c'étaient des hommes affamés, pâles, moribonds, que l'on ramenait par centaines de dessous terre. La foule des vivants était épaisse comme celle des morts, et, s'il y avait quelque pitié pour ceux-ci, il n'y en avait aucune pour ceux-là. On massacra dans ces ruelles étroites de Sion, tant qu'on rencontra un peu de chair humaine au bout de son épée. En même temps, on brûlait, mais le sang, dit Joseph, éteignit l'incendie ; à la nuit, seulement, quand on eut massacré tout le jour, le feu reprit le dessus, et le lendemain matin (8 gorp., 1er sept.), tout était en flammes. Titus entra dans Jérusalem, surpris de la facilité de cette dernière victoire. Cette guerre juive était enfin terminée : elle venait de s'achever le jour anniversaire de la naissance de sa vie ; ses soldats l'avaient proclamé imperator ; son père l'avait désigné-pour le consulat. Mais il ne laissa pas que d'abaisser sa gloire devant l'évidence de l'intervention divine : à la vue des trais tours hérodiennes, seules intactes au milieu de la destruction générale, et dans lesquelles son ennemi eût pu si aisément se défendre : Jamais force humaine, s'écria-t-il, n'aurait vaincu de telles murailles : c'est Dieu qui a combattu pour nous et chassé les Juifs de leurs remparts[98]. Il s'occupa d'arrêter les massacres. Il eut grand'peine à sauver la population désarmée, et encore ne put-il sauver lien des vieillards, dont le soldat jugeait la conservation inutile. Ce qui n'excitait pas trop de colère et pouvait avoir quelque valeur sur le marché fut.-poussé dans l'enceinte du Impie et enfermé dans ce qui avait fait autrefois la Cour des Femmes. Un triage fut fait. Ceux qui furent reconnus pour avoir porté les armes furent mis à mort, à l'exception de quelques beaux jeunes gens réservés pour orner le triomphe. Ceux qui avaient plus de dix-sept ans furent gardés pour les mines et pour l'amphithéâtre. Le reste fut vendu comme esclaves. Quelque sommaire que fût l'examen, sa durée fut telle, que beaucoup[99] qui refusaient la nourriture ou à qui on la refusait, moururent de faim pendant l'attente. Un mot des chefs de la révolte. Josèphe ne dit pas la fin d'Éléazar. Jean, caché dans une caverne, finit, mourant de faim, par mettre sa main dans cette main romaine tant de fois repoussée. Quant à Simon, les soldats qui gardaient l'enceinte du temple virent tout à coup sortir de terre une figure vêtue d'une tunique blanche et d'un manteau de pourpre. Ils eurent un premier mouvement d'étonnement ; puis ils s'approchèrent, et Simon se fit connaître. Lui aussi, la faim le chassait des souterrains. Tous deux furent gardés pour que Titus décidât de leur sort. On peut d'après Josèphe résumer ainsi les calamités de Jérusalem. La population qui en temps ordinaire se pressait à Jérusalem et autour de Jérusalem pour les fêtes de la Pâque était de trois millions ; dans cette dernière année, malgré la guerre, il dut s'y trouver réunis au moins douze cent mille âmes, fugitifs ou pèlerins. Sur ce nombre, quarante mille, originaires de la gille, firent leur soumission avant la fin du siège et reçurent leur liberté ; un grand nombre d'autres fut vendu comme esclaves. Voilà le compte des survivants. Quant aux morts, Josèphe, on se le rappelle, en compte six cent mille enterrés aux frais de la ville — cent quinze mille huit cent quatre-vingts par une seule porte et dans l'espace d'un mois et demi — ; il faut y ajouter les riches dont les familles payèrent les funérailles, ceux qui demeurèrent sans sépulture, ceux qui périrent dans les combats ou les massacres ; et il ne craint pas de porter à onze cent mille le nombre total des victimes pendant le siège[100]. Cela ne me semble pas impossible. La guerre, dans l'antiquité, même lorsqu'elle était conduite par un Titus, se faisait sans pitié. Les dix-huit mois de répit que les luttes intérieures des Romains avaient laissés aux Juifs avaient contribué à accumuler autour de Jérusalem et dans la faible partie du sol hébraïque qui était encore libre tout ce qu'il y avait, d'un bout de la Palestine à l'autre, d'effrayés, de dépossédés et d'insoumis. Tout cela fut pris comme au piège lorsque Jérusalem fut assiégée. Toute cette masse, rapidement éclaircie par la faim et la maladie, s'enfuit d'abord de la campagne dans la ville, puis de Bézétha dans Acra, d'Acra grimpa sur l'aire du temple et dans Sion, fut