Oui, l'on revenait aux temps des Trente tyrans, mais avec l'expérience de plus. La crise de cette époque avait appris au monde que tant de peuples, une frontière si vaste, des armées si éloignées les unes des autres, réclamaient plusieurs chefs, c'est-à-dire plusieurs empereurs. Dioclétien avait cru satisfaire à ce besoin par le partage de l'Empire en deux moitiés ; il n'avait pas assez fait et il le comprit. Il partagea l'Empire une seconde fois et le monde romain eut quatre empereurs (292)[1]. Ce n'était pourtant pas là tout ce que les instincts des peuples et les nécessités du moment avaient réclamé pendant la période des Trente tyrans. Cette crise, qui aurait pu être féconde, donnait aux provinces des empereurs choisis ou du moins acceptés par elles, des chefs qui avaient grandi au milieu d'elles et défendu leurs frontières. De cette crise fussent peut-être sorties des nations distinctes et vivantes comme celles de l'Europe moderne. Mais Dioclétien ne voulait ou ne pouvait essayer rien de semblable. Les princes qu'il nomma émanèrent de lui et ne furent que des reflets de sa divinité. Il se contenta de demander à sa chère Dalmatie ou aux contrées voisines, habituées à fournir des empereurs, deux soldats de plus, comme il leur avait demandé le soldat Maximien. Ni origine, ni souvenirs, ni services rendus ne formèrent un lien entre eux et leurs peuples. Dioclétien faisait des quarts d'empire ; il ne fondait pas des nations. Il ne songea peut-être même pas qu'avec la détresse financière du monde romain et ses périls extérieurs, il fallait que les chefs de l'Empire fussent des généraux plutôt que des Césars. Il trouva bon que toutes les splendeurs impériales les accompagnassent sur les bords du Rhin ou du Danube, qu'ils eussent chacun non pas seulement un camp, mais un palais. Les provinces ne revirent donc ni un Postume ni un Odénath ; elles eurent seulement un empereur romain quadruplé. Quoi qu'il en soit, le même jour (1er mars 293[2]), Maximien à Milan décora du titre de César et du surnom d'Herculius le Mésien ou Illyrien Flavius Constantius[3] ; Dioclétien à Nicomédie (car l'un et l'autre se tenaient éloignés de Rome) proclama, de la même manière, en le surnommant Jovius, le Dace ou l'Illyrien Galère[4]. Il fallait, dit le panégyriste avec son emphase ordinaire, que la terre s'assimilât au ciel et que le Jovius et l'Herculius de la terre, parents du Jupiter et de l'Hercule célestes, gouvernassent l'Empire comme ceux-ci gouvernent le monde. Or il y a quatre éléments ; il y a quatre saisons ; un double Océan partage le monde en quatre parties ; les lustres reviennent après un laps de quatre années ; le soleil a quatre chevaux à son char ; et les deux astres qui nous éclairent joints à l'étoile du matin et à celle du soir forment les quatre flambeaux du monde[5]. L'Empire, pour ces raisons et d'autres plus graves, se partagea donc entre quatre princes. L'Orient resta à Dioclétien. Le César Maximien Galère eut la Grèce, la Thrace et toutes les contrées danubiennes, avec les Goths, les Marcomans, les Sarmates à repousser. Maximien, à Milan, garda l'Italie, l'Afrique, peut-être l'Espagne[6], ayant à combattre les Germains sur les Alpes, les tribus du désert sur l'Atlas. Constance eut la Gaule et la Bretagne, c'est-à-dire la tâche peut-être la plus pénible. De son camp ou de son palais de Trèves, il avait à gouverner la Gaule, à combattre les Francs vers le Nord, les Alemans sur le Haut-Rhin, les pirates sur toutes les côtes ; il fut chargé de détrôner, quand il se pourrait faire, l'usurpateur plus ou moins légitimé, Carausius, que l'on traitait selon les circonstances d'Auguste ou de pirate[7]. Deux mariages, et, pour arriver à ces mariages, deux divorces, accompagnèrent l'élection des nouveaux empereurs. Une épouse, pas plus alors que du temps d'Auguste, ne comptait pour grand'chose. Il fut convenu que Galère et Constance répudieraient les leurs pour épouser, l'un Valérie fille de Dioclétien, l'autre Théodora fille de la femme de Maximien. La femme répudiée de Constance était Julia Helena, Bithynienne d'origine, aubergiste de profession (stabularia), que dans ses expéditions militaires à travers le monde il avait unie à son sort, et que nous vénérons aujourd'hui sous le nom de sainte Hélène[8] Qu'elle lui fût unie par le lien du mariage (justæ nuptiæ) selon la loi romaine, ou par ce lien légal, mais secondaire, que l'on appelait alors du nom de concubinat, peu importe ; ces deux sortes d'unions, exclusives l'une de l'autre, étaient également permises par la loi et acceptées par l'Église. L'humble Bithynienne, sacrifiée à cette tyrannie de la politique que les cours modernes elles-mêmes sont loin d'avoir toujours ignorée, alla gémir dans l'obscurité et dans l'exil, emmenant avec elle le jeune homme de quinze ans, son fils, qui devait bientôt changer la face du monde. Les nouveaux Césars du reste étaient loin de se ressembler entre eux. Tous deux étaient des généraux braves, énergiques, habiles ; tous deux, nés du même pays, avaient du sang barbare dans les veines ; et leur éducation avait été celle de ces barbares quelque peu romanisés qui formaient la moelle des armées impériales[9]. Mais Galère, d'une nature assez analogue à celle de Maximien, Galère qui, dans les montagnes de la nouvelle Dacie, avait commencé par garder les troupeaux et auquel le surnom de Bouvier (armentarius) était resté, Galère était le barbare violent et brutal, incapable de résister à aucune passion. Il était de plus païen superstitieux, et, comme Aurélien, il devait ses superstitions à sa mère. Celle-ci, habitant la Dacie transdanubienne, avait été forcée par les incursions sarmatiques de fuir sur l'autre rive du fleuve ; fervente adoratrice de ses dieux, elle leur offrait de fréquents sacrifices, et conviait ses voisins et ses serviteurs à des festins où l'on mangeait les viandes immolées. Mais parmi eux étaient des chrétiens qui s'éloignaient de ces banquets idolâtriques, jeûnaient ces jours-là et priaient avec une ferveur plus grande. Ce souvenir avait laissé à la montagnarde Romula une haine violente contre les chrétiens, et elle avait transmis cette haine à son fils[10]. Le César Constantius était tout autre. Il avait souffert, lui aussi, les misères de la vie de paysan et les rigueurs de la vie de soldat ; et, quoiqu'il fût petit-neveu de l'empereur Claude[11], ce qui était un honneur, non une richesse, dans sa jeunesse on l'avait surnommé le pauvre[12]. Mais sa nature plus distinguée et son intelligence plus pénétrante l'avaient élevé au-dessus de la rusticité agreste et militaire de ses collègues. C'était bien comme Dioclétien le barbare sage, intelligent, maître de lui-même ; mais en même temps, avec plus de hardiesse et d'activité, il avait davantage le goût de ce qui est élevé et le sentiment de ce qui est honnête ; il était à la fois et plus homme de guerre et homme plus intelligent. La Gaule devait se rappeler cette victoire de Vindonissa sous Aurélien par laquelle elle avait été délivrée d'une irruption menaçante des Alemans. Et, d'un autre côté, quoique les lettres ne lui eussent pas été enseignées, il les appréciait, les aimait, les protégeait. Sans être chrétien, il sentait mieux qu'aucun de ses collègues la puissance et la supériorité morale du christianisme ; il ne se faisait pas faute de se railler des dieux. Et ce n'était pas chez lui le scepticisme brutal et insouciant des Épicuriens : en ce siècle, plein de lumières s'il eût voulu en profiter, il y avait place pour un déisme plus complet, plus certain, plus avoué que celui de Platon[13] ; Constance croyait ouvertement au Dieu unique[14]. Un autre mérite de Constance, secondaire sans doute, mais bien important néanmoins, le distinguait de ses trois collègues. Bien qu'il eût vécu paysan, barbare, pauvre, le faste et la richesse ne l'éblouissaient pas. Il j avait ou dans sa nature ou dans sa race une certaine distinction qui l'empêchait de ressembler aux parvenus vulgaires dont le défaut est de ne se croire jamais assez riches. La sagesse de Dioclétien l'abandonnait en fait de finances ; et, en même temps qu'il pourvoyait habilement à la défense de l'Empire contre les déprédations du dehors, il le ruinait au dedans par les déprédations du fisc. Constance comprit que c'était là un fléau pire que les barbares et qui, appauvrissant l'Empire, en ouvrait la porte aux barbares. Petit-neveu d'empereur, il sut se passer du faste grandiose et vulgaire qui entourait ses collègues ; fils de paysan, sa vie fut celle d'un soldat ; sa cour de Trèves fut un camp ; au lieu de faire des Gaulois riches ou pauvres les victimes de son avidité, il aima mieux s'en faire des amis par sa modération et son désintéressement. Ces amis-là, quand il donnait un festin, lui portaient volontiers leur argenterie pour orner sa table. Ces amis-là vinrent à son aide, un jour où Dioclétien, qui ne comprenait rien à un tel système financier, reprocha à Constance sa pauvreté : Sois donc riche ! lui écrivait-il en voyant combien dans la Gaule les agents fiscaux étaient modérés et les contribuables à leur aise ; tu trahis la république. Où est ton épargne ? où sont tes trésors ? Je t'envoie de mes amis, montre-leur tes richesses. Et les agents de l'avare Auguste réclamèrent en effet de l'économe César l'ouverture de ses coffres. Mais Constance avait eu soin de s'entendre avec quelques capitalistes ses voisins et ses amis ; et dès le lendemain, des millions de lingots et d'écus apparurent aux yeux des investigateurs étonnés. Voilà mes trésors, dit-il, je les laisse d'ordinaire entre les mains d'amis fidèles et sûrs, mais les voilà. Grande sagesse, s'il voulait dire par là, ce que les rois modernes eux-mêmes ont eu tant de peine à comprendre, que leur vraie richesse est la richesse de leurs sujets ! Le jour suivant, les envoyés repartaient émerveillés, les trésors retournaient à leurs légitimes possesseurs ; et, si Dioclétien se fâcha quelque peu du tour qu'il ne manqua pas sans doute de découvrir, la Gaule, lorsqu'elle le sut, dut n'y voir qu'un sujet de satisfaction[15]. Mais quelle que fût la supériorité morale de Constance sur ses collègues, Dioclétien y compris, tous à cette