Telle était la sagesse financière d'Alexandre, et son économie faisait sa force. Il fallait que la simplicité et l'économie sa sœur régnassent au palais, pour que la richesse, la sécurité, la liberté régnassent dans l'Empire. Dans un autre pays et dans un autre siècle, en eut-il été de même ? Je ne sais ; mais dans l'Empire romain, ce procédé était infaillible. Auguste, Vespasien, Titus, Trajan, Antonin, Marc-Aurèle, Pertinax avaient été cléments parce qu'ils étaient économes, et économes parce qu'ils étaient simples. En fait de clémence, sa voie était toute tracée, et, si, dans l'économie politique, Alexandre avait pu être à beaucoup d'égards un heureux et intelligent novateur, dans le gouvernement il n'avait qu'à suivre les pas de ces grands princes que Rome admirait davantage à mesure que leurs successeurs leur ressemblaient moins. Le premier devoir d'un empereur romain était d'être Romain. Élagabale n'avait été qu'un Oriental, Caracalla un fou épris des mœurs germaniques, Sévère lui-même s'était trop souvenu de son origine africaine, et, en tout, s'était reposé sur la force de son armée bien plus que sur le patriotisme de son peuple. Alexandre, quoique Syrien d'origine et d'éducation, se fit Romain de cœur. Il eut voulu, je l'ai dit, se faire des ancêtres romains. Un de ses premiers actes avait été d'expulser de Rome et de renvoyer à Émèse son dieu à lui, son dieu syrien, la pierre noire Élagabale[1] ; et, en même temps, les dieux de Rome et les talismans divinisés qui avaient été convoqués, bon gré mal gré, au mont Palatin pour former la cour de ce dieu suprême, avaient été rendus à leurs sanctuaires et à l'amour de leurs fidèles ; le Palladium aux Vestales désolées ; les boucliers sacrés aux pauvres Saliens demeurés oisifs. Alexandre ne passait pas une semaine sans monter solennellement au Capitole[2]. Il rentrait aussi, autant qu'il se pouvait faire, dans ce système de républicanisme officiel, qui était, sous l'Empire, non pas sans doute une garantie pour les droits, mais pour les cœurs un noble souvenir. Trois fois consul, il accomplit toutes les cérémonies du consulat et il diminua les dépenses que cette dignité purement nominale imposait à ceux qui l'acceptaient. Comme sous l'ancienne république, il voulut que les dépenses des jeux fussent à la charge des questeurs, c'est-à-dire de ceux qui entraient dans la carrière.des honneurs ; il ne chargea le trésor que de suppléer à la libéralité privée. Mais en revanche, il voulut que la préture et le gouvernement des provinces fussent la récompense de ces largesses populaires[3]. Il rétablit et il observa fidèlement la loi qui fixait l'âge exigé pour les magistratures[4]. Faut-il croire qu'il ait rétabli quelque chose comme les anciennes assemblées populaires ? Ce serait une bien grande merveille ; on nous dit cependant que les antiques nundines, jours de marché et d'assemblée, furent renouvelées par lui[5] ; on nous dit que, dans Rome, comme les tribuns et les consuls d'autrefois, il convoqua et harangua souvent le peuple[6]. Cherchait-il à réveiller Rome affaiblie et endormie par une image de son ancienne liberté ? Mais surtout il honora le Sénat, parce que le Sénat était un reste un peu plus sérieux de l'ancienne liberté républicaine. Il ne l'honora pas seulement, il l'éleva ; il eût voulu que le Sénat fût autre chose qu'un nom, qu'il fût une puissance. Il n'accorda pas seulement aux sénateurs le privilège un peu frivole d'avoir dans Rome des voitures argentées. Il veilla à la composition du Sénat : nul ne devint sénateur s'il n'était chevalier, nul ne fut chevalier s'il était affranchi. Il ne nomma pas un sénateur sans l'avis de tous les sénateurs présents à son conseil, et sans la garantie personnelle de quelque dignitaire de l'État : Nul autre qu'un homme de grande considération ne doit être appelé, dit-il, à faire un sénateur[7]. Et le Sénat ainsi composé fut consulté sur le choix des proconsuls, des légats, de tous les gouverneurs de province[8] sur le choix même du préfet du prétoire, le second personnage de l'Empire. Le préfet du prétoire jusque-là n'était pas sénateur, et cependant en certains cas il jugeait des sénateurs : Alexandre trouva cette anomalie blessante ; le préfet du prétoire dût être toujours un sénateur, et un sénateur choisi avec l'agrément du Sénat. Alexandre eut volontiers gémi d'être tout puissant ; et pour combien d'autres souverains l'excès de leur pouvoir n'aurait-il pas dû être une cause d'effroi et de regret ? Ce culte des traditions et ce respect des puissances d'autrefois rendaient plus facile la justice dans les choses du présent. La justice, par cela même qu'elle est de tous les temps, trouve mieux son compte avec les esprits conservateurs et modérés, qu'avec les novateurs et les violents. Respecter une loi politique aide à faire respecter les lois morales. Aussi Alexandre fut-il équitable et comme gouvernant et comme législateur et comme juge. Doux par caractère, sévère par devoir, il sut le plus souvent trouver ce point difficile à saisir où la rigueur n'est que justice et où la bonté n'est pas faiblesse. Il voulait que les châtiments fussent rares ; mais, la sentence une fois prononcée, il ne lui arrivait guère de l'adoucir. Il n'eut jamais ni un procédé fâcheux, ni des paroles amères pour ceux qui l'entouraient ; mais aussi il savait n'admettre et ne garder auprès de lui que des hommes de bien. Un de ses moyens, rarement pratiqué par le pouvoir qui en général exige les sollicitations ne serait-ce qu'à titre d'hommage, était de donner les places à ceux qui n'en voulaient point plutôt qu'à ceux qui les demandaient. Il fit préfet du prétoire un homme qui s'était enfui de Rome pour ne pas l'être. Un autre moyen était d'être sévère au besoin pour ceux qui lui tenaient de plus près. Tout en aimant ses amis il ne faisait point de la distribution des charges publiques une affaire d'amitié, mais de jugement[9]. Des amis, des parents même furent éloignés, furent punis[10]. J'aime cet homme, disait-il, mais j'aime mieux encore la chose publique. On le loue de n'avoir fait chevalier aucun affranchi, même des siens[11]. En tout il cherchait l'ordre, l'exactitude, la règle, peut-être jusqu'à l'excès. Il avait pour surveiller son empire et sa cour, une police qu'il croyait incorruptible et fidèle parce qu'elle était anonyme ; un gouvernement croit toujours à sa police[12]. Il réglait l'habit de ses esclaves, l'habit de ses affranchis[13] ; il eut voulu régler l'habit de tous les citoyens, donner à chaque dignité son costume, distinguer l'esclave de l'homme libre, parce que dans les émeutes populaires les esclaves jouaient un grand rôle et que sous leurs habits d'esclaves ils auraient eu moins de crédit. Prends garde, lui dit-on, les querelles en seront plus fréquentes. On regardera moins à maltraiter l'homme qu'on saura ne pas être votre égal. Il se contenta de maintenir ou peut-être de rétablir (car toutes les coutumes disparaissaient) le laticlave pour le sénateur, la toge pour le citoyen, la stole pour la matrone ; il ne permit qu' aux vieillards et aux voyageurs le manteau d'hiver (pœnula) qui cachait la toge ou la stole. C'étaient des petitesses, mais c'étaient les petitesses du patriotisme romain. Alexandre fut législateur. Il porta des lois sans nombre, dit son historien. II fut législateur attentif, prudent, consciencieux. Ce conseil de jurisconsultes qui entourait les empereurs était devenu une sorte de Sénat, prenant part à toutes les grandes affaires, appelé à délibérer sur toutes les lois. Vingt jurisconsultes dont on nous a gardé les noms[14], disciples de