LES CÉSARS DU TROISIÈME SIÈCLE

TOME DEUXIÈME

LIVRE VI. — PERSÉCUTIONS ET DÉSASTRES DE L'EMPIRE - 249-260

CHAPITRE IV. — VALÉRIEN AVANT LA PERSÉCUTION - 253-256.

 

 

Rome à bon droit pouvait concevoir quelque espérance. Cette fois au moins, son empereur n'était pas un aventurier dace ou pannonien, traître envers le prince à qui il avait prêté serment, élu pour de l'argent par des soldats révoltés. Valérien[1] était un vieux Romain, honoré dans la vie civile ainsi que dans l'armée, tenant le premier rang dans le Sénat, et depuis longtemps respecté autant qu'homme pouvait l'être dans cette société qui ne respectait guère que la force. Seize ans auparavant, à l'époque de l'élection si populaire des Gordiens, il avait été leur envoyé d'Afrique à Rome. Sous Dèce, il avait été, s'il faut en croire un récit mêlé de quelques invraisemblances, appelé à la fonction de censeur par un vote unanime du Sénat. Un censeur dans la Rome d'alors et un censeur élu par le Sénat, c'était une chose bien nouvelle ! Il y a plus, Dèce l'aurait félicité de cette élection et aurait exalté le pouvoir d'un censeur de manière à en faire un second empereur. Mais ce qui rend an récit quelque vraisemblance, c'est que Valérien, en homme prudent, aurait refusé ce pouvoir d'autant plus périlleux qu'il était plus étendu, et aurait de cette façon laissé à son souverain toute la gloire de sa politique libérale avec les inconvénients de moins. Mais surtout, vertu inouïe à cette époque, Valérien avait été fidèle ; général sous le César Gallus, il avait pris les armes pour et non pas contre son maître ; il avait détrôné, non le prince auquel il avait prêté serment, mais le successeur et le meurtrier de ce prince ; il régnait sans avoir trahi ; son élection, chose inouïe, n'était l'œuvre ni d'une émotion populaire, ni d'une révolte de la soldatesque ; elle était due à ses vertus, et répondait aux vœux du monde entier. Si tous avaient eu le droit de désigner par leurs suffrages le prince de leur choix, nul autre que Valérien n'eût été élu[2].

De plus — ce que les peuples appellent aussi une espérance, espérance 'presque toujours trompée — le souverain avait deux fils, deux fils déjà mûrs, qui pouvaient le seconder dans la grande tâche de gouverner l'Empire et surtout de le défendre. L'aîné, Gallien, âgé de trente-cinq ans, fut fait César parle Sénat, et peu après nommé Auguste par son père ; le second, Saloninus, porta le titre de César. C'étaient là de vains titres, mais ils constataient du moins que des mains jeunes et vigoureuses pouvaient venir en aide au vieil empereur. Gallien, peu de temps après l'avènement de son père, figure à la tête des armées.

Cependant le monde romain avait toujours à lutter contre le double fléau que lui avait légué le persécuteur Dèce, la peste et les barbares. Contre la peste on ne pouvait rien. Contre les barbares, on sut du moins combattre. Les monnaies et les inscriptions parlent de victoires, et les surnoms belliqueux ne manquent pas à la suite des noms des Empereurs. Ces surnoms ne prouvent pas toujours des succès, ils prouvent du moins des combats. De plus nous voyons surgir sous Valérien plusieurs hommes qui, d'abord généraux heureux ou habiles, deviendront empereurs à leur tour, en ce siècle où Rome avait surtout besoin de vaillantes épées pour sa défense ; tels Aurélien, Claude, Probus, Posthume. Valérien fit leur fortune ; il eut au moins le mérite de ne pas voir dans tout capitaine illustre un futur compétiteur.

A l'intérieur, le gouvernement de Valérien fut modéré, humain, compatissant, économe. Il chercha à soulager les peuples écrasés à la fois par les barbares et par les Empereurs. Il se montra respectueux envers le Sénat ; ancienne tradition d'Antonin et de Marc-Aurèle, bien oubliée de leurs successeurs. Il se montra comme eux, simple, bienveillant, familier, admettant les remontrances, les conseils, presque les reproches. C'était un César de sang romain, et par cela même moins orgueilleux que les Césars africains, asiatiques, pannoniens ou maures, sous le joug desquels Rome avait passé. Il semble même qu'il ait soupçonné d'où pouvait venir la régénération de son peuple ; il avait vu assez de guerres, assez de révolutions, assez de fléaux, pour se douter un peu où était le remède. Si, en face des ravages de l'épidémie, il se demandait qui avait été le plus courageux à braver le mal, le plus ardent à le guérir, il ne rencontrait guère d'autres noms que des noms chrétiens. Si, après la chute successive de Dèce, de Gallien, d'Émilien, si rapidement amenée en trois ans par la révolte, la trahison et l'assassinat, il se demandait où un Empereur pouvait trouver des soldats disciplinés, des généraux fidèles, des serviteurs loyaux, il voyait parmi les païens beaucoup de traîtres et de meurtriers, parmi les chrétiens pas un seul. Il lui était difficile de ne pas estimer ces hommes qui ne se liaient guère par un serment qu'envers Dieu seul, mais qui tenaient ce serment au mépris de la mort et des supplices. Il lui était difficile, quand par hasard ils lui avaient juré fidélité, de ne pas considérer comme la garde la plus sûre, ce serment si rare sur leurs lèvres. Aussi, nous dit un évêque contemporain, vit-on sous Valérien le christianisme rencontrer un degré de bienveillance et de faveur qu'il n'avait pas rencontré, même sous les princes qui avaient passé publiquement pour chrétiens (ce ne peut être que les Philippes). Sa maison était pleine de disciples de l'Évangile, on aurait dit une assemblée chrétienne[3]. Ce prince idolâtre (et soit à Rome, soit ailleurs, il y a eu bien des exemples semblables) mettait sa vie sous la sauvegarde des vertus chrétiennes.

