LES CÉSARS DU TROISIÈME SIÈCLE

TOME PREMIER

APPENDICES.

 

 

APPENDICE A. — DE LA VALEUR DES MONNAIES.

Je n'ai pas la prétention d'indiquer ici toutes les variations des monnaies depuis Commode jusqu'à Constantin. Voici quelques faits qui peuvent faire juger combien elles ont été fréquentes et combien la valeur des monnaies tendait à diminuer.

Pour l'époque qui précède depuis Néron, on peut accepter la valeur d'un franc au moins pour le denier romain, par conséquent celle de 25 centimes pour le sesterce, et de 25 francs pour la pièce d'or (aureus) ; mais à partir de la fin de Néron, et le poids intrinsèque des pièces de monnaie et leur titre et les rapports des divers métaux entre eux varièrent sans cesse, soit par suite de l'appauvrissement du monde romain, soit par suite des manœuvres frauduleuses des empereurs.

Ainsi Caracalla le premier fabrique une monnaie d'argent plus grande et plus lourde, mais de titre inférieur. Elle se continue sous Macrin et sous Élagabale.

Alexandre Sévère, financier intelligent et honnête, fait disparaître cette monnaie. Je parlerai ailleurs de sa refonte de la monnaie d'or où il introduisit des fractions de moitié et de tiers d'aurei. Sous lui l'aureus pèse 6 grammes 60. (Auparavant, il avait été sous Auguste de 8 gr. 05, sous les Antonins de 7,32.)

Dans les troubles qui suivent la mort de Maximin, on revient aux pièces altérées pareilles à celles de Caracalla. Il y a aussi des pièces frappées dans des provinces à demi barbares, et d'une fabrication très-grossière. Sous Gordien III, le premier prince qui, après Maximin, a un règne un peu long, l'aureus pèse 5 gr. 30.

Sous Dèce, la monnaie de cuivre d'un as, qui depuis le commencement de l'empire n'était apparue que momentanément sous Néron et sous Trajan, reparaît et se maintient quelque temps, non pas dans la monnaie de Rome, mais dans celle des cités, des colonies et d'Alexandrie. Les aurei de son temps pèsent 4 gr. 80 ou 70.

Sous Gallus et Valérien, son successeur immédiat, l'aureus se relève à 5 gr. 90 et même 6,10.

Sous Valérien, époque de sa plus faible valeur, il tombe à 3,35.

Sous Gallien, il se relève à 5,15. Mais la monnaie de ceux qu'on appelle tyrans est meilleure que celle des Césars de Rome, au moins dans la Gaule. Ainsi parmi les tyrans de nos contrées. Posthume émet des aurei de 6,20 à 7,40 ; Lælianus de 5,70 ; Victorinus de 6,20 à 5,60 ; Marius de 5,10 à 5,35 ; ceux de Tetricus ne sont que de 4,40.

Sous Claude II, l'aureus pèse 4,65. Mais à partir de ce temps, il n'y a plus de monnaie d'argent ; celle qui passe pour telle n'est que du cuivre recouvert d'une légère feuille d'étain, sauf quelques exceptions sous Aurélien et Probus. Alexandrie seule conserve une monnaie à part ; du reste, toutes les monnaies des villes et des colonies disparaissent. Ce qui se comprend très-bien : c'était un signe d'autonomie qui disparaissait avec les autres ; de plus, la monnaie impériale étant aussi défectueuse, il eût été désavantageux d'en émettre de meilleure, et en faire d'aussi mauvaise eût été une cause de discrédit.

Les temps étant devenus meilleurs, Aurélien cherche à réformer le système monétaire et fait remonter l'aureus au poids de 6 gr. 45. La révolte des monetarii, dont je parlerai en son temps, empêcha probablement la réforme de s'opérer complètement.

Sous Probus, les monnaies de cuivre se multiplient extrêmement, ce qui est facile à concevoir par suite de l'altération des monnaies d'argent. A raison de la centralisation du système monétaire, les villes, au lieu d'avoir comme autrefois des types monétaires à elles, se font seulement reconnaître par une lettre ou un signe indiquant l'hôtel des monnaies où les pièces ont été frappées. Ainsi SIS pour Siscia, lien de naissance de Probus. Ces différents (comme on les appelle en langage technique) se montreront désormais en grand nombre.

