A la mort de Claude, l'omnipotence du soldat produit son fruit ordinaire. Deux armées font chacune un empereur. L'un d'eux est le frère du dernier prince, Quintilius. Il est doux, sage, digne, intelligent. Ne serait-il pas frère de Claude, il n'en mériterait pas moins l'empire. Rome est unanime pour lui. Soldats, sénat, peuple le proclament tout d'une voix. Il règne dix-sept jours. La cause de cette fin si prompte, c'est qu'en Pannonie, auprès du lit de mort de Claude, sans peuple ni Sénat, une autre armée a fait un autre empereur. Elles habillé de la pourpre son général Aurélien. La chute de Quintilius fut hâtée par sa sévérité pour la discipline militaire, à la fois si nécessaire et si impossible à établir. Fut-il tué par les soldats qui l'avaient fait prince, parce qu'il voulait être réellement leur prince ? Ou, selon une autre version, faut-il croire qu'à la nouvelle de la proclamation d'Aurélien, voyant ses soldats le déserter, il les réunit, les harangua et, ne pouvant les persuader, se retira pour se consulter avec ses amis qui lui conseillèrent, comme le parti le plus simple, de s'ouvrir les veines ? Tant c'est une belle chose que le césarisme militaire ! Toujours est-il que tout se passa entre prince et soldats, et que, dix-sept jours, d'autres disent vingt jours, après la mort de Claude, Aurélien régnait seul en sa place[1]. Arrêtons-nous sur cet homme. Il n'est pas à dédaigner. Claude était Illyrien ; Aurélien, Dace ou Pannonien. L'empire voyait commencer une série de princes aussi peu Romains que possible par leur origine, très-peu Romains par leur éducation, nés dans les provinces du Danube, et vrais paysans du Danube ; paysans et soldats, mais soldats énergiques. Les révolutions militaires cette fois rendirent à l'Empire un service qu'elles ne lui rendirent pas toujours. Et Aurélien, si je ne me trompe, était autre chose encore qu'un soldat. Quand je songe à ce que les lieux communs de l'histoire nous ont habitués à appeler un grand homme, je me figure qu'il n'eût manqué à Aurélien, pour être un grand homme, que des circonstances plus favorables. Si, au lieu d'un empire dégénéré, Aurélien avait eu à commander à une nation plus jeune, pourquoi n'eût-il pas été Alexandre ou César ? Qu'étaient-ce que ces deux hommes, le dernier surtout, sinon des soldats plus habiles, plus résolus, plus ambitieux, moins gênés par leur conscience que d'autres ? Aurélien eût rempli toutes ces conditions ; il était de ceux qui ont, comme l'on dit, l'étoile au front, que le devoir des peuples est d'adorer, comme leur crime serait de les méconnaître. Malheureusement pour Aurélien, la postérité ne juge guère la valeur des hommes que par leur génie, et ne juge guère leur génie que par leur succès. Voyez plutôt. — Aurélien naît sur l'extrême frontière de l'Empire romain, dans cette ville de Sirmium qui était le quartier-général des armées romaines vers le Nord. Son père est venu de Dacie ou de Mésie, on ne le sait pas bien. Sa mère est prêtresse du Soleil, des divinités de l'Empire la plus universellement adorée, qui, apportée de l'Orient, a des temples même dans les villages de la Pannonie : rappelons-nous ce sacerdoce maternel ; car, chez Aurélien comme chez tous les hommes supérieurs, l'empreinte maternelle se montrera puissante. On peut dire qu'il naît soldat ; dès son enfance, il ne passe pas un jour, même un jour de fête, sans s'exercer à l'arc et au javelot. Sa mère, prophétesse autant que prêtresse, reconnaît en lui un futur César, et un jour, en grondant son mari, qu'elle trouve grossier et stupide : Voilà donc, dit-elle, le père d'un empereur ! Je fais grâce au lecteur de bien d'autres présages : l'aigle qui enlève l'enfant de son berceau et le place sur l'autel ; le lambeau de pourpre emprunté au temple que sa mère lui met entre les mains ; un autre morceau de pourpre qui lui tombera un jour sur les épaules par accident ; une patère persane qu'on lui donnera en Orient et sur laquelle il reconnaîtra l'image du dieu Soleil que sa mère adorait en Pannonie. Remarquez seulement que tous ces présages sont en rapport direct avec le culte des dieux ; Aurélien sera essentiellement un empereur païen, païen ardent, sinon convaincu. Il grandit, sa taille est noble et haute ; ses muscles sont vigoureux — genre de mérite que les historiens de ce temps-là apprécient beaucoup chez les empereurs et que tout à l'heure ils signalaient chez Claude. Il s'accorde les plaisirs de la table, et ne s'en accorde guère d'autres. Tour à tour soldat, centurion, tribun, son épée sort volontiers du fourreau, et, pour le distinguer d'un tribun du même nom, on l'appelle Aurélien le fer en main. Il arrête avec trois cents hommes une irruption de Sarmates ; il tue, raconte-t-on, jusqu'à quarante-huit ennemis de sa main le même jour, et les soldats chantent sous leurs tentes : Vive mille et mille fois celui qui
a tué mille el mille ennemis. Il a versé plus de sang que jamais homme ne but de vin[2]. On chante encore après une victoire sur les Francs où sa légion a tué sept cents hommes et vendu trois cents captifs : Mille soldats Francs et mille
Sarmates, en une fois nous avons tué ; Mille, mille, mille, mille, mille Perses, voilà ce que nous cherchons. Chef d'armée, sa sévérité est telle pour le maintien de la discipline, qu'elle fait peur aux Empereurs. Il n'est plus de notre temps[3], écrit Valérien qui ne veut pas lui confier la surveillance de son fils ou de peur qu'il ne soit trop dur pour ce jeune prince, ou de peur qu'il ne le forme à un commandement trop sévère. Si tu veux être tribun, si tu veux seulement vivre, tiens le soldat en respect, écrit Aurélien à un de ses lieutenants. Et pour le tenir en respect il ordonne qu'un soldat coupable d'adultère avec la femme de son hôte, soit attaché par les deux pieds à deux arbres flexibles dont on a rapproché les cimes ; un signal donné, les arbres sont rendus à leur position naturelle, et chacun d'eux emporte avec lui un lambeau de l'homme déchiré. Par cette effroyable rigueur, il protège du moins les citoyens, cruellement maltraités par ces soldats, grands électeurs de l'Empire : Que le soldat s'enrichisse des défaites de l'ennemi, non des larmes des habitants ; qu'il dépose sa solde dans son ceinturon, non au cabaret ; qu'il soit chaste dans la maison de son hôte. Content de sa ration, qu'il ne prenne ou ne se fasse donner ni huile, ni blé, ni bois, ni sel, ni raisin[4]. Cette probité qu'il prescrit, il la pratique. Après avoir exercé jusqu'à quarante commandements différents ; après avoir enrichi toute la Thrace des bestiaux et des captifs pris à l'ennemi ; après avoir envoyé dans la villa privée de Valérien 500 esclaves, 2000 vaches, 1000 juments, 10.000 brebis, 15.000 chevaux, Aurélien est toujours pauvre. Quand Valérien le fait consul, il est obligé de payer pour lui, à cause de cette pauvreté qui fait sa gloire[5], les dépenses de spectacles et de banquets que le consulat impose. L'époque de ce consulat signale encore d'une autre façon le mérite et la pauvreté d'Aurélien. Valérien préside à Byzance une assemblée de dignitaires et de généraux de l'Empire, et là il donne à Aurélien le consulat : La République te rend grâces, dit-il, de l'avoir délivrée de la puissance des Goths... Aurélien remercie noblement : Seigneur Valérien, dit-il, empereur Auguste, tout ce que j'ai fait et tout ce que j'ai souffert n'a eu qu'un but, la reconnaissance de la République et l'approbation de ma conscience. Tu m'accordes plus encore ; j'en remercie ta bonté, et j'accepte le consulat que tu me donnes. Fassent les dieux, et le soleil, le plus certain des dieux[6], que le Sénat me juge comme tu me juges. Alors se lève Ulpius Crinitus, parent, disait-on, de