massacrée dans le temple, fut massacrée dans Sion, plus nombreuse et plus serrée que nulle part ailleurs. Quarante ans auparavant, il avait été dit auprès de la porte Judiciaire qui menait d'Acra dans Bézétha : Ne pleurez pas sur moi, filles de Jérusalem, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants, parce qu'il viendra bientôt un jour où l'on dira : Heureuses les stériles, heureuses les entrailles qui n'ont pas engendré et les mamelles qui n'ont pas nourri ! Alors ils commenceront à dire aux montagnes : Tombez sur nous, et aux collines : Couvrez-nous[101]. Restait maintenant pour Titus, après avoir statué sur les habitants, à statuer :sur la ville. Après cette lutte de cinq mois, ce quintuple siège, ces chaussées construites à cinq reprises, ces incendies multipliés, il ne pouvait guère rester que des ruines où les soldats romains cherchaient de l'or. Titus, qui, le temple une fois sacrifié, aimait mieux que la nation juive n'eût plus en Jérusalem le foyer de ses espérances et de ses rêves, fit raser tout ce qui restait et du temple et de la ville. Il excepta une portion de muraille à l'Occident pour servir d'abri aux troupes qu'il laissait sur cette terre maudite ; il excepta aussi les trois tours d'Hippicos, de Phasaël et de Mariamne, comme des témoins de ce qu'avait été Jérusalem. Selon les écrivains chrétiens, la lunaison où le Christ avait fait la Cène avec ses disciples et où le Saint-Esprit était descendu sur les apôtres resta aussi debout, ainsi que quelques synagogues situées comme elle sur la montagne de Sion[102]. Selon quelques auteurs, le pinacle du temple sur lequel Jésus avait été porté par le tentateur, ou du moins la tour qui formait l'angle sud-est, demeura intacte jusqu'au cinquième siècle[103]. De nouveaux désastres devaient effacer même ces ruines. Aujourd'hui, quelques tombeaux, des fragments de l'enceinte extérieure du temple, la porte Dorée, murée et à moitié détruite, quelques restes de portes également murées dans l'enceinte du temple, l'arcade au-dessus de laquelle Jésus fut présenté au peuple, quelques fondations de murailles et de portes rasées, quelques colonnes romaines à peine visibles sous le plâtre turc, la place et le revêtement de quelques piscines, sont tout ce qui reste de l'ancienne Jérusalem. Quelques mois plus tard, Titus, prêt à partir pour l'Italie, repassait une dernière fois à Jérusalem. Il trouvait achevée l'œuvre de destruction qu'il avait ordonnée. La dixième légion campait au milieu de ces décombres, occupée encore à fouiller ce sol, et se faisant montrer par les prisonniers les cachettes qui lui rendaient encore. quelques richesses. De pauvres vieillards, qu'on avait laissés par pitié sur ces ruines, pleuraient sur les cendres du temple. De malheureuses femmes, devenues le jouet dégradé du soldat, étaient avec eux le seul reste de la synagogue[104]. Quelques chrétiens, peut-être, revenus de leur fuite de Pella, avaient commencé à se réunir et à reprendre obscurément leurs assemblées dans le cénacle. Sauf ces rares habitants, et les trois tours hérodiennes, isolées au milieu de ce désert, il n'y avait plus trace de cette ville, qui avait été avant le siège une ville de plus de cent mille âmes ; qui, au temps du siège, avait compté dans son sein plus d'un million de fugitifs ou de combattants. Il semblait que ce sol n'eût jamais été habité[105], dit Josèphe, ou, pour parler comme Notre-Seigneur, dont cet historien est si souvent le copiste involontaire : Les ennemis de Jérusalem l'avaient renversée, elle et ses enfants qui étaient au milieu d'elle ; ils ne lui avaient pas laissé pierre sur pierre[106]. La campagne environnante, dépouillée à cinq lieues de distance par les travaux du siège, foulée aux pieds des soldats, sous le sabot des chevaux et sous les roues des machines, rendue par l'absence de culture à son aridité naturelle, avec ses aqueducs détruits, le Kisson et le Cédron mis à sec pour jamais, avait pris cet air de tristesse désolée qu'elle ne devait plus quitter. Dans les jours du rabbin Jochanan (contemporain de ces événements), la terre, disent les juifs, a pris une autre forme[107]. Titus, le premier pèlerin de Jérusalem déchue, en eut la premier la mélancolique impression. Il fit un retour sur lui-même et vers ce Dieu que, pareil aux Athéniens, il adorait et ignorait. Il mit de côté