Dioclétien cherche à remettre en usage l'argent pur, mais incomplètement ; car il permet aux monétaires l'æs pelliculatum, c'est-à-dire le cuivre recouvert d'une légère couche d'argent.

La monnaie courante sous Dioclétien est le denier de cuivre saucé d'étain, qu'on emploie comme unité dans les comptes (voyez entre autres l'édit de maximum de Dioclétien). Il est désigné dans les inscriptions par un signe approchant plus ou moins de la lettre X (dix). Il est difficile d'en apprécier la valeur à cause de l'ignorance où nous sommes des rapports existant à cette époque entre le cuivre et les métaux précieux. Cependant M. Waddington, dans son explication de l'édit de maximum, croit pouvoir estimer le denier au 288e de l'aureus dont le poids à cette époque était en moyenne de 5,45. La valeur de l'aureus serait dans notre monnaie de 17 fr. 78 c. et par conséquent celle du denier de 6 c. 2. (Rappelons ici qu'au temps des premiers empereurs, la pièce d'argent appelée denier valait un franc.)

Constantin depuis prohiba l'æs pelliculatum.

Les villes dont on reconnaît les différents sont :

ANT (iochia) ; AQVI (leia) ; CAR ou KAR (thago) ; KYZ (icus) ; LUG (dunum) ; MED (iolanum) ; NIK (opolis) ; RV ou RAV (enna) ; ROMA ; SERD (ica, Sardique) ; SIR (mium) ; IS (cia) ; TEBS ou TES (Thessalonique) ; THEU (Theopolis ou Antioche de Syrie) ; TR (eviri).

La rareté croissante des métaux précieux s'explique aisément par l'appauvrissement de l'empire, la diminution de l'industrie, le commerce avec l'Asie orientale à laquelle on achetait des objets de luxe (pierreries, parfums, soie) et à laquelle on n'avait rien à vendre, et aussi par le peu de produit du travail des mines qui ne se faisait que par des condamnés et des esclaves. J'ai dit tout cela dans les Antonins (tome III, livre VII. ch. I).

 

APPENDICE B. — SUR LE CULTE DES DIEUX ORIENTAUX DANS L'EMPIRE ROMAIN.

Ce culte nous est connu surtout par les inscriptions et les monuments figurés. Je donne ici un court résumé de ces documents, indiquant principalement les dates et les lieux d'origine, afin de nous éclairer sur l'époque où ces cultes fleurirent, et les contrées où ils prirent le plus d'extension.

 

§ I. — CULTE MITHRIAQUE.

Les monuments qui s'y réfèrent sont facilement reconnaissables par les formules Deo soli invicto Mithræ ou Nama Sebesio (Nama est un mot persique qui veut dire prière ; sebesius est un surnom grec de Mithra ; dans les monuments figurés, le bucrane [tête de taureau]). Mithra perçant le taureau de son poignard, le glaive dont il se sert, dit épée taurobolique.

Les monuments et inscriptions datés sont ceux qui suivent.

472 APPENDICE

La plus ancienne inscription est d'un affranchi de Tibère, Sacerdos dei solis invicti Mithræ..., trouvée à Rome (Henzen 5844).

Puis une autre dans le territoire d'Œquicalum de l'an 172 avec le titre de Pater, degré d'initiation qui appartient à l'auteur de l'inscription (Orelli, 6039).

Une autre à Rome en 177 (Orelli, 5015).

— A Florence en 183 (Id., 198).

— A Rome en 184, autel élevé ex viso par un affranchi de Marc-Aurèle ou de Commode (Henzen, 6038). On sait que Commode fut adorateur de Mithra.

— Rome en 194, par un affranchi de la même famille (H. 5845).

— A Sentini en 219, érection d'une statue de Mithra (Henzen 6012 A). Une inscription du même lieu donnait les noms d'au moins 37 adorateurs de Mithra, parmi lesquels un est qualifié père des lions (B. 6042, ibid.).

