En touchant le terme de ce travail, en retrouvant, au sortir de tant de ténèbres, un air plus libre et plus pur, une pensée douloureuse demeure au fond de notre âme. Ces tristes siècles que nous venons de parcourir n'ont-ils pas quelque analogie avec le nôtre ? Je ne suis pas le premier qui ait fait ce rapprochement. Il s'est présenté bien des fois, il n'est pas loin de devenir un lieu commun ; qu'a-t-il de vrai, qu'a-t-il de faux ? Je n'ai certes pas cherché à rabaisser mon siècle. J'ai fait valoir, auprès de l'imperfection antique, la supériorité chrétienne. Est-ce à dire que nous ne ressentions rien de ce que ressentait l'antiquité ? Est-ce à dire, que le paganisme ne soit plus de ce monde ? Ce n'est pas sans dessein que je me sers de ce mot. L'homme, une fois devenu chrétien, ne redevient plus idolâtre. En quelque lieu que la loi du christianisme ait régné, mille erreurs, mille hérésies, mille turpitudes, sont trop souvent venues en sa place : mais l'idolâtrie est restée vaincue pour jamais ; les dieux tombés sont demeurés à terre. Mais si les idoles de bois et de pierre sont brisées, cet autres idoles, dont parle l'Apôtre, l'impureté, l'avarice[1], toutes les passions sont restées an fond de l'âme. Si l'homme ne peut plus être idolâtre, il peut toujours être païen. Le paganisme séparé de l'idolâtrie n'est autre chose que les instincts corrompus et les vices de l'homme. L'homme par sa nature déchue penche vers le paganisme ; il faut que la foi nous soutienne, et, contre ces instincts qui nous poussent, nous prèle une force extérieure, surhumaine, je dirais presque artificielle. Il y a donc eu, il y a toujours combat. Si l'Église s'est continuée à travers les siècles par la fidèle tradition de son dogme, de sa morale, de ses exemples, une autre tradition, par moments plus dissimulée, n'a pas moins su continuer une morale, des maximes, un entraînement, tout contraires. En quel siècle si pieux et si candide, en quelle cité si régulière et si chrétienne, en quelle cour de prince ou de seigneur, sanctifiée par tant de vertus, l'âme la plus pure, en cheminant sous l'ombre de la croix, n'a-t-elle pas trouvé sur sa route raillerie, hostilité, et quand il se pouvait faire, persécution ? Toujours les passions ennemies, soit dans l'ombre, soit à découvert, ont fait corps contre l'Église. Des Julien et des Libanius est venu en ligne directe jusqu'à nous un certain ensemble de maximes commodes, d'habitudes sensuelles, de secrètes protestations païennes. Le monde, pour parler le langage de la chaire et celui de l'Écriture, a fidèlement hérité de l'esprit haineux de Caïphe, de la moquerie d'Hérode, et de cette insouciante question de Pilate : Qu'est-ce que la vérité ?[2] Ce monde, en effet, pour lequel le Sauveur n'a pas prié[3], et dont ne sont pas les vrais chrétiens[4], ce monde n'est que le paganisme dissimulé, transformé, continue. Jusqu'ici, rien ne distingue notre siècle des autres siècles chrétiens. Mais il est un côté de ce combat éternel qui, depuis trois siècles surtout, a pris une tout autre importance. Le christianisme, par sa nature, n'est point politique ; il est humain. Il met la cité bien au-dessous de l'homme, les affaires de l'État bien après celles de la conscience. l'État ; la nation, la famille même, ne sont à ses yeux que des nombres, l'homme est la véritable unité. L'État, la nation, la famille, sont des liens utiles et sacrés, des communautés légitimes et nécessaires, quoique purement terrestres et par suite périssables : elles existent pour l'homme, et non l'homme pour elles. L'homme, au contraire, qui est immortel, l'homme est plus grand, plus important, seul digne de protection, d'éducation et d'amour. De là ressort dans le christianisme une politique, ou pour mieux dire, une entente des choses humaines toute contraire aux notions de l'antiquité. L'antiquité romaine, ce résultat suprême de toute l'antiquité, fondait son ordre social sur ce double principe : que le devoir de l'homme envers la société dont il est membre, et surtout envers la nation, est supérieur à tout autre devoir ; et réciproquement, que la société à laquelle l'homme appartient a sur lui un droit absolu. On devait tout à la patrie, on pouvait tout pour elle contre l'étranger. La religion chrétienne fait le contraire. Le grand devoir et le grand fondement de l'ordre social, ce n'est plus l'amour d'une abstraction qu'on nomme patrie ; c'est l'amour d'un être réel qu'on appelle le prochain. Le patriotisme, que la loi chrétienne ne condamne pas, mais qu'elle transforme, n'est qu'une des nuances de cet amour. Le patriotisme chrétien n'est qu'une dilection plus particulière pour certains hommes avec lesquels Dieu a voulu nous faire vivre ; loi sainte et respectable, mais loi secondaire, fragment d'une loi supérieure qui l'embrasse et la domine. La patrie, en effet, sous la loi chrétienne, n'est plus un être abstrait et mystérieux, quelque chose de supérieur à l'homme et qui approche de la divinité ; c'est tout simplement une agrégation d'hommes, soumise comme telle à toutes les obligations de l'être humain, à toutes les règles de justice et de charité envers tous, citoyens ou étrangers, amis ou ennemis. Sous. la loi chrétienne, la société a donc des devoirs envers l'étranger. Il n'est permis à aucune société, à aucune race, tribu, caste ou nation, de s'aimer exclusivement, et de chercher son bien par le malheur d'une autre. Les haines nationales, l'oppression des faces l'une par l'autre ; je ne dis pas l'esprit d'aristocratie, mais l'esprit de caste, par suite duquel une race se prétend radicalement supérieure à une autre, sont choses païennes, et que le christianisme repousse. Elles violent le grand devoir de la justice et de la charité ; elles rompent l'unité chrétienne, elles méconnaissent l'unité humaine ; elles oublient la double fraternité des hommes en Adam et en Jésus-Christ. De même encore, sous la loi chrétienne, la société a des devoirs envers chacun de ses membres, aussi bien que chacun de ses membres a des devoirs envers elle. Sous la loi chrétienne nul pouvoir n'est absolu, nulle autorité n'est véritablement sans limites, parce que nulle n'ose s'affranchir des limites bien plus étroites qu'on ne pense, que lui impose la conscience réglée par la foi. Le christianisme accepte à titre égal toutes les formes de gouvernement, royal ou républicain, aristocratique ou populaire, borné par des lois positives ou par la seule puissance des mœurs, lié par des conditions faites avec les hommes ou contenu par les seuls devoirs que la loi de Dieu impose, le pouvoir est également institué de Dieu, non dans sa forme, qui est chose humaine et variable, mais dans son essence qui est nécessaire aux sociétés. Le christianisme indifférent aux querelles politiques, bien vaines souvent et bien misérables, accepte tout également, et ne condamne que le despotisme, si par despotisme nous entendons ce que nous devons entendre, c'est-à-dire le pouvoir séparé du devoir, l'autorité qui croit avoir tout droit sur les hommes, même les droits que lui refusent la loi naturelle et la loi divine. Cet enseignement du christianisme au sujet du pouvoir n'est pas une théorie inutile au bien des peuples ; c'est au contraire la doctrine qui a civilisé le pouvoir, et, depuis les temps antiques, en a changé toutes les conditions. Ce n'est pas seulement une vague idée de devoirs imposés au souverain ; c'est une règle que notre siècle, il est vrai, comprend peu, mais une règle constante, sérieuse, positive, que de grands hommes[5] ont prêchée et enseignée aux princes, et qui, sans médire de quoi que ce soit en politique, a plus ajouté au bonheur des hommes que n'ont fait jusqu'ici toutes les règles arbitraires et humaines, par lesquelles on a pu chercher à limiter le pouvoir. Ainsi ont péri les deux principes fondamentaux de la société idolâtre, le nationalisme au dehors, le despotisme au dedans. Ainsi ont été installés en leur place les deux principes éternellement salutaires, éternellement conservateurs, de la limitation au dehors du droit des races et des peuples, de la limitation au dedans des droits du pouvoir, par la justice, par la conscience, par l'amour des hommes et de Dieu. Voilà tout entière cette politique chrétienne, si peu savante, si méprisable aux yeux des grands publicistes de notre siècle, et qui cependant a fait faire aux choses humaines un tel progrès que les révolutions, les constitutions, les thèses et les théories politiques ne pourront jamais lui en faire accomplir un pareil. Mais à son tour, à l'encontre de la foi chrétienne, le paganisme moderne s'est fait politique comme le paganisme de l'antiquité. Il a adopté la cité comme son temple ; il a voulu déifier de nouveau la chose publique ; de cette fiction qu'il