LES CÉSARS JUSQU'À NÉRON

TABLEAU DU MONDE ROMAIN SOUS LES PREMIERS EMPEREURS

LIVRE TROISIÈME — DES MŒURS

CHAPITRE IV. — RÉSUMÉ ET CONCLUSION.

 

 

Ainsi, en finissant, nous retrouvons sur le théâtre l'inhumanité et la corruption que l'histoire des Césars nous a montrées assises sur le trône. L'inhumanité et la corruption sont les deux grands signes auxquels la civilisation païenne est marquée sur toutes ses faces.

Dès la première partie de ce travail, leur perpétuel rapprochement qui remonte aux plus anciens jours du polythéisme, s'est montré à nos yeux. La carnificine de Tibère touchait aux cellules infâmes de Caprée : à leur tour, Caligula, Claude, Néron, le premier avec démence, le second avec imbécillité, le troisième avec recherche et calcul, furent également sanguinaires et impurs.

Bientôt, nous avons vu l'inhumanité et la corruption innées, pour ainsi dire, dans les religions idolâtriques et dérivant du premier principe du paganisme ; nous avons dit comment les traditions, les cérémonies, les sacrifices autorisaient, encourageaient, commandaient la débauche et le meurtre[1]. — Nous avons dit ensuite quelles conséquences pratiques résultaient d'un tel entraînement religieux : comment le maître sur l'esclave, le patron sur le client, le pouvoir sur le sujet, le père de famille sur le fils, exerçaient, et la tyrannique action d'un despotisme qui n'était limité que par la peur, et cette prédication corruptrice qui enseignait le libertinage par l'exemple, par l'intérêt, par l'autorité même du commandement. — Nous avons fait voir comment toutes les relations sociales étaient entachées d'esclavage et d'oppression[2], toutes les relations de famille corrompues par la licence des mœurs[3]. — Puis, arrivant au côté intellectuel des choses humaines, à ces loisirs de l'esprit qui sont dignes d'observation, ne serait-ce que comme symptômes, aux arts, aux lettres, aux sciences ; nous avons montré, d'un côté, comment l'égoïsme et le mépris de l'humanité ôtaient à la science son caractère général, utile, universel ; de l'autre, comment l'impureté des mœurs corrompait l'art en rapetissant son but, en dépravant ses traditions, en rendant son succès trop facile[4]. — Et enfin, dans les spectacles où se trahissent au plus haut degré, pour l'antiquité surtout, toutes les passions et tous les vices, nous avons retrouvé une dernière fois le principe inhumain et le principe impur étroitement unis l'un à l'autre ; la volupté perdant tout son prix si elle n'est assaisonnée par l'effusion du sang, et le meurtre passant pour un divertissement grossier, s'il n'est tempéré par la débauche.

Faisons ici en passant une remarque que l'on ne fait pas assez. Cette double tendance, impure et sanguinaire, loin d'être adoucie en général par les progrès de la civilisation et une conduite plus raisonnée des choses humaines, n'en était que fortifiée. Ce que les époques barbares avaient fait par superstition et par instinct, les époques civilisées le faisaient par politique et par calcul. Le prince de ce monde qui avait su faire de l'inhumanité et de la débauche un devoir religieux, savait bien en faire aussi un acte de sagesse politique. Cet ennemi des générations humaines avait inspiré aux cités de la Grèce la crainte de voir se multiplier le nombre de leurs citoyens ; il avait ses raisons pour cela. Aussi voyons-nous sages, philosophes, législateurs, admettre tous qu'un petit nombre de familles seulement, en dehors des étrangers et des esclaves, peuvent former un état libre et prospère. Platon, dans son livre des Lois, fixe le nombre des citoyens à 5.040[5]. Or, pour empêcher les hommes de se multiplier et de former des familles nouvelles qu'y avait-il faire ? Les empêcher de naître ou les abattre à leur naissance. De là ces prescriptions législatives et philosophiques en faveur de la débauche, ces honneurs rendus aux vices qui dépeuplent les cités[6] : l'effroyable corruption de la Grèce, inconnue aux temps barbares, fut l'œuvre, on peut le dire, et l'œuvre préméditée des philosophes et des législateurs. — De là aussi, la dureté envers l'étranger, la cruauté envers l'esclave, parce que l'étranger et l'esclave, traités doucement, eussent pu finir par se glisser dans la cité ; de là surtout l'avortement, l'infanticide, l'exposition des nouveau-nés, permis, encouragés, commandés par les politiques et par les sages[7]. de veux bien ici ne pas faire un retour sur les temps modernes, et ne pas rappeler que la même horreur pour les générations humaines, le même appel fait pour les anéantir à l'infanticide et à la débauche, est de nouveau, au sein de nos sociétés jadis chrétiennes, l'enseignement ide quelques soi-disant philosophes, le crime de quelques législateurs, et trop souvent par malheur la tendance des populations.

Que ces institutions et ces mœurs portassent leur fruit ; que les cités ne vissent pas s'augmenter le nombre de leurs citoyens ; qu'elles le vissent diminuer, au contraire ; qu'elles vissent, en même temps, leur énergie physique et morale s'affaiblir ; que les nations païennes eussent par conséquent une prompte décadence : il ne faut pas s'en étonner. Auguste comprit le mal et voulut y remédier. Nous avons parlé ailleurs de cette tentative du premier empereur romain en faveur du mariage et de la population, tentative trop justifiée, mais malheureusement impuissante.

Ce double fléau de l'inhumanité et de la corruption nous a donc occupés bien souvent, et cependant nous n'avons pas encore tout dit.

Ainsi, en fait d'humanité, — quoique nous ayons parlé de l'esclavage, des combats de gladiateurs, du gouvernement des Césars, il nous resterait encore bien des plaies à révéler. — Nous n'avons pas dit quelle mince valeur avait la vie d'un homme selon la morale publique et officielle du genre humain. Nous n'avons point parlé du droit de mort sur le vaincu et le captif, droit incontesté par les philosophes, et dont l'esclavage n'était, disait-on, qu'une miséricordieuse application[8]. Jules César, cet adversaire si clément, fait traiter en ennemis[9], c'est-à-dire tuer ou réduire en esclavage quatre mille Helvétiens vaincus ; à des milliers d'autres, il fait couper les deux mains[10]. Germanicus, ce jeune héros, idole de Rome et de Tacite, Germanicus, à la fin d'un combat, supplie ses soldats de ne pas cesser le carnage : Nous n'avons pas besoin de captifs, leur dit-il, et l'extermination seule fera justice de ces rebelles[11].

Nous n'avons pas dit non plus comment le droit de vie et de mort du père de famille, tombé en désuétude quant à l'adulte, subsistait tout entier quant à l'enfant nouveau-né ; la loi ordonnait même de tuer l'enfant mal conformé[12]. Quand un enfant venait de naître, on l'étendait aux pieds du père de famille. Si celui-ci le reconnaissait et l'acceptait comme sien, il le prenait dans ses bras (suscipiebat ; de là cette locution : liberos suscipere). Si, au contraire, il le laissait par terre, l'enfant était jeté au Vélabre[13], où parfois la pitié le recueillait[14], où plus souvent encore la faim lui donnait la mort, où quelquefois aussi la cupidité le ramassait, l'estropiait et l'envoyait mendier au profit d'un spéculateur. Disposer ainsi de sa postérité s'appelait limiter le nombre de ses enfants[15]. On le limitait encore par la pratique odieuse des avortements, que nous attestent et les aveux des païens[16] et les reproches du christianisme naissant[17].