l'orgueil du vainqueur, il pleura ; il détesta sa propre gloire ; il prit le ciel à témoin qu'il ne voulait pas se glorifier d'avoir été l'instrument d'un supplice aussi rigoureux[108]. Un païen ajoute que, lorsque plus tard les villes d'Orient lui offrirent des couronnes d'or, il les refusa, disant que ce n'était pas lui qui avait vaincu et qu'il n'avait fait que prêter son bras à Dieu irrité contre les Juifs[109]. Un mot d'un grand homme équivoque, tiré d'un livre apocryphe, peut bien nous représenter le sentiment populaire au sujet de Jérusalem, et combien son malheur avait, aux yeux des païens, quelque chose de néfaste et de surnaturel. Selon Philostrate, Vespasien invita son Apollonius à venir le trouver en Judée. Non, répondit le philosophe, je n'entrerai pas dans cette terre souillée ; ses habitants l'ont profanée et par ce qu'ils ont fait et par ce qu'ils ont souffert[110]. Du reste, ni Titus, ni Apollonius, ni les païens, n'étaient peut-être aussi étrangers que nous le pensons aux prophéties qu'ils voyaient s'accomplir. Titus, à qui Josèphe avait fait lire dans Michée l'élévation de son père, avait pu lire bien plus clairement dans Daniel et ailleurs la chute de Jérusalem et la véritable cause de cette chute : Après soixante-neuf semaines, avait dit Daniel, le Christ sera mis à mort, et le peuple qui l'aura renié ne sera plus son peuple. Un peuple avec son prince viendra détruire la ville et le sanctuaire, et leur fin sera la désolation, et, après la guerre, une ruine qui ne cessera pas.... L'abomination de la désolation sera dans loir temple, et la désolation durera jusqu'à la fin des jours[111]. |
[1] Josèphe, IV, 42 (11, 5) ; v, 6 (1,
6) ; Tacite, Hist., V, 1.
[2] Multi quos ex urbe aut Italia sua quemque spes acciverat occupandi principem adbuc vacuum. Tacite, V, 1.
[3] Les lieutenants de Titus étaient Tibère Alexandre, préfet d'Égypte ; S. Petilius Céréalis (parent de celui qui faisait la guerre en Germanie), pour la 5e légion ; Titus (Calpurnius Piso ?) Frugi, pour la 15e ; Larcius Lepidus pour la 10e ; Liternius Fronto, commandant militaire en Égypte. — Voir Josèphe, V, 6 (1, 6) ; VI, 24 (4, 3).
[4] Xiphilin, LXVI, 4. Selon lui l'eau manqua aux Romains, ce que Josèphe dément. V, 25 (9, 4). Et Tacite : Fons perennis aquæ, cavati sub terra montes et piscinæ cisternæque servandis imbribus. V, 12.
[5] Turres, ubi mons juvisset, in sexaginta pedes ; inter devexa, in centenos vicenosque attollebantur, mira specie et procul intuentibus pares. Tacite, V, 11.
[6] Conspicuoque fastigio turris Antonia. Tacite, V, 11.
[7] Voir en général Josèphe, V, 33 (4).
[8] Urbem arduam situ, opera moleque firmaverant quis vel plana satis mumerentur. Tacite, V, 11. — C'est aussi par le nord, comme étant le côté le plus faible, que Pompée attaqua Jérusalem. Josèphe, Antiq., XIV, 7, 8 (4, 1, 2).
[9] Josèphe, V, 13 (4). Alia intus mœnia regia circumjecta. Tacite, V, 11 et Xiphilin, LXVI, 4. — La coudée est, chez tous les anciens, d'un pied et demi, et le stade de 600 pieds ou 400 coudées. Mais la mesure du pied n'est pas la même partout. On peut s'arrêter aux chiffres suivants :
Mesures grecques ou olympiques : Pied : 0m,309. Coudée : 0m,463. Stade : 185m,40.
Mesures hébraïques ou égyptiennes. Pied : 0m,350. Coudée : 0m,525. Stade : 218m,00.
On peut se demander maintenant quelles sont les mesures dont Josèphe, Juif, mais écrivant pour des Grecs, a dû faire usage. Mais ni Josèphe ni les historiens anciens n'en sont à cela près en fait d'exactitude numérique, et on peut, dans la pratique, sans crainte d'être plus inexact que lui, compter en nombres ronds la coudée pour un demi-mètre, et le stade pour 200 mètres. Je me dispenserai donc de traduire ces mesures en style moderne.
[10] Tacite signale cette coupure : Nam duos colles in immensum editos claudebant muri... Extrema rupis abrupta. Tacite, V, 11.
[11] Templum in modum arcis propriique muti, labore et opere ante alios ; ipsæ porticus, quis templum ambiebatur, egregium propugnaculum. Tacite, Hist., V, 12.
[12] Les portiques de l'Est, selon Joseph, étaient assis sur une muraille de 400 coudées. Joseph veut-il dire 400 coudées en hauteur ? Ce serait inadmissible. En longueur, ce devrait être beaucoup plus. Ant., XX, 7 (9, 7.)
[13] Dans les premiers combats contre les Romains (août 66, V. Josèphe, de B., II, 31 (17, 7) ; VI, 51 (5, 4).
