Dans le récit de cette controverse sur le baptême des hérétiques, je suis la version qui a été adoptée sans hésitation par tous les annalistes de l'Église, depuis Bède jusqu'au cardinal Baronius, Tillemont, Fleury. Mais je dois ajouter qu'au dernier siècle le P. Raymond Missori (1733) l'a contestée, ainsi que le P. Jean Népomucène Albéri (1820) ; et de nos jours, Mgr Tizzani, archevêque de Nisibe, a repris cette thèse dans un écrit remarquable sous tous les rapports (La celebre contesa fra S. Stefano et S. Cypriano, Rome, 1862). Selon lui, il n'y a pas eu de controverse entre saint Cyprien et le pape saint Étienne, encore moins y a-t-il eu révolte, rupture, excommunication. Pour établir cette thèse, il combat l'authenticité des sept lettres relatives à ce sujet que contient la collection des lettres de saint Cyprien (69 à 76, et 70-75) et des actes du Concile de Carthage de 256. Parmi ces pièces est une lettre de saint Firmilianus à saint Cyprien, dont le P. Thomassin avait déjà mis l'authenticité en doute, pour des motifs particuliers : l'absence d'hellénismes dans un morceau qui est censé traduit du grec, et de plus des difficultés chronologiques que Mgr Tizzani fait valoir très en détail. Mais, quant aux autres pièces, lés critiques de Mgr Tizzani reposent, non sur des preuves positives, mais seulement sur le silence des écrivains ecclésiastiques anciens au sujet de ces pièces ou des faits qui y sont relatés. Nous trouvons cependant : 1° dans Eusèbe un passage où il parle de saint Cyprien comme ayant soulevé dans l'Église la question du baptême des hérétiques (H. E., VII, 7), passage que Mgr Tizzani, par des raisons peu décisives, à ce qu'il me semble, déclare interpolé ; 2° dans saint Jérôme, la mention de lettres relatives au baptême des hérétiques, écrites et par saint Cyprien et par saint Denys d'Alexandrie (De viris illustribus, 69) ; et ailleurs (Advers. Lucifer., 23, 25, 26), la mention du blâme adressé à saint Cyprien par le pape saint Étienne au sujet de ce baptême, la mention des lettres de saint Cyprien au pape et à Jubaianus ou Baianus ; 3° dans saint Augustin une discussion contre les Donatistes où il soutient la même doctrine que le Pape avait établie contre Cyprien on lui oppose l'opinion et les lettres de Cyprien ; et il émet tout au plus un doute sur l'authenticité de quelques-unes de ces pièces, mais sans s'y arrêter ; du reste, il les discute au fond et finit même par déclarer que, d'après leur style et d'autres circonstances, il les admet comme appartenant à saint Cyprien (V. De baptismo contra Donat., I, 11, II, 1, 3, III, 3, V, 18, 19, 23, VI, 7, contra Cresconium, I, 32, II, 31, 32. Ad Vincent. Rogatist. Ép. 93). Ce seraient cependant ces mêmes Donatistes qui, selon Mgr Tizzani, auraient fabriqué les lettres en question, sans que saint Augustin, voisin de Carthage, et aidé de tous les souvenirs des églises d'Afrique, pût les convaincre ou même les accuser de faux. Il ne me semble donc pas qu'il y ait dans cette dissertation, très-savante du reste et à l'autorité de laquelle j'eusse aimé me rendre, des raisons suffisantes pour abandonner la version suivie jusqu'ici par les historiens de l'Église. Je le regrette pour l'honneur de saint Cyprien, mais non pour l'honneur de l'Église romaine dont l'autorité n'en est que plus manifeste par son triomphe sur un si saint et si éloquent docteur. On peut voir à ce sujet les Prœlectiones historicœ eccl. auctore J.-B. Palma (Rome, 1838), Pars I, cap. 23. J'ajoute aujourd'hui (1878) la dissertation très-érudite et tout à fait décisive du P. de Smedt (Dissertationes selectæ in primam ætatem historiæ Ecclesiasticæ, Gand et Paris, 1876). Il abonde dans le sens que nous avons énoncé plus haut. |