Le monde appartenait donc à Sévère. A l'Orient : Niger avait été vaincu ; à l'Occident : Albinus avait succombé ; au centre, le Sénat et le peuple de Rome tremblaient en attendant la venue de leur vainqueur (197). On pouvait déjà mesurer combien cette victoire était complète au changement qui apparaissait dans les allures de cet Africain, violent et prudent à la fois. Sa prudence étant rassurée, sa violence pouvait se faire jour. Après sa victoire en Orient, il avait épargné les monuments de Niger : dans la Gaule, il n'épargnait même pas les restes d'Albinus. Il avait d'abord respecté la famille de son premier ennemi : il faisait périr la famille du second ; et bien plus, la femme, les enfants, les parents même de Niger, demeurés en paix jusque-là, étaient immolés après la défaite d'Albinus, à la défiance tout à coup réveillée de leur vainqueur. Au moment de son triomphe d'Antioche, il s'était encore un peu souvenu du serment qu'il avait fait de ne mettre à mort aucun sénateur : aujourd'hui, il l'oubliait complètement ; les sénateurs périssaient comme d'autres et leur seul privilège était que leurs cendres étaient jetées au vent. En Asie, un accusé avait su, par la hardiesse et la franchise de ses réponses, obtenir une absolution inespérée : ici, au contraire, un noble Gaulois qui n'avait guère fait qu'obéir à la force en suivant le parti d'Albinus, ayant épuisé en vain tous les moyens de toucher son vainqueur, finissait par lui dire : Si le sort des armes t'eût été contraire, que demanderais-tu au vainqueur et que ferais tu ? — Je souffrirais ce que tu vas souffrir ! lui répondit l'impitoyable Sévère, et il lui faisait trancher la tête. Enfin un dernier rapprochement caractérise la politique nouvelle de Sévère. A sa première entrée dans Rome, il avait pris le surnom de Pertinax et il avait fait l'apothéose de ce prince pour se rattacher aux nobles souvenirs que ce César d'un jour avait laissés ; aujourd'hui il se faisait précéder dans Rome par la sinistre nouvelle d'une tout autre apothéose. Cette fois, c'était Commode, le tyran, l'insensé, la bête féroce qu'il déifiait. Non-seulement il se proclamait fils de Marc-Aurèle — adoption posthume et ridicule, qui lui faisait dire par un plaisant : Je te fais mon compliment : tu as trouvé un père — ; mais de plus il se proclamait, ce qui politiquement parlant était tout autre chose, frère de Commode et ce frère il le mettait au n'ombre des dieux ; il lui donnait pour pontife celui que Commode vivant avait désigné ; il instituait une fête pour le jour de la naissance de Commode[1]. Rome savait donc à quoi elle devait s'attendre. Rien n'est plus redoutable qu'un lâche qui se sait hors de danger : et Sévère, qui avait été peut-être un brave soldat, ne fut jamais qu'un lâche empereur. C'était donc là le vainqueur que Rome attendait. Il fallut quelque temps encore à Sévère pour achever ce qu'on eût appelé en style moscovite la pacification de la Gaule ; écraser les résistances que le désespoir suscitait encore, soit parmi les légionnaires d'Albinus, soit parmi les populations gauloises ; faire tout plier sous le joug uniforme de l'obéissance et de la peur ; veiller aussi à la sûreté de la Bretagne et au gouvernement de ces légions indisciplinées qui n'aient déjà tant troublé la sécurité du dieu Commode ; partager en deux cette province trop importante et en répartir le territoire entre deux préfets afin d'éviter un nouvel Albinus. Cela fait, les légions victorieuses s'ébranlèrent, et l'armée sévérienne tout entière, compagne inséparable de son Empereur, passa les Alpes avec lui. Cette seconde entrée dans Rome se fit comme la première, au milieu des signes extérieurs de la joie publique ; de la part du peuple acclamations, guirlandes, toutes les corporations couronnées de lauriers ; de la part du prince, magnificences de toutes sortes, jeux de toute espèce et sur tous les théâtres, athlètes et bouffons de tous les pays, bêtes tuées par centaines, largesses abondantes et solennelles. — Mais, dit Tertullien, si une glace transparente nous montrait ce qui se passe dans les cœurs, qu'eussions-nous vu à ce moment où un nouveau César est venu à son tour présider la grande scène du Congiaire, au moment où tant de bouches ont répété : Jupiter,
ôte de nos ans Pour
ajouter à ses années ! Les plus ardents partisans d'Albinus, ceux-là mêmes qui allaient payer de leur tête leur zèle passé, n'étaient-ils pas ceux qui mettaient au-dessus de leurs portes les rameaux de laurier les plus épais, qui allumaient au péristyle de leurs maisons les lanternes les plus brillantes, qui se partageaient le Forum pour y étaler en l'honneur des dieux les lits de parade les plus magnifiques ? S'unissaient-ils sincèrement à une commune réjouissance, ou prononçaient-ils intérieurement d'autres vœux, cachant leurs espérances secrètes sous le voile de la solennité publique, et changeant tout bas le nom du prince pour celui d'un autre prince ?[2] Nous sommes de l'avis de Tertullien, nous qui avons vu 1814, 1815, 1830, 1848 et 1852. Mais à qui pouvait mieux s'appliquer cette peinture du railleur chrétien qu'au pauvre Sénat de Rome, venu, lui aussi, au devant de Sévère, obligé de le recevoir et de l'entendre dans le lieu de ses assemblées ? Le nouvel Empereur, vrai Pertinax et vrai Sévère (verè Pertinax, verè Severus), disait-on, lui arrivait irrité, précédé par des lettres moqueuses et menaçantes, muni des papiers d'Albinus dont il avait déjà largement fait usage à Rome. C'était un Néron, mais un Néron calculateur et de sang-froid. C'était, comme on disait, un Sylla punique, froid et réfléchi comme Sylla, sauvage comme un Africain. Sa famille était si peu romaine que sa propre sœur, venue à Rome pour le voir, parlait à peine le latin. Il fit néanmoins un grand éloge de sa propre clémence ; mais il lut les lettres d'Albinus, et, prenant les sénateurs à partie, reprocha à l'un le billet amical qu'il avait écrit à Albinus, à l'autre le cadeau qu'il avait fait à ce prince, à d'autres leur amitié pour Niger. Puis il se mit à parler histoire : Pompée et César avec leur modération et leur clémence n'ont été que des sots et se sont perdus sottement. La politique sûre, c'est la politique sévère, dure, défiante de Sylla, de Marius, d'Auguste. Puis, abordant le souvenir de son dieu Commode avec le zèle d'un nouveau converti : Il n'a pu déplaire, dit-il, qu'à des infâmes. Vous avez condamné sa mémoire, et la vie de la plupart d'entre vous est plus honteuse que la sienne. Il tuait de sa main les bêtes du Cirque, et vous avez parmi vous un homme âgé, qui hier encore, à Ostie, paradait en face d'une fille de joie déguisée en panthère. Commode faisait le métier de gladiateur ; par Jupiter ! aucun de vous n'a-t-il fait ce métier ? Pourquoi donc s'est-il trouvé parmi vous des amateurs pour acheter le bouclier et le casque d'or de Commode ? Cette raillerie cruelle, jointe à l'accent africain, à la taille haute, à la tête sévère et déjà blanchie par l'âge de l'Empereur, dut causer de cruels frissons aux sénateurs qui en avaient déjà éprouvé de si rudes sous Commode et sous Julianus. Malheureusement, ifs n'en furent pas, cette fois, quittes pour la peur. La série des jugements commença, jugements prononcés sommairement par l'Empereur lui-même, sans entendre probablement aucun des accusés. Les papiers d'Albinus, manipulés avec art comme il se fait toujours en pareil cas, avaient produit soixante-quatre accusés parmi les personnages les plus importants du Sénat. Sévère voulut bien en acquitter trente-cinq, -et ceux qu'Il acquitta, il faut le dire, il les laissa libres et les traita désormais comme si rien ne fût advenu ; mais vingt-neuf furent condamnés à mort[3]. En tout, l'historien nomme quarante-deux personnages connus (nobiles), consulaires, préteurs et autres, condamnés par lui sans avoir été entendus[4]. Parmi eux six hommes du nom de Pescennius, sans doute parents de Niger, et ce Claudius Sulpitianus, beau-père du césar Pertinax, qui, à la mort de son gendre, avait mis l'enchère sur l'Empire. L'athlète Narcisse qui avait étranglé Commode fut jeté dans la fosse aux lions précédé d'un héraut qui criait : C'est lui qui a étranglé Commode[5] : on ne devait pas moins an nouveau dieu. Bien d'autres encore n'ont pas mérité l'honneur d'être nommés bien qu'ils méritassent l'honneur d'être proscrits. Tertullien avait vu ces proscriptions et les rappelle : Les temps présents nous l'enseignent, dit-il, que d'hommes et quels hommes, pour lesquels on ne devait pas attendre une telle fin si l'on eut jugé d'après leur naissance, leur dignité, leur âge, ont péri à cause d'un seul homme ; par sa main, quand ils l'ont combattu ; par la main de ses adversaires, quand ils ont combattu pour lui ! Le supplice que nous hésitons à braver pour la cause de Dieu, ajoute-t-il en parlant aux chrétiens persécutés, nous pouvons avoir à le souffrir pour la cause d'un homme[6]. Sévère affermissait ainsi son pouvoir. Il est triste de le dire et il serait peut-être plus sage de le taire : si les fous comme Néron et les poltrons comme Robespierre, qui tuent à tort et à travers au gré de leur caprice et de leur peur, ne s'assurent en général qu'une domination de courte durée ; au rebours, les scélérats intelligents comme Tibère ou comme Septime Sévère, ceux qui tuent avec discernement, qui « oppriment sagement » selon la parole du Pharaon d'Égypte, qui supputent au juste le nombre des victimes qu'il leur faut, soit pour assurer l'obéissance de leurs peuples, soit pour couvrir le déficit de leur budget, et ne passent pas trop ce nombre ; ceux-là, en général, s'assurent une domination solide et durable. Le règne de Tibère fut plus long que celui d'aucun des bons empereurs ; le règne de Sévère compte au nombre des longs règnes de l'Empire romain. Ce monde-ci n'est pas fait pour être le théâtre de la vertu triomphante et de la justice couronnée : c'est un spectacle qui nous sera donné ailleurs. Ici-bas, le règne est d'ordinaire au plus habile et au plus fort, ce qui veut dire presque toujours au moins honnête et au plus dur. Sans doute cette modération dans la tyrannie n'est pas toujours facile à observer. Tibère se laissa emporter aux excès de la cupidité et de la peur, et tua par défiance, pour un mot, pour un geste, pour l'ombre d'un soupçon. Sévère, par moments aussi, ne sut pas garder la mesure que le pur calcul aurait prescrite à sa tyrannie. On nous parle de gens condamnés sous de légers prétextes, pour une allusion, pour un quolibet, pour une plaisanterie, pour avoir parlé, pour s'être tus. Mais, en général, les cruautés de Sévère se limitèrent, non pas à sa passion, mais à son intérêt. Il n'avait ni l'avarice effrénée, ni la morosité défiante de Tibère, et il avait sa politique réfléchie, prévoyante, calculatrice. Tibère, succédant au règne modéré d'Auguste, avait constitué le despotisme impérial. Sévère, après le règne modéré des Antonins, reconstitua un despotisme nouveau. Il y a là une phase capitale dans la vie de l'Empire romain et sur laquelle nous devons nous arrêter un moment. Ce qui caractérise le despotisme renouvelé par Septime Sévère, c'est la prépondérance du soldat. Le prince était un de ces esprits puissants et habiles, auxquels manque l'élévation de la pensée et du cœur, et qui ne comprennent rien au dessus de la force. La force matérielle est pour eux l'unique puissance au monde ; la force matérielle régulièrement constituée et dirigée par une pensée supérieure, c'est-à-dire par leur propre pensée, est le seul principe du bien. Pour Sévère comme pour ces deux illustres égoïstes, Pierre le Grand et Frédéric le Grand, la grande base de l'Empire ce fut l'épée du soldat. Il aimait la force réglée et disciplinée, mais avant tout la force ; il voulait que l'armée dominante et privilégiée lui obéît, ne fût-ce que par reconnaissance. Il se persuadait que la garde de cette épée qu'il voulait rendre si brillante et si forte ne sortirait pas de sa main et de celle de ses fils. Il ne craignit même pas d'affaiblir à certains égards la discipline pour gagner l'armée et la rendre plus dévouée à sa famille. Il éleva à un chiffre inouï la solde et les rations des légionnaires[7]. Il multiplia outre mesure les largesses extraordinaires ; il permit aux soldats l'anneau d'or, signe de noblesse, ou de richesse pour mieux dire, réservé aux seuls chevaliers ; il leur permit non pas de se marier, mais de mener des femmes avec eux[8]. En même temps, multipliant et étendant les privilèges de droit civil que les autres Empereurs avaient accordés à l'armée[9], il achevait de sortir de l'ancien système romain, de faire de l'armée une nation à part, de séparer le soldat du citoyen, de subordonner la curie à la caserne, sans penser que c'était lui subordonner le palais[10]. Je me trompe : Sévère y avait pensé ; mais il avait confiance que la caserne, si puissante qu'elle fût, recevrait docilement les ordres du palais. Il croyait avoir brisé pour jamais l'arrogante indépendance des prétoriens qui, seuls armés dans Rome et dans l'Italie, avaient fait et défait tant d'empereurs. Il crut aussi se mettre en garde contre les révoltés des légions lointaines qui, indignées de la toute-puissance des prétoriens, avaient plus d'une fois passé les Alpes et étaient venues à leur tour, plus nombreuses et plus aguerries, faire et défaire des empereurs. Une nouvelle milice prétorienne fut formée par lui, quadruple[11] de l'ancienne. Ce fut une véritable armée capable de combattre au besoin ou le peuple ou les légions, de défendre comme de contenir l'Italie. Mais au lieu de la garder tout entière dans Rome, Sévère la répandit dans toute l'Italie. Mais au lieu de la recruter comme on avait fait jusque-là à peu près exclusivement dans la péninsule, Sévère la forma de soldats choisis dans toutes les légions, en d'autres termes, dans toutes les provinces ; elle fut Dalmate, Gauloise, Africaine plus qu'Italienne et que Romaine. Elle fut comme une déléguée de toute l'armée pour garder le chef de l'armée. Elle fut par excellence l'armée personnelle de l'Empereur. Son chef légal, le Préfet du Prétoire, de plus en plus occupé de fonctions civiles et judiciaires[12], demeura comme il l'était déjà, le second personnage de l'Empire, mais un personnage si éloigné d'être exclusivement militaire que nous verrons pendant bien des années cette fonction occupée par un légiste. Ce fut donc une force choisie par l'Empereur, appartenant à l'Empereur seul, appelée de loin par l'Empereur, occupant pour l'Empereur Rome et l'Italie presque à titre de conquérante. Que cette milice fût passablement disciplinée, qu'elle fût aguerrie, payée, satisfaite ; toute la politique de Sévère était là, Il le disait crûment à ses fils : Payez bien le soldat et moquez-vous de tout le reste. Sévère, en effet, commençait, ou peu s'en faut, à se moquer de tout le reste. — Du Sénat d'abord. Il avait profondément gravée dans son esprit la haine du Sénat. Cette assemblée, souvent si peu digne et si peu fière, eut cependant le privilège d'être, trois siècles durant, le point de ralliement de la vertu et de la dignité romaines. Les princes, bons ou mauvais, lui reconnurent tous ce caractère, ceux-là en l'honorant, ceux–ci en l'abaissant. Le Sénat avait grandi sous la dynastie adoptive qui avait fini avec Marc-Aurèle ; il avait grandi en puissance, peut-être même en considération, quoiqu'il n'eût certes pas grandi en vertu et en courage. Ces princes-là, assurés de la force bien plus que de la sagesse du pouvoir impérial, n'avaient pas craint de reconnaître la souveraineté du Sénat, sûrs que le Sénat n'en abuserait pas. Mais après eux, la guerre contre le Sénat, qui avait commencé jadis avec Tibère, avait recommencé avec Commode. Sévère, venant à son tour, soi-disant fils de Marc-Aurèle et frère de Commode, avait à choisir entre les exemples de son père et ceux de son frère ; mais le choix ne pouvait être douteux, et, malgré les protestations de son début, il est probable que, dès son premier jour, l'Africain, le soldat et le prince absolu se sentait peu de respect pour le Sénat romain, pacifique et conservateur. Le Sénat ne fut cependant point supprimé, les proscriptions de sénateurs ne durèrent pas toujours ; mais le Sénat toujours abaissé arriva de plus en plus à n'être qu'un souvenir. Il avait jadis la nomination des préteurs, des tribuns, et des édiles ; il n'est plus question maintenant que des magistrats nommés par le prince. Les affaires de l'Empire ne se firent plus à la curie ; l'Empereur n'y vint que pour recevoir des hommages, y promulguer et y faire acclamer ses volontés. Ce qui s'appelait jadis une délibération du Sénat s'appela dans la langue des jurisconsultes, un discours de l'Empereur, et ce discours il n'avait le plus souvent pas pris la peine de le prononcer lui-même dans le Sénat[13]. S'il tenait aussi peu de compte du Sénat, encore moins devait-il se soucier de ces autres débris des institutions républicaines, qu'Auguste avait conservés, ne fût-ce qu'à titre de transition, que ses premiers successeurs tout en les haïssant avaient laissé subsister, que la période antonine avait plus tard relevés et pris au sérieux. Sans doute, il y eut toujours des consuls ; mais le consulat, déjà réduit à un titre à peu près sans fonctions, déjà avili par la multiplicité des consuls, le fut un peu plus encore par le titre de consulaire donné par Sévère à des hommes qui n'avaient jamais été consuls[14]. Il y eut toujours des préteurs, des tribuns, des questeurs, peut-être même des édiles, quoique à partir du troisième siècle la trace en ait disparu ; mais que faisaient-ils sinon donner des jeux au peuple et occuper une place marquée au Sénat ? Il était demeuré cependant à ces magistratures d'origine républicaine quelques débris de leur autorité judiciaire ; mais l'ordre judiciaire se modifiait plus encore que l'ordre politique. Si au temps des premiers Césars il est encore question des juridictions anciennes, préteurs, centumvirs, quæstiones (cours d'assises), décuries de juges (listes des jurés) ; au troisième siècle, sans bruit et sans décret formel, mais par suite d'exceptions multipliées qui finissent par devenir la règle, de cas extraordinaires[15] qui deviennent très-ordinaires, tout cela a peu à peu disparu. Au jugement par des juges (nous dirions des jurés) s'est substitué le jugement par des préfets. A Rome, le préfet de la Ville, le préfet du Prétoire, le préfet des Vigiles, le préfet de l'Annone, chacun pour sa part, jugent et les plaideurs et les criminels, et les suspects et les chrétiens[16]. En Italie, des magistrats impériaux, sous un nom ou sous un autre, récemment introduits ou récemment multipliés, remplacent la juridiction des villes sur elles-mêmes[17] ; dans les provinces, les proconsuls, propréteurs, préfets, procurateurs, procurateurs du fisc ou même de la fortune privée de César, absorbent toute juridiction et laissent bien peu à faire aux juges locaux. Et, par dessus tous ces juges, domine le juge suprême, la suprême puissance : César, à qui on peut en appeler de toute justice, grande ou petite, voisine ou éloignée ; César, que l'on saisit par une simple lettre et qui par une lettre prononce sa sentence ; César qui passerait sa vie à juger, à lire des requêtes, à répondre, à écrire, s'il n'avait des conseillers, des assesseurs, des secrétaires, des affranchis et autres qui pensent et prononcent par lui[18] Voici le résumé