Après Gallien, M. Aurelius Claudius[1] était l'élu de tout le monde. Les meurtriers de Gallien l'avaient choisi par avance, Gallien mourant lui envoyait la pourpre, les soldats l'acceptaient, le Sénat le proclamait avec enthousiasme. C'était en effet et ce devait être tout l'opposé de Gallien. Celui-ci était né du vieux sang romain, ou de cette race patricienne ou aristocratique qui semblait aujourd'hui si effacée ; celui-là — quoiqu'on ait voulu le faire descendre de l'ancienne Troie, et que d'autres aient même prétendu, contre toute possibilité chronologique, voir en lui un bâtard du dernier Gordien —, fils d'un simple paysan dalmate, arrivé par la force de ses poignets et sans doute aussi par son courage à être centurion, tribun et enfin chef d'année. L'un avait reçu la pourpre des mains de son père comme une part d'héritage, l'autre, proposé par des meurtriers, était élu par les soldats ; l'un avait humilié le Sénat, l'autre devait le relever ; l'un avait protégé les chrétiens, l'autre devait renouveler la persécution ; l'un s'était vu accuser d'avoir par sa mollesse livré l'Empire aux barbares, l'autre devait signaler son court passage à l'Empire par un seul fait éclatant, une grande victoire sur les barbares. Aussi voyons-nous se manifester dès l'abord l'enthousiasme
du Sénat que Gallien avait humilié par sa défiance. La nouvelle de l'élection
de Claude arrive au milieu d'une fête, le jour du sang — c'est-à-dire le jour
où les prêtres de Bellone se déchiraient les bras à coups de couteaux —,
pendant qu'on est réuni dans le temple de la Mère des dieux. Le Sénat, ce
jour-là, ne peut être régulièrement convoqué ; en toge comme de simples
citoyens, on va à la hâte au temple d'Apollon, on lit les lettres du nouvel
Empereur, et les acclamations éclatent : Claude
Auguste, que les dieux te conservent pour nous ! (répété 60 fois) — Claude
Auguste, tu es le prince que nous avons toujours désiré ! (40 fois) — Claude
Auguste, la République te demandait ! (40
fois) — Claude Auguste, tu es notre frère, tu es notre père, tu es notre ami,
tu es un digne sénateur, tu es un vrai prince ! (80 fois) — Claude
Auguste délivre-nous d'Auréolus ! (5
fois) — Claude Auguste, venge-nous du
Palmyrénien ! (5 fois) — Claude Auguste, délivre-nous de Zénobie et de Victorina !
(7 fois) — Claude
Auguste, Tetricus est un fainéant (7
fois)[2]. Le Sénat s'abstenait d'invectives contre Gallien ; ne venait-il pas de le mettre au rang des dieux et ne le savait-il pas aimé, sinon regretté, des légions d'Italie ? Mais le peuple n'était pas arrêté par de tels scrupules ; une multitude tumultueuse envahit le temple d'Apollon à défaut du Sénat, s'adressant aux dieux et demandant les peines du Tartare pour Gallien qu'on venait de mettre dans l'Olympe. Pour les satisfaire ou pour se satisfaire, le Sénat leur livra (c'est triste à dire) les agents du pouvoir de Gallien ; il y eut des yeux crevés, des hommes jetés dans les gémonies. On peut croire que là périt le dernier fils de Gallien. Son frère, Valérien, avait été tué avec lui dans le camp. Claude eut horreur de ces représailles et d'ailleurs, il ne voulait pour rien au monde paraître le complice du meurtre de Gallien. Il écrivit de Milan au nom des soldats et les violences cessèrent. Que n'en fut-il de même de tous les genres de violences ? Mais il n'y a guère à en douter, la persécution recommença contre l'Église. L'Église avait grandi à Rome grâce à la liberté que lui laissait Gallien. Elle avait grandi dans les provinces où ceux qu'on appelait les tyrans avaient autre chose à faire qu'à diviser en bourreaux et en victimes les peuples dont l'adhésion les soutenait. Elle avait gagné dans les rangs de l'armée ; le soldat, que les péripéties de la guerre civile rapprochaient davantage des populations et affranchissaient davantage de l'ascendant de ses chefs, le soldat qui vénérait moins Jupiter depuis qu'il avait appris à moins vénérer l'aigle romaine, le soldat apprenait à comprendre, au milieu de l'instabilité des règnes de la terre, la