Trajan et qui va être le collègue d'Aurélien dans le consulat, chef militaire (ou, si vous voulez, duc) de la frontière d'Illyrie et de Thrace, illustre et opulent personnage, qui avait sous Valérien presque le rang d'un César. Il demande au prince la permission d'adopter Aurélien et de faire héritier de son nom, de ses biens et de son culte domestique l'indigent soldat pannonien qui est aujourd'hui son lieutenant[7]. Sous le règne de Gallien et de Claude, la réputation d'Aurélien grandit encore ; peu avant cette bataille de Naisse qui a fait la gloire de Claude, ce prince écrit à Aurélien : La république attend de toi les services que tu lui rends d'ordinaire... Voilà encore sur l'Hémus ces Goths que tu as jadis mis en fuite. Je te confie toute la ligne de nos frontières, toutes les armées de Thrace et d'Illyrie. Montre là ton courage accoutumé[8]. Tel était cet homme, qui, l'année suivante, était proclamé empereur par ces mêmes légions victorieuses à Naisse et près de la couche où le vainqueur de Naisse venait d'expirer. Tel il était — énergique jusqu'à la rudesse, sévère jusqu'à la cruauté, capable de quelques élans généreux, mais incapable de sacrifier son ambition à sa conscience, — manquant d'éducation, et par suite païen déterminé et superstitieux, comme en son temps les gens instruits ne l'étaient guère ; trouvant néanmoins dans son bon sens assez de lumières pour comprendre, non la vérité ou la beauté, mais la puissance du christianisme, et parfois en tenir compte ; —d'un autre côté, par son éducation de Pannonien et sa vie de soldat, étranger aux grandeurs comme aux petitesses de la vie civile, aux traditions comme aux manies de la vie romaine ; ennemi des voluptés, ennemi du luxe, ennemi du Sénat, contempteur de toute gloire qui ne portait pas l'épée ; — se complaisant au contraire dans une popularité vulgaire qu'il gagnait comme on la gagne toujours, c'est-à-dire en flattant la peuple, non en l'élevant ; — n'appréciant que la force et ne saluant que la force, mais sachant la conquérir, lin un mot, tout à l'opposé de Gallien qui était le patricien dégénéré, élégant, sceptique, indolent, usé, Aurélien est barbare, idolâtre, soldat démocrate, et (répétons ici le mot de M. Ampère) un paysan du Danube devenu Empereur ; moins un bon prince, dit très-bien son historien, qu'un prince nécessaire[9]. A peine arrivé à Rome, où le sénat bon gré mal gré a dû le proclamer, l'occasion se présente pour lui de faire la guerre, non pas l'occasion seulement, mais l'urgente nécessité. Les armées romaines sont encore van-Jantes, et les généraux jadis choisis par Valérien sont presque tous des hommes éminents ; mais telle est l'attraction des tribus barbares vers le sol romain, que l'invasion, repoussée d'un côté, reparaît immédiatement de l'autre. La digue, à peine relevée et raffermie sur un point, cède ailleurs. Il y a un an, à Naisse, une victoire éclatante a été remportée ; 300.000 Goths ont été repoussés, refoulés, réduits en esclavage : voilà pourtant les Goths qui reparaissent en Pannonie, et il faut qu'Aurélien quitte Rome à la hâte et vienne les combattre sur le Danube. Pendant qu'il achève de les repousser, voilà un peuple germain, les Marcomans, qui, s'apprêtant à traverser les Alpes, à son tour menace l'Italie. Il revient sur eux, bat leur arrière-garde, et, comme ils demandent la paix, la leur refuse. Mais il n'a pas remarqué que, les suivant par derrière, il leur laissait ouverts les passages vers l'Italie ; et tout en lui échappant, les ennemis pénètrent de plus en plus sur la terre romaine. Il les atteint non loin de Plaisance, et les tenant déjà pour vaincus : Si vous voulez combattre, je suis prêt, leur fait-il dire ; si vous êtes plus sages, je vous reçois au nombre de mes sujets. — Nous n'avons jamais eu de maîtres, lui répondent-ils. Sois prêt demain et sache que tu vas combattre des hommes libres[10]. La bataille a lieu, les hommes libres triomphent, Rome est consternée. Elle devait l'être. Déjà sous Claude les barbares étaient arrivés jusqu'aux bords du lac de Garde et la terreur avait été grande. Maintenant ils dépassaient Plaisance, ils s'avançaient jusque dans l'Ombrie et un empereur venait d'être vaincu. On parla à Rome d'ouvrir les livres des Sibylles, de célébrer des Amburbia et des Ambarvalia (processions sacrées à travers la ville et à travers les champs), de recourir à tous les moyens héréditaires pour calmer les dieux ou pour relever le courage du peuple. Le Sénat hésitait à proclamer si haut le danger public ; il y avait dans la curie beaucoup de sceptiques, quelques chrétiens peut-être, peut-être aussi des ennemis d'Aurélien et des hommes qui regrettaient la courte royauté de Quintillus ; il y avait aussi de zélés courtisans qui disaient qu'avec un tel empereur le secours des dieux était inutile. Le fils de la prêtresse pannonienne eut scrupule de tolérer de pareilles adulations : Êtes-vous donc dans une église chrétienne et non dans un temple des dieux, écrivit-il de son camp, que vous hésitiez à consulter les livres sibyllins ? Voulez-vous, pour satisfaire les dieux, des captifs d'une nation quelconque ?[11] Voulez-vous des victimes à prendre dans les étables impériales ? Je vous les offre avec joie. Le Sénat se jeta donc, par ordre de l'empereur, en plein paganisme ; les livres sacrés furent ouverts, et on y lut comme toujours le détail des cérémonies à accomplir. Ces cérémonies furent entre autres des sacrifices offerts en certains points des routes qui aboutissaient à Rome, afin que ces points fussent infranchissables aux barbares. Ce furent aussi (on doit le croire d'après la lettre du prince) des immolations humaines ; selon l'usage antique que Domitien avait encore pratiqué et qu'Hadrien avait pu interdire, non abolir ; il y eut quelques Grecs, Gaulois, Germains ou autres, enterrés vivants, au Forum ou ailleurs, pour faire plaisir aux dieux, nous pouvons bien dire ici, aux démons. Quoi qu'il en soit, les barbares furent vaincus, cette fois encore ; il était temps. Ce fut sur les bords du fleuve Métaure, entre Fano et Pesaro, à cinquante lieues de Rome environ, qu'Aurélien les rencontra. Il les battit une seconde fois dans leur retraite auprès de Pavie, et l'Italie fut délivrée. Délivrée oui, mais pour un moment ! Car, avant l'année écoulée (271), Aurélien était en Pannonie, combattant les Vandales ; et après les avoir vaincus, avoir conclu avec eux la paix, selon le vœu de son armée, s'être fait donner, à titre d'étages, les fils de leurs deux rois, avoir enrôlé deux mille de leurs cavaliers dans l'armée romaine, après avoir fait reconduire courtoisement l'armée ennemie jusqu'au delà du Danube, il était surpris cette fois encore par la nouvelle d'une invasion en Italie. C'étaient les Juthunges, autre peuple germanique, qui suivaient la route tracée sous Gallien par les Alemans, l'année précédente par les Marcomans. Ils se retirèrent du moins assez promptement pour que l'historien se dispense d'en parler davantage ; et Aurélien, César depuis moins de deux ans, vainqueur déjà dans quatre guerres contre quatre peuples différents, fit dans Rome sa troisième entrée. C'étaient de glorieuses victoires, mais quelle faible sécurité elles donnaient pour l'avenir t Trois fois en deux années l'enceinte des Alpes avait été forcée, les plaines de la Cisalpine avaient été inondées par ces infatigables barbares que les échecs ne décourageaient pas ; le sol italien avait été ravagé ; Rome menacée de près. Aurélien songea à la fortifier. Depuis bien des siècles, elle n'avait plus d'enceinte ; le vieux pomœrium de Servius Tullius, dépassé de toutes parts par les agrandissements de la ville, tombait en ruines ou se perdait entre les édifices