heure-là rendaient service à l'Empire. L'Auguste Maximien et les deux Césars en étaient les utiles soldats ; Dioclétien en était et en fut longtemps le chef suprême, le chef politique prudent et habile. Le métier de César n'était pas, en effet, un métier d'oisif. A peine le règne des quatre empereurs pro-. clamé, ou, comme on disait, la Tétrarchie installée, il fallut courir à l'ennemi. Maximien avait les Quinquegentiens (les cinq nations) à combattre en Afrique[16] ; Galère rencontrait sur le Danube la nation sarmatique ou germanique, appelée Carpes ; Constance avait les Chauques et les Francs à repousser, et il avait Carausius ouvertement allié à ces barbares à chasser du port de Boulogne qu'il avait pris. Tout réussit à la gloire de l'Empire renouvelé. — L'Afrique fut pacifiée ; le tyran Julianus, qui y avait régné quelque temps, fut réduit à se frapper de son épée et, n'ayant pu se donner ainsi la mort, à se jeter tout sanglant dans les flammes[17]. Les nations danubiennes furent vaincues ; la race carpique qui avait, à bien des époques, donné du souci aux empereurs, se soumit tout entière et se laissa transporter dans quelque partie inhabitée de la province de Pannonie (295)[18]. — Dans la Gaule enfin, on ne se contenta pas de défendre la frontière, on la franchit ; l'Alémannie fut ravagée depuis le Rhin jusqu'au Danube[19]. Constance rendit Gessoriacum (Boulogne) à l'Empire et lui rendit en même temps les marins jadis romains qui avaient défendu ce port contre lui-même et qu'il eut la sagesse d'épargner[20]. La Gaule refleurit ; des milliers de barbares transportés dans ses champs incultes lui rendirent la fertilité[21] ; Autun dévasté fut rétabli et recouvra, grâce aux libéralités des empereurs, ses thermes, ses temples, son Capitole, ses écoles. En un mot, pendant un an ou deux, il semble que sur aucune frontière il ne fût plus question de barbares. La Tétrarchie impériale et Dioclétien qui en était le chef avaient attendu ce moment pour compléter enfin l'unité romaine, et faire disparaître tout ce qui n'émanait pas directement du dieu de Nicomédie. Jusque-là, en effet, deux larges taches diminuaient encore la splendeur du tableau ; deux vastes provinces vivaient en dehors de la loi commune : Achillée, proclamé en Égypte, s'y maintenait toujours, et la Bretagne demeurait indépendante sous le principat longtemps toléré, sinon accepté, de Carausius. On crut qu'il était temps d'en finir avec ces deux monarchies nationales. Dioclétien lui-même (296) se chargea de détruire celle d'Égypte. L'Auguste égyptien, Achillée, fut par lui assiégé dans Alexandrie pendant huit mois, pris et mis à mort[22]. Cette royauté avait été réellement nationale, et la preuve en est la proscription cruelle que Dioclétien jugea nécessaire pour affermir sa victoire. Deux grandes cités, Coptos et Busiris dans la Haute-Égypte, furent livrées par lui au pillage ; il y eut de nombreuses sentences d'exil, de nombreuses exécutions. La guerre fut même faite au sacerdoce égyptien et à ses livres[23]. Mais, en même temps qu'elle versait ainsi le sang, la puissance romaine donnait un autre témoignage de sa faiblesse. Pour se préserver des attaques de ses anciens ennemis, les Blemyes, elle cédait, non-seulement aux Nubiens pour qu'ils défendissent la frontière romaine, mais même aux Blemyes pour qu'ils la respectassent, une bande de terre au sud d'Éléphantine, longue de sept journées de chemin, à condition que les Nubiens, placés là comme en sentinelle, seraient les défenseurs de la province romaine. Un tribut annuel fut assuré à ces barbares, et, dans l'île de Philé située sur le Nil auprès d'Éléphantine, un temple fut bâti en témoignage de l'alliance des deux peuples, romain et nubien ; des sacrifices s'y firent pour l'un et pour l'autre par des prêtres des deux races. Là aussi, Rome ne se défendait contre les barbares qu'avec des barbares[24]. La guerre de Bretagne devait être plus grave. Moins nécessaire sans doute que l'Égypte à la vie de l'Empire, la Grande-Bretagne était néanmoins une province riche, peuplée, industrieuse ; ses mines alimentaient le monde romain ; ses artisans étaient devenus indispensables aux autres provinces ; et dès cette époque sa position au milieu de l'Océan assurait à qui régnait en Bretagne la domination de la mer. En s'alliant aux Francs et à d'autres barbares, Carausius s'était fait comme un royaume de terre ferme, voisin de la Gaule et menaçant pour elle ; il avait ainsi pied sur les deux rives de la mer du Nord. La cause de l'indépendance bretonne eût peut-être triomphé si elle eût pu garder Carausius. Mais un de ses officiers, Allectus, l'assassina (293) ; et, comme c'était d'usage dans le monde romain, l'assassin fut le successeur de la victime. Sons ce règne d'un meurtrier, l'indépendance bretonne devint anarchie ; les Francs barbares furent les seuls maîtres, mais aussi la seule force, du pays opprimé par eux ; les Bretons indigènes qui étaient romains par les mœurs commencèrent à soupirer pour le retour à la domination romaine. Constance ne marcha cependant que pas à pas. Il fallait avant tout donner à l'Empire une marine ; car la défection de Carausius lui avait enlevé la sienne, et les tentatives de Maximien pour en former une avaient été malheureuses. Cependant, dès le vivant de Carausius, Constance, nous l'avons dit, avait repris Gessoriacum ; un peu plus tard, une guerre difficile et heureuse dans les parais bataves abattit les alliés continentaux de la Bretagne[25] ; et enfin, pendant que Maximien, venu d'Italie, tenait en échec les peuplades germaines du Rhin, Constance songea à s'embarquer. L'ardeur des soldats romains qui suivent, malgré une mer orageuse et un vent défavorable, la nef aventurée de leur général ; la brume envoyée par les dieux qui cache à la flotte d'Allectus, stationnée près de l'île de Wight, le débarquement de l'armée romaine ; la terreur éperdue de l'ennemi ; la facile défaite des Francs dont l'habit barbare et la chevelure rutilante se font reconnaître sur des milliers de cadavres ; Allectus trouvé mort vêtu d'une simple tunique et sans cette pourpre qu'il a usurpée ; Londres surprise par une partie de la flotte romaine, qui, séparée du reste par le brouillard, remonte la Tamise presque sans s'en douter ; Londres surprise, et en même temps sauvée, car les barbares fugitifs allaient la piller pour se dédommager de leur défaite ; la joie des Bretons délivrés de leur royauté nationale et ravis de redevenir romains ; la province romaine tout entière recueillie ; les Barbares du nord de la Bretagne, Pictes et Scots, amenés à respecter la suprématie de Rome : tout cela est décrit avec enthousiasme, avec quelque exagération peut-être, par le rhéteur Eumène dans un panégyrique solennel[26]. Quoi qu'il en soit, la gloire fut grande pour Constance, plus grande encore pour son préfet du prétoire Asclépiade qui avait été le véritable chef de la flotte romaine ; la joie de la Gaule délivrée d'un redoutable voisinage fut vive et sincère ; la satisfaction des empereurs dut être complète ; car désormais ils tenaient entre leurs mains le monde romain tout entier, après avoir vaincu tous les barbares et châtié tous les usurpateurs. Il leur manquait cependant quelque chose : une victoire sur la Perse, pour venger les humiliations de Valérien que les victoires de Probus n'avaient pas encore assez vengées. Le roi de Perse Narsès (Narsy)[27] servit l'Empire à souhait en envahissant l'Arménie, royaume à demi indépendant, vassal de Rome et de Ctésiphon, pomme de discorde entre les deux États. Dioclétien, content de ses lauriers égyptiens, fit venir Galère du fond de l'Illyrie, pour le charger de cette guerre orientale. Cette première attaque, dirigée avec une confiance trop hâtive, ne réussit pas ; Galère fut vaincu et vint demander à Dioclétien les moyens de réparer sa défaite. Il fut reçu avec une singulière hauteur ; Dioclétien, qui était en route quand il rencontra Galère, le laissa marcher plusieurs milles à côté de sa litière, revêtu de la pourpre. Dioclétien était un esprit intelligent, mais une âme basse ; deux choses qui par malheur ne sont pas incompatibles. Ne disons pas aux grands hommes que le génie est une de leurs vertus ; trop souvent ils en font un vice. Cette fois du reste Dioclétien commettait une faute ; il semait un ressentiment qui devait le perdre. A force d'humiliations et de prières, Galère obtint cependant une armée. H connaissait maintenant la puissance de son ennemi. Il ne l'attaqua point du côté de la Mésopotamie où il venait d'être vaincu ; il l'attaqua par la frontière plus vulnérable de l'Arménie, il l'attaqua avec des troupes plus nombreuses et mieux préparées : marchant avec précaution, faisant lui-même des reconnaissances avec un ou deux cavaliers seulement, se déguisant même pour aller à titre de parlementaire explorer le camp ennemi. Aussi cette fois Narsès fut vaincu, blessé ; ses femmes, ses sœurs, ses enfants, ses trésors tombèrent entre les mains de Galère ; et, retiré dans les déserts à l'autre extrémité de son royaume, il fut réduit à envoyer une ambassade redemander sa famille et demander la paix. Il ajoutait : N'éteins pas l'empire persique. Cet empire et le tien sont les deux soleils et les deux yeux de la terre. L'un disparu, l'autre perdra sa beauté. Galère ne manqua pas de cette noblesse que le premier moment après le triomphe donne quelquefois même à des âmes peu élevées. Les femmes prisonnières furent traitées avec un respect auquel elles ne s'attendaient pas et qui rehaussa dans l'esprit des Perses la dignité morale de la race romaine. Quand l'ambassadeur de Narsès arriva au camp romain, Galère répondit d'abord avec colère en rappelant l'affront que Narsès avait fait subir à Valérien. Mais, ajouta-t-il, il est dans nos mœurs de briser les superbes, et d'épargner ceux qui se soumettent. Je renverrai à ton roi sa famille, et je parlerai de la paix à Dioclétien Auguste. Quand, après cette campagne, l'Auguste et le César se revirent, Dioclétien eut à payer par des honneurs et des courtoisies envers le César vainqueur l'affront qu'il avait fait subir au César vaincu. Galère eût volontiers rêvé une immense conquête : la Perse devenant romaine, les aigles de Rome touchant l'Inde et peut-être la Chine. Dioclétien, plus mûr, avait compris que l'empire romain n'était déjà que trop grand, et que c'était une folie de ne pas souffrir un roi à Ctésiphon ou à Persépolis, lorsque, si récemment encore, il avait fallu en souffrir un à Alexandrie et un à Londres. Le roi de Perse de son côté commençait à se montrer plus récalcitrant ; et lorsqu'un envoyé romain lui arriva, il le fit longtemps attendre, pour le laisser reposer, disait-il, mais en réalité pour rassembler les restes de son armée et lui faire croire que la Perse n'était pas épuisée. Quoi qu'il en soit, la paix se fit, glorieuse pour les Romains ; car cinq provinces, du côté de l'Arménie, furent ajoutées à l'Empire[28] ; le Tigre et plus au Nord l'Araxe furent déclarés frontières ; la Mésopotamie, tant de fois disputée, fut définitivement province romaine. L'Arménie vassale de Rome fut agrandie ; l'Ibérie voisine du Caucase reçut un roi de la main des empereurs : paix glorieuse et en même temps équitable, qui put se maintenir pendant quarante ans (297). Telle était donc et telle fut pendant les cinq années suivantes la fortune .des empereurs et celle de l'Empire ; Aurélien et Probus ne l'avaient pas vue si complète. La sûreté des frontières de plus en plus grande, quelques tribus de barbares qu'on achève de vaincre et dont les captifs vont féconder les terres romaines, sont les seuls souvenirs que laissent à l'histoire ces heureuses années, oubliées comme les années heureuses le sont en général dans la vie des peuples, et même dans la vie des hommes. Une seule fois, on nous parle d'un grand péril et d'une grande victoire de Constance : surpris auprès de Langres, par une subite incursion des Alemans à travers les Vosges, il eut à peine le temps de regagner cette ville dont les portes étaient déjà fermées et de se faire hisser au moyen d'une corde par dessus le rempart. Mais quelques heures après ses légions arrivèrent et il remporta une éclatante victoire. On aurait donc pu croire que l'empire romain allait
retrouver sa jeunesse, et nous admettons que le langage du panégyriste
n'était pas ici trop exagéré : Tout ce que Rome a
possédé à différentes époques, disait-il, elle
le tient réuni aujourd'hui... et réuni dans
la paix. Toute cette grandeur, qui par son excès même parut jadis prête à se
dissoudre, est maintenant unie et consolidée. Pas une région, pas un peuple
qui ne soit ou maintenu par la crainte, ou soumis par les armes, ou attaché
par un respectueux amour. S'il y a encore sur certains rivages des contrées
que votre désir ou votre intérêt soit de posséder, vous pouvez les conquérir.
Mais, par delà l'Océan, y a-t-il autre chose que la Bretagne ? et la Bretagne
vous a été rendue... Nous ne pouvons aller
plus loin, à moins de marcher vers les limites mêmes de l'Océan que la nature
interdit à nos recherches. Invincibles princes, à vous appartient tout ce qui
est digne de vous[29]. Et même, la vie intérieure de l'Empire, ne pouvait-on pas espérer qu'elle allait se relever ? L'Empire romain, depuis longtemps, manquait d'hommes, de cultivateurs, de soldats. Aujourd'hui la victoire lui en donnait. Des milliers de Lœti (puisque c'était le mot adopté), c'est-à- dire de barbares à demi esclaves, avaient été mêlés à la population romaine, dans cette condition du colonat qui, les répartissant entre des maîtres divers, assurait mieux leur résignation, et, ne les privant pas de la famille, assurait la perpétuité de leur race. Dés colons d'Asie étaient ainsi transférés par Dioclétien dans les plaines devenues désertes de la Thrace. Des Francs, sous Maximien, étaient venus remplir les vides que leurs ancêtres avaient faits dans la, population agricole nervienne (Flandre) ou trévire (Trèves) ; Constance avait livré à d'autres barbares vaincus par lui les champs restés sans culture chez les Ambiens (Amiens), les Bellovaques (Beauvais), les Tricasses (Troyes), les Lingons (Langres)[30] ; jusque dans les environs d'Autun, des Chamaves et des Frisons étaient devenus les serfs des propriétaires gaulois, et Autun se relevait par les mains d'ouvriers bretons. Des Carpes et des Bastarnes vaincus par Galère et par Dioclétien labouraient les champs de Pannonie[31]. On pouvait espérer que, dans cette demi-liberté qui leur était donnée, gagnés par la civilisation qui les entourait, ces ennemis de l'Empire formeraient un jour comme une nouvelle race romaine. Les Romains du temps de Dioclétien n'étaient guère que les esclaves affranchis des Romains du temps de César ; les Romains de l'avenir eussent été les serfs affranchis des Romains de Dioclétien. Le règne de Dioclétien durait déjà depuis dix-sept ans. Pour les hommes de cette époque, qui, pendant un demi-siècle, n'avaient guère vécu deux années sans une catastrophe, dix-sept ans c'était une éternité. La Tétrarchie, cette conception nécessaire sans doute, mais difficile à réaliser et à maintenir, subsistait depuis neuf ans, et depuis neuf ans nul froissement n'avait encore troublé l'union des quatre chefs ; l'Empire était partagé sans être désuni. On le devait sans aucun doute à l'habileté de Dioclétien, à la sagesse de Maximien et de Galère qui reconnaissaient en Dioclétien leur maître, au désintéressement de Constance qui l'acceptait comme tel quoiqu'il pût se croire son égal. Mais surtout une pareille union entre des hommes chez qui bien des vices se mêlaient à de grandes qualités, dont les liens de famille étaient fictifs, qui n'étaient Romains ni de sang ni de cœur, qui étaient collègues et étaient à peine concitoyens ; le miracle d'une telle union était l'œuvre de la Providence qui voulait donner au monde romain un temps de paix et de sécurité afin qu'il en profitât pour se faire chrétien. Car cette sécurité et cette paix étaient bien comme une journée de répit donnée à un malade, qui le console et le repose, mais ne le guérit pas. A tout prendre, le genre humain, cet éternel malade, quoiqu'il vive toujours, ne guérit jamais. Les plaies fondamentales de la société romaine subsistaient. Dans l'ordre matériel, que d'années de paix il eût fallu pour arrêter cette diminution de la race et cet appauvrissement du sol que nous avons décrits, plaies matérielles amenées par des causes morales et qu'une action morale seule aurait pu détruire ! Les transplantations de barbares destinées à recruter les nations et à fertiliser la terre pouvaient-elles se faire sur une assez grande échelle pour remédier au mal d'une façon sérieuse ? Si tous les Francs, Chauques, Carpes, Sarmates implantés dans l'Empire, doivent être évalués à un million d'hommes, c'est plus que nous ne pouvons croire ; et c'est vingt millions d'hommes peut-être qu'il eût fallu pour recruter le monde romain. Que d'années non-seulement de paix, mais de sagesse, il eût fallu pour guérir un autre mal et remédier aux plaies qu'avait faites l'imprévoyante et inintelligente rapacité du fisc ! Ce que Dioclétien donnait au monde par ses victoires et celles de ses collègues, il semble que par ses exigences fiscales, il eût hâte de le lui ôter. Il était à la fois avare et prodigue. Il fallait que des millions de lingots sommeillassent dans ses coffres exactement fermés : et il fallait en même temps que les dignitaires de son administration et de sa cour se multipliassent sans cesse ; il fallait que sa Nicomédie dont, par haine pour Rome, il voulait faire une autre Borne, que cette ville jadis royale fût bouleversée pour être la digne résidence de l'auguste cousin de Jupiter ; ici il lui fallait sa basilique, là son cirque, là son arsenal, là son hôtel des monnaies, là le palais de sa femme, ou le palais de sa fille. Un beau jour, un vaste quartier de la pauvre capitale est exproprié tout entier (exciditur ou exceditur ?) Hommes, femmes, enfants partent en pleurant comme d'une ville prise. Et pendant que Nicomédie embellie gémit ainsi, les autres cités gémissent, requises qu'elles sont d'envoyer à Nicomédie ouvriers, matériaux, chariots, etc. Puis, lorsqu'il semble que l'ouvre soit finie, lorsque les provinces se sont épuisées à la transformation de la capitale : Ce n'est pas bien, dit le maître ; démolissez et refaites autrement[32]. Et pour faire face à de telles dépenses, quelles ressources ? Les ressources d'un financier ignorant et d'un pays aux abois ; les ressources du sauvage qui coupe l'arbre pour en avoir le fruit ; les ressources d'un César embarrassé qui, ne sachant comment percevoir l'impôt, charge autrui de le percevoir, rend les décurions responsables pour la cité, le propriétaire pour ses colons ; les ressources même de Tibère et de Néron, s'il faut en croire Lactance, des dénonciations contre les riches, des peines capitales prononcées sous prétexte de complot et en réalité pour cause d'opulence[33]. La pauvreté de l'Empire poussait à ces tristes moyens qui accroissaient encore la pauvreté de l'Empire. Même en son temps le plus prospère, sous un Auguste ou sous un Trajan, le mondé romain eût-il pu faire face à cette administration si lourde, à ces fantaisies si coûteuses, à cette fiscalité si imprévoyante pour ne pas dire si criminelle ? Sous Dioclétien, il ne suffira pas ; et, malgré les nouveaux citoyens que la guerre fournit à l'Empire, malgré le colonat qui rive le cultivateur à la charrue, on fuit, on va se faire brigand, se faire barbare, se faire Bagaude ; les champs se dépeuplent, et dans la Gaule, dans Malle même, commencent à naître ces grandes forêts qui ne seront défrichées qu'au bout de cinq ou six siècles par le labeur patient des fils de saint Benoît. Nous objectera-t-on que nous parlons ici surtout d'après Lactance, presque contemporain, mais chrétien et qu'on peut soupçonner d'exagérer par haine pour la mémoire de Dioclétien ? Mais voici un autre témoignage. Lactance a vu surtout l'Orient ; nous allons voir ce qu'était même dans la Gaule l'appauvrissement du sol et de la race. Un peuple, des plus puissants jadis, des plus civilisés et des plus riches de la Gaule romaine, le peuple Éduen (Saône-et-Loire et Côte-d'Or) habite loin de la frontière ; les incursions des barbares l'ont rarement visité ; il a souffert sans doute sous le règne