Papinien, cet illustre martyr de l'humanité et de la justice[15], la plupart demeurés célèbres dans les annales de la jurisprudence, y siégeaient en permanence et en formaient pour ainsi dire le fonds ; le droit (dans tous les sens du mot) était pour Alexandre la base de tout le reste. Mais à eux s'adjoignaient aussi, selon la nature des affaires, ou des généraux éprouvés, ou des savants et des lettrés, ou même des historiens auxquels Alexandre aimait à demander ce qu'en des occasions pareilles d'autres avaient fait avant lui. Lorsqu'il y avait à porter une loi, il voulait que cinquante membres au moins siégeassent dans ce conseil, le même nombre qui était nécessaire au Sénat pour faire un sénatus-consulte. Le sujet de la délibération était exposé devant eux, et un délai leur était donné pour réfléchir. Ce délai écoulé, on se réunissait de nouveau, on allait aux opinions ; procès-verbal était dressé, et l'assemblée prononçait. Alexandre voulait que, dans son gouvernement, tout fût sérieux, prudent, mesuré, afin de laisser moins possible à l'influence du caprice personnel et à l'influence des affranchis. Quelle fut cette législation d'Alexandre Sévère ? Quel bien ou quel trouble purent semer dans la vie de l'Empire romain ces lois innombrables dont l'historien nous parle ? Nous ne le savons pas, nous n'en connaissons pas une seule ; je ne trouve, dans les recueils de la jurisprudence romaine, la trace ni d'un sénatus-consulte porté sous ce règne ni d'un édit promulgué par ce prince. Mais je trouve en grand nombre des rescrits, c'est-à-dire des réponses faites par l'arbitre souverain de l'Empire aux magistrats qui le consultent, aux plaideurs qui l'invoquent. Si je ne trouve pas là le législateur, j'y trouve au moins le juge ; si je ne lis pas ses lois, je connais au moins sa pensée. Ce qui frappe dans ces documents, ce n'est pas seulement la sagesse et l'équité du jurisconsulte, l'application logique, sensée, impartiale, des lois antérieures ; c'est un sentiment moral que ces lois elles-mêmes n'avaient pas toujours eu ; c'est un esprit d'interprétation honnête et libérale, exempt de partialité et de sophisme, qui, sans fausser la loi, la fait incliner autant qu'il se peut vers la justice, l'humanité, la vertu, la liberté. — S'agit-il de la résurrection de la politique néronienne qui tentait encore de se produire, même sous les princes les plus modérés ? Sous mon règne, dit Alexandre, pour quelque cause que ce soit, les poursuites de lèse-majesté sont abolies ; à plus forte raison ne te permettrais-je pas d'accuser ton juge de lèse-majesté sous prétexte qu'il aurait enfreint ma constitution[16]. Voilà ce qu'il dit au début de son règne. Et l'année suivante : Tu sais bien peu, dit-il à un pauvre pétitionnaire tremblant de sa faute, tu sais bien peu quels sont mes principes, puisqu'ayant dans un moment de colère juré par l'Empereur que tu ne pardonnerais pas à ton esclave, tu peux croire qu'en rétractant cette promesse étourdie, tu encourrais une poursuite de lèse-majesté[17]. Ceci montre jusqu'où, à certaines époques, le crime de lèse-majesté s'était étendu. Ailleurs encore, à propos d'un pareil serment : C'est aux dieux à venger le parjure ; mais un péril corporel, mais une accusation de lèse-majesté pour avoir manqué dans l'emportement de la passion à un serment fait par la personne du prince ! je n'en veux pas ouïr parler[18]. Non, les accusations de lèse-majesté ne sont plus de mon temps[19]. — Différent encore par un autre point de ses prédécesseurs, le prince ne tient pas plus à hériter qu'à proscrire ; il n'est pas plus exigeant en fait de succession que chatouilleux en fait d'injures. Les legs qui lui sont faits subissent, comme les autres, le prélèvement exigé par la loi Falcidia ; le testament qui institue le prince héritier sera vicié par les mêmes défauts de forme qui annuleraient un autre testament : Car, dit-il, bien que la loi de l'Empire exempte l'Empereur des formalités solennelles du droit, rien ne convient mieux à la dignité impériale que de vivre selon les lois[20]. S'agit-il des relations de famille, si dures et si despotiques dans l'ancienne Rome ? Elles ont depuis longtemps commencé à s'adoucir ; le père n'a plus le droit de donner la mort à son fils, il ne peut qu'invoquer contre son fils coupable la justice des magistrats. Aussi y a-t-il besoin aujourd'hui bien plutôt de fortifier le lien de famille et de venir en aide à la puissance et à la dignité paternelles[21]. Vous formez, écrit-il à des enfants, vous formez une accusation contre votre mère ; les principes que je professe ne me permettent pas de vous entendre[22]. Le pouvoir testamentaire da père de famille, si absolu
autrefois, a été diminué. Mais il est temps aujourd'hui de le soutenir,
surtout quand il s'exerce dans le sens de l'honnêteté publique et de la
dignité du citoyen. Oui, dit Alexandre profitant de cette occasion pour
flétrir les dégradations théâtrales, celui qui n'a
pas été condamné au jeu de l'arène, mais qui s'y est voué de son plein gré,
garde son droit d'homme libre, de citoyen, d'héritier légitime. Mais, si son
père l'a exclu par testament de sa succession, il n'a le droit de soulever
aucune réclamation. Dès que le père ne faisait pas ce métier, c'est avec
raison qu'il a jugé qu'un tel fils était indigne de lui succéder[23]. S'agit-il maintenant de la grande question de l'esclavage ? Celle-là, les princes de la dynastie antonine ne laissaient pas que de l'avoir avancée, et Alexandre ne pouvait que suivre leur trace : comme eux il adoucit le sort de l'esclave. On ne doit pas causer de tort même à l'esclave d'autrui[24]..... Un testateur irrité a ordonné l'emprisonnement ou l'exportation d'un esclave ; mais, si depuis il s'est repenti de sa sévérité, il n'est pas besoin qu'il ait modifié son testament, une preuve quelconque du changement de sa volonté suffit[25]. Le droit de torture subsiste encore contre l'esclave, mais l'esclave affranchi par testament ne peut être torturé, même pour rechercher les meurtriers du maître[26]. — Alexandre favorise les affranchissements : aussi protège-t-il l'esclave vendu sous la condition d'être affranchi et que son nouveau maître tarde à affranchir[27], l'esclave à qui la liberté a été léguée et à qui on la refuse[28], l'esclave cédée à la condition que la prostitution lui sera épargnée et qui devient libre de droit si on tente de la prostituer[29], l'esclave qui a acheté sa liberté ou de son maître ou des créanciers de son maître[30]. — Alexandre enfin vient en aide aux réclamations de l'homme né dans la liberté contre l'esclavage que la force lui a imposé. L'homme même qui s'est laissé vendre comme esclave peut réclamer sa liberté à moins qu'il n'ait touché une portion du prix. Au contraire, si un esclave est parvenu à se faire passer pour libre, et si nulle réclamation ne s'est produite dans les cinq ans qui ont suivi sa mort, l'ingénuité reste acquise à ses enfants, son patrimoine à ses héritiers, la liberté aux esclaves qu'il a affranchis. Telle est enfin la faveur acquise à ces procès de liberté (liberales causæ) que l'homme, réclamé comme esclave, peut être déclaré libre même en l'absence de son adversaire[31]. — Enfin Alexandre améliore le sort des affranchis. On disputait aux affranchis, aux affranchis même de l'empereur, le droit de plaider pour autrui ; l'avocat, disait-on, est un patron (patronus), et l'affranchi, loin de pouvoir être patron de personne, est lui-même soumis à un patronage ; Alexandre juge néanmoins que, s'il est instruit, il peut être avocat[32]. — L'affranchi doit au patron qui l'a rendu libre, une