qui avaient poussé autour de lui comme de jeunes arbustes autour d'un vieux tronc décapité ; ce n'était plus qu'une enceinte tout intérieure, purement légale, sacerdotale, historique ; les passants ne s'en doutaient pas, encore moins eut-elle arrêté un ennemi. Chose triste et qu'on a peine à croire ! pendant que l'empire romain s'étendait encore jusqu'au Danube ; que les passages des Alpes devaient être fortifiés et gardés par les légions ; que la Méditerranée demeurait toute romaine ; que les monarchies momentanément démembrées de l'Empire des Césars n'étaient certes pas agressives, il fallut enfermer Rome afin de la rassurer contre des peuplades nombreuses et vaillantes, il est vrai, mais dépourvues de richesses et de science militaire, et qui avaient pour demeure les forêts de la Souabe ou celles de la Bohème ! Tant la destinée de Rome la faisait pencher vers son déclin ! Tant sa puissance militaire était déchue ! ou plutôt tant l'impulsion était forte par laquelle la Providence poussait vers le Midi ces peuples du Nord destinés à châtier Rome et à faire une Europe chrétienne ! L'enceinte tracée autour de Rome par Aurélien avec l'avis du Sénat et qui fut terminée, une dizaine d'années après, par Probus, est, au moins sur la rive gauche du Tibre, celle que nous voyons aujourd'hui. Elle servit peu. Cent trente ans après, n'ayant pas été attaquée par l'ennemi, elle était néanmoins en ruines, et il fallut la refaire à la hâte à une époque mi l'Empire était plus menacé que jamais. Et puis, au bout de cinq ans, malgré l'enceinte, les Goths, ce même peuple que Claude et Aurélien avaient vaincu, entraient dans Rome et la saccageaient pendant trois jours. Un empire comme l'empire de Rome peut-il rester debout quand sa capitale est, je ne dirai pas prise, mais seulement assiégée[12] ? Un peu rassuré contre les attaques du dehors, il était temps pour Aurélien de penser aux affaires du dedans ; aux rameaux éloignés de l'empire qui demeuraient toujours détachés du tronc ; au centre lui même, Rome, dont toute l'obséquiosité ne satisfaisait pas l'absolutisme défiant de son prince. Était-ce seulement haine du soldat contre la toge, de l'Illyrien contre le Romain, du paysan contre les sénateurs, du païen contre les sceptiques, de r élu de Sirmium contre ceux qui à Rome avaient élu un autre César ? L'hésitation du Sénat à consulter les livres sacrés pesait-elle toujours sur la conscience païenne d'Aurélien ? Y avait-il quelque complot ou quelque ombre de complot ? Y avait-il eu quelque émeute ou quelque commencement d'émeute ? Toujours est-il qu'Aurélien était rentré dans Rome, mécontent de Rome et du Sénat, et Aurélien n'était pas homme à refuser satisfaction à ses méfiances. Aussi homme excellent d'ailleurs[13], comme veut bien le dire son historien, ne se fit-il pas faute de proscrire à la façon de Tibère. Des citoyens distingués, des sénateurs furent dénoncés, accusés, jugés, condamnés, pour des causes légères et sur la déposition parfois d'un seul témoin et d'un témoin méprisable. Aussi cet excellent prince, reprend le même historien, commença-t-il à être redouté et non aimé, et il ajoute : c'était un bon médecin, mais qui traitait rudement son malade[14]. Rome tranquille de façon ou d'autre, il fallait songer à reconquérir l'Empire. La royauté occidentale de Tetricus, la royauté orientale de Zénobie avaient été acceptées jusque-là et par Claude et par Aurélien lui-même. Les monnaies de Tetricus, celles de Zénobie et de ses fils, portent leur effigie d'un côté, de l'autre celle de l'empereur régnant à Rome[15]. C'était un empire romain partagé en trois branches, et qui eût été plus fort peut-être de leur libre accord que de leur union forcée. Mais ainsi ne l'entendait pas l'esprit unitaire et despotique du soldat pannonien devenu empereur ; et refaire à lui seul cet empire que le Sénat et les Césars n'avaient fait qu'avec des siècles, était une tâche qui souriait à son orgueil. Il s'avança donc vers l'Orient (272) cachant probablement ses desseins à Zénobie, plus que jamais souveraine au nom de ses deux plus jeunes fils, (l'aîné venait de mourir). Du reste, Aurélien n'allait pas être de sitôt en face d'elle. Il y. eut vers cette époque un Septimius que l'armée de Dalmatie fit empereur. Il y eut de plus les infatigables Goths, acharnés à ravager et à se faire battre, et qui, des bords du Dniester où Aurélien les avait refoulés, étaient revenus par leur route accoutumée jusque dans 1'Illyrie et la Thrace. Septimius, comme il arrivait souvent, fut bientôt tué par ses soldats. Quant au peuple goth, son roi Cannabas ou Cannebald fut poursuivi par Aurélien au delà du Danube, perdit cinq mille hommes et livra des centaines de prisonniers et d'étages. Parmi ces tués et ces captifs étaient des femmes, vêtues comme les hommes et combattant comme eux. D'autres femmes, de sang noble ou de sang royal, faites prisonnières, furent gardées avec soin ; Aurélien, qui pensait à tout, ordonne dans une lettre qu'on ne les disperse point, mais qu'on les fasse vivre à la même table pour que leur entretien soit et meilleur et moins coûteux. Il marie, en payant sa dot et son trousseau, la vierge royale Hunila, à un de ses généraux, Bonosus, parce que celui-ci, grand buveur, mais aguerri contre l'ivresse, se fera dire dans le vin le secret des princes goths devenus ses parents par alliance[16]. Aurélien fut libre alors de marcher contre l'Asie. Était-il provoqué par des efforts de Zénobie pour s'assujettir de nouvelles provinces ? Ou au contraire ne faisait-il que démasquer par une éclatante rupture un projet depuis longtemps conçue[17] ? Toujours est-il qu'il envahit l'Asie-Mineure. Tyane en Cappadoce fut une des villes qui lui résistèrent. C'était la ville natale du prophète-dieu Apollonius, célèbre de son vivant, plus célèbre encore depuis sa mort. L'armée romaine tenait à se rendre maîtresse de cette cité opulente, et, l'obstination de sa résistance irritant Aurélien, il jura qu'une fois vainqueur, il n'y laisserait pas un chien vivant. La ville, trahie par un de ses concitoyens, fut protégée par son dieu. Le traître Héraclammon indiqua à Aurélien un monticule ardu qui dominait la cité, et du haut duquel il lui suffirait de montrer au soleil sa pourpre impériale pour désigner à ses soldats le chemin qu'ils devaient suivre et pour faire comprendre aux citoyens qu'ils étaient vaincus. Mais aussi, ce jour-là ou la veille, raconte-t-on, Aurélien avait vu apparaître dans sa tente le visage bien connu du dieu Apollonius : Si tu veux vaincre, avait dit le fantôme, épargne mes concitoyens. Si tu veux vaincre, épargne les innocents ; sois clément si tu veux vivre. Aurélien vainqueur rendit à chacun ce qu'il devait. Tout en profitant de la trahison d'Héraclammon, il le laissa tuer par ses soldats : Je n'aime pas les traîtres, dit-il ; il ne m'eût pas été fidèle celui qui a livré sa patrie[18]. A Apollonius, au contraire, il promit un temple et des statues ; il fit mieux, et pour obéir à Apollonius, il se montra désormais plus clément. Quant à la ville, lorsque les soldats toujours irrités lui rappelèrent son serment : Eh bien ! dit-il, tuez tous les chiens. Aurélien approchait ainsi de la contrée qui faisait la force de Zénobie, et ce fut devant les murs d'Antioche qu'il se rencontra avec cette reine pour la première fois. La cavalerie palmyrénienne, plus habile, mais plus pesamment armée que la cavalerie romaine, s'épuisa à poursuivre un ennemi qui fuyait à dessein, et pendant ce temps l'infanterie fut défaite. Capitale romaine de la Syrie, Antioche était toute pour Aurélien ; Zénobie ne put y rentrer pour une nuit qu'en se disant victorieuse et montrant, à ce que l'on raconte, un prétendu