de la révolution qui s'est opérée de la République de Cicéron à la monarchie de Septime Sévère : au lieu du Forum, le cabinet du prince ; au lieu d'un plébiscite voté par le peuple, une petite apostille au bas d'une requête à laquelle César a fait mettre son sceau sans l'avoir lue ; au lieu des quatre cent cinquante mille citoyens romains, un affranchi de César. Ainsi la personne de César, déjà si grande, grandissait par le pouvoir ; elle grandissait aussi par la richesse. Sévère, empereur cupide et financier intelligent, fut peut-être le plus riche de tous les empereurs. A l'importance croissante de son pouvoir répondait l'importance croissante de sa fortune. Sévère, comme Tibère, aimait l'argent, quoiqu'il craignît moins que Tibère de le dépenser. Dion, qui a peu de goût pour lui, lui rend, il est vrai, ce témoignage, honorable pour un empereur romain, qu'il ne fit jamais mourir personne uniquement pour avoir ses biens[19]. Mais enfin il y eut des proscriptions, des confiscations, des richesses acquises ; et le patrimoine du prince, bien qu'il ne proscrivît pas pour l'augmenter, s'augmenta par la proscription. Dans les premières années de son règne surtout, l'Orient complice de Niger, l'Occident d'Albinus, l'Italie suspecte de prédilection pour l'un et pour l'autre, payèrent à Sévère un large tribut de grands propriétaires mis à mort et de grands biens confisqués. Une grande partie de l'or existant dans les Gaules, l'Espagne, l'Italie, passa dans les coffres impériaux[20]. D'ailleurs, s'il ne proscrivait pas pour s'enrichir, il ne se fit faute, c'est encore Dion qui nous le dit, d'aucun autre moyen d'accroître son opulence. Cette adoption fictive par laquelle il prétendit se faire fils de Marc-Aurèle et frère de Commode, morts tous les deux, fut un acte financier autant que politique. Il se faisait membre de la famille antonine pour hériter d'elle ; il se proclamait fils de Marc-Aurèle, petit-fils d'Antonin, arrière-petit-fils de Trajan, et ainsi de suite jusqu'à Nerva[21], non pour continuer leur politique, mais pour posséder leur patrimoine. Les indiscrets fragments de poterie empreints du sceau du propriétaire foncier, tels que l'antiquité nous en fournit tant, nous montrent en Afrique les biens de Commode, par suite ceux de Faustine sa mère, par suite ceux de Matidie, petite-nièce de Trajan, qui légua ses biens à Faustine, devenus après eux la propriété de Sévère[22]. C'est ainsi que ce rhéteur africain, qui avait laissé des dettes à Rome lorsqu'il était parti pour la Pannonie, légua à ses enfants une fortune personnelle telle que nul César ne l'avait possédée avant lui[23]. Aussi à partir de Sévère, les administrateurs de cette fortune si considérable et si auguste cessèrent-ils d'être de simples citoyens. Comme les préfets qui administraient le trésor du peuple romain (ærarium), comme les procurateurs qui administraient le trésor de l'Empereur (fiscus), les procurateurs du domaine privé (procuratores rei privatæ) furent, le lendemain de la défaite d'Albinus, constitués en ordre spécial de fonctionnaires[24]. Tout ce qui tenait à la personne du prince grandissait avec lui. Et cette richesse servait entre autres choses à satisfaire d'une façon digne d'elle, cette plèbe romaine peu capable d'ébranler le pouvoir, mais capable de l'importuner par ses murmures. Sévère n'était pas avare et sombre comme Tibère. Il aimait à plaire à son peuple, et à lui jeter en pâture quelque divertissement grandiose. L'imagination de l'Africain se plaisait à ces magnificences ; il se faisait gloire d'amener par centaines sur l'amphithéâtre les lions et les tigres ses compatriotes[25]. Il jetait l'argent avec une certaine prodigalité ; les largesses officielles furent fréquentes sous son règne. Dès lors, que manquait-il au peuple de Rome, et que manquait-il au pouvoir de Sévère ? En face de cette grossière satisfaction du peuple, de cette puissance et de cette richesse du prince, de cette force et de cette satisfaction de l'armée qui pour l'heure ne faisait qu'un avec le prince, quelle liberté en fait ou en droit pouvait rester debout ? Ce qui restait jusque-là de liberté dans l'Empire romain ne ressemblait pas aux libertés modernes, écrites, stipulées (parfois bien vainement stipulées) : ce n'était pas une limitation volontaire ou involontaire du pouvoir, mais c'était de sa part ou impuissance à intervenir, ou négligence à intervenir ; c'était la vie de quelque chose en dehors de lui qu'il tolérait ou par habitude, ou par sagesse, ou par impossibilité de l'empêcher. Mais le jour où le pouvoir romain fut armé à l'intérieur et contre ses propres sujets, tandis que jusque-là il n'était armé qu'à l'extérieur et contre l'ennemi ; quand il fat bien entendu qu'en dehors de la force militaire, il n'était besoin de rien respecter ; il arriva comme dans notre Europe moderne, lorsque les armées permanentes s'y établirent. Le pouvoir ne fut pas seulement absolu en principe et maitre de tout ; il fut absolu en fait et se mêla de tout. Non-seulement en droit lui seul eut puissance de vivre, mais en fait il trouva moyen d'être seul vivant. Non-seulement en principe il n'y eut plus de droit contre le droit suprême du prince et César put tout ordonner ; mais en fait, tout se faisant par César et rien ne vivant que par lui, César ordonna tout. Qu'on ne s'étonne donc pas qu'à partir de cette époque, ce qui avait déjà commencé à décroître décroisse encore. L'autonomie de la ville de Rome était anéantie depuis les premiers temps de l'Empire[26]. Rome n'aurait pu être libre qu'avec tout l'Empire romain. — L'autonomie des cités italiques était de plus en plus livrée à des fonctionnaires impériaux plus envahissants par cela seul qu'ils étaient plus nombreux. — L'autonomie des cités provinciales ne pouvait non plus guère se défendre contre les procurateurs et les préfets. En Italie et dans les provinces, se produisaient plus marqués encore les mêmes symptômes que nous avons déjà vus se manifester à l'époque précédente : les charges municipales étaient abandonnées parce qu'elles n'avaient plus ni importance ni dignité, et, au lieu d'être honneurs, devenaient corvées. La liberté du citoyen était anéantie bien plus complètement encore. Les lois républicaines qui protégeaient sa tête contre la hache et, selon leur énergique langage, son dos contre la verge du licteur, ces lois fléchissaient depuis longtemps, sinon devant l'omnipotence du proconsul, au moins devant l'omnipotence de César. Un seul privilège était resté, non au citoyen mais à l'homme libre : il ne pouvait être mis à la torture ; le chevalet était réservé aux seuls esclaves. La torture avait pu être infligée sans doute, mais par Néron, par Caligula, par Tibère, comme acte de proscription politique, dans ces moments, suprêmes quoique fréquents, où la personne divine de l'Empereur était déclarée en péril ; mais dans le droit commun, dans le cours ordinaire des procédures, la torture avait été interdite. Sévère n'abolit peut-être pas formellement ce privilège ; mais, sous lui, nous verrons des femmes et des femmes nobles torturées, non pas même comme accusées, mais comme témoins ; torturées, non par ordre de l'Empereur, mais par ordre d'un préfet du prétoire ; torturées, non pour faire le procès à un criminel de lèse-majesté, mais pour mettre en accusation l'impératrice elle-même. Et, à partir du temps de Sévère, les jurisconsultes parlent de la torture des hommes libres, comme d'une maxime admise et pratiquée. La dernière liberté humaine avait péri, et au nom de César, le tortureur avait droit sur tous, Romains ou provinciaux, sénateurs ou plébéiens, libres ou esclaves[27]. On peut donc considérer l'époque de Sévère comme celle d'un progrès nouveau de la politique romaine vers le despotisme. Le citoyen romain, l'homme libre a disparu ; le César a grandi. On est entré davantage dans une voie d'absolutisme militaire comme celui des temps modernes où l'homme n'est libre, ni parce qu'on le respecte, ni parce qu'on l'oublie, où le prince par son droit peut tout et par son armée fait tout. Le prince et l'armée, voilà tout ce qui vit et tout ce qui a le droit de vivre. Le despotisme tibérien, fondé sur les proscriptions et la toute-puissance des délateurs, avait gouverné le premier siècle de l'Empire. Après l'interruption qui signale l'époque antonine, le despotisme renouvelé par Sévère et qui gouverna le troisième siècle de l'Empire, fut fondé. sur la force militaire et la prééminence absolue du soldat. Mais Tibère, peu soucieux de l'avenir et de sa propre postérité, ne s'inquiétait guère de ce que pourraient amener après lui des Césars insensés appuyés par des délateurs tout-puissants ; Sévère, plus préoccupé de la monarchie qu'il prétendait fonder au profit de sa famille, aurait dû s'inquiéter davantage de ce qu'amènerait, dans la main du prince et même contre le prince, cette épée du soldat qu'il avait faite toute-puissante. Mais ne touchons pas d'avance à cette histoire de la suprématie de l'armée dans l'Empire romain ; elle a rempli tout un siècle et remplira tout le reste de notre livre. Elle a été fondée par Sévère ; nous verrons plus tard ce qu'elle deviendra après lui. Avec ce gouvernement tout militaire, avec le génie militaire de l'Empereur et la conscience qu'il avait d'être grand surtout à la guerre, et par la guerre, il était impossible que Rome demeurât longtemps en paix. Sévère avait besoin d'exploits guerriers pour grandir son armée aux yeux du monde, et pour se grandir lui-même aux yeux de son armée. Il chercha la guerre en Orient. Les motifs n'en étaient peut-être pas bien sérieux. A la suite de la défaite de Niger, il avait déjà guerroyé assez longtemps sur l'Euphrate, sur le Tigre, et