part convenue de son travail, si cette condition a été mise à sa liberté. Oui, sans doute, dit Alexandre, quand il a été affranchi gratuitement, mais non pas s'il a payé sa liberté ; oui, sans doute, il la doit à son patron, mais non pas aux héritiers du patron ; oui, sans doute, l'affranchie, elle aussi, peut en être redevable ; mais si son patron l'a épousée, plus élevée en dignité, elle n'est plus sujette aux mêmes devoirs ; il ne peut réclamer un reste de ses droits de maître sur celle qu'il a faite son épouse[33]. S'agit-il enfin de la pureté des mœurs qui, au milieu de Rome dégradée, est si difficile à garder, si difficile à rétablir ? Alexandre le premier en donne l'exemple ; non-seulement l'aspect du palais n'est plus le même, la population infâme qui l'encombrait sous Élagabale est allée peupler le théâtre, la prison ou les lieux d'exil ; non-seulement les femmes de réputation compromise sont exclues du salon des impératrices comme les concussionnaires du salon des empereurs[34] : mais on sait que le prince lui-même vit avec la chasteté des anciens Romains. Il eût voulu, je ne dirai pas faire Rome à son image, mais au moins la faire décente, sinon chaste ; exempte de toutes les abominations, sinon de tous les vices. Ses rescrits interprètent volontiers dans le sens le plus sévère cette loi d'Auguste sur l'adultère qui semblerait à l'Europe moderne si rigoureuse[35]. L'or que la prostitution sous ses formes différentes payait au Trésor public fait horreur à Alexandre ; il n'en veut pas souiller les caisses de l'État : mais, comme il ne veut pas non plus, en affranchissant la débauche, l'encourager, ce honteux revenu ira payer les réparations du cirque ou de l'amphithéâtre ; puisqu'il faut laisser subsister ces deux fléaux, qu'au moins ils s'alimentent l'un l'autre[36]. Il eût voulu faire plus, et supprimer au moins des formes de la prostitution la plus monstrueuse ; le courage ou le pouvoir lui manqua. Le vice était si abominablement enraciné dans Rome, qu'en purger la place publique, disait-on, c'était en infecter le foyer domestique. Ce qu'Alexandre n'osa ou ne put faire devait être plus tard l'œuvre et la gloire d'un César chrétien. C'est par ce labeur de législateur et de juge qu'Alexandre mettait la dernière pierre à une grande œuvre à laquelle les siècles avaient travaillé et qui a duré même plus que l'empire de Rome. Il n'en est pas du droit civil des peuples comme il en est de leurs cités. Les anciennes villes, dans leur pittoresque désordre, flattent souvent nos regards ; ces rues obscures et sinueuses, ces maisons appuyées les unes sur les autres, projetant leurs étages au dessus du vide, mettant à côté les unes des autres les architectures les plus diverses et les fantaisies les plus singulières, se font regarder et se font aimer ; elles sont chères au voyageur qui fouille et qui découvre ; elles sont chères au citoyen au souvenir duquel la ville natale se peint avec quelque chose de plus caractéristique, de plus riant, de plus intime, de plus maternel. Lorsque par malheur la toute-puissance du magistrat, sous prétexte d'une salubrité souvent douteuse et d'une élégance souvent mal comprise, traite la vieille patrie en ville prise d'assaut, la coupe de longues lignes géométriques, transforme les petites maisons pittoresquement variées en grandes maisons uniformément blanchies ; on ne peut s'empêcher, malgré les louanges des panégyristes, de ressentir un profond ennui. La ville devient triste et sans souvenirs comme tout ce qui est uniforme ; le citoyen n'a plus la mémoire de sa rue natale qui ressemble à tant d'autres, ni de son toit domestique qui ressemble à tant d'autres toits ; l'étranger passe et ne s'arrête plus ; il n'a rien à découvrir dans cette perspective d'un quart de lieue qu'il voit tout entière d'un seul coup d'œil. Cette ville est faite pour y passer, non pour y vivre, pour les voitures, non pour les hommes[37]. Quelque chose de semblable a lieu dans l'histoire du droit. Aux époques anciennes de la vie des peuples, le droit est pittoresque, divers, bizarre, caractéristique ; il ne parle pas, mais il chante ; il n'écrit pas, mais il peint. Ses contrats sont des symboles, ses monuments des emblèmes, ses actes des cérémonies religieuses, ses ministres des prêtres. Chaque peuple fait alors son droit à son image, et il le fait pour lui seul ; il ne pense ni à emprunter les lois d'autrui, ni à imposer à autrui les siennes. Loi, justice, équité, tout cela lui appartient en propre, comme le sol qu'il cultive ou la cité qu'il habite. Cette époque de la vie des peuples est l'époque poétique, pittoresque, nationale, du droit. Cependant un travail ne tardera pas à se faire, analogue à celui qu'un magistrat passionné pour les beautés de la monotonie accomplissait tout à l'heure au sein de la cité. Mais ce travail ici doit être jugé différemment. L'idéal en fait de beauté visible n'est pas facilement saisissable pour tous ; les artistes même s'y trompent souvent, à plus forte raison les magistrats peuvent-ils s'y tromper. Plus nous considérons les œuvres visibles de Dieu, plus il se révèle à nous qu'aucune forme mathématiquement définie, la ligne droite pas plus que le triangle, ne renferme exclusivement en elle le type et le principe de la beauté. Dans l'ordre moral au contraire, la beauté, la vérité, la règle est écrite, si nous voulons la lire, au fond de toutes nos consciences. Il y a là une ligne droite que tout homme peut tracer et peut suivre, sûr qu'elle le mènera au but ; il y a une loi, antérieure supérieure à toutes les lois humaines ; une loi qui proteste au besoin contre les lois humaines, contre leur barbarie, leur iniquité, leur diversité. Quand on a dit : Vérité en deçà des Pyrénées, mensonge au delà, on a caractérisé la loi telle que les hommes l'ont faite, non telle que Dieu l'a décrétée. Au contraire, qu'en fait de justice il n'y ait plus de Pyrénées ; que tous les peuples vivent sous cette loi immortelle de Dieu ; qu'ils sortent de leur enfance, poétique je le veux bien, mais exclusive et barbare, pour arriver à la maturité de leur vie ; que l'harmonie s'établisse entre leur conscience et leurs actes, entre leur devoir comme hommes et leurs lois comme nation : c'est là le vœu du moraliste, du jurisconsulte, de l'homme de bien, du chrétien. Rome, à l'époque d'Alexandre, voyait ce vœu s'accomplir autant qu'une société païenne pouvait le voir s'accomplir. Depuis des siècles, Rome avait commencé de sortir de son droit national et historique. Comment en eût-il été autrement ? Rome n'était plus une cité, ni même une nation ; c'était un monde. Mais, chose dont il faut la féliciter, ce n'est point par voie d'autorité et de commandement que cette révolution s'opérait. Ce n'est pas le prince, quelle que fût sa toute-puissance, qui brisait ce droit civil, primitif et barbare ; défions-nous, en fait de progrès, de ceux qui se font par ordre du prince. Le droit civil de Rome ne fut point brisé, mais peu à peu il en admit un autre à côté de lui. Les étrangers affluant à Rome, il y eut un juge pour décider leurs contestations, et ce juge ou prêteur des étrangers (prætor peregrinus), ne pouvant leur appliquer le droit de Rome et ne connaissant pas leurs lois nationales, les jugea selon la loi naturelle. Il y eut des magistrats envoyés dans les provinces pour rendre la justice aux alliés et aux sujets du peuple Romain, et ces magistrats durent juger les peuples selon leurs lois ; mais, pleins du souvenir des lois de Rome, tempérant les unes par les autres et rapprochant les unes des autres, ils arrivèrent à comprendre, mieux que