Aurélien son prisonnier. Le lendemain, tout s'éclaircit ; Zénobie était en fuite, et Aurélien entra dans la ville au milieu des acclamations joyeuses[19]. Il n'oublia pas cependant le précepte d'Apollonius, et publia une amnistie, grâce à laquelle bien des fugitifs revinrent autour de lui, bien des cœurs se rattachèrent à sa cause. Puis il avança encore, et, dans les plaines d'Émèse, il se rencontra de nouveau avec l'armée de Zénobie commandée par elle et par Zabdas (Zabaï), son général et son parent[20]. Zénobie avait soixante-dix mille hommes. Au premier choc, la cavalerie romaine fut mise en déroute ; mais Aurélien, païen dévot, avait toujours les dieux pour lui. Nos lecteurs se rappellent peut-être et les romains connaissaient bien le dieu d'Émèse, Élagabale, cette pierre brute qui, je ne sais pourquoi, représentait le soleil et qui avait été apportée de Rome par un de ses prêtres devenu empereur. Par sa dévotion au soleil, Aurélien avait déjà gagné les habitants d'Émèse. Quant on se battit près de cette ville, le dieu, sous une forme ou sous une autre, serait apparu aux Romains pour les encourager, aux ennemis pour les épouvanter. Zénobie fut rejetée vers Palmyre ; Aurélien, entré dans Émèse où la reine lui laissait un abondant butin, alla au temple, reconnut le dieu qui lui était apparu dans le combat, le combla de ses actions de grâces et de ses largesses. Une dernière lutte devait avoir lieu, lutte décisive et dont l'issue aurait pu hâter de plusieurs siècles la transformation du monde. Entre Zénobie à moitié chrétienne et Aurélien païen plus sérieux qu'aucun des princes qui l'avaient précédé; entre Rome despotique et l'Orient émancipé; entre l'omnipotence césarienne et l'indépendance des peuples, que fut-il arrivé si le Christianisme et la liberté avaient vaincu ? La lutte fut longue et le succès coûta cher au vainqueur. Aurélien eut d'abord à traverser le désert et à combattre, non sans péril, ces tribus arabes que les Romains appelaient des brigands syriens. Puis, quand il vit s'élever au milieu des sables cette magnifique reine du désert dont les ruines nous frappent encore d'admiration, il comprit bien vite quel grand capitaine il avait à combattre. Depuis longtemps, Zénobie, avec un soin admirable, avait tout combiné pour la défense de cette cité dont elle avait fait la capitale de l'Orient. Les flèches, les machines de guerre y étaient en abondance. Chaque portion de muraille était défendue par trois ou quatre balistes destinées à lancer des javelots ; d'autres machines lançaient du feu. Zénobie avait des auxiliaires sarrasins et arméniens; la royauté palmyrénienne, ennemie d'abord des rois de Perse, avait été forcée par l'hostilité de Rome de se réconcilier avec eux, et le successeur de Sapor[21], touché de la grandeur du génie de Zénobie, envoyait des troupes à son secours. On se raille de moi à Rome, écrivait Aurélien, parce que je fais la guerre contre une femme. Croit-on que Zénobie combatte seule contre moi ?... Et fût-elle seule, sachez que, lorsqu'elle combat, ce n'est plus une femme... Mais j'espère que les dieux viendront en aide à la république romaine à laquelle ils n'ont jamais manqué[22]. Il essayait même de faire fléchir cette fière ennemie ; il écrivait : Aurélien, empereur du monde romain, conquérant de l'Orient, à Zénobie et à ses alliés. — Tu aurais dû faire de toi-même ce que ma lettre te prescrit. Rends-toi et je t'assure vie sauve et amnistie. Tu pourras vivre avec ta famille, là où la sentence de l'illustre Sénat aura fixé ton séjour. Remets au trésor romain tes pierreries, tes lingots d'argent et d'or, tes étoffes de soie, tes chevaux, tes chameaux. Les Palmyréniens conserveront tous leurs droits[23]. Voici la réponse : Zénobie reine
de l'Orient à Aurélien Auguste. — Ce que tu
me demandes, personne jusqu'ici n'a osé me le demander par écrit. C'est par le
courage qu'il faut vaincre. Tu veux que je me rende. Ne sais-tu pas que
Cléopâtre a mieux aimé mourir que de vivre après sa défaite, même honorée ?
J'attends les secours de la Perse, des Arméniens et des Sarrasins. Les
brigands de la Syrie t'ont déjà vaincu ; Que sera-ce quand toutes les forces
de mes alliés seront réunies ? Il faudra que tu fasses fléchir cet orgueil
avec lequel tu demandes ma soumission comme si tu étais partout vainqueur[24]. Aurélien bondit de colère. A tout prix, il lui fallait vaincre cette femme. Son armée ne le suivait qu'à grand' peine à travers le désert ; les provinces voisines eurent ordre d'apporter des vivres dans cette plaine sablonneuse où tout manquait aux soldats. Les troupes perses furent arrêtées dans leur marche et rejetées au loin. Les Sarrasins et les Arméniens séduits ou effrayés abandonnèrent la cause de Zénobie. Le siège de Palmyre fut cependant long et rude ; Aurélien y fut blessé d'une flèche ; et lorsqu'après un échec il essaya de nouveau de faire plier le courage de Zénobie, il reçut cette réponse : J'ai peu perdu dans le combat ; tu ne m'as tué que des Romains[25]. Mais enfin la fortune romaine l'emporta ; les vivres manquèrent dans la ville assiégée. Alors, pour se soustraire aux outrages de la captivité,
Zénobie, après un dernier conseil tenu avec ses généraux, sortit secrètement
de la ville, montée sur une chamelle et cherchant à gagner la frontière de
Perse. Elle arriva jusqu'à l'Euphrate et était déjà embarquée pour le
traverser ; des cavaliers romains envoyés à sa poursuite la saisirent. On la
mena devant le prince : Te voilà donc, Zénobie,
lui dit-il, toi qui as osé insulter un empereur
romain. — Je te reconnais pour empereur,
répondit-elle, avec fierté mais non sans adresse, toi
qui m'as vaincue. Mais un Gallien, un Auréolas et tant d'autres n'ont jamais
été pour moi des princes ; Victorina seule m'a paru me ressembler, et si la distance
l'eût permis, je lui eusse proposé de régner ensemble. C'est de retour à Émèse qu'Aurélien prononça son arrêt sur le sort de Zénobie, sur celui de ses partisans, sur celui de Palmyre. La ville fut respectée. Aurélien se contenta des immenses trésors de Zénobie et laissa, pour un temps du moins, la vie et la liberté aux habitants de Palmyre. Mais pour les généraux et les Conseillers de la reine, malgré l'avis du dieu Apollonius, l'empereur fut impitoyable et les livra à la mort. Une de ces victimes fut l'illustre Longin, dénoncé, s'il faut en croire le byzantin Zosime, par Zénobie elle-même comme auteur de la lettre qui avait si profondément irrité Aurélien. Longin n'était pas un rhéteur vulgaire. Comme Zénobie, il avait appris à connaître et à admirer les Livres saints[26], et tout le monde sait de quelle manière, après avoir montré la divinité si singulièrement ravalée par les fables homériques, il admire le langage sublime de Moise. A la fin de son livre, il fait parler un philosophe qui ose attribuer à la chute de la liberté hellénique la disparition de la haute éloquence : g Un homme né dans la servitude, dit-il, est capable des autres sciences ; mais un esclave ne sera jamais orateur. Son génie est toujours comprimé, et, comme dit Homère Le même jour qui met un homme