Aussi voyons-nous dans saint Cyprien qui est pour nous le peintre unique de l'Église de ce temps, les fruits de cette liberté, l'activité de l'Église et les variétés infinies de sa sollicitude ; combien dans chaque province les rapports d'évêques à évêques, d'église à église, les réunions d'évêques, les communications des pontifes aux fidèles étaient fréquentes, actives, pleines de vigilance et de charité. Nous voyons enfin comment d'un bout du monde à l'autre, en passant par Rome leur centre commun, les églises chrétiennes vivaient de la vie les unes des autres, malgré la distance, malgré la pauvreté, malgré les haines et les entraves dont, même aux époques les plus libres, elles étaient entourées.

Ainsi, l'on s'occupe de panser les plaies que la persécution a laissées. En Espagne, deux évêques ont fléchi sous l'orage, et ont acheté de ces honteux certificats d'apostasie dont nous avons parlé ; l'un d'eux même s'est associé aux banquets impurs des Gentils et à ces corporations de métier, toutes entachées d'idolâtrie ; l'autre, après avoir, au moyen d'un récit mensonger, obtenu une sorte de pardon du pape Étienne, plus tard malade et saisi par les remords, se dépouille de l'Épiscopat, et ne sollicite plus que d'être admis au premier rang des simples fidèles. Il reste cependant des partisans, à ces évêques déposés, et les évêques nommés pour leur succéderont peine à se faire reconnaître. Ceux-ci vont à Carthage se munir de l'approbation de Cyprien, et un concile de trente-sept évêques réunis dans cette ville reconnaît Félix et Sabinus, nommés à la place des apostats, comme évêques légitimes de Léon et d'Astorga[4].

Ailleurs ce ne sont pas les tombés, ce sont leurs ennemis outrés qu'il faut combattre. Marcianus évêque d'Arles s'est fait sectateur de Novatien ; il refuse le pardon aux tombés, quels qu'ils soient et quelque pénitence qu'ils aient faite. Cyprien en est averti, et il en avertit à son tour le pontife romain : Que l'évêque de Rome intervienne, qu'il écrive aux évêques de la Gaule ; qu'il excommunie Marcien ; qu'il fasse substituer un autre évêque à sa place. Que les deux pontifes martyrs, Corneille et Lucius dont Étienne est aujourd'hui le successeur, ne voient pas leur mémoire oubliée, eux, qui, pleins de l'Esprit-Saint et revêtus déjà de la gloire du martyre, ont déclaré par leurs lettres que la pénitence doit être accordée aux tombés. Entre nous qui vivons du même esprit, la doctrine ne peut différer. Celui qui abandonne l'unité de doctrine, celui-là n'a point en lui la vérité de l'Esprit-Saint[5].

Ailleurs ce sont d'autres difficultés. — Il y a des aquarii, gnostiques ou héritiers des gnostiques, qui prétendent célébrer sans vin le saint sacrifice. Ils craignent dans leur méticuleuse prudence que l'odeur du vin pris le matin ne les trahisse en face des idolâtres. Cyprien réfute leur erreur et leur fait honte de leur pusillanimité[6]. — D'autres, imbus des traditions judaïques, croient ne devoir donner le baptême aux enfants que le huitième jour, comme il se faisait pour la circoncision ; Ils poussent même l'horreur pour les enfants nouveau-nés jusqu'à les soustraire pendant cette première semaine aux baisers de leurs parents. Au nom d'un concile de soixante-six évêques, Cyprien condamne leur superstition : Vous accordez, dit-il, le baptême à l'homme coupable des plus grands crimes ; le refuserez-vous à l'enfant qui n'a d'autre tache que le péché d'Adam, et qui, dès le jour de sa naissance, implore par ses cris et par ses larmes la miséricorde de Dieu ?[7]