jamais, cette législation universelle et supérieure qui est la législation de Dieu lui-même. A Rome même, les philosophes venus de la Grèce firent triompher dans les esprits la notion abstraite du droit absolu sur la notion traditionnelle du droit national. On comprit et on proclama que si chaque peuple possède un droit qu'il s'est donné à lui-même et qui est le droit propre de sa cité, il y a aussi un droit de toutes les nations, comme à elles toutes et que la raison leur enseigne à toutes[38]. On comprit que, s'il ne fallait pas encore abandonner l'une, au moins fallait-il faire à l'autre sa part. La loi des Douze Tables, cette étroite enceinte bâtie par les décemvirs pour un peuple, ignorant et barbare, demeure toujours debout et respectée. Mais à côté d'elle, au sein de cette Rome civilisée, philosophe, cosmopolite, vers laquelle les peuples affluaient et qui s'ouvrait à des citoyens de toute nation et de toute langue, le préteur urbain, législateur sous le manteau du juge, élevait une plus large enceinte et abritait sous la tutelle d'une loi plus équitable, ces sept millions d'hommes, natifs du dedans ou venus du dehors, victorieux ou vaincus de la veille, qui s'appelaient maintenant le peuple Romain. Ce fut bien mieux encore quand le peuple Romain compta non plus seulement sept millions, mais cent vingt millions d'hommes, quand l'édit de Caracalla fit citoyens de Rome tous les sujets de son Empire. C'est là le côté grave et important de cet édit dont on a exagéré la portée politique, et ce fut probablement celui sur lequel s'arrêta le moins le regard de Caracalla. La loi civile de Rome, quelle qu'elle fût, devint alors forcément la loi civile de tout l'Empire. Les nations sujettes, en se voyant proclamer romaines, se trouvèrent dépouillées de leur droit national ; et Rome à son tour, appliquant son droit à tout l'ensemble des nations, lui vit perdre peu à peu son caractère historique et romain. Partout et pour tous, la loi dut être de moins en moins celle de la nation, de plus en plus celle de l'équité. Cette révolution, qui s'opérait progressivement et sans bruit, avait pour ministres les jurisconsultes romains. C'était jadis une fonction des patriciens, lorsque le patriciat régnait, que de répondre sur le droit, d'enseigner aux clients de leurs familles qui avaient une revendication à faire en justice, le jour qu'ils devaient choisir et la formule qu'ils devaient employer. Plus tard, lorsque les privilèges du patriarcat eurent fait place à l'influence d'une aristocratie nouvelle, des sénateurs, des consulaires, vieillis dans la gestion des affaires publiques, s'assirent à la fin de leur vie sur le fauteuil du jurisconsulte et donnèrent aux affaires des citoyens le temps que la république ne leur demandait plus[39]. A mesure que l'Empire grandissait, que les races et les idées les plus diverses se croisaient sur le sol du Forum, que la loi des Douze Tables, cette loi de fer, fléchissait elle-même sous la pression de peuples nouveaux et de pensées nouvelles ; le jurisconsulte qui avait mission de la plier sans la rompre et de faire une place à côté du droit de Rome au droit du genre humain, le jurisconsulte prenait une importance plus grande. Auguste en fut jaloux et décréta que nul ne répondrait sur le droit, si ce n'est au nom de l'Empereur et par conséquent avec la permission de l'Empereur[40] ; c'était peut-être grandir l'autorité du jurisconsulte, mais c'était diminuer sa liberté. Hadrien lui rendit celle-ci sans amoindrir l'autre ; ce qu'Auguste donnait comme un privilège, il le reconnut comme un droit à quiconque avait traversé les charges jusques et y compris la prêture[41] ; et en même temps il déclarait que l'avis des jurisconsultes, lorsqu'il était unanime, devait faire loi[42]. Le légiste devenait ainsi législateur, c'était à lui de suppléer à l'insuffisance de la loi et de mettre à la mesure d'un Empire cosmopolite le droit fait pour les vingt lieues carrées de l'Ager romanus. Il y eut alors une classe d'hommes, peu nombreux, éminents par leur importance et leur savoir, et dont la situation n'a pas d'analogue dans les sociétés modernes. Ils eurent des disciples, des écoles, et des écoles qui ne laissaient pas que de se combattre les unes les autres. Les maîtres succédèrent aux maîtres et on conserve encore la série des chefs d'école qui, depuis le temps d'Auguste jusqu'à celui d'Hadrien s'assirent l'un après l'autre dans les deux fauteuils de Labéon et de Capiton. Leur rôle devint bientôt un rôle politique. Ce conseil de l'Empire qui commence à prendre sous Hadrien une forme plus arrêtée, qui devint sous Septime Sévère une institution, sous Alexandre presque un second Sénat, était surtout composé de jurisconsultes[43]. Depuis Septime Sévère, le préfet du prétoire ou l'un des préfets du prétoire fut également un jurisconsulte[44]. Ce que l'éloquence maintenant proscrite et abaissée, avait été sous la république, la science du droit l'était sous l'Empire : le seul moyen pour qui ne portait pas l'épée de grandir en honneur, en considération, en influence. Les tyrans avaient gouverné par leurs affranchis, c'est-à-dire gouverné sans lois et contre toutes les lois. Que pouvaient faire de mieux les empereurs honnêtes et sensés que d'appeler à leur conseil les hommes de la loi ? L'esprit légal est une dernière barrière pour le pouvoir quand les autres barrières ont disparu. Une révolution s'opérait donc ou plutôt achevait de s'opérer ; on peut en indiquer brièvement les traits principaux. Le droit civil de l'ancienne Borne était despotique par cela seul qu'il était exclusivement romain. Le Quirite, le fils de Romulus était un être placé tellement haut que tout ce qui n'était pas lui devait fléchir profondément devant lui. Se courbant devant Rome, sa patrie déifiée, lui obéissant jusqu'à la mort, soldat, serviteur et esclave de Rome, mais libre vis-à-vis de ses pareils, il était despote vis-à-vis de tout le reste. Ce qui n'était pas citoyen romain, était, non pas un être, mais une chose, susceptible de propriété : et nulle part le droit de propriété n'a été plus énergiquement compris, plus fortement assis, plus largement appliqué que dans Rome, Le droit de propriété entendu à la façon romaine, était quelque chose de tellement romain que nul, si ce n'est un romain, n'en était capable. Les étrangers possédaient, le romain seul était propriétaire ; seul il avait le domaine quiritaire c'est-à-dire le domaine romain ; une main romaine pouvait seule opérer cette prise de possession toute puissante qui faisait d'un homme votre esclave (mancipium, manu capere) et d'une chose votre bien (res mancipi, mancipatio). A ce droit de propriété s'assimilaient tous les droits : le romain libre, le père de famille (expression autrement énergique dans la langue légale de Rome que dans la nôtre) n'était pas propriétaire seulement de sa maison ou de son champ. Il l'était encore de son esclave, maître de l'affranchir et de le faire citoyen comme lui, maître de le punir, de le vendre et de le tuer. Il était propriétaire de la femme qu'il avait épousée car, selon l'expression brutalement pittoresque du droit, il la tenait dans sa main (in manu) ; lorsqu'en se mariant elle était sortie de la puissance du père, elle était entrée dans celle du mari, elle était la chose de celui-ci comme elle avait été la chose de celui-là. Il était propriétaire de ses enfants ; on les appelait ses libres (liberi) parce que c'était en effet ses propriétés de condition libre comme ses esclaves étaient ses propriétés de condition servile. Il était maitre de les émanciper eux aussi, de les