[14] Josèphe, de B., V, 13 (4, 2) ; Ant., XIX, 5 (7, 2). Le récit de Tacite est un peu différent : Per avaritiam Claudianorum temporum, empto jure muniendi, struxere muros in pace tanquam ad bellum. V, 12.
[15] Sur tout ce qui précède, voyez principalement la description de Jérusalem dans Josèphe, de B., V, 13-15 (4 et 5). — Parmi les modernes, Williams, Holy city, et le plan qui y est joint. — Le plan et les explications du docteur Schultze. — Le Voyage de M. de Saulcy. — Je dois de précieuses indications à un savant et dévoué voyageur, M. le comte Melchior de Vogüé.
Les différentes enceintes partielles de l'enceinte totale de Jérusalem sont déterminées d'une manière assez uniforme par les voyageurs.
Le mur de Sion avait, selon Josèphe, soixante tours, réparties sur une longueur de 15 stades, environ 5.000 mètres (plan de Schultze), ce qui donne 100 coudées (50 mètres) d'une tour à l'autre.
Le mur de Bézétha (dit d'Agrippa) avait quatre vingt-dix tours. Sa longueur était, d'après le plan, d'environ 20 stades. Selon Josèphe, qui compte 200 coudées d'une tour à l'autre, il faudrait dire 45 stades ; mais ce chiffre est inadmissible d'après Josèphe lui-même, et les vestiges encore subsistants de quelques tours indiquent entre elles une distance de 140 coudées seulement.
Quant au troisième mur, celui d'Acra, sa longueur devait être de 6 stades environ. Josèphe compte quatorze tours, 170 coudées pour chacune.
L'enceinte extérieure se composait donc ainsi :
Mur d'Agrippa, en entier : 20 stades.
Partie du mur de Sion (le reste, ainsi que le mur d'Acra, était intérieur) : 9 stades
Côtés oriental et méridional du temple : 4 stades.
Soit un total de 53 stades.
En nombres ronds 6.600 mètres.
Ce chiffre en effet est celui qu'indique Josèphe, de B., V, 15 (4, 5).
Il est donc infiniment préférable à celui d'Hécatée d'Abdère (apud Josèphe, contre Apion, I, 23), qui porte 50 stades ; à celui de Timocharès et du Juif Aristée, qui portent 40 (Eusèbe, Præp. év., 40). Ces trois auteurs sont d'autant plus dans l'erreur, qu'ils écrivaient avant l'augmentation de la ville par Agrippa. — Eusèbe, d'après un arpenteur syrien, compte 27 stades. (Præp. év., IX, 35, 36), ce qui approcherait du compte de Josèphe.
Les modernes ont compté 4.000 ou 4.400 mètres (Deshayes, Maundrell) ; mais l'enceinte actuelle est bien inférieure à celle d'Agrippa, peut-être même à celle qui l'a précédée.
[16] Hécatée d'Abdère dit 120.000. Mais, depuis son temps, l'enceinte de Jérusalem s'était bien accrue.
[17] Magna colluvie et ceterarum urbium clade aucti. Tacite, V, 12. — Multitudinem obsessorum ornais ætatis virile et muliebre secus. 13.
[18] Arma cunctis qui ferre possent, et plures quam pro numero audebant. — V, 13. Les six cent mille individus auraient pu donner ainsi cent mille combattants.
[19] Josèphe, V, 16, 6, 1.
[20] Dion Cassius, LXVI, 4 ; et Josèphe, VI, 34 (6, 3). — Il parle plusieurs fois des princes de l'Adiabène venus au secours de Jérusalem. VI, 36 (6, 4). — A l'époque de la campagne de Cestius, il nomme Monobaze et Cénédœus, parents du roi de l'Adiabène, Monobaze, II, 38 (19, 2).
[21] Trois cents machines propres à lancer des dards ; quarante propres à lancer des pierres. Josèphe, de B., V, 25 (9, 2).
[22] Josèphe, de Bello, VI, 4 (2, 5), et Tacite : Animas prælio aut suppliciis interemptorum æternas putant. Hinc generandi amor et moriendi contemptus. Hist., V, 5. — Du reste, sur les opinions à cet égard entre les diverses sectes juives, voir Josèphe, de Bello, II, 12 (8, 11, 14) ; VII, 54 (8, 7). — Ant., XVIII, 2 (1, 3, 4, 5).
[23] Neque dignum videbatur famem hostium opperiri, poscebantque pericula, pars virtute, multi ferocia et cupidine præliorum. Ipsi Tito Roma et voluptates ante oculos, ac ni statim Hierosolyma conciderent, morari videbantur. Tacite, Hist., V, 11. — Voir aussi Dion, apud Théodose, LXVI, 4.