— A Rome en 213, consécration d'un spœleum (antre de Mithra) par deux chevaliers romains (Orelli, 2340).

— A Bade, en 219 ou 222 (Or. 1922).

— A Rome..... par un affranchi de Septime Sévère, pater et sacerdos invicti Mithrœ (Or. 2350).

A Klagenfurth en Illyrie, en 239. Restauration pro Salute Augusti d'un temple ruiné (Or. 2348).

— A Rome, vers l'an 330, statue en l'honneur de Comenius Julianus, consulaire de la province de Numidie, maître des sacrifices de l'invaincu Mithra (Orelli, 2351).

— A Rome, en 356 (on voit que les monuments Mithriaques se reproduisent encore sous les empereurs chrétiens), deux clarissimes dont l'un s'intitule Pater, ce qui indique son degré d'initiation, ont célébré les mystères appelés Persica et Eliaca. La même inscription indique la célébration des Coracica, en 376 (Orelli, 2343).

— A Rome, les Leontica sont mentionnés en 362 (ces noms indiquent les différents degrés d'initiation) (Orelli, 2345).

— A Rome en 370, un clarissimes pater sancti Dei invicti M. (H. 6040).

— A Rome, en 376,un avocat distingué (causarum non ignobilis orator) orné de plusieurs dignités civiles, pater patrum dei solis invicti Mithræ (Id., 2352).

A Rome, en 377, un pater sacrorum également honoré dans l'ordre civil (inscription en vers) (Id., 2353).

A Rome, en 387, pater sacrorum, (Orelli 2354).

Outre les monuments du culte de Mithra, il y a trace dans cinq endroits de Rome de sanctuaires en l'honneur de Mithra : — Le Spelœum du Capitole d'où a été tiré un bas-relief qui se voit au Louvre. (Voyez sur ce curieux monument, M. Lajard, Recherches sur le culte de Mithra etc., 1867, p. 663 et suiv.) — Celui qui a été récemment découvert au–dessous de l'église actuelle de Saint-Clément. (V. M. de Rossi, Bulletin d'archéologie chrétienne, 1870, et la Revue archéologique de 1872.) — D'autres près de Sainte-Agathe dans la Suburra, près de Saint-Sylvestre in capite, et sur la place de Latran.

On en trouve en Italie, à Ostie, Porto, Vetralla, Fabriano, Saloni, Modène, Luni, Angera dans le Milanais et une autre dans le Trentin.

A Altofen (Aquincum) dans la Pannonie inférieure, à Kroissbach (Scarbantia) dans la Pannonie supérieure. A Bude (Orelli, 1921). A Hermanstadt (Id., 1923).

Dans les Gaules, à Labège, près de Toulouse ; — à Bourg-Saint-Andéol (Ardèche), bas-relief : Mithra, placé entre le soleil et la lune, immolant le taureau ; — à Arles (figure de Mithra avec un serpent enroulé autour de lui). — A Montsaléon (Mons Seleucus) près de Gap. (V. Millin., Voyages, t. II, p. 117, t. III, p. 503, t. IV ; p. 191). — A Strasbourg, Haguenau. (Orelli, 1910.)

Il se trouve encore des inscriptions de Mithra en Afrique (Renier, 98, 1654). En Transylvanie, Hongrie, Espagne, Bavière, etc. (V. Orelli, 1908 et s.)

 

§ II. — MONUMENTS ET INSCRIPTIONS TADROBOLIQUES ET CRIOBOLIQUES.

J'ai dit que le Taurobole et le Criobole, qui appartenaient dans le principe au culte de Cybèle (la bonne déesse, la mère des dieux), ont été adoptés dans le mithraïsme ou, pour mieux dire, les deux cultes se sont à peu près fondus ensemble.

 

§ III. — INSCRIPTIONS TAUROBOLIQUES DATÉES.

A Naples, en l'an 133 (Mommsen, Inscriptions Napolitaines, 2602).

A Lyon en 160. Autel élevé et taurobole accompli par ordre de la Mère des dieux pour l'Empereur Antonin et pour la colonie de Lyon (Orelli 2322). Inscription longue et curieuse.