Mais sur Cyprien et sur l'Église retombe encore un autre devoir que celui d'enseigner, le devoir de consoler. Les pauvres abondent ; la persécution en a fait par milliers, la peste en a fait, les barbares en font chaque jour ; et plus que toute autre chose, la décadence progressive du monde romain, sous l'influence de la corruption païenne et du despotisme militaire, rend le travail plus stérile, la richesse moins abondante, la pauvreté plus fréquente et plus irrémédiable. Contre ce mal, personne ne lutte, ni Empereur, ni armée, ni Sénat, ni peuple, ni prêtres, ni philosophes, ni millionnaires. Les médecins combattent tant bien que mal la peste, et les soldats les irruptions des barbares ; contre la pauvreté qui s'accroît chaque jour, personne ne lutte que les chrétiens, le clergé et l'épiscopat chrétiens. Cyprien, pour la combattre, écrit son beau traité ou prononce sa belle homélie Sur l'aumône et sur les œuvres. Il rappelle que les largesses des païens sont des spectacles cruels et corrupteurs, que les largesses des chrétiens sont des aumônes : Quand un païen est opulent, s'il devient édile ou préteur, le peuple lui demande des chars et des gladiateurs. Quand un chrétien est riche, Dieu lui demande son spectacle à lui, la charité. En présence du proconsul ou de l'Empereur, on se croit obligé à plus de magnificence ; qu'est-ce donc en présence de Dieu ou du Christ, en présence des anges et des vertus du ciel, lorsqu'il s'agit de gagner, non le char triomphal ou la pourpre consulaire, mais la vie éternelle, non la vaine faveur du peuple, mais la gloire sans fin du royaume céleste ? En remplaçant par la noble passion de l'aumône la funeste passion des spectacles, Cyprien nous fait sentir par le point le plus frappant l'opposition des deux cités qui se partageaient et qui hélas se partagent encore le monde[8]. Et ailleurs, en face d'une calamité particulière, lorsque les évêques de Numidie lui demandent de les aider à racheter des chrétiens tombés entre les mains des barbares, les paroles qui retentiront au jugement dernier reviennent sous la plume avec une éloquence plus vive encore : Si le Seigneur dans l'Évangile nous dit : J'ai été malade, et vous m'avez visité, à plus forte raison il nous dira : J'ai été captif, et vous m'avez racheté. S'il nous dit : J'ai été en prison, et vous m'avez visité, à plus forte raison il nous dira : J'ai été captif, enfermé, garrotté chez les barbares, et vous m'avez délivré. Dans nos frères captifs, envisageons le Christ, rachetons des périls de la captivité Celui qui nous a rachetés des périls de la mort ; rachetons avec notre or Celui qui nous a rachetés sur la croix avec son sang... Quel homme, se rappelant les devoirs de la charité mutuelle, s'il est père, ne tient pas pour ses fils ceux qui sont dans l'esclavage ? s'il est époux, ne pleure pas comme son épouse celle qui est tombée aux mains des barbares ? Et, pour joindre les actes aux paroles, Cyprien ajoute qu'il a invoqué et n'a pas invoqué en vain la charité de son clergé et de son peuple. Il envoie à ses collègues cent mille sesterces (25.000 fr. ?), les remerciant d'avoir compté sur la charité des chrétiens de Carthage, et de leur avoir ainsi offert une terre fertile dans laquelle ils ont pu jeter la semence de l'aumône féconde pour le ciel ; leur demandant de recourir de nouveau à la charité de leurs frères, si jamais (ce qu'à Dieu ne plaise !) semblable malheur se renouvelait ; leur donnant enfin, pour être rappelés dans leurs prières, les noms des évêques, des prêtres, des fidèles qui ont contribué, chacun selon ses forces, à cette fraternelle offrande pour les captifs[9].

A ce moment, sur bien des frontières de l'Empire il y avait des barbares en armes, il y avait des traîtres et des prisonniers emmenés au loin ; sur tous les points de l'Empire, il y avait des souffrances, des pauvres, des malades, des pestiférés, par suite des cinq ou six ans de calamités qui avaient suivi la mort de Dèce. Dans quel temple, dans quelle maison, dans quel palais, ailleurs que dans les églises et les maisons chrétiennes, se passait-il quelque chose de tant soit peu analogue à ce que nous voyons se passer chez les fidèles de Carthage ? Le peuple païen était à ses spectacles, et ses spectacles le dispensaient de la charité.

Mais l'Église de Dieu n'est jamais sans épreuve ; lorsque les combats du dehors s'arrêtent, les combats du dedans recommencent ; lorsqu'une cause d'inquiétude et d'agitation disparaît, une autre surgit. C'est la destinée de l'homme, c'est celle des peuples, c'est surtout celle de l'Église.

La persécution de Gallus était finie ; l'erreur de Novatien, restreinte à quelques obscurs sectateurs, avait été reniée par toutes les églises. Il fallait qu'une nouvelle erreur se produisît, qu'un nouveau combat commençât, tout cela avant que ne recommençât à son tour le perpétuel combat de la chrétienté contre la persécution païenne.

