Et cependant si un seul homme eût réfléchi ; s'il se fût trouvé une âme assez élevée au-dessus des préoccupations de son siècle pour vivre un instant de la vie commune du genre humain ; si en ce temps où, comme disent les livres saints, les vérités s'étaient retirées du milieu des fils des hommes, parce que nul ne réfléchissait en son cœur[1], un seul être eût pu porter sur la société un coup d'œil sérieux et désintéressé : je n'en doute pas, un spectacle inaperçu jusque-là se serait révélé à ses regards. Il aurait compris qu'un esprit nouveau travaillait au milieu de ces ruines ; il aurait senti le monde à la veille de quelque grande chose ; il se serait rendu compte de ces instincts prophétiques que l'humanité possédait sans en avoir la conscience. Et d'abord — non-seulement l'inanité du paganisme travaillé par huit siècles de philosophie, défiguré par le mélange des traditions diverses, lui serait facilement apparue. Non-seulement il eût compris Dieu par la créature, et les choses invisibles de Dieu par le monde visible qu'il a créé ; mais encore il eût trouvé, dans la tradition même des hommes, quelques restes de vérité, par lesquels il fût remonté à cette manifestation de Dieu qui rendait le paganisme inexcusable[2]. Il aurait vu Athènes adorant le Dieu inconnu[3] ; Rome, éclairée par la terreur, le jour où la terre avait tremblé, adresser ses prières, non plus à tel ou tel Dieu, mais à Dieu[4]. Il aurait vu le peuple quelquefois plus sage que les sages, parce qu'il n'est sage qu'autant qu'il le faut[5], trahir par ces exclamations familières : Bon Dieu ! au nom de Dieu ! que Dieu me soit en aide ![6] une foi involontaire à l'unité de l'Être divin. Au milieu de l'orage et du danger, dit un Père de l'Église, c'est Dieu qu'on invoque ; quand la tempête est apaisée, c'est aux dieux qu'on va rendre grâces et immoler des victimes[7]. Par une autre- voie encore, s'il l'eût voulu, Socrate, Platon, Cicéron, Sénèque l'eussent conduit à la connaissance plus ou moins complète de l'unité divine dont il pouvait démêler ainsi la trace dans les habitudes populaires ; et il serait sorti, en partie du moins, de cet évanouissement de la pensée et de cet obscurcissement du cœur[8], cause suprême des erreurs et des vices du paganisme. Mais ce Dieu unique, ce Dieu créateur manifesté à l'homme par ses œuvres, quel culte et quels hommages exige-t-il de l'homme ? quelle règle lui impose-t-il ? Dans quel but a-t-il créé ce monde, et par quelle providence le gouverne-t-il ? Voilà ce que ni Platon, ni Socrate, ni la tradition des peuples, ni la contemplation du monde, ne pouvait apprendre au philosophe. Lorsque ces illustres sages en venaient là, ils avaient la bonne foi de l'avouer, leurs lumières se trouvaient impuissantes ; ils déclaraient que nulle clarté ne pouvait venir, si ce n'est de la parole d'un Dieu[9]. La piété, la plus précieuse de toutes les sciences, qui nous l'apprendra, disaient-ils, si un Dieu ne vient nous en instruire ?[10] — Que fallait-il donc faire ? — Attendre ; différer les sacrifices[11]... dormir et attendre jusqu'à ce que Dieu vint lui-même dans sa pitié, ou du moins un envoyé du ciel[12] ;... attendre, disaient-ils encore, que quelqu'un vienne nous instruire de nos devoirs envers les hommes et envers Dieu. Mais, ajoutaient-ils, soit appuyés sur les traditions antiques, soit éclairés par leur propre divination, cet envoyé du ciel, ce précepteur da monde n'était pas loin. D'avance il veillait sur les hommes ; il était déjà plein pour eux d'un merveilleux amour Le jour où les ténèbres enfin disparaîtraient, ce jour-là devait bientôt venir[13]. Après quatre siècles écoulés depuis la mort de ces grands
hommes, après l'immense révolution opérée par les armes romaines, ce jour
n'était-il pas venu ? L'Hermès égyptien n'annonçait-t-il pas le temps où la
dévotion égyptienne recevrait un démenti et se trouverait avoir été inutile[14] ? L'heure
n'était-elle pas arrivée où allait s'accomplir la grande œuvre pour laquelle
le monde était en travail depuis des siècles ? Le monde était inondé de
prophéties ; et cette effusion inspirée ou menteuse de l'esprit fatidique
avait éveillé les craintes du pouvoir. Auguste, faisant la police parmi les
prophètes, avait brûlé jusqu'à deux mille de leurs livres ; il avait caché
dans des boites d'or, sous le piédestal de l'Apollon Palatin, les oracles de L'Orient surtout, et dans l'Orient Il y a plus : quelque grand lait ne s'était-il pas accompli dans le silence ? Bien des années auparavant, on avait annoncé à Rome que la nature était en travail pour lui enfanter un roi[21]. Virgile avait entrevu un rejeton nouveau prêt à descendre du ciel[22], un fils des dieux, sorti du sein même de Jupiter[23], faible mortel du reste, et revêtu de toutes les misères de l'humanité ; petit enfant nouveau-né, à qui ses parents n'avaient pas souri et qui avait coûté à sa mère dix mois d'ennuis et de souffrance[24]. Et ne semblait-il pas qu'à cette époque, quelque
changement profond, mais caché, se fût opéré dans la marche des choses
humaines ? Le monde n'avait-il pas dévié, comme un navire qui pendant la nuit
change sa route sans que les matelots endormis s'en aperçoivent ? Le
polythéisme, maître du monde, et plus triomphant que jamais, n'était-il pas
averti des approches de sa ruine par des signes qu'il ne comprenait pas ? Les
mystères étaient divulgués[25] ; les oracles se
taisaient. Ce n'était pas seulement oubli chez les peuples, crainte et
hostilité chez les rois[26] : l'inspiration
s'était éteinte. Enfin, donnerons-nous un nom à ce que raconté Plutarque ?