libre aux fers Lui ravit la moitié de sa vertu première. Longin mourut, nous dit-on, courageux et consolant ses amis indignés. Restait Zénobie. Les soldats, lâchement honteux d'avoir eu tant de peine à vaincre une femme réclamaient son sang avec de bruyantes clameurs. Aurélien eut un plus noble orgueil ; il reconnut, comme il l'écrivait plus tard au Sénat, que cette femme, en gardant pour elle et pour ses fils l'empire d'Orient prêt à tomber entre les mains des Perses, avait rendu un immense service à la République romaine[27]. Mais il ne résista pas à la puérile vanité de traîner à la suite de son char l'héroïne de l'Orient, et il la réserva comme une belle victime pour orner la pompe du Capitole. Ensuite, comme si toute guerre fût terminée, Aurélien partit pour Rome, suivi de son armée et de ses prisonniers ; il traversa toute l'Asie, et, par une cruauté d'autant plus lâche qu'elle était plus tardive, en passant le Bosphore, il y fit noyer les derniers survivants des amis de Zénobie. Mais il était dit que la guerre naîtrait sous ses pas. On ne voyageait pas dans cette malheureuse Thrace sans y rencontrer quelque invasion de barbares ; des guerriers du peuple Carpe (peuple germain entre les monts Carpathes et le Danube), y étaient venus piller et se faire vaincre par Aurélien. Et de plus, s'il rencontrait la guerre devant lui, il la laissait derrière lui. Il sut bientôt que Palmyre s'était révoltée, qu'elle avait tué le commandant laissé par lui, qu'elle avait sollicité le gouverneur de Syrie de se proclamer Auguste, que, sur son refus, elle avait proclamé un Achillée, parent de Zénobie[28]. Cette grande et opulente cité, placée sur les frontières de l'Empire et par son commerce liée avec des nations indépendantes, avait trop goûté, sous Odénath et sous Zénobie, de la souveraineté et de la liberté ; elle ne savait plus plier sous le ceps de vigne du centurion romain. Rien n'était donc fait, la guerre d'Asie était à recommencer. Elle ne fut pas longue, du reste, et les représailles furent terribles. Aurélien les raconte lui-même Nous n'avons pas besoin, dit-il, que le glaive sévisse davantage. Il y a assez de Palmyréniens tués. Nous n'avons pas épargné les femmes ; nous avons tué des enfants ; nous avons égorgé des vieillards, massacré des paysans... Le peu qui reste doit avoir été corrigé par le châtiment de la multitude qui a péri... Après cet affreux massacre, il croit ne devoir de réparation qu'à son dieu soleil dont le temple à Palmyre avait été pillé par ses soldats ; il ordonne qu'on le rétablisse dans son état primitif : Tu me feras, écrit-il à son lieutenant, tu me feras plaisir à moi et aux dieux. Et, comme sans doute tous les prêtres de Palmyre ont péri, il demande au Sénat d'envoyer un pontife pour faire la dédicace du temple[29] : sollicitude vraiment touchante ! Le temple resta debout, mais la ville tomba pour ne plus se relever, et sa ruine dut entraîner bientôt celle du temple. Aujourd'hui la ville qui a trois lieues de circonférence, le temple qui forme un carré de huit cents pieds, sont de magnifiques ruines semées de quelques huttes où habitent des Arabes. Mais loin de Palmyre révoltée, l'Égypte n'obéissait pas encore. Elle avait été enlevée par Zénobie à Gallien, et les monnaies de cette reine prouvent que sa souveraineté fut reconnue à Alexandrie. D'accord avec elle, Firmus gouvernait l'Égypte. On le peint comme un géant (on le surnommait Cyclope), au corps velu, au visage noir quoique le reste de la peau fût blanche, aux cheveux crépus, au front sillonné de cicatrices : et on ne manque pas de remarquer qu'en un jour il dévorait une autruche ; que, couché à terre ou plutôt soutenu sur ses mains, sa poitrine supportait une enclume sur laquelle on frappait — tels sont les précieux détails dont les annalistes du temps enrichissent leurs récits. Mais ce qui est plus important, ce qui caractérise et sa domination et le pays où elle s'exerçait, Firmus n'était pas un chef militaire et ne régnait pas, comme tant d'autres, en vertu de la prépondérance du soldat, Firmus était un commerçant, reconnu pour chef d'une contrée commerçante. Il avait entre les mains tout le trafic entre l'Empire romain et les Indes, qui se faisait par l'Égypte et la mer Rouge, surtout depuis que la domination des Sassanides rendait plus difficile la route par les fleuves et le golfe Persique. De nombreux vaisseaux marchands parcouraient pour lui la mer Rouge, le golfe Persique, la mer des Indes ; et on a pu lui attribuer[30] la rédaction du Périple de la mer Érythrée, sorte de guide du navigateur romain dans ces parages. On lui rapportait de ces contrées lointaines les parfums et la soie ; il y envoyait le papyrus d'Égypte qu'il fabriquait en telle abondance, qu'avec le prix de ses magasins il eût pu, disait-il, lever une armée. Ce marchand, qu'il ait pris ou non la pourpre et le titre d'Auguste[31], n'était que le stadhouder d'une république marchande, la gouvernant comme on gouverne un état libre. Déjà on avait vu son prédécesseur Émilien préparer une expédition à la fois militaire et commerciale pour ouvrir pleinement aux produits égyptiens les ports de l'Inde. Tant il est vrai que ces révolutions provinciales et ces empereurs provinciaux étaient au fond une résurrection des peuples sujets de Rome, tendant à se reconstituer chacun selon ses mœurs, son génie, ses intérêts ! Mais la défaite de Zénobie entraînait celle de Firmus. Il
avait accueilli les partisans vaincus de Zénobie, et bientôt Aurélien ou ses
lieutenants vinrent lui en demander compte. Le vieux génie militaire des
Romains triompha, non sans quelque peine, de la récente liberté égyptienne.
Le général romain Probus, futur empereur, tut sur le point de tomber aux
mains de l'ennemi ; il finit cependant par triompher, et Firmus fut réduit au
suicide[32].
Ce brigand égyptien, écrit Aurélien au peuple
romain, pour tout dire en une parole, nous l'avons
mis en fuite, assiégé, torturé, tué. Vous n'avez plus rien à craindre, fils
de Romulus. Livrez-vous aux jeux, aux spectacles, aux plaisirs ; les affaires
me regardent. Je ferai en sorte que désormais nulle sollicitude n'arrive
jusqu'à Rome[33]. Il y avait cependant bien près de Rome, sinon une cause de sollicitude, du moins une grande ombre à la gloire d'Aurélien et une protestation contre l'universalité de son pouvoir : l'Empire d'Occident encore debout sous la domination de Tetricus. Mais la domination de Tetricus n'était plus appuyée par l'ascendant de Victorina. Il semble que l'insurrection des peuples à cette époque eût besoin d'être soutenue par ce quelque chose de divin que les Germains reconnaissaient dans la femme : la liberté de l'Orient était tombée avec Zénobie ; celle de l'Occident était en danger depuis la mort de Victorina. Tetricus, César pacifique, sénateur fatigué de l'indiscipline des soldats, commençait à gémir d'être César, devenait l'ennemi de son propre empire, et il écrivait secrètement à Aurélien : Invincible guerrier, viens et délivre-moi. Ses légions au contraire tenaient fermement à l'empire des Gaules. Mais tumultueuses, indisciplinées, livrées à un certain Faustinus adversaire de l'empereur, leur passion servait mal la cause de l'indépendance. Un marché honteux fut conclu par Tetricus aux abois. L'empereur livra son empire et le général trahit son armée. Aurélien, revenu en Occident avec une incroyable promptitude, passa les Alpes, pénétra dans les Gaules et livra bataille aux légions du Rhin dans les plaines de Chalons. Au milieu du combat et comme l'armée gauloise déployait sa valeur accoutumée, Tetricus, son chef, passa à l'ennemi. Cette armée sans général fut bientôt vaincue, et la Gaule, l'Espagne, la Bretagne rentrèrent d'un seul coup sous la domination romaine. On est étonné d'avoir à raconter en quatre lignes une aussi grande révolution. Certes, pour les contemporains qui apprécient le mérite par le succès et pour la postérité elle-même qui ne juge guère autrement, c'était une grande gloire que celle d'Aurélien. Si la victoire est le génie, et si le génie est la vertu, quel grand homme que le fils de la prêtresse pannonienne t Il régnait depuis quatre ans à peine ; et pendant ces quatre ans, il avait sauvé l'Italie prête à périr, délivré la Pannonie, l'Illyrie, la Mésie, la Thrace, la Grèce de ces invasions de barbares éternellement