beauté et l'immutabilité du règne de Jésus-Christ. Il y eut dans l'Italie que gouvernait Claude, et surtout dans Rome que dominait le Sénat, des martyrs, principalement sortis de l'armée. A Terni, un Claudius chef de la milice et d'autres soldats sont mis à mort, parce qu'ils protégeaient les chrétiens. A Rome, deux cent soixante soldats chrétiens triés dans toute l'armée sont d'abord condamnés aux travaux des carrières, puis à la mort ; et, réunis dans une enceinte fermée, ils sont tués à coups de javelots. Une famille de nobles persans — tant les rapports s'établissaient entre chrétiens malgré l'éloignement des lieux et l'hostilité des nations ! —, venus à Rome pour recueillir quelques ossements des martyrs, non-seulement en trouve un grand nombre, mais trouve de plus des confesseurs à soulager, à bénir, à vénérer dans leur pauvreté ou dans leur prison, des frères cachés à visiter dans l'humble retraite où ils chantent la nuit les louanges du Seigneur, des fidèles traduits devant les juges à encourager au milieu des supplices ; et mieux que tout cela, ils trouvent eux-mêmes le martyre : venus à Rome pour en rapporter des reliques, leurs reliques, au contraire, vont accroître le saint trésor de Rome[3]. Ceci se passait à une époque indéterminée sous le règne de Claude. Peut-être même était-il encore absent de Rome. Car, avant d'y aller inaugurer son empire, il voulait en finir dans le Nord avec Auréolus ; chose plus pressée et plus facile que d'en finir, comme le lui demandait le Sénat, dans les Gaules avec Victorina, dans l'Asie avec Zénobie, ou, comme le monde le lui eût bien plutôt demandé, dans tout l'univers romain avec les barbares. Auréolus, sorti de Milan, eût voulu traiter avec Claude, comme jadis il avait traité avec Gallien. Mais le nouvel empereur reçut ses propositions avec une fierté tout autre : C'était bon, répondit-il, à demander à Gallien ; cet homme était capable ou de s'accorder avec toi ou de te craindre. On se battit donc ; Auréolus fut vaincu. Son vainqueur lui eût accordé la vie ; mais il fut condamné par un jugement des soldats, nous dit l'historien : le soldat gardait toujours sa toute-puissance. Tout ce qu'il voulut bien accorder à la clémence de Claude, ce fut un modeste tombeau pour Auréolus et une épitaphe où Claude témoignait de son impuissance à sauver son rival[4]. Mais, après Auréolus, restaient Tetricus et Zénobie l'Orient et l'Occident, le monde entier. Rome disait : Depuis que la Gaule nous est ravie, la moelle de nos légions nous manque. Depuis que la Syrie a cessé de nous obéir, nous n'avons plus de si habiles archers. Claude le savait bien, mais il savait aussi que la liberté des peuples, conquise par huit ans de guerre, n'était pas facile à subjuguer. Il acceptait peut-être dans sa pensée ce faisceau de trois empires, tous trois romains par les mœurs et les lumières, tous trois se prêtant appui contre les barbares. Mais, surtout, un plus pressant intérêt et un devoir plus impérieux l'appelaient à combattre les barbares. Les Alemans, paisibles pendant quelques années, menaçaient de nouveau. Les Goths n'étaient jamais longtemps éloignés de la frontière romaine. Immédiatement après la défaite d'Auréolus, et peut-être avant d'avoir pu aller à Rome, Claude eut à combattre sur les bords du lac de Garde les envahisseurs germains. Il les vainquit et les rejeta au delà des Alpes, après en avoir, dit-on, fait périr la moitié[5]. Bien peu après être revenu à Rome, il fallut qu'il marchât contre les Goths, et là le danger était immense. Aussi, à ceux qui lui parlaient de Tetricus et d'une marche vers la Gaule, il répondait sagement : La guerre contre Tetricus est mon affaire à moi, la guerre contre les barbares est l'affaire de la République tout entière[6]. En effet, la nouvelle invasion gothique s'annonçait plus redoutable que les précédentes. Peu de mois avant la chute de Gallien (267), Claude lui-même et Marcianus, commandant ensemble les troupes romaines, avaient combattu les Goths et les avaient défaits. Claude aurait