Nous voici arrivés à l'époque la plus étrange peut-être de l'étrange gouvernement des Césars. En lisant les détails du règne de ce prince que nous avons appelé jusqu'ici Avitus et que l'histoire connaît plutôt sous le nom d'Élagabale ou d'Héliogabale, le doute vient à l'esprit, et on se demande si de tels récits sont croyables ; si tant d'ignominies, tant d'extravagances, tant de monstruosités sont possibles ; si elles ne dépassent pas la limite de la perversité, de la déraison et de la puissance humaine. Ce doute m'est venu à moi-même, et cependant je ne puis pas ne pas admettre cette histoire. Nous avons ici, chose rare dans l'antiquité, deux témoins contemporains et même deux témoins oculaires. Le bithynien Dion Cassius était à cette époque habitant de Rome, sénateur, vraisemblablement préteur ou investi de quelque autre magistrature, puisque sous le règne suivant il fut consul. Hérodien, comme lui Grec de langage quoique son pays natal nous soit inconnu, passa aussi une partie de sa vie à Rome, dans les emplois. Nous pouvons nous appuyer sur le témoignage d'un troisième contemporain, Marius Maximus, qui fut consul peu d'années après, dont les écrits sont perdus, mais que Lampride, écrivain de seconde main, a consulté. Que la rumeur publique ait exagéré certains détails, cela est possible, et Lampride est le premier à l'admettre. Mais que l'ensemble soit mensonger ; que Lampride, malgré son prudent scepticisme, ait brodé sur le texte de Marius Maximus ; qu'Hérodien rêve quand il nous décrit des cérémonies qui se seraient passées à la face de Rome tout entière ; que Dion soit fou quand il parle des hommes qu'il a connus, du prince qu'il a acclamé et maudit au Sénat, des spectacles qu'il a vus du premier rang de l'amphithéâtre, ayant Rome tout entière derrière lui ; que tous aient falsifié l'histoire de manière à nous faire voir l'extrême délire et l'extrême scélératesse là où il n'y avait que raison et vertu, ou tout au plus une extravagance modérée et une malhonnêteté médiocre : c'est ce que je ne puis croire. On ne saurait d'ailleurs trop le dire : les jugements de l'histoire sont des jugements d'ensemble. La certitude historique n'isole pas les faits. La justice, elle, juge les faits isolément et sur des preuves spéciales à chacun d'eux. Elle peut le faire, car elle a à se prononcer sur des faits récents, et d'après des témoins qu'elle force à parler, des écrits qu'elle sait se faire remettre, des traces en un mot toutes vives et toutes palpitantes encore. Elle peut le faire, et même elle ne saurait faire autrement ; car ce sont des faits de la vie privée dont le retentissement et les conséquences n'ont qu'une portée restreinte, et qui doivent être jugés chacun à part. Il en est autrement de l'histoire, et surtout de l'histoire des temps éloignés ; elle n'a pas les mêmes moyens de preuve, mais elle en a d'autres ; elle n'a pas les témoins vivant, parlant, debout devant elle, elle n'a pas les traces encore ineffacées du fait, le sang de la victime et les pas du meurtrier sur le sol. Mais, comme les faits qu'elle traite appartiennent à la vie publique, elle a pour elle la publicité, la notoriété, la solennité du fait ; elle a surtout sa liaison et sa concordance avec toute une chaîne de faits également publics, notoires, solennels, qui en sont ou les causes ou les conséquences. Il y a donc une certitude historique toute différente de la certitude judiciaire, mais tout aussi logique et tout aussi puissante. L'histoire (dans les grands faits s'entend, et non dans les détails) se démontre par elle-même et par le seul enchaînement du récit. Pourquoi ne croirais-je pas les extravagances d'Élagabale ? Celles de Commode en approchent. Pourquoi ne croirais-je pas celles de Commode ? Celles de Néron en approchent. Ce sont des plantes qui ont poussé sur le même sol, plus ou moins vigoureuses, mais d'espèce semblable ; les unes font croire à la réalité des autres. Dira-t-on que, les unes comme les autres, toutes ces histoires ont été falsifiées ? que Tacite et Suétone, Romains du premier siècle ; Dion et Hérodien, Grecs de la fin du second ; Marius Maximus dans le cours du troisième ; Vopiscus, Spartien, Lampride, Capitolin dans le quatrième et d'autres encore, se sont entendus pour fabriquer dans leurs ateliers si divers une série de Césars tyranniques, tous jetés dans le même moule et tous faux ? Non : si vous me faites voir un arbre à distance, il est possible à la rigueur que cet arbre ne soit qu'une pièce de carton adroitement fabriquée ; mais si vous m'en faites voir des centaines autour de lui, j'affirme que c'est une forêt. Hélas ! il faut le dire, nous ne connaissons pas les limites de notre dépravation et de notre folie, pas plus que celles de notre héroïsme. Ne pas croire un récit, parce qu'il suppose dans les personnages une vertu trop grande, c'est une injure que je ne ferai jamais à l'espèce humaine. Mais ne pas croire un récit parce qu'il suppose dans les auteurs une perversité trop grande, c'est un honneur que je ne ferai jamais non plus à l'espèce humaine. Dans le bien et dans le mal, l'homme n'atteint pas seulement les limites du possible, il les dépasse ; dans l'un comme dans l'autre, il s'élève et il descend jusqu'au surnaturel ; des anges sur la terre et des démons sur la terre, il y en avait au temps d'Élagabale et il y en aura toujours. D'ailleurs, il y a ici une raison qui nous autorise à admettre plus facilement encore toutes les extravagances et tontes les infamies. Le règne de Caligula, celui de Néron, celui de Commode, celui de Caracalla, même quand c'était le règne d'un fou, était encore le règne d'un homme. Le personnage qui gouvernait, pouvait posséder un certain bon sens, ou, dans sa démence, avoir de certains moments lucides. Son intérêt personnel, son péril, la puissance redoutable de certaines idées, les ménagements dus à certains principes, à certains intérêts, à certaines traditions pouvait bien lui apparaître par moments et tempérer sa fureur. Caligula lui-même, de tous le plus positivement atteint d'aliénation mentale, Caligula respecta un jour la démocratie dans la personne d'un cordonnier. Mais ici, c'est le règne d'un enfant. Élagabale devient empereur à quatorze ans et meurt à dix-huit. Il n'eut pas le temps de sortir de l'adolescence, et l'on comprend ce que pouvait être l'adolescence d'un César romain, combien dépravée et combien insensée. Il lui eut fallu une sage tutelle, et qu'avait-il autour de lui ? Une aïeule ambitieuse et, lorsqu'elle était sage, mal écoutée ; une mère corrompue et qui, d'un adultère vrai ou faux, s'était fait une gloire et un moyen de succès ; non pas des courtisans, mais des valets, acteurs de cette intrigue par laquelle la révolution s'était faite, des valets servant à la débauche, d'autres servant au théâtre (ce qui alors était à peu près la même chose) ; tous manquant d'honneur puisqu'il n'y en avait ni pour l'esclave, ni pour le comédien ; la plupart manquant de raison. Le plus grand mal de ces influences subalternes et anonymes, c'est qu'elles n'entrainent pas de responsabilité. Celui qui les exerce se juge plus facilement dispensé de tout ce qui s'appelle devoir, honnêteté, raison. Tel homme eût été excellent comme souverain ou comme ministre qui sera détestable comme favori. Aussi le régné d'Élagabale n'a-t-il été qu'une longue orgie, une monstrueuse, gigantesque, fantastique bacchanale. Ce sont les Ménades de la Thrace, disons mieux, ce sont les fanatici et les énergumènes de l'Orient, lâchés dans Rome, l'épouvantant et la faisant rougir, elle accoutumée déjà à tant d'extravagances et d'infamies. Cette débauche de près de quatre années s'est appelée dans l'histoire le gouvernement d'Élagabale ; mais tous ces excès ne sauraient être imputés à l'enfant dépravé qui en fut le chef apparent. Le César de cette époque s'appelle légion ; le César de cette époque fut une bande d'esclaves asiatiques, d'esclaves enivrés et d'esclaves devenus maîtres. Seulement (chose étrange), une pensée plus sérieuse, une pensée qu'on pourrait appeler religieuse ou philosophique, semble percer à travers ces saturnales. Ce sont des esclaves, mais les esclaves d'un temple ; ce sont des Asiatiques, mais ils apportent avec eux le dieu de l'Asie ; ce sont des bacchants et des enivrés, mais ils sont ivres de leur dieu. Non-seulement ils apportent à Rome un dieu nouveau, ce qui s'est fait vingt fois ; non-seulement ils l'honorent par des cérémonies publiques et solennelles où Rome tout entière est conviée bon gré malgré, ce qui s'est déjà fait : mais ils veulent faire de ce dieu le seul dieu de Rome ou au moins le centre de toute la religion de l'Empire et de toutes les religions du monde. Est-ce seulement mépris, haine, dérision des dieux romains, du culte romain, des institutions romaines, du nom romain ? C'est cela, mais autre chose encore ; car, dans cette fusion des religions, non-seulement les cultes étrangers, — mais le judaïsme, mais le christianisme lui-même ne sont pas oubliés. Le dieu Élagabale doit être le lien de ce syncrétisme universel. A qui est venue une telle pensée ? Au prince lui-même dans l'intempérance d'une raison qui ne s'est jamais formée ? A sa mère au milieu des prostituées qu'elle gouverne ? A quelques-uns de ces serviteurs-maîtres, au milieu de leurs débauches ? On ne peut le dire. Ce qui est certain, c'est qu'une telle pensée ne pouvait venir que de l'Orient. Parmi tant de personnifications divines et tant de personnifications du soleil, c'est le dieu soleil d'Émèse, un dieu syrien, qui a été choisi pour devenir dominant dans Rome comme nul dieu ne l'avait été jusque-là. Certes, le royaume d'Émèse, s'il existait à cette heure, était un