[24] Josèphe, de B., V, 11 (3, 1). Joannes, missis per speciem sacrificandi qui Eleazarum manumque ejus obtruncarent, templo potitur ; ita in duas factiones civitas discessit. Tacite, V, 12.
[25] Josèphe, de B., IV, 5 (1, 6).
[26] Josèphe, de B., V, 7 (2, 2). Est-ce à une de ces actions qu'il faut attribuer blessure de Titus à l'épaule, par suite de laquelle sa main gauche demeura as faible, d'après Xiphilin, ex Dione, LXVI, 5 ? Ni Josèphe ni Suétone n'en parlent.
[27] Hanc adversus urbem gentemque Titus Cæsar, quando impetus et subita loca abnueret, aggeribus vineisque certare statuit. Tacite, V, 15.
[28] La chaussée de César devant Bourges avait quatre-vingts pieds de haut sur trois cent trente de large. César, de Bello gall., VII, 24. Elle coûta vingt cinq jours de travail.
[29] Voir la description de l'hélépole de Démétrius Poliorcète. Diodore, XI, 91, et Plutarque, in Demetrio.
[30] Voir Josèphe, de Bello, V, 17 (6, 2). — La situation de ce tombeau me parait difficile à établir. Selon M. de Saulcy, il serait à gauche, en sortant de la porte actuelle de Damas ; l'attaque de Titus aurait eu lieu par le N. O., c'était en effet son camp, contre la muraille voisine de la tour des Femmes, dans la direction de la porte actuelle de Damas. Ce point d'attaque, d'après la déclivité du terrain, est fort vraisemblable. Mais, plus tard, nous verrons Titus, maitre de Bézétha et d'Acra, attaquant Sion, et dressant encore ses chaussées près du tombeau de Jean. — Voyez Josèphe, V, 19 (7, 3) 25 (9,2) 30 (11, 4). — Le tombeau de Jean était donc voisin de Sion ; c'est ce qui porte Williams à le placer un peu au midi du Golgotha, et à reconnaître dans la piscine d'Ézéchias (Dirket Hamman el-Batrak) la piscine Amygdalon, voisine du tombeau de Jean. Y aurait-il erreur dans le récit de Josèphe ? les deux attaques peuvent-elles avoir eu lieu dans le même endroit ? Quant aux aggeres, que M. de Saulcy reconnaît à droite et à gauche de la porte de Damas, ils ne peuvent avoir servi à la première attaque, puisqu'elle eut lieu contre l'enceinte d'Agrippa ; peut-être, s'il faut les attribuer au siège de Titus, auront-ils servi à une attaque contre Acra, dont Joseph ne spécifie pas la place.
Tacite indique le commencement de ces travaux : Dividuntur legionibus munia, et quies præliorum fuit, donec cuncta expugnandis urbibus reperta apud veteres, aut novis ingeniis struerentur, V, 13. C'est malheureusement ici que le récit de Tacite nous manque.
[31] C'est à cette demi-réconciliation que Tacite fait allusion : Donec propinquantibus Romanis, bellorum externum concordiam pararet. V, 12.
[32]
Josèphe, V, 19 (6, 5). Suétone,
in Tit., 5.
[33] Josèphe dit le 7 d'artémisius (4 mai). Cette date est contredite par celles qui suivent, et le 7 d'artémisius était certainement plus que le quinzième jour du siège. Faut-il lire le 7 des calendes d'artémisius, c'est-à-dire le 24 xanthicus (22 avril) ? Cette locution est peu dans le style de Josèphe. — Voir Josèphe, de B., V, 20 (7, 2). — Xiphilin, LXVI, 5.
[34] Josèphe, V, 24 (8, 2).
[35] Dion, apud Xiphilin, et Théodose, LXVI, 4, 6. — Obstinatio par viri feminisque, ac si transferre sedes cogerentur, major vitæ metus quam mortis. Tacite, V, 13.
[36] Josèphe dit sept ans et cinq mois, mais c'est au moins sept ans et sept mois, la première apparition de Jésus datant de la fête des Tabernacles (septembre), et le siège n'ayant commencé qu'en avril, VII, 31 (5, 3).
[37] Dès le premier moment, dit Joseph, grâce au manque d'espace, une maladie analogue à la peste, et, bientôt après, la faim, se firent sentir. VII, 45 (9, 3).
[38] Dion, apud Theod., LXVI, 5.
[39] Josèphe, de B., V, 25 (9). —
Xiphilin, LXVI, 5.
[40] Dion, apud Theod., LXVI, 5.
[41] Josèphe, V, 28, 29 (II, 1, 2).
[42] Les deux premières près de la piscine Struthio, les deux autres près de la piscine Amygdalon et du tombeau du Jean. Josèphe, V, 25 (9, 2).
[43] Josèphe, V, 30 (11, 45).