Je n'ai rien dit enfin du pouvoir absolu que le souverain exerçait sur la vie de l'homme, non pas seulement dans les grandes colères du despotisme et dans le cours de ses vengeances politiques, mais dans la marche habituelle des affaires et dans la police de tous les jours. Quand Tibère voulut supprimer à Rome le judaïsme et le culte égyptien, quatre mille affranchis, coupables d'avoir pratiqué ces religions, furent transportés en Sardaigne, pour y servir contre les brigands : le climat, il est vrai, pouvait leur être fatal ; mais s'ils périssent, disait-on, la perte sera légère[18]. Quand saint Paul et ses compagnons sont conduits devant Néron, et que le vaisseau qui les porte est prêt à faire naufrage, les soldats, craignant que dans la tempête leurs prisonniers, non pas condamnés, mais accusés seulement, ne leur échappent, proposent au centurion, par forme de précaution, de les tuer[19]. Néron, dans ses expériences de magie, met des hommes à mort pour s'instruire, et, selon le témoignage du médecin Celse, des rois envoyèrent à des médecins des hommes à disséquer tout vivants[20].

Ce n'est pas tout, et il nous resterait à montrer en bien d'autres circonstances, jusqu'à quel point la vie de l'homme était à bon marché ; comment la religion obtenait encore des holocaustes humains, dans l'intérieur même des maisons romaines, s'il faut en croire Juvénal[21] ; comment la magie, même hors du palais de Néron, avait ses victimes[22] ; comment à l'amphithéâtre, des hommes allaient boire, en vertu de je ne sais quelle prescription médicale, le sang du gladiateur mourant ; comment d'autres mangeaient son foie[23] ; comment on s'assurait parfois la discrétion d'un esclave, tout simplement en lui coupant la langue[24].

Quant à l'infamie des mœurs, — n'avons-nous pas tout dit quand nous avons peint et la corruption religieuse qui plaçait la débauche dans le sanctuaire, et la corruption impériale qui la faisait trôner dans le palais, et la corruption domestique qui l'installait dans la maison ? Et quel ne devait pas être Son empire, lorsque Ceux que l'on désignait publiquement comme souillés de tels vices n'étaient pas seulement quelques aventuriers obscurs et quelques hommes rejetés par le monde, mais tous les grands hommes, tees les législateurs, tous les sages, tous les philosophes, le pourrais ajouter tous les dieux ? Ceux même qui blâment, comme Platon ou Cicéron, sont-ils sans reproche[25] ? La publicité de ces désordres en est le plus effrayant symptôme. La débauche ne se tenait pas dans un réduit caché, elle était un des hôtes officiels de la maison ; elle y était patentée et organisée, en présente des serviteurs, en face de la mère, sous l'œil des enfants[26] ; elle devenait même Une solennelle et monstrueuse dérision du mariage[27]. Partout Inscrite et partout évidente, au Forum, dans let tues, sur les boutiques, sur les fontaines, sur les tombeaux, sur les trépieds qui servaient au culte des dieux, sur les amulettes que portaient au cou les enfants ou les femmes ; Pompéi déterrée nous la fait lire à chaque pas.

Quelques modernes, il est vrai, ont supposé que des notions de décence, d'une nature différente des nôtres, empêchaient la pudeur antique de s'offenser de ce qui offenserait notre pudeur. Rien n'est moins vrai ; le sentiment qui se révolte contre le mal et qui le condamne, plus souvent étouffé qu'aujourd'hui, était cependant de même nature. Dans la pureté des mœurs romaines, les lois assuraient à la matrone le même respect que la morale et la bienséance font observer envers la femme chrétienne. Aristote proscrivant les images obscènes, et Cicéron soutenant contre les cyniques la cause de la bienséance, partent des mêmes principes et se fondent sur les mêmes sentiments que nous.

Non, il ne faut voir en ces horribles plaies d'autre cause et d'autre principe que ceux que nous avons fait connaître et que proclame saint Paul, la méconnaissance volontaire du Dieu visible dans ses œuvres. Le monde avait détenu la vérité dans l'injustice[28]. L'idolâtrie, cette grande erreur de la vie humaine... avait donné le nom incommunicable au bois et à la pierre[29].... Quoiqu'ils connussent Dieu, ils ne l'ont pas glorifié comme Dieu ou ne lui ont pas rendu grâce ; mais ils se sont évanouis dans leurs pensées, et leur cœur insensé a été obscurci, — car, disant qu'ils étaient sages, ils sont devenus insensés, — et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible en la figure corruptible de l'homme, des animaux, des quadrupèdes et des reptiles[30].

Voilà pourquoi, ajoute l'Apôtre, Dieu, faisant de leur crime leur punition, les a livrés aux désirs de leur cœur, à l'impureté, afin qu'ils couvrissent de honte leur propre corps[31]. Voilà pourquoi ce monde livré à ses passions d'ignominie et corrompant toutes les lois de son être, reçoit dans sa propre personne la récompense due à ses égarements[32]. Voilà pourquoi les nations marchent dans la vanité de leur sens, laissent leur intelligence s'envelopper de ténèbres, s'éloignent de la voie de Dieu par l'ignorance qui est en elles à cause de l'aveuglement de leur cœur, et dans leur désespoir se livrent à l'impudicité, à toute œuvre impure, à l'avarice[33].

Aussi en tout ce livre nous n'avons peint autre chose que ce que peint l'Apôtre, ces hommes que Dieu a livrés à un sens réprouvé, ces hommes remplis de toute iniquité, malice, fornication, avarice, méchanceté ; pleins de jalousie, d'homicide, de querelles, de fraudes, de malignité ; délateurs, calomniateurs, haïssables à Dieu, injurieux, superbes, inventeurs de maux, indociles envers leurs parents, insensés, déréglés, sans affection, sans fidélité, sans miséricorde[34]. N'est-ce pas bien là le siècle de Tibère et de Néron ?

Avons-nous peint autre chose que cette grande guerre d'ignorance que peignait, bien des siècles auparavant, l'auteur du livre de la Sagesse, dans laquelle l'homme appelle du nom de paix les maux immenses qu'il souffre ? —Ils immolent leurs fils, ils pratiquent des sacrifices ténébreux, ils ont des veilles pleines de folie, — ils ne gardent plus ni la vie ni le mariage, mais ils se donnent l'un à l'autre la mort par jalousie ou se contristent par l'adultère. Et tout est confondu : sang, homicide, vol et mensonge, corruption et infidélité, trouble et parjure, incertitude des biens, — oubli de Dieu, souillure des âmes, perturbation des naissances, instabilité des mariages, dérèglements de l'impudicité et de l'adultère :car le culte des infâmes idoles est la cause de tout mal, il en est le principe et la fin[35].

Chose remarquable et qui prouve qu'avec la marche des siècles et les progrès de la civilisation, les deux vices essentiels du paganisme ne faisaient que s'accroître : Rome avait été longtemps pure, austère, sérieuse dans ses mœurs ; la Grèce, au contraire, dont les autels plus rarement que d'autres furent souillés par le sang humain, la Grèce qui honorait l'hospitalité et prenait pitié du suppliant, la Grèce semblait avoir gardé, à travers la dureté païenne, quelques sentiments de fraternité et de miséricorde. Mais quand la Grèce et Rome vinrent à s'unir et à confondre leur civilisation, elles prirent l'une de l'autre, non les vertus, mais les vices. Le mal, dans cet échange, effaça le bien, et l'empire qui naquit sous la double influence de Rome et de la Grèce, n'eut rien ni de cette chasteté romaine qui considérait la seule nudité comme un déshonneur[36], ni de cet esprit compatissant d'Athènes qui repoussait les jeux de gladiateurs, afin de pouvoir laisser debout l'autel qu'elle avait élevé à la Miséricorde[37]. Qu'avait donc produit pour le, monde ce fait immense, ce fait unique dans les annales de l'humanité, le fait de la conquête romaine ? Quels biens et quels maux avait-elle apportés aux hommes ?