a nommée patrie, il a fait son Dieu. L'opposition contre l'Église développait infailliblement de telles idées. Aux XIIe et XIIIe siècles, dans les luttes des empereurs contre la papauté, on en retrouverait aisément la trace. Au air siècle, dans les doctrines qu'élaborèrent en France les légistes de la couronne, la pensée en est plus visible encore. Au temps de la réforme, elle devient éclatante. La réforme appuyée sur la souveraineté civile, la conviant par l'appât de la richesse et de la puissance, livrant l'Église au pouvoir et se faisant imposer par lui à la foi des peuples, la réforme se réduisait nécessairement à faire de la puissance temporelle une puissance quasi divine ; elle renonçait à imposer des barrières au pouvoir le jour où, lui donnant autorité sur les consciences, elle abaissait devant lui de toutes les barrières la plus religieuse et la plus certaine. Aussi, ne nous étonnons pas si des doctrines politiques, que nous sommes habitués à considérer comme opposées entre elles, naissent en même temps sous l'influence de la réforme ; si la réforme prêche à un Henri VIII, ou si elle fait prêcher par un Jacques Ier la presque divinité des rois ; si elle inspire aux gentilshommes calvinistes en France leur projet insensé de république aristocratique ; si les indépendants et les anabaptistes font sortir de ces prédications les folies de la souveraineté populaire. Tout cela est au fond une seule et même pensée. Qu'à l'encontre de la prédication chrétienne qui instruit toujours chaque homme, non sur ses droits, mais sur ses devoirs, on dise à un peuple : Vous êtes seul souverain et seul maitre, ce que vous voulez sera la justice ; — qu'on dise à une aristocratie : Vous êtes d'un autre sang, votre race est éternellement et radicalement supérieure, la race inférieure vous appartient ; — qu'on dise à un roi : Vous pouvez tout ; vous ne répondrez de rien, ni à personne ni à Dieu ; c'est Dieu qui a besoin de vous[6] : n'est-ce pas toujours la même chose ? Ces trois formules que notre esprit s'est accoutumé à séparer, parce qu'on les invoque dans des temps et dans des intérêts divers, ne sont-elles pas toujours une seule et même idée, l'idée du pouvoir dérivant de lui-même ? de la patrie souveraine absolue, et dispensée de rendre compte à personne ? N'est-ce pas toujours une révolte, populaire, aristocratique ou royale, peu importe, contre cette loi chrétienne qui n'admet pas la toute-puissance aux mains de l'homme ? N'est-ce pas toujours, sous un nom ou sous un autre, de l'idolâtrie et du despotisme ? Et en même temps que, sous l'influence de la réforme, le despotisme antique revenait au monde, le rationalisme antique et l'égoïsme des races reparaissaient avec lui. Au moyen âge, les peuples se touchent et se mêlent ; leurs distinctions n'ont rien de bien délimité, et surtout rien de haineux ni de jaloux. Au moyen âge également, et même sous l'organisation féodale, il y a des devoirs de subordination et d'hommage d'une classe de la société envers une autre ; il n'y a pas le passif abaissement d'une race vis-à-vis d'une autre. Le seigneur féodal est, dans la pensée de ce siècle, un fonctionnaire public qui a des devoirs comme il a des droits ; ce n'est pas le membre de la caste supérieure qui repousse le paria et se croit souillé par son contact. Les haines de peuple à peuple sont modernes ; elles ne se sont guère éveillées avant le XVe siècle. L'esprit d'aristocratie insultante et dédaigneuse est moderne aussi ; vous n'en trouverez guère, je ne dis pas l'exemple, mais la tradition, avant le XVIe siècle. Qu'a fait la réforme, si ce n'est de rendre nationales des églises qui étaient catholiques, c'est-à-dire universelles ? si ce n'est de rompre l'unité chrétienne au profit de l'esprit allemand en Allemagne, de l'esprit anglais en Angleterre, c'est-à-dire au profit des vanités, des jalousies et des passions de chaque pays ? si ce n'est de méconnaître le caractère, un, absolu, catholique, de la vérité, pour rétrograder jusqu'au principe païen de la nationalité des religions ? Mais la crise de la réforme devait à son tour amener une autre crise. Le pouvoir royal, même dans les pays catholiques, avait profité de cette sorte de rehaussement que les doctrines protestantes avaient paru lui donner. La réforme, ce semblait, était surtout faite au profit des rois : elle mettait leur puissance si près de celle de Dieu ! Le Basilicon doron de Jacques Ier, ce code des princes pendant le XVIIe siècle, était un si bel arsenal pour les prétentions et les envahissements royaux ! La réforme surtout avait donné aux couronnes de si beaux droits sur l'Évangile et sur l'Église Elle abaissait si bien devant elles cette puissance gênante, cette perpétuelle entrave, la papauté et l'épiscopat I Il est trop vrai de le dire, les rois même catholiques furent la plupart séduits. Si bien qu'au XVIIIe siècle, ils pensèrent à en finir, et à supprimer une fois pour toutes cette gênante indépendance de la cour de Rome et des gens d'église. Il est bien vrai : l'Église ne consent pas à n'être qu'un simple ressort dans la machine du gouvernement. Il est vrai, un évêque ne devient pas facilement un chef de bureau, et les affaires de la conscience ne se laissent pas toujours mener, comme les affaires de la police, par un Vu et arrêté de M. le préfet ! Cela incommode et cela tourmente les gouvernements ; mais aussi l'Église est vraie, utile, salutaire, justement parce qu'elle a force et autorité par elle-même. L'Europe tout entière a été sauvée deux fois au moins par ses papes ou par ses évêques ; mais je doute qu'un gouvernement en détresse ait jamais été sauvé par ses chefs de bureaux. Mais sont-ce là choses que les gouvernements comprennent
avant qu'une rude expérience les leur ait apprises ? De quel pouvoir assez
sage osera-t-on attendre qu'il préfère des auxiliaires à des serviteurs ? Qui
résiste à la tentation de balayer tout ce qui ne tient pas de lui sa force et
sa liberté ? Quand les souverains ont cessé de croire, ils cessent bientôt de
respecter : la politique ne supplée point à la foi. Lorsqu'au XVIIIe siècle,
des écrivains et de beaux parleurs de cour se mirent à faire la guerre au
dogme chrétien, bien des princes virent en eux de merveilleux alliés contre
un ennemi commun. Ces alliés, il est vrai, pouvaient paraître quelque peu
dangereux. Leurs déclamations n'allaient-elles pas jusqu'à détruire au cœur
des peuples toute croyance religieuse, utile fondement, disaient les
politiques, de la paix et de la subordination ? A travers des adulations fort
abjectes, ne pouvait-on pas s'apercevoir que leurs sophismes enfanteraient
aisément la révolte de tous les peuples contre tous les princes ? Leur esprit
de flatterie pouvait faire taire leur logique, mais ne la corrigeait pas.
Tout cela était vrai ; mais on ne s'en rassurait pas moins sur ces périlleux
amis : c'étaient des auxiliaires qu'on se promettait bien de rejeter le jour
où ils deviendraient fâcheux ; c'étaient des fous que l'on garderait près de
soi tant que leur folie serait amusante ou utile, sauf à les enfermer quand
leur folie serait dangereuse. On les accueillait donc, on les encourageait,
on leur faisait la cour. On les lâchait contre l'Église, comme des chiens
fidèles qui, après leur curée, ne viendraient pas se jeter sur leur maitre. On ne leur eût pas donné à gouverner une province,
disait leur bien-aimé protecteur Frédéric de Prusse, on leur donnait l'Église
à détruire. Et pendant vingt ans la philosophie nouvelle siégea successivement
au pied de presque tous les trônes ; elle eut ses années de faveur, elle eut
son jour de puissance, à Berlin sous Frédéric, à Vienne sous Joseph II, à Petersburg
sous le règne de celle qu'on appela La faute des rois fut aussi celle des grands. L'aristocratie, comme la royauté, avait eu sa part dans le butin de la réforme, et cette part, elle tendait aussi à l'agrandir. L'esprit de caste, l'esprit des aristocraties protestantes, gagnait en France, dans ce pays d'égalité, et altérait les traditions même de Louis XIV. Les exclusions fondées sur l'origine, les barrières infranchissables posées entre le noble et le roturier, en un mot, ce qu'on a appelé les inégalités de l'ancien régime, rien de tout cela n'était français, rien de tout cela n'était dans l'esprit d'une royauté dont le vieux principe était de n'exclure personne. Tout cela n'était que l'aveugle et le funeste caprice d'une cour impertinente et de deux ou trois ministres philosophes[7]. Cette aristocratie en révolte contre l'égalité française et l'égalité catholique ne demandait donc pas mieux que de faire triompher une philosophie par elle-même peu populaire, qui fut longtemps méprisante pour le peuple et que le peuple fut longtemps à comprendre. L'aristocratie trouvait fort aimables et de fort bon ton ces nouveaux docteurs qui l'affranchissaient d'une loi gênante. Loin de voir derrière eux le triomphe du prolétaire et du pauvre, elle trouvait avec eux un facile moyen de jouir en paix sans s'inquiéter du pauvre ni du prolétaire. Tout s'armait donc contre l'Église : vanité nobiliaire,