même au delà du Tigre ; il en avait rapporté les titres d'Adiabénique et d'Arabique ; il en avait même assez combattu contre les Parthes pour pouvoir lui faire décerner, s'il eût voulu, le titre de Parthique. Il n'avait pas voulu le prendre pour ne pas offenser prématurément la race des Arsacides, peut-être aussi pour se réserver le droit de recommencer la guerre, Cependant le petit émir d'Hatra, du fond de son désert, avait énergiquement secouru Niger, et Sévère ne l'en avait pas encore puni. L'honneur de la souveraineté, cet honneur que l'on fait au besoin si susceptible, exigeait donc que les armes romaines reparussent en Orient. Depuis César et Trajan, l'Orient était demeuré le rêve des conquérants romains. Albinus avait été vaincu au mois de février ; avant la fin de l'année, Sévère, quoiqu'il eût eu à pourvoir à bien des nécessités dans Rome, Sévère était en Asie. Julia Domna et ses fils l'y accompagnaient. Il s'agissait, en effet, non d'une simple campagne, mais d'une expédition et d'un séjour de plusieurs années. Sévère arrivant trouva la guerre commencée. Provoqué ou non, le roi des Parthes, Vologèse, avait assiégé la ville nouvellement romaine de Nisibe. Elle avait été secourue et sauvée par ce Lætus dont nous avons vu la conduite équivoque dans les plaines de Trévoux. A l'approche de Sévère, Vologèse se retira, et l'un sur les bords du Tigre, l'autre en Syrie, se préparèrent aux luttes de l'année suivante. L'année suivante (198) cependant, Sévère ne marcha pas immédiatement contre les Parthes. Il avait à se fortifier par la soumission et la défaite de quelques-unes de ces royautés intermédiaires qui flottaient entre Rome et Ctésiphon. Il recueillit en passant par l'Osrhoène les hommages d'un Abgare portant le même nom que ses aïeux et comme eux soumis habituellement à la fortune romaine[28]. Le roi d'Arménie Vologèse, fils de Sanotruce, dont la neutralité au temps de la lutte contre Niger ne paraissait pas à Sévère une garantie suffisante, dut s'humilier, offrir des présents et des otages, et fut récompensé par le don de quelques provinces. L'Adiabène ensuite s'ouvrit à Sévère ; et alors, maître de l'Euphrate et du Tigre, il put construire des navires, embarquer ses soldats sur les deux fleuves, menacer en même temps Hatra sur la rive droite du Tigre, Ctésiphon sur la rive gauche. Mais le sort de ces deux cités fut bien différent. Ctésiphon était la tète d'un vaste empire qui touchait aux frontières de la Chine ; elle avait été bâtie à côté de la grecque Séleucie dans ces plaines où l'Euphrate et le Tigre coulent parallèlement l'un à l'autre et qui semblent avoir été destinées, depuis le temps de Nemrod jusqu'à celui des Califes, à contenir la ville reine de l'Asie occidentale. Vologèse, après le siège de Nisibe, s'était retiré là avec son armée ; et cette armée grossie, depuis la défaite de Niger, de plusieurs milliers de transfuges romains, possédait la tactique, les machines de guerre, les armes de la légion romaine. Ce n'étaient plus seulement ces cavaliers parthes aux vêtements flottants, caracolant dans le désert autour des légions et leur jetant eh fuyant des flèches qu'elles ne pouvaient leur renvoyer. C'était aussi une infanterie solide, armée du casque et de la cuirasse, maniant également l'épée et le javelot, pouvant opposer une muraille de fer au choc des cohortes romaines[29]. Cependant Ctésiphon fut promptement vaincue. Sévère, comme tous les grands hommes de guerre, mettait avant tout l'art de faire vivre ses troupes et l'art de les faire marcher. Les Romains arrivèrent dans les plaines de la Babylonie ; les uns, grâce à la flottille construite sur l'Euphrate, d'autres peut-être par le Tigre, d'autres par terre et en suivant la rive de ces deux fleuves. De l'Euphrate au Tigre, en déblayant le canal royal qu'Alexandre et Trajan avaient rouvert chacun à leur tour, Sévère s'assurait une communication prompte et facile. Les Parthes, qui ne s'attendaient pas à une marche si rapide, furent épouvantés de la célérité de leur ennemi. La chaldéenne Babylone, la grecque Séleucie furent livrées sans résistance ; et bientôt toute l'énergie de la défense se concentra autour de Ctésiphon et du roi des Parthes qui s'y était réfugié. Il y eut là en effet pour le soldat romain de rudes épreuves à subir. Ces pays aujourd'hui déserts et qui, dès cette époque, étaient au déclin de leur opulence, avaient été promptement épuisés par Sévère et par ses soldats impitoyables au pillage. Il fallut que les légions campées sous Ctésiphon vécussent d'herbes et de racines ; l'épidémie suivit la disette, et l'armée romaine put craindre de rester ensevelie dans les sables qui avaient été le tombeau de Crassus. Mais la dure et indomptable énergie de Sévère vint à bout de tous les obstacles. Ctésiphon fut prise ; d'immenses magasins de vivres tombèrent aux mains du vainqueur ; des milliers d'hommes furent massacrés ; cent mille captifs, femmes et enfants, survécurent seuls, et le roi des rois eut grand'peine à s'enfuir n'ayant avec lui que quelques cavaliers. Ce fut un grand triomphe dans le camp. Les soldats imaginèrent de le célébrer à leur profit en proclamant Auguste le jeune Antonin, enfant de dix ans, qui fut depuis connu sous le surnom de Caracalla. Sévère, s'il faut en croire Spartien, ne vit qu'avec un certain déplaisir cette initiative des soldats, d'autant plus que, souffrant alors de la goutte, il entendait dire dans le camp que son infirmité ralentissait l'activité de l'armée. Il se fit donc porter sur son tribunal ; il appela les chefs de l'armée et Antonin lui-même ; il leur parla sévèrement et prononça une sentence capitale contre ceux qui avaient fait son fils Auguste sans sa permission. Puis, comme on se prosternait et qu'on le suppliait : Comprenez maintenant, ajouta-t-il, en portant la main à son front, que c'est la tête qui commande et non les pieds (4 avril). Bassianus Antonin n'en demeura pas moins Auguste, empereur désigné (ainsi que s'expriment les monnaies), revêtu de la puissance tribunitienne et associé à l'empire autant qu'un enfant pouvait l'être. Geta, son frère, âgé de neuf ans, fut nommé César. Après avoir pris Ctésiphon, Sévère, comme Trajan, put croire que l'empire des Parthes était détruit. Mais l'empire parthique, vaste camp féodal qui dominait depuis les rives de l'Euphrate jusqu'aux montagnes du Thibet, n'était pas de ces empires qui sont ruinés par la ruine de leur capitale. L'Indus et les bords de la mer Caspienne continuèrent probablement de rendre hommage au roi des rois, sans même savoir que les aigles de Rome, tenues par l'africain Sévère, se promenaient au milieu des décombres de la ville semi-hellénique de Ctésiphon. D'ailleurs, si Sévère eut un instant d'illusion, cette illusion ne dut pas être longue. La disette ne lui permettait pas de séjourner dans ces pays dévastés, et l'ignorance des lieux ne lui permettait pas davantage de s'enfoncer dans les vallées de la Perse ou de la Susiane. Il fallut donc revenir sur ses pas et abandonner Ctésiphon à un ennemi qui avait disparu. Les Romains n'eurent même pas le choix de leur route pour revenir. Les rives de l'Euphrate étaient épuisées par leur premier passage ; il fallut s'en retourner en remontant celles du Tigre, les uns par terre et les autres sur leurs navires remorqués comme ils purent. Mais, en remontant la rive droite du Tigre, on passait non loin de Hatra, et le cœur de Sévère ne pouvait manquer de bondir au voisinage de cette ville qui avait jadis brisé la fortune de Trajan, qui avait tout dernièrement soutenu la cause de Niger, et qui, malgré tout, demeurait indépendante et impunie. Quelle était au juste l'importance de Barseme, melek ou émir de Hatra ? Nous ne le savons. Ce que nous savons, c'est que Hatra était une puissante cité maîtresse, d'une des grandes voies de caravane entre la Syrie et la Perse, riche par le commerce qui passait dans ses murs, riche de tous les dons que lui apportaient les adorateurs du Soleil, dominatrice d'une contrée qui, un siècle et demi plus tard, était nue comme le désert, mais qui, à cette époque, devait être encore fertile. Quoiqu'il en soit, puisque Trajan s'y était brisé, l'honneur romain voulait qu'on l'attaquât, dut-on s'y briser une seconde fois (199). En effet, l'énergie de Sévère rencontrait là en face d'elle l'esprit d'indépendance des tribus arabes. Contre ces murailles, debout encore aujourd'hui, après seize siècles, les machines de guerre échouèrent ; les légions, victorieuses de Ctésiphon, succombèrent sous la pluie de flèches que les habiles archers arabes leur envoyaient du haut de leurs remparts ; on leur jetait jusqu'à des vases de terre pleins de reptiles et d'insectes venimeux qui leur piquaient cruellement les mains et le visage. La lassitude se mit parmi ces soldats que tout l'or gagné à Ctésiphon ne dédommageait pas de dix-huit mois de souffrances dans le désert. Sévère crut découvrir autour de lui une conjuration du découragement et de l'ennui ; un tribun lui fut dénoncé pour avoir récité avec affectation ces vers de Virgile : Pour
qu'en royal hymen soit le lot de Turnus, Mourons,