de Tetricus et au temps de la révolte des Bagaudes, mais à l'époque dont nous allons citer un témoignage[34], c'est-à-dire six ans après la fin du règne de Dioclétien, il jouit de la paix depuis un quart de siècle. Maximien, Constance, Constantin ont énergiquement et heureusement défendu le sol gaulois ; ils ont même donné aux propriétaires éduens des Germains prisonniers pour cultiver leurs terres ; les guerres du Rhin ont donc été pour leur pays plus profitables que nuisibles. L'administration intérieure sous Constance et sous Constantin a été modérée. Et cependant, lorsque Constantin paraît sous les murs d'Augustodunum, l'orateur qui le harangue au nom de la cité ne lui parle que de la misère du pays : Les terres ont été abandonnées par les colons et sont retombées en friche ; les vignes plantées au temps de Probus, il y a quatre-vingts ans à peine, et qui faisaient la gloire de cette contrée, ont vieilli, ont été désertées par les cultivateurs ; elles sont sans valeur aujourd'hui ; les chemins sont dégradés ; on ne peut plus payer l'impôt. Et Constantin a reconnu la justice de ces plaintes, et, au milieu des larmes de tristesse et de reconnaissance que les citoyens versaient autour de lui, il a réduit l'impôt d'un cinquième[35]. Voilà où en était, six ans après l'abdication de Dioclétien, un pays qui, depuis vingt-six ans, n'avait pas vu la guerre. Lactance, chrétien et juge sévère, Eumène, païen et panégyriste, se rencontrent ici dans le même témoignage. Un autre témoin va parler de même. Le bronze et la pierre se sont chargés de confirmer le récit de Lactance. Au milieu de cette sécurité intérieure de l'Empire, de ces triomphes sur les barbares, de ces phrases harmonieuses des rhéteurs qui célèbrent la prospérité publique, Dioclétien arrive à prendre une mesure à la fois extrême et maladroite, par laquelle il témoigne en même temps et de l'étendue du mal et de son ignorance du remède. Il est arrivé à Dioclétien ce qui depuis est arrivé à la Convention. Plus coupable que lui parce qu'elle seule était cause du mal, la Convention, après avoir découragé le travail, anéanti le commerce, créé la disette autant qu'on peut la créer, crut répondre aux clameurs du peuple et remédier au mal en donnant aux uns le droit d'acheter et en forçant les autres à vendre les denrées moins qu'elles ne valaient. Elle fit une, loi de maximum qui n'est certes pas sa plus grande honte, mais une de ses hontes. Les économistes du palais de Dioclétien furent aussi ineptes que ceux du Comité de salut public. Dioclétien, comme la Convention, crut faire la fortune des acheteurs en ruinant les vendeurs (sans penser que ceux qui vendent achètent aussi) ; et, voyant le travail découragé, le sol infertile, le commerce languissant, le peuple souffrant et exaspéré, il fit lui aussi sa loi de maximum, témoin irrécusable de la pauvreté de l'Empire et du peu d'intelligence du prince. On avait jadis proposé à Alexandre Sévère une loi de maximum relative seulement à certaines denrées ; mais, honnête et intelligent, il l'avait rejetée et avait su trouver à un mal passager d'autres remèdes. Ici le mal était radical et la main du chirurgien profondément inhabile. Dans le préambule de son édit, dont la latinité barbare et entortillée est elle-même un signe de décadence, après avoir fait un emphatique éloge de son propre règne et de la félicité qu'il a donnée à son peuple, il se plaint de la cupidité qui élève le prix des denrées à des taux que nulle langue humaine ne saurait exprimer[36]. C'est un fléau qui s'accroît sans cesse. Les peuples souffrent des exigences du commerce ; les armées souffrent davantage encore ; partout où elles passent, le prix des denrées décuple sur leur route ; grâce à l'accaparement d'une seule denrée, le soldat ne profite ni de sa solde, ni des largesses des empereurs[37]. — N'est-ce pas dire assez clairement que l'Empire s'appauvrit, que l'entretien des armées pèse lourdement sur les peuples, que leur passage est ruineux pour une province ? — Dioclétien convient cependant qu'il n'en est pas de même dans toutes les provinces, que quelques-unes jouissent des avantages du bon marché[38]. Il ne se demande pas comment cela se fait, et si ces provinces favorisées ne sont pas celles de l'Occident où Constance modère l'élan de la fiscalité. H aime mieux s'en prendre aux trafiquants, propriétaires, ouvriers, qui exigent un prix excessif[39] de leurs denrées, de leurs marchandises, de leurs travaux ; en d'autres termes, il s'en prend à tout le monde de la souffrance de tout le monde. Il a averti, dit-il, il a attendu, il a patienté bien des années ; la cupidité de ces gens qui nagent dans les richesses[40] croît de jour en jour, d'heure en heure. Il faut en finir d'autant que le mal pèse sur les peuples, mais pèse aussi sur l'Empire lui-même ; si cela continue, il sera impossible d'avoir une armée[41]. Dioclétien fait donc ce que fera plus tard la Convention. Il fixe le prix de toutes les denrées depuis le blé et le seigle jusqu'à la soie, de tous les travaux depuis celui de l'ânier et du bardeaunier[42] jusqu'à celui du professeur et de l'avocat, sans égard pour les nuances infinies qui existent entre deux marchandises de même nature, sans respect peur la liberté des contrats, sans ménagement pour le sens commun. Comme la Convention, il ne donne pas à sa loi d'autre sanction que l'échafaud ; il prononce la peine capitale non-seulement contre celui qui vend trop cher[43], mais aussi contre celui qui achète trop cher[44], mais même contre celui qui se refuse à vendre et qui trouvant trop bas les prix du tarif garde chez lui ses denrées[45] — et en effet il ne faut rien moins que la crainte du supplice pour faire pratiquer une loi aussi impraticable — ; et il justifie cette législation sanguinaire par une raison bien digne de la Convention, et qui justifierait au besoin les lois les plus atroces : Que personne ne se plaigne, dit-il, de la dureté de la loi, on n'a qu'à observer ce qu'elle prescrit et on évitera le supplice[46]. Il n'en fut pourtant pas ainsi. Comme la loi de la Convention, celle de Dioclétien, malgré les nombreux supplices qui la suivirent, réussit mal à se faire respecter ; et (cela devait être), augmenta les prix au lieu de les diminuer. Le jour où elle disparut, les peuples furent heureux d'en revenir à leur misère première et de n'avoir à souffrir que le mal et non le remède. Voilà ce que nous racontent d'un commun accord et le bronze et le marbre et Lactance[47]. La plaie matérielle de l'Empire romain n'était donc pas en voie de guérison. Mais que dirons-nous de sa plaie morale ? Le mal, le paganisme, était-il en progrès ? Le remède, le christianisme, commençait-il à se faire accepter ? Oui, certes, il était accepté de plus en plus ; de plus en plus les peuples, dégoûtés des impurs breuvages qu'ils avaient connus jusque-là, cherchaient la coupe de vérité pour y tremper leurs lèvres. Mais les gouvernants, qu'en pensaient-ils ? Et la Tétrarchie eût-elle été capable de cette grande et salutaire résolution qui, en affranchissant le christianisme, n'eût pas tardé à rendre le monde chrétien ? A cet égard, la Tétrarchie n'était pas une, et on s'était probablement gardé de poser dans les conseils communs cette question du christianisme qui avait fait le tourment de tant d'empereurs. Chacun des Césars suivait de son côté les tendances de son esprit ; les plus intelligents, sinon les meilleurs, portés à la tolérance ; les plus violents et les plus aveugles à la persécution. Ainsi Constance, le plus digne sans aucun doute et le plus intelligent de tous ces princes, était en même temps le plus tolérant pour les chrétiens. Depuis qu'il gouvernait les Gaules, elles n'avaient plus de martyrs ; les églises étaient florissantes ; les fidèles grossissaient en nombre[48] ; et nous pouvons, nous qui n'appartenons pas au midi de la France, faire dater de cette époque la conversion à la foi du plus grand nombre de nos ancêtres. Ainsi encore Dioclétien, que sa prudence, sinon son équité, avertissait de ne pas se heurter inutilement contre la puissance du christianisme, Dioclétien, à cette heure, était tolérant ; il n'imposait peut-être pas expressément la tolérance à tous ses délégués — car il était dans sa nature circonspecte et timide de ne proclamer trop haut ni ses actes ni sa volonté —, mais de sa personne il la pratiquait. Son palais était plein de chrétiens, sa femme Prisca était chrétienne, sa fille Valérie l'était aussi. Le christianisme, ayant ainsi accès jusque dans la famille impériale, ne se faisait pas faute de gagner à lui les pages, les chambellans, les serviteurs du prince[49]. Dioclétien connaissait assez les hommes pour attendre une fidélité plus grande de la part de ceux qui étaient fidèles à leur Dieu. Cet exemple du prince, peut-être sans prescription expresse de sa part, était suivi dans les provinces. Eusèbe, qui avait vécu à cette époque et vécu en Orient, c'est-à-dire sous le sceptre de Dioclétien, nous décrit la paix et la prospérité des églises sous le règne de celui qui devait en être plus tard l'atroce persécuteur. L'empereur mettait même des chrétiens à la tête des provinces et les dispensait des cérémonies païennes qui eussent entaché leurs consciences. Les évêques étaient honorés même par les magistrats. Des anciennes et monstrueuses accusations contre les chrétiens, il n'y avait plus trace ni en Orient, ni ailleurs ; elles étaient tombées, on peut le croire, par le seul progrès du nombre des fidèles qui rendait leur vertu plus manifeste. Et, dès le jour où un préjugé ne faisait plus d'eux d'infâmes criminels, le bon sens faisait voir en eux. les plus hommes de bien de l'Empire. Aussi le peuple allait-il en masse vers eux ; comme dit Eusèbe, on se réfugiait dans la foi du Christ, car on avait trop éprouvé combien on était mal partout ailleurs. Les lieux de prière étaient insuffisants pour la foule qui venait s'y presser ; on les construisait plus vastes, plus nombreux dans chaque cité. Il en était autrement dans l'empire de Maximien et dans celui de Galère. Non que la pente des esprits ne fût là aussi vers le christianisme ; là aussi les prosélytes affluaient, il s'élevait