Au premier coup d'œil, elle semblait venir pour donner au genre humain une somme de bonheur inconnue avant elle. Par la vaste unité du pouvoir, elle faisait cesser mille désordres, abaissait mille barrières ; elle mettait en commun les lumières et les ressources de nations, qui, sans elle, ne se seraient jamais connues ; elle apportait la civilisation, et une civilisation perfectionnée par le labeur de plusieurs siècles, à des peuples qui, sans elle, semblaient condamnés à une éternelle barbarie ; enfin, elle suspendait cette loi de mutuelle et permanente hostilité, qui semblait la condition nécessaire des sociétés. Par le fait seul de cette souveraineté cosmopolite, la guerre cessait ; les haines de peuple à peuple étaient contenues ; une notion plus vraie et plus générale de l'équité tendait à remplacer mille lois diverses et barbares, les inimitiés de race et de tribu cédaient elles-mêmes à une tendance nécessaire vers l'égalité entre les hommes. Il semblait donc que l'antagonisme du monde païen fût près de disparaître, et que le monde allât se constituer sur la base toute nouvelle le l'unité.

Mais là même était le vice par lequel la conquête romaine, au lieu de servir le genre humain, lui devenait funeste. Cette constitution des sociétés sur la base de l'union des peuples était en soi un trop grand bien pour marcher d'accord avec le paganisme. Le monde antique ne pouvait s'y faire, et cette vaste unité, au lieu de fortifier sa vie, l'altérait.

Dans la constitution primitive des peuples païens, les sociétés étaient vivantes surtout par l'opposition des unes aux autres. Leur force et leur unité intérieure venaient de ce principe de division qui les rendait naturellement ennemies ; il fallait haïr au dehors pour aimer au dedans, maudire et redouter le reste du monde pour s'attacher davantage à la cité. Par là, les sociétés étaient puissantes sur les hommes ; par là, elles les tenaient rapprochés ; par là, elles pouvaient les faire monter jusqu'à l'héroïsme. Le patriotisme antique était donc moins l'amour des siens que la haine de l'étranger ; comme aussi la religion antique était le culte des dieux indigènes au mépris des dieux du dehors ; comme enfin la vertu et la morale chez les peuples les plus politiques de l'antiquité n'étaient autre chose que l'observation des lois de la cité : la morale, en effet, était écrite dans la loi civile bien plus que dans la loi religieuse. Gloire, vertu, piété, toute chose chez ces nations avait pour but la glorification de la ville aux dépens des autres villes, et dérivait de ce sentiment haineux et jaloux qu'on appelait amour de la patrie.

Et voilà ce que la conquête romaine était venue détruire ! Voila quel élément de vie elle retirait aux sociétés sans avoir rien à mettre à sa place t elle rompait un lien en croyant briser une barrière ; elle ne faisait fine détruire l'unité de la ville en croyant établir l'unité du monde. Pour constituer la société sur cette base nouvelle de l'union entre les peuples, il eût fallu une foi nouvelle qui la justifiât, une morale nouvelle qui la soutint, un immense secours d'en haut qui vint remplacer la loi de la cite par la loi de Dieu, la vertu patriotique par la vertu individuelle.

C'est pour cela que les bienfaits de la conquête romaine se tournèrent si souvent en misères et en douleurs. Ainsi, — dans l'ordre matériel, Rome avait prétendu partout répandre la richesse et la civilisation : et il se trouvait au contraire qu'elle avait apporté au monde, avec un peu d'éclat extérieur, la plaie de la misère et de la dépopulation croissante : rappelez-vous ce que j'ai dit de cette concentration des biens, de cet appauvrissement du sol, de cette diminution de la race, qui, dès le temps des premiers empereurs, commençait à passer de l'Italie aux provinces. — Dans l'ordre intellectuel, Rome se vantait de répandre des lumières et de rendre communs à tous les peuples les dons de l'intelligence : et par là même, elle arrivait à cette décadence qui, un siècle plus tard, devait se manifester d'une manière si visible par le déclin des arts, la corruption de la poésie, l'affaiblissement de la science, la dépravation de la langue : nous faisions voir, il y a peu d'instants, le commencement de cette chute qui fut si rapide[38]. — Enfin, dans l'ordre moral, Rome avait fait cesser, disait-elle, la lutte entre les peuples et l'oppression des nations les unes par les autres : mais elle avait laissé subsister l'oppression des hommes les uns par les autres ; rappelez-vous comment la classe servile et la classe affranchie, la classe pauvre et la classe opulente étaient réciproquement opprimées, menacées, envahies l'une par l'autre ; rappelez-vous, d'un côté la tyrannie que les ordres supérieurs exerçaient sur les ordres inférieurs[39], de l'autre le débordement des classes subalternes sur les classes riches et puissantes, pour qui la prospérité était meurtrière. — Rome aimait à dire que la puissance de son exemple et l'universalité de son pouvoir conduisaient peu à peu les peuples divers à vivre sous une même loi et à reconnaître avec elle les principes uniformes et invariables du droit des nations : mais Rome ne s'apercevait pas que ce progrès du monde vers l'équité, en lui-même si désirable, avait été pour elle un progrès vers le vice ; qu'en devenant plus juste (ce qui donne au reste la mesure de la vertu païenne), elle devenait moins vertueuse ; et que l'ordre de la famille, la sainteté du mariage, la dignité et la pureté de la femme, en un mot, toutes les vertus antiques s'écroulaient avec les iniquités de la loi antique.—Enfin, Rome avait anéanti le patriotisme, fondement imparfait sans doute, mais seul fondement des sociétés ; elle avait effacé les religions nationales, que repoussait dans son bon sens le genre humain devenu un sous une royauté cosmopolite ; elle avait effacé aussi l'antique morale, conséquence nécessairement vicieuse de ces religions locales et de cet esprit de nationalité jalouse. Mais, pour remplacer le patriotisme, qu'avait-elle installé au faite de la société ? La toute-puissance d'un Néron. Qu'avait-elle substitué aux religions nationales ? Le culte du dieu qui tenait ses orgies au mont Palatin. Qu'avait-elle mis à la place de la vertu antique ? Le devoir universel de la servilité envers César. Ainsi avait-elle couronné l'œuvre, et donné à cette unité colossale le chef qui la maintenait ; ainsi, pour rétablir, contre la vieille loi de l'antagonisme, l'unité essentielle du genre humain, avait-elle fait de César la patrie universelle.

Elle avait rendu le monde civilisé, mais en le corrompant. C'était bien la grande prostituée qui est assise sur les grandes eaux et avec laquelle se sont corrompus tous les rois de la terre : et tous les habitants de la terre se sont enivrés de vin de sa prostitution ;... Babylone, la mère des fornications et des abominations de la terre..., cette femme ivre du sang des saints et du sang des martyrs de Jésus..., qui tient en sa main la coupe d'or, pleine de l'abomination et de l'impureté de sa fornication..., Babylone en qui a été trouvé le sang des saints et des prophètes, et dont les enchantements ont séduit toutes les nations[40].