bien petit royaume et un bien humble vassal de l'Empire romain. Certes, l'occident de l'Empire avait politiquement, nationalement, militairement, une importance bien supérieure à celle de l'orient ; et Rome, placée entre deux, attendait bien plus de force des régions gauloises et ibériques que de l'Asie dégénérée et affaiblie. Mais néanmoins, tandis que les dieux gaulois, espagnols, bretons, fuyaient devant les dieux de Rome et s'affublaient des noms des divinités romaines, les dieux de Rome à leur tour étaient pourchassés dans Rome même par les dieux de l'Orient : les temples asiatiques venaient gêner leurs temples, les cérémonies orientales éclipsaient leurs cérémonies. Le culte romain qui envahissait l'Occident, à Rome était envahi par l'Orient ; les dieux de Rome, ceux de la Grèce, depuis longtemps n'avaient plus à Rome que la seconde place. Et maintenant, au dessus même des dieux égyptiens comme Isis et des dieux persans comme Mithra, venait un autre dieu oriental, un dieu syrien, le dieu d'Émèse, voisin des Juifs et qui prétendait rallier à lui les Juifs et les chrétiens. Quel instinct divinatoire ou quelle manifestation pleine de lumière faisait comprendre au monde que le Dieu de tous les dieux, la religion une, éternelle, universelle, devait lui être apportée de l'Orient, de la Syrie ? Quoiqu'il en soit, le prêtre adolescent du dieu soleil Élagabale, Varius Avitus, que les soldats venaient de faire César, Auguste et Antonin, Varius Avitus accompagné de Julia Mésa son aïeule, de Julia Sohémias sa mère, de son premier ministre, le bouffon Eutychianus Comazon, et du général de son armée, le pédagogue Gannys, entrait avec ses troupes victorieuses de Macrin dans la cité reine de la Syrie et de l'Orient, Antioche (juin 218)[1]. Antioche, à ce qu'il semble, aimait peu ce vainqueur, un parti s'y était soulevé pour la cause de Macrin et l'eût fait peut-être triompher si Macrin terrifié n'eût abandonné son parti. Aussi les soldats d'Avitus demandaient-ils à grands cris le pillage d'Antioche.- L'empereur eut ou l'on eut pour lui la sagesse de refuser. Ce pillage tant souhaité fut remplacé par une libéralité de cinq cents drachmes par soldat que leur accorda l'Empereur et qu'Antioche, trop heureuse d'en être quitte à ce prix, dut lui rembourser[2]. En même temps, il écrivait au Sénat de Rome, accusant le prince défunt, promettant un règne meilleur ; déclarant choisir pour ses modèles Auguste et Marc-Aurèle, modèles fort différents de Caracalla qu'il appelait son père ; s'investissant lui-même et sans attendre le décret du Sénat, des surnoms de Pieux et d'Heureux, du proconsulat et de la puissance tribunitienne. Le pauvre Sénat se fâcha peu de cette brèche faite à de bien vains privilèges, et surtout il ne s'en fâcha pas tout haut. Comme Avitus écrivait en même temps aux troupes de Rome de prêter main forte, s'il en était besoin, à l'exécution de ses volontés, et que les troupes, à Rome comme en Syrie, étaient éprises de la mémoire de Caracalla, le Sénat se soumit cette fois comme il se soumettait toujours. Il maudit tout haut Macrin et son fils enfant qu'il regrettait tout bas, bénit tout haut la mémoire de Caracalla que tout bas il maudissait, honora tout haut Élagabale, Mésa et Sohémias qu'il vouait au fond du cœur à tous les dieux infernaux, souhaita au fils de ressembler au père, par ses vertus, disait-il tout haut, par sa fin, pensait-il tout bas. Moins d'un mois auparavant, il honorait Macrin et son fils, déclarait Élagabale, Mésa et Sohémias ennemis publics, et, s'il avait eu un peu plus d'audace, aurait condamné la mémoire de Caracalla. Il y a eu des bassesses partout ; mais il n'y a eu qu'à Rome un corps, officiellement, perpétuellement, constitutionnellement établi pour commettre des bassesses. Il faut dire cependant que le nouvel Empereur faisait une promesse et qu'il la tint. Il promettait amnistie pour les torts que lui révélaient les papiers de Macrin. Le Sénat, les grands personnages, les plus petits aussi, avaient écrit au prince tombé, contre Caracalla et contre Avitus, des lettres, officielles ou non, qui devenaient maintenant criminelles. Avitus promettait de tout oublier, il tint parole ; son règne n'en fut pas moins sanguinaire, mais (Dion l'atteste, et il est croyable) la correspondance de Macrin resta comme non avenue. Il s'agissait maintenant de partir pour Rome. Le nouvel Empereur s'en souciait peu. Il était peu romain ; son éducation commencée à Émèse était asiatique ou grecque plutôt que romaine ; en tout cas, elle n'était ni bien avancée ni bien savante. Son entourage, sauf son aïeule et sa mère, n'était pas plus romain que lui ; il en coûtait à ces Asiatiques de s'éloigner de leur Asie, à ce prêtre de s'éloigner de son dieu. Proclamé au mois de juin, il gagna lentement l'Asie Mineure et passa l'hiver à Nicomédie. Là, l'Empereur romain continuait les chants et les danses sacrées du prêtre d'Émèse, en gardait le vêtement, ne connaissait ni la toge romaine, ni le pallium des Grecs, ni la chlamyde impériale, ni le casque, ni le manteau militaire. Un fil de laine sur sa personne lui eût paru une grossièreté, peut-être même une impiété ; sa robe était toute de soie (délicatesse que Rome, plus modeste, réservait aux seules femmes) brodée de pourpre et d'or, tenant le milieu, dit Hérodien, entre la stole sacrée des phéniciens et le somptueux vêtement des Mèdes. Ses bras et son cou étaient chargés de bracelets et de colliers ; sa tête portait une tiare ornée d'or et de pierres précieuses. En voyant un Empereur romain ainsi vêtu célébrer les orgies sacrées à grand renforts de flûtes et de tambours, Mésa, plus romaine et plus sage, se récriait, mais en vain ; le prêtre était fanatique de son dieu, l'Asiatique du costume de l'Asie, l'enfant de ces rites qui étaient le jeu de son enfance ; et, plus encore peut-être, la coterie qui l'entourait était enchantée de cette folie sacerdotale qui laissait au prince les rites sacrés, à elle le pouvoir. - Cette folie du prince ou cette domination de ses favoris ne laissait pas déjà que d'être sanguinaire. Ceux qui avaient écrit pouvaient être amnistiés ; mais ceux qui avaient combattu ne l'étaient pas. Nestor Julianus, second préfet du prétoire de Macrin, Fabius Agrippinus, préfet de Syrie, d'autres préfets coupables de n'être pas venus assez tôt rendre hommage au nouveau prince, Triccianus qui avait commandé sa légion albanienne, les principaux amis de Macrin périrent. Comment eussent vécu ceux qui avaient combattu contre Avitus, lorsqu'on voyait mourir ceux-là même qui avaient combattu pour lui ? Gannys le fidèle Gannys, ce général improvisé qui avait fait la fortune de son élève devenu son empereur ; Gannys que Mésa aimait parce quelle l'avait élevé et que Sohémias aimait d'un autre amour ; Gannys que le jeune Empereur, disait-on, avait un moment voulu faire César et marier à sa mère ; Gannys pouvait être coupable de luxe, de mollesse, de facilité à recevoir des présents : mais il était humain, il était fidèle, il osait reprendre et conseiller son empereur. C'est pour ce crime que Gannys périt ; le premier coup lui fut donné de la main de son ingrat disciple parce que nul des soldats n'osait frapper son général[3]. Rome cependant demandait ou était censée demander son empereur. Et les temps n'étaient pas encore venus où l'on devait voir Dioclétien faire impunément de Nicomédie le siège principal de sa royauté. Mais le prêtre allait-il donc se séparer à jamais de sa divinité ? A douze cents lieues d'Émèse, Avitus serait-il à jamais étranger au dieu soleil Élagabale ? Sa dévotion lui inspira d'emmener avec lui l'objet de son culte et de faire trôner le dieu Élagabale au dessus de tous les dieux, comme lui l'empereur Élagabale (car il allait en prendre le nom) trônerait au dessus de tous les citoyens de Rome. Le voyage du dieu fut résolu, et avant qu'il s'accomplit, pour accoutumer les yeux des Romains au spectacle étrange qu'ils allaient avoir, une image du prince revêtu du costume et accomplissant les fonctions sacerdotales, une image du dieu que le prince adorait furent envoyées de Nicomédie à Rome. Elles durent être placées dans la salle du Sénat, au dessus de cette statue de la Victoire, à laquelle chaque sénateur en entrant allait faire une libation et offrir 'un grain d'encens ; l'encens et le vin désormais furent offerts, non plus à la Victoire, mais au nouveau dieu. Dans les sacrifices, prêtres et magistrats eurent ordre de nommer avant tous les dieux le dieu Élagabale. La religion romaine tout entière était ainsi humiliée aux pieds d'un dieu asiatique ; mais qu'était-ce, alors surtout, que la religion romaine ? Enfin le dieu et l'Empereur arrivèrent, et Rome, avec son inaltérable patience, vit s'installer dans son sein le nouveau culte qui devait dominer tous ses cultes surannés. La bonne déesse de Bérécynthe avait déjà été apportée solennellement dans ses murs du temps de la république ; le serpent Esculape y était venu en grande pompe ; les dieux de l'Égypte, après s'y être introduits dans l'ombre, avaient fini par y être solennellement adorés. Mais on n'avait jamais vu ce qui allait s'y faire maintenant. Au milieu des fêtes, des spectacles, des largesses qui célébraient d'ordinaire l'avènement ou l'arrivée d'un empereur, on vit s'élever sur le mont Palatin, vers la partie du palais où l'Empereur avait sa résidence, un temple magnifique remplaçant le vieux et sinistre temple de Pluton ou de la Mort (Orcus)[4]. Autour du temple, on vit des autels où chaque matin des hécatombes de taureaux et de brebis furent immolées, des parfums brûlés en abondance, des amphores de vins précieux répandus sur le marbre pour que des flots de vin se mêlassent à