des églises, Rome en comptait plus de quarante dans son enceinte. Mais ce progrès se faisait sous le feu, ou au moins sous la menace de la persécution. Ces deux princes, jadis pâtres et soldats, n'avaient appris dans les étables et les corps-de-garde où leur jeunesse s'était passée, ni ce que doit être la prudence d'un homme d'État, ni quelle est la valeur d'un honnête homme. Le christianisme les révoltait surtout dans l'armée ; et le christianisme, depuis que les légions avaient tant de labeurs et tant de périls à subir, se propageait de plus en plus dans l'armée. La supériorité du soldat chrétien, le calme de son courage, son obéissance consciencieuse, sa modération, son humanité, l'élévation de son intelligence, irritaient ces deux caporaux daces ou illyriens, qui avaient pu être courageux mais par tempérament, obéissants mais par nécessité. La grossièreté de l'esprit et des mœurs faisait pour eux partie de l'habit du soldat, et une âme pure, sous la casaque militaire, leur paraissait un scandale. Aussi l'exemple donné par la légion Thébéenne se renouvela-t-il plus d'une fois, et dans les Gaules, et partout où commandait Maximien. A Marseille, avant que les Gaules ne fussent sous la domination de Constance, le chrétien Victor, officier de l'armée, prisonnier, prêt à mourir, entraîne au baptême, puis au martyre, les trois soldats qui le gardent. A Cagliari, Éphysius est martyrisé après avoir converti les soldats qu'il commandait. A Rome, il semble que les massacres de soldats fussent continuels. Trente périssent un même jour sur la voie Appia, d'autres ensuite sur la voie Ardéatine. D'autres, ayant à leur tête le tribun Zénon, condamnés à cause de leur foi à travailler comme des manœuvres à la construction des thermes de Dioclétien, sont plus tard envoyés mourir aux eaux Salviœ, lieu déjà consacré par le martyre de saint Paul. Et le plus illustre de tous, Sébastien, chef d'une cohorte des domestici ; après avoir été pour ceux qui l'approchaient, soldats, gardes, juges, amis, ennemis, hommes, femmes, un apôtre dont la parole et l'exemple étaient irrésistibles ; Sébastien deux fois condamné, deux fois supplicié, monte au ciel précédé ou suivi de la foule de ses prosélytes[50]. Même dans l'Orient soumis à Dioclétien, lorsque Galère traversa les provinces d'Asie pour la guerre contre le roi de Perse, il mena la persécution avec lui. Dioclétien, que le souvenir de son arrogance forçait d'être humble, se taisait sans doute devant le vainqueur des Perses et lui laissa faire sur son passage tout ce qu'il voulut. C'est ce qui nous explique pourquoi, malgré la tolérance de Dioclétien, l'Orient nous présente pendant cette période de son règne un aussi long martyrologe. A Byzance moururent quarante soldats convertis par Callistrate qui périt avec eux ; trois cents, dit-on, à Nicomédie ; en Cilicie, le tribun André et toute sa cohorte, qui après avoir reçu le baptême, se retirant dans les montagnes, furent atteints dans les défilés du Taurus, firent en commun une dernière prière, et, comme les Thébéens, se livrèrent sans résistance aux bourreaux. C'est là cette persécution contre les chrétiens de l'armée dont parle Eusèbe, et qui pour lui, vivant en Orient, fut, après un long temps de tolérance, le prélude et la première annonce de la persécution universelle[51]. Il paraît qu'au moment de ces cruelles exécutions, les chefs de l'armée hésitèrent, non par un sentiment d'humanité et de justice, mais par un pur sentiment de prudence. Tant de braves soldats de moins t se disaient-ils, et dans un temps où l'Empire a un tel besoin de soldats ! Les empereurs eux-mêmes semblent avoir hésité. Dans les actes des martyrs, nous voyons Galère ordonner d'abord aux soldats chrétiens de quitter la milice ; mais bientôt il est effrayé du grand nombre de ceux qui se retirent, et met à mort ceux qu'il n'a fait que licencier[52]. Mais après tout, ce scrupule de prudence militaire n'avait fait épargner ni les Thébéens ni tant d'autres qui eussent été si nécessaires sur les champs de bataille. Maximien et Galère, plus païens encore que soldats, continuèrent d'accepter cette politique insensée ; il fut admis par eux que la milice et le christianisme étaient incompatibles, et qu'un tiers au moins de la population de l'Empire ne devait pas compter pour sa défense. Dès lors, que restait-il à faire aux soldats chrétiens ?
Il était entendu que porter les armes, marcher sous le drapeau, c'était faire
acte d'idolâtrie ; que le chrétien, par cela seul qu'il était dans l'armée,
reniait sa foi. Qu'avaient-ils à faire, sinon se dénoncer à leurs chefs,
jeter leurs épées, demander le martyre ? C'est ce que pensèrent au moins
quelques-uns d'entre eux. A Tanger, le jour de la fête de l'empereur, l'armée
est appelée à des sacrifices et à des banquets. Le centurion Marcellus
s'éloigne de cette fête païenne, jette son baudrier, s'écrie en face de la
légion : Je ne suis plus que le soldat du Roi
éternel, le Christ ; si tel le est la condition de ceux qui portent les armes
qu'ils doivent sacrifier aux dieux et aux empereurs, voilà mon cep de vigne
et ma ceinture, je refuse de servir.... On l'envoie devant le juge, qui, ayant lu
le rapport dressé contre lui, lui demande : Est-ce
ainsi que tu as parlé ? — Oui, c'est ainsi.
— Tu servais comme centurion ordinaire ? — Oui. — Quelle est donc ta
folie ? — Il n'y a point de folie chez ceux qui craignent le Seigneur.
— Tu as donc jeté tes armes ? — Je les ai jetées. — Menez-le
à la mort. — Que Dieu me soit propice.
On lui demande son nom. Qu'importe mon nom ? Il ne
m'est pas permis d'être soldat puisque je suis chrétien. Et à chaque
parole du proconsul, il répète : Je suis chrétien et
ne puis servir. On le condamne, il répond : Grâces
à Dieu ! Et il parle avec tant de dignité qu'il semble le juge de son
juge ; le greffier qui note ses paroles jette son stylet et ses tablettes, se
refuse à écrire une sentence inique et va à la mort comme l'accusé[53]. Maximien et Galère eussent pu juger cependant, par les suites mêmes de ces exécutions sanglantes, quelle était la puissance de la popularité croissante du christianisme. Le spectacle du martyre était plus contagieux maintenant que les peuples savaient mieux ce qu'étaient les chrétiens. — Tout le monde a lu comment, au milieu d'une vie de désordre, une pensée pieuse a traversé l'esprit d'Aglaé et de Boniface. Boniface, envoyé par elle en Asie pour rapporter des reliques des martyrs, est séduit par le spectacle du martyre, et ce sont les reliques de Boniface lui-même qui vont satisfaire le pieux désir d'Aglaé[54]. — Les bouffons eux-mêmes, que les empereurs faisaient venir sur le théâtre pour railler les mystères de la foi, étaient, au milieu de leurs momeries, saisis de la grâce, de chrétiens pour rire devenaient des chrétiens sérieux et de martyrs fictifs devrais martyrs. Le baptême ironique que Gélasius reçoit sur la scène se trouve par une action de la grâce être pour lui le vrai baptême ; les spectateurs qui l'applaudissaient tout à l'heure le tuent à coups de pied, et il meurt dans le vêtement blanc du néophyte[55]. — Ailleurs, un chrétien timide, appelé par les magistrats à participer à un sacrifice païen, n'ose ni refuser ni consentir ; il s'adresse à un joueur de flûte païen, le revêt de ses habits, l'envoie sous son nom remplir son rôle dans la fête idolâtrique ; mais au milieu de la fête, le joueur de flûte, soudainement éclairé, s'écrie : Je suis chrétien, et il va au martyre[56]. — En même temps que l'apostolat par l'exemple, l'apostolat par la parole continuait son œuvre. Six évêques martyrs gagnaient la Chersonèse Taurique[57]. Des cités presque entières devenaient chrétiennes. Lorsque à Samosate, Hipparque et six autres sénateurs de cette ville sont condamnés comme chrétiens par Galère, la cité tout entière se presse en pleurs sur leur passage ; les duumvirs, sous prétexte de leur parler des affaires de la ville, sollicitent du prince une entrevue avec eux, leur font ôter les cordes qui les bâillonnent, se mettent à leurs pieds : Nous n'avons pas à vous parler d'affaires, disent-ils, priez Dieu pour nous et bénissez-nous. Ces duumvirs, ce Sénat, ce peuple étaient chrétiens. En face d'une telle puissance du christianisme, un pouvoir tant soit peu sensé aurait reculé[58]. Aussi Dioclétien, là où il était le maître, continuait-il comme Constance à laisser aux chrétiens la liberté. Il comprenait qu'une doctrine arrivée à ce degré d'autorité et d'énergie doit nécessairement être tolérée ; que retrancher de la vie civile et de l'armée, ne fût-ce qu'un quart des citoyens, est un acte de démence partout, et, dans la situation où était son Empire, un acte de démence plus grave encore. Il gémissait sans doute de l'aveuglement de ses collègues, tandis que ses collègues, accusant sa tiédeur, appelaient de leurs vœux une persécution universelle, seule efficace à leurs yeux puisque les persécutions antérieures ne l'avaient pas été. En cela Dioclétien suivait les conseils de la sagesse humaine ; mais la sagesse humaine, même lorsqu'elle est dans le vrai, est bien faible contre les passions. Jusque-là l'ascendant de Dioclétien avait dominé dans l'Empire ; l'ascendant de Dioclétien serait-il toujours le même ? |
[1] La date de 292 est celle qu'assignent les anciennes chronologies. Mais j'ai exposé plus haut les motifs des savants modernes pour adopter la date de 293. Je vois cependant à cette opinion une difficulté que d'autres sans doute pourront résoudre. L'édit de rétractation de Galère, rapporté par Eusèbe (H., VIII, 17), et par Lactance (De mortib. persec., 34), porte dans l'un et l'autre de ces auteurs, la date du huitième consulat de Galère (311), et cette date est évidemment exacte, puisque Galère n'a pas survécu à son huitième consulat. Dans l'une et l'autre également, l'année tribunitienne est la 20e ; Eusèbe le dit expressément d'après l'édit, et Lactance, qui supprime l'intitulé de l'édit, dit (ce qui revient au même) que Galère, quelques mois après, allait célébrer son vingtième anniversaire. Or, si le principat de Galère datait seulement de 293, sa vingtième année eût commencé en 312 et son vingtième anniversaire fût tombé en mars 313.