Faut-il en conclure d'une manière absolue que les peuples ne s'unissent que pour se corrompre ? que la civilisation qui multiplie leurs rapports, multiplie aussi leurs vices ? que la vertu et la prospérité des nations ont besoin de rester sous la sauvegarde d'un sauvage isolement ? — Je ne le prétends pas. Mais sachons combien l'oubli du vrai Dieu corrompait tout ; comment le genre humain peut s'éclairer et se civiliser sans devenir meilleur ; comment, sous la loi du polythéisme, l'unité du pouvoir, la mise en communication de tous les peuples, l'accumulation des richesses intellectuelles, pouvait, au lieu d'être le salut des sociétés, en amener la ruine.

Ainsi, pendant ce siècle que nous venons de raconter, le monde progressait, comme disent nos modernes ; mais il progressait vers le mal. Comparez la marche défiante, craintive, entravée de Tibère avec les allures hardies, dégagées, impudentes de Néron pendant un règne de quatorze ans. Comparez aux proscriptions de Tibère et de Néron, les proscriptions de Sylla, où des actes de dévouement relèvent du moins la nature humaine, les proscriptions même d'Antoine et d'Octave, qui firent éclater, dit l'historien, quelques traces de fidélité, fréquentes chez les femmes, médiocres chez les affranchis, rares chez les esclaves, nulles chez les fils[41]. Dans les proscriptions de Tibère et de Néron, ni de la part d'un fils, ni même de la part d'un esclave ou d'une femme, aucun trait de dévouer : ment n'apparaît à nos yeux : je trouve un homme sauvé par son esclave, encore est-ce par un trait d'esprit, non de courage[42] ; et Tacite rapporte, comme une rare vertu, l'acte d'un frère qui osa se rendre caution pour son frère accusé[43]. — Et que serait-ce si je descendais plus bas ? si, passant par-dessus le siècle des Antonins, j'arrivais à ces époques où la barbarie orientale tendit à dominer sur la civilisation grecque, où les Commode et les Élagabale joignirent, à toutes les passions des Néron et des Caïus, une sorte de superstition fanatique, un illuminisme sanguinaire que leur inspiraient les mystères de l'Orient ?

Ici, nous trouvons une des causes de cette incurable tristesse qui est un caractère de cette époque. La souffrance est partout, et nulle part une pensée d'espoir ou d'avenir : le monde se sent malade, mais il sait mal la cause de ses maux. La cause du mal, c'est, dira Tacite, la bataille de Philippes ou celle d'Actium, la chute de l'aristocratie républicaine. La cause du mal, dira un autre, c'est Tibère, Séjan, les délateurs. L'esprit humain ne remonte pas plus haut. Quant au remède, on ne le chercha point. On aspire à quelque chose de plus commode et de plus doux, non à quelque chose de meilleur. On voudrait être mieux soi-même ; on n'espère, on n'imagine, on ne désire pas que le monde soit jamais mieux.

Supposera-t-on quelque instinct meilleur au fond de la partie souffrante de la société ? — On aimerait à se faire cette illusion, toujours facile, presque toujours démentie ; mais c'est une triste vérité, que l'abaissement extérieur finit par produire l'abaissement moral, que les races esclaves se dégradent, que les méprisés deviennent méprisables. L'esclave, le pauvre, le proscrit, ne connaissaient dans le paganisme qu'une ressource, et une ressource toujours désespérée, toujours inefficace contre l'oppression : la révolte du corps, non celle de la pensée ; l'insurrection, non vers la vertu, mais vers le désordre. Le Messie qu'ils eussent adoré, s'il m'est permis de me servir de ce mot, c'eût été le gladiateur Spartacus. La société était bien forcée de traiter l'esclave en ennemi public : comment l'esclave avait-il tenté de s'émanciper, si ce n'est par le meurtre et par le pillage ? et qu'eût été sa liberté, si ce n'est une épouvantable catastrophe ? Les horribles guerres serviles, les insurrections renaissantes de la Sicile, le brigandage des pâtres permanent en Italie, le maure tremblant pour sa vie au milieu de ses milliers d'esclaves, et ce mot passé en proverbe : Autant d'esclaves, autant d'ennemis[44] ; voilà quels indices nous sont restés de la valeur morale des classes proscrites.

Certes, pour peu qu'il commençât à se produire dans les esprits quelque chose comme ce que nous appelons la pensée de l'humanité ; pour peu que l'homme, le citoyen, le philosophe, éprouvât avec Cicéron quelque sympathie pour l'ensemble des créatures humaines ; pour peu que, selon la parole du poète, l'homme pensât que rien de ce qui est humain ne lui est étranger ; à la vue de ce spectacle, une tristesse profonde devait entrer dans son âme. En moins de deux siècles, une immense révolution s'était accomplie dans l'univers civilisé. Un peuple longtemps inconnu avait recueilli l'héritage de tous les peuples qui, depuis les siècles les plus reculés, avaient régné sur les enfants des hommes. Par son courage, par sa piété, par ses vertus, par la faveur des dieux que ses vertus lui avaient méritée, Rome était devenue le chef du genre humain, au moment même où, d'après ses traditions antiques, le genre humain se croyait appelé à de nouvelles et magnifiques destinées. Rome, puissante par tant de vertus, riche de tant de gloire, héritière de tant de civilisation et de lumières, Rome qui se plaisait à dire qu'aux dieux seuls et non pas à elle-même elle devait son triomphe, Rome ne pouvait-elle pas être ce libérateur attendu, espéré depuis tant de siècles ? L'heure en effet était venue, le monde était mûr ; l'Orient tout entier croyait toucher au moment de sa régénération. Tous les peuples lisaient des prophéties qui s'accordaient pour annoncer au monde une royauté, une gloire, une ère nouvelle. La fatidique Étrurie, mourante sous la, main dévastatrice de Sylla, reconnaissait à ce signe que sa grande année allait finir, et que le monde entrait dans un âge nouveau[45] : et Virgile, animant ces traditions par le souffle de la pensée poétique, voyait le globe du monde chanceler sur son axe ébranlé, tandis que la terre et les plaines de l'Océan, et les profondeurs du ciel, saluaient de leur joie le siècle qui allait venir[46]....

Oui, certes, le monde avait pu s'y tromper ; un instant il avait pu attendre d'un César ou d'un Auguste, des courageux fils de Romulus, cette régénération dont la nature tout entière, inquiète et gémissante semblait être en travail jusqu'à cette heure[47]. Les Juifs eux-mêmes, moins excusables parce qu'ils étaient plus éclairés, ne voulurent-ils pas voir, et dans César, et plus tard dans Néron, et dans Vespasien simple général de Rome, le Messie qui, pour ce siècle même, leur ôtait annoncé par leurs prophètes ? Mais, combien la déception fut courte et amère Le genre humain, qui avait cru à la fortune et à la vertu de Rome, ne dut-il pas bientôt retomber dans une tristesse désespérée, lorsqu'il vit, à l'apogée même de la domination et du triomphe, tant de vertu se démentir, tant de gloire se tourner en ignominie, tant de courage ne porter d'autre fruit que la tyrannie d'un Tibère, et une domination à la fois corruptrice et cruelle, oppressive et dégradante comme celle de la dynastie césarienne, sortir de ce long et souvent admirable travail du génie romain ?