A Turin en 184, ex vaticinatione archigalli (le nom de Commode effacé). (Millin, Voyage, t. II, p. 72.) Un autel avec la tête du taureau et l'épée taurobolique.

A Lyon en 190 (ex vaticinatione ejusdem archigalli)

Henzen 6031. Pro numinibus aug. totiusque domus divina et pour la colonie de Lyon. (Le sacrifice a duré cinq jours.)

A Lyon en 194. Taurobole pour l'Empereur Sévère et tota domo divina et la colonie de Lyon. (Le sacrifice a duré trois jours.) (Henzen, 6032.)

A Lyon en 197. Taurobole pour Sévère, Caracalla, Julie, et la colonie de Lyon. (Le sacrifice a duré quatre jours.) (Millin, Voyage, t. I, p. 522. Orelli, 2325.)

A Bénévent en 199. (Orelli, 2326.)

A Bénévent en 228. Criobole. (Id. 2328.)

A Lectoure en 241. (Id. 2331.)

A Die, 245. Offert par l'Empereur Philippe et son fils par un prêtre, une prêtresse et leur fils, loco vires conditæ (Orelli, 2332).

A Rome, 295, (Taurobolium sive criobolium.) (Id., 2899).

A Rome, 370. Taurobole et criobole offerts par un pontife (pater sacr. dei invicti Mithræ) et sa femme. (Henzen, 6040.)

A Rome, 374. Criobole et taurobole. Diis animæ suæ mentisque custodibus. (Or., 1900.)

A Rome, 376. Taurobole et criobole. (Or., 2335.)

A Rome, 376. Taurobolio et criobolio in æternum renatus. (Or., 2352.)

A Rome, 377. Avec l'accumulation de titres religieux que j'indique ailleurs. (Or., 2353.)

A Rome, 390. Consul désigné, Tauroboliatus. (Or. 2354.)

A Rome, 390. Un ancien préfet du prétoire et préfet de Rome, fils d'une prêtresse d'Isis, consacre un autel après le renouvellement au bout de vingt ans du taurobole (iterato viginti annis). (Or., 2355.)

— Rome, 391. Delibatus sacratissimis mysteriis. Arcanis professionibus in œternum renatus. Taurobole et criobole. (Or., 6041.)

Il semble que ce culte ait été particulièrement répandu à Rome d'abord et aussi dans le midi de la Gaule. Ainsi, outre les inscriptions et les monuments datés que nous venons d'indiquer ci-dessus, nous avons à Lyon un sarcophage avec l'épée (Millin, tome I, p. 468), d'autres à Vence (id., III, 9), à Riez (III, 48) à Valence (tome II, p. 88) Narbonne (Or., 2327), (Henzen, 6033) ; un autre à Tournay (Or., 2321).

En Italie, à Turin (2323), Velleia (2324), près de Capone (2333), Téate (2334), Corfinium.

En Afrique. (Renier, 2579.)

J'indique ici quelques inscriptions votives du règne de Septime Sévère et en son honneur et qui prouvent le développement des cultes orientaux à son époque et dans sa famille. — A Isis reine (au mont Célius à Rome. Henzen, 5077.) — A Florence. (Id., 5495.)A Sérapis, à Vienne en Dauphiné. (Gruter, 22, 1.) Au soleil éternel et à la lune éternelle pour l'éternité de l'empire. Ceci rentre dans le culte de Mithra. (Orelli, 910, 1929. Henzen, 5845.) — Taurobole en l'honneur de Sévère (Orelli, 2325, 2326. Henzen, 6032). Deux de ces inscriptions portaient les noms des consuls de l'an 194, Sévère et Albinus, mais le nom d'Albinus a été rayé après sa défaite.

Voyez en général sur le culte de Mithra, les Tauroboles, crioboles etc. De Hammer sur le culte de Mithra. Lajard, Recherches sur le culte de Mithra, Paris, 1847 et 1867. Deux mémoires de l'Acad. des inscriptions, tomes 14 et 15.

 

APPENDICE C. — EXTRAITS DE CLÉMENT D'ALEXANDRIE.

 

§ I. — USAGE DE LA PHILOSOPHIE.