[2] Quelques doutes peuvent exister sur la question de savoir lequel des deux Césars a été adopté par Dioclétien, et lequel par Maximien ; et même s'il y s en adoption dans le sens légal du mot. Mais il me parait certain, d'après Lactance (De mortib. persecut., 49), que Galère a été proclamé à Nicomédie, et par conséquent par Dioclétien. De plus, la situation géographique de son domaine le rapprochait de Dioclétien ; et à l'opposé, la situation du domaine de Constance le rapprochait de Maximien. Quant aux titres de Jovius et d'Herculius donnés aux deux Césars, voyez Inscrip. Orelli, 1051, 1061 ; Henzen, 5560 à 5566. Le nom de Maximianus donné à Galère viendrait peut-être d'une adoption légale qui aurait été contractée entre lui et Maximien pour établir un lien de plus entre les empereurs d'Orient et ceux de l'Occident.
[3] ....Flavius Julius Constantius (surnommé par les Grecs Chlorus, à cause de la pâleur de son teint ?) — né dans la province de Dardanie, voisine de la Mésie et de l'Illyrie, le 31 mars 250, — fils d'Eutropius et de Claudia, nièce de l'empereur Claude le Gothique. — D'abord, garde des empereurs (protector), puis tribun. — Ses guerres sous Aurélien, sa victoire à Vindonissa sur les Alemans. — Il gouverne la Dalmatie vers 282 ou 283. — Proclamé César le 1er mars 293. — Consul en 294, 297, 302. — Auguste, le 1er mai 305. — Meurt le 25 juillet 306.
Épouse : 1° sainte Hélène, 2° (en 293) Flavia Maximiana Théodora, fille d'un premier mariage de la femme de Maximien Hercule.
Ses enfants : — du premier mariage, Constantin, dont nous parlerons plus tard.
Du second mariage : Dalmatius, Annibalianus ; Julius Constantius, père de Julien l'apostat ; Flavia Valeria Constantia, femme de Licinius ; Anastasia ; Entropie.
[4] C. Valerius Galérius, né près de Sardique dans la nouvelle Dacie, en un lieu qu'il appela depuis Romulianum, fils de... et de Romula, celle-ci originaire de l'ancienne Dacie. — Proclamé César le 1er mars 293, prend le nom de Maximien. — Consul en 294, 297, 302. — Titres de Persique, Sarmatique, Adiabénique, Britannique (Orelli, 1062, Henzen, 5560), etc. — Auguste, par suite de l'abdication de Dioclétien, le 1er mai 305. — Mort en mai 311.
Épouse successivement : 1° N..., répudiée en 293, 2° (en 293), Galéria Valérie, fille de Dioclétien.
Fille née du premier mariage de Galère : Valérie Maximilla, mariée à Maxence, fils de Maximien.
Fils bâtard : Candidianus, né en 296, — mis à mort en 314.
[5] Eumène, Panegyric. ad Constant., 4.
[6] Il peut y avoir du doute sur la question de savoir à qui l'Espagne fut attribuée. Il est certain que, dans les péripéties des époques précédentes, elle avait suivi le sort de la Gaule, à laquelle sa situation géographique la rattachait davantage. Julien (Orat., I) la compte expressément dans le domaine de Constance. Les abréviateurs Aurelius Victor (de Cæsaribus) et Eutrope (X in princip.) le supposent aussi. Mais Lactance (De mortibus persecutorum, 8) nomme l'Espagne avec l'Italie et l'Afrique comme ayant formé le domaine de Maximien ; et plus bas, en parlant de la persécution à laquelle Constance a eu la gloire de se refuser, il dit que le monde entier, la Gaule seule exceptée, était dévasté par ces trois bêtes féroces (Galère, Dioclétien et Maximien). Les autres témoignages chrétiens (V. les Donatistes dans Optat) exceptent la Gaule seule de la persécution, quoiqu'elle ait en du reste quelques martyrs.
[7] Les noms des quatre princes se lisent réunis, entre autres monuments, dans l'inscription suivante : AETERNI IMPERATORES DIOCLETIANVS ET MAXIMIANVS AVGVSTI ET PERPETVI CAESARES CONSTANTIVS ET MAXIMIANVS (sur un pont près de Fossombrone. Orelli, 1055. Remarques les épithètes æterni appliquées aux Augustes, et perpetui aux Césars, pour établir la gradation. Comme on le voit ici et dans bien d'autres endroits, les actes de chacun étaient faits au nom de tous.
L'-ordre dans lequel les quatre noms sont placés n'est pas arbitraire. Nous avons des monnaies des quatre princes, semblables entre elles, mais qui diffèrent seulement par les lettres indicatives, P (rima) pour celles de Dioclétien, S (ecunda) pour celles de Maximien, T (ertia) pour Constance, Q (uarta) pour Galère. Les monnaies grecques indiquent les mêmes différences par les lettres numérales Α Β Γ Δ.
[8] Quoique les Anglais veuillent faire naître sainte Hélène à Colchester, et les Allemands à Trèves, les autorités les plus anciennes la font originaire du bourg de Drépane en Bithynie qui, de son nom, fut appelé par Constantin Hélénopolis. (Nicéphore Calliste, VII, 49. Eusèbe, Chron., 328. Procope, De ædificiis. Justin, V, 2).
Quant à la nature de l'union contractée par elle avec Constance Chlore, il ne peut guère y avoir de doute. Les justæ nuptiæ n'étaient pas permises entre un gouverneur ou commandant de province et une femme de sa province. Il fallait donc avoir recours à cette sorte de mariage morganatique appelé concubinat, qui, plus tard et lorsque l'empêchement cessa, put prendre le caractère du mariage solennel. C'est ce qui concilie les expressions si différentes employées par les écrivains : έζ όμιλιας γυναικός οΰ σέμνης καί οΰ κάτα νόμον συνελθοΰσης, (dit Zosime, lI, 8). — Spurius (Constantinus), dit la Chronig. Alexand. — Ex concubitu Helena. Eusèbe, Chronic. apud Hieronym. Et au contraire : Imperium nascendo meruisti, dit Eumène à Constantin (Paneg. Constantin., 3). — Te paterni lares successorem videre legitimum, ibid. 4. — Helena, uxor repudiata. Eutrope. — Dirempta conjugia. Aur. Victor., in Cæsarib. — Abjecta uxor prior. Aur. Victor. Épitomé. — VXORI DIVI CONSTANTII. Inscr. de Naples. Gruter, 1086. — DIVI CONSTANTII CASTISSIMAE CONIVGI. Inscr. de Salerne. Orelli, 1094.
Sous le règne de son fils, elle porta le titre d'Augusta. Voyez les inscriptions et les monnaies, cités ci-dessus. Sa fête est, comme on le sait, célébrée par l'Église le 18 août.
[9] Qui, quanquam humanitatis parum, ruris tamen et militiæ imbuti satis, optimi reipublicas fuere. Aurel. Victor., De Cæsaribus.
[10] Lactance, De mortib. persecut., 9, 11.
[11] Julien qui était, lui aussi, de cette race, fait dire par les dieux à Claude que, pour le récompenser de son amour pour sa patrie, sa postérité arrivera à l'Empire et le gardera longtemps. De Cæsaribus.
[12] Suidas, 1.
[13] J'ai cité (V. les Antonins, t. I, l. II, ch. IX et t. II, l. IV, ch. III, au sujet de Porphyre), des passages des philosophes du siècle précédent sur l'unité de Dieu. Voici un rhéteur païen qui parle devant Constantin : Suprême Auteur de toutes choses, dit-il, vous qui avez autant de noms que vous avez donné aux peuples de langages différents (car, le nom que vous voulez qu'on vous donne, nous ne le savons pas) ; soit qu'il y ait en vous une force et une pensée divine par laquelle, mêlé au monde entier, vous vivez dans tous les éléments et vous mouvez de vous-même, sans recevoir aucune impulsion du dehors ; soit que, distinct de ce monde, vous soyez une puissance élevée au-dessus de tous les cieux, et, de là comme d'une citadelle, fassiez descendre vos regards sur le monde qui est votre ouvrage ; nous vous prions, etc.. Panegyr. VIII, incerti ad Constantin., 26. — Et un autre : Dieu, arbitre de toutes choses, nous regarde d'en-haut, et, quelle que soit la profondeur des pensées humaines, il les pénètre toutes. Il n'est pas possible que, nous donnant le souffle qui nous fait vivre et les aliments qui nous nourrissent, la Divinité renonce au gouvernement de la terre, et ne juge pas la conduite de ceux dont elle protège les intérêts. Nazarii, Panegyr., 7.
Il ne faut pas cependant s'étonner de trouver un hommage de Constance à Mercure. Orelli, 1061.
[14] Eusèbe, de Vita Constantini, I, 17.
[15] Eusèbe, De vita Constantin., I, 14.
[16] Eumène, Panegyr. Constant., 5. Epithalam. Constantin., 8. Eusèbe, in Chron. Quelles étaient ces cinq nations ? on l'ignore.
[17] Ce Julianus est nommé seulement dans les deux Victors ; et celui de l'Épitomé le place en Italie ; mais c'est évidemment une faute de copiste. On a trouvé des monnaies impériales d'un M. Aurelius Julianus, que l'on croit pouvoir identifier avec lui. J'ai parlé plus haut d'un autre Julianus qui avait usurpé la pourpre et que Carinus avait vaincu.
[18] Eumène, Panegyr. Constantin., 8.