[44] Ce qui coûtait auparavant douze drachmes se vendait vingt. Josèphe, de B., V, 36 (15, 4).
[45] Josèphe, V, 57 (15, 7). — Selon les Talmudistes, la fille du riche Gorion chercha sa nourriture dans la fiente des animaux. La riche Marthe, fille de Boéthus, qui avait autrefois acheté le pontificat à Jésus, fils de Gamala, n'ayant pu, avec tout son or, se procurer du pain, erra mourante dans les rues, et, ayant aperçu à terre quelque chose qui ressemblait à un aliment elle se jeta dessus et mourut en le dévorant.
[46] Josèphe, VI, 4 (9, 3).
[47] Josèphe, 32 (12, 3), 36 (13, 4).
[48] Josèphe, V, 37 (13, 7).
[49] Josèphe, 32 (12, 3, 4).
[50] Ps. LVIII.
[51] Josèphe, V, 30 (12, 4).
[52] Josèphe, XI, 1 (1, 15).
[53] Sur la forteresse Antonia, voyez Josèphe, V, 15 (3, 8). Elle s'appelait avant Hérode Baris, et le docteur Williams croit pouvoir l'identifier avec la hauteur appelée Acra, du temps des Macchabées, et que les rois asmonéens, en comblant un ravin, mirent de niveau avec le temple. (Josèphe, V, 15 (4, 1), et Williams, t. II, chap. IV, p. 403 et suiv.) Sa position ne me semble pas avoir encore été assez étudiée. Ce qui résulte avec certitude, non-seulement des descriptions de Joseph, mais des faits racontés par lui, c'est qu'elle tenait au côté nord et à l'angle N.-O. du temple (I (21, 1) ; V, 15 (5, 7) ; Ant., XV, 11, 4) ; qu'elle dépassait cet angle vers l'ouest (B., V, 52 (12, 4)) ; qu'elle était limitrophe du faubourg de Bézétha (B., V, 15 (4, 2)), et qu'elle approchait beaucoup de l'enceinte extérieure et du tombeau d'Alexandre (V, 19 (7, 3)). La caserne et le palais du gouverneur étaient compris dans son enceinte, comme aujourd'hui dans l'emplacement à peu près correspondant du Serayah. Aussi la maison de Pilate, l'arcade de l'Ecce homo, l'église de la Flagellation, peut-être même le palais d'Hérode, ont-ils dû être comprises dans cette enceinte ; la Voie douloureuse la traverse. La tradition évangélique est en ceci parfaitement d'accord avec la topographie.
[54] Josèphe, VI, 6 (1, 7).
[55] Voir surtout Josèphe, de B., V, 14, 15 (5). — Ant., VIII, 2 (5, 4) ; XV, 14 (11) ; XX, 7 (9, 7) ; le Traité Middoth, et les voyageurs modernes cités plus haut.
[56] Ni les anciens ni les modernes ne sont d'accord sur les mesures du temple. Selon les rabbins, le temple aurait été un carré dont chaque côté aurait eu 500 coudées, par conséquent le circuit était de 2.000 coudées — 5 stades 1.000 mètres. La superficie serait donc de 250.000 coudées carrées — 72.500 mètres ou 7 hectares ¼. (Voir Mischna, Traité Middoth.).
Selon Josèphe, ce temple était un carré d'un stade de côté, ayant par conséquent 4 stades de tour, et de superficie 4 hectares. En y ajoutant la tour Antonia, le circuit était de 6 stades ; il est clair ici que Josèphe se trompe, et probablement applique au temple extérieur la mesure du temple intérieur. (Voir Antiq., VIII, 5, 9 ; XV, 11, 3.)
La superficie du temple extérieur est encore aujourd'hui visible et incontestable ; seulement on sait qu'il n'est pas permis aux chrétiens d'y pénétrer, et qu'à cause des édifices qui y sont attenants il n'est pas même possible d'en mesurer complètement le périmètre extérieur. Il ne faut donc pas s'étonner si les mesures que donnent les voyageurs ne sont pas concordantes.
Maundrell, d'accord avec le docteur Williams, dit 240 toises sur 156. — M. de Saulcy ne donne pas les mesures du temple ; mais son plan les indique beaucoup moindres. Si je calcule bien, il ne donnerait guère que 7 hectares de superficie au temple, tandis que les autres en donneraient de 13 à 15.
Quant au temple intérieur, le docteur Williams, d'après la disposition actuelle des lieux, croit pouvoir lui donner les mesures suivantes : longueur, 360 coudées ; largeur, 220 ; superficie, 79.200 coudées, ou près de 2 hectares. — Selon lui, la mesure de 500 coudées en carré s'appliquerait au temple extérieur avant les additions d'Hérode. (On lit en effet dans le Talmud que le temple dépasse 500 coudées, mais que ce qui dépasse n'est pas saint.)