Aussi le symptôme le plus grave peut-être et le plus évident de la dégénération des âmes était la tristesse profonde dont nous rencontrons à chaque pas l'expression. Nul signe peut-être ne trahit d'une manière plus certaine l'abâtardissement d'un peuple et le progrès que font les vices dans son âme. Une gravité douce et sereine est la vertu de quelques hommes ; elle n'est pas en général le fait des nations. Nous sommes sortis des révolutions plus moroses, parce que nous en sommes sortis plus mauvais ; et les peuples que le schisme du XVIe siècle a entraînés se distinguent encore aujourd'hui, par leurs sombres allures et les habitudes pesantes de leur esprit, des peuples qui sont restés fidèles à la foi. Mais, dans la Rome néronienne, la tristesse fut plus manifeste que jamais, parce que plus que jamais la corruption fut profonde. Le peuple ne cesse de blasphémer ses dieux[48]. Les sages et les rhéteurs ne quittent pas le ton d'une déclamation lamentable et désespérée. Pline, Lucain, Perse, Sénèque lui-même (quoique par intervalles un autre jour l'éclaire), sont des misanthropes désolants, sinon désolés. Malgré des adulations emphatiques et un enthousiasme de commande, il est assez clair qu'à la vue de cette tache immense, qui s'était peu à peu étendue pour le corrompre sur tout ce que l'homme respectait, de cette dégradation simultanée de la religion, de la patrie, de la famille, du génie, de cette triple et croissante misère du corps, de l'âme, de l'intelligence, l'esprit humain se laissait profondément dévorer par cette tristesse du siècle qui produit la mort[49].

Le fatalisme, la plus triste des doctrines humaines, faisait encore baisser davantage la tête de l'homme sous ce chagrin irrémédiable, en lui montrant dans cette décadence l'effet d'une puissance invincible et inexorable. Le fatalisme, qui exclut à la fois deux grands remèdes, la résignation et l'espérance, produisait avec l'ignorance de Dieu la haine des hommes : ne sachant pas expliquer par la Providence les misères de l'humanité, on ne connaissait rien de mieux que de railler l'humanité sur ses misères. Ce n'est que 1700 ans plus tard, chez les fatalistes du dernier siècle, que l'on retrouvera quelque chose comme ce mépris insultant pour la race humaine, cette misanthropie sans morale, cette recherche faite sans pitié et sans sympathie de toutes les plaies de notre nature, pour y verser, en haine de Dieu, le poison de la raillerie et du désespoir. Pline, comme Voltaire, n'a pour les souffrances humaines qu'une triste ironie : L'homme, animal misérable et orgueilleux, que l'odeur d'une lampe mal éteinte suffit pour détruire dans le sein de sa mère[50], l'homme jeté nu sur la terre nue, commence sa vie par des gémissements et par des pleurs... Les larmes sont un de ses privilèges, le rire ne lui est pas donné avant quarante jours... Il ne sent la vie que par des supplices, et son seul crime c'est qu'il est né[51]... Seul, entre tous les animaux, il n'a d'autre instinct que celui des larmes[52] ; seul, il connaît l'ambition... la superstition, l'inquiétude de sa sépulture, la préoccupation de ce qui doit être après lui[53]... La moindre de ses douleurs n'est pas compensée par la plus grande de ses joies... Sa vie, si courte, est encore abrégée par le sommeil qui en consume la moitié, par la nuit qui, sans le sommeil, est un supplice, par l'enfance qui vit sans penser, par la vieillesse qui ne vit que pour souffrir[54]... par les craintes, les maladies, les infirmités... Et cette brièveté de la vie est cependant le plus grand don que la nature lui ait accordé[55]... Mais l'homme ainsi fait voudrait vivre davantage. Une passion d'immortalité le tourmente.  Il croit à son âme et à une autre vie ; il adore les mânes ; il prend soin des restes de son semblable... Rêves d'enfant ! il n'y aurait donc jamais de repos pour l'homme ! Le plus grand bien de la vie, la mort, la mort prompte et imprévue[56], nous serait donc ôtée, ou plutôt elle nous deviendrait plus cruelle, puisqu'elle ne ferait que nous conduire à de nouvelles douleurs. Privés du bonheur suprême qui serait de ne point naître, nous n'aurions pas la seule consolation qui puisse nous être donnée, celle de rentrer dans le néant[57]. Non, l'homme rentre au lieu d'où il est sorti. Il est après la mort ce qu'il était avant de naître. Voilà sa consolation et son espérance.

Et Lucain à son tour, parlant comme Pline, niant la Providence et croyant que tout est conduit par le hasard, Lucain fait de la mort le bien suprême, et un bien si grand, qu'il ne devrait être accordé qu'aux hommes vertueux[58] : la mort, non parce qu'elle délivre, mais parce qu'elle assoupit la partie intelligente de l'homme ; non parce qu'elle le conduit dans l'Élysée, mais parce qu'elle l'éteint dans l'apathique repos du Léthé[59].

Ce culte de la mort, de tous les dieux, nous dit Pline, le plus invoqué[60], était en effet partout, et donnait à la volupté même quelque chose de funèbre. Le plaisir était sans passion et sans joie. On sent là cet irrémédiable abattement de l'homme, qui, comme l'Apôtre nous le dit, dans son désespoir, se livre à l'impureté[61], moins pour se satisfaire, que pour s'éteindre. Voilà pourquoi l'homme creusait sans cesse cet abîme de dépravation dans lequel il se plongeait ; et le vice était pour lui comme une sorte de suicide de rame.

Mais le suicide de l'âme n'est pas loin du suicide du corps, et nous touchons en ce moment à la grande conclusion pratique de cette déplorable morale. Si la mort est le suprême bien, pourquoi ne pas se hâter vers la mort ? Aussi Pline considère-t-il le suicide comme la seule consolation de l'homme, et plaint la divinité qui en est privée. Lucain, conséquent à sa pensée, fait de cet acte de désespoir le comble de la vertu, et ne se délecte nulle part, comme à peindre des frénétiques qui, s'étant conviés aux douceurs d'un mutuel assassinat, reçoivent des coups d'épée avec bonheur et les rendent avec reconnaissance. Le suicide sera donc le plus grand remède, et au désespoir du pauvre, et à l'inquiétude du proscrit, et à le satiété du riche. Apicius, ayant dépensé cent millions de sesterces pour sa table, fait ses comptes, reconnaît qu'il ne lui en reste plus guère que dix millions et se tue[62]. Le gladiateur que l'on mène au Cirque dans un chariot, passe de propos délibéré sa tète entre les rayons de la roue, dont le mouvement la tord et la brise[63] ; l'homme du peuple qui n'a plus de pain va sur le pont Fabricius, s'enveloppe la tête et se jette dans le Tibre[64].

Les proscriptions poussaient merveilleusement sur cette pente. On s'est tué, dit Sénèque, par peur de la mort[65]. On a envié, admiré, glorifié ceux qui faisaient fraude de leur corps aux tyrans. Pendant que Crémutius Cordus, accusé sous Tibère, se laissait périr par la faim, il y avait une joie publique de voir cette proie arrachée à la gueule de ces loups dévorants, les délateurs[66].