Est-ce un pur rêve ? est-ce une fable sans nul débris de vérité ? Je ne
décide pas. Vers le temps de Tibère, un navire
passait dans le voisinage des îles de Paxos dans l'Adriatique ; la plupart de
ceux qui le montaient étaient encore éveillés, assis à table, et buvaient,
lorsque de l'une de ces fies on entendit une voix qui appela Thamus, le
pilote, si fortement que chacun en demeura ébahi. Au premier et au second
appel, Thamus garda le silence, au troisième seulement il osa répondre ; et
alors la voix ajouta avec plus de force encore : Quand tu arriveras à la
hauteur de Palôdès (sur la terre
ferme, en Épire), annonce que le grand Pan
est mort. Lorsqu'on fut arrivé à cette hauteur, Thamus s'acquitta de sa
commission, et de la poupe du navire cria à terre : Le grand Pan est mort
! Et alors il entendit comme des lamentations bruyantes et des
exclamations de surprise proférées par plusieurs personnes. Les témoins
oculaires de ce fait le racontèrent à Rome. Tibère s'en informa, et le tint
pour certain[34]. En effet, le grand Pan était mort : le panthéisme idolâtrique
avait reçu le coup mortel. L'adoration du tout, le culte des choses créées
allait faire place à la religion de l'Unité créatrice. Devant le polythéisme
de Et le monde le savait à peine ! Le monde, lui, ne voulait pas s'imposer la fatigue de recueillir ces quelques lueurs de vérité éparses dans la tradition populaire ou dans l'enseignement des philosophes. Le monde ne voulait pas écouter cette voix prophétique des siècles qui d'un commun accord lui annonçait pour l'ère présente un grand renouvellement des choses. Le monde ne voulait pas entendre un Platon, disant qu'il faut laisser dormir la science dans l'espoir de la prochaine arrivée de celui de qui toute science doit venir ; ni un Virgile, écho des anciens oracles, et qui, prophète involontaire, présentait, selon l'expression de Dante, à ses neveux le flambeau par lequel lui-même n'était pas éclairé. Le monde ne voulait pas s'apercevoir de ces symptômes qui annonçaient à l'idolâtrie toute-puissante un danger prochain et imminent : il ne voulait pas chercher si cette révolution tant prédite ne s'accomplissait pas dans l'ombre, au moment même, à côté de lui. Le monde romain veillait pour la volupté ou s'assoupissait dans l'épuisement ; riches et savants, princes et philosophes, après des heures de magnificence et de plaisir, s'endormaient sur leurs lits de pourpre, pendant cette nuit de décembre, où auprès d'une petite bourgade juive, quelques bergers gardant leurs troupeaux recevaient la bonne nouvelle, et entendaient le cantique des anges : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ![35] Le christianisme était donc né. D'où venait-il ? Qui lui avait préparé la route ? Quel aide, quelles espérances, quelles chances d'avenir trouvait-il au monde ? Si le christianisme fût né, par exemple, quatre cents ans
plus tôt, il eût trouvé, ce semble, le monde bien mieux préparé pour sa
venue. Rome alors était encore pure, austère, pauvre, religieuse. Rome,
fidèle à la religion paternelle de Numa, commençait à peine à connaître les
idoles ; elle abhorrait l'épicuréisme ; elle méprisait les vices de Et en même temps, dans Mais, au temps où le christianisme est venu, dans la décrépitude du monde grec et romain, dans ce demi-siècle que gouverna la postérité adoptive d'Auguste, tout cela était passé. Tout avait vieilli, si ce n'est l'idolâtrie et le despotisme. — Dans l'ordre intellectuel : la confusion des croyances religieuses, la frivolité des opinions philosophiques ; l'homme, à l'esprit duquel ne se présentait rien de défini, se dispensant de chercher et de croire ; les traditions plus pures dans le culte, les grandes écoles dans la philosophie, effacées les unes comme les autres ; le panthéisme oriental dominant dans la religion, l'épicuréisme dans la science, c'est-à-dire la négation de la pensée et la négation du devoir ; et par-dessus tout, ce fatalisme désespéré, qui conciliait l'athéisme le plus désolant avec la superstition la plus effrénée. —Dans l'ordre moral : toutes les vertus antiques détruites par la rupture du lien patriotique qui les contenait toutes ; le dévouement au salut commun, le sacrifice de soi-même, l'esprit de famille et la vertu domestique, tout cela effacé par l'égoïsme ou étouffé par la terreur ; — voilà ce que nous avons vu, dit, répété vingt fois. Et ce qui était plus désespérant encore, :c'est que cette société, livrée à son sens réprouvé[38], n'était pas seulement sans affection, sans union, sans miséricorde[39] ; elle était de plus sans jeunesse, sans fécondité, sans énergie. Ce n'était pas l'ardeur de la passion ni la férocité du jeune âge qui l'avaient menée là ; c'était le long abus de toute chose, c'était un épuisement séculaire ; ses plus hideux excès n'étaient que le radotage d'une vieillesse impure. Qu'attendre donc et qu'espérer ? Le genre humain pouvait-il croire que sa jeunesse se renouvellerait comme celle de l'aigle[40] ? La jeunesse, l'honneur, la virginité, l'innocence, ne sont pas choses qui reviennent quand une fois elles sont flétries. La force et le courage, aussi bien que l'intelligence et la foi, manquaient pour comprendre, pour accepter une doctrine nouvelle et plus pure. Or, au milieu de ce monde si mal disposé, qui, depuis quatre siècles, loin d'avancer vers la certitude et la pureté des doctrines, reculait chaque jour vers le doute, la superstition, l'erreur, voici ce qui arrivait. Sur les confins du désert d'Arabie, non loin de l'Euphrate et des frontières de l'empire, dans une subdivision de la province de Syrie, dans un pays sans navigation et sans commerce, sans cesse ouvert aux désastreuses incursions des Arabes ; loin des grandes cités intelligentes, Rome, Alexandrie, Athènes, loin du passage de la puissance romaine et des idées qu'elle menait après elle, — quelques Juifs parurent. Ce n'étaient pas des Juifs d'Alexandrie, de ces Juifs qui lisaient le grec, savaient les philosophes, vivaient en communication avec le monde ; ce n'étaient pas même des docteurs de la loi, de ces Juifs pharisiens qui tenaient le haut bout de la science hébraïque. C'étaient des Galiléens, paysans d'une province décriée à Jérusalem[41], parlant une langue mêlée, gens dont les rares écrits sont pleins de barbarisme[42], gens de cette plèbe sans la philosophie (όχλος άφιλόσοφος) que la sagesse hellénique dédaignait si fort[43]. Certes, ils n'avaient jamais lu Platon ; et pour eux, tout ce qui s'était pensé en Grèce, à Rome, dans l'Asie depuis trois siècles, tout le passé de l'esprit humain était à peu près perdu ;ils n'avaient que leur Bible, déjà commentée par le rabbinisme, tiraillée par les sectes dissidentes, sophistiquée par l'interprétation. étroite et vétilleuse des pharisiens. Et ce furent de telles gens, le pêcheur Simon, le publicain Matthieu, les pauvres petits mariniers du lac de Génésareth qui les premiers inventèrent (si toutefois, quand il s'agit de doctrine, l'esprit humain invente jamais), retrouvèrent, découvrirent, en un mot mirent en avant une doctrine nouvelle. Et cette doctrine, qu'était-elle ? D'abord, au lieu de ce
commode effacement de tous les dogmes qu'embrassait si volontiers la paresse
de l'esprit humain, qui permettait toutes les contradictions à
l'intelligence, à l'âme tous les rêves, au cœur toutes les superstitions, aux
passions tous les excès ; c'était un dogme précis, absolu, universel, qui
exigeait l'application de l'intelligence, la soumission de la raison,
l'obéissance du cœur. C'était, à l'encontre de toute idolâtrie, le principe
de l'unité divine ; en face du panthéisme philosophique ou populaire, l'idée
de la spiritualité de Dieu et de l'individualité humaine ; contre les
épicuriens, la foi à Ce n'est pas assez, ces hommes, après avoir inventé un si
révoltant paradoxe, ne l'insinuent pas en secret, ne le glissent pas à
l'oreille, ne cherchent pas, pour le faire fructifier, de vieilles femmes ou
de faibles esprits qui ont toujours besoin de quelques choses nouvelles à
croire, mais ils montent sur les toits pour le crier à tous ceux qui passent.