des flots de sang. Là retentissaient les chants et la musique ; là des Phéniciennes, armées de cymbales et de tambourins, menaient leur ronde autour des autels, et l'empereur César-Marc-Aurèle-Antonin-Auguste conduisait lui-même les chœurs sacrés. Et, une chose plus étrange encore, c'était de voir, sur des bancs étagés comme ceux du théâtre, les sénateurs et les chevaliers, spectateurs recueillis et respectueux de ces extravagances ; les préfets du prétoire portant sur leurs têtes les plateaux qui contenaient les aromates et les entrailles des victimes ; les grands de l'Empire, vêtus de la longue robe phénicienne avec une bande de pourpre au milieu, chaussés de lin comme les prophètes syriens, et obligés de se croire très-honorés parce que l'Empereur Élagabale leur permettait de prendre part au culte du dieu Élagabale. Au fond de tout cela y avait-il une pensée un peu sérieuse ? un rêve philosophique ? une certaine foi aux rites que l'on pratiquait ? Non pas sans doute chez ce César enfant, pourri avant d'être mûr, dépravé avant d'être homme. Mais, chez sa mère peut-être ou chez quelqu'un des siens, le projet exista de réunir tous les cultes de l'Empire dans le culte du dieu d'Émèse. Son temple fut le temple dominant auquel devaient aboutir directement ou indirectement les prières et les hommages de l'humanité tout entière. Tout ce qu'il y avait dans Rome de symboles vénérés, de talismans sacrés et mystérieux, fut impitoyablement sommé de s'y. rendre. L'Empereur-prêtre se faisait successivement affilier à tous les sacerdoces pour en connaître les emblèmes cachés, et amener ces dieux au pied de son Dieu. Il s'associait aux mystères de Vénus Salambo, pleurant Adonis, gémissant et balançant sa tête avec les serviteurs de la déesse ; il se faisait initier aux mystères de la Mère des dieux ; il subissait l'humiliante et sanglante cérémonie du Taurobole : il s'unissait aux Galls, les fanatiques de Cybèle, dansait au milieu d'eux, se déchirait ou feignait de se déchirer la peau à coups de couteau, tout cela pour découvrir leurs types sacrés et les porter dans son sanctuaire du mont Palatin. Il s'était emparé — pour son dieu Soleil, pour son dieu Élagabale ou pour lui-même tout cela était une même chose — du temple que jadis Marc-Aurèle avait élevé dans les gorges du mont Taurus à Faustine, sa peu digne épouse, et qui ensuite avait été attribué à Caracalla[5]. Il voulut ravir au sanctuaire de Diane à Laodicée les pierres qu'Oreste y avait déposées jadis et qui, elles aussi, comme la pierre noire de Bérécynthe ou la pierre noire d'Émèse, étaient des aérolithes devenus des dieux. Il voulut même dérober à Mars ses boucliers sacrés, éteindre le feu des vestales, voler à ces prêtresses le Palladium qu'elles gardaient et qui avait été tenu pour le talisman de la fortune romaine. Qu'était le Palladium ? Nul ne le savait bien. Que ce fut un image de la déesse vierge Minerve, ou au contraire un emblème obscène, Élagabale voulut le voir et s'en emparer. Avec ses impurs amis, au mépris de ce qui restait encore de religion romaine, il entra de force dans le sanctuaire intime où seuls les vestales et les pontifes avaient droit d'entrer ; il prétendit se faire remettre l'objet sacré ; la grande vestale lui remit en effet une jarre de terre cuite (seriam) qu'il trouva vide et qu'il brisa contre terre ; il crut cependant reconnaître le Palladium dans une statue d'or qu'il emporta pour orner son temple. Il est à remarquer qu'aucune de ces profanations tentées par lui ne nous est racontée comme ayant été accomplie jusqu'au bout ; les mystères de l'antiquité avaient trop grand besoin de se faire passer pour inviolables : on ne manqua pas de dire que le Palladium emporté par Élagabale n'était pas le vrai Palladium. Quoi qu'il en soit, sa pensée ou celle des hommes qui le dirigeaient était bien cette fusion de toutes les religions païennes ; il disait que tous les dieux n'étaient que les serviteurs de son dieu ; ceux-là ses valets de chambre, ceux-ci ses gardes, d'autres ses ministres.... Ce n'était pas seulement la religion romaine qu'il voulait abolir, mais c'était le monde entier dans lequel il prétendait que son dieu Élagabale fût seul et partout adoré[6]. Cette concentration de tous les cultes païens au profit du dieu Soleil devait s'étendre même aux cultes qui rejetaient les idoles. Il disait qu'il amènerait aussi dans son temple du mont Palatin la religion des Samaritains, celle des Juifs, celle même des chrétiens, afin que le sacerdoce d'Élagabale fût en possession des secrets religieux du monde entier[7]. Ou pour se rattacher les Juifs, ou peut-être parce que ces observances étaient passées antérieurement du culte mosaïque dans les cultes païens de l'Asie, il se soumit à la circoncision et pratiqua l'abstinence du porc. Et quant aux chrétiens, le désir de les appeler à lui fut peut-être la raison pour laquelle ce temps de saturnales païennes ne fut pas un temps de persécution plus particulièrement acharnée contre l'Église. Il savait certes bien mal ce qu'est le christianisme ou même le judaïsme ; mais d'où pouvait venir, soit à lui, soit à Sohémias ; soit à tout autre de ses conseillers, une telle fantaisie ou un tel rêve ? D'où pouvait venir cette pensée d'une religion universelle, tandis que jusque-là dans le Paganisme les religions avaient été nationales, puissantes et vénérées surtout comme nationales ? Sans doute sous l'Empire romain, on s'était accoutumé à vénérer à l'égal de Jupiter et à côté de Jupiter, un Sérapis, une Astarté et tant d'autres, soit que sous ces noms divers on vît la même pensée, soit qu'on adorât des dieux distincts en même temps et à titre égal. Mais que tout à coup vînt du fond de l'Asie un dieu dominateur, dieu de toutes les nations, détrônant à la fois Jupiter et Sérapis de leur céleste suprématie et les réduisant à n'être que ses esclaves, c'était chose nouvelle. D'où cette pensée serait-elle venue dans le cerveau malade d'Élagabale ou de ses compagnons d'orgie, si auprès d'eux ne se fût révélé le véritable Dieu suprême, le Dieu des dieux et le Seigneur des seigneurs, la véritable religion universelle et éternelle dont l'Empereur romain donnait au monde une misérable, honteuse et sacrilège contrefaçon ? Mais, sauf cette pensée, sérieuse ou non, réfléchie on non, personnelle ou non à l'Empereur, le règne d'Élagabale ne fut qu'une longue orgie. Ce fut, pendant près de quatre ans, une impure et gigantesque bacchanale qui remplit Rome et l'humilia, je ne puis malheureusement dire la révolta. Ce qui avait pu se passer jusque-là dans quelques bouges infâmes ou dans quelques sanctuaires non moins infâmes de l'Asie, se passa maintenant au plein jour de la cité romaine, sur le mont Palatin, dans le Forum, au Champ de Mars. Pendant quatre ans, des esclaves débauchés, des comédiens impurs, de ces énergumènes attachés au service de certains dieux, ralliant à eux toutes les corruptions et toutes les superstitions, purent promener librement dans Rome leurs idolâtries et leurs débauches, mettant à leur tête cet Empereur adolescent, la victime peut-être plutôt que le chef de leur orgie. Ne parlez pas désormais de pensée politique, du gouvernement de l'État. Qui gouverne ? On ne le sait pas. Des femmes probablement ; car c'est en elles encore que se retrouve un peu de bon sens et de virilité, Mésa, plus qu'une autre, a le sentiment vrai des intérêts et des périls publics ; mais bientôt Mésa ne sera plus écoutée. Sohémias peut-être trouverait dans son ambition assez de force et de clarté d'esprit pour gouverner l'Empire ; mais la laisse-t-on gouverner ? Rien ne se révèle au dehors que l'extravagance et le désordre. Le préfet de Rome est cet Eutychianus surnommé Comazon (chanteur ou danseur des bacchanales), affranchi comédien, le premier auteur de l'intrigue qui a donné la pourpre au jeune Avitus. Il avait été jadis soldat et puni pour des méfaits ; plus tard il retrouva pour le faire périr le juge qui l'avait puni. Ce personnage fut successivement préfet de Rome, préfet du prétoire, trois fois consul ; et son nom de théâtre se lit encore dans les fastes consulaires de Rome. Les confidents habituels et les conseillers du prince sont les deux cochers du cirque, Hiéroclès et Protogène qui ont eu l'honneur de courir avec lui le jour de sa première course. Hiéroclès est un esclave venu de Carie ; et, non-seulement lui-même est honoré, mais sa mère, femme esclave venue à Rome avec des soldats, est élevée au rang des matrones consulaires[8]. Un autre cocher, Gordius, est préfet des Vigiles. On nomme des sénateurs sans tenir compte ni de l'âge, ni de la naissance, ni de la fortune ; on les choisit au hasard, mais au hasard de l'enchère ; car tout est vendu, ou par le prince, ou par ses esclaves, ou par ses compagnons de débauches, commandements militaires, gouvernements de provinces, offices du palais. Quand on ne vend pas, on donne au plus indigne ; l'impôt des successions, cette taxe si importante et si odieuse au peuple, est administré par un muletier, puis par un coureur, puis par un cuisinier. D'autres charges se donnent au prix des services les plus infâmes et des plus honteuses aptitudes. Les gens de théâtre, si dégradés par les lois et si méprisés dans les mœurs romaines, sont élevés aux plus hautes dignités ; un comédien est Prince du Sénat, un autre Prince de la jeunesse ; un troisième est à la tète de l'ordre équestre ; cochers, mimes, histrions se partagent les emplois ; des 'affranchis et des esclaves de l'Empereur, et les pires d'entre les esclaves ont des commandements de provinces[9]. Le dernier projet du prince était de prendre pour ses fonctionnaires les plus vils entremetteurs de débauches, un comme