Ces exemples accoutumaient si bien à la mort, qu'on se tuait par ennui, par désœuvrement, par mode. Sénèque parle de ces raffinements d'hommes blasés qu'on porte dans la mort[67]. Et ailleurs, comme s'il voulait peindre les Werther modernes : Il y a une étrange manie, un caprice de la mort, une inclination étourdie vers le suicide, qui, tout aussi bien qu'aux braves, prend parfois aux lâches : les uns se tuent par mépris, les autres par lassitude de la vie. Chez plusieurs, il y a satiété de voir et de faire toujours les mêmes choses ; non pas haine, mais dégoût de l'existence : Quelle fin à tout cela ? Se réveiller, dormir, avoir froid, avoir chaud, rien ne finit ; le même cercle tourne et revient toujours. La nuit après le jour ; l'été amène l'automne, puis l'hiver, puis le printemps ; toujours de même t Tout passe pour revenir. Rien de nouveau !On succombe à cette manie, et beaucoup d'hommes se tuent, non que la vie leur soit dure, mais parce qu'ils ont trop de la vie[68].

Enfin, le suicide est un parti que l'on discute, que l'on raisonne, il y a plus, que l'on ose conseiller. Les exemples ne sont pas rares de délibérations entre amis qui aboutissent à conseiller, à la majorité des voix, le suicide au consultant[69]. Tullius Marcellinus... attaqué d'une maladie longue et douloureuse, mais non incurable... pensa à se donner la mort, et réunit, pour les consulter, plusieurs amis. Les uns, lâches et timides, lui donnaient le conseil qu'ils se seraient donné à eux-mêmes ; d'autres, en vrais flatteurs, celui qu'ils supposaient que désirait Marcellinus. Mais un stoïcien, notre ami, homme supérieur, homme courageux..., lui parla tout autrement : Ne te trouble pas, Marcellinus, comme s'il s'agissait d'une question importante. Vivre est-il une si grande affaire ? les esclaves, les animaux vivent aussi. La grande affaire est de mourir avec sagesse et avec courage. N'y a-t-il pas assez longtemps que tu vis ? La nourriture, le sommeil, le plaisir des sens, n'est-ce pas toujours le même cercle ? On peut vouloir mourir, non-seulement par raison, par courage, par lassitude de la souffrance, mais encore par ennui... Le philosophe ne s'en tint pas là : comme les esclaves de Marcellinus hésitaient à servir son dessein, il les rassura en leur disant que rien ne pouvait être à craindre pour les esclaves, quand la mort de leur maitre avait évidemment été volontaire ; qu'il y avait au contraire un crime égal à donner la mort à son maitre ou à l'empêcher de se la donner[70]... Tels étaient les conseils amicaux et le facile courage de la philosophie antique.

Montesquieu loue cette facilité du suicide : Il est certain, dit-il, que les hommes sont devenus moins libres et moins courageux depuis qu'ils ne savent plus, par cette puissance qu'ils prenaient sur eux-mêmes, échapper à toute autre puissance. Quoi ! on fut donc bien libre sous Tibère ? bien courageux sous Néron ? Car ce siècle fut de tous le plus fécond en suicides. Mais Montesquieu n'admire-t-il pas aussi les lois conjugales d'Auguste, que leur seule impuissance suffit pour condamner ? Mais ailleurs ne semble-t-il pas regretter même les combats de gladiateurs[71] ? Sans passion, mais pour être piquant, il aime à relever l'antiquité idolâtre aux dépens de la nouveauté chrétienne : fin chercheur de la vérité, moins sérieux quelquefois lorsqu'il semble l'être davantage ; préférant trop Souvent à la droite voie du bon sens la voie oblique d'une dialectique raffinée ; tenant à être logique plus qu'à être vrai, à être original plus que logique, et pardessus tout à être ingénieux. De son temps, le paradoxe et la nouveauté avaient leur prix ; aujourd'hui, qui n'est rassasié du paradoxe ? pour qui la nouveauté n'a-t-elle pas vieilli ? Le paradoxe est devenu lieu commun, et le lieu commun à son tour devient paradoxe ; l'originalité serait aujourd'hui de suivre les routes battues ; la hardiesse consisterait à être simple, et le plus rare paradoxe serait de n'en faire aucun.

Pour en finir, — le suicide, proscrit autrefois par une antique et religieuse tradition, condamné par un Pythagore[72], un Platon[73], un Aristote[74], un Cicéron même[75] ; maudit par les poètes, plus philosophes à cet égard que les philosophes[76] ; puni par la loi pontificale des Romains, qui refusait la sépulture à celui qui s'était donné la mort : le suicide était devenu pourtant le dernier mot de l'antiquité, le seul emploi qui restât de l'énergie humaine incapable de tout autre courage, le seul remède que la philosophie mât proposer à l'humanité désormais sans force, sans vertu, sans espérance. tout est là, dans cette dernière, cette inévitable et dégradante conclusion.

Voilà mi, à la suite de ces deux siècles de conquête, de ces cinquante ans de tyrannie, le genre humain en était Venu. Miel, lorsqu'il tourne ses regards vers lui-même, lorsque cette notion de l'humanité que l'unité romaine avait commencé à populariser apparait dans les écrivains de ce temps, c'est le plus souvent pour plaindre et maudire l'humanité. Partout se retrouve la pensée de sa décrépitude et de son inévitable déclin ; de cette jeunesse perdue, de cette force éteinte, de ce génie qui s'en va : partout l'homme s'abaisse devant cette loi envieuse dont parle le père de Sénèque, et 'en vertu de laquelle toute chose, arrivée au degré le plus haut, doit bien vite redescendre vers le plus bas[77] ; qui ne laisse, comme nous le lisions tout à l'heure dans l'historien Velleius, qu'une courte durée et pour ainsi dire un seul moment à tout génie et à toute gloire. Les écrivains du règne d'Auguste ne se laissent pas éblouir par les splendeurs de leur temps. Ils tremblent pour l'avenir de cette société qui ne peut souffrir ni ses maux ni leurs remèdes[78]. Cicéron laissait déjà entrevoir cette pensée[79] ; et Virgile nous a montré cette lutte inégale et désespérée que l'homme soutient contre la fatalité toujours prête à l'entraîner, comme un rameur qui a lutté un moment contre le fleuve, et qui, dès l'instant où il se lasse, est repoussé bien vite au delà du point d'où il était parti. Lucain ne parle pas autrement[80]. Pline enfin, avec sa misanthropie ordinaire, retrouve jusque dans la nature physique les traces de cette décadence si évidente dans la nature morale. La taille de l'homme, dit-il, va décroissant chaque jour, les fils sont rarement plus grands que leur père. La sève vitale diminue, le monde se dessèche, à mesure que s'approche le feu qui doit un jour détruire notre globe[81].

Ainsi, tous ne parlent de l'humanité et ne parlent en son nom, que pour la plaindre et pour gémir. Le genre humain n'a conscience de lui-même que pour se désespérer et maudire ses dieux.

Il est cependant deux grands faits que nous avons jusqu'ici laissés de côté : l'un, il est vrai, accessoire quoique important ; l'autre, qui contenait en lui-même toutes les destinées des siècles suivants et toutes les destinées futures du genre humain ; deux doctrines, l'une qui revêtait une forme nouvelle, l'autre qui, née depuis quelques jours, ne tenait pas encore une grande place dans le monde : la philosophie stoïque et le christianisme. C'étaient les espérances de l'avenir que les siècles suivants virent se développer, mais dont le germe fructifiait déjà au temps de Néron.

Cette coïncidence entre la subite apparition de la lumière chrétienne et le réveil encore incomplet de la philosophie, les rapports de doctrine et d'idées que nous allons remarquer entre l'une et l'autre, comment les expliquerons-nous ?