Les chrétiens depuis un siècle inclinaient au rigorisme. L'hérésie, qui avait encore le plus de sectateurs, était celle du rigide Montan. Tandis que Félicissime, prêchant l'excès de l'indulgence envers les tombés, n'avait eu qu'un succès partiel et local à Carthage, Novatien, prêchant une sévérité outrée, avait pu se faire le pape d'une nouvelle église et trouver à Rome et hors de Rome de nombreux appuis. Saint Cyprien nous l'apprend, le peuple, dans les assemblées chrétiennes, se montrait envers les pénitents plus rigide que le clergé ; qu'il s'agît d'une chute dans l'idolâtrie, qu'il s'agît d'un autre crime grave, il fallait extorquer au peuple son pardon[10].

Or, à cette heure, la liberté de l'Église, l'héroïsme avec lequel elle avait soutenu deux persécutions en quatre ans, la paix intérieure rétablie après le schisme de Novatien, l'admirable charité qu'elle avait témoignée en face de la peste et en face des barbares, lui amenaient de tous côtés des âmes bénies de Dieu. Il en venait du paganisme, il en revenait aussi de l'hérésie ; celles-ci, en Orient, avaient été pour la plupart séduites par l'erreur de Montan, qui, partagée en plusieurs branches, comptait un grand nombre de fidèles. En Occident, c'étaient surtout des sectateurs de Novatien, éclairés enfin sur ce qu'avait d'inique la sévérité d'un maître qui n'avait pas toujours été sévère envers lui-même. Tous venaient en foule, impatients de vivre de la vie de l'Église, prêts à se soumettre à tout pour être admis dans son sein.

Mais fallait-il imposer à ces hérétiques convertis un nouveau baptême (lorsque du reste le baptême conféré par les hérétiques l'avait été régulièrement) ? Jusque-là la tradition de l'Église ne l'avait pas admis, et la pratique à cet égard avait été longtemps universelle[11]. Le baptême tire sa valeur de la puissance divine, non de la vertu ou de l'orthodoxie de celui qui le confère. Pour l'Afrique cependant et la Numidie, quelques années avant Cyprien, une assemblée d'évêques[12] avait décidé d'imposer désormais un second baptême à ceux qui, nés hors de l'Église, n'avaient reçu que le baptême des hérétiques. Un peu plus tard, quand se produisit la secte de Novatien, ces mêmes évêques se crurent en droit d'user envers elle d'une sorte de représailles ; Novatien rebaptisait les catholiques 'qui venaient à elle, les évêques africains décidèrent de rebaptiser les disciples de Novatien venant à l'Église[13]. Dans l'Asie Mineure également, des synodes tenus à Icone et à Synnade par les évêques de Galatie, de Cilicie, de Cappadoce[14], avaient statué de même pour les montanistes. Il est vrai qu'à ceux-ci, rigides et durs comme les sectateurs de Novatien, on pouvait reprocher en outre de méconnaître la troisième personne de la sainte Trinité, en disant que le Paraclet n'était autre que leur prophète Montan[15].

Il y avait dans cette sévérité de quelques évêques un entraînement excusable, mais funeste. Que fut devenue l'Église si elle se fût crue obligée de rendre aux hérétiques toutes leurs violences, toutes leurs duretés, toutes leurs exclusions ? Et l'on ne condamnait pas seulement le baptême de Novatien ou celui de Montan, mais celui de tous les hérétiques, quelle que fût leur doctrine et quels que fussent leurs actes. Néanmoins, de grandes âmes, de nobles esprits, subirent cet entraînement. En Orient Firmilianus dont j'ai déjà parlé, en Occident Cyprien, soutinrent, contre la coutume générale des églises, la règle particulière qu'ils voulaient donner à leur église[16]. Dans cette pensée, deux conciles tenus à Carthage écrivirent aux évêques encore récalcitrants soit en Afrique, soit principalement en Mauritanie[17] : on leur laissait, disait-on, toute leur liberté, on ne prétendait pas les exclure de l'Église parce qu'ils suivaient la coutume ancienne de l'Église, on ne les excommuniait pas comme hérétiques ; mais on soutenait qu'ils étaient hors de la vérité, et on les sollicitait d'y rentrer[18].

Et cela même n'était-il pas une erreur ? La question de la validité du baptême n'intéresse-t-elle point la foi ? Il me semble que le pape saint Étienne l'a compris ainsi. Non-seulement il condamne cette exigence d'un nouveau baptême, quand le renouvellement de ce sacrement a toujours été en horreur dans l'Église ; mais encore il compte cette question parmi celles qui intéressent l'orthodoxie, et il menace de rompre la communion[19], sinon avec Cyprien, du moins avec ceux des évêques d'Orient qui ont méconnu sur ce point la tradition de l'Église[20].

Que s'ensuivit-il ? Nous voudrions montrer Cyprien pur de tout sentiment de révolte, et croire apocryphes les lettres où il répond plus que durement au pape Étienne. Il avait autrefois, dans un beau langage et avec une énergie de foi remarquable, soutenu l'unité et l'autorité de l'Église et en particulier l'autorité de l'Église romaine qui est la pierre contre laquelle viennent se briser toutes les hérésies. Mais (telle est par moments la faiblesse de l'esprit humain !) ces principes même, il ne craint pas de les rappeler, et il trouve moyen de les appliquer à la défense de l'erreur : Parce que l'Église est une, dit-il, il n'y a qu'un baptême, celui que donne l'Église ; tout autre est nul. Parce que Pierre est le fondement de l'Église, le baptême donné par ceux qui ont rompu avec Pierre n'est qu'une vaine cérémonie. C'est pour cette raison qu'il méconnaît et qu'il attaque le successeur de Pierre[21] !