licence démocratique, orgueil intellectuel, ambition royale. C'est ainsi que les nations ont frémi, et les peuples ont médité de vains
conseils. — Les rois de la terre se sont
levés et les grands se sont réunis ensemble contre le Seigneur et contre son
Christ. — Brisons leurs chaînes, ont-ils dit,
et secouons leur joug de dessus nos têtes[8]. Et l'on ne voulait pas voir une puissance nouvelle cachée derrière les philosophes, qui viendrait, elle aussi, demander sa part dans le grand pillage protestant ! L'aveuglement était sans bornes ; mais comme il a été cruellement puni ! le crime était grand ; mais comme il est lourdement retombé sur la tête des coupables ! Comme ces rois, cette noblesse, ces peuples eux-mêmes ont été châtiés pour leur délire sacrilège ! N'est-ce pas ici le cas d'appliquer encore les paroles du Psalmiste : Celui qui habite dans le ciel se rira d'eux, le Seigneur se raillera d'eux. — Il leur parlera dans sa colère ; il les épouvantera dans sa fureur. — Il les gouvernera avec une verge de fer ; il les brisera comme le vase du potier. — ... Et maintenant, rois, comprenez ; instruisez-vous, vous qui jugez la terre[9]. Nous arrivons donc à cette crise qu'un Fénelon et un Leibnitz prévoyaient, il y a déjà cent trente ans, qui a touché à son apogée en 1793, et que l'Europe, après un demi-siècle de lutte (1843), n'ose croire encore terminée[10]. Nous vivons sous l'influence de ce mouvement ; nous ressentons ses oscillations ; l'air que nous respirons en est tout vibrant encore. Dans cette fièvre qui agite encore les nations, sommes-nous en état de juger ? Le malade, qui palpite encore de son mal, peut-il en bien connaître l'origine et le principe ? Quand le combat dure encore, est-ce le moment de s'asseoir et d'écrire le bulletin de la journée ? Il faut cependant
en dire quelques mots. Le mouvement révolutionnaire n'est pas un et sans
mélange. Dans ce torrent d'idées qui le poussait, dans ces conséquences qu'il
a laissées après lui, dans ce qu'on appelle, d'un nom vague et orgueilleux, les conquêtes de notre siècle, il ya du bien et
du mal, du vrai et du faux ; il y a aussi de grands faits dont le sens est
ignoré encore, et que Mais, il faut l'avouer, si de tels faits ou de tels
principes se rattachent au mouvement qui a agité la fin du XVIIIe siècle, les
uns ne lui ont guère servi que comme des voiles ou des prétextes, les autres
n'en ont été que les conséquences involontaires et imprévues. Un sentiment
ennemi de la foi, une surexcitation de l'esprit païen a été le souffle qui a
poussé la tempête de 1789. Comme la réforme, et plus encore que la réforme,
la révolution attaquait la loi chrétienne, en faisant appel, non à la
conviction, mais à l'intérêt, en prêchant l'homme, non sur ses devoirs, mais
sur ses droits, en prétendant faire sortir le bien public, non du sacrifice,
mais de la révolte. Comme la réforme, tt plus encore que la réforme, la
révolution avait été bercée dans l'atmosphère d'une éducation semi-païenne et
dans les habitudes de la déclamation classique : sotte parodiste de
l'antiquité qu'elle admirait sans la comprendre. Mais surtout par le principe
qu'elle avait arboré comme un fanal, la révolution était antichrétienne. La
réforme du moins n'avait pas mis la pensée divine en-dehors de la société
humaine ; en donnant un droit absolu, soit aux peuples, soit aux rois, elle
faisait remonter ce droit jusqu'à Dieu. Le mouvement révolutionnaire, du jour
où il s'est levé, a retranché Dieu de l'ordre politique ; il a refusé au vrai
Dieu ce que le paganisme populaire de Mais, si les sociétés sont nées d'elles-mêmes ; si nul pouvoir supérieur ne leur a donné la force et la vie ; si une commune origine, si une loi suprême ne les rattache pas les unes aux autres ; si de l'homme à l'homme il n'y a d'autre lien que le lien social, d'autre loi que la loi de l'État : le droit d'une société est alors de tout sacrifier à elle-même, le devoir d'un homme de tout sacrifier à la société dont il fait partie. L'égoïsme devient la vertu des peuples, un patriotisme aveugle devient la vertu des citoyens. Voilà, avec son cortège de préjugés, de vengeances, de haines héréditaires, le nationalisme antique revenu[12]. D'un autre côté, si, comme on le dit, la souveraineté réside essentiellement dans le peuple, sans descendre de plus haut, quelle limite et quelle condition reconnaîtra ce pouvoir qui dérive éternellement de lui-même ? Un pouvoir donné de Dieu ne s'exerce que selon la loi de Dieu. Mais le pouvoir donné par le peuple, à quelle loi et à quelle condition sera-t-il soumis, dont le peuple, d'un jour à l'autre, ne puisse le dispenser ? Le peuple ne conne d'autre justice que lui-même. Ce que le peuple veut est la justice[13] ; et, comme sous la loi du despotisme antique, la patrie peut tout ce qu'elle veut. Disons-le même : ni l'antiquité, ni les Césars n'avaient proclamé le droit de la force d'une manière aussi absolue, aussi nue, aussi déboutée. Ce peuple qui S'érige en dieu ; cette majorité toujours douteuse et presque toujours violentée, qui, par une fiction arbitraire, prétend représenter le peuple ; ces quelques hommes qu'on appelle roi, sénat, consuls, dictateurs, assemblée, et qui, en vertu d'une autre fiction, représentent, dit-on, la majorité, ne fondent-ils pas après tout leur puissance sur le nombre, en d'autres termes, sur la force ? C'est donc au droit de la force, sous les noms divers de fait accompli, souveraineté du peuple, droit des nationalités, qu'aboutit cette creuse et insoutenable philosophie sur laquelle on a bâti, depuis 1793, le droit public révolutionnaire. Mais alors, que devenait la liberté de l'homme si emphatiquement proclamée en 1789 ? que devenait cette équité dans le gouvernement, prêchée pendant quelques jours par l'école révolutionnaire ; ce respect affiché, non pas observé, pendant quelques jours, pour les droits, la vie, la conscience de l'homme ? Toute notion de droit et de liberté, tout respect pour la conscience et la vie, tout cela est chrétien et ne peut être que dans le christianisme. Du jour où l'on sortait de la loi chrétienne, comme on l'a fait en 1793, on se replaçait sous la loi du paganisme, loi fa tale, oppressive, homicide. On faisait alors bon marché des droits de l'homme, et de sa liberté, soit morale, soit corporelle. On acceptait alors l'odieuse doctrine de la toute-puissance des lois humaines ; on reconnaissait à la société, non pas seulement ce que lui concède le christianisme, le droit de punir, mais ce que lui donnait l'antiquité, le droit d'immoler. Et, comme ces fanatiques de l'Inde, qui se précipitent sous les roues du char de Jaggernauth, des milliers d'existences et des milliers d'âmes, sacrifiées au fantôme de la chose publique, étaient jetées sous les roues de ce char où, à titre de déesse Liberté, Robespierre faisait monter une prostituée[14]. Dès ce jour aussi, la société devait subir sans adoucissement toutes les conditions de la vie païenne. La contrefaçon de l'idolâtrie n'est-elle pas allée jusqu'à ressusciter ses fêtes et ses dieux ? un paganisme de boutique ne s'est-il pas installé jusque sur nos autels ? Cela était sans doute absurde et niais ; ce que les religions antiques avaient de poésie et de dignité était singulièrement parodié par ces pompes de tréteaux, ces théories crottées que conduisait, en qualité de grand prêtre, le cul-de-jatte Couthon ; tout cela était ridicule, imposé à une société chrétienne par une douzaine de Thémistocle et de Brutus que Rome eût jetés dans la boue de la prison Mamertine. Mais il faut néanmoins comprendre que tout cela était logique, que ce paganisme ridicule était bien le fils du paganisme antique et de la philosophie moderne, et qu'il y avait quelque motif, après avoir rejeté le Dieu des chrétiens, pour s'incliner, comme l'antiquité l'avait fait, devant l'homme lui-même sous le nom de Raison, devant la chose publique sous le nom de Liberté. Avec le paganisme dans le culte venait le paganisme dans
les mœurs. On s'est amusé dernièrement, par goût pour le paradoxe, à
transformer ces hommes auxquels on était bien obligé de reconnaître, comme on
dit, quelques formes un peu acerbes et quelques inégalités de caractère, en
modèles de chasteté et de vertus domestiques ; les éloges n'ont pas tari sur
leur austérité, que dis-je ? leur sainteté républicaine. de veux bien ne pas
troubler ces panégyriques assez innocents : je m'en tiens aux actes du pouvoir.