renaissantes ; il avait poursuivi les Goths jusque non loin du Dniester ; il avait traversé en combattant toute l'Asie-Mineure et la Syrie, atteint Palmyre au fond de son désert et par deux fois il l'avait écrasée ; il avait soumis l'Égypte, de l'Égypte bondi dans la Gaule ; et par une seule bataille il rendait à Rome trois grandes nations qui avaient cessé de lui obéir. En ces quatre ans de guerre, il avait parcouru les armes à la main autant de pays que César l'avait fait avant lui, que Napoléon le fit après lui, dans les quatorze ou quinze années de leur vie militaire. Pour ceux qui se prosternent devant la beauté des grands empires, quelle admirable chose que d'avoir reconstruit en quatre années cet Empire romain, dont la construction première avait demandé au moins quatre siècles à de si grands hommes de guerre et à une nation si grande ; d'avoir passé le niveau romain sur l'héroïsme d'une Zénobie, sur le vieux renom d'un Tetricus, sur la fierté des peuples gaulois, sur l'indépendance des tribus du désert, sur l'orgueil des légions révoltées, sur les espérances de liberté de cinquante nations ; d'avoir, en un mot, fait rentrer dans l'uniformité, le silence et l'immobilité de la vie romaine toutes ces fantaisies provinciales qui avaient eu l'audace de se produire et l'entêtement de se défendre[34] ! Quel avenir cette victoire promettait-elle au monde civilisé ? On ne s'en inquiétait guère ; puisque les peuples étaient vaincus, les peuples avaient eu tort ; puisque l'empire était rétabli, l'empire était le salut du monde. Le vulgaire (et le vulgaire c'est nous tous, contemporains et postérité), le vulgaire a des mesures vulgaires ; il mesure la beauté d'une statue à la toise et la gloire d'un empire à la lieue. Aussi fut-ce un magnifique spectacle pour la badauderie romaine, et, s'il est permis de dire ce mot, pour l'éternelle badauderie de l'histoire, que le triomphe d'Aurélien revenant des Gaules après avoir fait en vainqueur le tour entier du monde romain. En avant marchaient vingt éléphants, plusieurs centaines d'animaux apprivoisés venus de Lybie et de Palestine — on remarque ici qu'économe au milieu de ses magnificences, Aurélien aussitôt après fit des cadeaux de ces animaux afin de ne pas grever le trésor public de leur entretien —, quatre tigres, des girafes, des élans, d'autres animaux encore, classés par espèces ; et, pour en finir avec les êtres réduits en servitude, huit cents paires de gladiateurs. — Ensuite marchaient trois chars royaux venus de l'Orient : celui d'Odénath orné de pierres précieuses, d'argent et d'or ; un autre donné à Odénath par le roi de Perse ; un dernier que Zénobie s'était fait faire et sur lequel, disait-on, elle avait compté venir à Rome — Zénobie hélas ! n'était pas dans son char, elle était derrière le char de son vainqueur. Mais ces trois véhicules royaux ne valaient pas celui qui portait Aurélien lui-même. Plus grossier et moins brillant sans doute (car il était l'œuvre des Goths et il avait appartenu à leur roi), il était traîné par quatre cerfs apprivoisés, digne char triomphal du paysan pannonien vainqueur des Goths. Comme pour s'affranchir davantage de la tradition romaine, cet empereur demi-barbare portait le diadème sur la tête, et sur les épaules un vêtement orné d'or et de pierreries. C'était bien Aurélien, ce n'était pas Rome qui triomphait ce jour-là du monde vaincu. Puis venaient en nombre infini des hommes de toutes les nations. La fortune de la guerre ou les relations de la paix les avaient amenés de tous les points cardinaux : de l'Afrique, des Blemyes (peuple qui au temps de Pline appartenait à la fable)[35] ; de l'Asie, des Arabes, des Bactriens, des Perses, même des Indiens ; ceux-là, envoyés par leurs princes pour vénérer Aurélien, portaient dans leurs mains des présents destinés au César de Rome. Mais d'autres étaient des captifs : des bords dû Danube, du Dniester, du Rhin, étaient venus des Roxolans, des Sarmates, des Goths, des Alains, des Suèves, des Francs, des Vandales ; tous ceux dont les petits-neveux devaient, cent-trente ans après, entrer dans Rome l'épée à la main, y entraient ce jour-là les mains liées derrière le dos. Il y avait là des amazones de race gothique, en habit de combat ; bien d'autres étaient demeurées sur le champ de bataille. Là était encore ce qui restait des chefs de la cité de Palmyre et des Égyptiens amis de Firmus. Mais deux personnages surtout appelaient sur eux un douloureux hommage d'admiration pour l'un, de compassion pour tous deux : Tetricus et Zénobie. Le premier portait une chlamyde de pourpre, une tunique et des braies gauloises, et il conduisait avec lui ce jeune fils qui avait été proclamé César avec lui. Zénobie avec ses deux fils venait à son tour, enchaînée par des anneaux d'or aux mains, aux pieds et au cou ; condamnée par un orgueil puéril et cruel à porter sur elle toutes les pierreries qui lui avaient appartenu, elle avait résisté tant qu'elle avait pu à cette humiliation ; elle était tellement écrasée par ces ornements de sa servitude qu'elle s'arrêtait de temps à autre comme défaillante ; il fallait aussi qu'on l'aidât à soutenir le poids de ses chaînes, et par une autre dérision d'Aurélien, c'était un bouffon de Perse qui soutenait l'anneau d'or mis à son cou. Avec Tetricus et Zénobie, l'un traître envers ses propres partisans, mais qui avait été jadis l'heureux souverain de l'Occident, l'autre que l'Orient avait proclamée sa reine et qu'il appelait encore son héroïne, s'évanouissait à cette heure tout espoir d'une résurrection quelconque de la liberté dans le monde romain. Mais n'oublions pas qu'en avant du cortège marchaient des hommes de cette race qui devait venger Tetricus, Zénobie et la liberté. Pour en finir avec ces pompes de la victoire, elles furent telles qu'elles n'avaient jamais été, même au temps d'un César, à plus forte raison au temps des Fabius et des Scipions. Tout le peuple, toutes les corporations, toute l'armée suivait, avec drapeaux et bannières. Le Sénat suivait un peu humilié en pensant que, pour la première fois depuis que Rome avait vu des triomphes, un sénateur marchait à pied, enchaîné, à la suite du char triomphal ; mais qu'importait à Aurélien l'humiliation du Sénat et même de Rome ? Le cortège parti dès le matin n'arriva au Capitole qu'à la neuvième heure (trois heures du soir) et au palais qu'après le coucher du soleil. Les jours suivants furent employés à des spectacles, à des courses de chars, à des chasses, à des combats sur terre, à des combats sur l'eau. Les temples de Rome étaient remplis des dépouilles du monde entier, les palais étaient enrichis des hommages de toute l'Asie. Certes, si être magnifique, c'est être grand, et si la grandeur de la cité n.'est autre que celle du souverain, Rome n'avait jamais été aussi grande. Aurélien le Gothique, le Germanique, le Parthique, le Sarmatique, le Dacique, l'Arméniaque, l'Adiabénique — c'étaient les titres que lui avait décernés le Sénat, sans compter celui de Carpique qu'il avait rejeté comme trop ridicule[36] — ; Aurélien avait une renommée plus étendue que du vivant de César n'avait jamais été celle de César. Bien des peuples qui peut-être n'ont entendu que plusieurs siècles après prononcer le nom de Jules César, Arméniens, Bactriens, Indiens même et Chinois (Seres) vénéraient Aurélien comme un dieu présent sur la terre[37]. Aurélien cependant ne voulut pas être ingrat. A qui rendre grâces pour tant de triomphes, si ce n'est à ce dieu dans le temple duquel il avait été bercé, qu'il avait invoqué au jour solennel de son avènement au consulat, qui avait combattu pour lui aux portes de la ville sainte d'Émèse, qui lui avait livré Palmyre ; à son dieu