Mais consolons-nous : cette erreur d'une grande âme ne fut pas de longue durée ; saint Jérôme nous l'atteste, les évêques dissidents, mieux éclairés, se soumirent[22], et Denys d'Alexandrie nous apparait dans Eusèbe, cherchant surtout à ménager une réconciliation entre le Saint-Siège et les évêques orientaux[23]. Denys, Cyprien, Firmilianus (malgré la lettre singulièrement violente qu'on attribue à ce dernier contre le Pape), ont pu être inscrits aux fastes de l'Église : et la loi portée par le pape Étienne n'en a pas moins prévalu ; et le renouvellement du baptême pour les hérétiques n'en a pas moins été effacé ; et sans force, sans violence, sans même de longues années de controverse, Rome a vaincu, imposant au monde chrétien sa légitime indulgence, comme elle lui avait imposé sa légitime sévérité. C'est que non-seulement les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle, mais la sainteté même lorsqu'elle se trompe, le génie et la vertu lorsque par malheur ils sont employés au profit de l'erreur, ne prévaudront pas contre la chaire de Pierre. L'Église peut avoir raison de tous ses adversaires, fussent-ils des saints : Quand nous viendrions nous-mêmes, dit saint Paul, quand un ange viendrait du ciel vous apporter un autre évangile que celui que nous vous avons annoncé, qu'il soit anathème ![24]

Mais le moment était proche où les querelles intérieures de l'Église allaient se taire devant le péril du dehors. Il fallait peut-être que la persécution approchât pour que les esprits se recueillissent, pour que la prière remplaçât la controverse, pour que toutes les âmes appelées à un même combat sentissent le besoin de s'unir avant d'y aller. Ne recherchons plus jusqu'à quel point a été animée et combien de temps a duré la lutte entre saint Cyprien et saint Etienne. Leur réunion par l'orthodoxie nous sera prouvée quand nous verrons leur réunion par le martyre. La hache du bourreau ne distinguera pas le pontife qui a toujours maintenu la tradition de l'Église de l'évêque qui y est revenu après s'en être écarté un instant ; elle prouvera la sagesse de l'un, la soumission de l'autre, la sainteté de tous deux.

En effet, la modération de Valérien devait bientôt se démentir. Qu'il y eût chez lui douceur naturelle ou sagesse politique, peu importe, l'une et l'autre cédèrent devant un sot, misérable, honteux entraînement. Le prince vieillissait, il avait auprès de lui deux filS dont l'avenir devait être un objet de souci comme celui de tous les jeunes Césars. Un autre objet de souci était l'avenir de l'Empire menacé par les barbares, dévoré par la peste. La situation était plus grave, et la raison du prince était moins ferme. C'est alors qu'un soldat rusé et ambitieux, déjà promu à une des plus hautes dignités de l'Empire, s'empara de l'esprit de Valérien. Il s'appelait Marcianus. Il consultait déjà les devins et les magiciens pour se faire donner par eux l'espérance de devenir empereur. Il habitua son maître à les consulter, persuadé sans doute que les magiciens, propres à tout, aideraient l'Empereur à se perdre. Le vieux souverain et son ministre se livrèrent (assurés qu'ils étaient, eux, de l'impunité) aux pratiques les plus abominables de cet art infernal ; ils immolèrent des enfants, et fouillèrent leurs entrailles. La magie était à vrai dire la seule religion des païens de ce siècle, et, plus la magie était atroce, plus elle semblait devoir être puissante. Empereur et ministre, ainsi souillés, devaient avoir peu de goût pour les enfants de l'Église, et Valérien devait baisser les yeux devant les serviteurs chrétiens de son palais, dont les mœurs douces, pieuses, pures, étaient, même à leur insu, une condamnation pour lui. Et quand on lui amena je ne sais quel chef des magiciens de l'Égypte qui lui ordonna de proscrire le christianisme, Valérien n'eut plus qu'à s'abaisser devant la volonté de ce puissant ami des dieux, de qui il avait tout à apprendre et tout à espérer. Voilà la misérable cause qui lança de nouveau l'Empire dans la voie des persécutions.