Le christianisme n'aurait-il été dans un autre coin du monde, et avec un point de départ différent, que la répétition d'un mouvement commun à toute l'humanité, que l'imitation ou la conséquence d'un soulèvement dont la philosophie eût donné le signal ? Ou, au contraire, la philosophie profondément endormie a-t-elle ressenti dans son sommeil la secousse du mouvement chrétien, et, comme un homme à demi-réveillé, a-t-elle commencé de marcher à cette lumière qu'elle ne faisait qu'entrevoir ? Les apôtres n'auraient-ils fait qu'appuyer sur la loi hébraïque une morale qu'ils empruntaient aux philosophes ? ou au contraire, les philosophes ont-ils mêlé à leurs propres conceptions quelques fragments de la doctrine des apôtres ? C'est une question que la fin de ce travail est destinée à éclaircir.

 

 

 



[1] V. ci-dessus, liv. I, ch. III.

[2] Ci-dessus, liv. III, ch. Ier.

[3] Ci-dessus, liv. III, ch. II.

[4] Ci-dessus, liv. III, ch. III, § 2.

[5] De Legibus, V. Voir aussi Aristote, Politiq., VII, 4, 5. Sparte n'en eut pas plus de 7.000, et Athènes au maximum 20.000 ; toujours, non compris les femmes et enfants.

[6] Ainsi en Crète. Aristote, Politiq., II, 10, Strabon, X. A Athènes, par les lois de Solon. Plutarque, in Solon, 1. À Thèbes, à Sparte, etc.

[7] Ainsi à Athènes. Plutarque, in Solon. Plaute, Pers., III, 1. — En Crète. Aristote, loc. cit. — L'avortement et l'abandon des enfants sont recommandés par Platon, Republ. — Aristote (Potiliq., VII, 16) veut que le magistrat fixe le nombre d'enfants permis par mariage ; le reste doit périr avant de naître. — Ajoutez encore l'âge tardif fixé pour les mariages : à Sparte, 30 ans pour les hommes et 20 pour les femmes ; de même dans la république de Platon (livre V) ; selon Aristote, 37 ans et 18. (Poliliq., VII, 16.) — Dans le livre des Loi, Platon veut que la femme qui sera devenue grosse après l'âge de 30 ans soit contrainte d'avorter. — A Thurium, loi contre les secondes noces. Diodore Sic., XII, 12, 18.

[8] Servi, servati.

[9] Hostium loco habiti. (B. G., I, 26, 23.)

[10] César, qui savait que sa douceur n'était ignorée de personne et ne craignait pas qu'on attribuât jamais ses actes de rigueur à un naturel inhumain..., crut nécessaire d'effrayer les Gaulois par un supplice. Il fit donc couper les mains à tous ceux qui avaient porté les armes ; il leur laissa la vie pour que leur châtiment eût plus d'éclat... César, B. G., VIII, 54. V. aussi III, 17 ; VI, 44. Dion, XL, p. 139.

[11] Tacite, Annal., II, 21. V. dans Tacite son exclamation de joie et de reconnaissance envers les dieux à la vue du massacre d'une tribu germaine par une autre. Germ., 33.

[12] Loi des douze Tables. Cicéron, de Legibus, III, 8. Denys d'Halic., II, 26, 27. Gellius, V, 19.

[13] Après la mort de Germanicus, plusieurs hommes du peuple, dans leur douleur, exposèrent les enfants qui venaient de leur naître. Suet, in Calig., 5. De même après la mort d'Agrippine Claude fit jeter nue dans la rue une fille de sa femme née seulement cinq mois après le divorce et qu'on avait commencé à nourrir. Suet., in Claud., 27.

[14] Plaute, Prolog Casin., v. 30 ; Amphit., 314 (Quod erit gnatum, tollito). Juvénal, VI, 602. — Quelques peuples grecs seulement défendaient l'exposition des enfants et faisaient vendre comme esclaves par le magistrat ceux que leurs parents ne pouvaient pas nourrir. Élien, Quinte-Curce, I. — Exemples chez les Romains, d'enfants, recueillis et rendus esclaves : Suet., de Grammat., 7, 21. Senec., Controv., V, 34. — Cela était fréquent. Pline, Ép. X 71, 72. — Les jurisconsultes parlent de l'exposition des enfants comme d'un fait qui n'a rien de punissable. Loi 29, Digeste, de Monum. testar. (XL, 4) ; Loi 16, Cod., de Nupt. (V, 4). — Les empereurs chrétiens furent les premiers qui prononcèrent des peines contre ce crime. Loi 1, Cod. Theod., de Expos. ; Loi 3, Cod. Justin., de Expos. (VIII, 52). — La vente des enfants nouveau-nés ou même adultes fut longtemps permise (Ulpien, Reg., X, 1. Denys d'Halic.) seulement, les empereurs s'attachèrent à en restreindra les effets. Paul., Sent., V, 1, § I. Antonin, 1. Cod., de Liber. caus., 1 et 2. Id., de Patrib. (IV, 43) ; Cod. Theod., de Ilis qui sanguin ; Cod. Theod., de Patrib. ; Fragm. Vatic., § 34.

[15] Liberorum numerum finire. (Tacite, Germ., 19.) — Les chrétiens ont des enfants, dit l'auteur de l'épître à Diognète, mais ils n'en sont pas les homicides. — Vous exposez vos enfants, dit Tertullien, pour qu'un passant les ramasse et que la miséricorde étrangère vienne à leur secours. Apolog., 9. — Et un peu plus haut : Quant à l'infanticide, dit-il, peu importe s'il a lieu au milieu des sacrifices ou par le simple fait du caprice privé. Parmi ceux qui nous entourent et qui ont soif du sang des chrétiens, parmi vous magistrats austères et si rigoureux envers nous laissez-moi frapper, à la porte de vos consciences, quel est celui qui n'a pas donné la mort à son propre enfant ? (Ibid., 9.) — Minucius Félix (30, 31) : Je vous vois jeter aux bêtes et aux oiseaux vos enfants à peine nés, les étrangler, en un mot, les faire périr misérablement... Vous exposez à la sympathie des passants les enfants nés sous votre toit. — Tacite remarque que, chez les Juifs, on veille à l'accroissement de la population, car il n'est pas permis au père de donner la mort aux enfants qui viennent de naître. Tacite, Hist., V, 5. — Et de même, au sujet des Germains. On regarde comme un crime de limiter le nombre des enfants et de faire périr aucun de ceux qui naissent. Les bonnes mœurs sont là plus puissantes que ne peuvent l'être ailleurs les bonnes lois. Germ., 19. — A Rome, le meurtre de l'enfant mal conformé était permis ; et, en général, l'opinion publique et la note des censeurs flétrissaient seules l'abus de la puissance paternelle. Denys d'Hal., Fragm., XX, 1. — L'exercice de ce droit sur les enfants nouveau-nés était soumis à quelques formes légales. Denys d'Hal, II, 15, 26, 27 ; Fragm., XV. Cicéron, de Legib., III, 8. — Plus tard, les empereurs Trajan (loi 5, Digeste, Si à parente, XXXVII, 12), Hadrien (5, Digeste, ad Leg. Pomp., de parric., (XLVII1, 9), Alexandre (loi 3, Cod., de Patrid potest. (VIII, 47), V. aussi loi 9, § 3, Digeste, de Offic. procons. (I, 16), restreignirent le droit de punition paternelle, et commencèrent à substituer pour les cas les plus graves l'autorité du magistrat à celle du père ( V. encore Loi 2, Digeste, ad Leg. Cornel. de Suar. (XLVIII, 8). Mais Constantin le premier (I, Cod. Théod., de Parric. (IX, 15) ; 1, Cod. Just., de His qui parent., (IX, 271 ; Instit., § 6, de Publ. judic.) assimila au parricide le meurtrier de son fils. Jusque-là les peines du parricide étaient appliquées à la mère qui avait tué son enfant ou à l'aïeul qui avait tué son petit-fils, mais non pas au père qui avait tué son fils (loi 1, Digeste, de Leg. Pomp. XL VIII, 9), ce qui montre qu'en principe le droit de vie ou de mort attribué au père n'était pas encore aboli. Sénèque approuve le meurtre de l'enfant mal conformé : Nous noyons les enfants débiles ou monstrueux. C'est raison, ce n'est pas colère de séparer des membres sains les membres inutiles. De Ira, I, 15.