Si l'impureté païenne ne se révélait pas assez par le choix de ces honteuses
déesses, qui eussent fait rougir dans le temple de Vénus les prostituées de
Corinthe, n'est-elle pas clairement écrite dans cette loi rendue par les Lycurgue
de Et enfin, est-il besoin de le rappeler ? l'inhumanité païenne suivait la corruption païenne ; malheureusement en disant l'inhumanité païenne, je ne dis pas assez. L'antiquité avait subi sans doute la loi des sacrifices humains : au moins n'en avait-elle pas fait toute sa religion. Or, à côté de cette religion de carton et d'oripeaux qui paradait aux Tuileries, le bourreau était sur la place de Grève le vrai grand prêtre du paganisme révolutionnaire ; des hymnes insensées et d'inexplicables cris de joie déifiaient son hideux autel. L'antiquité, toute inhumaine qu'elle fût dans la réalité de la vie, battait des mains à ce fameux vers de Térence : Homo sum, humani nil a me alienum puto. et 93 est passé : cette horrible crise a été traversée en
quelques mois ; et, à voir aujourd'hui (1843)
la douceur de nos mœurs, elle nous apparaît comme un accident dont la cause
est inexplicable et dont le retour ne peut être à craindre. Il n'en est pas
ainsi. Sachons, au contraire, que 93 n'a été que le développement naturel et
légitime des principes posés, la conséquence logique de l'abdication du
christianisme. Sachons que l'Europe, tant qu'elle flottera entre la foi qui
la préserve en ce moment et le néo-paganisme qui n'a pas renoncé à l'envahir,
demeurera toujours suspendue sur le même abîme. Comprenons au moins la leçon
que 93 est passé, et, j'en ai l'espérance, nous ne verrons pas son retour[23]. Mais l'esprit de 93, l'esprit révolutionnaire, l'esprit païen vit au milieu de nous ; il a ses chaires, ses écoles, ses apôtres, ses prosélytes ; il a imprimé ses traces dans les lois, ses traces dans les mœurs ; il nous a même habitués à lui, et nos neveux s'étonneront un jour de la placide sécurité et de l'infatuation étrange avec laquelle nous le laissons marcher au milieu de nous. Tant il est vrai que, secoués par tant de crises, nous ignorons ce qu'est la vie commune, régulière, permanente d'une nation ! tant nous vivons encore d'une.vie hâtive, violente, irritée ! Combien les idées vulgaires se ressentent encore de ce néo-paganisme de 93 ! combien de gens, qui se croient politiques, caressent assez ouvertement, sous le nom d'Église nationale, la pensée d'un retour à cette aberration païenne, homicide de toute vérité, la nationalité des religions ! Quoi donc ! au milieu de nous, dans cette cité si fière de son progrès et de ses lumières, n'a-t-on pas chassé Dieu d'une église chrétienne pour en faire un temple à tous les dieux ? Il est vrai que ces dieux ont peu d'adorateurs, et que ce temple où nul ne vient faire des libations ni immoler de blanches génisses reste vide et fermé ; il est vrai que, lorsqu'il s'est agi de choisir des grands hommes à enterrer dans ce temple idolâtre, la patrie reconnaissante s'est prise d'un fou rire et n'a pas su en trouver un. Anomalie singulière entre la loi qui persiste à être idolâtre et les mœurs qui persistent à être chrétiennes[24] ! Dans la politique européenne, quels pas n'ont point faits les influences du paganisme, ressuscitées depuis cinquante ans ? Les rapports des peuples ont changé. Vingt-deux ans de guerre, d'une guerre immiséricordieuse comme les guerres antiques, ont rompu les traditions de la famille européenne. Les peuples ont marché par millions d'hommes les uns contre les autres ; leurs inimitiés héréditaires ont pris une force nouvelle. En un siècle et sous l'influence d'une doctrine qui, dans l'ordre civil, affecte de rejeter le principe héréditaire, l'Europe chrétienne travaille à se scinder en trois familles ennemies. La race slave, disséminée sous des influences et des gouvernements divers, tend aujourd'hui, à la voix d'un chef puissant, à former, en dehors de l'unité européenne et de l'unité catholique, une jalouse et menaçante unité. La race germanique, jadis amie de la nôtre, et qui avait puisé dans le commerce des peuples latins le goût de la civilisation et de la science, aujourd'hui se sépare orgueilleusement des races latines, et, comme un sombre châtelain des temps féodaux, se retranche dans ses nids d'aigle aux bords du Rhin[25]. D'où vient, parmi les peuples, cette tendance à la séparation et au schisme, ce triste réveil d'un patriotisme antichrétien ? Pourquoi l'Europe veut-elle s'éloigner de cette famille des peuples latins, cette fille aînée du christianisme, si belle dans ce qu'on appelle sa vieillesse, noble héritière et de la civilisation antique et de la vertu chrétienne ? Pourquoi, lorsque Dieu nous a donné le bonheur inouï d'une paix de vingt-cinq ans, voyons-nous au milieu de cette paix plus d'armes, plus de soldats, de plus lourds fardeaux imposés aux peuples que nos Meta ne le virent au milieu des plus grandes guerres ? Pourquoi toutes les nations semblent-elles, comme aux temps antiques, se constituer seulement pour la guerre ? Pourquoi, avec une déplorable émulation, aggravent-elles chaque jour sur leurs têtes le plus dur, le plus désastreux, le plus stérile des sacrifices, celui du sang et de la race ; si elles ne sentent pas, sans se l'avouer, que l'antagonisme païen s'est relevé contre la loi chrétienne ; que le temps est revenu de ces duels à outrance, non entre les souverains, mais entre les peuples, non pour un jour, mais pour des années, non avec des armées, mais avec des populations entières, non avec des armes loyales, mais avec toutes les armes, non jusqu'au sang, mais jusqu'à la mort et à la mort d'une nation[26] ? Hélas ce n'est pas seulement avec l'antiquité, c'est avec l'antiquité en décadence, avec le siècle même des Césars, que notre époque a de déplorables ressemblances. Je ne veux ici rien exagérer, ni oublier l'immense distance qui nous sépare d'un pareil temps. Entre les deux termes que je compare, je trouve non pas égalité, mai-proportion : ce sont les mêmes tendances, réduites et affaiblies. Les idées sur Dieu et sur l'homme, vagues, confuses, aboutissant de fait au panthéisme, au fatalisme, au néant de la pensée, ne sont-elles pas ce qu'elles étaient au temps de Claude et de Néron ? Cette tristesse fataliste du monde païen née de l'incertitude et de l'altération de ses dogmes, cette philosophie décourageante qui n'a pour les misères de l'homme que raillerie et que mépris, est-elle inconnue à notre siècle ? La poésie sombre et désespérée de Lucain, sa haine pour la foi et pour la pensée, son culte exclusif de l'image et de la phrase n'ont ils rien de commun avec notre poésie ? Les spectacles de l'antiquité, leur folle magnificence, leurs drames tout faits pour les yeux, sans pensée et sans âme, leur étalage d'atrocité et d'infamie n'ont-ils rien d'analogue parmi nous ? N'avons-nous rien vu comme la dégradation des arts, leur caractère petit, servile, marchand, par suite immoral et sensuel, leur destination tout égoïste et toute privée, sans rien de patriotique ni de religieux ? Ne connaissons-nous rien comme cette éducation molle, efféminée, corruptrice même, dont se plaignent Tacite et Quintilien ? Notre civilisation n'a-t-elle rien de pareil à ces fêtes de Néron où l'élégance la plus raffinée coudoyait la corruption la plus infâme[27] ? N'a-t-elle rien de pareil, osons le dire, à ces sellariæ élégantes et somptueuses, où Caligula et Messaline conduisaient les fils de sénateurs et les matrones romaines ? Et ne touche-t-il pas aux siècles antiques par un de leurs côtés les plus hideux, un siècle dans lequel la dépravation populaire vient chaque jour dévoiler aux yeux des tribunaux quelqu'une de ces plaies immondes qui semblaient appartenir en propre au paganisme ? Nos prisons et nos bagnes, où la foule est plus pressée chaque jour, n'auraient-ils pas besoin, pour se désemplir, de l'amphithéâtre et de la naumachie au moyen desquels se déchargeaient les prisons romaines, et qui étaient le Botany-Bay de l'antiquité ? Et enfin, n'avons-nous pas abordé, nous aussi, la conclusion suprême ? Notre foi au néant, notre fatalisme, notre corruption, notre amère et incurable tristesse, ces maux qui s'engendrent l'un l'autre ne produisent-ils pas bien souvent leur dernier et leur plus dégradant résultat, le suicide ?[28] Enfin, ce qu'était vis à-vis de la loi antique du patriotisme
païen le cosmopolitisme de Le rapport entre notre temps et celui des Césars n'a donc rien d'arbitraire. Hâtons-nous de le dire : il y a des différences, ou plutôt il y a une seule différence, mais celle-là est profonde, elle est décisive : toute notre supériorité, tout notre bien-être, toute notre vertu, toute notre force, toute notre liberté, tout ce qui nous sépare de l'antiquité et du paganisme, peut se résumer en ce seul mot : nous sommes chrétiens. Notre temps est chrétien plus qu'il ne pense. L'homme même qui rejette le plus loin la foi de l'Église doit cependant au christianisme présent en lui et autour de lui, tout ce qu'il a de vertu, de courage, de lumière, toute la santé de son âme. Sa morale, s'il est homme moral, est chrétienne ; sa probité, sa loyauté, la pureté de ses mœurs sont un don et -une inspiration du christianisme : le christianisme seul lui a appris que ces choses sont bonnes, désirables, salutaires. S'il a quelque amour pour ses semblables, s'il leur fait quelque bien, il devrait savoir que, sans celle croix qu'il méprise et ce Sauveur qu'il est assez malheureux pour renier, jamais il n'eût pensé à faire ce bien. Sa bienfaisance, son amour des hommes, sa philanthropie[29], il faut qu'il le sache, toutes personnelles qu'il les croit, et toutes sceptiques qu'il veut les faire, sont par leur principe des vertus chrétiennes. S'il aime son pays avec un autre sentiment que le patriotisme haineux de l'antiquité, ce sentiment n'est qu'un fragment de la charité chrétienne. S'il cherche à porter, dans les affaires publiques, ces notions d'équité qui règlent les affaires privées ; s'il cherche à faire prévaloir la juste notion de l'égalité entre les hommes, il devrait savoir que toutes ces idées dérivent