Non-seulement du haut des degrés du temple ; aux Juifs de toute la terre
venus à Jérusalem pour la pâque ; non-seulement dans les synagogues de
l'Asie, de Or, qu'ils aient ainsi procédé, ne ménageant pas la contradiction au monde en la lui jetant au visage, si crue et si choquante qu'elle pût être : — s'ils étaient les seuls auteurs de leur doctrine et de leur force ; — si eux seuls avaient inventé cette foi nouvelle, et si eux-mêmes s'en étaient constitués les propagateurs ; — s'ils n'avaient eu nulle inspiration et nul enseignement pour composer leur dogme ; — s'ils ne comptaient pour le répandre sur nul secours du dehors ni d'en haut : — c'est en vérité ce que je ne, comprendrai jamais, et la hardiesse intellectuelle de leur conception, comme la hardiesse morale de leur entreprise, me parait constituer un problème insoluble. Dira-t-on que la philosophie préparait les voies au dogme chrétien, et que les apôtres puisaient leur doctrine dans les écrits des sages de l'époque ? Nous avons remarqué, sans doute, les rapprochements qui existent entre l'École et l'Église. Mais de l'une ou de l'autre, laquelle est le point de départ ? Le philosophe a-t-il parlé d'après l'apôtre, ou l'apôtre est-il le plagiaire du philosophe ? Il est facile d'en juger : est-ce dans l'école ou dans l'Église que ces idées communes se coordonnent, s'unissent, se rattachent à un principe qui leur donne force et les justifie, qu'elles forment en un mot une complète et logique unité ? Est-ce dans l'Église ou dans l'école que ces idées se présentent isolées, incohérentes, désunies, mêlées de notions impures et de contradictions manifestes, sans un principe qui les justifie, sans une logique qui les rassemble, sans un système qui les rende acceptables par son unité ? Nous avons dit toutes les contradictions, tous les embarras, toutes les misères de la philosophie. Nous avons fait voir combien elle est incomplète, comment elle vit d'emprunts, et subit tour à tour des influences contradictoires que ne gouvernent aucun principe supérieur. Le christianisme, au contraire, se présente à nous, dès son premier jour, un, entier, plein de consistance. Il est né complet, et, — nous réduirions-nous aux seuls monuments que l'Écriture sainte nous a conservés, nous trouverions encore dans les livres des apôtres, écrits cependant accidentels et en un certain sens fortuits, les traces d'une doctrine tout autrement d'accord avec elle-même que ne l'est, dans ses vagues et inconsistantes déclamations, la doctrine, si je puis l'appeler une doctrine, de Sénèque. La vérité chrétienne s'est produite au monde comme cette déesse du paganisme, oserai-je dire, tout adulte et tout armée. Or, celui qui marche derrière,
disait naïvement Michel-Ange, ne saurait passer
devant. L'imitateur reste toujours au-dessous du modèle, surtout s'il
imite sans bien comprendre, s'il saisit au hasard quelques conséquences dont
il ne sait pas atteindre le principe. Cette philosophie si défaillante et si
vague aurait-elle produit le christianisme si positif et si certain ? lui
aurait-elle donné, elle dont la morale est à la fois si exagérée et si
vicieuse, le solide fondement et l'admirable droiture de sa morale ? Elle qui
hésite sans cesse entre la foi à l'unité de l'Être divin et les
hallucinations du panthéisme, entre les croyances qui rapprochent l'homme de
Dieu et les opinions qui le ramènent vers la terre et vers le néant, entre la
notion de Non, ce qu'il y a de commun entre le néo-stoïcisme et la foi chrétienne a son origine dans le christianisme. La philosophie n'a jamais eu de chaire à Génésareth pour y instruire les bateliers galiléens ; mais le christianisme a prêché dans Rome avant même que la philosophie néo-stoïcienne osât y lever la tête. Les apôtres ne sont pas allés chercher les leçons des philosophes ; mais les philosophes ont pu, ils ont dû entendre les apôtres. Voyez, en effet. Sous Tibère et sous Caligula, la philosophie est morte, silencieuse du moins ; le néo-stoïcisme, nous l'avons vu, retrouve avec peine, sous des noms obscurs, sa douteuse origine ; Sénèque alors ne fait guère que de la rhétorique. — Mais, sous Claude (an 43), saint Pierre vient à Rome : le christianisme commence à être connu par les discussions qu'il excite entre les Juifs, et par les premières rigueurs du pouvoir impérial[45]. — Et bientôt après, dès le commencement de Néron, la philosophie se développe, comme par contrecoup ; elle parle haut, elle a ses représentants à la cour ; elle enfante Thraséa, Musonius, Sénèque. Suivons toujours l'ordre des dates. — En 52, saint Paul comparaît, en Achaïe, devant le proconsul Gallion, le frère même de Sénèque. — En 61, amené prisonnier à Rome, il est remis au préfet du prétoire Burrhus, le collègue et l'ami de Sénèque[46]. — Bientôt libre dans Rome, avec un soldat qui le garde, il reçoit, pendant deux années entières, tous ceux qui viennent à lui, annonçant le royaume de Dieu et prêchant Notre-Seigneur Jésus-Christ en toute confiance et sans empêchement[47]. — En 65, il comparaît deux fois devant Néron, à l'époque où Sénèque était en faveur à la cour. Il gagne des prosélytes dans le palais même de Néron[48] et, comme lui-même le dit, il rend ses chaînes glorieuses en Jésus-Christ dans tout le prétoire[49]. Sénèque curieux et à même de bien connaître, Sénèque qui était allé frapper à la porte de tous les maîtres, qui, à la fin de sa vie, fréquentait comme un simple disciple l'école du stoïcien Métronacte, Sénèque aurait-il dédaigné la parole de ce docteur juif ? ou saint Paul aurait-il repoussé Sénèque, lui qui se croyait débiteur envers les Grecs et envers les barbares, envers les ignorants et envers les sages ?[50] Cela ne se peut : les traces des notions chrétiennes sont
trop évidentes chez le philosophe. Sans doute, il n'a ni tout compris, ni
tout accepté ; et c'est une pieuse erreur, mais une erreur qui a voulu faire
de lui un vrai chrétien. Sans doute, le christianisme se distingue toujours
de cette philosophie plagiaire, comme le soleil du miroir qui lui a dérobé
quelques-uns de ses rayons, comme le fleuve du canal qui a été détourné de
son sein, comme l'arbre riche et fécond de l'arbre stérile et pauvre sur
lequel une de ses branches a été greffée. Mais les traces de l'emprunt n'en
sont pas moins évidentes. Non-seulement Sénèque tonnait les saintes Écritures
et semble plus d'une fois traduire Ce ne fut donc pas la philosophie qui put inspirer le christianisme ; mais la société, telle qu'elle était alors, put-elle l'aider et favoriser sa propagation ? Si le mouvement général des idées, si les lumières répandues dans le monde n'ont été pour rien dans ce qu'on voudrait appeler l'invention du christianisme, le mouvement des faits, l'état des mœurs, la condition des hommes, telle qu'elle était dans le monde romain, a-t-elle pu servir à la diffusion de la foi nouvelle ? Si le christianisme n'a pas cherché ses modèles parmi les penseurs du siècle, a-t-il du moins cherché dans la masse agissante, souffrante, passionnée, ses disciples et ses auxiliaires ? Nous en convenons : le christianisme pouvait le faire, et
un tel point d'appui n'était pas moins aisé à conquérir qu'utile à employer.