préfet de chaque cité, quatorze à la tête des quatorze régions de Rome : c'est ce qu'il eût fait, dit l'historien, s'il eût vécu. Ne parlez pas non plus de Rome, du nom romain, du sang romain. Tout cela est, pour Élagabale comme pour Commode, comme pour Caracalla, mais bien plus encore pour Élagabale, un objet de haine, de dérision et de mépris. Ce César est asiatique ; la Syrie a été son asile, le sanctuaire d'Émèse son refuge ; l'Orient le lieu de son triomphe ; il ne l'oublie pas, et celui qui a mis un dieu oriental au-dessus du Jupiter Capitolin ne traitera pas mieux les institutions romaines que la religion romaine. Au milieu du Sénat, ce qui ne s'était jamais vu, il a fait apparaître une femme : Mésa l'a accompagné là, comme elle l'accompagnait dans le camp ; elle s'est assise auprès des consuls ; on lui a demandé son avis, et elle a opiné ; elle a certifié comme les autres sénateurs les actes du Sénat[10]. Pourquoi son aïeule et non sa mère ? C'est que sa mère préside un autre Sénat qui est la parodie du Sénat romain : sur le Quirinal, au lieu où les matrones consulaires se réunissaient autrefois pour les cérémonies religieuses, des femmes se réunissent aujourd'hui pour traiter des questions de haute politique ; là, sous la présidence de Sohémias, on règle par des sénatus-consultes les graves difficultés de la préséance, de l'étiquette, du vêtement, quelle femme doit céder le pas à une autre, quelle femme peut porter tel vêtement, quelle peut avoir une voiture, quelle un cheval, quelle un âne, quelle un chariot attelé de mules, quelle une litière revêtue de peaux ou d'os travaillé ou d'ivoire ou d'argent, quelle une chaussure ornée d'or ou de pierreries, à qui une femme doit ou ne doit pas donner son front à baiser. De tels sénatus-consultes pouvaient bien passer pour aussi sérieux que ceux du Sénat romain, quand l'Empereur recevait les sénateurs, étendu sur son canapé et les appelait des esclaves porteurs de toges. Quant aux chevaliers, il les comptait pour rien ; et quant au peuple romain, prenant pitié de sa misère, il disait : Ce pauvre fermier d'un petit domaine. Ne parlez pas non plus d'économie, d'épargne, de sagesse financière ; cela était bon au temps de Septime Sévère. Mais aujourd'hui, qui prêchera l'économie à un César de quinze ans, à une mère de César vivant au palais en prostituée, à tous les prêtres et prêtresses, courtisans et courtisanes que l'Asie a donnés à Rome, ou que Rome a donnés au dieu de l'Asie ? Quoi donc ! Élagabale sera magnifique, même envers ce peuple Romain qu'il méprise ; dans ses distributions solennelles, ce ne sont pas des pièces d'argent ni même des pièces d'or qu'il lui jette, encore moins des dragées ; mais il lui donne des bœufs magnifiques, des ânes, des chameaux, des esclaves qu'il pousse sur la place publique et qu'il abandonne à qui veut les prendre ; c'est là au moins, dit-il, une largesse impériale. Quelquefois il donne une loterie où un lot gagne cent pièces d'or, un autre mille pièces d'argent, un autre au contraire une livre de bœuf, un autre un chien mort ; et le peuple enchanté ce jour-là, crie : Vive Élagabale ! et voudrait qu'Élagabale régnât toujours. .Pour ses amis, il fera bien plus encore. Pour eux aussi il a institué des loteries qui se tirent au milieu de ses festins, où les gains sont aussi de valeurs bien diverses ; car l'un gagne dix chameaux, l'autre dix mouches, celui-ci dix livres d'or, celui-là dix livres de plomb. De plus, au sortir du repas, à la place de ces friandises que l'on donnait à emporter aux convives, il donne un esclave, un eunuque, un cheval, une litière, une voiture, cent livres d'or. Parfois il distribue aux convives toutes les coupes dans lesquelles ils ont bu ou la vaisselle d'argent dont ils se sont servis. Sur la table apparaissent des fleurs et des fruits semés de pierreries ; et, pour ne pas oublier le peuple, on lui jette par la fenêtre des mets aussi exquis que ceux qui ont nourri les convives. Mais, quand César fait tant pour les autres, comment ne ferait-il pas quelque chose pour lui-même ? Il y aurait à emprunter à Lampride une liste sans fin de recherches incroyables, fantastiques, extravagantes, impossibles à comprendre et à traduire (et je ne parle ici que de ce qui tient au luxe). — Ce sont des repas qui coûtent au moins trente livres d'argent (environ 2.000 fr.), quelques-uns qui coûtent, tout compte fait, jusqu'à trois millions de sesterces 4 ou 500.000 fr. Et quels affreux repas, inspirés par cette gastronomie dépravée des Romains qui n'estimait que ce qu'elle payait cher ! six cents cervelles d'autruche, des cervelles de grive, de perdrix et de phénicoptère, des têtes de perroquet, des entrailles et des barbes de surmulet, des langues de paon et de rossignol, (comme préservatif de la peste !), des talons de chameaux, des crêtes enlevées à des coqs vivants. — Ce sont les chevaux des écuries impériales nourris de raisins apportés d'Apamée en Syrie, les lions de la ménagerie du prince nourris de faisans et de perroquets. — Ce sont des tables et jusqu'à des marmites en argent. — Ce sont des parfums précieux dans la piscine où le prince se baigne, des bains de rose, de safran et de nard ; ce sont à Rome des bains d'eau de mer pour lui et pour ses amis. — Quand il est près de la mer, jamais un poisson ne paraît sur sa table ; mais quand il est à Rome, des poissons de mer nagent dans ses bassins ou lui sont apportés par charretées à travers le marché public dont l'indigence lui fait pitié. — Ce sont, dans ses jardins, en plein été, des monceaux de neige renouvelés chaque jour par des envois venus de loin. — Sur sa personne jamais ne paraît une étoffe qui ait été blanchie même une seule fois, — il n'y a, disait-il, que les mendiants qui se fassent blanchir — ; jamais deux fois la même chaussure ; à ses pieds des pierres précieuses gravées. — Ce sont pour ses promenades, des voitures non plus seulement ornées d'argent, d'ivoire et de bronze, mais d'or et de pierreries, six cents voitures à sa suite lorsqu'il voyage. — C'est, non pas seulement l'argent, mais l'or, l'onyx, les vases murrhins employés aux usages les plus immondes[11]. — Ce sont des maisons de plaisance et des thermes dont il se sert une fois et qu'ensuite il fait démolir. — C'est de la poussière d'or et d'argent semée sur les chemins où il doit passer. — Il a un vêtement d'étoffe précieuse, il se plaît à le déchirer ; si un navire chargé arrive pour lui dans un port, il le fait couler ; il dit que c'est là de la grandeur. L'épargne, cette passion de Septime Sévère, est le scandale de son petit-fils, si toutefois Élagabale est son petit-fils. Me gardent les dieux, dit-il un jour, d'avoir des enfants ; il se trouverait peut-être parmi eux un homme économe[12]. Et une autre fois : Si j'ai un héritier, je lui donnerai un tuteur qui l'obligera à vivre comme moi. Il accable ses amis de présents ; mais, à ceux qu'il soupçonne d'être économes, il ne donne rien. Il était de ceux qui pensent que de telles prodigalités enrichissent les nations ; je me permets de croire qu'elles les ruinent. Pendant ces splendides festins d'Élagabale, le peuple de Rome, et à plus forte raison le peuple des provinces, mourait de faim. Les sept années d'approvisionnement de blé que Trajan et Septime Sévère avaient prescrit de garder dans les greniers publics de Rome avaient disparu. En un seul jour, toute une année de cet approvisionnement avait été distribuée aux corps des lenones et des prostituées romaines. Une autre année avait été promise à ceux de la banlieue[13] Vous comprenez qu'il n'en restât guère pour le peuple ; mais au lieu de pain il avait la chance de gagner ou un bœuf ou un chien mort à la loterie d'Élagabale. En tout, il est impossible, en lisant les historiens de ce règne, d'y voir autre chose qu'un monstrueux et infâme carnaval (et un carnaval ensanglanté) qui déborda sur Rome quatre années durant. Ce n'est pas un empereur, ce n'est pas un homme, ce n'est pas un enfant, c'est je ne sais quoi d'infâme et d'insensé que l'on voit apparaître rasé, épilé, couvert d'une tunique en or tissé chargée de pierreries au point de lui faire sentir comme il le disait le poids de sa magnificence[14]. Ayant sur sa tête un diadème en pierreries comme celui que portent les femmes, ayant le geste, l'attitude, la chevelure, l'accent, parfois le vêtement d'une femme, disant à ceux qui l'appellent Seigneur : Appelez-moi Madame ; dans les rares occasions où il marche, il marche en dansant et c'est même en dansant qu'il prononce ses harangues[15]. Mais le plus souvent il se fait traîner dans les rues, aujourd'hui par un attelage de quatre chiens ou de quatre cerfs ; demain par un attelage de lions, comme la Mère des dieux et avec les attributs de la Mère des dieux ; après-demain comme Bacchus par un attelage de tigres ; souvent nu, ayant deux à deux quatre ou six femmes attelées à son char[16]. Ce ne sont pas des Romains, ce ne sont pas des hommes que ce troupeau de parasites et de débauchés qui festoient éternellement avec le prince, partagé en dominateurs qui le gouvernent et en esclaves dont il fait ses victimes. Ceux-ci ont à subir tous ses caprices et parfois d'étranges caprices. Pendant qu'ils sont à table, un lion vient tout à coup s'étendre à côté d'eux sur leur couche, celui-ci n'a ni griffes ni dents, mais ils ne le savent pas et ils meurent de peur. D'autres lois, enivrés, on les enferme dans une chambre bien close ; il se réveillent et trouvent un ours ou un léopard auprès d'eux : quelques-uns en meurent de frayeur. Moins innocente encore est la plaisanterie qui consiste à les ensevelir sous des fleurs : pendant qu'ils sont à table, le plafond s'ouvre ; une délicieuse