de la justice, de l'égalité, de la charité chrétienne. Il vit sur un fonds de traditions et de sentiments nés de l'Évangile, qui sont pour lui comme un peu de foi. Hors d'un peuple chrétien, sans une éducation au moins extérieurement chrétienne, peut-être sans une mère chrétienne, de telles vertus et de telles idées ne seraient jamais entrées dans son âme. Ce que nous disons de l'homme, nous pouvons le dire de la société. Les sociétés ne savent pas jusqu'à quel point elles sont encore chrétiennes. Non-seulement elles ont été constituées par le christianisme, mais elles vivent par lui, elles vivent de lui, l'air qu'elles respirent est tout chrétien ; s'il leur l'allait en respirer un autre, elles mourraient étouffées. La nation même la plus sceptique n'existe que par la vertu de la croix ; elle se maintient et elle prospère, parce que le christianisme l'entoure, et la domine ; parce que ses mœurs, ses idées, ses traditions, ses lois même, malgré les germes que le règne du paganisme moderne a pu y déposer, sont encore empreintes de christianisme ; parce que les institutions chrétiennes, les institutions de la charité et de la prière sont encore debout au milieu d'elle ; parce qu'il y a chez elle des chrétiens et beaucoup de chrétiens ; parce qu'il y a de la foi et beaucoup de foi. Car il faut le comprendre, un christianisme tout extérieur, tout politique et tout social, ne pourrait suffire aux nations. Les idées et les institutions chrétiennes, détachées de leur tige qui est la foi, ne tarderaient pas à se dessécher ; si la source était fermée, le fleuve serait bientôt tari. Il faut que la foi se maintienne ; il faut que les chrétiens abondent ; il faut que les peuples s'abaissent devant la croix. Ni au XVIe siècle, ni dans le nôtre, ni en 1793, ni en 1831, ni en 1871, la croix n'est pas une fois descendue de nos églises, elle n'a pas été une fois abattue sur nos places, sans que le désordre politique n'ait marché à côté du désordre religieux, et que la société ne se soit sentie dans un imminent péril. Ce serait folie que de prétendre garder, sans le christianisme, les vertus et la charité chrétiennes. L'épreuve a été faite : à quelle somme de bien ont abouti tous les efforts tentés pour faire le bien sans la foi ? Ce n'est donc pas un christianisme factice, tout politique, tout arbitraire, tout terrestre, sans culte, sans autorité, sans croyance, prétendant, comme l'école de Sénèque, tout borner à une pratique extérieure : ce n'est pas là ce qui sauve les sociétés ; ce n'est pas un christianisme, c'est le christianisme qui les sauvera, le christianisme plein de foi, de soumission, d'humilité, le christianisme dogmatique et sévère, le christianisme qui remonte, par la suite non interrompue de ses évêques et de ses pontifes, jusqu'aux enseignements apostoliques et à la parole du Verbe fait chair. Telle a toujours été, telle sera toujours la question décisive des choses humaines, la question dont aujourd'hui le monde, plus réuni que jamais dans les mêmes craintes et les mêmes doutes, attend sa perte ou son salut. La foi doit-elle diminuer ? doit-elle s'accroître ? Si la foi augmente, le monde est sauvé. Si la foi diminue, les idées et les institutions chrétiennes ne tarderont pas à périr : or, qui dit les idées et les institutions chrétiennes, dit toute religion, toute morale possible, toute vertu pour l'homme, toute vie pour la société. Le paganisme reviendrait donc, le paganisme que Dieu a voulu nous faire goûter en 1793 ; le paganisme viendrait, non plus avec ses idoles, mais avec de pires idoles, avec ses vices et ses hideuses institutions, mettant la cruauté et la corruption au cœur de l'homme, au cœur des nations la haine de tout ce qui est hors d'elles, au cœur du souverain la peur et le mépris de ses sujets. En dehors de la loi chrétienne, qu'aurait d'impossible le despotisme des Césars ? Les pouvoirs européens, il est vrai, sont humains et bienveillants pour la plupart ; mais qui sait ce qui peut sortir de la position que les révolutions leur ont faite ? Il me semble que nous sommes au temps d'Auguste. Nous sortons de la crise révolutionnaire, comme les Romains sortaient alors de la crise des guerres civiles. Les princes, encore tout émus et tout effrayés de cet ébranlement, gouvernent avec douceur, avec modération, avec ces tempéraments qu'Auguste savait mettre dans l'exercice de son pouvoir, mais aussi avec la prudence, les précautions et les défiances d'Auguste. Mais Auguste, sans le vouloir et sans le savoir, préparait Tibère. Un écrivain, qu'on n'a point accusé de marcher en arrière du siècle, n'hésite pas à exprimer une telle crainte. Il remarque que tout ce qui, autrefois, soutenait l'autorité du prince, la limitait en même temps, la religion, l'amour des sujets, la bonté du prince, la puissance de la coutume, ces bases de l'autorité des rois, enfermaient aussi leur autorité dans un cercle invisible ; le pouvoir trouvait ses limites dans sa force même. La constitution des peuples était despotique et les mœurs libres ; les princes avaient le droit et non la faculté ni le désir de tout faire. Aujourd'hui que les révolutions ont changé les rapports des souverains et des peuples, quel appui reste à l'autorité des rois ? mais en même temps quelle limite ? Dans le système de politique révolutionnaire, il n'y a plus d'autorité, il n'y a que du pouvoir, c'est-à-dire que tout est une question de force, que la force est l'unique soutien, que la force est la seule limite. Les peuples comptent sur la force ; la révolte est leur arme, leur perpétuelle défense, leur permanente menace : les souverains comptent sur la force, et s'habituent, inévitablement peut-être, à tout attendre de la puissance militaire, le plus dangereux, le plus inconsistant, le plus révolutionnaire des instruments du pouvoir. Aussi, l'écrivain que nous citons n'hésitait-il pas à dire
que la tyrannie qui pourrait naître au monde ne saurait avoir rien d'analogue
dans les annales modernes, et que c'est dans Et, par un point tout particulier, le despotisme moderne toucherait au despotisme impérial. Le despotisme des Césars se trouva, dès sa naissance, en face d'un ennemi que les tyrans des âges précédents n'avaient pas connu. Avant ce siècle, la tyrannie avait frappé les hommes dans leur corps, dans leurs biens, dans leur vie ; elle ne s'était pas encore adressée à l'âme ni à la pensée, parce que l'âme et la pensée ne s'étaient pas rencontrées sur son chemin. La tyrannie césarienne, la première dans l'Occident, trouva un obstacle et un ennemi à vaincre dans la conscience de l'homme, parce que, la première, elle rencontra devant elle autre chose que le paganisme. La première, elle se heurta contre une foi sérieuse, profonde, toute prête à obéir tant qu'il ne s'agirait que de donner au prince ses biens ou sa vie, mais toute prête à résister jusqu'à la fin s'il s'agissait de sacrifier sa croyance ou son devoir. Lorsque Caligula ordonna aux Juifs de l'adorer et de mettre sa statue dans le temple de Jérusalem, il demandait la chose à ses yeux la plus simple et la plus facile, celle que tous les peuples païens lui accordaient sans répugnance et sans remords : la résistance des Juifs le confondit. Plus encore quand Néron ou ses proconsuls entendirent, dans la bouche des premiers chrétiens, cette parole si juste et si naturelle pourtant : Il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes, une telle réponse les irrita moins qu'elle ne les surprit. Tant l'antiquité était loin de là ! tant elle se serait peu avisée de préférer la parole très-intelligible et très-menaçante du prince à la parole pour elle très-obscure et très-impuissante de Dieu ! Une guerre toute nouvelle commença donc sous les premiers Césars, la guerre de la force contre la foi, du despotisme antique contre un ennemi nouveau, la conscience. Depuis ce jour, nulle tyrannie ne saurait se produire sans
avoir à lutter contre la foi du chrétien et sans peser sur la conscience plus
encore que sur la personne et sur les biens. Ce caractère n'a pas manqué à la
tyrannie révolutionnaire ; elle aussi, tout en proclamant sa fausse et
menteuse liberté, prétendait, comme Néron, qu'on devait lui obéir plutôt qu'à
Dieu ; elle aussi brisait les autels, fermait les temples, et fit des
milliers de martyrs : lorsque, dans sa démence, elle imposait au prêtre ses
infâmes serments, elle lui demandait un acte d'idolâtrie envers le despotisme
des lois humaines, à peu près comme on demandait aux premiers martyrs de
brûler de l'encens au pied de l'idole de César. Elle aussi proscrivit la
prière, et fit du culte du vrai Dieu un crime digne de mort ; elle aussi