donner à autrui, de les vendre, de les tuer ; maître de ses fils jusqu'à sa mort ; de ses filles avant ou après leur mariage ; quelquefois même pendant la durée du mariage ; dès enfants de son fils, que son fils fût vivant ou non. Ainsi était abaissé, au nom de cet énergique droit de la propriété romaine, l'étranger devant le citoyen, l'esclave devant le maitre, l'enfant devant le père, l'épouse devant l'époux, la femme devant l'homme (car la femme n'eût-elle ni père ni maris était soumise à une éternelle tutelle). Il n'y avait de droit véritablement complet que le droit de citoyen romain. Il serait trop long et trop en dehors de mon sujet de noter les phases ou d'indiquer le détail du labeur qui s'opéra, pendant trois siècles au moins, pour transformer cette loi si absolue et si dure en une loi plus libérale et plus douce. Cette révolution, d'ailleurs, fut tellement insensible qu'on ne saurait en dater les progrès ; elle se fit, nous l'avons dit, non par la volonté du législateur, mais par l'adresse du légiste, la condescendance du juge, la lente opération de l'esprit public, le progrès des mœurs, l'influence de la philosophie, et plus encore peut-être, au temps des empereurs, par l'influence indirecte du christianisme[45]. Ici nous voulons dire seulement jusqu'à quel point, à l'époque d'Alexandre, elle se trouvait accomplie et ce qu'avait produit ce labeur des siècles arrivé alors à sa pleine maturité. Il ne faut pas croire que le droit ancien fût brisé, aboli, oublié ; (l'esprit tenace et patriotique des Romains ne l'eût pas souffert ;) il subsistait quant à la forme, mais cette forme cachait un fond tout autre. La propriété romaine, la propriété quiritaire avait toujours son caractère spécial ; elle était le droit de propriété à sa plus haute puissance, inaccessible pour qui n'était pas Romain et transmissible par les seuls actes solennels de la vie romaine. Mais, à côté d'elle, un autre droit de propriété, en principe moins solennel, en fait aussi complet, était reconnu au profit des déshérités de la loi romaine et indépendamment des actes solennels de la loi. La famille romaine subsistait, en principe et en nom, toujours la même : le père tout-puissant et maître de tout ; le fils sans droit et n'étant maître de rien, la femme, quand elle s'était mariée dans la main de son mari, c'est-à-dire quand le pouvoir paternel avait été transporté à son mari, la femme tenue pour fille de son époux et sœur de ses enfants. Oui, sans doute, mais d'autres formes de mariage avaient été admises et étaient presque exclusivement pratiquées, qui ne donnaient plus à l'époux le redoutable pouvoir du père de famille[46]. La femme était donc libre, libre même jusqu'à l'excès, libre de gouverner sa fortune, sauf sa dot, libre de divorcer ou pour mieux dire de répudier son mari sans alléguer aucun motif[47], libre après le divorce ou dans le veuvage de réclamer sa dot[48] déclarée inaliénable[49]. Le droit du père de famille avait également été atténué. Depuis le temps de Trajan, le fils de famille pouvait posséder au moins ce qu'il avait gagné sous les drapeaux[50] et les libéralités du père envers le fils émancipé étaient valables à titre de testament, et après la mort du père[51]. A plus forte raison le droit de vie et de mort sur l'enfant adulte n'avait pas été maintenu. Dès le temps de Trajan et d'Hadrien, nous le voyons disparaitre ; c'était là une question de police criminelle où le prince ne craignait pas d'user de son pouvoir. Au temps d'Alexandre, le droit de vie et de mort n'existe plus, le juge est substitué au père[52]. Même pour les enfants nouveau-nés, si méprisés d'ordinaire en dehors de la loi chrétienne, l'infanticide était puni et l'abandon était tenu pour équivalent à l'infanticide[53]. L'avortement, licite autrefois, était également puni, puni même de mort s'il avait entraîné la mort[54]. Le droit de vente des enfants par le père était, sinon supprimé, du moins flétri, et l'enfant vendu pouvait être réhabilité dans sa condition première[55]. Le fait de donner les enfants en gage était déclaré punissable, même chez le créancier qui acceptait ce gage, parce que, disait-on, un homme libre n'a pas de prix[56]. Le droit d'émanciper, de donner en adoption, subsistait, mais ne mettait pas l'enfant hors de la famille ; l'enfant n'était plus la chose du père de famille, mais il était toujours son fils. La loi de l'héritage, dans la forme, était toujours aussi sévère ; le père de famille n'avait d'héritiers légitimes et directs que ceux qu'on appelait siens, c'est-à-dire qui étaient soumis à sa puissance ; la subordination était une condition de l'héritage. Et encore, ces héritiers siens et nécessaires pouvaient être écartés par le droit suprême du testateur, au profit d'un étranger, d'un inconnu, même d'un esclave qu'il affranchissait. Telle était la loi de l'hérédité ; mais, à côté de l'hérédité, la subtile imagination du préteur avait inventé la possession de biens, et, si l'hérédité avait ses règles, la possession de biens avait les siennes. Elle ne repoussait absolument, ni le fils émancipé[57], ni le fils étranger d'un père devenu citoyen romain[58], ni la fille sortie de la famille par le mariage, ni en l'absence d'enfant, la parenté par les femmes. Elle était accordée en vertu d'un testament, qui n'eût pas été valide pour conférer l'hérédité, (possessio bonorum secundum tabulas). Elle était donnée même à l'encontre de la volonté du testateur (contra tabulas) : le père a le droit de déshériter ses enfants, oui sans doute, mais encore faut-il qu'il les déshérite autrement que par un oubli ; il faut que l'exhérédation soit expresse ; l'enfant, exclu seulement par le silence, aura la possession de biens. Le père ale droit de déshériter ses enfants, mais encore faut-il qu'il soit dans son bon sens ; et peut-on supposer la raison présente chez un père qui met hors de la famille un fils digne de son amour ? Pour ne pas accuser son cœur, on accusera sa raison, et le juge, révisant la sentence paternelle, cassera comme acte de démence, une exhérédation inique. La femme enfin demeurait en tutelle toute sa vie ; oui sans doute ; cependant la vestale par sa virginité[59], la mère par sa fécondité[60] échappaient à ce joug. Même pour les autres femmes, le joug devenait bien léger ; depuis l'édit de Claude que nous avons rapporté[61], le tuteur de la femme, à moins qu'il fût son père, son mari, ou en cas d'affranchissement, son patron, n'était guère qu'un personnage de comédie. Libre dans la conduite ordinaire de son bien et de sa personne[62], elle avait besoin, pour certains actes, pour son testament par exemple[63], du sceau de ce débonnaire gardien, et s'il le refusait, elle pouvait le faire contraindre par le juge[64]. Parfois même, le testament de son mari ou de son père lui donnait le choix de son tuteur[65] ; et le jour vint où cette tutelle des femmes, jadis si impérieusement exigée par Caton l'ancien[66], semble s'être effacée de la vie romaine, sans qu'on sache quand et comment elle a disparu[67]. Enfin, pour dire encore un mot d'une question que nous avons si souvent touchée, le pouvoir du maître sur l'esclave subsistait sans doute, en principe aussi absolu, emportant avec lui, selon la rigueur des antiques règles, droit de punir, droit de vendre, droit de tuer, droit de déshonorer et de flétrir ; donnant tout au maître ; ne donnant rien à l'esclave, ni propriété, ni famille, ni droit de vivre, ni droit de penser, ni la liberté de la prière, de la conscience, de l'âme. Et cependant, voici à côté de ce principe, le principe tout contraire échappé à la plume d'un