En tout, les persécutions de l'Empire romain ont eu un caractère beaucoup moins politique qu'on ne le suppose. Quelques modernes, désireux, comme on l'est si souvent, de justifier les persécutions et de honnir les victimes, veulent bien se figurer que le paganisme ou un paganisme quelconque était pour l'Empire romain une religion d'État, une religion nationale comme celle que la Russie possède pour son malheur. Ils allèguent en faveur des persécutions l'excuse, si c'en est une, d'un but politique, comme peuvent l'avoir les persécutions du schisme russe contre les catholiques. Je ne sais trop du reste ce que Valérien gagnerait à être assimilé aux czars, ou les czars à Valérien. Mais cette assimilation est fausse : le paganisme romain avait été sous le Sénat une religion nationale ; il ne l'était plus sous les Empereurs, par la raison toute simple qu'il n'y avait plus de paganisme romain. Il s'était fait un tel mélange de cultes et de mythologies, tous les dieux étaient tellement adorés pêle-mêle que la chose romaine n'avait rien à gagner et ne gagnait rien à cette idolâtrie cosmopolite. Était-on meilleur citoyen romain parce, qu'on invoquait le Perse Mithra, l'Égyptienne Isis, la Phénicienne Astarté, ou parce qu'on immolait des hommes sur l'autel de la vierge Céleste de Carthage ? Et l'Empereur lui-même, qui était officiellement grand pontife du paganisme romain, que pensait-il de ce culte ? S'il était, comme Valérien, Romain de naissance et Romain civilisé, il en pensait ce qu'avaient pensé du paganisme grec, Épicure, Évhémère, Socrate ; il n'y croyait pas du tout. Si l'Empereur était comme Dèce un soldat dalmate ou pannonien, il avait les petits dieux ou les petites superstitions de son village, auxquels il croyait plus ou moins, mais qu'il préférait sans nul doute au culte de Vesta ou de Jupiter Capitolin. La religion de l'Empire, pour dire le vrai, n'était la religion de personne dans l'Empire ; ni des gens lettrés qui ne croyaient à rien si ce n'est aux sortilèges et à la magie ; ni du peuple qui croyait à tout et vénérait des dieux de toute origine, plus respectables d'autant qu'ils venaient de plus loin. La tolérance, de fait, sinon de droit, était Si grande qu'elle s'étendait même aux Juifs, ces ennemis de toutes les idoles, même à des Grecs et à des Romains devenus prosélytes du judaïsme. Pourquoi donc alors ne pas tolérer les chrétiens ? La vraie politique comme la justice le conseillait. Par moment on obéissait à ces conseils, comme Valérien l'avait fait au commencement de son règne ; pourquoi ne leur obéissait-on pas toujours ?

Pourquoi ? Dites-moi pourquoi, au XVIe siècle, quand les souverains se trouvaient en possession de ce bien immense dans l'ordre politique, l'unité de foi au sein de leurs peuples et l'unité de foi entre eux et leurs peuples, il s'en est trouvé un si grand nombre qui se sont laissé séduire par une misérable convoitise d'argent, de pouvoir ou de libertinage, et ont jeté leurs peuples et l'Europe tout entière dans cette série de guerres, de révolutions, de calamités, qui a duré plus d'un siècle ?

Dites-moi encore pourquoi, au XVIIIe siècle, sans être éclairés par l'expérience du XVIe et du XVIIe, les souverains, et cette fois tous les souverains, se sont ligués contre l'Église catholique, séduits, je ne sais comment, par quelques valets soi-disant philosophes, qui mêlaient à un fade encens pour les princes de sales railleries contre l'Église ? Et pourquoi les princes ont ainsi valu à leurs neveux la chute de leurs trônes, l'exil ou l'échafaud, au monde cette période de guerres, de massacres et de souffrances, inouïe dans l'histoire, qu'on appelle la Révolution française ?

Dites-moi enfin pourquoi, eux-mêmes, les rois du luxe siècle, avertis par tant d'expériences, battus par tant d'orages, menacés par tant d'ennemis, entourés de tant de trahisons, vont si souvent s'attaquer à cette puissance unique au monde qui, elle, n'enfante pas d'orages, ne menace point, ne trahit pas ? Pourquoi le premier d'entre eux, le fondateur du Césarisme moderne, pouvant compter comme le principal honneur de sa vie d'avoir contribué à relever l'Église, s'est fait à son tour ennemi de l'Église, la seule puissance qui ne fut ni son ennemie, ni gon esclave, et pourquoi il a préparé, par l'exil et la captivité d'un pontife, sa propre chute, son exil et sa captivité ?

Pourquoi tout cela ? Pourquoi ces entreprises impolitiques autant que coupables, folles autant qu'elles sont détestables ? Pourquoi cette passion que nulle violence ne satisfait, que nul châtiment n'instruit, que nulle réflexion n'arrête ? Expliquez-moi ce phénomène dans l'histoire moderne ; et je vous expliquerai le phénomène tout pareil que nous présente l'histoire de Valérien succédant à Gallus, de Gallus succédant à Dèce, de Dèce succédant à Maximin, à Septime Sévère, à tant de princes persécuteurs auxquels la persécution avait si mal réussi.

 

 

 



[1] P. Licinius Valerianus, né vers 190, consul avant 237, puis en 254, 255, 257, 258, 259, 260, empereur en août 252. — Surnommé invictus, pius, felix, Germanicus Maximus, trois fois. — Fait prisonnier par les Perses en 260 ; tué, dit-on, par eux en 269 (Chronic. Alexandr.).

Ses femmes : 1° (Egnatia Galliena ?) morte avant son avènement.

2° (Mariniana ? morte et déifiée avant 254 ?).

Ses enfants : 1° P. Licinus Gallienus qui régna plus tard.