prétendit traîner, à ses ignobles fêtes, à son culte insensé de Et pour comprendre combien est profonde cette hostilité contre la foi chrétienne et contre le sentiment chrétien, remarquez que jamais, même en leurs jours de mansuétude, lorsqu'ils ont bien voulu concéder à l'homme une certaine liberté corporelle, les partis révolutionnaires n'ont voulu entendre parler de sa liberté morale. Ils ont consenti à ouvrir les prisons, ils n'ont pas admis qu'on leur demandât d'ouvrir les temples ou les écoles[34]. Ils ont bien voulu, dans leurs jours de bon sens relatif, que le patrimoine, le commerce, l'industrie des citoyens fussent libres ; mais quand le chrétien est venu réclamer d'eux la liberté de son culte, le respect pour sa conscience, les égards dus à sa foi, ils n'ont pas compris cette étrange folie qui lui faisait attacher une valeur à de telles misères ; ils se sont demandé par quelle singulière manie cet homme tenait à son Dieu autant qu'à son champ ou à sa vigne. Ils n'ont pas compris cela plus qu'un César ne le comprenait parce qu'eux aussi étaient païens, et ils ont pu nous dire, comme le procurateur Festus : Tu es insensé, Paul, trop d'étude a troublé ta raison[35]. Allons plus loin et disons même : le retour de l'esclavage antique serait-il impossible ? Cette plaie hideuse, dont à cette heure nous sommes occupés, grâce à Dieu, à faire disparaître loin de nous les derniers vestiges, est-il impossible qu'elle se rouvre au milieu de nous ? Oui, sans doute, parce que la destruction de la foi est impossible ; oui, parce que le christianisme ne peut périr. Mais si une société avait le malheur de se constituer en dehors du christianisme, elle serait amenée par la puissance des faits à établir dans son sein quelque chose comme l'esclavage. Si les révolutions changent les rapports du prince au sujet, elles changent aussi les rapports du riche au pauvre. Le christianisme, en émancipant l'esclave, ne s'est pas contenté de le rendre libre ; il lui a assuré dans la liberté les moyens de vivre. Il a créé pour lui l'industrie, c'est-à-dire qu'il a assuré aux hommes les moyens légitimes, réguliers, de soutenir leur vie par le travail ; il a créé pour lui la charité, c'est-à-dire qu'il a assuré, pour les jours où le travail manque et pour les hommes qui sont incapables de travail, mille secours fournis par la libre et bienfaisante volonté du riche. Mais à mesure que le christianisme diminuerait de puissance dans un pays, ces deux soutiens manqueraient également au pauvre. L'industrie lui manquerait, parce que son travail, imposé par une volonté égoïste, payé par une main avare, combiné, non comme sous la liberté chrétienne, pour donner du pain au pauvre, mais comme sous la servitude antique, pour donner des jouissances au riche, ne lui procurerait plus qu'une subsistance insuffisante, précaire, perpétuellement disputée, de jour en jour plus réduite. La charité lui manquerait, parce que le dévouement, qui est chrétien par sa racine, disparaîtrait avec le christianisme ; le temps, l'argent, la volonté, manqueraient pour soutenir le pauvre. Ce ne sont point ici de chimériques terreurs : le monde déjà possède, à cet égard, un commencement d'expérience. Dans les pays que la réforme a écartés des véritables voies du christianisme, le travail a pu s'accroître, les procédés de l'industrie ont pu se perfectionner, et cependant l'état des classes inférieures est devenu plus inquiétant et plus menaçant chaque jour ; le nombre s'est accru de ceux que le travail ne nourrissait pas ; la misère, la dégradation morale s'est accrue pour ceux-là même que le travail nourrissait[36]. Et en face du problème posé désormais, non devant l'Église, mais devant la société, non à la conscience de l'homme, mais à la terreur du politique, à quel remède a-t-il fallu recourir ? Il a fallu en revenir à la ressourcé païenne des frumentations ; et, sous ce triste nom de taxe des pauvres, ou sous un nom équivalent, on s'est chargé, comme dans l'ancienne Rome, de nourrir par peur ceux qu'on n'eût pas nourris par charité : institution désastreuse, et dès aujourd'hui insuffisante à soulager une plaie qui s'accroît hors de toute proportion avec les ressources. Chez nous-mêmes, si nous n'y prenons garde, une tendance funeste, en substituant la charité légale à la charité chrétienne, le règlement au dévouement, menace les saintes institutions de nos pères, et forcément en viendrait à établir, sous un nom quelconque, la taxe des pauvres. Mais, s'il en est ainsi dans des sociétés où le christianisme a encore tant de racines, que serait-ce si la foi manquait tout à fait ? si ces ressources de la charité politique, qui déjà s'épuisent, n'étaient plus aidées par aucun reste de charité religieuse ? Que faire du pauvre, du prolétaire, de l'ouvrier, quand on lui aura Ôté la foi qui le soutient et la charité qui le console ? Déjà trompé par la philosophie moderne qui lui a ravi les joies du cœur pour un bien-être matériel qu'elle ne lui donne pas, trompé par les révolutions qu'on a faites avec son aide et qui n'ont servi qu'à diminuer sa part dans le bonheur social ; si on lui retire le secours de la foi, on le réduit à l'état de la brute : que faire, sinon de le traiter comme la brute et de le museler ? Ne faudra-t-il pas en revenir forcément au système antique, et placer en masse la classe laborieuse sous la domination absolue de la classe opulente, à la charge pour celle-ci de la nourrir ? L'esclavage, en effet, n'est pas autre chose ; c'est le peuple réparti entre les riches qui le nourrissent, l'exploitent et surtout le contiennent. Nous sommes loin, j'aime à le dire, de ce retour au despotisme, à l'esclavage, à toutes les flétrissures païennes : nous sommes loin de là, et je discute ici de folles hypothèses que je repousse de toute la force de mon espérance et de ma foi. Mais ce que je sais et ce que j'affirme, ce que la moindre réflexion rend manifeste, c'est que toutes ces conséquences hideuses, révoltantes, impossibles, sont contenues dans l'abandon de la foi chrétienne ; c'est que l'homme ne saurait secouer le joug de la croix sans renoncer à tous les bienfaits de la croix, et sans se replacer dans toutes les conditions du paganisme ; c'est que l'ignorance, la corruption, la dureté païennes sont, après tout, le fond de la nature humaine, et du jour où la main de Dieu cesse de la soulever, c'est là-dessus qu'elle retombe. Il y a plus : le coupable qui revient à sa première
ignominie, l'Israélite qui, après s'être nourri de la manne, soupire après
les oignons de l'Égypte, ne redoutons par l'énergique langage des saintes
lettres, le chien qui retourne à son vomissement[37], est digne d'une
plus lourde peine. Les peuples païens avaient leur excuse dans les ténèbres
où ils étaient nés ; quelle excuse pour la chrétienté abâtardie qui aurait
abjuré son Dieu ? Le peuple chrétien qui s'assimilera aux infidèles descendra
plus bas que les infidèles. Quand l'esprit immonde,
disent les Écritures, sorti de l'homme, veut
rentrer dans sa première demeure, il va prendre avec
lui sept esprits plus méchants que lui, et ils entrent dans cet homme pour y
habiter, et le dernier état de cet homme devient pire que le premier : ainsi
en sera-t-il de cette génération détestable[38]. Le paganisme, en effet, possédait au moins quelques
traditions pieuses, quelques préceptes des anciens jours qui avaient traversé
la corruption idolâtrique, quelques lignes de cette loi primitive dont
parlent des poètes[39]. Le paganisme,
dans sa corruption, était encore le voile symbolique sous lequel reposaient
bien des vérités. Lui, du moins, n'ignorait pas le devoir de l'adoration : il
était même tourmenté par le besoin d'un culte ; il avait d'imparfaites
prières, mais des prières ; des expiations inutiles, mais des expiations ;
des sacrifices impurs, mais des sacrifices. Aujourd'hui aucune notion de D'un autre côté, le paganisme trouvait un secours, bien imparfait sans doute, mais un secours quelconque dans sa philosophie. Nous avons montré sa misère, nous avons montré aussi ses efforts vers le bien. Cet orgueil de la vertu, cette exagération de l'héroïsme étaient sans doute un point de départ bien vicieux ; mais du moins ces doctrines donnaient-elles lieu à quelques actes de dévouement et de courage qui élevaient le paganisme au-dessus de sa propre loi ; mais du moins servaient-elles à maintenir quelques esprits dans une sphère plus élevée que la sphère des sens ; mais du moins empêchaient-elles de disparaître tout à fait, dans l'éducation et dans la vie, un certain sens moral et un reste de goût pour la vertu. Or, c'est là ce que la philosophie moderne, lorsqu'elle s'est placée hors du christianisme, n'a jamais su faire, n'a jamais tenté. Loin de mettre son orgueil dans l'héroïsme, elle a modestement compris qu'à d'autres appartenait la noble tâche d'encourager l'homme vers le bien ; elle a laissé la religion prendre seule parti pour la vertu. Quand elle n'a pas incliné dans l'autre sens, quand elle n'a pas cherché une loi plus commode, elle s'est tenue, sur le chapitre des devoirs, dans un silence prudent, et ce qu'elle a fait de plus moral a été de renoncer à faire de la morale. Aujourd'hui surtout, grâce aux prédications, dirai-je de la philosophie, dirai-je du panthéisme, donnerai-je un nom à ce qui ne saurait en avoir, à la plus vague, la plus indéfinie, la plus vide dé toutes les doctrines, ne sommes-nous pas bien loin de l'orgueil stoïque et de l'héroïsme de la vertu ? Notre orgueil n'est-il pas celui des sens, et notre héroïsme celui de la satisfaction personnelle ? On épargne, que dis-je ? on exalte, on encense, on adore la chair, ce vieil ennemi que l'école combattait, et que l'Église avait mis sous ses pieds. La gloire est de rabaisser l'âme, le progrès est de mettre au plus bas la pensée et l'intelligence, et l'on a fait de l'égoïsme une religion. Et de cette morale philosophique, impuissante quand elle n'est pas vicieuse, naît, dans toute éducation qui n'est pas chrétienne, cette mollesse pour la vertu, cette vague et incomplète notion du devoir, cet affaiblissement de la conscience. On se contente d'instruire (ou, pour parler plus juste, on a l'air d'instruire), on ne forme pas ; on essaie de faire des lettrés, on ne pense pas à faire des hommes ; on favorise plutôt qu'on ne combat les vices et les fausses notions du monde, et l'on jette, en face de l'entraînement universel, des consciences que l'éducation n'a pas fait grandir, que la foi n'a point armées, que n'a pas nourries une énergique intelligence du devoir. De là naît aussi, dans la vie et dans les mœurs, là du moins où elles ne sont pas chrétiennes, ce peu d'habitude de pensées plus hautes et d'une sphère plus intelligente que celle qui se borne au soin de la fortune et aux jouissances du corps ; de là cet effacement du sens moral, comme un certain jour on l'a très-bien appelé ; cette facilité à composer avec le devoir, parce que le devoir n'est qu'obscurément compris ; cette absence de sérieux dans la vertu qui, habituée à plier, peut finir par se prêter à tout[41] : symptômes effrayants, parce qu'il n'est pas de danger ni de mal dont ils ne décèlent le germe ; symptômes que notre siècle reconnaît avec terreur, et auxquels il ne sait pas apporter de remède ; symptômes qui, s'ils devenaient universels, mettraient le monde moderne au-dessous du inonde païen. Car le monde païen lui-même, avec tant de vices et tant d'erreurs, avec les hideuses conditions sous lesquelles il vivait, lorsqu'il prétendait être vertueux, prenait plus au sérieux sa vertu. Et ce