jurisconsulte : Vis-à-vis du droit civil, les esclaves sont considérés comme n'étant pas ; mais selon le droit naturel il en est autrement ; car, d'après ce droit, tous les hommes sont égaux[68]. Et ce droit naturel de l'esclave, que de fois ne l'avons-nous pas vu se faire jour à travers le droit civil du maître[69] ? — L'esclave n'a pas de famille, cela est vrai ; et cependant la parenté entre esclaves forme après l'affranchissement un empêchement au mariage[70] ; et par un sentiment de piété, on interdit, à moins d'une volonté expresse du testateur, la séparation de l'esclave d'avec sa femme et ses enfants[71]. — L'esclave n'a aucune propriété, cela est vrai ; et cependant, quand il a été affranchi sans que le maître déclarât formellement se réserver le pécule, ce pécule, possession tolérée chez l'esclave, devient la propriété inviolable de l'affranchi[72]. — En un mot, si l'esclavage subsiste toujours comme droit, on voudrait le voir diminuer comme fait. Le légiste, à l'exemple de l'Empereur, favorise l'affranchissement, prête une oreille bienveillante à qui réclame la liberté, enlève une par une quelques victimes au joug de la servitude en attendant que ce joug puisse être brisé[73]. Si, à ce progrès général qui est l'œuvre des légistes, on ajoute les progrès partiels qui avaient été l'œuvre directe des empereurs, et que d'époque en époque nous avons signalés : les premières restrictions apposées à l'absolutisme paternel, la propriété du pécule reconnue au fils soldat, la mère appelée à la succession de ses enfants, les enfants à la succession de leur mère, l'esclavage adouci et l'affranchissement facilité ; on admettra sans peine que le progrès au delà des traditions historiques et exclusivement romaines avait été sous le règne d'Alexandre accompli alitant qu'il pouvait s'accomplir avant la venue du christianisme. De la loi antique du peuple de Romulus, du code sévère des Décemvirs, il ne restait rien pour ainsi dire qu'un nom, une apparence, une écorce vide et fragile. La vie civile de Rome n'était plus romaine ; elle était humaine, cosmopolite, réglée par des notions de justice absolue au lieu de l'être par des réminiscences historiques ou des intérêts nationaux[74]. Faire davantage, accomplir l'œuvre, faire pénétrer jusqu'au bout les notions d'équité dans la loi de Rome devenue la loi commune de l'humanité ; épurer complètement les idées de propriété et de famille, sanctifier le mariage, tracer à la puissance paternelle la règle suprême de ses droits et de ses devoirs, régler la loi des héritages d'après l'éternel sentiment de la famille plutôt que d'après l'intérêt variable des nations, donner à la femme toute sa dignité et lui enseigner tous ses devoirs, adoucir l'esclavage et faciliter l'affranchissement jusqu'à ce point où l'esclavage n'existerait plus ; faire la législation humaine en la faisant en quelque sorte divine, et la rendre d'autant plus équitable envers l'homme qu'elle n'était plus la loi de l'homme, mais la loi de Dieu : c'était une tâche que le christianisme seul pouvait accomplir. La civilisation païenne, même aidée par les influences chrétiennes qui la vivifiaient et la soutenaient, était allée aussi loin qu'elle pouvait aller. C'était le tour de la civilisation chrétienne ; le monde ne pouvait plus être réformé qu'au nom du Christ et par la vertu de la croix. A cet égard, pour le dire en passant, où en est aujourd'hui l'Europe moderne ? Le progrès a-t-il été continué, et l'œuvre de la sagesse romaine, améliorée par la sagesse chrétienne, a-t-elle été ou respectueusement conservée ou portée encore à une perfection plus grande ? La main de la Réforme au seizième siècle, celle de la Révolution au dix-huitième ont-elles fait avancer, ou, au contraire, ont-elles fait reculer les peuples dans la voie du progrès ? On a reculé peu s'en faut jusqu'au paganisme romain en ôtant au mariage son caractère divin, ici le brisant par le divorce, ailleurs le dégradant au niveau des actes les plus vulgaires de la vie civile. Sur d'autres points, au contraire, on a outrepassé la réaction anti-romaine ; on a anéanti la puissance paternelle ; et le testament, cet acte si solennel de la vie du Romain, chez nous gêné par la loi, brisé par le juge, arrivera peut-être à disparaître de nos mœurs. On n'a eu, il faut en convenir, ni la lente et progressive sagesse des jurisconsultes de Rome, ni la pieuse équité des législateurs chrétiens. Mais aussi ce ne sont là que des œuvres d'un jour et qu'un jour peut détruire. Déjà nos Codes français du commencement de ce siècle, plus encensés que conservés, deviennent pour nous ce qu'était la loi des douze Tables pour les Romains, une forme que l'on maintient par respect, mais sous laquelle le fonds s'altère chaque jour. Nous les vénérons et nous les transformons ; c'est un cadre que nous gardons brillant de son antique dorure, mais dont la peinture aura bientôt disparu sous les retouches[75]. Nous allons dans cette voie bien plus vite que n'allaient les Romains. Ne nous en plaignons pas ; l'instabilité a ses périls, mais parfois aussi elle a son mérite. Je m'arrête ici ; ce qui précède est une digression dans une digression, mais je me suis étendu quelques instants sur ce labeur de la jurisprudence romaine, parce que la jurisprudence est incontestablement un des côtés importants de la vie romaine, et l'esprit juridique un des grands traits du caractère romain ; parce que, do l'avis de tous, le temps d'Alexandre Sévère est l'apogée de la jurisprudence romaine. Ces jurisconsultes, plus puissants et plus hommes politiques depuis Septime-Sévère, étaient en même temps les ouvriers ingénieux et féconds d'un grand travail scientifique. L'école de Papinien avait produit et beaucoup de disciples et beaucoup d'écrits. Les livres juridiques se multipliaient, autant peut-être qu'à aucune époque de l'antiquité nuls livres ne s'étaient multipliés. Les légistes, fils de Papinien, remplissaient le palais du prince. Ulpien et Paul étaient préfets du prétoire. La liste des conseillers d'Alexandre Sévère contient les noms de ces mêmes légistes dont les écrits, trois siècles plus tard, fourniront à l'empereur Justinien les éléments de sa grande collection juridique[76]. Le règne d'Alexandre, dans tous les sens du mot, fut le règne du droit. Et cet éloge-là n'est pas un petit éloge. Bien des souverains ont été grands ou qualifiés tels ; bien peu de souverains, si on y regarde de près, ont été justes. Si la loi romaine sous les empereurs a préparé quelque peu les voies à la civilisation chrétienne, si elle a contribué à adoucir le sort de l'esclave et à diminuer l'étendue de l'esclavage, à rendre les relations de famille plus douces, la femme plus libre, en toute chose la vie humaine plus équitable[77], le fils de Mammée peut réclamer sa part de cette gloire. |
[1] Lampride, 43.
[2] Lampride, 28.
[3] Quæstores candidatos jussit ex sua pecunia munera populo dare, sed ut post quæsturam præturas acciperent et inde provincias regerent, 43.
[4] Leges in annos firmavit easque etiam diligentissime servavit, 44.
[5] Nundina votera ex ordine instituit, 43.
[6] Conciones in urbe multas habuit more veterum tribunorum et consulum, 25.
[7] Magnum virum oportere esse qui faceret senatorem.
[8] Proconsulares provincias ex senatus voluntate ordinavit, 24. Provincias legatorias (prætorias ?) plurimas præsidiales fecit, 24. (Le sens de ce passage est obscur.) — Præsides, proconsules et legatos nunquam ad beneficium fecit, sed ad judicium suum vel senatus, 46.
[9] Non ad
beneficium, sed ad judicium, Lampride, 46.
[10] Lampride, 67.
[11] Lampride, 19.