puisqu'il le faut, obscure multitude, Aux champs du Latium, sans pleurs et sans tombeau. . . . . . Il le fit mourir ; et, comme il avait dans son camp ce Lætus contre lequel il gardait sa vieille rancune des plaines de Trévoux, ce Lætus aimé des soldats et dont les soldats disaient : S'il ne nous commande plus, nous ne combattrons plus, Sévère ne manqua pas de compter Lætus parmi les complices de la conjuration ; il le fit assassiner, prétendant ensuite, comme il lui arrivait souvent, que, sans son ordre et malgré lui, Lætus avait été massacré par ses soldats. Cette triste satisfaction du ressentiment et de la défiance fut la seule que Sévère trouvera sous les murs de Hatra. Après avoir perdu des milliers d'hommes à ce siège, après avoir vu brûler presque toutes ses machines de guerre, il fallut se retirer. L'obscure trafiquante du désert avait résisté cette fois encore et résisté mieux que la royale Ctésiphon. Mais l'amertume et le dépit étaient si profonds au cœur de Sévère que, à peine rentré sur le territoire romain, il se prépara à recommencer l'attaque (contre cette ville obstinément indépendante. Quand il eut recruté ses légions, renouvelé ses machines, appelé à lui l'ingénieur Priscus qui avait si habilement défendu Byzpce contre lui, il traversa de nouveau les déserts de Mésopotamie, descendit l'Euphrate ou le Tigre, et vint devant Hatra. Il n'y fut pas plus heureux cette fois. Ses machines furent encore brûlées, à l'exception de celles que Priscus avait construites. Dans la plaine, des nuées d'Arabes épiaient les soldats allant aux vivres ; les archers des assiégés et leurs engins qui lançaient un' double javelot à des distances immenses renversaient les sentinelles devant la tente même de Sévère ; et quand, à force de travaux, une brèche fut ouverte , des machines qui lançaient du naphte accueillirent les premiers qui voulurent l'escalader, et ils moururent brûlés. On se crut cependant un instant près de triompher. Une première enceinte avait été détruite ; les soldats, animés par le succès, voulaient attaquer immédiatement la seconde. Mais Sévère fit sonner la retraite ; il supposait Hatra pleine de richesses : le temple du Soleil avait été merveilleusement enrichi par ses adorateurs. Le prince calcula dans son avarice qu'une capitulation mettrait ces richesses entre ses mains tandis qu'un assaut suivi de pillage les mettrait aux mains des soldats. La nuit donc se passa dans le calme. Mais nulle députation ne vint apporter la soumission de la ville assiégée ; elle avait au contraire, pendant la nuit, réparé ses murailles, et les soldats romains, mécontents et découragés, ne voulurent plus monter à l'assaut. Sévère ne put lancer que des cohortes syriennes qui échouèrent misérablement. Ainsi, comme s'exprime l'historien, Dieu délivra cette ville, le premier jour au moyen de Sévère qui arrêta les soldats, le lendemain au moyen des soldats qui refusèrent d'obéir à Sévère. Hatra cependant eût été au dernier moment facile à prendre. — Donne-moi seulement cinq cent cinquante soldats européens, disait à Sévère un de ses généraux, je te rends maître de la ville. — Cinq cent cinquante soldats, dit le César désespéré de l'indiscipline de ses troupes, où les trouverai-je ? Pour la troisième fois donc depuis un siècle, la ville arabe vit les aigles romaines, après vingt jours d'inutiles efforts, s'éloigner d'elle humiliées[30]. Une victoire, probablement facile, fut vers ce temps-là une faible compensation à cet échec. Il y eut, à ce qu'il parait, une révolte des Juifs. Faut-il croire avec Abulpharage à une guerre et à une bataille sanglante entre eux et les Samaritains ? Faut-il admettre qu'après avoir souffert sous le règne de Niger pour n'avoir pas voulu s'armer contre Sévère, ils aient encore souffert sous ce dernier et se soient révoltés contre Sévère ? Quoiqu'il en soit il y eut révolte, ou du moins combat, ou du moins triomphe. Le jeune Antonin (Bassianus), qui avait suivi cette expédition contre les Juifs pendant que son père était devant Matra, y gagna pour le jour de sa rentrée dans Rome les honneurs du char triomphal[31]. Ce maigre succès consola-t-il Sévère ? Et, malgré sa victoire d'un jour sur Ctésiphon, put-il encore s'imaginer que sa milice, si privilégiée, si orgueilleusement séparée du peuple et si forte contre la liberté du peuple, valait contre les ennemis du dehors les milices citoyennes de l'ancienne république ? Mais, succès ou revers, tout cela se passait loin de Rome ; et, à cette heure, Rome, peu au courant des événements, n'avait pas assez de chants de triomphe pour célébrer la gloire du vainqueur de Ctésiphon. Des lettres de Sévère étaient arrivées au Sénat, racontant on plutôt célébrant ses exploits. Des peintures y avaient été jointes, tracées sans doute avec le pinceau naïf des artistes de l'Orient et représentant, à titre d'hommage de l'Asie envers Rome, les divers événements de la guerre. Le Sénat n'avait pas manqué de conférer à Sévère le titre de Parthique que deux ans auparavant il n'avait pas cru devoir prendre. Le Sénat y avait ajouté l'épithète Maximus comme indemnité pour le retard. Le Sénat lui décernait enfin le triomphe que Sévère cependant refusa toujours pour lui-même, mais qu'il finit par accepter pour son fils. Un peu plus tard, à l'époque de son retour à Rome, comme il n'était plus maître de Ctésiphon et qu'il avait échoué devant Matra, il décida que les Juifs seraient le prétexte de ce triomphe[32]. En même temps et pendant les loisirs que lui laissait la guerre, Sévère avait pu, aidé par les deux préfets du prétoire, Plautianus et Juvénalis, poursuivre dans l'Asie romaine les restes du parti de Niger, et comme le dit énergiquement Tertullien, grappiller après la vendange[33]. Que ce fut défiance ou avarice, Sévère sut trouver des ennemis jusque parmi ses amis ; quelques-uns de ceux qui passaient pour ses plus intimes furent mis à mort, comme coupables d'attentat contre sa personne ; d'autres pour avoir consulté des devins sur la durée de sa vie, ce qui était un grand crime, mais un crime très-fréquent alors. Sévère ne jugeait pas, mais faisait assassiner et désavouait ensuite les meurtriers. Sa dynastie s'affermissait donc. Le Sénat (juin 198) avait reconnu les titres d'Auguste et de César que les soldats avaient conférés à ses fils — du jour de cette association date le triple règne dont parle Tertullien. Sévère, ayant auprès de lui ses deux fils ainsi désignés comme futurs empereurs, Sévère était consul pour la seconde fois, Imperator pour la onzième fois ; que lui manquait-il, si ce n'est d'avoir pris Hatra, et de n'avoir point la goutte qui, lui. interdisant de se tenir debout sur son char, le força toujours à refuser le triomphe ? Non, il lui manquait autre chose. Il lui manquait ce dont les âmes humaines en ce siècle-là ne se passaient point et dont elles ne se passent pas même en notre siècle : il lui manquait un Dieu. On n'échappe pas à son siècle, et surtout on n'échappe pas aux conditions éternelles de l'humanité. Sévère n'était ni un esprit faible, ni une volonté débile, ni une imagination capricieuse. Sans être ni un enfant, ni un poète, Sévère ressentait cette attraction superstitieuse de l'Orient que tout son siècle avait ressentie. En effet, l'Orient, l'Égypte en particulier, avait pour les Occidentaux un attrait contre lequel Auguste et Tibère eux-mêmes avaient en vain cherché à défendre leur empire. Germanicus et Agrippine avaient adoré les dieux Égyptiens[34]. Caligula avait rêvé toute sa vie un voyage d'Alexandrie. La déesse Syrienne, selon Suétone[35], avait eu seule les adorations de Néron, et la royauté de l'Orient avait été son espérance quand il avait vu la royauté de Rome lui manquer. Vespasien, à peine proclamé César, était allé à Alexandrie faire, pour ainsi dire, bénir son pouvoir naissant par le dieu gréco-égyptien Sérapis[36]. Hadrien s'était abîmé dans la superstition des bords du Nil au point d'en devenir presque fou. Marc-Aurèle avait ressenti cette pente, et au moment de l'invasion des Marcomans avait adressé des prières à tous les dieux étrangers[37]. A plus forte raison, Commode avait-il pratiqué les rites orientaux, et une mosaïque le représentait avec Niger qui devait, lui aussi, être un moment empereur, la tête rase, portant les emblèmes sacrés d'Anubis comme Niger portait ceux d'Isis[38]. Toute superstition se retrouvait à Rome, dit Tacite : on pouvait même dire, se retrouvait au mont Palatin. Quant à Sévère, il était sans doute plus sérieux que Commode, mais il était moins philosophe et moins romain que Marc-Aurèle ; à sa sinistre humeur il fallait des oracles et des dieux, tandis qu'à celle de Tibère les astrologues avaient suffi. Et des dieux, il n'y en avait plus qu'en Orient : les dieux de Rome n'avaient jamais eu qu'une valeur toute politique, devenue sous l'Empire purement officielle ; les dieux de la Grèce, trop ressassés par la poésie et par les arts, étaient passés à l'état purement littéraire ; les dieux de l'Orient étaient une mine non encore complètement explorée[39]. Il faut même dire, pour être juste, que les cultes orientaux devaient ce triomphe sur les cultes Gréco-romains à quelques-uns des sentiments élevés de l'âme humaine, venus de la Chaldée ou de la Perse, des devins de l'Orient ou des prêtres de Zoroastre, plus voisins en un mot de la tradition primitive du genre humain. Ni l'idée de la chute, ni celle d'une rédemption possible, ni celle du retour de l'âme vers Dieu par la prière, par le jeûne, par la victoire sur les sens, ne leur étaient étrangères, si l'on comprend que les peuples de l'Occident, las et dégoutés de cette religion purement mythique des Hellènes, sans dogmes, sans enseignement moral, toute poétique, mais toute sensuelle, passassent assez volontiers par-dessus la Grèce et tendissent la main à l'Orient. Cette tendance était ancienne et nous l'avons déjà signalée. A mesure que les âmes les plus pures et les esprits les plus éclairés, soupçonnant auprès d'eux la vérité complète, dans le Judaïsme d'abord, puis dans le Christianisme, allaient avant le temps du Christ, à la synagogue, après le temps du Christ, à l'église — car il est à remarquer que le prosélytisme juif cessa dès l'époque où le prosélytisme chrétien apparut —, d'autres âmes, tourmentées du même besoin de lumière