qu'aurait de plus douloureux et de plus dégradant le retour de la tyrannie païenne, serait peut-être ceci : que la religion, la vertu, la pensée même, en ce qu'elle a de sincère et de sérieux, étant forcément chrétiennes, un pouvoir ennemi du christianisme leur ferait nécessairement la guerre. C'est que, sachant le christianisme et le souvenir de la liberté chrétienne au fond de l'intelligence et de la conscience humaines, il serait sans cesse armé pour comprimer la conscience et l'intelligence. Le despotisme des Césars, lui aussi, avait connu et combattu de tels ennemis ; mais la foi chrétienne n'avait pas encore fait leur pouvoir aussi grand que depuis elle l'a fait, et il faudrait d'autres armes que celles des Césars à qui voudrait aujourd'hui les étouffer. Il lui faudrait noyer, s'il se peut, la dignité de la raison et le sérieux de la foi sous l'oppressive préoccupation des jouissances et des intérêts matériels. Il lui faudrait encore — car les jouissances matérielles elles-mêmes n'enfantent-elles pas les agitations de la raison et les inquiétudes du cœur ? —, il lui faudrait, pour mieux dominer les générations naissantes, pratiquer dans toute sa nudité ce principe que l'antiquité païenne, si l'on excepte deux ou trois petites républiques, n'a pas connu, que la révolution elle-même n'a osé qu'à peine mettre en pratique[42], ce principe qui fait des enfants la propriété de ce qu'on nomme patrie, qui à un âge marqué les arrache à leurs parents, afin, comme on le disait naguère avec une dureté sans doute irréfléchie, de les frapper tous à l'effigie de l'État. Il lui faudrait, en un mot, donner leur plein développement à cet ensemble de déplorables doctrines qui sont le fond plus ou moins déguisé de toute la prédication révolutionnaire, qui mettent le droit fictif des sociétés au-dessus de la justice, au-dessus de la famille, au-dessus de la conscience, au-dessus de Dieu. Il faudrait faire à ce qu'on nomme l'intérêt de la patrie, c'est-à-dire à l'intérêt d'une classe d'hommes ou même d'un seul homme érigé en dieu, le sacrifice, non plus seulement des biens, de la personne, de la vie, mais de la croyance, des affections, de la pensée. Mais nous avons meilleure
confiance quoique nous parlions ainsi[43]. L'homme de peu
de foi pourrait seul désespérer de notre siècle. Non-seulement la foi nous
apprend que le christianisme ne saurait périr, et que jamais il ne
disparaîtra de l'humanité tout entière ; mais encore nous ne pouvons croire,
et nous sommes en droit de ne pas croire, même dans un seul pays et dans une
seule nation, au triomphe définitif du mal sur le bien, de la barbarie sur la
civilisation, du paganisme sur la foi. Chaque époque est plus frappée de ce
qui la touche, elle se croit volontiers le centre des destinées humaines, et
la révolution qui s'accomplit sous nos yeux nous parait toujours la plus
grande des révolutions. N'est-il pas cependant permis, en voyant de quelle
manière éclatante la question se pose entre l'incroyance et la foi, entre le
bien et le mal, entre la vie et la mort, de dire que le XIXe siècle, à l'égal
au moins de tout autre, est appelé à voir faire un grand pas au genre humain
? Nous savons assez que le christianisme est né une fois pour toutes, qu'il
ne sera ni transformé, ni régénéré, qu'il n'y aura pour le monde, ni crise,
ni progrès, ni révolution comparable à ce qu'a été l'avènement du
christianisme. Mais ne semble-t-il pas que des circonstances pareilles à
celles qui l'ont vu naître peuvent être préparées de Dieu pour agrandir ses
limites et multiplier ses enfants ? Le christianisme est né et s'est
développé à l'heure où une grande unité matérielle se formait entre les
peuples divers, où leurs relations devenaient plus fréquentes, où le monde
semblait s'ouvrir à la curiosité du voyageur comme à la prédication de
l'apôtre. Aujourd'hui, cette unité matérielle de la race humaine s'agrandit
encore ; les peuples qui étaient voisins se touchent de plus près ; les
peuples qui étaient éloignés se rapprochent ; les peuples qui étaient inconnus
sont découverts et sont forcés d'abaisser leurs barrières devant la
pénétrante invasion du génie européen. Aujourd'hui ce n'est pas l'Égypte ou
l'Asie ; c'est l'Afrique, c'est l'Inde, c'est FIN DU TOME QUATRIÈME ET DERNIER. |
[1] ....Omnis fornicator, aut immundus, aut averus, quod est idolorum servitus... (Éphésiens, V, 5.)
[2] Dicit ei Pilatus : Quid est veritas ? (Jean, XVIII, 38.)
[3] ...Non pro mundo rogo. (Jean, XVII, 9.)
[4] De mundo non sunt, sicut et ego non sum de mundo. (Jean, XVII, 16.) V. encore sur la distinction de l'Église et du monde, Jean, VII, 7 ; VIII, 23 ; XV, 18, 19.
[5] V. Bossuet, Politique tirée de l'Écriture sainte. — V. aussi ses réponses à Jurieu (Avertissements aux protestants) et un grand nombre de passages de ses sermons. — Fénelon, Directions pour la conscience d'un roi, etc. — Les principes de cette politique ont été, vers la fin du XVIIIe siècle, à l'époque même où des doctrines contraires ont commencé à prévaloir, très-bien exposés et appliqués d'une manière remarquable aux différentes parties de l'administration, dans l'ouvrage intitulé : Les Devoirs du prince réduits à un seul principe, ou discours sur la justice, par M. Moreau, historiographe de France, Paris, 1767-1782.
[6] Ce dernier mot avait été dit, vers 1840, dans une harangue officielle, à un souverain auquel il n'a pas porté bonheur.
[7] V. l'ordonnance qui exige des preuves de noblesse pour l'admission aux sous-lieutenances, 22 mai 178 I. — Vers la même époque et par suite de cet acte, les parlements décidèrent aussi que nul ne serait admis dans leur sein sans de pareilles preuves. — Vers le même temps encore, à l'imitation de quelques cours allemandes, on commença à n'accorder certains honneurs privilégiés (les carrosses du roi) qu'aux familles qui remontaient au moins au XVe siècle : il y avait donc pour les autres exclusion perpétuelle, et les familles privilégiées étaient constituées en véritable caste. Rien de tout cela n'était dans l'esprit de l'ancienne monarchie française. Aussi était-ce vers le même temps (1775-1778) que M. de Saint-Germain introduisait dans les armées la discipline allemande, c'est-à-dire l'usage des coups de plat de sabre. Tant le siècle, dans sa prussomanie comme dans son anglomanie, s'éloignait autant qu'il pouvait des véritables traditions françaises !
[8] Psalm., II, 1, 2, 3.
[9] Psalm., II, 4, 5, 9, 10.
[10] Et qui, au bout de plus d'un siècle de luttes, est moins terminée que jamais (1876).
[11] Non est enim potestas nisi à Deo. (Romains, XIII, 1.)
[12]
Décret de
[13] V. Rousseau ; et Anacharsis Clootz, sans marchander davantage, disait que le peuple est Dieu et qu'il n'y a pas d'autre Dieu.
[14]
De même Clodius, ayant transformé la maison de Cicéron en temple de
[15] V. la loi du 28 juin 93, qui accorde les secours de la nation à la fille enceinte qui déclarera vouloir allaiter elle-même son enfant, qui fournit à tous ses besoins jusqu'à ce qu'elle soit entièrement rétablie, etc. (Tit. Ier, § 2, art. 3, 4, 5, 7.) — Décret du 17 pluviôse an II (5 février 1794), sur la pétition de la citoyenne Braconnier qui, étant venue à Paris solliciter la liberté du citoyen Loison, dont elle devait être l'épouse, est accouchée le 5 de ce mois d'un garçon, pour lequel, ainsi que pour elle-même, elle réclame des secours : Considérant que tous les enfants appartiennent indistinctement à la société, quelles que soient les circonstances de leur naissance... ; que d'après ce principe, la loi (V. ci-dessus) a pourvu à tout ce que pouvait exiger l'intérêt de la mère et de l'enfant..., décrète que, sur la présentation du présent décret, la trésorerie nationale payera à la citoyenne Braconnier la somme de 150 livres à titre de secours provisoire pour elle et son enfant.
[16] Art. 1er. Les enfants actuellement existants et nés hors mariage seront admis aux successions de leurs père et mère, ouvertes depuis le 14 juillet 1789. — Art. 2. Leurs droits de successibilité sont les mêmes que ceux des autres enfants. Décret du 12 brumaire an II (2 novembre 1793).
[17] Les mineurs peuvent se marier malgré la délibération contraire du conseil de famille (loi du 7 septembre 1793) ; la loi excepte le seul cas du désordre notoire des mœurs de la personne que le mineur veut épouser. Et l'on déclarait qu'il ne faut, pour la légitimité du mariage, qu'un beau soleil et deux mains unies en présence du ciel.
[18] Décret qui détermine les causes, le mode et les effets du divorce 20-25 septembre 1792 : L'Assemblée nationale, considérant combien il importe de faire jouir les Français de la faculté du divorce, qui résulte de la liberté individuelle, dont un engagement indissoluble serait la perte ; considérant que déjà plusieurs époux n'ont pas attendu, pour jouir des avantages de la disposition constitutionnelle, suivant laquelle le mariage n'est qu'un contrat civil, que la loi eût réglé le mode et les effets du divorce, décrète ce qui suit : Art. 1er. Le mariage se dissout par le divorce. — Art. 2. Le divorce a lieu par le consentement mutuel des époux. — Art 3. L'un des époux peut faire prononcer le divorce sur la simple allégation d'incompatibilité d'humeur ou de caractère. — Les articles suivants règlent les formes du divorce sur la demande d'un des conjoints ; cette demande est présentée à plusieurs reprises et à des délais déterminés devant un conseil de famille, et si ce conseil ne parvient pas à les concilier, huitaine au moins, ou au plus dans les sept mois après la date du dernier acte de non conciliation, l'époux provoquant pourra se présenter pour faire prononcer le divorce devant l'officier public chargé de recevoir les actes de naissance, mariage et décès. § II, art. 14.
Citons encore un article qui contient une des plus outrageuses violations de la liberté de conscience, puisqu'il oblige des chrétiens à demeurer dans une situation intolérable, ou bien à recourir à un remède que le christianisme repousse : A l'avenir, aucune séparation de corps ne pourra être prononcée ; les époux ne pourront être désunis que par le divorce. § I, art 7.