[19] A ponte Rheni (à Cologne ou à Strasbourg ?) usque ad Danubii transitum Guntiensem (le confluent du Danube et de la Günfl à quelques lieues au-dessous d'Ulm ?) Eumène, Panegyr. Constantin., 2.
[20] Eumène, Panegyr. Constantin., 6, 7.
[21] Eumène, Panegyr. Constantin., 1.
[22] Un cartouche a été trouvé dans le temple d'Esneh, portant, selon l'interprétation de M. F. Lenormant, ces mots écrits en hiéroglyphes : Aschils le grand dominateur. Ce ne pourrait être qu'Achillée. Ce serait une des dernières inscriptions hiéroglyphiques, l'usage des hiéroglyphes ayant cessé en ce siècle, et par suite de la domination anti-égyptienne de Dioclétien, et plus tard par suite de l'influence chrétienne. F. Lenormant, Revue archéologique, février 1870.
[23] Suidas, v° χημεια. Jean d'Antioche.
[24] Le panégyriste Eumène n'en dit pas moins : Niliaca tropea sub quibus Æthiops et Indus intremuit. Panegyr. Constantin., 5. Voyez Procope, De bello persico, 1. 19. Olympiodore (au cinquième siècle) compte, comme appartenant de son temps aux Blemyes, toute la vallée du Nil, de Syène jusqu'à Primis, comprenant les villes de Taphis et de Talmis, sur une longueur qu'il estime à cinq journées de chemin. C'était sans aucun doute ce territoire appartenant jadis à l'Empire, où les Blemyes s'étaient établis, et que Dioclétien, désespérant de les en chasser, céda aux Nubiens, ennemis des Blemyes, pour qu'ils tâchassent de les en expulser. Ils n'y réussirent pas, d'après le témoignage d'Olympiodore, et l'inscription citée plus haut, et qui nous montre au cinquième siècle les Nubiens encore aux prises avec les Blemyes. Sur les hostilités de ces deux peuples dès l'an 291, V. le discours de Mamertin pour le jour natal de Maximien, (Genethl. Maxim., 17), et le mémoire de M. Letronne, cité ci-dessus avec l'inscription.
[25] Eumène, Pan., l. II, 3, 8.
[26]
Eumène, Panegyr. Constantini, 11-20. Id., Pan. Const., 5, 7. — Incerti, Pan. ad Constantinum,
25.
[27] Berham (Vararanes), qui avait fait la guerre à Probes, était mort en 293. Son fils appelé comme lui Berham, et surnommé Séistantichah, avait régné quatre mois seulement (?). Narsy, second fils de Berham, régna jusqu'en 302 ou 303.
[28] Ces cinq provinces sont l'Intelène, la Sophène, l'Arzacène, la Carduène et la Zabdacène, situés à l'ouest du lac de Van et au sud de l'Arménie. V. Petrus Patricius, De legationibus, dans la collection des historiens byzantins.
[29] Eumène, Panegyr., II, 20.
[30] Eumène, Panegyr., II, in fin.
[31] Eumène, Panegyr., II, 9.
[32] Lactance, De mortib. persecut., 7.
[33] Lactance, De mortib. persecut., 7, 8.
[34] Il s'agit ici du discours du rhéteur Eumène, rendant grief, au nom de la ville de Flavia Æduorum (Augustodunum, Autun), à Constantin pour la remise d'impôt qu'il lui a accordée. Voici plus au long le passage que j'analyse dans le texte :
Nous avons en effet, dit-il, le nombre de colons et la quantité de terres portés au cens, mais les uns et les autres sont mauvais : les hommes paresseux, les terres infertiles. Que l'on ne compare pas nos profits à cens des Remi (Reims), des Nervii (Flandre), on de nos voisins les Tricasses (Troyes)..... Les champs ne répondent pas au travail des cultivateurs ; ceux-ci les désertent. Les cultivateurs, pauvres et obérés, n'ont pu ni creuser des canaux pour l'écoulement des eaux, ni défricher des bois ; tout ce qu'il y avait autrefois de terres seulement passables sont envahies ou par les marais ou par les ronces.
On fait, au canton Arebrignus (Beaune, Nuits, etc. 7) une réputation imméritée ; il y a bien dans ce canton un terroir fertile pour la vigne ; mais tout le reste n'est que rochers, forets, repaires de bêtes fauves. La plaine qui s'étend du pied des montagnes jusqu'à l'Arar (la Saône) était belle autrefois, à ce que j'ai oui dire, parce que des ruisseaux venus des montagnes se répandaient sans obstacles sur toutes les portions du sol partout cultivé ; mais par suite de l'abandon de la culture, les eaux sont devenues stagnantes, et les terres basses, jadis les plus fertiles de toutes, ne sont que gouffres et marais. Les vignes même, qui font l'admiration de ceux qui ne les ont pas vues, ont tellement vieilli qu'elles profitent à peine de la culture (ut culturant jam pœne non sentiant) ; leurs racines, dont nous ne savons pies l'âge, mille fois repliées sur elles-mêmes, comblent les fossés...
Dans les autres cantons, tu n'as pas vu ce que tu vois ailleurs : un sol cultivé presque tout entier et couronné de riches moissons, des chemins commodes, des fleuves d'une navigation aisée, baignant les murailles même des cités. Mais à partir de ce coude où la route revient sur ses pas pour aller vers la Belgique (Châlons, où Constantin venant de Trèves avait dû quitter les bords de la Saône pour aller à Autun), tout est dévasté, inculte, ruiné, silencieux, ombragé par les bois. La route militaire elle-même est inégale, entrecoupée de pentes ardues que les. voitures à demi pleines, parfois même les voitures vides ont peine à gravir. Aussi ne pouvons-nous arriver que lentement, quand il s'agit d'apporter au fisc les redevances que nous lui devons. Il nous est plus difficile de voiturer peu qu'à d'autres de voiturer beaucoup. Et nous devons d'autant plus, Empereur, rendre grâces à ta piété, toi qui as bien voulu, à travers ces routes difficiles, te détourner de ton chemin pour nous visiter. Eumenius, Oratio Flaviensium nomine, 6, 7.
[35] Sur cette diminution d'impôts, voyez Eumène, pro Flaviensiu., 9, 11, 13. Elle fut de 7.000 têtes (capita) sur 35.000. Cette expression fiscale de caput ne se rapporte pas, comme on pourrait le croire, à l'impôt de la capitation, mais à l'impôt foncier. Le caput était une quote-part d'impôt, toujours la même, afférente à telle ou telle partie du sol. Ainsi plusieurs petits domaines ne formaient qu'un seul caput, tandis qu'un grand domaine pouvait former plusieurs capita. Saint Sidoine Apollinaire parle de ses trois têtes, c'est-à-dire de sa triple cote d'impôt, qu'il serait enchanté qu'on lui enlevât :
Hic capita, ut vivam, tu mihi tolle tria. (XIII, 20).
Autant un pays contenait de capita, autant de fois il payait une somme déterminée d'impôt. Quand on voulait alléger ses charges, on diminuait le nombre de ses capita.
M. de la Malle (Économie politique des Romains, t. I, I. II, ch. 8) tire de ce passage des déductions ingénieuses. Il cherche d'abord à établir quelle était la valeur du caput, et, d'après une novelle de Majorien (Novell. IV, 1. Cod. Théod., t. VI), il l'estime en moyenne à une valeur foncière de 1.000 sous d'or, laquelle payait au fisc 2 sous ½ (le demi-sou à titre de frais de perception). Évaluant ensuite le territoire des Éduens à 1/48 de la France actuelle, il estime que la France tout entière renfermait 1.536.000 capita, ou 1.529.000 après la réduction de Constantin. Elle payait donc à cette dernière époque 3.827.500 sous d'or, que ce savant évalue à 57.757.975 fr.
Maintenant, se fondant sur le prix moyen du jugère de terre cultivée, telle que le donne Columelle (III, 3), et sur la valeur de 1.000 sous que Majorien attribue au caput, il croit pouvoir évaluer la contenance du capot à 60 et quelques jugères. Le sol français actuel ne contenait donc à cette époque que 101,500.000jugères environ, ou 25.660.000 hectares (le jugère était de 25 ares 28 centiares) de terres imposables.
Et enfin, le meure auteur, se fondant sur les rapports qu'il a cru pouvoir établir entre l'étendue des terres cultivées, la production du blé et le chiffre de la population dans le monde romain, induit de ce qui précède que la population du sol actuel de la France était, au temps des Romains, de 10.617.000 âmes seulement. Pour résumer en un mot sa triple conclusion, le territoire actuel de la France contenait à cette époque 10.600.000 âmes, vivant sur 25 millions 660.000 hectares de terres cultivées et payant 57 millions d'impôt. Nous sommes aujourd'hui beaucoup plus riches en hommes, en terres et surtout en impôts.
Je donne ces résultats qui méritent attention, mais où l'on sent bien que la conjecture peut avoir sa part. Les temps de Columelle, de Constantin et de Majorien sont bien différents, et il ne faut pas abuser du rapprochement de textes datant d'époques si éloignées.
[36] Pretia venalium rerum non decuplo aut octuplo... ut (exp) licare humanæ linguæ ratio non possit. (Édit de Dioclétien).
[37] Distractione
unius rei donativum militem stipendioque privari.
[38] Cum plurimæ interdum provinciæ felicitate optatitæ vilitatis et velut quodam affluentiæ privilegio glorientur.
[39] Improbos qui tot annorum reticentiam nostram præceptum modestiæ sentientes, sequi tamen noluerunt. — La Convention s'en prenait aussi à l'avidité et à la mauvaise foi des cultivateurs, qu'il fallait contraindre à main armée à vendre leur blé... (Thuriot, faisant passer le décret qui établit un maximum pour les grains. Séance du 3 septembre 1793).
[40] Quamvis singuli maximis divitiis affluentes. — De même : Faut-il pour enrichir quelques individus affamer la nation entière ? Faut-il que le salut de l'État soit entre les mains des laboureurs ? Et ce dernier mot qui est sublime : Ce décret empêchera les agents de Pitt d'acheter les blés pour les cacher dans des souterrains ! Thuriot, ibid.
[41] Et omnem totus orbis ad sustinendos exercitus collationem detestandis quæstibus diripientium cedere.