Nous savons assez combien est facile le succès des doctrines qui s'appuient
sur l'intérêt du grand nombre et lâchent la bride à son ressentiment ou à ses
appétits. Si le christianisme eût paru au monde, proclamant l'égalité absolue
dans la vie civile, la liberté de l'homme, l'indépendance des nations, les
droits du sujet contre le prince ; s'il eût promis richesse au prolétaire,
affranchissement à l'esclave, émancipation au citoyen ; s'il eût mis la
révolte en tête du code de ses devoirs, quelle admirable matière le monde ne
présentait-il pas à ses triomphes ! Il
y avait sujet d'insurrection, et sous le toit domestique contre le maitre, et
dans la cellule du pauvre contre le palais du riche, et dans le monde entier
contre Rome, et dans Rome contre César ! Et, si l'on doute de la puissance de
ces éléments de révolution, que l'on pense quels périls et quels troubles
avaient suscités dans l'empire un Spartacus armant les esclaves, un Catilina
appelant à lui les prolétaires, un Mithridate soulevant les provinces
conquises, un Brutus frappant César ! Si le christianisme, au lieu de se
contenter d'introduire dans les choses de ce monde le gouvernement de la
conscience, eût prétendu les gouverner par les principes universels, les
volontés menaçantes, les théories actives, les procédés violents des
révolutionnaires modernes ; si Mais rien de tout cela. Pierre ne veut être que le serviteur des serviteurs de Dieu. Ce que Dieu permet, il le subit, il l'accepte, il le révère. Quand des institutions, iniques dans leur principe, sont devenues la loi du monde, il ne les attaque pas. L'esclavage, l'infériorité du pauvre, la domination de Rome sur le monde, la puissance des Césars sur l'univers et sur Rome, lui apparaissent, sinon comme justes à leur origine, du moins comme nécessaires dans leurs conséquences et légitimées par la possession. Nulle part il ne les décrie, nulle part il ne pose en principe leur iniquité ; les déclarations de droits, les proclamations de principes sociaux ne sont pas à son usage. Que l'esclave ne vienne pas ici, ardent pour la liberté et impatient de s'affranchir : Pierre et Paul lui disent qu'il doit rester dans l'esclavage et demeurer soumis à son maitre tant qu'il ne pourra, par les voies légales, parvenir à la liberté[57]. Que le pauvre ne vienne pas, dévoré d'envie à la vue de la fortune du riche son voisin et plein du désir de s'en emparer : on lui dira qu'il faut souffrir, qu'il faut respecter le bien d'autrui, qu'il faut attendre ce que lui donnera le riche. Que le sujet irrité contre César, le patricien dénoncé par les délateurs, le provincial opprimé par les proconsuls, ne vienne pas proférer des plaintes, soulever des révoltes : Paul lui dira qu'il doit se soumettre, qu'il n'y a pas de puissance qui ne vienne de Dieu[58] ; qu'un roi, Néron lui-même, doit être obéi, non-seulement par crainte de la colère, mais par conscience[59]. Ainsi point de remède à attendre, point d'ambition à nourrir, point de liberté, de fortune, de volupté à espérer en ce monde. Et la ressource dernière du désespoir, le pouvoir, incontesté par les philosophes, de chercher, quand l'âme s'est épuisée à souffrir, le repos dans la mort, cette ressource-là même, cette épée libératrice, le christianisme la retire des mains de l'esclave. Pour toute consolation et pour toute joie, le christianisme lui impose sa dure et triste vertu, la résignation ; il lui offre d'imiter un Maître qui a porté la couronne d'épines et qui a marché sur les roches du calvaire, les épaules chargées d'une croix. Voilà comment il fait illusion à l'homme ; comment il encourage ses espérances, comment il le séduit, comment il enrôle sous son drapeau révolutionnaire ceux qui souffrent, ceux qui gémissent, ceux qui sont irrités. Et d'un autre côté, s'il ne flatte pas les pauvres, flattera-t-il davantage les riches dans leurs plaisirs, les puissants, dans leur oppression journalière, César dans sa tyrannie ? Si les lois générales de la société lui paraissent dignes de respect, par cela seul qu'elles sont générales, l'usage que l'homme peut faire de ces lois est un fait individuel sur lequel le christianisme a le droit d'interroger chaque conscience. Il ne discute pas les institutions, mais il juge les hommes. Il n'est pas venu redresser les torts de la société, mais il est venu reprendre les péchés de chacun de ceux qui la composent. Il dit sans crainte au maitre de ne pas mépriser son esclave, parce que Dieu est le maître de l'un et de l'autre[60]. Il dit au riche de ne pas s'enorgueillir de son anneau d'or et de ne pas traiter le pauvre avec dédain[61]. Quand il prie pour les princes, il ne demande point pour eux, comme ils sont accoutumés de le faire, les richesses et les plaisirs ; il demande plutôt ce dont ils ont besoin, la justice et la chasteté[62]. A tous il impose rudement et sans détours le devoir, s'ils sont avares, de faire l'aumône ; superbes et durs, d'être humbles et doux ; sensuels, de pratiquer le jeûne ; égoïstes, de courir aux échafauds. Il entreprend donc la tâche difficile et singulière de prêcher chacun contre son intérêt et ses passions ; l'esclave en faveur de l'esclavage, le maître en faveur de la liberté. Ce qu'il interdit au pauvre d'exiger ou de prétendre, il veut que le riche le donne volontairement. Et son triomphe, s'il triomphe, aura cela de merveilleux, que les institutions du paganisme, inattaquées par ceux qu'elles oppriment, seront abolies par ceux qui en profitent ; que l'esclave résigné à la servitude sera émancipé par les scrupules du maitre ; que le prolétaire humble et patient sera enrichi par la conversion du riche ; que César enfin, à la voix de ces apôtres qui plient la tête sous la tyrannie, se démettra de sa tyrannie ! Voilà quelles sont ses armes révolutionnaires, et comme il prétend changer la face du monde, enseignant la patience illimitée à ceux qui souffrent, le sacrifice volontaire à ceux qui jouissent. Mais alors qui sera donc pour lui ? Sans complaisance pour les puissants, sans espérance pour séduire les faibles, sur qui compte-t-il ? L'esclave versera-t-il son sang pour la servitude, le maître pour l'émancipation ? Les grands et les riches ne viennent point à lui, rebutés par la dureté de ses maximes, par son amour de l'humilité et de la souffrance : parmi les chrétiens, en effet, il n'y a ni beaucoup de sages selon la chair, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de nobles[63] ; le philosophe grec, le docteur juif, n'entrent guère dans l'assemblée chrétienne[64]. Et, d'un autre côté, les faibles et les petits auxquels le christianisme ne sait prêcher que la soumission et l'amour de leur misère, lui viendront-ils ? Factieux aux yeux des grands par cela seul qu'il ne concède rien à leurs vices, impopulaire auprès des petits en maintenant les institutions qui les oppriment, pour qui est-il donc ? Qui sera pour lui ? L'esclave auquel il interdit la fraude, la rébellion et la fuite, ou bien le maitre dont il reprend la débauche et l'arrogance ? Le pauvre auquel il ordonne de respecter le bien du riche, ou le riche auquel il ordonne de se dépouiller pour vêtir le pauvre ? Israël dont il s'éloigne en l'appelant impie et déicide, et dont il flétrit la révolte contre Rome comme une révolte contre Dieu, source d'épouvantables malheurs ; ou bien, Rome dont il se sépare également en séparant son culte du sien, en méconnaissant ses dieux, en criant tout haut que son Jupiter n'est que pierre, bois ou métal ? Tous les mécontents et les factieux auxquels il prescrit de respecter César, ou bien César qu'il refuse d'adorer ? Le malheureux auquel il interdit le suicide, ou l'heureux du siècle auquel il impose le martyre ? Personne, en effet, ne sera pour lui. Nul bras de chair ne s'élèvera pour sa défense. Les armes avec lesquelles nous combattons ne sont pas, dit saint Paul, les armes de la chair[65]. Nul secours matériel ne peut entrer dans ses calculs. Ni cette ambition guerrière et nationale que Mahomet a soulevée, ni ces mille passions, ces mille préventions, ces mille instincts que le protestantisme a su mettre en œuvre, ni ce facile ébranlement donné aux peuples par l'esprit révolutionnaire, les prêchant selon leurs désirs et transformant leurs appétits en maximes ; le christianisme n'a rien de tout cela pour lui. Et pourtant cette doctrine, prêchée depuis quarante ans à
peine, était sous Néron partout manifeste. J'ai déjà dit un mot' de cette
publicité du christianisme à sa naissance. C'est une grande erreur de croire