pluie de feuilles de roses et de violettes tombe sur eux, ils sont ravis ; mais peu à peu la pluie augmente, les fleurs s'entassent à leurs pieds, puis à la hauteur de leurs genoux et de leurs poitrines, ils sont près d'étouffer et quelques-uns périssent[17] Moins innocent encore est son jeu d'Ixion, quand il fait attacher un malheureux parasite à la roue d'un moulin de façon qu'il passe et repasse, tantôt dans l'eau et la tête en bas, tantôt à l'air et respirant. Mais, si Élagabale a des victimes, il a aussi des maîtres : des maîtres qui le gouvernent et gouvernent l'État, si toutefois il y a quelque chose qui puisse s'appeler le gouvernement de l'État. C'était hier le bouffon Comazon ; c'est aujourd'hui le cocher Hiéroclès qu'Élagabale un jour a distingué au cirque et dont il a fait son ami ou plutôt son tyran intime ; car il est injurié, quelquefois même battu par Hiéroclès. Maîtres, victimes, esclaves, comédiens, patriciens, Empereur, tout cela vit dans un perpétuel vertige, incompréhensible et indescriptible. Un festin a lieu aujourd'hui et remplira toute la journée ; il a vingt services et chacun dans une maison différente, l'un au Capitole, l'autre au Palatin, celui-ci sur le rempart de Servius, celui-là au delà du Tibre ; l'orgie se transporte successivement à chacun de ces rendez-vous ; traverse Rome, Dieu sait avec quelle pompe ; on dîne vingt fois, on se baigne vingt fois (s'il faut en croire l'historien), car il n'y avait pas de repas qui ne fût précédé d'un bain. Cette orgie ambulante était pour l'instant tout le gouvernement de cette société si parfaitement civilisée et organisée qu'on appelle l'Empire romain. Je ne raconte pas tout et il est impossible de tout raconter ; la pudeur manquerait-elle pour le taire, la langue nous manquerait pour le dire. Nos langues chrétiennes, quoiqu'on les ait pliées à bien des excès, n'ont pas ici de mots pour traduire ; pour la dépravation moderne trop innocente, la dépravation antique est incompréhensible. Et cependant les historiens que je me refuse à traduire, eux-mêmes n'ont pas tout dit : Il est des choses infâmes, écrit Dion, que nul ne voudrait ni entendre ni raconter. Je m'en tiens à ce qu'il est impossible de ne pas dire. Lampride, à son tour, demandant pardon de ce qu'il a raconté, ajoute : Je passe sous silence beaucoup d'infamies qu'on ne saurait dire sans une extrême honte. Ce que j'ai dit, je l'ai déguisé, autant que je l'ai pu, par l'honnêteté des paroles. Nous n'avons donc qu'un Élagabale expurgé, et, tel qu'il est, cet Élagabale est intraduisible. Mais la débauche ne fait pas tort au meurtre ; loin de là, elle le stimule et l'encourage. Nous venons de dire que les jeux d'Élagabale firent plus d'une fois des victimes parmi ses convives, à plus forte raison parmi les gladiateurs qui venaient égayer son repas. Même à cette époque si peu politique, les meurtres politiques ne cessaient pas. lin Sylla périssait pour avoir, en venant à Rome où l'Empereur l'avait mandé, cheminé de concert avec des soldats germains qu'on rappelait par suite de leur indiscipline; — Seïus Carus périssait à cause de sa richesse et de son esprit ; — Pétus Valerianus pour avoir fait son médaillon en or et l'avoir mis dans le boudoir de ses concubines — ces médaillons, disait-on, étaient une monnaie qu'il voulait répandre à titre d'empereur et pour se faire empereur ; — Pomponius Bassus et Silius Messala, pour avoir Inédit du gouvernement de l'Empereur, avec ces circonstances aggravantes que le premier avait une très-belle femme, que le second montrait quelque énergie dans le Sénat, si bien qu'Élagabale, étant encore en Syrie, l'avait appelé auprès de lui afin de priver l'opposition de son chef. Pour la plupart de ces hommes, quoiqu'ils fussent sénateurs, on ne prit pas la peine d'écrire au Sénat leurs méfaits. Les deux derniers seuls furent jugés par cette assemblée et voici en quels termes Élagabale provoqua leur condamnation : Ces gens-là se sont constitués les juges et les censeurs de tout ce qui se fait au mont Palatin. Je ne vous envoie pas les preuves des embûches qu'ils m'ont dressées. Ce serait inutile, car ils sont déjà exécutés. Là-dessus le Sénat ne pouvait faire difficulté de condamner, et il condamna. D'autres périrent parce qu'approchant de la personne d'Élagabale, ils avaient été assez ses amis pour lui conseiller un peu de décence ou un peu de raison. D'autres périrent enfin, simplement parce que le dieu Soleil du mont Palatin demandait leur mort, et qu'il fallait au dieu des victimes humaines. Les sacrifices humains que Rome s'était fait gloire d'abolir dans tout son empire, qu'elle avait du moins forcés à se cacher et qui ne se pratiquaient plus que dans l'ombre, lui revenaient maintenant de l'Asie ; les dieux de l'Orient, moins modérés que les humbles dieux du Capitole, voulaient du sang humain sur leurs autels. Commode avait ouvertement pratiqué ces sacrifices, Élagabale les pratiquait plus ouvertement encore. Il se faisait amener des enfants choisis dans toute l'Italie pour leur naissance et leur beauté, et, par une recherche de cruauté et de superstition, il voulait des enfants dont les pères et mères fussent vivants encore ; sans doute afin d'être cause de plus de douleur[18]. Entouré de ses devins orientaux, il égorgeait ces jeunes victimes, ouvrait leurs corps, les examinait, croyait y lire l'avenir et remerciait les dieux des présages favorables qu'ils lui faisaient voir dans ces entrailles humaines. Voilà quel sang et quelles victimes il faut aux hommes lorsqu'ils méconnaissent l'adorable Victime humaine dont le sang a coulé sur le Calvaire ! Il ne faut pas demander les événements de cette histoire ; il n'y eut ni politique, ni guerre, ni aucun fait notable pendant les quatre ans de l'orgie d'Élagabale : cette orgie était toute la politique de l'Empire et elle en est, pendant ces quatre années, toute l'histoire : demanderez-vous à un homme ivre de vous raconter les péripéties de son ivresse ? Les seuls événements, les seules dates de ce règne ce sont les mariages d'Élagabale. Enfant, dégradé, efféminé, il lui fallait cependant au palais une Augusta quelconque bien inconnue et bien tremblante. — Dès son arrivée à Rome, à peine âgé de quinze ans, il fut marié à une Cornelia Paula (219). Ce mariage fut célébré par des largesses dans lesquelles le Sénat même eut une part. On était alors au début ; le peuple eut, à titre de festin, six pièces d'or par tête, les soldats dix. On tua un éléphant et cinquante et un tigres dans l'amphithéâtre. — Mais le règne de Cornelia Paula n'en fut pas plus long pour cela : la seconde ou la troisième année (220 ou 221), Élagabale découvrit que sa beauté n'était pas parfaite, la répudia, et lui enleva même le titre d'Augusta qu'il lui avait donné ; il avait alors dix-sept ans, se croyait un homme, n'écoutait plus son aïeule Mésa et était pleinement livré à sa folie impériale et sacerdotale. Il déclara donc officiellement dans une lettre au Sénat qu'afin d'avoir des enfants dignes d'un Dieu, il allait, lui grand prêtre, épouser une vestale. C'était, aux yeux de la religion romaine, un épouvantable sacrilège ; mais le prêtre du dieu de Syrie se souciait peu de la religion romaine. Il y eut donc pour la vestale Aquilia Severa des fêtes comme il y en avait eu pour Paula ; des cadeaux, il est vrai, non plus faits au Sénat, mais exigés du Sénat ; des médailles avec l'inscription Concordia æterna, pour la seconde femme comme pour la première. — Mais cette concorde ne fut pas éternelle, et, avant la fin de l'année, la vestale était renvoyée à ses autels. En condamnant ce Pomponius Bassus dont je parlais tout à l'heure, Élagabale avait fait et probablement avait eu l'intention de faire une veuve ; c'était une Annia Faustina, petite-fille de Marc-Aurèle, dont la beauté avait séduit le prince et qui, sous peine de mort, fut contrainte, même avant la fin de son deuil, à cette triste union : chez les chrétiens seuls il y avait des martyrs de l'honnêteté publique. — Mais le supplice d'Annia Faustina ne fut pas long. Avant un an écoulé, elle était remplacée par une autre dont l'histoire n'a pas conservé le nom, celle-ci par une autre, et cette dernière par Aquilia Severa reprise au temple et ramenée au palais : décidément, la femme la plus parfaite était pour lui celle qui avait commencé par être vestale. Voilà donc cinq femmes et six mariages pendant les trois ans qu'Élagabale habita Rome[19]. Ce goût de mariage s'étendait même à ses dieux. Ce qui suit semble n'être que folie, mais il faut se rappeler que de telles folies étaient toujours un prétexte de fêtes, de débauches, d'exactions. Ce dieu qu'il avait ramené de Syrie, il voulut le marier. Il lui donna d'abord sans doute pour femme cette Pallas en or qu'il avait enlevée elle aussi au sanctuaire de Vesta. Puis le dieu trouva que cette épouse en casque et en cuirasse était trop belliqueuse pour sa mollesse assyrienne, et il demanda en mariage la vierge céleste de Carthage, la Vénus Uranie des Grecs, l'Astarté des Phéniciens, cette grande déesse de l'Orient transportée en Afrique par Didon. C'était donc l'Asie et l'Afrique, l'Orient et l'Occident, le soleil (puisque le dieu Élagabale était le soleil) et la lune (car Astarté était la lune) qui allaient s'unir dans Rome. La fiancée fut mandée, on l'arracha aux larmes des Africains, elle et tout l'or de son temple enlevé à titre de dot[20]. Toute l'Italie se mit donc en fête ; l'Italie et même le monde, car le monde fut censé se réjouir, et des dons furent exigés de toutes les nations de l'Empire pour le dieu fiancé, comme elles en fournissaient pour chacune des fiançailles de l'Empereur. Un temple fût bâti hors de Rome pour