Fragments de vérité épars entre toutes les écoles grecques ou barbares, comme les membres de Penthée quand les Bacchantes le déchirèrent... Portions de l'éternelle vérité, empruntées, non à la mythologie de Dionysos, mais à la théologie du Verbe éternel qui, rassemblant lui-même les lambeaux déchirés et leur rendant l'unité, nous permettra sans crainte d'erreur de contempler le Verbe parfait, la vérité. Stromates, I, 13.

Quoique la vérité soit une, il y a dans la géométrie la vérité géométrique, dans la musique la vérité musicale, dans la vraie philosophie la vérité hellénique (ou philosophique). Mais la seule et dominante vérité, la vérité inaccessible, est celle que nous enseigne le Fils de Dieu. De même qu'une drachme, si elle est donnée à un matelot, s'appelle fret ; si à un publicain, tribut ; si à un homme qui loue sa maison, loyer ; de même toutes les vertus et toutes les vérités ont un nom qui leur est commun, quoique chacune d'elles ait son nom à elle ; et toutes ont un effet commun, celui de nous mener au bonheur.

Et plus loin : la philosophie, entant qu'elle s'occupe de la recherche de la vérité, est une préparation à l'enseignement du gnostique... La philosophie a pu quelquefois justifier les Grecs, mais non les faire participer à l'universelle et parfaite justice.

.... Ce n'est pas sans doute que la doctrine du Sauveur ne soit en elle-même parfaite et ait besoin d'aucun secours étranger,... la philosophie grecque en s'y ajoutant ne rend pas la vérité plus puissante ; mais, rendant impossibles les attaques des sophistes et repoussant les perfides embûches qui lui sont dressées, elle est la haie ou la muraille qui défend la vigne. La vérité est le pain nécessaire à la vie ; l'instruction humaine qui la précède en est l'assaisonnement. Stromates, I, 20.

Ce qu'on appelle philosophie, c'est l'ensemble des dogmes incontestables produits par l'une ou l'autre des écoles philosophiques ; ces vérités, dérobées au trésor divin accordé de Dieu aux barbares (aux Juifs), ont été ornées par l'éloquence hellénique. Stromates, VI, 7, p. 278.

Le Verbe est le maitre unique, qui depuis la création du monde a instruit et perfectionné les hommes, en des lieux et par des moyens divers, comme dit saint Paul (Hebr., I, 1). Stromates, VI, 7, p. 280.

Voyez sur l'utilité chrétienne de la philosophie le chapitre Stromates, I, 5 et le suivant contre les gens qui se croient bien doués et ne veulent ni étude philosophique ni contemplation naturelle, mais seulement la foi pure et simple. »

 

§ II. — LA PHILOSOPHIE COMPARÉE À L'ANCIEN TESTAMENT.

Dieu est la cause de tout le bien, mais immédiatement de certains biens, comme l'Ancien et le Nouveau Testament, médiatement de certains autres, comme la philosophie. Et encore est-il vraisemblable que Dieu a donné immédiatement la philosophie aux Grecs, avant que le Seigneur ne les appelât. Car la philosophie pour les Grecs, comme la loi pour les Hébreux, était l'instituteur qui devait les amener au Christ (Gal. III, 24). La philosophie nous fraye la route vers le but de notre perfection qui est le Christ. Stromates, I, 5 (in princ.), p. 282.

L'Écriture nous montre que le Dieu unique est connu selon la loi judaïque par les Juifs, selon la loi des nations par les Grecs, en dernier lieu et spirituellement par nous chrétiens. Elle montre aussi que Dieu a été pour les uns et les autres l'auteur d'un double Testament, puisque c'est lui qui a donné aux Grecs la philosophie grecque par laquelle les Grecs ont glorifié le Tout-Puissant. Venant donc ou de l'école grecque ou de l'école de la loi, ceux qui reçoivent la foi se réunissent et forment le peuple sauvé... Ce ne sont pas trois peuples distincts dans les temps ni trois natures d'homme différentes, mais instruits par des Testaments divers, ils appartiennent en réalité à un seul Seigneur. Dieu voulant sauver les Juifs leur a donné les prophètes ; et, de même pour les Grecs, il a choisi les plus illustres d'entre eux pour être dans la mesure où ils pouvaient comprendre la miséricorde de Dieu, les prophètes de leur langue et de leur nation. Stromates, V, 6, in fine.