Depuis, on alla encore plus loin, et on supprima les délais d'épreuve pour le cas où il serait prouvé que les deux époux sont séparés de fait depuis plus de six mois. Suivent les peines contre l'officier municipal qui se refuserait, en pareil cas, à prononcer le divorce. Art. 5. — Interdiction de l'appel contre le divorce. Art. 6. — Permission à la femme divorcée de se marier aussitôt qu'il sera prouvé qu'il y a dix mois qu'elle est séparée de fait d'avec son mari. Art. 7. — Confirmation des divorces même antérieurs à la loi qui les permettait. Art. 8. — Loi des 1-9 floréal an II (25-24 avril 1795).
Une loi des 8-14 nivôse an II (28 décembre 93 — 3 janvier 94), permet au mari de se remarier immédiatement après le divorce, à la femme aussi quand son mari est absent depuis dix mois. Mais tout cela n'est rien auprès du droit à « l'amour libre et simultané » proposé par un des radicaux dominateurs d'aujourd'hui (1876).
On ne tarda pas à revenir sur ces décrets (V. le décret du 15 thermidor an II, (2 août 1795), et déjà la jurisprudence des tribunaux, appuyée sur les traditions antiques, leur faisait la guerre.
[19]
Convention nationale (séance du 15 septembre 1793). — Saint-André
: Les nouvelles qui vous ont été lues vous prouvent
combien est barbare la guerre que vous font vos ennemis. L'audace de ces
cannibales est encore encouragée par l'esprit philanthropique qui vous anime ;
je crois qu'il faut pour un temps renoncer à nos idées philosophiques et user
de représailles envers ces anthropophages. Je demande qu'il soit enjoint à nos
généraux de suivre à la rigueur les lois de la guerre dans les pays conquis.
— Cette proposition est adoptée, et
[20]
Décret du 14 brumaire an II :
[21] La loi du 18 août 1792, considérant qu'un État vraiment libre ne doit souffrir dans son sein aucune corporation. pas même celles qui, vouées à l'enseignement public, ont bien mérité de la patrie, supprime toutes les congrégations séculières, confréries d'hommes ou de femmes, ecclésiastiques ou laïques, même celles uniquement vouées au service des hôpitaux ou au soulagement des malades ; — remet à statuer sur les secours à donner aux maisons de charité, et sur l'organisation définitive que le comité des secours présentera à l'Assemblée ; s'empare de tous les biens des congrégations, collèges, confréries, etc. — Loi du 7 brumaire an II, (28 octobre 1793) : Art. 22. Les ci-devant religieuses, chanoinesses, sœurs grises, ainsi que les maîtresses d'école, qui auraient été nommées dans les anciennes écoles par des ecclésiastiques ou des ci-devant nobles, ne peuvent être nommées institutrices dans les écoles nationales. — Loi du 23 messidor an II (11 juillet 1794) : L'actif des hôpitaux, maisons de secours, hospices, bureaux de pauvres et autres établissements de bienfaisance, sous quelque dénomination qu'ils soient, fait partie des propriétés nationales ; il sera administré ou vendu conformément aux lois existantes pour les domaines nationaux.
En même temps qu'on détruisait ainsi les établissements de bienfaisance, fondés sous l'empire des gouvernements chrétiens, on s'imaginait de voter, en exécution de la loi de 1792, une nouvelle organisation de secours publics, en vertu de laquelle l'État se chargeait de secourir les ouvriers sans travail, d'élever le troisième on le quatrième enfant de chaque famille pauvre, de fournir à l'existence de tous les vieillards indigents, etc. (Loi du 28 juin 1793.) Tous ces beaux projets, absurdes par leur généralité même, et qui n'eussent été autre chose que la taxe des pauvres établie sur une plus grande échelle, et, par conséquent, phis onéreuse, tous ces projets restèrent sur le papier.
Après le 9 thermidor, il fallut commencer à revenir vers le système chrétien. Peu a peu on restitua aux établissements de charité les revenus dont ils jouissaient (loi du 28 vendémiaire an IV) ; on suspendit la vente des biens des hôpitaux (lois du 9 fructidor an III, du 2 brumaire au IV, du 28 germinal an IV) ; on tacha de reconstituer leur propriété, (même loi, art. 5 et 6, loi du 16 vendémiaire an V, art. 6 et suiv., loi du 15 brumaire an IX, etc.).
[22]
Décret des 3-5 frimaire an II (23-25 novembre 1793), qui accorde un supplément
de traitement aux exécuteurs des jugements criminels. — J'ai eu entre les mains
une circulaire ordonnant dans le district une recrue de tous les anciens
bourreaux qui pourraient s'y trouver afin de pourvoir au service du tribunal
révolutionnaire. — Un décret de
[23] Hélas ! (1876.)
[24] Je laisse subsister ces mots écrits en 1843, ne serait-ce que pour me féliciter et pour rendre grâce de l'acte réparateur qui a effacé ce scandale et restitué au culte de Dieu l'église de Sainte-Geneviève (1858).
[25] Et encore si elle y était restée... ! (1876.)
[26] Je ne change pas un mot à tout ceci, que j'écrivais en 1843, et qui est devenu malheureusement plus vrai encore après les événements de 1866 (disais-je en 1868.) Et que dois-je dire après les événements de 1871 ?
[27] Lupanaria... illustribus feminis completa, et contra scorta visebantur. (Tacite, Annal., XV, 37.) Gestus motusque obsceni. (Id., ibid.)
[28]
Le nombre des suicides a plus que triplé de 1826 à 1875. (Voyez les rapports
sur LES ACTES de
[29] Saint Paul se sert du mot de philanthropie : Quand apparut la bonté et la philanthropie de Dieu notre Sauveur. Tit., III, 4.
[30]
M. de Tocqueville, de
[31] Lisez seulement la loi sur les prêtres sujets à la déportation (29-30 vendémiaire an II), qui ordonne que ceux qui auront été trouvés munis d'un passeport délivré par un chef ennemi, ou qui seront munis de quelque signe contre-révolutionnaire, seront dans les vingt-quatre heures livrés à l'exécuteur... et mis à mort, après que le fait aura été déclaré constant par une commission militaire... Art. 1. — De même, s'ils ont été depuis dans les armées ennemies ou dans les rassemblements d'émigrés... Art. 2. — Ceux qui rentreront ou qui sont rentrés sur le territoire de la république... après avoir subi un interrogatoire... seront dans les vingt-quatre heures livrés à l'exécuteur après que les juges auront déclaré qu'ils ont été sujets à la déportation... Art. 5. — S'ils demandent à justifier de leur prestation de serment..., les juges pourront le leur accorder ou le leur refuser, selon les circonstances... Art. 7. — Sont déclarés sujets à la déportation ceux qui ont refusé ou rétracté le serment, et, enfin, tous ceux qui ont été dénoncés pour cause d'incivisme, lorsque la déclaration aura été jugée valable. Art. 10. — Les ecclésiastiques mentionnés dans l'art. 10, qui sont restés en France, seront tenus dans la décade de se rendre auprès de l'administration, qui prendra des mesures nécessaires pour leur arrestation, embarquement et déportation. Art. 14. — Ce délai expiré, ceux qui seront trouvés sur ce territoire... seront jugés conformément à l'art. 5. Art. 15. — Tout citoyen qui recèlerait un prêtre sujet à la déportation sera condamné à la même peine. Art. 17.
[32] Loi du 3 octobre 1793 (15 vendémiaire an II). Art. 1er. Les filles attachées à des ci-devant congrégations de leur sexe, et employées au service des pauvres, au soin des malades, à l'éducation ou à l'instruction, qui n'ont pas prêté dans le temps le serment déterminé par la loi, sont, dès cet instant, déchues de toutes fonctions relatives à ces objets. — Art. 3 Les corps administratifs sont tenu sous leur responsabilité, de faire remplacer de suite lesdites filles par des citoyennes connues par leur attachement à la révolution.
Les tricoteuses de la guillotine auraient fait de merveilleuses sœurs de charité.
[33] Loi qui assure aux prêtres mariés la conservation de leur traitement. 19-20 juillet 1793. — Déportation des évêques qui apporteraient quelque obstacle aux mariages des prêtres, 17-19 juillet 1793. — Procédures ayant pour objet des obstacles apportés au mariage des prêtres, 1er août 1793. — Les traitements des prêtres inquiétés à raison de leur mariage sont mis à la charge des communes qui les ont persécutés, 17 septembre 1795. — Les prêtres mariés, ou dont les bans ont été publiés, ne sont point sujets à la déportation, sauf le cas d'incivisme, 25-30 brumaire an II.
[34]
V., entres autre, les lois de
[35] Actes, XXVI, 24.
[36] V. le résultat des enquêtes officielles faites en Angleterre devant la chambre des communes.
[37] Proverbes, XXVI, 11.
[38] Matthieu, XII, 45. Luc, XI, 26.
[39] Le devoir de vénérer les parents est écrit en troisième ligne dans les tables saintes que le Juge suprême nous a données.
(Eschyle, Suppliantes, 704 )
Ces lois des dieux, certaines, légitimes, quoique non écrites, qu'il n'est pas permis aux mortels d'enfreindre, qui n'ont pas été faites aujourd'hui, mais qui sont de tous les siècles, et nul ne sait en quel temps elles ont paru...
(Sophocle, Antigone, 454 et s.)
Ces lois sublimes qui ont été enfantées dans le céleste Éther, dont l'Olympe est le seul père, qui n'ont pas été produites par la nature mortelle des hommes, qui ne demeureront jamais dans l'oubli, parce qu'en elles vit un grand Dieu qui ne vieillira jamais. (Id., Œdipe roi, 865.)
Eschyle parle encore de cette loi qu'il appelle τριγέρων μΰθος, la parole trois fois antique. (Coëph., 310. V. aussi 568, 529.)
[40] Actes apost., IV, 12.
[41] Le cœur se serre quand on voit que, dans ce progrès de toute chose, la force morale n'ait point augmenté. Michelet, Hist. de France, t. II, p. 622.
[42]
[43] Hebr., VI, 9.