être la villa de ce ménage divin qui avait sa demeure de ville au mont Palatin. Chaque année, à un jour marqué, le dieu partait pour son temple de la campagne. Ce dieu, il faut se le rappeler, était tout simplement une pierre noire de forme conique. On le plaçait sur un char orné d'or et de pierreries, attelé de six chevaux d'une taille majestueuse et d'une blancheur éblouissante, lui-même tenait les rênes — c'est-à-dire sans doute qu'elles étaient passées autour du cône sacré — ; car nul mortel ne devait monter sur le char du dieu. L'Empereur, placé devant les chevaux, les tenait par la bride, marchant à reculons et ne cessant de regarder son dieu ; des soldats l'entouraient, veillant sur les chevaux et sur lui ; la voie qu'il parcourait était semée de sable d'or, et le peuple courait le long du cortège, agitant des torches, jetant des fleurs ; suivait une procession de tous les dieux, de tous les talismans sacrés, de toutes les magnificences du palais impérial accompagnant le grand dieu. Après la cérémonie sacrée, Élagabale, du haut d'une tour construite tout exprès, jetait au peuple des coupes d'argent et d'or, des étoffes précieuses, même des animaux, comestibles ou non, apprivoisés ou sauvages — mais jamais des cochons, par respect pour la règle mosaïque passée dans le rite syrien. On se disputait ces largesses, bien des hommes tombaient écrasés par la foule ou blessés par la pique des soldats ; mais on avait eu ce curieux spectacle d'un César-Auguste vêtu en femme, fardé, frisé, chantant, dansant, menant des chevaux, et l'on s'amusait du drame tout en méprisant l'acteur. Mais le drame, même pour l'acteur, avait son côté sinistre. Il savait bien que le dénouement serait terrible. A défaut du bon sens qui lui manquait, des prêtres ou divinateurs syriens lui avaient annoncé une mort violente. Il avait voulu du moins s'assurer une mort digne de lui, une mort fastueuse et qui coûtât un peu d'or. Il avait chez lui, pour le cas où il serait obligé de se pendre, de délicieux nœuds-coulants de laine et de soie entrelacées, nuancées de violet et d'écarlate. Il avait également préparé des glaives d'or pour se percer convenablement la poitrine. Dans de petits flacons formés d'une émeraude ou de quelque autre pierre précieuse[21], il conservait des poisons délicats pour se soustraire aux horreurs du supplice. Enfin il avait dans le palais une haute tour au pied de laquelle était un pavé de riche mosaïque, pour avoir la satisfaction de se briser la tête sur l'or et les pierres précieuses. S'étant apprêté ainsi un quadruple suicide, il aimait à se dire qu'au moins sa mort serait somptueuse et qu'il finirait plus magnifiquement que personne n'avait jamais fini. Il se trompait. Je le sais, tout ce que je raconte peut sembler un rêve ; c'est une page des mille et une nuits, avec des turpitudes de plus. Mais non, ce n'est pas un rêve ; nous ne savons pas encore, nos neveux sauront peut-être quelque jour, ce qu'est une extrême civilisation jointe à une puissance immense et à la complète abdication de toute loi morale. L'homme alors descend alitant qu'il prétend s'élever. Nous nous servons d'une expression trop adoucie quand nous disons en pareil cas que l'homme tombe au niveau de la brute ; à vrai dire, l'homme n'est jamais à l'exact niveau de ces créatures privées de raison et par conséquent innocentes ; quand il n'est pas au dessus d'elles, il est au dessous. Cependant, au milieu de ces hontes et de ces horreurs, il y avait quelque part un peu de bien ; un filet d'une eau limpide coulait à travers ce bourbier impur. Dans ce palais si affreusement souillé, où les vices de Rome s'unissaient aux superstitions de l'Orient, il y avait une mère chaste, grave, pieuse ; il y avait un jeune enfant qui grandissait dans l'amour du bien. La prostituée Sohémias avait pour sœur une femme que la dignité de ses mœurs fait appeler sainte par les historiens païens ; Élagabale avait pour cousin un jeune prince dont l'enfance était aussi pure que la sienne avait été dépravée. Mammée et son fils Bassianus ou Alexianus ne sortaient pourtant pas d'un autre monde que Sohémias et Élagabale ; Mammée avait, comme sa sœur, vécu à la cour de Septime Sévère ; elle avait, comme elle, suivi Caracalla en Orient ; comme elle, après la mort de leur tante Julia Domna, elle avait pris Émèse pour son refuge. Alexianus, comme son cousin, avait été prêtre du soleil ; pour lui comme pour son cousin, on avait parlé d'une paternité attribuée à Caracalla, et Mésa, sinon Mammée, avait exploité ce bruit pour l'un comme pour l'autre. Mais l'Esprit souffle où il veut[22], et Mammée était chrétienne. On peut au moins le croire. Cette femme d'une vertu et d'une piété éminentes, comme le dit Eusèbe, évêque de Césarée[23], avait entendu prononcer le nom d'Origène ; pendant son séjour à Antioche, après la défaite de Macrin, elle s'était fait amener avec une escorte l'illustre docteur d'Alexandrie. Il était resté quelque temps auprès d'elle, et lui avait fait comprendre par d'abondantes preuves, la grandeur de Dieu et la sublimité de la révélation divine. L'avait-il déjà trouvée, ou la laissa-t-il chrétienne ? On peut croire l'un et l'autre. Ajoutons qu'un voyage qu'il fit à Rome vers le temps qui suivit confirma encore la foi de Mammée. Orose, au Ve siècle, affirme qu'elle était chrétienne, et S. Vincent de Lérins, au même temps, en parle comme d'une femme pleine de la sagesse de Dieu et brûlante d'amour divin[24]. Ainsi, cette singulière famille des Bassiani, que le mariage de Septime Sévère avait amenée d'Orient à Rome, où les hommes avaient été si obscurs et où les femmes furent si puissantes, n'avait pas produit seulement des ambitions insatiables comme celle de Julia Domna, désordonnées comme celle de Sohémias. Elle avait produit aussi dans la personne de Mésa une ambition plus sage, plus prudente et plus digne ; elle produisait dans la personne de Mammée une ambition plus noble que toutes les autres, celle de donner au monde un sage Empereur. Il y eut donc pour Rome une lueur d'espérance le jour où Mésa obtint d'Élagabale qu'il adoptât le jeune Alexianus (221). C'était une chose étrange sans doute que cette adoption d'un enfant de treize ans par un enfant de dix-sept ans, mais moins étrange que ne l'avait été Sévère se faisant adopter par un mort. Mésa représenta à son petit-fils que, déchargé des soins politiques le jour où il pourrait les remettre à ce jeune César, il aurait plus de loisir pour ses fonctions sacerdotales ; elle aurait pu ajouter pour ses orgies. Élagabale se laissa persuader ; il amena au Sénat le jeune prince entre Mésa et Sohémias, déclara qu'il en faisait son fils, le proclama consul et le nomma César Marcus Aurelius Alexander : le tout, ajoutait-il, par l'ordre de son dieu. Il pouvait désormais ne pas s'inquiéter d'avoir des enfants, l'avenir de sa maison était assuré. Ce nom d'Alexandre, nouveau dans la liste des Césars et que nul Romain, je crois, n'avait porté, était dû peut-être au souvenir, toujours populaire et depuis peu réveillé par Caracalla, du héros macédonien. Peu auparavant, un fait étrange s'était passé dans la Mésie supérieure et dans la Thrace. Un homme avait paru qui se disait Alexandre le Grand ; il était parti des bords du Danube, suivi de quatre cents hommes armés de thryses, dansant et chantant comme ceux qui célébraient les fêtes de Bacchus, ne faisant du reste aucun mal. Nul, citoyen, soldat, magistrat, n'avait tenté d'arrêter sa marche, et, comme il l'avait annoncé, il était arrivé jusqu'à Byzance ; puis s'était embarqué pour Chalcédoine, y avait célébré de nuit quelques cérémonies religieuses, avait enterré un cheval de bois et avait disparu. C'était un démon, écrit Dion Cassius qui à cette époque habitait près de là. La puissance des noms, si grande dans l'antiquité, ou plutôt si grande toujours, était donc en faveur du nouveau César qui devenait Alexandre pour les Grecs, Marc-Aurèle pour les Romains. Des oracles circulaient déjà qui annonçaient pour successeur à Élagabale un Alexandre venu d'Émèse. On entrevoyait un avenir meilleur sous une domination plus pure. Cette mère chrétienne en secret, ce fils presqu'à demi chrétien étaient l'espérance et allaient faire le bonheur de Rome païenne. Une autre espérance, c'est que la chute d'Élagabale semblait ne pas être éloignée. Ce n'est pas que le peuple, le Sénat, les provinces, donnassent le moindre signe de révolte, de colère ou de résistance. On s'était si bien et par tant de degrés accoutumé à plier sous toutes les tyrannies qu'on pliait même sous celle-là. Les inscriptions et les monnaies rendent à Antonin Élagabale les mêmes hommages officiels qu'à ses homonymes Antonin le Pieux et Marc-Aurèle Antonin, ou à son prétendu père Marc-Antonin Caracalla ; les mêmes formules s'appliquent à tous. La religion romaine, humiliée et profanée par lui, ne lui rend pas moins ses hommages habituels. La confrérie des Frères Arvales s'écrie au Capitole : Marc-Antonin, Empereur César Auguste, que les dieux te gardent et qu'ils prennent de nos années pour ajouter au nombre des tiennes ![25] Mais il y avait une puissance plus grande que celle du peuple et du Sénat : l'armée avait fait Élagabale, elle pouvait le défaire ; elle avait fait le mal, elle pouvait le réparer. Déjà plusieurs fois, dans des provinces lointaines, les ambitions militaires excitées par l'exemple de Macrin et encore plus par celui de Septime Sévère, avaient essayé de folles tentatives. Des hommes de famille obscure, arrivés des derniers grades de l'armée au rang de sénateur, avaient voulu se faire proclamer Césars : tels un Sévère dans la troisième légion gauloise ; un Gessius Maximus, fils d'un médecin, dans la