2° P. Cornelius Licinius Saloninus Valerianus, fait César en 253, tué en 268.

Historiens : Trebellius Pollio, in Valerianis tribus. Eutrope, les deux Victors, Zosime, etc.

[2] Trebellius Pollio, in Valeriano, 1.

[3] Saint Denys d'Alexandrie, Ép. ad Hermammonem, apud Eusèbe, H. E., VI, 10.

[4] Cyprianus et alii, Ép. Ad Felicem presbyterum et plebem Legionis, Asturicæ et Emeritæ, 67 (68).

[5] Cyprien, Ad Stephanum, 68 (67).

[6] Cyprien, Ad Cœcilium, 63 (63).

[7] Cyprien, Ad Fidum, 64 (59).

[8] De opere et eleemosyna, éd. Oxon., p. 142. Sur ce rachat fait par les chrétiens des captifs tombés entre les mains des barbares, voyez l'inscription de la chrétienne Eugénie (à Marseille) et la discussion de M. Le Blant à ce sujet (Inscriptions chrétiennes de la Gaule, t. II). L'exemple que nous allons citer de saint Cyprien prouve que cet acte de charité chrétienne ne date pas seulement du IVe siècle de notre ère.

[9] Ad Januar., etc. 62 (60). — Voyez aussi, sur l'aumône à faire à un comédien repentant et devenu chrétien, et sous quelle condition, Ad Eucratium, 62 (61). — Sur le discernement avec lequel la charité doit s'exercer, Ad Caldonium et alios, 41 (38).

[10] Quibusdam... fratres obstinate et firmiter renituntur, ut recipi omnino non possint sine scandalo et periculo plurimum. Cyprien, Ép., Ad Cornel. papam, 59 (55).

[11] C'est ce que saint Augustin remarque d'après saint Cyprien lui-même et d'après les opinions émises au troisième concile de Carthage (De Baptismo, III, 2, 8, 9, 12 ; VII, 2, 25). — Consuetudo quæ apud quosdam obrepserat... et de là une attaque contre la puissance de la coutume. Cyprien, Ad Pompeianum, 74 (74). Quid fiet de his qui in præteritum de hæresi ad ecclesiam venientes sine baptismo admissi sunt ? Ad Jubaian., 73 (73). Consuetudinem nobis opponunt, ibid. Scimus quosdam quod semel imbiberint nolle deponere, Ad Stephan., 72 (72). Et dicunt se in hoc veterem consuetudinem sequi... Non est de consuetudine præscribendum, sed ratione vincendum, Ad Quintum, 71 (71). Firmilianus de même : Quod pertinet ad consuetudinem refutandum, etc., Ép. 75 (75).

Et enfin Eusèbe : L'antique coutume était de recevoir les hérétiques dans l'Église par la seule imposition des mains accompagnée de prières. Cyprien le premier... ne crut devoir les admettre que par le baptême. Mais Étienne, persuadé que rien ne devait être changé à une tendance établie depuis les temps les plus anciens, s'en montra très-mécontent. Hist. Ecclés., VII, 2, 3.

C'est le mot même de saint Étienne : Si quis a quocumque hæresi veniat ad nos, nihil innovetur quod traditum est (S. Cyprien., Ad Pompeian., 74, (74).

Saint Augustin : Saluberrimam consuetudinem tenebat Ecclesia... credo, ex apostolica traditione venientem... Hanc per Agrippinum prædecessorem suum dicit S. Cyprianns cœpisse corrigi. De Bapt. contra Donat., II, 7. (et aussi V, 33). — Nondum factum erat universale concilium, quia consuetudinis robore tenebatur orbis terrarum, ibid., II, 9.

De même saint Vincent de Lérins. In commonitione, 9.

[12] Sous l'évêque Agrippinus, que l'on croit avoir été l'avant-dernier avant saint Cyprien. Cyprien, (vers 217) Ad Jubaian. Augustin, De Baptismo, II, 8 ; IV, 6.

[13] Cyprien, Ad Jubaian.

[14] Ce concile d'Icone est mentionné non-seulement dans la lettre attribuée à Firmilianus qui y avait lui-même participé (en 234, à ce qu'on suppose), Ép. Cyprianica, 75, mais aussi dans celles de saint Denys d'Alexandrie au pape saint Sixte et à Philémon, rapportées par Eusèbe, V, 5, 7.

Saint Augustin compte (probablement d'après les actes des conciles produits par les Donatistes ses adversaires), 70 évêques en Afrique, 50 en Asie opposés à la décision de saint Étienne contre le baptême des hérétiques. Ad Cresconium, III, 3. De Baptismo, I, 8.

[15] Je n'examine pas la question de savoir si dans la pensée des montanistes, le Paraclet n'était pas distinct du Saint-Esprit, et si cette distinction pouvait valider leur baptême.

[16] V. Eusèbe, H. E., VII, 2, 3, 7 et sur Firmilianus, saint Basile, Ép. 1, Ad Amphilocum.