Avant l'arrivée du Seigneur, la philosophie était nécessaire aux Grecs pour la justice (c'est-à-dire pour la justification ?). Maintenant elle est utile pour la piété, et c'est un enseignement préparatoire à l'usage de ceux qui arrivent à la foi par démonstration... Stromates, I, 5.

Mais heureux celui des Grecs qui, négligeant la science hellénique, s'est mis en possession immédiate de la vraie doctrine ; quoique ignorant, il a dépassé les autres de beaucoup, il a pris pour arriver au salut le chemin plus court de la perfection par la foi. Stromates, VII, 2 (in fin.), p. 425.

 

§ III. — INTERPRÉTATIONS ALLÉGORIQUES DE L'ANCIEN TESTAMENT.

L'histoire d'Agar et de Sara personnifiant la philosophie grecque et la loi de Moïse (d'après Philon). Stromates, I, 5.

Les prescriptions mosaïques au sujet de l'abstention des viandes expliquées par des préceptes moraux. Ibid., II, 20, v. 8 (à rapprocher des explications pareilles données dans l'épître de saint Barnabé, 10).

Le tabernacle, le voile du temple expliqués par l'astronomie. Stromates, V, 6.

L'histoire de Rebecca (d'après Philon, de Plantatione Noe). Pædagog., I, 5.

La loi de Moïse contre les eunuques et les bâtards, expliquée d'après Philon (De nominum mutatione), Protreptic., II.

Sur les nombres : signification des nombres 4, 5, 7, 10. Stromates, II, 12 (p. 381) ; sur le nombre 7 en particulier, voyez ibid. VI, 16, p. 685.

Sur les lettres : signification de la lettre I de Ίησοΰς. Pædagog., I, 9. Le Psalterion à dix cordes signifie le Christ à cause de la lettre X (ibid., XI, 4).

 

§ IV. — SOUVENIR DES MYSTÈRES PAÏENS.

Après avoir achevé cet enseignement préparatoire (car la vérité a besoin de préliminaires qui y disposent), nous arrivons à considérer ce qui constitue à proprement parler la doctrine gnostique, nous initiant ainsi aux petits mystères avant d'en venir aux grands, afin que, purifiés et instruits par la science et les traditions qui devaient précéder, rien ne fasse plus obstacle à la divine Hiérophantie. Car l'étude, ou, pour mieux dire, l'intuition de la règle de vérité que nous donne la tradition gnostique, commence par la doctrine de la naissance du monde et s'élève ensuite jusqu'à la contemplation des choses divines. Stromates, IV, 1, in fine.

Ce n'est pas sans raison que dans les mystères des Grecs, tout commence par la purification, comme chez les barbares (les Juifs) par l'ablution. Ensuite viennent les petits mystères, qui sont un enseignement servant de fondement et de préparation à ce qui va suivre. Dans les grands mystères enfin dont le but est l'universalité des choses, il n'y a plus à apprendre, il n'y.a plus qu'à contempler et à comprendre la nature des choses. Ainsi nous nous purifierons par la confession, nous apprendrons par l'analogie à contempler, etc. (V, 11).

La préparation aux mystères est elle-même un mystère. Stromates, I, 1.

 

§ V. — CARACTÈRE SECRET DE LA GNOSE.

La tradition publique n'est pas la seule qui soit donnée à l'homme digne de sentir la grandeur du Verbe. Il faut cacher avec soin cette sagesse de Dieu qui nous a été enseignée dans le mystère et que le Fils de Dieu nous a apportée.... Non-seulement notre langue, mais nos oreilles doivent être purifiées, si nous voulons participer à la vérité. Aussi hésité-je à écrire, et je crains encore de jeter des perles devant des pourceaux.... Il est difficile, en parlant de la vraie lumière, d'adresser des discours purs et clairs à la fois à des hommes grossiers comme des pourceaux... Les sages ne répètent pas sur la place publique ce qu'ils ont médité dans leur assemblée. Et quand le Seigneur dit : Ce qui vous a été dit à l'oreille, prêchez-le sur les toits (Matth. X, 27), il nous ordonne sans doute d'interpréter saintement et dignement les traditions cachées de la Gnose véritable, de redire ce qui nous a été dit à l'oreille, mais de le redire à ceux qui doivent l'entendre, non pas de divulguer à tous le sens caché des paraboles. Stromates, I, 12, p. 207.