qu'il fut dans ces premières années obscur et ignoré. La persécution seule et
la persécution sanglante le força de descendre dans les catacombes. Jusque-là
il ne cherchait point l'éclat ; mais encore moins se cachait-il sous le voile
du secret. Ces prédications de saint Paul sur toutes les places et dans
toutes les assemblées de Dès les premiers jours aussi, non-seulement l'existence de
l'Église, mais son action fut visible. Je ne jette point les yeux sur les
siècles postérieurs ; je m'en tiens à ces quelques années de la prédication
apostolique, à cette première génération de chrétiens qui avait vécu en même
temps que le Fils de Dieu. Et je dis que, dès cette époque, la foi chrétienne
avait plus d'églises et plus d'évêques que la philosophie peut-être n'avait
jamais compté de maîtres ou d'écoles ; dès cette époque, l'Orient, Ce n'est pas assez : le christianisme agit dès ce temps, même sur le monde qui est resté païen. Il semble que le jour où la croix a touché Rome, Rome s'est sentie émue comme par une étincelle secrète dont elle méconnaissait l'origine. C'est depuis ce jour que les affranchissements se sont multipliés, que la condition d'esclave a commencé à s'adoucir, les rangs de la société à se niveler[69]. Depuis ce jour, des lois plus favorables à la femme ont brisé l'immiséricordieuse constitution de la famille romaine[70]. Depuis ce jour aussi, la philosophie est devenue ce que nous l'avons montrée, mêlée de vives lumières au milieu d'épaisses ténèbres, portant sur un tronc vieilli des fruits de vérité qui ne sont pas les siens. N'est-il pas maintenant assez clair que de la seule prédication chrétienne ont pu jaillir ces quelques vérités qui se mêlent aux erreurs du stoïcisme ? N'est-il pas assez clair que le christianisme embrasse et pénètre le monde même qui le persécute ? L'Église chrétienne vivifiait ainsi une société qui ne voulait pas d'elle. Il n'était pas nécessaire de s'être approché d'elle et d'avoir touché la frange de sa robe[71] pour sentir la vertu qui en sortait : elle faisait ce qu'avait fait son Maître ; elle faisait même plus encore[72] : et comme l'apôtre dont l'ombre seule. guérissait les malades qu'on avait placés sur son passage[73], il suffisait qu'elle eût jeté sur vous quelque ombre de sa vérité et de sa Vertu. Un fait demeure donc, un fait incontestable : c'est qu'une doctrine à laquelle personne ne songeait au temps d'Auguste, quarante ans plus tard, au temps de Néron, avait des disciples par milliers, — quatre cents ans plus tard était maîtresse du monde. —.J'oserais demander humblement qu'on m'expliquât ce qui a donc eu lieu dans ce court espace de quarante ans ? — quand cette doctrine est née ? en quel lieu ? dans quelle tête ? — avec quels éléments recueillis par la tradition ou par la science ? Ou, si elle est née sans éléments étrangers, par la puissance de quel génie ? —Comment cette doctrine, née, je ne dirai pas seulement dans les conditions ordinaires de la pensée humaine, mais dans un pays obscur, chez des hommes ignorants, sans voyage et sans lettres, a eu dès l'abord un caractère positif, défini, universel, complet, plus philosophique, en un mot, qu'aucune philosophie ? — Comment celte doctrine, si peu préparée par toutes les tendances des époques précédentes, a trouvé néanmoins accès dans toutes les cités ? — Comment cette doctrine, si contraire à toutes les idées, à tous les intérêts, à toutes les passions du siècle, a trouvé en si peu de jours autant de disciples ? — Et ces hommes, assez singuliers pour la croire, assez hardis pour se charger de la répandre, assez insensés pour le faire sans hésitation, sans réserve et sans crainte, assez étrangement heureux pour y réussir, quelle a donc été leur force, leur espérance, leur but, dans cette folie de la prédication, scandale pour les Juifs, démence pour les païens[74], dans l'enseignement de cette sagesse cachée que n'a connue aucun des princes de ce monde ?[75] L'explication humaine de ce fait est encore, pour me servir d'une expression qu'a adoptée l'esprit hésitant de notre siècle, un travail qui reste à faire. Il est vrai : on a discuté de près, et avec la plus minutieuse critique, les origines du christianisme, telles que les racontent les chrétiens. Mais ceux qui ont pris la peine de relever avec tant de soin les prétendues difficultés de cette histoire devraient bien à leur tour nous la donner telle qu'eux-mêmes la comprennent. Ils devraient nous dire une fois le mystère de la naissance et de la propagation du christianisme, ces deux faits si peu expliqués ; après avoir détruit notre erreur, il serait temps qu'ils nous donnassent le secret de leur vérité. Il serait temps que le récit succédât à la polémique, et que la sagesse de notre siècle abordât la question toute positive qu'à notre tour nous nous permettons de lui soumettre. Il serait temps que notre époque, dans sa philosophie et ses lumières, se tirât d'affaire mieux que Gibbon et tant d'autres, qui prennent le christianisme déjà adulte, tout viril et tout grandi, sans dire mot de sa naissance ; ils supposent qu'il est né sans dire comment. Cette grande phase humanitaire qu'on nomme le christianisme vaut la peine, ce me semble, qu'on en sache et qu'on en dise l'origine. Il serait même à propos de ne plus se servir de la ressource usée du mythe et du symbole, vague histoire par laquelle on prétend échapper à l'histoire positive, comme avec la phrase on croit pouvoir se dispenser du fait. Quarante années suffisent-elles donc pour transformer l'histoire en un conte populaire, le conte populaire en poésie, la poésie en une doctrine positive et sérieuse ? Et si une transformation aussi prompte fut jamais impossible, n'est-ce pas à l'époque de Claude et de Néron, la moins fraîche, la moins primitive, la moins populairement poétique de toutes les époques ? si bien que les hommes de ce siècle se vantent eux-mêmes de ce que la pensée, devenue toute positive, a cessé d'être poétique, de ce que la poésie ne va plus aux intelligences nouvelles comme elle allait à celles des anciens jours[76]. Une allégorie serait devenue un dogme, une fable vulgaire serait devenue la croyance des hommes sérieux, en un pareil siècle et en quarante ans. Quant à nous, — en attendant que les
princes de ce monde et les sages du siècle nous communiquent à ce
sujet leurs lumières, — ne craignons pas de le dire avec l'Apôtre : Le succès
du christianisme était impossible, l'entreprise absurde, la prédication
insensée. Et cependant, — si ce succès impossible a eu lieu, si cette
espérance absurde a été accomplie, si cette prédication insensée a renversé la sagesse des sages et condamné la science des
savants[77]
; la seule explication n'est-elle pas celle de l'Apôtre : que Dieu a voulu rendre folle la sagesse de ce monde[78] ; qu'il a choisi pour confondre les sages ce qui est insensé selon
le monde, pour confondre les forts ce qui est infirme selon le monde ; qu'il
a choisi ce qui est obscur et méprisable selon le monde, ce qui n'est pas pour
détruire ce qui est, afin que nulle chair ne se glorifie en sa présence ?[79] Mais ceci est un sujet sur lequel un jour, si Dieu le
permet, nous pourrons revenir. Il nous suffit d'avoir montré comment
s'engageait la lutte : lutte de quatre siècles, ou plutôt lutte de tous les
siècles ; lut te implacable et qui chaque jour devait apparaître plus
évidente. Chaque jour le polythéisme, l'idolâtrie, et, avec elles, ces deux
grandes plaies nées de l'idolâtrie, l'impureté qui flétrit les races
humaines, la haine qui les divise, les opprime et les tue, se montreront avec
une constante évidence. Chaque jour aussi, les trois caractères opposés de la
loi nouvelle, la foi pure qui en est la base, la chasteté et la charité qui
naissent de la foi, ces trois caractères apparaîtront dans la vie chrétienne,
non-plus parfaits ni plus purs, mais grâce à l'accroissement du nombre des
fidèles, plus éclatants et plus visibles. Ce seront d'un côté toutes les œuvres de la chair : fornication, impureté,
impudicité, luxure, servitude des idoles, empoisonnements, inimitiés,
disputes, jalousies, colères, querelles, dissensions, partis, envies,
homicides, enivrements, débauches et autres choses semblables[80] ; de l'autre
côté, ce seront tous les fruits de l'esprit : la
charité, la joie, la paix, la patience, la douceur, la bonté, la longanimité,
la mansuétude, la foi, la modestie, la continence, la chasteté[81]. Car dans la
société comme dans l'homme, la chair lutte toujours