voulu les poursuivre à outrance et ne pas en laisser un seul ; Marcianus ne voulut pas s'épuiser à cette poursuite, jugeant peut-être que ceux qui regagneraient leurs foyers y parleraient de la puissance des armes romaines et empêcheraient une nouvelle invasion. Mais ils parlèrent aussi sans doute de la richesse des villes et du déclin de la puissance romaine. Bientôt un immense rassemblement de nations barbares, Goths, Ostrogoths, Gépides, Hérules (tous noms que Rome un jour devait bien connaître), eut lieu sur les bords du Tyras (Dniester). On y construisit, les uns disent deux mille, les autres six mille navires, sur lesquels trois cent vingt mille hommes s'embarquèrent. Leur tactique était de ne combattre ni en pleine campagne, ni en pleine mer, mais de suivre les côtes, de saisir les navires qu'ils rencontraient, de débarquer des milliers d'hommes là où se trouvait un port opulent, de piller et de se rembarquer avec leur butin. Les habitants des côtes maritimes, que Rome ne pouvait défendre tons, étaient obligés de veiller en armes contre cet ennemi, qui, un jour ou l'autre, pouvait surgir contre eux du sein de la mer. Tomes (Kustendjé) sur le Pont-Euxin, Marcianopolis non loin de cette mer, eurent le bonheur de les repousser, non sans plusieurs combats. Vers le Bosphore, Byzance et Cyzique se défendirent également, aidées par la tempête qui fit périr bon nombre de vaisseaux barbares. Mais que pouvaient devenir les villes ouvertes et les campagnes ? On vit les barbares s'élancer sur la mer Égée, s'arrêter au mont Athos pour ravitailler leurs navires, attaquer Cassandria en Macédoine (appelée auparavant Potidée), débarquer à Thessalonique, laissant leur flotte suivre les rives de la Grèce pour piller ses villes maritimes. Cassandria et Thessalonique allaient être prises, lorsque Claude enfin parut dans les plaines de l'Illyrie (269). Ses préparatifs avaient été longs ; Rome était si épuisée ! Il avait envoyé d'abord son frère Quintilius, puis Aurélien, général déjà illustre, occuper les provinces d'Illyrie, de Thrace et de Mésie[7]. Mais il fallait un empereur et il fallait une plus puissante armée. On rapporte un trait, peut-être imaginé après la mort de Claude, mais qui peint toute la grandeur du péril et comme un réveil de l'ancien héroïsme romain. On prétend que le Sénat consulta les livres de la Sibylle et y vit que la patrie ne pouvait être sauvée que par un dévouement comme celui de Decius, par la mort volontairement acceptée du prince du Sénat. Je suis le prince du Sénat, dit le consulaire Pomponius, je me dévoue. — Non, dit l'empereur Claude, c'est moi qui suis le premier du Sénat et de tous les Romains. C'est à moi de me dévouer[8]. Se dévouer à la face des dieux n'était pas assez ; il fallait combattre ; Quintilius et Aurélien étaient déjà en Mésie, mais quelles forces avaient-ils pour résister à cette masse de Goths débarqués, pour garantir contre leur flotte les ports de la Grèce ? Claude se plaignait de l'exigüité de ses ressources militaires : Pères conscrits, écoutez la vérité. Trois cent vingt mille barbares sont sur le territoire romain. Si je peux les vaincre j'aurai bien mérité de la patrie ; si je suis vaincu, j'aurai du moins combattu comme on peut combattre après Gallien, après Valérien, après Ingénuus, après Régillianus, après Postume, après Lollianus, après Celsus, après mille autres qui par mépris pour Gallien ont fait la guerre à la République. La République est épuisée. Les boucliers, les épées, les javelots nous manquent. Les Gaules et l'Espagne, qui sont la force de la République, sont entre les mains de Tetricus. Zénobie — j'ai honte de le dire — est maîtresse de tous nos archers. Le peu que nous ferons, quel qu'il soit, sera une grande chose[9]. Le succès dépassa son attente. Les Goths, ou pour le rencontrer ou pour regagner le Danube, avaient, à la nouvelle de son approche, quitté Thessalonique et étaient remontés en pillant vers la Mésie. Claude, arrivant par le nord et par l'Illyrie, les rencontra à Naisse (Nissa en Serbie). Il y eut là entre les légions romaines peu nombreuses et cette multitude de barbares, moins bien armés, mais aussi braves, une grande bataille où un instant la fortune romaine fut près de fléchir. Mais une manœuvre hardie, à travers des sentiers presque inaccessibles, surprit les barbares et amena leur déroute. Cinquante mille d'entre eux périrent. Claude leur coupa la retraite vers la Macédoine et les força de se jeter dans les gorges de l'Hémus. Claude put écrire : Nous avons détruit trois cent vingt mille Goths, coulé deux mille navires, les fleuves sont couverts de débris, les champs d'ossements. Une immense quantité de chars est abandonnée. Parmi nos captifs, il y a tant de femmes que chacun de nos soldats pourrait s'en attribuer deux ou trois[10]. La flotte gothique cependant avait continué à parcourir la mer Égée. Athènes avait été prise et, après s'être emparés de tout le butin utile, les barbares avaient fait un monceau de tous les livres pour les brûler. — Ne les brûlez pas, dit un d'eux. C'est avec les livres qu'ils se déshabituent d'être soldats. Mais, si Athènes fut prise une fois de plus, elle se vengea une fois de plus, et sous la conduite de Cléodème, les barbares dans leur retraite furent battus par les volontaires athéniens[11]. Quelques navires des Goths étaient allés jusqu'à Rhodes, d'autres jusque dans l'île de Chypre ; la plupart chargés de butin, revenus sur les côtes de Macédoine, y débarquèrent. Pendant qu'ils pillaient là encore, on brûla leurs vaisseaux, et eux-mêmes furent poursuivis. L'année suivante, une multitude de Goths fugitifs occupait encore le mont Hémus. Claude les y attaqua et les eût aisément vaincus, si l'ardeur du pillage n'eût pris aussi à ses soldats et si deux mille d'entre eux n'eussent péri dans une surprise. Mais les malheureux Goths, traqués de toutes parts, souffrant la faim, la maladie, furent bientôt obligés de se rendre. Un chef Hérule, qu'un officier de l'empereur pressait de capituler, fit d'abord une réponse pleine de fierté : Ami des tyrans, esclave de ton ventre, sache que je suis libre et que rien ne me manque. Mais on prétend qu'ensuite le même chef, vaincu et forcément soumis à l'empereur, se résigna et se contenta de demander au prince de son meilleur vin afin de se réjouir avec ses compagnons. Telle était, s'il faut en croire l'anonyme byzantin qui seul nous garantit ce fait, l'esprit mobile, tantôt généreux et fier, tantôt grossier et bas de ces barbares[12]. Il put sembler alors que le monde romain allât se peupler d'esclaves goths comme, après la défaite de Persée, l'Italie s'était vue envahie par les captifs macédoniens : La plupart de leurs rois avaient été pris ; des femmes du rang le plus illustre parmi les différentes nations barbares étaient également captives ; les provinces se remplissaient de laboureurs, de colons, de soldats barbares. Pas une région de l'Empire qui n'eût au moins en signe de triomphe un Goth prisonnier. Leurs bœufs, leurs brebis, leurs cavales depuis longtemps célèbres, quel est celui de nos aïeux qui ne les a pas connus ? Tel est le langage emphatique de Trébellius Pollion, historien d'ordinaire peu animé, mais chaleureux panégyriste de Claude. La raison de cet enthousiasme, il ne le cache pas, c'est qu'il est sujet de Constance Chlore et que Constance Chlore est petit-neveu de l'empereur Claude. Peu importe, du reste ; la victoire était incontestablement glorieuse. C'était la victoire non d'un César et d'une province, mais celle de tout l'Empire. Claude avait déjà, depuis son succès contre les Alemans, le surnom de Germanique ; le surnom de Gothique y fut ajouté par un décret du Sénat et par une acclamation du monde entier. Du reste, sauf la tache de la persécution dont il est difficile de le laver, Claude a laissé le renom d'un sage Empereur. Selon son panégyriste, il ne porta envie à personne et ne poursuivit que les méchants. Il punit hautement la vénalité des juges, traitant avec indulgence ceux qui n'étaient qu'incapables. Il ne voulut