La version grecque d'Ézéchiel donne une mesure de 500 coudées, ce qui est d'accord avec les rabbins. Dans l'Hébreu et la Vulgate, on lit, au lieu de cubitos, calamos (le calamus était de 6 coudées), ce qui serait immense. (Ézéchiel, XLII, 16-20.)
Les quatre angles de l'enceinte extérieure sont exactement déterminés par Josèphe : celui du N. O., vers la forteresse Antonia ; du N. E., vers Bézétha ; du S. O., vers la ville inférieure ; du S. E., sur la hauteur des Pastophories, d'où les prêtres annonçaient le commencement et la fin du sabbat. IV, 34 (9, 12.)
[57] Tacite distingue bien ces diverses enceintes : Illic immensæ magnificentiæ templum ; ex primis, munimentis urbis (la muraille de Salomon, qui, à l'orient, forme le rempart extérieur de la ville), dein vigiliis (enceinte destinée aux Juifs) ad postremum fœminis clausum (cour des Israélites dont les femmes étaient exclues), ad fores tantum Judæo aditus, limine præter sacerdotes arcebantur (cour des Lévites). V, 10.
L'angle S. O. de l'enceinte du temple est formé de pierres dont quelques-unes ont 9m,35 de long sur 1 mètre de haut. M. de Saulcy, t. II, p. 211. — Josèphe parle de blocs de 45 coudées, sur 6 de large et 5 de haut.
M. de Saulcy (Études sur l'art judaïque, X), tout en ayant peine à admettre cette mesure, rappelle les blocs qu'on trouve à Balbeck, et qui ne cubent pas moins de 525 mètres, tandis que ceux de Josèphe en cuberaient seulement 196.
[58] Le temple intérieur était élevé au-dessus du temple extérieur de quatorze degrés, selon un passage de Josèphe, de B., V, 14 (5, 2) ; un peu plus loin, il semble évaluer cette élévation à 15 coudées, ce qui serait bien différent ; ailleurs à 20. V, 5 (1, 5). Ces passages ne sont pourtant pas inconciliables.
[59] Selon le Traité Middoth, sect. 5. Joseph dit 50 coudées et 15 de haut. V, 14 (5, 6). — Voy. aussi Ézéchiel, XLIII, 13.
[60] Selon les rabbins, une grappe de cette vigne n'eût pu être portée que par trois cents hommes. Le rideau du temple avait une épaisseur égale à la longueur de la main. Le rideau du Saint des saints était formé de huit cent vingt mille fils ; vingt mille vierges y avaient travaillé pendant toute une année, et il fallait trois cents prêtres pour le laver !
[61] Au temps de Crassus, le temple contenait, outre les espèces, 8.000 talents d'or : ce serait environ 200.000 kg. Josèphe, Ant., XIV, 12 (7,1).
[62] Josèphe, VI, 13 (2, 7).
[63] Exode, XXIX, 38-42 ; Nombres, XXVIII, 1-8.
[64] Daniel, VIII, 11-13 ; XI, 31.
[65] Je suis la correction de Crevier, qui lit dans Josèphe, VI, 7 (2, 1), άρνων (agnorum), au lieu de άνδρων (virorum). Il est en effet impossible de supposer que le sacrifice manquât faute d'hommes. On ne peut même pas entendre que cela signifie faute de prêtres. Nous verrons que Titus en trouva un grand nombre dans le temple.
[66] Isaïe, I, 13-15.
[67] Josèphe, VI, 21 (4, 4, 5).
[68] Deutéronome, XXVIII, 52-57.
[69] Josèphe, VI, 7 (2, 1).
[70] Josèphe, VI, 16, 18, 19 (2, 9 ; 3, 1, 2). — Xiphilin, LXVI, 6.
[71] L'abord du temple se trouva ouvert aux Romains par l'incendie ; mais une crainte superstitieuse les empêcha d'abord d'y entrer. Titus eut peine à les y décider. Xiphilin, LXVI, 6. — Je place ce fait à ce moment-ci plutôt qu'à celui de l'invasion du sanctuaire. C'est ici, ce me semble, qu'il se concilie le mieux avec le récit de Josèphe.
[72] Josèphe, VI, 22-24 (4, 1-3).
[73] Josèphe, VI, 26 (4, 1). Nous avons remarqué plus haut une expression pareille. Nous la retrouverons plus tard au sujet du suicide de Massada.
[74] Josèphe, VI, 28 (5, 1).
[75] Xiphilin et Theod., ex Dione, LXVI, 4, 6.
[76] Gemara Gittin, f° 56, 2, apud Reland, de Spoliis templi Hierosol., c. XIII.
[77] Deutéronome, XII, 11 ; III Reg., VIII, 29.
[78] Deutéronome, III ; Reg., VIII, 10-12 ; II Par., VII, 1.