pour l'esprit, de réhabilitation par le cœur, mais qui ne savaient pas s'élever aussi haut, allaient les demander, non plus à Éleusis ou à Delphes, sanctuaires déchus de l'Hellénisme dont Plutarque déplore le silence, et dont Clément d'Alexandrie nous révèle les secrets ; mais aux sanctuaires de l'Orient, aux prêtres de Jupiter Sabazius, aux Galles et aux Archigalles de la bonne déesse, aux hiérophantes d'Isis et d'Osiris, et plus encore aux mages, comme on les appelait, ministres du dieu persan Mithra. Ce dernier culte, surtout, au temps de Sévère, prenait une importance de plus en plus grande. Il avait été apporté à Rome par les soldats de Pompée, vainqueur des pirates de Cilicie ; il était demeuré longtemps dans l'ombre. Mais il grandissait par cela même que le Christianisme grandissait auprès de lui. Il devait être pendant plus de dix siècles comme une antithèse et en même temps une contrefaçon du Christianisme. Il offrait aux âmes honnêtes un souvenir quelconque de la création et de la chute originelle, une sorte de rédemption, une renaissance de l'âme, un effacement des souillures, une espérance pour l'autre vie[40]. Née pour le ciel, habitante du ciel, l'âme humaine s'était laissé séduire par les grossières tentations de la terre ; elle s'était laissée tomber dans les voies de la génération. Il s'agissait pour elle de vaincre à son tour l'ennemi par lequel elle avait été vaincue, de donner la mort au taureau, emblème de la sensualité humaine, d'anéantir le corps dont la vie est la mort de l'âme, comme la vie de l'âme est la mort du corps[41]. Ce culte offrait aussi aux imaginations exaltées l'attrait de ce qui est étrange et mystérieux, des cérémonies accomplies dans une grotte ténébreuse, des épreuves multipliées (certains auteurs en comptent jusqu'à quatre-vingts) par l'eau, par le feu, par le jeûne, par la flagellation, et, après chaque épreuve, un degré d'initiation nouveau, un titre nouveau[42], un enseignement spécial, des lumières et des révélations nouvelles. Il satisfaisait dans une certaine mesure et l'inquiétude des imaginations païennes et les instincts plus nobles que le Christianisme avait réveillés dans le cœur de l'homme. Il ne faisait pas la guerre aux dieux Sabins ou Étrusques de Rome, ni aux dieux homériques de la Grèce ; mais il les reléguait peu à peu ou dans la vulgarité de la vie de famille, ou dans le convenu de la vie officielle. C'étaient là les dieux de la cité, c'étaient parfois les dieux familiers de la chaumière ou de la maison, de la chambre à coucher ou même de la cuisine ; ce n'étaient pas les dieux du cœur de l'homme. Il ne faisait pas la guerre non plus aux autres cultes mystérieux et étrangers qui avaient pris plus ou moins possession des âmes ; il s'unissait à eux ; le polythéisme est fort tolérant à cet égard ; un dieu nouveau ne faisait pas obstacle à un autre dieu ; une initiation n'excluait pas une autre initiation, et les inscriptions nous montrent fréquemment, trois, quatre, cinq sacerdoces, initiations ou adorations mystérieuses accumulés sur la même tête[43]. Le culte de la Mère des dieux entre autres semble avoir fini par se fondre avec celui de Mithra, il lui a donné ses tauroboles et ses crioboles, cérémonies étranges, dans lesquelles le patient, c'est-à-dire l'initié ou le prêtre, couché au fond d'une fosse que surmontait un couvercle percé à jour, recevait par ces ouvertures le sang de la victime (taureau ou bélier) immolée au-dessus de sa tête, en inondait ses vêtements, ses mains, son visage, et sortait de là d'autant plus vénérable qu'il était plus souillé. Et par ce qu'il avait d'analogies avec le Christianisme, et par ce qu'il avait de sympathique aux instincts païens, le culte de Mithra devait être, dans les siècles suivants, le plus puissant boulevard du polythéisme contre la vérité chrétienne ; et la destruction de ces autels, sous le règne des empereurs chrétiens, fut pour la vérité évangélique comme un dernier acte de prise de possession du monde romain[44]. Outre cette tendance générale de son époque sur laquelle j'ai dû m'arrêter un instant parce que c'est le trait dominant des derniers siècles païens, un lien personnel rapprochait Sévère de l'Orient. Sa première femme, Marcia, avait peu vécu, et après elle, il avait épousé la syrienne Julia Domna. Dans cette alliance, tout avait été superstition et présage : Julia était d'une famille, sinon de prêtres, au moins de prêtresses ; Sévère l'avait épousée, parce que son horoscope prédisait qu'elle serait reine. Faustine, femme de Marc-Aurèle, qui avait favorisé cette union, avait voulu que le lit nuptial fût dressé dans un temple de Vénus attenant à la demeure des Césars, et là Sévère avait rêvé que, de sa main, comme d'une fontaine, jaillissaient des eaux abondantes[45] ; c'était, à ce qu'il paraît, un signe qui lui présageait l'Empire. Julia, belle, ambitieuse, passionnée, appela autour d'elle sa famille syrienne, et entre autres des femmes pleines comme elle des passions et des superstitions de l'Orient. Ces femmes, pendant vingt ans, devaient gouverner le monde romain tantôt pour son bien, tantôt pour son malheur. Aussi voyons-nous Sévère, avant et après la guerre contre les Parthes, demeurer cinq ans hors de Rome. C'est à Antioche que la toge virile fut donnée (201) à Bassianus son fils âgé de quatorze ans ; c'est là que le père et le fils (1er janvier 202) commencèrent leur consulat. Sévère d'ailleurs avait partout des vengeances à exercer, à Rome contre les partisans d'Albinus, en Orient contre les partisans de Niger. Il se chargeait de celles de l'Orient ; il aimait mieux que celles de Rome s'accomplissent en son absence et pussent être imputées à son préfet du prétoire Plantianus. C'est alors que l'appelèrent l'Égypte et ses sanctuaires. Il traversa l'Arabie et la Palestine tout émue encore de l'insurrection judaïque à peine vaincue. Là pourtant il grâcia quelques partisans de Niger. Il honora le tombeau de Pompée où les restes de Pompée n'étaient plus. Il honora encore plus Alexandrie, et, par une concession rare chez lui, il voulut que cette ville grecque eût un Sénat : jusque-là, comme toute l'Égypte, elle n'avait eu d'autres magistrats que les magistrats impériaux. Il adora à Alexandrie ce dieu Sérapis qui n'était que le dieu grec Pluton naturalisé Égyptien sous les Ptolémées, mais qui était devenu pour les Romains eux-mêmes le plus grand des dieux[46]. Il remonta le Nil, vit Memphis, les Pyramides, le Labyrinthe, les Cataractes, la statue de Memnon. Ce sombre Africain, que n'attiraient ni l'art, ni la poésie, ne laissait pas que d'être subjugué par la grandeur des monuments égyptiens et par le religieux mystère qui s'attachait à eux. Il voulut tout connaître, se faire initier à tout, s'informa de tous les secrets de la science divine et de la science humaine, recueillit tous les livres sacrés qu'il put trouver, les recueillit pour les dérober aux sanctuaires qui les possédaient et lui seul posséder ces trésors. Il eût voulu pénétrer, mais pénétrer seul, tout ce qu'il y avait au monde de mystères. Le tombeau d'Alexandre qu'il visita lui inspira ce même sentiment de vénération jalouse et de curiosité égoïste ; après l'avoir visité, il en fit murer l'entrée pour que personne après lui ne vit le corps du héros. C'était le propre de cette imagination africaine, hautaine, égoïste, insatiable, de vouloir tout posséder, tout posséder seul, et de n'être jamais satisfait. Un peu plus tard, ce Sévère, qui avait été, tour à tour ou tout à la fois, rhéteur, avocat, jurisconsulte, astrologue, médecin même quelque peu, magistrat, général, Empereur et père d'Empereurs, disait tristement : J'ai été tout et cela ne me sert de rien[47]. Hélas ! c'est le mot de tous les ambitieux, à leur dernière heure, sinon plus tôt. Avec cette curiosité inquiète, cette préoccupation des choses mystérieuses, avec ces voyages à travers l'Orient, l'Égypte, la Syrie, la Judée, avec ces luttes contre les insurrections juive et autres, il était impossible que le christianisme ne se rencontrât point sur les pas de Sévère, et que cet esprit, sombre et réfléchi, ne s'en inquiétât point. Le christianisme était non-seulement sur sa route et au sein des villes qu'il pouvait traverser ; mais le christianisme était dans son palais. Malade, il avait été guéri autrefois par les soins ou peut-être par les prières d'un chrétien, et ce chrétien, affranchi, à ce qu'il paraît, d'un de ses affranchis, appelé dans le palais, y resta jusqu'à la mort de Sévère. Par suite peut-être de cette admission d'un chrétien auprès de Sévère, Bassianus son fils avait eu une nourrice chrétienne, et, on peut le croire, des compagnons de jeux chrétiens[48] Sévère avait fait plus, et, à une époque que l'on ne désigne pas, au temps peut-être de la proscription des partisans d'Albinus, il avait défendu contre la fureur du peuple des sénateurs et des femmes de sénateurs accusés de christianisme ; il ne les avait pas seulement défendus, mais honorés[49]. La question du christianisme se posait donc devant Sévère : que devait-il en penser ? |
[1] Cette déification de Commode et sa paternité adoptive avec Septime Sévère ont été en vigueur tout le temps du règne de Sévère. Ainsi les formules : divo Commodo, divo Commodo fratri imp. cæs. I. Septim., I. Septim. frater div. Commod. dans des inscriptions du Forum de Trajan (Orelli, 888), d'Ostie en 196 (id., 904), de Diana, Setif et Cirta en Afrique en 197, 198, 201. (Renier 1726, 1730, 1736. Henzen 5492), des Nattabutes (Oum-gueriguech) en Afrique, en 210. Revue archéologique, 1866, t. I, p. 109. Plus tard encore Vibia Sabina, fille de Marc-Aurèle, est qualifiée sœur de Septime Sévère. (Renier, Inscr. de l'Algérie, 2719.)