pas souffrir qu'on lui demandât ce qu'on avait si souvent demandé à ses prédécesseurs, les biens d'un homme vivant. Lui-même, il est vrai, avait, non pas fait semblable demande, mais reçu un semblable présent des mains de Gallien ; et une femme qui avait été dépouillée de cette façon eut assez de hardiesse pour revendiquer de lui le bien que détenait injustement, disait-elle, le tribun ou le centurion Claudius. Le César Claudius eut le bon goût de ne pas s'irriter de cette revendication faite à lui-même contre lui-même : Claude devenu empereur, dit-il, doit rendre ce qu'a pris autrefois Claude simple citoyen, moins obligé alors à respecter les lois. Pendant ce règne et pendant ces guerres, l'empire des Gaules et l'empire d'Orient restaient debout. — Il y a plus, Zénobie essaya par deux fois de conquérir ou d'achever de conquérir 1'Égypte. Le peuple égyptien la repoussa ; les généraux de Claude la combattirent ; comment Rome se serait-elle laissé arracher sans résistance l'Égypte qui la nourrissait ? Mais un général romain une première fois vainqueur finit par se laisser surprendre, se donna la mort, et, à la fin du règne de Claude, la reine de Palmyre était obéie sur les bords du Nil[13]. — Tetricus de son côté, après avoir vu mourir Victorina et avoir de concert avec le peuple et les soldats décerné les honneurs divins à cette libératrice de l'Occident, Tetricus voyait une insurrection se former contre son insurrection, la combattait et en triomphait. Quelques peuples de la Gaule, et, dit-on, de l'Espagne[14], depuis que le César de Rome n'était plus un Gallien, avaient imploré son aide et combattu contre le César Gaulois. Autun, assiégé pendant sept mois par Tetricus, subit les horreurs du pillage et de l'incendie ; sans que Claude, appelé par la cité insurgée, pût ou voulût la secourir[15]. La guerre des Goths absorbait-elle ses ressources au point qu'il ne pût envoyer une légion dans la Gaule ? Ou bien voulait-il vivre en paix et régner de concert avec Tetricus ? On peut le croire ; sur les monnaies du César Gaulois, nous voyons son effigie d'un côté, celle de Claude de l'autre. Ne semble-t-il pas que d'un côté et de l'autre des Alpes, on était décidé à respecter également, les uns la grandeur de Rome, les autres l'indépendance de la Gaule ? Mais le règne de Claude, militairement glorieux, politiquement sage s'il ne se fût souillé du sang des chrétiens, ce règne ne devait pas être long. La Mésie et la Thrace, parcourues par tant d'armées, dévastées par tant de pillages, étaient devenues insalubres, et la peste avait été contre les envahisseurs barbares un grand auxiliaire pour les armées romaines. Elle devait frapper aussi les Romains ; Claude, après sa victoire, retournant vers le Nord pour gagner l'Italie, en fut atteint à Sirmium et mourut au milieu de ses trophées. Depuis Septime Sévère, c'était le premier empereur mourant dans son lit. C'était aussi celui dont la gloire militaire laissait chez les peuples l'admiration et la reconnaissance la plus vive. Les hommages vinrent de toutes parts pleuvoir sur ce vainqueur si promptement enlevé à sa gloire. Il fut déifié, cela va sans dire. Nous voyons encore l'arc de triomphe qui lui fut élevé à Terni[16]. Le Sénat lui consacra, sans doute pour remplacer la statue manquée de Gallien, une statue d'or de dix pieds de haut auprès de Jupiter Capitolin, il fit placer dans la curie un bouclier d'or portant l'image de Claude. Le monde romain avait rendu à ses princes tant d'hommages de pure servitude ; aimons à nous dire que cette fois les hommages qu'il rendait étaient plus sincères et un peu plus mérités. |
[1] M. Aurelius Claudius, né le 10 mai 214 ou 215, en Illyrie. — Tribun sous Dèce, commande une légion sous Valérien, — commande l'armée d'Illyrie vers 258. — Combat contre les Goths et les défait avec Marcianus, en 267, — est fait empereur devant Milan, vers le 20 mars 268, — consul en... et 269. — Titres de Germanicus en 268, et de Gothicus Maximus en 269, — meurt de la peste en avril 270, à Sirmium.