quatrième Scythique cantonnée en Syrie ; tels, à d'autres époques et dans les mêmes légions, un fils de centurion et un tisseur de laine. Pendant qu'Élagabale était encore à Nicomédie, un homme de condition obscure avait voulu faire révolter la flotte de Pergame. Tous ces prétendants avaient été menés au supplice. Mais le sentiment subsistait que l'armée pouvait tout et qu'on pouvait tout par l'armée. Il eut été cependant plus juste de dire : par l'armée de Rome. Les autres armées étaient trop isolées, trop éloignées du centre de l'Empire. L'Empereur, placé au sein de l'armée prétorienne, pouvait toujours être défendu par elle, de même que, par elle, il pouvait toujours être renversé. Or, pour cette armée-là elle-même, si accoutumée qu'elle fût à être le témoin payé de tous les scandales et l'instrument payé de toutes les tyrannies, la mesure à la fin allait être comblée. Une scène dont nous ne savons pas l'époque avait pu irriter chez elle une certaine susceptibilité d'honneur militaire. Un jour, au milieu de ses orgies, Élagabale avait imaginé de rassembler et de passer en revue tous ces misérables, hommes et femmes, qui, sous des noms divers, heureusement sans équivalents dans nos langues, étaient par profession au service de la débauche ; il les avait appelés mes compagnons d'armes (commilitones), il les avait harangués, leur disant de prier les dieux qu'ils augmentassent cette infâme milice, et il avait fini en leur accordant, comme aux soldats, trois pièces d'or par tête à titre de largesse impériale (donativum). Était-ce cette honteuse parodie de la milice qui avait blessé le soldat romain ? Nous ne le savons ; mais le soldat romain, d'ordinaire si endurci, commençait à rougir et à s'indigner. La popularité militaire que perdait Élagabale, Alexandre, son fils adoptif, la gagnait. L'amour du peuple et des soldats allait volontiers à ce prince adolescent, pur des crimes et des souillures du passé. Élagabale avait voulu le rattacher à lui par la similitude des mœurs, l'initier à ses orgies religieuses d'abord, à ses orgies voluptueuses ensuite. Mais Mésa et Mammée gardaient avec une pieuse sollicitude leur petit-fils et leur fils, l'éloignaient de ce culte du dieu Soleil devenu le culte de toutes les infamies, le préparaient à être, non un Asiatique et un être avili, mais un Romain et un homme, fortifiaient son corps par les jeux virils du gymnase, son âme par l'exemple des vertus maternelles, son intelligence par les plus doctes leçons ; elles eussent voulu donner au monde un César qui ne fût pas élevé en César. Élagabale put aisément s'apercevoir de cet éloignement et de ce contraste ; incapable de se contenir, son dépit se manifesta au dehors. Par un acte violent d'autorité, les maîtres qui instruisaient le jeune Alexandre furent éloignés de lui, quelques-uns mis à mort et entre autres le rhéteur Silvinus que le prince lui-même avait désigné pour élever son fils adoptif. La vie même du prince adolescent fut menacée. Parmi ceux qui le servaient, Élagabale espéra lui trouver des assassins : Tuez-le, leur disait-il, par l'épée, par le poison, dans le bain, comme vous voudrez ; je vous récompenserai. Avertie de ces embuches, Mammée n'en était que plus vigilante ; les leçons qui étaient enlevées à son fils, elle les lui rendait en secret ; elle écartait de lui les échansons et les cuisiniers de la maison impériale, elle voulait qu'il ne fût servi que par des mains bien connues. En même temps, sachant qu'il avait besoin de l'appui des soldats, elle lui donnait en secret de l'argent pour qu'il leur fit quelques largesses. Elle tremblait pour cette vie, cette vertu, cet avenir si menacés. Enfin Élagabale éclata. Un matin, il quitte le palais, se retire dans cette villa de l'intérieur de Rome appelée de son nom Jardins de Varius, embellie, agrandie par lui, où l'on trouve aujourd'hui encore des ruines de ses constructions[26]. Il envoie de là au Sénat une lettre où il déclare se repentir de l'adoption d'Alexandre et lui retire le titre de César ; il envoie aux soldats une lettre pareille. En même temps ses agents commencent à briser les statues d'Alexandre, comme on faisait pour les princes renversés ; des meurtriers partent pour donner la mort à Alexandre. Le Sénat écoute la lettre du prince dans un morne silence, statue ou remet à statuer, on ne nous le dit pas. Les soldats, moins patients, entendant lire l'ordre d'Élagabale et voyant insulter les images d'Alexandre, se soulèvent. Le plus grand nombre d'entre eux marchent au palais, où ils trouvent Mésa, Mammée et Alexandre, les font placer au milieu d'eux, les conduisent dans leur camp pour les mettre en sûreté. Les autres soldats marchent vers le lieu où ils savent trouver Élagabale. La pauvre Sohémias les suit à pied, tremblante pour les jours de son trop digne fils. Celui-ci, au contraire, attendait avec impatience la nouvelle de la mort de son cousin et de son fils adoptif, et, tout en attendant, il préparait une course de chars. Au bruit des soldats qui s'approchent, il cherche à se cacher ; la portière qui fermait sa chambre à coucher dérobe sa fuite à leur vue ; il arrive, ou peut-être fait-il parvenir un message jusqu'aux préfets du prétoire et ceux-ci négocient avec les soldats. Ceux-ci qui envahissaient la villa, peu nombreux, sans chef, sans drapeau, écoutent le préfet Antiochus qui leur parle de leurs serments et se décident pour cette fois à épargner Élagabale. Pendant ce temps, de semblables exhortations étaient adressées à ceux des soldats qui, dans le camp, veillaient sur Mésa, sa fille et son petit-fils ; ces exhortations obtenaient un succès à peu près pareil. Les soldats exigèrent cependant que la vie du prince changeât, que ses favoris, bouffons, eunuques, vendeurs de places et trafiquants de grâces impériales, fussent éloignés, que le cocher Hiéroclès, le cocher Gordius, un autre favori appelé Murissimus, deux autres encore fussent livrés au supplice. Ils recommandèrent Alexandre à la garde vigilante de leurs préfets et défendirent (les soldats pouvaient défendre et ordonner) que le César Alexandre vît un seul des amis de l'Auguste Élagabale. A ces conditions, ce dernier pouvait vivre et régner[27]. Il fallut alors qu'Élagabale se montrât aux soldats ;car il avait bien des promesses à leur faire et une grâce à leur demander : la grâce de cet Hiéroclès qui, simple esclave, était devenu le maître de l'Empire et le maître souvent brutal, mais d'autant plus aimé, de l'Empereur. Élagabale supplia, pleura, sacrifia tous les autres proscrits, mais quand il s'agit d'Hiéroclès, il découvrit sa poitrine en disant : Quelque chose que vous pensiez de lui, laissez lui la vie ou tuez-moi. L'armée, le véritable souverain, s'attendrit et accorda cette grâce aux larmes de l'Empereur[28]. Mais la réconciliation ne pouvait être de longue durée. Élagabale avait été trop humilié par la toute-puissance des soldats et par la popularité d'Alexandre pour qu'il se résignât. Cette nature étourdie et violente devait amener bientôt un nouvel éclat. Aux kalendes de Janvier (1er janvier 222), lui et son fils adoptif devaient revêtir le consulat. Sa mère et sa grand'mère eurent grand'peine à le décider, en le menaçant de la colère des soldats, à paraître publiquement avec Alexandre comme il était d'usage ce jour-là. Ce fut seulement vers midi qu'il en prit son parti[29], et mena solennellement au Sénat Mésa et le jeune César. Mais il fallait ensuite aller au Capitole offrir aux dieux comme consul les vœux accoutumés; il s'y refusa obstinément et les vœux furent prononcés par le préfet de Rome comme s'il n'y avait pas eu de consul. Un peu plus tard, cette froideur peu dissimulée amenait une violence ouverte. Élagabale sans doute croyait s'être assuré quelque force militaire, et de nouveau, il voulut se débarrasser de son cousin. Alexandre eut ordre de ne pas sortir ; le Sénat eut ordre de quitter Rome. Jamais ordre pareil, si je ne me trompe, n'avait été donné jusque là; mais Élagabale redoutait l'hostilité du Sénat, capable, croyait-il, de soutenir Alexandre vivant, ou après sa mort, de faire un autre César à sa place : Élagabale faisait au Sénat beaucoup d'honneur. Le Sénat exilé, comme jadis le Parlement sous nos rois, dut partir en hâte, employant toutes les litières, tous les portefaix, tous les chevaux de rencontre, tous les mulets de louage de la ville de Rome. Le consulaire Sabinus tardant à s'en aller, Élagabale donna à un centurion l'ordre de le tuer; Sabinus fut épargné uniquement parce que le centurion avait l'oreille dure. Mais la docilité du Sénat ne devait pas être imitée au camp. Alexandre, enfermé par ordre, ne paraissait plus, le bruit de sa mort se répandait. Les soldats du Prétoire s'inquiétèrent et ils se refusèrent à envoyer comme de coutume un poste garder le palais, menaçant de rester dans leur camp si on ne leur faisait pas voir Alexandre. Élagabale cède une fois encore, et dans un char brillant d'or et de pierreries, il vient avec Alexandre à ses côtés. On les mène dans un temple situé au milieu du camp, on leur fait passer la nuit, on répète mille fois le nom d'Alexandre, on ne prononce pas le nom d'Antonin. Antonin Élagabale revient au palais ulcéré de haine et de dépit[30]. Que se passa-t-il les jours suivants? Y eut-il chez Élagabale un retour de confiance ? Se hasarda-t-il, comme le dit Hérodien, à ordonner le supplice de quelques prétoriens qui, plus violemment que les autres, avaient fait entendre des acclamations en faveur d'Alexandre ? Dressa-t-il de nouvelles embûches à son cousin, comme le raconte Dion Cassius ? Les trois récits d'Hérodien, de Dion et de Lampride, sans se contredire précisément, ne s'amalgament qu'avec difficulté. Ce