Soleil, Mithra, Élagabale ? Déjà le soleil sous des noms divers avait bien des temples à Rome ; déjà Aurélien avait multiplié ses hommages envers ce dieu de son enfance[38] ; mais depuis longtemps il méditait de lui rendre un plus solennel hommage, et lui promettait dans sa pensée un temple plus magnifique que les autres, plus magnifique même que le temple élevé jadis par le César Élagabale au dieu Élagabale dont il était le prêtre. De beaux débris qui se voyaient encore il y a trois siècles au Quirinal ont été attribués à ce temple. L'argent, l'or, les pierres précieuses, les riches étoffes y brillaient, apportés de tous les pays qu'Aurélien avait vaincus[39] ; il y avait, suivant Zozime, jusqu'à 15.000 livres d'or. Pouvait-il y avoir rien de trop beau pour honorer celui qu'Aurélien appelait le plus certain des dieux ? Au milieu de ces pompes de la victoire, que devenaient les captifs et les vaincus ? Zénobie et Tetricus, comme cela s'était fait encore sous Jules César et, plus tard, sous Vespasien, avaient-ils été, immédiatement après l'arrivée au Capitole, conduits dans le ténébreux et infect Tullianum de la prison Mamertine, et là honteusement et impitoyablement étranglés ? Hâtons-nous de dire qu'il n'en fut pas ainsi. Aurélien ne pouvait oublier que ces tyrans, comme on les appelait, avaient été les énergiques défenseurs de l'Empire ou au moins de la civilisation, contre les barbares. Il ne pouvait oublier qu'il avait traité avec Tetricus et n'avait dû qu'à sa connivence la conquête devenue facile de l'Occident. Il ne pouvait oublier quels éloges, en répondant au Sénat[40], il avait faits de Zénobie, de sa sagesse, de son habileté, de son empire sur les soldats, de ses victoires sur les Perses et des services qu'elle avait rendus à la chose romaine. Il avait eu besoin de se justifier devant le Sénat, d'avoir triomphé pour une victoire remportée sur une femme ; le Sénat eût pu lui reprocher à son tour de verser le sang d'une femme après l'avoir menée à la suite de son triomphe. S'il avait eu l'orgueilleuse faiblesse de traîner enchaînés à sa suite un sénateur romain et une reine de l'Orient, c'était bien assez de leur avoir infligé cet affront. Il tint au contraire, s'il était possible, à le leur faire oublier. Tetricus reprit sa place au Sénat, et son jeune fils fut sénateur avec lui ; tous leurs biens leur furent conservés. Il se firent dans Rome une magnifique demeure où une mosaïque les représentait tous deux recevant d'Aurélien la toge sénatoriale et lui offrant un sceptre et une couronne civique ; le jour où ces Césars déchus inaugurèrent cet asile de leur disgrâce, Aurélien, leur ami à tous deux, s'assit au banquet de la dédicace. Tetricus devint même un des dignitaires de l'Empire de son rival ; il eut le gouvernement d'une grande partie de l'Italie[41]. Mon collègue et mon camarade, lui disait familièrement Aurélien, il y a plus d'honneur à administrer une partie quelconque de l'Italie qu'à être le roi des trois Gaules[42]. Quant à la pauvre Zénobie, qui jadis rappelait à Aurélien son aïeule Cléopâtre se donnant la mort pour ne pas être conduite à la suite d'un char de triomphe ; puisqu'elle n'a pas suivi cet exemple, il faut croire qu'elle était chrétienne. Du reste, sauf cet outrage, elle n'eut pas à se plaindre du vainqueur. On a dit depuis que ses deux fils enfants, Timolaüs et Herennianus, conduits avec elle à la suite du char de triomphe, avaient été traités selon l'antique usage, c'est-à-dire étranglés ; je le crois d'autant moins qu'un autre fils de Zénobie (qui, il est vrai, n'était pas fils d'Odénath, mais né d'un mariage antérieur) eut, sous le règne d'Aurélien, une principauté quelconque en Arménie et le titre d'Auguste. Elle-même, ayant auprès d'elle ses enfants ou au moins ses filles, vécut dans toute la dignité d'une matrone romaine. Elle habita non loin de la villa d'Hadrien, à Tibur, une villa qu'Aurélien lui avait donnée et qui garda dans la suite le nom de Zénobie. Sa postérité et celle de Tetricus fut longtemps honorée dans Rome. On y connaissait à la fin du quatrième siècle des descendants de Zénobie[43]. Rome avait raison d'honorer ainsi la race de ces tyrans qui, en se révoltant contre elle, l'avaient sauvée[44]. |
[1] L. Domitius (Valerius ?) Aurelianus, né à Sirmium (selon d'autres en Dacie, ou plutôt en Mésie), le 9 septembre (212 ?). — Tribun militaire (sous Gordien ?), — commande les armées sous Valérien. — En 257, commande l'Illyrie et la Thrace ; — désigné consul en 258 (?). — Commande de nouveau l'Illyrie et la Thrace sous Claude. — Après la mort de celui-ci à Sirmium (août 270), il est proclamé empereur par les soldats. Surnommé, comme toujours, pius, felix, invictus. — Et de plus Germanicus maximus, Guticus (Gothicus) Maximus, Car(picus) Maximus, Parthicus Maximus. (Inscript. Orelli, 1028-1031), Henzen, 5651. — Consul en 271, 274, 275. — Tué en janvier 275.
Sa femme : Ulpia Severina (fille d'Ulpius Crinitus qui avait adopté Aurélien ?) — Inscriptions, Orelli, 1052. Henzen, 5552 ; et ses monnaies, dont une postérieure à la mort d'Aurélien.
Ils eurent une fille dont la postérité subsista.
V. Vopiscus, in Aureliano, Zosime, Eutrope, etc.
Colonne milliaire, trouvée à Tain et datant de l'an 273. (Millin, Voyage dans le midi, chap. XXXIX, — V. aussi Orelli).
[2] Vopiscus, 6.
[3] Multus est, nimius est, gravis est, et ad nostra non jam facit tempora. Ép. Valeriani, apud Vopiscus, 8.
[4] Ép. Aureliani apud Vopiscus, 7.
[5] Ép. Valeriani. Vopiscus, 12. Ob paupertatem qua ille magnus et ceteris major.
[6] Deus certus sol. Vopiscus, 14.
[7] Vopiscus, 13-15.
[8] Epistola Claudii ap. Vopiscus, 17.
[9] Necessario
magis principi quam bono. Vopiscus, 37.
[10] Excerpta inverti auctoris apud Maï. Scriptorum veterum nova collectio, t, II. V. aussi Dexippe, in Excerptis de Legationib. Vopiscus, 18, 21, 35, 39. Zosime, I, 48, 49. Aur. Victor, Épitomé, 35. Eutrope, IX. 9.
[11] Cujuslibet gentis captivos. Ép. Aureliani apud Vopiscus, 20.
[12] Malgré l'avis contraire de Nibby, il me parait raisonnable d'identifier, comme on le fait généralement, l'enceinte de Rome tracée par Aurélien avec celle qui fut restaurée en 404 par Honorius, et qui, en grande partie, forme l'enceinte actuelle. L'inscription même d'Honorius, qui parle d'une restauration et non d'une construction nouvelle, prouve que le tracé n'en a pas été changé (ob instauratos urbi æternæ muros, portas ac turres). Et comment une enceinte beaucoup plus vaste, telle qu'on suppose celle d'Aurélien, serait-elle tombée tout entière, sans qu'il en subsistât de traces aujourd'hui ? Vopiscus, il est vrai, semble indiquer une enceinte beaucoup plus étendue que celle d'Honorius, quand il parle d'un périmètre de près de cinquante milles (et quinquaginta prope millia murorum ejus ambitus teneant, 24). Mais cette enceinte de cinquante milles (50.000 pas romains, c'est-à-dire environ 74 kilomètres) est topographiquement inadmissible, et il faut, d'après une explication très-probable, sous-entendre pedum, et non passuum, 50.000 pieds, 14 ou 15 kilomètres, ce qui est à peu près l'enceinte actuelle.
[13] Vir alias optimus. Vopiscus, 21. Voyez aussi sur ces proscriptions Zosime, (I, 49), qui nomme trois des sénateurs proscrits.
[14] Timeri cœpit optimus princeps, non amati ; ..... bonum guident medicum, sed mala ratione curantem, Vopiscus, 5.
[15] Dans la quatrième année de son règne (270), Athénodore (Ouaballath), fils de Zénobie, est qualifié : Vir consularis, imperator, dux (στςατήγος) Romanorum. Ses monnaies le représentent face à face avec Aurélien, tous deux couronnés de lauriers. Sa tête est celle d'un enfant. Exergue : Αυρηλιανος, Αθηνοδωρος. (M. de Saulcy, Année archéologique, novembre, 71).