[2] Apologétique, 35.
[3] Dion, LXXV, 8.
[4] Sine causœdictione. Spartien.
[5] Dion, LXXVI.
[6] Ad Martyres, in fine.
[7] Militibus tantum stipendiorum quantum nemo principum dedit. Spartien, in Severo, 68 (après la défaite d'Albinus) ; il l'augmenta encore après sa guerre contre les Juifs (id.).
Quant aux distributions d'argent extraordinaires :
Après sa proclamation dans le camp, 500 sesterces (quingenta sestertia ou plutôt quingentos sestertios 500 sert. 125 fr. ?) par tête, plus que prince n'avait jamais donné (Spartien).
Arrivés à Rome, les soldats réclament tumultueusement dena millia, à l'exemple de ceux qui avaient conduit Auguste à Rome (Id., 23). A l'époque de son 10e anniversaire, il leur donne autant d'aurei qu'il avait régné d'années, ce qui fait 250 deniers par tête et, en tout, 50 millions (Dion LXXVI,1). Jamais on n'avait autant donné.
Libéralités considérables avant la guerre contre Albinus (Hérodien III).
Après la défaite d'Albinus, il excite le soldat au pillage de la Gaule ; arrivé à Rome, nouvelle distribution d'argent ; augmentation des rations de blé, droit de porter l'anneau d'or (Hérodien III, 71).
Les inscriptions confirment ici le témoignage des historiens. Ainsi : Actions de grâces à Sévère à cause de ses largesses montant à 8000, 6000 et 1000 sesterces par tête pour des grades qui paraissent peu élevés. (Lambésa. Renier, 60-63).
[8] Hérodien III. — Ce n'étaient même pas des concubinæ dans le sens légal du mot. Caracalla les appelle focariæ et les assimile à des femmes mariées en annulant les donations qui leur étaient faites. C. J. De donationibus inter vir. et uxor. (V, 169). De conditionibus insertis. (VI, 46). Ce mot de focaria se retrouve dans les inscriptions : Sibi et focariæ, Orelli 2678 ; focaria et heres ejus, 2671.
Tertullien montre bien que le mariage légitime était interdit aux soldats. La milice était même une cause de dissolution du mariage. Hortatio ad Castitatem 12. Et Code J. De donationib. inter virum et uxorem (V. 16).
[9] Ainsi, restitution in integrum comme pour les mineurs pour une succession négligée (an 198). 1 Cod. Just. De restitution. militum (II, 51).
Impunité des omissions commises dans la déclaration pour le cens. 3. Ibidem, De vectigal. et commiss. (IV, 61).
Dispense de tutelle. Digeste 9. De excusationibus (XXVII, 1) et ailleurs. — Dispense de certaines charges municipales pour les vétérans. Dig. 5. De veteranis (XLIX, 18).
Caracalla à son tour admet de la part des soldats l'excuse tirée de l'ignorance du droit (an 212). Cod. Just. 1. De juris et facti ignorantia.
On en vint à se faire soldat pour échapper à des procès. Sévère fut obligé de statuer que celui qui aurait agi ainsi serait, sur la demande de son adversaire, délié du serment qui le liait à la milice. 1. Cod. Just. Qui militare possunt (XII, 34).
Nouvelles faveurs pour le testament militaire. Dig. 13, 4, De testamento militis (XXIX, 1).
[10] Droits honorifiques accordés aux soldats : L'anneau d'or dont je viens de parler. Une médaille militaire en argent donnée à titre de récompense. — Ces médailles se cousaient sur le vêtement et paraissent avoir remplacé les anciennes récompenses telles que piques, bracelets, objets de harnachement qui se donnaient autrefois. Du moins, celles-ci ne sont plus mentionnées après le temps de Sévère, et les médaillons deviennent fréquents à partir de ce temps. On en retrouve cependant deux portant la date de 161. Je suis ici l'opinion du savant Borghesi (Di due medaglioni. Opere numismatiche, t. III).
[11] Hérodien. Dion, LXXIV, 2.
[12] Hérodien, IV, 15, V, 7, VII, 6. Dion LXXV, 15. Capitolin, in Marco, 11. Disitheus, 5.
[13] Ainsi deux discours, l'un de Sévère en 195, lu en son absence par un questeur (Dig. 1 De rebus eorum qui sub tutela (XXVII, 9) ; l'autre d'Antonin (Caracalla) sous le règne de son père (206) (D. 32 De donationib. inter vir. et uxor. (XXIV , 1) considérés et commentés par les jurisconsultes comme des lois de l'Empire. Un autre discours de Sévère est cité par Paul, II Sentent., 30. On en fit autant pour des discours de leurs prédécesseurs, — d'Hadrien (D. 22 De petit. hœredit. V, 3), de Marc-Aurèle. (D. 8. De transactionib. (II, 15) D. 60. De ritu nuptiarum (XXIII, 2).
[14] Dion (LXXVIII, 13).
[15] Extraordinariœ cognitiones. Dig. 178 De verb. signif. (L. 16) ; Gaius, II. Instit. 178 ; Dig. De extraord. criminib. (XLVII, II). Quand le délégué impérial ne voulait pas ou ne pouvait pas juger faute de temps, il donnait au lieu de jurés (judices), des juges de son choix Judices pedanei. Dioclétien finit par l'établir en règle absolue. C. J. 2 De judic. pedan. (111, 35).
[16] Sur la juridiction de ces fonctionnaires, v. les titres : De officiis præf. præt. ; De off. præf. urbis ; De off. præf. vigilum (Dig., I, 11, 12, 15. Code, I, 28, 43, 44).
Le préfet de Rome avait juridiction jusqu'à cent milles de Rome. Il pouvait prononcer la peine de déportation et celle de la relégation dans une île. L'Empereur seulement désignait dans quelle île la peine devait être subie. V. la lettre de Septime Sévère à Fabius Cilo, préfet de Rome, pour l'installer et délimiter sa compétence. Digeste 1 pr. § 3, 4, 13 et 3 De off. præf. urbis (I, 12), 8. De pœnis (XLVIII, 10).
[17] Spartien, in Hadriano, 22. Capitolin, in Antonino Pio, 11. Appien, Bell. civil., I, 38. 12 Digeste de juridict. (II, 1).
[18] Voyez sur cette juridiction personnelle de l'empereur et le libelle de supplication qui lui était adressé le Code Justinien. 8 de precibus imperatori offerendis (I, 19) ; le Code Théodosien. 10 de div. rescriptis (I, 5). I quando libell. (I, 40).
[19] Dion, LXXVI, 15.
[20] Spartien, in Severo. Cum magnam partem auri per Gallias, per Hispanias, per
Italiam Imperator jam fecisset.
[21] V. ces titres dans l'inscription d'Ostie citée tout à l'heure (Orelli 904).
[22] Deux inscriptions de Q. Axius Ælianus PROC (urator) RATION (um) PRIV (atarum) dont l'une parle d'une délimitation des biens de Matidie faite par son ordre (Revue archéologique, octobre 1864).
[23] Filiis etiam suis ex hac proscriptione reliquit quantum nullus imperatorum. Spartien, loc. cit.
[24] Tuncque primum privatarum rerum procuratio constituta est. V. aussi Capitolin, in Macrino, 2, 7. Procuratores rationum privatarum inscriptione videntur procuratores patrimonii (Lampride, in Commodo, 20, Digeste, 39, § 20 De legatis I). Rationales, a rationibus (Vopiscus, in Aureliano, 38).
[25] Travaux exécutés sous Septime Sévère dans l'ancien théâtre de Bacchus à Athènes. V. F. Lenormand (Revue archéologique, 1864, t. I, p. 434).
[26] La loi sur la brigue, dit le jurisconsulte, n'est plus applicable à la ville de Rome parce que les magistrats y sont nommés par le soin du prince, non par la faveur du peuple. (Modestin, De lege Julia ambitus. D... XLVIII, 14). Il ne parle pas du Sénat.