V. sur lui : Trebellius Pollio in Claudio, les deux Victor, Eutrope, Jornandès, etc.
Claude, par son frère Crispus et sa nièce Claudia, fut grand-oncle de Constance Chlore, et arrière-grand-oncle de Constantin.
[2] Tetricus nil fecit. Pollio in Claudio, 4.
[3] Martyrs sous Claude le Gothique :
A Rome : SS. Juste, Crescentius (et Jacinthus ?), 4 août. — Théodose, Lucien, Marc, Pierre et 114 soldats, 25 octobre. — Prisca, vierge, 18 janvier. — Les Persans, Marius Calabite, Marthe sa femme, Audifax et Abacuc leurs enfants, 19 (20) janvier. — Valentin, prêtre, 14 février. — 262 soldats, 17 juin (25 mars, 1er février). — Cyrinus, 25 mars.
A Népi en Toscane : Ptolémée et Romain, évêques, trente clercs et huit fidèles, 24 août.
A Terracine : Julien, prêtre, et Césaire, diacre, 1er novembre.
A Terni, Claude et ses compagnons, 8 janvier.
A Pavie : Deux Maximes, évêques, 8 janvier.
En Sicile, à Catane : Cominius ou Comitius, 1er mai.
[4] Ces vers sont rapportés par Trebellius Pollion (in XXX tyrann., 40), comme la traduction des vers grecs inscrits sur le tombeau d'Auréolus. Ce tombeau était sur le pont (près de Milan ?) où Auréolas avait été vaincu et qui s'appela Pont d'Auréolus.
Vivere quem vellet, si pateretur amor
Militis egregii, vitam qui jure negavit
Omnibus indignis et magis Aureolo
Ille tamen clemens qui corporis ultima servans.
Et pontem Aureolo dedicat et tumulum.
[5] Aurel. Victor., Épit., 34, Vopiscus in Aurelian., 18.
[6] Zonaras, XII, 26.
[7] Vopiscus in Aureliano, 17.
[8] Aur. Victor., de Cæsaribus.
[9] Lettre de Claude au Sénat et au peuple, dans Pollion, in Cl., 7.
[10] Claude à Junius Brocchus, gouverneur d'Illyrie. Pollio, in Cl., 8. V. aussi Zosime, I, 42, 43.
[11] Excerpta ex ignoto scriptore apud Maium : Scriptorum veterum nova Collectto, t. II, Zonaras.
[12] Excerpta ex ignoto
scriptore apud Maium, Tom. II.
[13] Zosime, I, 44.
[14] Ce retour de l'Espagne à la domination du César de Rome semble confirmé Par une inscription en l'honneur de Claude le Gothique, maximo principi nostro, au nom du Sénat de Barcelone. (Orelli, 1020).
[15] Eumène, Panegyr. ad Constantin., 4.
[16] Voici l'inscription de cet arc de triomphe :
DIVO CLAVDIO GOTHICO
MAXIMO PIO FELICI VICTORI
AC
TRIVMPH (atori
?) SEMPER AVGVSTO
MVNICIPI (conser
?) VATORI
AMPLIFICATORI
OB ILLVSTRIA IPSIVS GESTA
ET AMOREM IVXTA CIVES
ORDO INTERAMNATIVM
ARCVM TRIVMPHIS INSI......
DEDICA.....
M. CLAVDIO TACIT.....
PATRO.....
(Orelli, 1023).