Caractère caché de la science.....  la vérité toujours sous un voile et chez les Grecs et chez les barbares (les Juifs)... ; voile de la poésie..., les songes, les symboles. (Stromates, V, 4, p. 556).

Nécessité de cacher les mystères de la foi. Ce que l'apôtre appelle la plénitude du Christ (Col., II, 9) est la tradition gnostique. Saint Paul rapproché de Platon sur la nécessité de ne pas confier les secrets de la science à l'écriture, ou de ne les écrire qu'en termes ambigus. Ibid., 10.

Ceci suffit à celui qui a des oreilles pour entendre. Car il ne faut pas dévoiler le mystère, mais il suffit de l'indiquer assez pour le rappeler à ceux qui ont participé à la Gnose. Id., VII, 14.

Prudence dans l'usage de la parole. La science divine assimilée au puits dont parle Moise (Exode, XXI, 33, 34) et qui doit être couvert. Le gnostique, maître du puits, ne doit le découvrir qu'à celui qui a véritablement souci de la vérité. Stromates, V, 8 (p. 82). Citations des philosophes qui disent qu'il faut cacher la vérité. Ibid., 9, p. 89.

Il finit sur la même pensée : Comme nous l'avions promis, nous avons répandu çà et là les dogmes de la vérité gnostique afin qu'il ne soit pas facile à ceux qui ignorent les mystères de comprendre les saintes traditions  Comme un jardin, l'Écriture veut être cachée à la cupidité de ceux qui pillent et dérobent les plus beaux et les plus mûrs d'entre les fruits. VII, in fine.

 

§ VI. — LA FOI ET LA GNOSE

Trois choses appartiennent à notre philosophie : d'abord la contemplation, ensuite l'observation des préceptes, et enfin le soin de former des gens de bien. Ces trois choses réunies forment le gnostique. Stromates, II, 10 (in princ.).

La gnose fidèle n'est qu'une démonstration scientifique de ce qu'enseigne la vraie philosophie. Nous dirons donc : c'est une méthode qui, s'appuyant sur les points admis, nous amène à une foi certaine sur les points mis en question (Et tout ce qui suit) II, 11, in princ., p. 381.

Il a été dit : Il a été donné à qui a déjà (Luc XIX, 26), c'est-à-dire à la foi, la Gnose ; à la Gnose, la charité ; à la charité, l'héritage  Le premier progrès est celui qui se fait du paganisme à la foi, le second de la foi à la Gnose. Stromates, VII, 10.

L'homme spirituel, le gnostique est le disciple du Saint-Esprit, celui à qui Dieu enseigne quelle est la pensée du Christ. Il est opposé au psychique (animalis homo) qui ne reçoit pas ce qui vient de l'Esprit Saint (I Cor. XI, 14).

La foi commune est le fondement, la perfection gnostique est l'édifice ; l'une est le lait qui nourrit les enfants ; l'autre est la nourriture qu'on donne à ceux qui ont grandi (Voyez I Cor. III, 1, 2, 3) Stromates, V, 4, in fine.

Quelques-unes disent que la foi vient du Fils, la gnose de l'Esprit-Saint, mais ils ont tort et tout ce qui suit. V, 1, in princ.

 

§ VII. — PERFECTION DU GNOSTISME.

Vous l'avez mis un peu au dessous des anges (Ps. VIII, 6). On entend cette parole, non du Seigneur, quoique lui aussi se soit revêtu de notre chair, mais de l'homme parfait et gnostique qui, vivant dans le temps et revêtu de la chair, est par là abaissé au dessous des anges. Stromates, IV, 3, p. 417.