[27] Dig. 1, § 8, Ad leg. Jul. de adult. (XLVIII, 1, 4, 5, 15. De quæstionibus XLVIII, 18). Il n'y eut d'exception que pour les soldats, les décurions et les personnes de rang supérieur, mais encore cette exception cessa dans les cas de poursuite pour lèse-majesté et en certains cas pour magie. Cod. Just., 8, 11, 16. De quæstionibus (IX, 41). 4 ad Legem juliam majestati (XX, 8). Paul, Sentent. V, 14, 29, § 2. Digeste, IV, § 1. De quæstionib. (XLVIII, 18), 3 § 1. De re militari (XLIX, 16). Quant aux hommes de classes inférieures, il est établi que l'affranchi ne doit pas être torturé contre son patron (c'est-à-dire pour extorquer de lui un témoignage contre son patron) ni un frère contre son frère. Ulpien, Dig., 1, § 9, de quæstionibus, ni en général un homme libre quand son témoignage est articulé sans hésitation (pro testimonio non vacillanti). Callistrate, 15, ibid. Ces exceptions ne font que confirmer la règle qu'un homme libre peut être soumis à la torture, non pas seulement comme accusé, mais comme témoin.
[28] Cet Abgare ou un Abgare Phraate, son fils, vint mourir à Rome. Son épitaphe. Orelli 921. Voyez Hérodien III, 9.
[29] Hérodien, III.
[30] Avec Dion Cassius, je place les deux siégea de Hatra après la prise de Ctésiphon qui doit être vers la fin de 198. Hérodien, lui, ne parle que d'un siège de Hatra et le place avant la campagne contre Ctésiphon. Mais son récit me parait moins probable. On peut y remarquer du reste de grosses erreurs géographiques et une explication bien invraisemblable du hasard qui, après la levée du siège de Hatra, aurait mené les Romains conquérir Ctésiphon.
[31] Spartien, au sujet du triomphe judaïque de Bassianus (Caracalla, Eusèbe, Chron. ad ann. 198. Dion LXIV, 10. Hieronym., Chron.) Orose, VII, 17. Abulpharage indique la première année de Sévère et saint Jérôme la cinquième, comme celle du combat entre les Juifs et les Samaritains.
[32] Spartien.
[33] Post vindemiam parricidarum racematio superstes. Apologétique, 35.
[34] Tacite, Annal., 11, 54, 59.
[35] In Nerone, 56.
[36] Tacite, Hist., 11 ; 78 ; IV,
82.
[37] Capitolin, 43.
[38] Spartien, 198.
[39] Le polythéisme grec et romain put se maintenir plus on moins dans la tradition et l'enseignement littéraire, mais la religiosité des païens prit une autre direction... Le culte de Mithra et le taurobole (sacrifice du taureau) associés aux mystères persico-mithriaques du Soleil et aux mystères phrygio-mithriaques de la Grande déesse (mère des Dieux) furent les centres de cette nouvelle idolâtrie. Les monuments mithriaques datent en partie de la seconde moitié du second siècle (temps de Marc-Aurèle et de Commode), mais surtout du IIIe et du IVe. M. de Rossi, Bulletin d'Archéologie chrétienne, 1870, n° 4.
[40] Sur ce rapport entre les cultes mithriaques et les révélations judaïques et chrétiennes, voyez les inscriptions où Mithra est appelé indeprehensibilis deus (Orelli 1912), où l'initié se qualifie arcanis profusionibus in æternum renatus (Orelli 2352, Henzen, 6041). Le jour natal du dieu (natalis Invicti) est fixé au 8 des kalendes de janvier (25 décembre) (Henzen 5486). Et enfin un prêtre mithriaque disait, selon saint Augustin : Ipse (Mithra) Christianus est. Augustin, in Isaïam Tract. VII.
Selon certains témoignages, la renaissance opérée par le taurobole devait se renouveler au bout de vingt ans. Iterati viginti annis (Orelli 2355). Ailleurs une femme se qualifie iterata (Orelli 2366).
Sur la cérémonie du taurobole, voyez outre les monuments : Firmicus Maternus, De errore profanarum religionum, 28. Prudence, Hymn. in Romam. V, 1006. Tertullien, De corona, 15. Apulée, Metamorph., IV, 363, 364, peint les cérémonies du culte de Bellone et de la Mater judæa.
On peut rapporter au même ordre d'idées l'épithète religiosus qui semble indiquer une consécration particulière (V. Apulée, Metamorph. — Religiosus a Matre magna capillatus (Or. 2338) âges, religiosiorum (Henzen, 6035) religiosus, H. 6034, religiosus de Capitolio. (Or. 2329.)
Enfin il est reconnu que Mithra donnant la mort au taureau, tel qu'il figure dans un grand nombre de monuments, indique la victoire remportée par l'âme religieuse sur les instincts sensuels.
Un préfet de Rome dédie un autel aux dieux animæ suœque mentis eustodibus. (En l'an 374. Orelli, 1900.)
Les auteurs chrétiens des premiers siècles retrouvent dans le culte de Mithra quelque chose comme l'enfantement virginal, le baptême, la confirmation, l'eucharistie, la résurrection. Tertullien, de Baptismo, 5, de Præscript. 10. S. Justin, Apol., I, 66. Tryphon 70. S. Jérôme, Ép. VII, ad Lœtam. Origène, Contra Celsum.
[41] Héraclite apud Porphyre, De antis. nymph., X.
[42] On compte trois grades terrestres (soldat, taureau, lion) — trois grades aériens (vautour, autruche, corbeau) — trois grades solaires (griffon, persès, soleil) — trois grades divins (père aigle, père épervier, père des pères). — Voyez M. Lajard.
Quant aux épreuves, voyez entre autres saint Grégoire de Nazianze, Carmina ad Nemesium, et ses commentateurs ; Nonnus, Elias de Crète ; mais en particulier l'impératrice Eudoxie, femme de Romain Diogène, dans son Violarium composé vers 1070 pour son époux. Mithra, dit-elle, chez les Perses, passe pour être le soleil... Personne ne peut être admis aux initiations, s'il passe par tous les degrés des supplices, et s'il ne s'y montre saint et supérieur à la douleur. Ces épreuves sont au nombre de quatre-vingts, s'abaissant et s'élevant tour à tour, à abord plus légères, ensuite plus violentes... Ainsi on oblige d'abord le sujet à jeûner pendant cinquante jours environ ; puis, s'il subit patiemment cette épreuve, on lui fait traverser l'eau à la nage pendant plusieurs jours, puis se jeter au feu, puis s'enfoncer dans la neige pendant vingt jours, après quoi on le frotte (rudement) pendant deux jours et il reste seul et sans nourriture. Enfin on lui fait subir d'autres tourments jusqu'à ce qu'il ait passé par les quatre-vingts épreuves. S'il est jugé les avoir supportées avec fermeté, il est admis à l'initiation la plus complète. J'emprunte ces citations aux écrits de M. Lajard.
[43] Le même personnage est à la fois Hiérophante d'Hécate, pontife de Vesta, père des sacrifices de l'invaincu Mithra, taurobolinus, augure, prêtre de Diane, antistes de Mithra. Orelli 2353.
Un autre, prætor triumphulis, consulaire, etc., est maître des sacrifices de Mithra, Hiérophante d'Hécate, archibucole de Bacchus, quidecemvir des sacrifices, taurobolié de Mithra pontife majeur. — (Orelli 2351) et cela en 330 sous les princes chrétiens (Id., 2350).
Même accumulation de titres dans des inscriptions de 376 et 377. (Id. 2335, 2352). Dans cette dernière, le héros est, avec des titres divers, prêtre de Diane, d'Hécate, d'Attyo, de Mithra, de Vesta, chef du taurobole, etc.
L'inscription 2354, d'un consul désigné, énumère huit titres civils et neuf titres sacerdotaux (en 387).
Fabia Aconia, fille d'un consul, femme d'un consul désigné, a été consacrée à Éleusis, aux dieux Bacchus, Cérès et Circa — à Lerme aux mêmes dieux — à Égine aux déesses... elle est taurobolite, piaque, Hierophante, et enfin consacrée de nouveau à Cérès et à Hécate (Van Dale, de ritu Taurobolis).
[44] Voyez sur tout ce qui précède l'appendice à la fin du volume.
[45] Dion, LXXIV, 3.
[46] Serapidi jam romano aræ restructæ ; Baccho jam italico, furiæ immolatæ. (Tertullien, Apologétique, 6.)
Ilium dito quem non jam Ægyptus aut Græcia, verum totus orbis... Serapis iste quidem, olim Joseph. (Id., ad Nat., II, 8.)
[47] Omnia fui et nihil expedit. Spartien.
[48] Les curieux graffiti (inscriptions en lettres cursives) du palais des César à Rome indiquent cette présence des chrétiens dans la maison impériale. Dans des appartements qui paraissent avoir été ceux des pages de l'Empereur (pædagogium), on lit, parmi plusieurs autres griffonnages de ces enfants, des railleries contre le chrétien Alexamène (dessin impie du Christ en croix que j'ai décrit ailleurs. Les Antonins, t. II, l. V, ch. III) et contre un autre chrétien qu'on appelle par dérision LIBANVS EPISCOPVS. C'est un de ces jeunes chrétiens du palais, qui, ayant été fustigé pour sa religion, inspira une vive compassion à Caracalla encore enfant (Spartien, in Caracalla). M. de Rossi (Bulletin d'archéolog. chrét., sept. 1863) attribue les inscriptions ci-dessus au temps de Septime Sévère.
Parmi ces chrétiens du palais, Tertullien nomme un Evhodeœ procurator (Ad Scapulam, 4). Nous trouverons en effet un Evhodus précepteur de Caracalla, Dion LXXVI, 3, LXXVII, 1.
[49] Tertullien, Ad Scapulam, 2, 4, 5, Apologétique, 4, où il indique bien qu'au moment où il écrivait, la persécution n'était pas encore autorisée par le prince.