[12] De omnibus hominibus per fideles homines sues semper quœsivit, et per eos quos nemo nosset hoc agere, cum diceret omnes præda corrumpi posse, Lampride, 23.
[13] Lampride, 27.
[14] Lampride, 68. Ainsi : Domitius Ulpianus, Julius Paulus, Pomponius, Africanus, Florentinus, Cœlius Marcianus, Callistratus, Hermogenianus, Celsus, Proculus, Q. Claudius Vernuleius, Modestinus, Herennius, etc. tous noms que les recueils de jurisprudence ont conservés.
[15] V. ci-dessus, tome Ier.
[16] (
[17] (3 Non Febr. 224, 1) 1 Cod. Justin., Ad Leg. Jul. majest. (IX, 8).
[18] (6 K. Apr. 223) 2 de rebus creditis (IV, I).
[19]
Majestatis crimina cessant meo sæcuto. 1, C. J., Ad Leg. Jul,
Majest. (IX, 8) en 224.
[20] K. Jan. 222. 4 Ad Leg. Falcid (VI, 50). Licet enim lex imperii solemnibus juris imperatorem solverit, nihil tamen tam proprium imperii est quam legibus vivere. 11 K. Jan. 232. 3 de Testament (VI, 23).
[21] Voyez Ulpien, Dig. 2. Ad Leg. Cornel. de Sicariis. (XVIII, 8) et Alexandre. (6 Id. dec. 227) C. J., 3. de patria potestate (VIII, 47).
[22]
(3 k. sep. 230) C. J., 4. Ad L. Cornel. de falsis (LX, 22).
[23] 11 k. jan. 224. C. J., 11. de inoffic. testamento (III, 28).
[24] (11 k. Dec. 222) C. J., 1, de injuriis (IX, 35).
[25] 5, Familiœ erciscundœ (III, 36).
[26] (6 Id. Mart. 224) 5. de quæstionibus (IX, 41).
[27] 1, Si mancip. ita fuerit alienatum (IV, 57).
[28] Par suite de la faveur accordée au testament du soldat, un soldat mineur pouvait, sauf l'appréciation des motifs par le juge, affranchir par testament ; la seule qualification d'affranchi donnée à un esclave dans un testament militaire emporte pour lui la liberté. 4 et 7. C. J., de testam. militis (VI, 21).
Le mari après la mort de sa femme peut émanciper par testament les esclaves dotaux bien que la dot doive revenir au père. C. J., 3. de jure dotium. (V, 12).
[29] C. J., 12 Si mancipium ita vœnerit ne prostituatur (IV, 56).
[30] 3. Si servus pro suo facto (IV, 14). Sur l'esclave donné en gage et qui paye le créancier, 4, 5. de servo pignori dato (VII, 8). — Affranchissement en certains cas par un autre que le propriétaire (2, 3. de his qui a non domino manumitt. (VIII, 10).
[31] C. J., 4 de liberati causa (VII, 16). 4. ne de statu defunctor (VII, 21).
[32] (Non. Mart. 224) 2. C. J., de postulando (II, 7).
[33] 6-10, C. J., de operis libertorum (VI, 3).
[34] A mulieribus famosis matrem et uxorem suam salutari vetuit (Lampride, 39).
[35] 4-11. C. Just., Ad legem Jul. de adulter. (IX, 9).
[36] Lampride, 26.
[37] J'écrivais ceci au moment où Paris venait d'être bouleversé par l'omnipotence d'un préfet impérial (1870). Je ne me serais pas attendu à le voir bouleverser de nouveau par l'omnipotence plus absolue encore d'une municipalité républicaine (1877).
[38] Quod quisque populus ipse sibi juris constituit, id ipsius proprium est vocaturque jus civile, quasi jus proprium ipsius civitatis. Quod vero naturali ratio inter omnes constituit, id apud omnes populos peræque custoditur vocaturque jus gentium, quasi quo jure omnes gentes utuntur. Populus itaque romanos, portim suo proprio, partim communi omnium gentium jure utitur. Gaius, Instit... t. I, § 1. Instit. Justin... I, tit. 2 § 1. Digeste, 9, de Justitia et jure.
[39] Sur l'importance des jurisconsultes et de l'étude de la jurisprudence au temps de la République. Voyez Digeste, 2, § 43. De origine juris (I, 2). — Cicéron, de Oratore, I, 37, 44, 45, 55 ; III, 33 ; Brutus, 42 ; De officiis, II, 19.
[40] Dig., 2, § 47. De origine juris (I, 2). 8. Instit., de jure nature (I, 2). Tibère obligea les jurisconsultes à donner leurs réponses par écrit et scellées de leur cachet. Digeste, ibid. V. aussi Sénèque, Épit. 94.
[41] Cum ab eo peterent viri prætorii ut sibi liceret respondere, rescripsit eis hoc non peti, sed præstari debere, et ideo, si quis fiduciam sui haberet, delectari se, populo ad respondendum se pararet. Pomponius 2, § 47. Dig. de Origine juris (I, 2).
[42] Gaius, I, 7 et Instit., De jure naturæ (I, 2).
[43] Dion Cassius, LII, 33 ; LIII, 21 ; LV, 27 ; LVI, 28 ; LVII, 7 ; LX, 4. Pline, Ép., IV, 22 ; VI, 31. Spartien, in Hadrian., 8, 18, 22. Capitolin, in Antonin., 12. Hérodien, VI, 1. Lampride, in Alexand., 15, 16, 68. Sous Marc-Aurèle, Dig. 17, De jure patron, (XXXVII, 14).
[44] Le préfet du prétoire eut même une sorte de pouvoir législatif : Formam a præf. præt. datam, etsi generalis sit, minime legibus vel constitutionibus contraria : si nibil postea auctoritate mea innovatum sit, servari æquum est. Rescrit d'Alexandre de 235. C. J. 2 De offic. pr, p. orientis (I, 26).
[45] Voir à ce sujet les Antonins, Livre III, 5 ; IV, I ; VI, 6. Et l'ouvrage important de M. Troplong, De l'influence du christianisme sur le droit romain.
[46] La désuétude du mariage in manu est bien prouvée par ce sénatus-consulte rendu sous Tibère, qui établit que la femme du flamen Dialis, bien que mariée par confarreatio ce qui emporte l'in manu, ne sera sous la puissance de son mari que pour ce qui regarde les cérémonies, et, pour tout le reste, vivra selon le droit commun (celera promiscuo feminarum jure ageret). Tacite, Ann., IV, 16. Gaius, Instit., I, 136, 137.
[47] La femme mariée in manu demandait la levée de la puissance maritale, puis envoyait son billet de répudiation (Gaius, I, 137). La femme mariée par confarreatio divorçait au moyen de la diffareatio, cérémonie inventée dans les derniers siècles et dont l'appareil lugubre figurait la mort. Plutarque, Quæst. R., 50. Festus, V° Diffareatio.
[48] Restitution de la dot en cas de divorce. La femme, par la faute de laquelle le divorce avait eu lieu, perdait un sixième de sa dot au profit de chaque enfant, an maximum une moitié ; en cas de faute grave, elle perdait la dot tout entière ; mais cela, selon les principes anciens ; car depuis, on lui fit perdre un sixième seulement en cas d'adultère, un huitième pour d'autres fautes. Si la faute, an contraire, venait du mari, il était puni par l'obligation de restituer la dot, non en trois termes comme c'était la règle ordinaire, mais, en cas d'adultère au comptant, en cas de faute moindre, dans les six mois. L'appréciation de ces torts se faisait par le jugement dit De moribus. Ulpien, Regul. VI, 10-14. Cicéron, Topic., 4. Val. Maxime, VIII, 2, 3. Pline, Hist. nat., XIV, 14 (13). Sur le jugement de moribus, Voy. 5 pr. Dig. de pact. dot. (XXIII, 4) et 15, 1, 39, 47, Soluto matrimon., (XXIV, 3).