[79] Josèphe, VI, 41 (8, 3).
[80] Josèphe place cette date au 10 et non au 9, mais il admet la coïncidence des deux anniversaires. Voyez du reste Buxtorf, de Synag. Judæor., 25.
[81] Le Talmud défend d'élever une maison à la ressemblance de la maison sacrée, un portique à l'instar du portique sacré, un vestibule pareil à celui des prêtres, une table semblable à la table consacrée, un chandelier pareil au chandelier à sept branches. — Ghemare, Rosch-Hasschana, f° 25. — Avoda Zara, f° 45, 1.
[82] Lévitique, I, 1, 5, 5 ; III, 2 ; IV, 7, 14, 18 ; XII, 6 ; XV, 14, 29.
[83] Exode, XXX, XXXIX et XI, 11. — Paral., III, 4.
[84] Lévitique, XVI.
[85] Exode, XXIII, 17.
[86] Moïse, sentant sa religion temporaire, avait ordonné de ne la pratiquer que dans un seul lieu. Il est défendit aujourd'hui aux Juifs de faire les sacrifices de la loi, d'avoir un temple ou un autel, de célébrer les cérémonies, de se purifier d'une souillure... d'obtenir une propitiation. Ils sont tombés sous l'anathème de Moise, parce qu'ils veulent observer ailleurs qu'à Jérusalem une partie de leur loi, quand Moïse a déclaré exécrable quiconque n'observe pas la loi en toute chose... Selon la prophétie de Moïse, par la venue de Jésus-Christ et par la ruine de Jérusalem, la loi tout entière de Moïse a été mise à fin, et toutes les observances de l'Ancien Testament sont annulées. Eusèbe, Démonst. évang., 1, 6.
[87] Sur Silo et sa destruction, voyez Josué, XVIII, 1 ; XXII, 12. — Jud., XVIII, 31 ; XX, 8. — I Reg., 1, 5 ; IV, 4. — Psalm. LXXVIII, 61. — Jérémie, XXVI, 6, 9.
[88] Jérémie, VII, 11-15.
[89] III Reg., 6-9, 11. — Par., VII, 19-22.
[90] Josèphe, de B., VII, 19 (5, 7). — Sur cette lame d'or, voyez Exode, XXXIX, 29. — Lévitique, VIII, 9. — Josèphe, Ant., VII, 2. — Ghemare, Succa, f° 5, 1.
[91] Hérodien, I, 14.
[92] Anastase, Bibliothec. — Procope, de Bello Vandal., II, 9. — Reland, ibid.
[93] Osée, III, 4, 5.
[94] Voir M. de Saulcy, t. II, p. 214. — Williams voudrait placer ce pont ailleurs ; mais ses raisonnements, qui tiennent à l'ensemble de sa théorie sur le temple, ne me semblent pas décisifs.
[95] Josèphe, de B., VI, 34 (6, 2, 5).
[96] Josèphe, IV, 39-41 (7 et 8).
[97] Josèphe, VI, 42 (8, 4, 5).
[98] Josèphe, de B., VI, 43 (9, 1).
[99] Josèphe dit 11.000, mais ce nombre est inadmissible. La Cour des Femmes, large de 135 coudées, sur une longueur égale, pouvait contenir au plus 11.000 personnes en tout.
[100] Voir Josèphe, VI, 41 (8, 3), 44 (9, 3).
[101] Luc, XXIII, 28-30.
[102] Epiph., de Ponderib. et nummis, 14.
[103] Prudence, Enchirid., et le pèlerin de Bordeaux. Encore peut-on supposer que le pinacle dont parlent ces deux écrivains était d'une construction plus récente. En tous cas, ce ne pouvait être la cime principale du temple, mais un édifice bâti à un des angles de l'enceinte extérieure.
[104] Josèphe, VII, 34 (8, 7).
[105] Josèphe, de B., VII, 1.
[106] Luc, XIX, 44.
[107] Talmud de Jérusalem, Sota 12.
[108] Josèphe, VII, 15 (5, 5). — Josèphe nous donne la première description le Jérusalem déchue analogue à celle de M. de Chateaubriand : Tout le pays avait été dévasté dans un rayon de 90 stades. L'aspect en était déplorable ; tous les arbres avaient été coupés, et cette terre, ornée autrefois de lois et de jardins, présentait l'image d'un désert. L'étranger, qui avait vu jadis la Judée et les magnifiques campagnes qui environnaient Jérusalem, n'aurait pu s'empêcher de verser des larmes... Quiconque, connaissant Jérusalem, y eût été subitement transporté, n'eût pu la reconnaître, et eût cherché la ville sur son propre emplacement.
[109] Philostrate, VI, 29.
[110] Philostrate, in Vit. Apoll.,
V, 27.
[111] Daniel, IX, 26, 27.