[17] Cyprian., Ad Quintum, 71 (71) et la lettre écrite par saint Cyprien et 31 autres évêques à 18 évêques (de Numidie ou de Mauritanie ?). Ép. 70 (70).

[18] Cyprien, Ad Jubaian., 73 (73) et au troisième concile de Carthage. V. aussi Augustin, De Baptismo, V, 25. Nec nos vim cuiquam facimus, aut legem damus, cum habeat in Ecclesiæ administratione liberum arbitrium unusquisque præpositus. Cyprien, Ad Stephan., 72 (72). Nemini præscribentes aut præjudicantes quominus unusquisque Episcoporum quod putat faciat, habens arbitrio sui liberam potestatem. Cyprien., Ad Jubanian., 73 (73).

[19] Eusèbe, Hist. Ecclés., VII, 5, parle d'excommunication annoncée, mais non prononcée. La lettre de Firmilianus (apud Cyprian., 75) ne suppose pas davantage. Celle de saint Cyprien à Pompeianus, 74 (74) non plus. Saint Augustin affirme que saint Cyprien resta dans la paix, (Lib. De unico Baptismo, contra Petilianum, 23. Ép. 48 (73), 36, Saint Cyprien lui-même parle comme étant resté dans la paix. Ép. Ad Jubaian., 73 (73), Ad Magnum, 76 (77).

[20] Stephanus baptismum Christi in nullo iterandum esse censebat, et hoc facientibus graviter succensebat. Cyprianus autem in hærese vel schismate constitutos tamquam non habentes baptismum Christi, baptizandos esse in ecclesia catholica censebat. Augustin, De Baptismo, IV, 14. Il nous est resté un écrit anonyme à l'appui de cette doctrine, et qui parait contemporain de saint Étienne. Il a été publié pour la première fois par Rigault (Ad opp. Cypriani). V. la collection de Migne, Patrologie, t. III, p. 1178 et s.

[21] Adversarios omnium et antichristos esse omnes qui a caritate et puritata ecclesia recesserunt... (et tout ce qui suit). Ad Magnum, 69 (76). Baptisme unum et Spiritus Sanctus unus, et una Ecclesia a Christo Domino super Petrum origine unitatis et ratione fundata. Ép. 70. Ecclesia si una est, baptisma extra Ecclesiam non potest. Ép. 71 (71). Et les autres lettres de même. — Firmilianus (ou le prétendu Firmilianus) en fait autant, et s'appuie sur le principe de l'unité de l'Église : Quia non permanet in fundamento unius Ecclesiæ, quæ semel a Christo super petram solidata est... Quod soli Petro Christus dixerit : Quæcumque ligaveris, etc. Ép. 75 (75), Inter Cyprianicas.

[22] La rétractation des évêques rebaptisant est formellement mentionnée par saint Jérôme : Illi episcopi qui rebaptizandos hæreticos cum eo (Cypriano) statuerant, ad antiquam consuetudinem revoluti, novum emisere decretum (Adv. Lucifer., 23). — Quant à celle de saint Cyprien en particulier, saint Augustin la suppose : Correxisse non invenitur. Non incongrue tamen de tali viro existimandum quod correxerit (Ép. 93, Ad Vincent. rogatist. de bapt., II, 5). Mais Bède l'affirme : Cyprianus cum suis cœpiscopis qui erant in Africa, rebaptizandos hæreticos... censuit, mox corrigi meruit, atque ad universalem sanctæ Ecclesiæ normam spirituali una restitutions reduci. Saint Augustin dit encore : S'il y avait quelque chose à corriger en Cyprien, la faux de la persécution s'en est chargée. (Ép. 95, Ad Vincent. Rogatum.)

Mais la meilleure preuve de la rétractation de saint Cyprien, dès qu'on admet le fait de son dissentiment, ce sont les honneurs tout particuliers rendus à sa mémoire par l'Église et surtout par l'Église de Rome. Son nom se lit au canon de la messe à côté de celui du pape saint Corneille. Le calendrier romain du quatrième siècle, publié par Bucher, ne fait mention que d'un très-petit nombre de saints, la plupart papes, les autres martyrs à Rome ou en Italie. Les seuls martyrs étrangers à Rome sont sainte Félicité et ses compagnons, saint Saturnin de Toulouse et saint Cyprien. Une église fut élevée en son honneur dans la Via Labicana (Aringhi, Roma subterranea, II, p. 47) et une crypte lui fut dédiée en même temps qu'à saint Corneille dans la catacombe de Calliste.

[23] Eusèbe mentionne cinq lettres de saint Denys d'Alexandrie à ce sujet adressées au pape saint Étienne (Hist. Ecclés., VI, 2-5) au pape saint Xyste (Ibid., 5 et 6), à Philémon, prêtre de l'Église romaine (Ibid., 7), à saint Denys, alors prêtre de l'Église de Rome, depuis pape (7 et 8), et enfin une seconde au pape saint Xyste (7). Ce qu'Eusèbe extrait de ces lettres semblerait plutôt favorable aux rebaptisants.

[24] Galat., I, 18. Sur les discussions auxquelles l'histoire de cette controverse a donné lieu de nos jours, voyez l'appendice.