contre l'esprit, l'esprit contre la chair[82], et le monde ne
pardonne pas à ceux qui ont crucifié leur chair avec
ses vices et ses convoitises[83]. Entre ces deux ennemis se plaçait la philosophie, rattachée au paganisme par son origine et par ses vices, au christianisme par certaines lainières qu'elle lui empruntait. Le christianisme et la philosophie grandissaient en même temps : l'un déjà plus populaire, l'autre plus éclatante ; l'un poursuivi sans rémission par un monde égoïste et sensuel, l'autre persécutée aussi, mais non sans exception et sans relâche ; différents surtout en ceci, que le christianisme tenait tout de lui-même ou plutôt de Dieu, et que la philosophie tenait du christianisme le peu de vérité qu'elle avait. Tous deux s'étaient trouvés en face des rigueurs
impériales. Rome était déjà tout empreinte du sang des martyrs ; Néron déjà
avait soutenu contre les philosophes une lutte ensanglantée. Paul, Pierre,
Barnabé avaient scellé leur foi par leur témoignage suprême, en même temps
que les Plautus, les Silanus, les Thraséa avaient payé par une mort inutile
la courte gloire de leur orgueilleuse vertu. Quand Néron fut tombé, la
philosophie revint d'exil, leva la tête, se mêla aux querelles des partis,
prétendit au pouvoir et finit par arriver. Le christianisme au contraire, qui
n'avait rien à faire au milieu des querelles de Les docteurs dans l'école succédèrent aux docteurs, comme dans l'Église les apôtres aux apôtres. En même temps que l'Église suivait son admirable carrière, dans laquelle les saints engendraient les saints et les martyrs naissaient des martyrs ; en même temps que les Ignace et les Clément sortaient des Paul et des Timothée, la philosophie morale du Portique, qui avait enfanté Sénèque, enfantait Épictète et Marc-Aurèle, qui tous deux gardent des traces évidentes de l'influence chrétienne et du voisinage de la foi. La philosophie théurgique ou pythagorique de Sotion ou de Sextius produisait Apollonius, son héros et son dieu : et plus tard devait sortir d'elle ce néo-platonisme alexandrin, suprême héritier de toutes les écoles antiques, dernier adversaire du christianisme, en même temps qu'il en fut l'imitateur. Comment cette lutte a-t-elle fini ? Chacun le sait. Mais il appartient, ce me semble, à notre sujet, de dire en terminant de quelle manière cette puissance romaine, dont nous avons admiré la grandeur et montré le déclin, entrait dans les desseins de Dieu pour la constitution de son Église ; et comment ce grand fait de la conquête, par un seul peuple, de tout l'univers civilisé se lie par mille rapports au fait unique -de la prédication de l'Évangile à tout, l'univers. Certes pour qui veut lire, l'anathème contre Rome païenne est éclatant dans les saintes lettres. Cette prostituée, qui a fait boire tous les rois et tous les peuples de la terre dans la coupe de son abomination, cette cité ivre du sang des martyrs de Jésus[84], cette Babylone au-dessus de laquelle l'ange tient suspendue la meule de pierre qu'il laissera tomber pour l'écraser[85], ne saurait échapper aux véritables et justes jugements de Dieu[86]. Dieu se souviendra d'elle pour lui donner le calice de sa colère[87]. Ces rois viendront, que l'apôtre avait vus dans son exil de Patmos ; ils se réuniront de tous les bouts de la terre au grand jour du Dieu tout-puissant[88]. En un même jour viendront sur elle toutes les plaies : la mort, le deuil, la faim et le feu, parce qu'il est puissant le Dieu qui la jugera[89]. Et cependant, quels ne sont pas sur cette cité mystérieuse les ineffables desseins du Seigneur ? Rome sort de ses ruines et de la main des Vandales, pour régner une seconde fois sur le monde. Rome purifiée par le feu et le sang, Rome sanctifiée par un pouvoir tout divin, verra s'accomplir dans un sens plus élevé les téméraires oracles de ses prophètes. Ses empereurs l'ont quittée ; les Césars n'ont pas compris qu'il fallait rester là où, sur des siècles de gloire païenne, s'élevait une puissance nouvelle, éternelle comme la foi. En se jetant vers l'Orient, ils ont brisé l'unité de l'empire, ils ont rompu cette soudure que la puissance romaine avait formée entre l'Orient et l'Occident ; ils ont présenté aux incursions des barbares une monarchie à deux têtes, affaiblie et désarmée. Mais, si Rome n'a pas gardé le successeur d'Auguste, Rome a gardé le successeur de Pierre. Constantin et Dioclétien avant lut, ont pu porter ailleurs une souveraineté prête à faillir ; mais les chefs de l'Église ont compris, par un instinct de leur génie, que cette ville flétrie par tant de crimes, si païenne encore et si pleine de regrets pour ses idoles, était cependant la ville où il fallait rester. Ils ont compris que là était leur place, au pied de ces Alpes qu'allaient bientôt traverser les barbares, les premiers sur le chemin de ce torrent qui débordait sur le monde, à la tôle de cet Occident qui seul devait conserver le dépôt de la civilisation et de la foi. Une pensée antichrétienne a trop souvent présidé à la politique des Césars de Constantinople, animés contre les pontifes d'un esprit de folle révolte et de jalouse indépendance, théologiens captieux et persécuteurs, et à la fin précipités dans le schisme qui brisa la force de leur empire en le séparant de la civilisation et de l'unité catholique. Une pensée toute chrétienne, au contraire, inspira la papauté ; elle sentit que dans Rome résidait l'unité du monde, que Rome était le centre marqué par le doigt de Dieu, auquel les peuples devaient se rattacher ; la papauté est restée dans Rome pour sauver l'Occident et le monde. Ainsi, encore une fois, les oracles païens n'avaient pas
été menteurs : Virgile en promettant à la cité reine un empire sans fin, avait été bien autrement
prophète qu'il ne pouvait le croire. Rome représentait toujours la force, la
sublimité, la grandeur (ρώμη) ; Rome était
toujours la puissante mère dont l'abondante mamelle (ruma) devait donner
aux peuples la lait de la civilisation et de la foi. A un degré bien plus
haut, et dans un ordre d'idées bien supérieur, Rome chrétienne nous apparaît
avec les mêmes vertus et le même génie que, selon saint Augustin[90], Dieu récompensa
dans Et, par cette sagesse de son gouvernement, elle devint, à
son tour, comme Par cette sagesse de son gouvernement, ou, pour mieux dire, par la toute-puissante parole du Christ, Rome est devenue une seconde fois la patrie commune, la métropole et le centre du monde ; la cité libérale ouverte à tous, et qui donne à tous les peuples le droit de monter à ses dignités ; la cité hiérarchique dans laquelle tous les rangs sont réglés par une loi sainte, tous les ordres s'échelonnent et se répondent ; la cité universelle, hors de laquelle personne ne demeure, si ce n'est par sa faute ; qui admet, non-seulement l'étranger, comme l'admettait l'ancienne Rome, mais le barbare, non-seulement l'homme libre, mais l'esclave. C'est bien elle qui, non comme une maîtresse, mais comme une mère, a réchauffé le genre humain dans son sein[91] ; c'est elle qui à nommé citoyens ceux qu'elle avait vaincus ; c'est bien elle dont on peut dire : Heureux les pécheurs de devenir ses sujets et ses captifs ![92] Et c'est ainsi que, depuis vingt siècles, la royauté du
monde se continue sur les bords du Tibre. Cette royauté permanente de la cité
de Romulus est écrite même dans sa physionomie extérieure. Quand on se
promène au milieu des débris de sa grandeur passée et des monuments de sa
grandeur présente, on est frappé du caractère solennel et royal qui
appartient aux uns comme aux autres. Tout n'y est pas également beau et pur ;
presque rien n'y est élégant ; rien n'y est léger : mais tout, jusqu'aux
moindres choses, y est digne, durable, imposant. L'architecture gothique,
avec ses frêles arceaux et ses découpures à jour, n'avait que faire sous le
ciel et sur le sol de Rome. L'architecture ici est bien plus volontiers
lourde qu'elle n'est frêle et déliée ; il lui faut un ciment indestructible ;
il lui faut une base carrée et massive, mais qui tienne bon pendant des
siècles ; il lui faut des voûtes inébranlables, qui montent au ciel, mais que
les oscillations de la terre ne renverseront pas. Il lui faut le dôme
colossal de Saint-Pierre ou les ruines colossales de l'amphithéâtre. Toute
chose, même dans sa pesanteur et dans sa masse, y porte te sceau de la
royauté. Et, lorsque des esprits chagrins, dans l'Église ou hors de l'Église,
reprochent aux papes le soin qu'ils ont eu et qu'ils ont encore des débris de
Et ce qui est vrai des pierres est vrai des hommes.