[16] Ép. Aureliani ap. Vopiscus, in Firmo et Bonoso, 15.
[17] V. Zosime, I, 49, et au contraire Vopiscus, 22 et s.
[18] Ép. Aureli. apud Vopiscus, 23.
[19] Zosime, I, 51.
[20] Ce personnage était homonyme et par conséquent parent de Zénobie, ainsi que Zabda, le général qui avait conquis pour elle l'Égypte. voyez deux inscriptions des deux Septimii, Zabda général en chef, et Zabbaï général de Thadmor, l'une (août 271), en l'honneur de septimius Odénath, roi des rois, regretté de la patrie tout entière, l'autre en l'honneur de Septimia Batzebinah (Zénobie), pieuse et juste reine, leur souveraine, — (Vogüé, 28 et 29). Voyez Vopiscus, in Aurel., 25. Trebellius, in Claudio, 11.
[21] Varanes (Berham), dit le Bienfaisant, fils de Sapor, régna jusque vers 276 ou 279. Entre lui et Sapor, avait régné son frère Hormisdas (Hormouzd). 271-272 ?
[22] Ép. Aureli. apud Vopiscus, 27.
[23] Ép. Aureli. apud Vopiscus, 26.
[24] Ép. Zenobiœ, Vopiscus, 27.
[25] Ignotus auctor apud Mai, Scriptor. veter. nova collectio, t. II.
[26] Voyez le célèbre passage du Traité du sublime (si toutefois ce livre est de Longin), où il cite le législateur des Juifs, qui n'était pas un homme ordinaire et qui avait bien conçu la grandeur et la puissance de Dieu, tandis qu'il vient de relever l'indécence et l'impiété de plusieurs des fables homériques : Homère, a-t-il dit, semble s'être efforcé de faire des hommes des dieux et des dieux des hommes. (Ch. 7).
[27] Ép. Aurelian. apud Trebellius Pollio, in Zenobia.
[28] Vopiscus, in Aurel., 31. Zosime l'appelle Antiochus, I, 60.
[29]
Epist. Aurelian. apud Vopiscus, 31.
[30] C'était l'opinion du savant M. Reinaud. Mais elle me parait réfutée par M. Vivien de S. Martin (le Nord de l'Afrique), qui fixe la date du Périple au temps de Domitien.
[31] Vopiscus (in Firmo) fait dire à deux savants de ses amis : Firmum.... purpura usum et percussa moneta Augustum vocitatum.. άυτοκτορα in edictis vocitatum. Mais ailleurs (in Aureliano, 32), sibi Ægyptum sine insignibus imperii, quasi esset libera civitas, vindicavit. Il y a une monnaie au nom de l'empereur M. Firmius grecque d'Alexandrie, datée de l'an 1er de son règne. Mais elle est tenue pour douteuse.
[32] V. Vopiscus, in Firmo. Id. in Aureliano., 32. In Probo, 9 ; dans ce dernier passage, il donne à Zénobie le nom de Cléopâtre.
[33]
Ép. Aurel. ap. Vopiscus,
in Firmo, 7.
[34] Aurélien ne fut inférieur ni à Alexandre le Grand ni au dictateur César. En trois ans il reconquit le monde romain envahi, tandis qu'Alexandre a eu treize ans pour pousser jusqu'aux Indes ses merveilleuses victoires, que César a mis dix ans à soumettre les Gaules, quatre ans à terminer la guerre civile. — Aur. Victor, Épitomé.
[35] Pline, V. 8. Solin, 32. Vopiscus, in Aurelian. Vopiscus nomme en outre des Axumites (côte ouest de la mer Rouge), des Saraceni (Nord de l'Arabie), des Ibères (Géorgie), des Arabes Eudæmones (Arabie heureuse).
[36] Il ne manquerait plus, écrivit-il au sénat, que de vous voir m'appeler Carpiscule [le carpiscule était une sorte de chaussure]. Trébellius Pollio, in Aurel., 30. Ce titre de Carpique se rencontre cependant dans une inscription trouvée près d'Orléans (Henzen, 5831). Remarquez que ces surnoms sont tous accompagnés de l'épithète maximus : GER. M. GOT. M. PAR. M. DA. M. CA. M.
[37] Oratio Taciti apud Vopiscus, in Aurel., 41.
[38] Monnaie d'Aurélien avec l'image du soleil et les légendes : SOL. DOM. IMP. ROM. — PACATOR ORBIS. — PROVIDEN. DEORVM. — RESTITVTOR ORIENTIS. — SOLI INVICTO. — MARS INVICTVS.
[39] Vopiscus in Aurel., 25, 28, 39, 48. Eutrope, IX... Victor, de Cæsarib. et les régionnaires, Publius Victor et S. Rufus, in regione, VII.
[40] Il est curieux de lire tout entière cette lettre d'Aurélien qui donne lieu de bien apprécier le caractère de Zénobie d'après le jugement de son ennemi et de son vainqueur. La voici : J'apprends, Pères conscrits, qu'on me reproche d'avoir manqué à mon devoir en triomphant de Zénobie. Ceux qui me font ce reproche me loueraient au contraire, s'ils savaient ce qu'est cette femme, quelle est sa prudence dans les conseils, sa constance dans ses résolutions, vis-à-vis des soldats, sa libéralité quand il faut être libéral, sa sévérité quand il faut être sévère. Je puis dire que c'est grâce à elle, qu'Odénath a vaincu les Perses, mis en fuite Sapor, et est arrivé jusqu'à Ctésiphon. Je puis affirmer que cette femme a inspiré une telle crainte aux peuples de l'Orient et de l'Égypte que ni Arabes, ni Sarrasins, ni Arméniens, n'ont osé bouger. Je ne lui eusse pas conservé la vie, si je n'eusse su qu'elle avait rendu un grand service à la république romaine en maintenant pour elle-même et pour ses enfants l'empire de l'Orient. Qu'ils gardent donc pour eux le venin de leur langue, ceux à qui rien ne plaît s'il n'y a pas de gloire à vaincre une femme et à triompher d'elle, que penseront-ils de Gallien, au mépris duquel elle a glorieusement régné ? Que diront-ils du dieu Claude, ce saint et vénérable chef de nos armées, qui, occupé à la guerre contre les Goths, a souffert qu'elle régnât, agissant en cela avec une discrète prudence, afin que, Zénobie gardant la frontière de l'Orient, lui-même pût travailler avec sécurité à l'accomplissement de ses desseins ?
[41] Victor, in Cæsar. Victor, in Épitomé. Trebellius Pollio, in Tetrico seniore.
[42] Sublimius habendum partem Italiæ regere quam trans Alpes regnare. Victor, Épitomé.
[43] Hieronym., Chronic.
[44] Depuis ma première édition, a paru l'ouvrage de M. LUCIEN DOUBLE, Les Césars de Palmyre. Sa pensée est d'exalter Odénath et de diminuer Zénobie. Sans entrer dans une discussion de détails, je crois devoir, à l'exemple de la plupart des historiens modernes, préférer l'autorité du romain Trébullius Pallius qui vivait une cinquantaine d'années après les événements, à celle du byzantin Zosine qui vivait plus d'un siècle après. Je rends justice du reste aux recherches érudites de l'auteur et à la forme élégante qu'il donne à son livre. Mais il se laisse trop aller, ce me semble, à faire ce que j'appellerai le paradoxe en histoire. Ainsi, il sait mauvais gré à Aurélien d'avoir épargné la vie de Tetricus et celle de Zénobie qui tous deux avaient traité avec lui. Il voit dans ce fait une preuve de la décadence de l'esprit romain. Aux belles époques de Rome, dit-il, Tetricus et Zénobie eussent été étranglés. Rome s'améliorait puisqu'elle commençait à connaitre la pitié. Il n'y a pas alors de quoi regretter la grandeur romaine.
Il parle aussi de l'intolérance des premiers chrétiens. En quoi donc étaient-ils ou pouvaient-ils être intolérants ? serait-ce à cause de deux ou trois faits (celui de Polyeucte n'est pas historique) de temples envahis ou d'idoles brisées (faits du reste que l'Église réprouvait). M. Double appartiendrait-il à cette école qui appelle toujours intolérant celui qui croit et intolérant celui qui ne croit pas, ou même intolérant.