qui est certain, c'est qu'il y eut une dernière révolte militaire. Élagabale et Sohémias, Alexandre et Mammée vinrent au camp, les uns et les autres croyant avoir des partisans. On vit alors (chose horrible !) les deux sœurs, les deux cousins, le père et le fils adoptifs, animer les soldats l'un contre l'autre. S'il y eut un combat, il ne fut pas long. Les dieux et les soldats étaient depuis longtemps pour Alexandre. Élagabale s'enfuit, et, dans ce moment suprême, il n'eut à sa disposition ni ses lacets de soie, ni son pavé de mosaïque pour se donner la mort. Il se cacha dans le lieu le plus infime du camp[31]. Il y fut surpris et égorgé avec Sohémias. Cette mère et ce fils, si coupables tous deux, mais mourants dans les bras l'un de l'autre (car Sohémias s'était enlacée autour de son enfant et ne s'en laissait pas détacher), n'attendrirent pas le cœur et ne satisfirent même pas la haine des soldats. Il fallut qu'on coupât leurs têtes, que leurs corps fussent dépouillés. On voulut jeter celui d'Élagabale dans un égout ; comme l'orifice était trop étroit, on le traîna au croc par toute la ville et à travers toute la longueur du cirque, puis on lui attacha un poids aux pieds et on le jeta du pont Æmilius dans le Tibre pour être bien assuré qu'il resterait sans sépulture. Les complices de sa tyrannie et de ses débauches ne furent pas épargnés ; Hiéroclès, les deux préfets du Prétoire, le préfet de Rome Fulvius, l'Émésénien Eubulus qui chargé des finances avait présidé à de nombreuses confiscations, furent déchirés ou par les soldats ou par le peuple ; un seul des favoris d'Élagabale échappa parce qu'il avait été peu auparavant disgracié et exilé[32]. C'était une des tristes conditions de l'Empire romain, surtout de l'Empire romain tel que Septime Sévère l'avait fait, que même le meilleur règne fût forcément inauguré par des meurtres. La mémoire d'Élagabale resta détestée, plus peut-être encore qu'il ne le méritait, car était-ce bien lui qui avait régné ? Le Sénat ordonna que son nom fût effacé dans les inscriptions ; et du reste, pendant cette période de cent ans entre Commode et Dioclétien, il est peu de noms impériaux contre lesquels pareille sentence n'ait été rendue ou exécutée ; les marbres où il faut deviner les noms des Césars abondent dans l'épigraphie romaine. On ne l'appela plus Antonin, car on était honteux d'avoir profané un si beau nom ; le Sénat l'appela dans ses décrets Varius et Élagabale ; le peuple, lui, l'appela Sardanapale, l'impur, l'Assyrien, Tibérinus parce qu'il avait été jeté dans le Tibre, Tractius ou Trajectitius parce qu'il avait été traîné au croc, genre d'infamie auquel jusque-là les pires Empereurs avaient échappé. Puériles vengeances qui n'atteignent pas les morts et devraient bien peu satisfaire les vivants En effet, si Élagabale n'est pas le pire des Empereurs romains, son règne est du moins le pire de tous les règnes. C'est l'apogée de la tyrannie césarienne. Tibère avait eu du sens politique, Caligula une certaine audace virile, Néron une certaine élégance d'artiste, Domitien un peu de grandeur, Commode avait été du moins un homme ; Élagabale semble n'avoir été qu'un mannequin sanguinaire et souillé entre les mains les plus avilies. Les tyrans jusque-là s'étaient succédé en se dépassant, mais on était arrivé au comble ; ce superlatif du César ne pouvait pas et ne devait pas être dépassé. Faut-il récapituler maintenant quels fruits avait portés la pensée politique de Septime Sévère de fonder l'Empire sur la toute-puissance du soldat ? Une lutte abominable entre ses deux fils, le meurtre de l'un, la tyrannie de l'autre ; sous Macrin, un faible effort du prince pour briser le joug de l'omnipotence militaire et un effort qui ne fait que précipiter une chute inévitable ; après lui, la dynastie sévérienne revivant par de prétendus bâtards, les soldats élevant l'un, puis s'indignant avec raison de sa tyrannie, le renversant et élevant l'autre qu'ils devaient hélas ! renverser à son tour. Telle est l'histoire de la dynastie que Sévère avait prétendu fonder sur la souveraineté de l'épée. Faites l'épée grande et glorieuse, il le faut ; mais faites-la obéissante, et à plus forte raison ne la faites pas souveraine. FIN DU PREMIER TOME |
[1] .... Varius Avitus Bassianus, fils de S. Varius Marcellus, sénateur, et de Julia Sohémias, né en Syrie en 205 ; — proclamé Empereur le 16 mai 248, sous le nom de M. Aurelius Antoninus ; — vainqueur de Macrin le 8 juin. — Consul en 218 (à partir du 8 juin), 219, 220, 222. — Surnommé du nom de son dieu Elagabalus (d'après Lampride : Heliogabalus, d'après Dion : Έλιογαβάλος ; d'après Hérodien : Έλαιογαβάλος.) Une inscription le qualifie (sa) CERD (os dei) INVICTI SOLIS ELAGABAL (i). Henzen, 5514 (Ses surnoms populaires : Pseudoantonius, Sardanapalus (ce nom se lirait sous un buste de lui, d'après Visconti), Assyrius ; après sa mort Traclitius et Tiberinus parce qu'il fut traîné au croc et jeté dans le Tibre (Dion). — Tué le 11 mars 222.
Ses femmes : 1° (219) Julia Paula, répudiée en 221 ; 2° (221) Julia Aquilia Severa, vestale, répudiée ; 3° (221) Annie Faustina, petite-fille de Marc-Aurèle et veuve de Pomponius Bassus ; 4° Puis Severa réépousée ; et, avant elle deux autres que l'on ne nomme pas.
Sa mère : Julia Sohémias, (Soœmis, Soœmias, Semiamira) Bassiana, fille de Julia Mœsa, et de Julius Avitus consul (Dion LXXVIII, 30, LXXIX, 16.) — épouse S. Varius Marcellus d'Apamée, sénateur Dion LXXVIII, 30).— Ap- pelée Augusta an moment de l'avènement de son fils, — qualifiée Vénus Céleste, Junon reine, et Mère des dieux. — Tuée avec son fils le 11 mars 222.
Grand'mère d'Élagabale : Julia Mœsa, sœur de Julia Domna, femme de Sévère, fille d'un C. Jolius Bassianus, et mariée à Julius Avitus. — Devenue Augusta à l'époque du règne de son petit-fils. — Ses médailles avec les mots FECVNDITAS, PIETAS, PVDICITIA, MATER CASTRORVM, — meurt sous le règne d'Alexandre Sévère et est déifiée par lui.
Historiens : Dion LXXIX, Lampride in Heliogabalo, Hérodien, IV, Aurelius Victor, etc.
[2] Ne sont-ce pas des soldats revenus de cette guerre et enrichis par cette libéralité qui ont témoigné leur reconnaissance à Élagabale, à Mœsa et à Sohémias mère des Camps et du Sénat, par une inscription faite au nom des Duplarii de la troisième légion, Auguste, pieuse, victorieuse après leur retour d'une très-heureuse expédition Orientale ? Suivent les noms de deux cent quatre-vingt dix-huit soldats, avec des grades et des qualifications diverses. A Lambésa en Afrique. Renier, Inscriptions romaines de l'Algérie, 90. Les noms d'Élagabale, de Mœsa et de Sohémias ont été effacés comme dans toutes les inscriptions ; mais leurs qualifications les font reconnaître.
[3] Dion, LXXIX, 6.
[4] Lampride, in Heliogab., 3,
33.
[5]
Heliogabalus Antoninus sibi vel Jovi Syrio, vel
Soli, incertum enim id est templum fecit. Spartien, In Antonino Caracalla, ad
finem.
[6] Lampride.
[7] Lampride.
[8] Dion, LXXIX, 15.
[9] Hérodien, V.
[10] Lampride. Par suite, après la mort d'Élagabale, un décret fut rendu pour que jamais une femme ne fût admise au Sénat, avec imprécations contre celui qui l'aurait fait entrer. Id.
[11]
Lampride, 32. Les vases murrhins étaient très-rares et très-chers. c'était une
sorte de porcelaine, provenant d'une terre fine qui se trouvait en Orient.
Était-ce, comme on l'a cru, de la porcelaine chinoise dont en effet on trouve
des échantillons dans les tombeaux égyptiens ? La description qu'en fait Pline
n'autorise guère cette conjecture. Voyez Pline, Hist., XXXVII, 2, et sur
l'usage plus ou moins fréquent de ces vases précieux ; Juvénal, VI, 156 ;
Martial IX, 89. X, 80 ;
Propert., I, 14 ; IV, 8.
[12] Lampride, 32.
[13] Lampride, in Alex. Severo.
[14] Lampride, in Heliogab.
[15] Dion, 14.
[16] Ces honteuses promenades d'Élagabale nous sont crûment représentées par des camées gravées en son honneur et qui se trouvent à la bibliothèque de Paris.
[17] Lampride, in Heliog.
[18] Credo,
ut major esset ab utroque parente dolor (Lampride).
[19] V. Dion LXXIX, 5-9, et les médailles : IVLIA PAVLA — CONCORDIA AET. — VENVS GENITRIX. — FELICIT. AVG. (Julia Paula assise sur le trône ou debout et donnant la main à l'Empereur.) — Puis, devises pareilles CONCORDIA, LÆTITIA, et pareils emblèmes pour la vestale IVLIAI AQUILA SEVERA (ici Élagabale est représenté avec une chevelure, une ceinture de femme, et un collier). Une des monnaies rappelle le nom de la déesse VESTA dont Aquilia a abandonné les autels. — Enfin ANNIA FAVSTINA AVG. avec l'éternel mot CONCORDIA, les mains unies, etc.
[20] Selon Lampride. Mais, selon Dion (LXXIX, 11) Élagabale ne prit pour dot que deux lions en or qu'il fit fondre.
[21] Smaragdis, cerauneis et hyaciathinis, Lampride.
[22] Joan., III, 8.
[23] Hist. Ecclés., VI, 21.
[24] Vincent Lirin, 23.
[25] FRAT. ARVAL. IN CAPIT (olio).... SAEPE DE NOSTRIS ANNIS AVGEAT.... DII TE SERV (ent). Marini, Atti dei frati Arv., Tab. 41 (an 218).
[26] Ces jardins étaient situés dans le quartier appelé Spes Vetus (Lampride, 13), près de l'Église actuelle de Sainte-Croix de Jérusalem. Il y a, hors des murs de la ville actuelle, des restes d'un cirque, qui serait celui dont parle Lampride (14), un portique, une abside (provenant d'une basilique ?) appelés à tort temple de Vénus et de Cupidon, des restes d'un amphithéâtre et à un réservoir à eau ; le travail de brique de la plupart de ces monuments est celui du temps de Caracalla. On a trouvé de ce côté une statue de la femme d'Alexandre Sévère.
[27] Dion, LXXIX, 19. Lampride, Hérodien.
[28] Dion, LXXIX, 19 ; Lampride.
[29] Vocota avia et ad sellam producta.
[30] Hérodien.
[31] In latrina in qua confugerat occisus. Lampride.
[32] Dion, LXXIX, 20.