Certes, quand Duclos appelait les habitants de Ainsi Rome a été faite pour être toujours, d'une façon ou d'autre, capitale du monde ; elle n'existe qu'à cette condition. Rome, dont le voisinage immédiat est depuis deux mille ans infertile, Rome, qui n'a jamais connu ni l'industrie ni le commerce, Rome ne peut vivre matériellement que par une force politique ou morale qui lui attire les hommages, non pas seulement d'un pays, mais de l'univers. Le jour où cette souveraineté lui a été momentanément retirée par la translation du Saint-Siège à Avignon, Rome s'est mise à dépérir ; le jour où cette souveraineté lui serait encore retirée, Rome marcherait vers une ruine prompte et inévitable ; elle finirait par être effacée du monde comme inutile[93]. Mais il faudrait dire maintenant comment les vertus et les
gloires de l'ancienne Rome se sont trouvées doublées, agrandies, disons
mieux, sanctifiées dans Aussi, cette loi de progrès, d'égalité, de civilisation, que les peuples avaient espérée de Rome païenne, c'est de Rome chrétienne qu'ils l'ont obtenue. C'est, elle qu'il appartenait de porter, sur les plaies de l'antagonisme païen, le baume que l'ancienne Rome s'était si follement vantée de posséder ; de relever le sentiment humain, sans anéantir la force du lien politique ; de rétablir la justice dans les lois et l'humanité dans les mœurs, sans ébranler la vertu des peuples et leur morale ; d'émanciper l'esclave, sans mettre l'homme libre en danger ; d'affranchir la femme, sans lui enseigner le mépris du mariage. Car elle seule connaissait, et pour la vertu des hommes une base nouvelle, et pour la société humaine un tout autre fondement, et pour l'homme une tout autre sûreté, et pour le mariage une dignité tout autre et un tout autre respect. De cette ville qui avait enseigné au monde l'inhumanité et
la corruption, partirent donc toutes les notions et tous les préceptes qui
adoucirent et qui réformèrent les mœurs, qui firent disparaître la cruauté
des supplices, qui supprimèrent les combats de gladiateurs, qui ennoblirent
la femme, qui donnèrent au mariage sa sainteté et sa perpétuité. Dans ces
amphithéâtres, souillés de sang, dans ces temples témoins d'impurs mystères,
elle planta l'image du Dieu de charité et le culte de Sous le sceptre de l'antique Rome, l'art, la poésie,
l'éloquence, loin de se développer par l'union de tant de peuples, avaient
plutôt tendu à se dégrader. Sous le règne de En un mot, l'antique Rome gouvernait par une loi égoïste
un monde essentiellement ennemi de lui-même ; Ainsi, Rome pauvre, faible, désarmée, a fait ce que Rome puissante, riche, belliqueuse, n'avait ni su, ni pu, ni osé faire. Ainsi s'est transformé et sanctifié ce pouvoir, auquel, depuis plus de deux mille ans, appartient la suprématie matérielle ou spirituelle sur le monde civilisé. Ainsi, la parole dominatrice n'a pas cessé de descendre des sept collines, glorieuses du noble sang de ces apôtres qui ont été, comme le chante l'Église universelle, les princes d'une royauté plus grande et plus vraie, et les fondateurs de Rome régénérée[96]. Il y a plus : l'ordre qui venait du Capitole ne passait pas l'Euphrate ni le Danube ; la voix qui descend du Vatican se fait entendre aujourd'hui par delà des mers dont les Césars ne soupçonnaient pas l'existence, et l'empire romain nous parait bien petit, quand nous dessinons son circuit sur la carte du monde chrétien. |
[1] Psalm., XI, 1. Jérémie, XII, 11.
[2] Romains, I, 18, 20.
[3] Actes apost., XXVII, 23. Pausanias, I, 6.
[4] Aulu-Gelle, I, 28.
[5] Lactance, Inst., III, 5.
[6] Tertullien, de Testimonio animæ, 2. Voyez encore sur cet usage vulgaire du nom de Dieu chez les païens, saint Cyprien, de Vanitate idolorum, p. 10 et 11 (Éd. Oxoniana).
[7] Lactance, II, 1.
[8] Romains, I, 21.
[9]
Platon, in Phædone. — Nul ne peut nous instruire si Dieu ne le dirige. Id., Lettre.
[10] Platon, in Epimenide.
[11] Platon, Alcibiade, II.
[12] Platon, in Apolog. Socratis.
[13] Platon, Alcibiade, II.
[14] Apud Augustin, Civ. Dei, VIII, 23.
[15]
Suet., in Aug., 31. Dion, LIV, p. 531. V. aussi ce que fit Tibère,
cachant ce livre avec soin et.se tenant en garde contre les oracles sibyllins
vrais ou faux qui couraient le monde. Tacite, Annal., I, 76 ; VI, 12. Dion, LVII, p. 615. B.
[16] Suet., in Ner., 40.
[17] Orose.
[18]
Josèphe, de Bello, III, 14, 27 ; VI, 5, 31 ; VII, 12. Eusèbe, Hist.,
III, 8. — Hégésippe, de Excidio hierosoly., V, 44. Suet., in Vesp., 5.
[19] Suet., in Vesp., 4.
[20] Suet., in Vesp., 4. —
Tacite, Hist., V, 13.
[21] Suet., in Aug., 91. Au temps de la naissance d'Auguste.
[22] Virgile, Bucoliques, Églogue IV, 7.
[23] Virgile, Bucoliques, Églogue IV, 49.
[24] Virgile, Bucoliques, Églogue IV, 61-63.
Matri longa decem tulerunt fastidia menses.
Incipe, parve puer : oui non risere parentes,
Nec deus hunc mensa, dea nec dignata cubili est.
Sur le sens de ces deux derniers vers, V. entre autres Quintilien, IX, 3. J'en aurais trop à dire sur cette Églogue de Virgile qui certes est un des monuments les plus curieux de l'antiquité. Je renvoie à l'appendice D à la fin du volume.
[25]
V. entre autres Clément d'Alex., Protrepticon, 2. Macrobe, in Somn. Scipionis, I, 2.
[26] Violation du temple de Delphes par Néron ; des oracles d'Italie, entre autres Préneste, par Tibère. Suet., in Tiber., 63.
[27] Plutarque, de Oracul. défect. Cicéron, de Divinatione, I, 19 ; II, 57. Lucain, Pharsale, V, 303 et s.
[28] Plutarque, de Oracul. defect. Strabon, XVII.
[29] Oracles de Ptoüs, d'Amphiaraüs, de Tégyre, etc., muets au temps de Plutarque. Ibid. — L'oracle de Mopsus et d'Amphilochus, à Mallus en Cilicie, le plus sûr de tous, selon Pausanias (I, 34, et Plutarque, ibid., 45) ; selon Lucien, il se vend pour deux oboles. Deorum concil., 12 ; Philopseudes. — L'oracle d'Adrasté cessa depuis la translation du temple, l'oracle de Zéléia aussi. Strabon, XIII. Décadence des oracles en général. Id., XVI, XVII. Properce, II, 6, 635 ; III, 13, 47. — Sur l'oracle de Préneste, Cicéron, Div., II, 41. Suet., in Tiber., 63. Properce, II, 23 ; V, 41.
[30] Lucain, Pharsale, V, 113-114.
.....Postquam regel timuere futura,
Et superbos vetuere loqui......
[31] Cicéron, de Div., I, 19.
[32] Cicéron, de Div., II, 57.
[33] Comme preuve de la décadence des oracles, on peut citer les réponses dérisoires que les inscriptions nous ont conservées : Cur petis post tempus consilium ? — Nunc me rogitas, nunc consulis, tempus habuit (abiit). — Corrigi via tandem quod corvum (curvum) factum est crede. — Consulis stulte. (Orelli, 2485.) V. Plutarque, de Oracul. defect., 44, et Lucain :
. . . . . . . .
. . Seu spiritus istas
Destituit fauces, mundique in devia versum
Duxit iter . . . . . . . . . . . .
[34] Plutarque, de Oracul. defect., 14.
[35] Luc, II, 8 et s.
[36] Actes, XVII, 21.
[37] Actes, XVII, 21.
[38] Romains, I, 24, 28.
[39] Romains, I, 31.
[40] Psaume CII.
[41]
De Nazareth peut-il venir quelque chose de bon ?
(Jean, I, 46.) — Le Christ vient-il donc de
Galilée ?... Scrutez les Écritures, et vous
verrez qu'il ne doit pas s'élever de prophète en Galilée. VII, 41, 52.
[42] Ab
indoctis hominibus scriptæ sunt res vestræ... barbarismis obsitæ. (Arnobe, I, 39.)