[49] Par la loi Julia sous Auguste, pour la dot composée d'immeubles en Italie. Gaius, II, 62, 63. Paul, II, Sentent., XXI. B., 2. Digeste 1 pr., 4, 16. De fundo dotali (XXIII, 5). — La dot était véritablement prêtée au mari et restait la propriété de la femme. Digeste 4. § 4, De minorib. (IV, 4) ; — 75, De jure dotium (XXIII, 3). — Les biens de la femme autres que la dot étaient administrés par elle, à moins qu'elle n'en remit volontairement l'administration à son mari. Digeste 9, § 3, De jure dot. ; — 95 pr., Ad leg. Falcid. (XXXVI, 2) ; 18, § 1, Ut legator. (XXXVI, 3). Les libéralités entre époux qui étaient nulles selon l'ancien droit furent seulement réputées révocables. 32 pr., § 1-14, De donat. inter virum et uxorem (XXIV, 1).
[50] Sur le pécule castrens, V. les Antonins, t. I, l. II, ch. IX, § 3.
[51]
Les donations faites par le fils, ou par le père au fils, révocables pendant la
vie, devenaient, si elles n'avaient pas été révoquées, valables après la mort
comme actes de dernière volonté. Fragm. Vatican.,
174, 277, 278, 281. V. Sentent., XI, 3.
[52] Dig. 2 Ad reg. Cornel. de Sicariis (XLVIII, 7). C. J. 3 De patria potestate (VIII, 47). Rescrit d'Alexandre du 6 des Ides décembre 227, Paul, Dig. 11, De liber. et posth. hœred. (XXVIII, 8).
[53] Paul, D. 4 De agnoscendis et alendis libers (XXV, 3).
[54] Paul, D. 8. Ad leges Cornel. de Sicar. (XLVIII, 8). 38, § 4 et 39 De pœnis (XLVIII, 19) et V. Sentent., XXIII, 14.
[55] Caracalla, 1. C. J. De liberali causa (VII, 16). Paul, V. Sent., I, I. — Diocl. et Maxime, 1. C. J. De patrib. qui filios dixtraxerunt.
[56] Homo liber nullo pretio æstimatur. Paul, D. 5, Quæ res pignori (XX, 3), et V. Sentent., I, I.
[57] En vertu d'une clause nouvelle que Salvius Julianus introduisit dans la rédaction de l'édit perpétuel, il eut une demi-part. Dig. 1. pr., § 1 11 ; 3 De conjung. cum emancip. (XXXVII, 8). 11, 13, De ventre (XXXVII, 9).
[58] Il fut admis au temps d'Antonin. Pausanias, VII, 48.
[59] Plutarque, In Numa, 13. Gaius, I, 14.
[60] Par le Jus liberorum. Trois enfants pour la femme ingénue, quatre pour l'affranchie. Gaius, I, 145, 194 ; III, 44. Ulpien, Reg. XXIX, 3 (en vertu de la loi Pappia Poppæa sous Auguste).
[61] Supprimant la tutelle des agnats ; Gaius, I, 157, 171. Ulpien, XI. Voyez les Césars, Claude, § 1.
[62] Gaius, I, 190, 191. Ulpien, XI, 25.
[63]
Jusque sous Hadrien, la femme ne pouvait tester qu'en sortant de sa famille par
une coemption ou vente fictive. Hadrien la dispensa de cette formalité,
n'exigeant plus que l'autorisation du tuteur (autorisation qui n'était qu'une
pure forme quand le tuteur n'était ni le patron, ni le père). Gaius, I, 111, 113, 115, 114 a, 190, 192, III,
43. Cicéron, Topic., 4. Ulpien, XX, 15.
[64] Cicéron, Pro Murena, 12.
Gaius, I, 190, II, 122.
[65] Gaius, I, 150, 154. Tite-Live,
XXIX, 19.
[66] Tite-Live, XXXIV, 2 et s.
[67] La dernière trace sous Dioclétien. Fragm. Vatican., § 325. Dans la législation de Justinien, il n'en est plus question.
[68] Ulpien, D. 32, De regulis juris (I, 17).
[69] Voy. les Antonins, III, 5 (tome II).
[70] Dig. 14, § 2, De ritu nuptiar. (XXIII, 2).
[71] Ulpien, Dig. 12, § 7, De instructo et instrumento legato (XXXIII, 7). pietatis intuitu, 41, § 2. De legatis (XXXII, 1).
[72] Fragm. Vatican., § 291, D. 53, De peculio (XV, 1). Obligations naturelles qui résultent de l'emploi du pécule et par suite desquelles une somme payée ne peut être redemandée. Dig. 42, § 2, De peculio (XVI, 1) 84, De conditione indebiti (XII, 6). Gaius, III, 119, IV, 78. Sénèque, De beneficis, III, 19.
[73] Ainsi on juge que la mère esclave, affranchie pendant sa grossesse, met au monde un homme libre. Paul, II, Sentent., XXIV, 1-3 ; Digeste 5. § 2, 3. De statu hominum (I, 5) ; — que l'affranchissement prononcé par le fils de famille, en vertu d'un ordre de son père, est valide, quoique le père fût mort, si on ignorait sa mort. Dig. 22, De manumissionib. (XL, 1) ; 4 pr., 10, 22. De manum. vindict. (XL, 2) ; 30, § 1, Qui et d quibus (LX, 9) ; — que le droit de patronat cesse pour celui qui, ayant imposé la clause ne prostituatur, y manque lui-même. D. 10, De jure patron. (XXXVII, 14).
[74] Sur l'esprit philosophique des jurisconsultes romains, voyez entre autres les titres du Digeste. De justitia et jure. De origine juris. De legibus, etc. De constitutionibus principum. Ulpien appelle les jurisconsultes les prêtres de la justice, les disciples de la seule véritable philosophie. I. Digeste. De justitia et jure (t. I).
Les jurisconsultes n'avaient cependant pas l'approbation universelle. Témoins ces curieuses inscriptions funéraires :
AB IIS OMNIBVS DOLVS MALVS ABESTO ET IVS CIVILE.
HVIC MONVM (ento) DOLVS MALVS ABESTO ET IVRIS CONSVLTI.
Ou même en abrégé :
H. M. D. M. ET. I. C. A.
(Marini, Ad acta. Arval., Tab. 4.)
[75] Une sorte d'hymne triomphal retentit depuis quelque temps en l'honneur da code Napoléon. Mais pendant que le pouvoir le divinise par ses éloges, il le désavoue par ses lois. Il ne s'écoule pas une session qui ne lui porte une grave atteinte, il ne s'en prépare pas une qui ne lui en réserve une nouvelle. Rome devant l'Europe, par M. Sauzet, Paris, 1860, p. 178, et les 150 pages qui suivent, qui sont le développement de cette pensée et la justification des peuples étrangers qui n'adoptent pas servilement l'œuvre que nous-mêmes nous modifions. On ne peut mieux dire ni avec nue autorité plus haute.
[76] Ainsi, Domitius Ulpianus, Julius Paulus, Florentinus, Q. Venuleius, Saturninus, S. Cæcilius Africanus, Callistratus, Hermogène, Ælius Marcianus, Proculus, Herennius Modestinus, Claudius Tryphonius. Herennius Modestinus, consul sous Alexandre. Rescrits d'Alexandre et de Gordien qui lui sont adressés. (Lampride, 68. Sur Ulpien, voy. plus bas, chap. 5).
[77] Le bon sens, ce grand maitre de la vie humaine, règne partout dans la loi de ce grand peuple (romain), et on ne voit nulle part une plus belle application des principes de l'équité. (Bossuet, Disc. sur l'Hist. Univers. Empires, ch. VI.)