[42] Burdonarius, conducteur de bardeaux. Le bardeau (burdo) est un métis du cheval et de l'ânesse, plus commun à cette époque qu'il ne l'est aujourd'hui.
[43] Placet, ut si quis contra formam statuti humus conixus fuerit audentia capitali periculo subigetur. — Nous reproduisons textuellement l'inscription telle qu'elle est transcrite par les épigraphistes, sans décider si sa latinité excentrique doit être attribuée à Dioclétien ou à ses lapicides.
La Convention est aussi sévère que Dioclétien, soit contre les vendeurs, soit contre les acheteurs : Ceux qui vendront ou achèteront au-delà du maximum devront être inscrits sur la liste des personnes suspectes et traités comme tels. (Art. 7, loi du 8 vendémiaire, an II, séance du 25 septembre 1793). C'est bien là le capitali periculo subigetur.
[44] Eidem autem periculo etiam illi subdentur qui comparandi cupiditate avaritiæ distrahentis contra statua consensere.
[45] Ab ejusmodi quoque noxa immunis nec ille præstabitur qui habens species victui atque usui necessarias post hoc sui temperamentum existimaverit subtrahendas, cum pœna vel gravior esse debeat inferentis pecuniam quam contra statuta qualientis.
[46] Nec quisquam duritiam putet, cum in promptu adsit perfugium declinandi periculi modestiæ observantia. Ligne, 49, 50.
[47] Lactance se montre beaucoup meilleur économiste que Dioclétien : Cum variis iniquitatibus immensam faceret caritatem (Diocletianus), legem pretiis rerum venalium statuere conatus est. Tunc ob exigus et vilia multus sanguis effusus, nec venale quidquam metu apparebat, et caritas multo deterius exarsit, donec lex necessitate ipsa post multorum exitium solveretur. — De morte. persecut., 7. Lactance me confirme dans la pensée que le capitale periculum dont parle l'édit est bien la peine de mort.
Il semble, d'après son texte, que la loi ait été au bout de peu de temps formellement abrogée. Nous ne trouvons pas trace de cette abrogation ; mais sous les princes chrétiens, nous voyons prévaloir le principe contraire à celui de Dioclétien, et l'État lui-même payer ses réquisitions aux prix courants. Théodose, (384), 2. C. Th., XI, 15. Anastase, (494), 2. C. Just., XXVII, 2.
Sur les inscriptions qui nous ont conservé l'édit de Dioclétien et sur les détails de cet édit, voir l'appendice à la fin du volume.
[48] Eusèbe, De vita Constantini, I, 14, 17, 11, 12.
[49] Nous avons une lettre de Théonas, évêque, à Lucien, chef des chambellans (cubicularii) de notre invincible prince. On y voit qu'un grand nombre de ces fonctionnaires étaient chrétiens, entre autres celui qui tenait la cassette privée du prince, celui qui veillait sur sa garde-robe, d'autres qui étaient attachés au soin de sa personne. Cette lettre atteste en même temps le régime de tolérance sous lequel on vivait : La paix qu'un bon prince a donnée aux églises... Un prince qui n'est pas encore disciple de notre foi a cru devoir confier à des chrétiens la garde de sa vie et le soin de sa personne.
Cette lettre a été publiée par D. Luc d'Achery, dans son Spicilège en 1728. Elle me semble se référer évidemment aux dix-huit et surtout aux treize dernières années du gouvernement de Dioclétien en Orient, et dès lors il est naturel de l'attribuer à saint Théonas, qui fut évêque d'Alexandrie de 288 à 300.
[50] Soldats martyrs à Rome sous Maximien (284-302) :
30 soldats sur la voie Appia, 1er janvier. — SS. Sébastien, Claude, Nicostrate, Castor, Victoria (20 janvier), auxquels se rattachent les saints Cuisine (26 mars), Tiburce sous-diacre et Chromace son père (11 août), Marc et Marcellin (11 juin), Tranquillinus leur père (6 juillet), Anthimus prêtre et ses compagnons (11 mai), Zoé (5 juillet), Irène (29 janvier), saint Zénon, tribun, et 193 soldats condamnés au travail des thermes, puis mis à mort (9 juillet).
Autres martyrs à Rome, à la même époque :
Saint Caius, pape, 22 avril 296 (Voyez Eusèbe, VII, 32, et les livres pontificaux), auquel se rattache sainte Suzanne, vierge, (11 août) ; — saints Maximin de Cumes, Prepedigna sa femme, ses deux fils et Claude son frère, (18 février) ; — Gabinius, prêtre (19 février), — saints Primus et Félicien, frères (9 juin), — Genès, comédien (26 août), — Anastasie, (25 décembre).
Martyrs en Italie : SS. Crescentius, six autres et deux femmes (2 juillet), en Campanie ; — Julien prêtre et Césaire diacre, à Terracine, (1er novembre) ; — Prudentius, évêque à Atinum, (1er avril) ; — Serena à Spolète ? (30 janvier), (son culte à Metz) ; — Domninus, près de Parme (Borgo-San-Donnino), (9 octobre) ; — Félix et Fortunat, (11 juin ou 4 août) ; — Chrysogone, (24 novembre) ; Cant, Cantien, Cantianilla et Protus leur précepteur, (31 mai), tous à Aquilée ; — Zénon et Justine à Trieste, (13 juillet) ; — Ephysius, officier de l'armée, à Cagliari, (15 juillet).
En Afrique : à Césarée en Mauritanie, Marciana vierge, (2 ou 9 janvier). — A Thébeste en Numidie, Maximilien, fils de soldat, (12 mars 295). V. les Acta sincera. — A Tanger, Severus, Securus, Januarius, Victorinus, (2 décembre), et le greffier Cassianus, (12 mars). — Le centurion Marcellus et ses douze fils, (23 et 30 octobre). V. les Acta sincera.
En Espagne : à Girone, SS. Vincentius, Orontius, Victor, Aquilius et son mari, (22 ou 30 janvier). — Justa et Refina vierges, à Séville, (19 juillet). En Illyrie : S. Ursicinus ou Ursicius, soldat, (14 août). — En Macédoine : Agape, Chlonie et Irène, sœurs, à Thessalonique, (3 ou 5 avril).
[51] Eusèbe, H. Ecclés., VII, 1, VIII, 4.
Soldats martyrs en Orient avant la grande persécution (284-302) :
Saint Callistrate et 49 soldats, probablement à Byzance, 28 (24, 27 ?) septembre. — 6628 soldats, parmi lesquels cinq préfets, (on nomme SS. Aithale, Junius, Philippe, Théodote à Nicomédie, 2 septembre. Ils se confondent probablement avec les martyrs nombreux, mentionnés au 4 septembre et au 28 décembre). — Saint André, tribun, et un grand nombre de soldats, en Cilicie, 19 août, au temps de la guerre contre les Perses. — Saint Hipparque et sept autres, à Samosate, le 9 décembre, au retour de la guerre de Perse. — SS. Sergius et Bacchus, tous deux appartenant au palais de l'empereur, en Comagène, 7 octobre. — Les lieux indiqués appartiennent aux provinces que l'armée de Galère a dû parcourir en allant en Perse ou en en revenant.
[52] Ainsi, dans les actes de S. André, Maximien (Galère), voyant le grand nombre de soldats arrêtés pour fait de christianisme, les fait mettre en liberté et les laisse s'éloigner ; un peu plus tard on se met à leur poursuite.
[53] Actes de saint Marcellin (30 octobre), et de saint Cassien, greffier (3 décembre), dans les Acta sincera de Ruinart. De même saint Maximilien (12 mars, ibid.), appelé pour la milice comme fils de soldat, répond qu'il ne peut être soldat parce qu'il est chrétien. On lui objecte que, dans le palais des empereurs, il y a des chrétiens soldats : s Ils savent, répond-il, ce qu'ils ont à faire. Je suis chrétien, et ne peux faire le mal. De même un peu plus tard, pendant la grande persécution, saint Taraque déclare qu'il a renoncé à la milice parce qu'il était chrétien (Ibid., 11 octobre). On comprend que le service militaire, possible autrefois pour les chrétiens, possible encore sous le régime tolérant de Dioclétien et de Constance, ne le fût plus désormais à raison des exigences idolâtriques de Maximien et de Galère.
[54] Saint Boniface, romain, martyr en Cilicie, 14 mai (19 décembre). V. Ruinart, Acta sincera.
[55] S. Gelasius, comédien, martyr à Héliopolis en Égypte (27 février). Chronique pascale sur l'an 13 de Dioclétien (497). — Ce fait n'est-il pas le même que celui de saint Génésius qui, à Rome (?), devant Dioclétien, reçut le baptême de la même façon, se déclara chrétien et mourut décapité par ordre de l'empereur (28 août. V. Théodoret, évêque de Cyr, Sermo V, 11, de martyribus). En Orient, le mime Ardalion, jouant devant Maximien (Galère) et représentant un martyre, souffre de véritables tortures ; comme les spectateurs admirent sa patience, il déclare qu'il est véritablement chrétien et est jeté au feu (14 avril).
[56] Saint Philémon, martyr à Antinoë en Égypte, 8 mars. Avec lui périrent pour la foi, Apollonius qui l'avait envoyé à sa place, Arianus son juge, Théotychus, un des gardes et trois autres.
[57] SS. Éphrem, Basilæus, Eugenius, Agathodore, Elpidius, Ætherius, Capito. — 7 mars (22 septembre).
[58] Saint Hipparque et sept compagnons, martyrs à Samosate, 9 décembre 297 (à l'époque du retour de la campagne de Perse). — Autres martyrs en Orient : sainte Cléopatrine, vierge en Asie, 8 mars. — SS. Maxime, Quintilien et Doda, à Dorostore en Mysie 13 avril. — A Eges en Cilicie, Sabbatius, 27 septembre ; Claude, Aster, Neo, Domnina et Théonilla, 23 août (V. Ruinart) ; Côme et Damien, frères jumeaux, médecins, et trois autres, 27 septembre (1er juillet, 17, 28 octobre). — A Laodicée d'Asie, Trophime et Tatius, 11 (16 mars). — A Byblos en Phénicie, Aquilius, vierge, martyre à 12 ans, 13 juin 291. — En Égypte, Sabinus on Abibus, 13 (12) mars. — A Cyrène, Cyrilla ou Cyprilla, veuve, Lucia et Aræa, ses servantes, 5 juillet.