Le gnostique avance dans l'intelligence de l'Évangile, non-seulement parce qu'il se sert de la loi (juive) comme d'un degré pour y arriver, mais parce qu'il s'unit à la loi et en pénètre le sens, tel que l'a transmis aux apôtres le Seigneur qui nous a donné les deux Testaments. IV, 21 (in princ.).

Le gnostique n'est pas mû par la pensée de la récompense ou de la peine : La vertu dont le seul mobile est l'amour et la recherche du bien en lui-même est celle  qu'il faut attendre du gnostique  Il ne lui convient pas de désirer la science de Dieu pour une utilité quelconque, pour que telle chose arrive ou n'arrive pas. Pour lui, le seul mobile de la contemplation est le désir de connaître.... J'ose même dire que ce n'est pas dans le désir d'être sauvé qu'il embrasse la Gnose, mais bien pour la science divine que la gnose lui révèle. Ibidem, 22 (in Princip.).

Voyez encore sur la perfection du gnostique le ch. 23 qui finit ainsi : Ceux qui sont en mer sur un navire maintenu par une ancre tirent l'ancre à eux, et alors, au lieu de mettre l'ancre en mouvement, ils se tirent eux-mêmes jusqu'auprès de l'ancre. Ainsi ceux qui par la voie gnostique cherchent à attirer Dieu à eux, sans le savoir, s'attirent eux-mêmes à Dieu. Qui honore Dieu s'honore lui-même. Dans la vie contemplative, qui vénère Dieu prend soin de lui-même.

C'est là qu'il est question de l'impassibilité du gnostique, qui apparaît ici un peu trop semblable, au moins dans les termes, à l'impassibilité des stoïciens.

Ailleurs : Le gnostique est seul saint et pieux, seul il rend à Dieu un culte digne de Dieu. Et celui qui est digne de Dieu est nécessairement ami de Dieu et aimé de Dieu. VII, 1.

Je tais le reste en rendant gloire à Dieu. Mais je dis que les âmes gnostiques, s'élevant par la hauteur de leur contemplation au dessus de toutes les sphères de sainteté, entre lesquelles se partagent les demeures bienheureuses des dieux (des élus)[1] ; ces âmes réputées saintes entre les saints, élues intègres parmi les plus intègres, transportées en des lieux meilleurs parmi les meilleurs ; n'embrassant pas seulement la divine contemplation en un miroir ou à travers un miroir, mais participant à cette nourriture dont les âmes aimantes sont insatiables ; demeureront pendant les siècles infinis glorifiées dans l'identité de l'universelle suprématie. Telle est cette contemplation saisissable seulement par les cœurs purs. Telle est cette action du gnostique parfait, qui s'approche de Dieu par la médiation du Pontife suprême et qui, dans la mesure de sa puissance, s'assimile à Dieu par le culte qu'il rend à Dieu..... Le gnostique est à lui-même son auteur et son créateur. Semblable à Dieu, il perfectionne même ceux qui l'entendent, assimilant autant qu'il se peut l'impassibilité que ses efforts lui ont fait acquérir à l'impassibilité innée de Dieu. Stromates, V, II, 3.

La mort sépare l'âme du corps, et la gnose, elle aussi, qui est une mort spirituelle, sépare l'âme de ses passions ; elle nous conduit à la vie du bien, afin que nous puissions dire librement à Dieu : Je vis selon votre volonté. Ibid., 12.

Quelques-uns souffrent le martyre à cause de certaines joies et voluptés qui les attendent après la mort ; ceux-là sont enfants dans la foi : bienheureux sans doute, mais n'ayant pas atteint l'âge viril de la charité divine, comme l'a atteint le gnostique. Car, dans l'Église comme dans les combats du gymnase, il y a des couronnes pour les enfants et d'autres pour les hommes faits. La charité est digne d'être recherchée pour elle-même et non pour aucun autre motif. VII, 11.

 

 

 



[1] Ce terme se trouve ailleurs : Notre habitation future en Dieu avec les dieux..... On appelle du nom de dieux ceux qui deviennent les accesseurs des autres dieux qui les premiers ont été appelés par le Sauveur. VII, 10.