[43] Hommes sans lettres, ignorants. Actes, IV, 13. — Le païen Celse dit la même chose. Origène, contra Celsum, I, 26, 62 ; II, 46. — Voir aussi Julien, apud Cyrill., VI.
[44] Actes apost., XVII, 23.
[45] Actes, XXVIII, 12 et s.
[46]
V. le texte grec des Actes, XXVIII, 16 : Le
centurion remit les prisonniers au préfet du prétoire. (Cette phrase est
omise dans
[47] Actes, XXVIII, 16, 30, 31.
[48] Salutant vos omnes sancti, maxime qui de domo Cæsaris sunt. (Philippiens, IV, 22.)
[49] Philippiens, I, 12, 13, 14. — Sur tout ceci, V. l'excellent Mémoire de M l'abbé Greppo, sur les Chrétiens de la maison de Néron (Paris, 1810) ; l'ouvrage de M. Fleury, saint Paul et Sénèque, et quelques indications dans l'appendice C à la fin du volume.
Ajoutez la curieuse découverte qu'a faite M. de Rossi d'inscriptions lapidaires de plusieurs personnages du nom d'Annæus (on sait que ce nom est celui de Sénèque), avec les surnoms évidemment chrétiens de Petrus et Petrus Paulus. V. Bulletin d'archéologie chrétienne. — Revue archéologique, 1867, t. I. (On a cependant voulu contester le caractère chrétien du double surnom Petrus Paulus passe pour Paulus qui est un nom romain, mais, pour Petrus, jamais certes ce nom ne fut donné à un païen, et l'union des deux surnoms est une preuve plus évidente encore du christianisme.) 1876.
[50] Romains, I, 14.
[51] Reprehendit (Seneca) sacramenta Judæorum et maxime Sabbat, inutiliter id eos facere adfirmans... (Augustin, de Civ. Dei, VI, 11.) Subjecit tamen sententiam qua significaret quod de illorum særamentorum ratione sentiret : Illi tamen causas ritus sui noverunt ; major pars populi facit quod cur facit ignorat. (Id., ibid.) — Accendere aliquem lucernam Sabbatis prohibeamus. (Senec., Ép. 95.)
[52] Tertullien, de Anima, 20. Saint Jérôme va plus loin et dit : Noster Seneca. (Adv. Jovinian., I.)
[53] Ainsi le mot de chair, pris dans le sens chrétien. Ad Marciani, 24, p. 102, 122 ; transfigurari, Ép. 6, 94.
[54] Tacite, Annal., XV, 45.
Ajoutez aux passages de Sénèque (Ép. 14, 78, 85, 102), celui-ci que nous a conservé Lactance : L'homme de bien, quand il voit la mort devant lui, ne se trouble pas comme si c'était pour lui une chose nouvelle. Qu'il faille souffrir dans tout son corps, qu'il faille sentir la flamme dans sa gorge (sive flamma ore recipienda sis, comme les martyrs de Néron), qu'il faille étendre ses bras sur un gibet, il ne se demande pas ce qu'il doit souffrir, mais avec quel courage il doit souffrir. Aussi Lactance ajoute-t-il : Celui qui adore Dieu souffre sans crainte tous ces tourments. Lactance, Div. Inst., VI, 17.
[55] A moins (ce que je ne pense pas) qu'il ne faille entendre des chrétiens et non des Juifs le passage suivant : Cum interim usque eo sceleratissimæ gentis consuetudo convaluit, ut per omnes terras jam recepta sit. Victi victoribus leges dederunt. (Apud Augustin, loc. cit.)
[56] De Civit. Dei, VI, 11. Christianos jam tum Judæis inimicissimos in neutram partem commemorare ausus est, ne vel laudaret contra patriæ consuetudinem, vel reprehenderet contra suam forsitan voluntatem.
[57] Eph., VI, 5, 8 ;
[58] Romains, XIII, 1.
[59] Non
solum propter iram, sed etiam propter conscientiam.
(V. Rom., XIII, 1-7 ; I Tim., II, 1, 2 ; Tit., III, 1 ; I Petr.,
II, 13-15, 17.)
[60] Éphésiens, VI, 9.
[61] Jacques, II, 2, 3, 4.
[62] Timothée, II, 1, 2.
[63] I Corinthiens, I, 26.
[64] I Corinthiens, 20.
[65] II Corinthiens, X, 3, 4.
[66] Actes apost., XXVIII, 22.
[67] Tacite, Annal., XV, 44.
[68] Actes apost., XXVI, 26.
[69] An de J.-C. 47.
[70] Loi qui admet la mère à la succession de ses enfants. Loi qui décharge la femme de la tutelle des agnats.
[71] Matthieu, IX, 20, 22. Marc, V, 30. — V. aussi VI, 56 ; Luc, VIII, 44-48.
[72] Jean, XII, 24.
[73] Actes apost., V, 15.
[74] I Corinthiens, 21.
[75] II Corinthiens, 6, 8.
[76] Il fut un temps, dit très-bien Plutarque, où les vers, le rythme, les chants étaient pour les hommes comme la monnaie du discours. Toute histoire, toute philosophie, tout événement, toute pensée, à laquelle peut s'appliquer l'éloquence, était consacrée par la poésie et par la musique. (C'est bien là la poésie primitive, populaire, mythique.) C'est ce que peu d'hommes comprennent aujourd'hui ; tous alors aimaient à l'entendre, bergers, laboureurs, oiseleurs, comme dit Pindare. Grâce à la disposition poétique de ces siècles, le chant et la lyre servaient à corriger les mœurs... à louer les dieux... Mais lorsque, avec les événements et les hommes, la coutume a changé, quand l'homme a rejeté d'inutiles parures, déposé sa longue robe, coupé son abondante chevelure et sorti ses pieds du cothurne, quand il a appris, non sans raison, à opposer au luxe une vie frugale, quand il s'est cru mieux paré par un vêtement simple que par une vaine et impertinente recherche : la forme de son discours a changé aussi ; l'histoire est descendue de son char poétique, et le langage de la prose a servi à distinguer la vérité des fables. La philosophie à son tour, cherchant une doctrine puissante et sage plutôt qu'un langage propre à. émouvoir les imaginations, la philosophie n'a plus soumis son langage à la cadence des vers. Plutarque, De Pythiæ oraculis, (seu Quare Pythia verso non respondeat), ch. 23, 25 (7)... Et remarquez que Plutarque considère ce changement comme un progrès de la civilisation : Un tel changement, dit-il, est un bien pour les hommes.
[77] I Corinthiens, I, 19.
[78] I Corinthiens, I, 20.
[79] Corinthiens, I, 21-29.
[80] Galates, V, 19-21. — Saint Pierre dit aussi, en parlant des païens : His qui ambulaverunt in luxuriis, desideriis, violentiis, comessationibus, potationibus, et illicitis idolorum cultibus. (I Petr., IV, 3.)
[81] Galates, V, 22, 23.
[82] Galates, V, 17.
[83] Galates, V, 24.
[84] Apocalypse, XVII, 7.
[85] Apocalypse, XVIII, 21.
[86] Apocalypse, XIX, 2.
[87] Apocalypse, XVI, 19.
[88] Apocalypse, XVI, 14.
[89] Apocalypse, XVIII, 8.
[90]
V. lettre 217 et
[91] Qu'il me soit permis de reproduire ici les citations que je faisais plus haut et qui s'appliquent ici d'une manière remarquable :
Humanumque genus communi nomine fovit,
Matris, non dominæ, ritu ; civesque vocavit
Quos domuit...
(CLAUDIEN.)
[92] Profuit injustis te dominante tapi. (RUTILIUS.)
[93] J'écrivais ceci en 1843 et n'ai pas à le changer (octobre 1867). Encore moins aujourd'hui, (juillet 1876.)
[94] II, Cor., X, 4, 5.
[95] Psalm., CXXVII, v. 2.
[96] Hymne pour le jour de saint Pierre et de saint Paul.
O Roma felix, quæ duorum principum
Es consecrata glorioso sanguine,
Horum cruore purpurata, cæteras
Excedis orbis una pulchritudines.