[16] V. Platon, Aristote, Sénèque, ad Helviam, 16. — Il y eut cependant des peines contre l'avortement, mais elles ne furent prononcés qu'à une époque postérieure, par Sévère et Antonin. Ulpien, 8. D., ad Leg. Cornel. de Sic. (XLVIII, 8). Paul, 38, § 5, D., de pœnis (XLVIII, 19). Le même Sentent., XXIII, 14. Tryphonius, 39, D., de pœnis Marcianus, 5. D., de extraordin. criminib. (XLVII, 11). — Sur la fréquence des avortements, V. le livre des Philosophumènes ; Juvénal, VI, 106. 447-453, 592-602 ; Ovide, in Nuce, 23 : Raraque in hoc ævo quæ velit esse parens. Aulu-Gelle, XII, 2. Des femmes en faisaient métier :

Quæ steriles facit atque homines in ventre necandos

Conducit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

(JUVÉNAL, ibid., 597)

V. encore Pline, Hist. nat., XX, 21 ; XXVII, 5, 9. Ovide, Amor., II, 43. Juvénal, II, 32.

[17] Non-seulement, dit Tertullien, l'homicide des enfants nous est interdit, mais il ne nous est même pas permis de détruire l'enfant encore informe dans le sein de sa mère. Empêcher de naître, c'est tuer à l'avance ; et peu importe qu'on détruise la vie déjà formée ou celle qui se forme encore. Apolog., 8, 9. — Ceux qui sont dans la voie des ténèbres... sont les meurtriers de leurs propres enfants. Ils font périr l'ouvrage de Dieu avant qu'il ne soit né. Épître de saint Barnabé, 20. Athénagore, Legat., 35. Minucius Félix, 30.

[18] Quod si ob gravitatem cœli interierint, vile damnum. (An 19. Tacite, Annal., II, 86., V. aussi Suet, in Tiber., 36. (J'ai cité plus haut ce mot : Quanquam vili, sanguine nimis gaudens.) Remarquez qu'il s'agit ici d'hommes libres, dont beaucoup devaient être citoyens romains, et de gens que l'on ne considérait pas comme des malfaiteurs, puisqu'on en faisait des gendarmes.

[19] Act. apost., XXVII, 42, 43.

[20] Celse, I, Præf. Tertullien, de Anima, 10.

[21] Satires, XII, 115-119.

Alter enim, si concedas, mactare vovebit

De grege servorum magna et pulcherrima quæque

Corpora, vel pueris et frontibus ancillarum

Imponet vittas et, si qua est nubilis illi

Iphigenia domi, dabit hanc altaribus.

J'ai parlé ailleurs des sacrifices humains.

[22] V. l'Épode à Horace, At, o deorum ! etc. (Juvénal, V, 551.)

[23] Pline, XXVIII, 11, et les médecins romains, Celse, III, 23. Aratæus Cappadox., IV, 175. Scribonius Largus.

[24] Martial, II, 82. Ces textes me sont indiqués par M. Wallon, II.

[25] V., sur Cicéron, Pline, Ép. VII, 4.

[26] V. Sénèque, Ép. 95 ; Tacite, etc.

[27] V. Juvénal, confirmé, si on le soupçonne d'exagération, par Tacite et Suétone parlant de Néron.

[28] Rom., I, 18.

[29] Et hæc fuit vitæ humanæ deceptio... (Sapient., XIV, 21.)

[30] Rom., I, 20-23.

[31] Rom., I, 24.

[32] Rom., I, 26, 27.

[33] Éphésiens, IV, 17-19.

[34] Rom., I, 28-31.

[35] Sapient., XIV, 22-27.

[36] Flagitii principium nudare inter cives corpora. (Ennius, apud Cicéron, Tuscul., IV, 33.)

[37] Sur l'introduction des gladiateurs dans les pays grecs, V. Lucien, Démonax, 57. — Gladiateurs en Italie, à Milan (Orelli, 2572), à Pompéi, Minturnes, Préneste. — Amphithéâtres en Gaule et en Espagne. — Gladiateurs à Syracuse (Tacite, Annal., XIII, 49), — à Palerme (Orelli, 2571), — en Grèce (Lucien, Démonax, 57. Plutarque, Ad eos qui remp., 26), — à Corinthe, Athènes (Lucien, ibid. Dion Chrysostome, Rhodiaca, orat. XXXI), mais non à Rhodes (Dion, ibid.) — à Thasos, inscription mentionnant des essédaires et des mirmillons (Orelli, 2654). — à Platée (Apulée, Métamorph., IV). — en Achaïe, inscription (Rhangabé, Antiquités helléniq., 2218). — à Laodicée (Cicéron, Attic., IV, 3). — Dès avant la conquête romaine, les rois successeurs d'Alexandre avaient célébré des jeux pareils (Tite-Live, XLII, 21. Dycille, apud Athæn., IV). — Les Hérodes en célébrèrent (Josèphe, Antiq. Jud., V, 8, 1 ; XIX, 7, 5).

[38] V. le chapitre précédent.

[39] V. ci-dessus, chap. premier.

[40] Apocalypse, XVII, I, 2, 3, 5 ; XVIII, 23, 24.

[41] Velleius Paterculus, II, 67. V. aussi Appien, de Bell. civ., IV, 4.

[42] Senec., de Benef., III, 26.

[43] Tacite, Annal., V, 8.

[44] Quot servi, tot hostes. (Senec., Ép. 47.)

[45] Plutarque, in Sylla. Servius, ad Églogue, IV.

Ultima Cumæi venit jam carminis ætas,

Magnus ab integro seclorum nascitur ordo.

..........Et incipient magni procedere menses.

(Virgile, Bucoliques, Églogue IV, 4-5 ; 12.)

[46] Virgile, Bucoliques, Églogue IV, 50-52.

[47] Scimus enim quod omnis creatura ingemiscit et parturit usque adhuc. (Rom., VIII, 22.)

[48] Épictète, Enchir., 31 ; apud Arrien, II, 22 ; Fragm.

[49] Sæculi autem tristitia mortem operatur. (II, Cor., VII, 10.)

[50] Cum plerumque abortus causa flat odor a lucernarum exstinctu. (Pline, VII, 7.)

[51] A suppliciis vitam auspicatur, unam tantam ob culpam quia natum est. (Pline, VII, 1.)

[52] Non aliud naturæ sponte quam flere. (Pline, VII, 1.)

[53] VIII, 1. Pline dit encore : Nul animal dont la vie soit plus frêle, les désirs plus effrénés, la peur plus effarée, la rage plus furieuse. (VII, 1)

[54] Pline, VII, 51 (50).

[55] Natura nihil hominibus brevitate vitæ præstitit melius. (Pline, VII, 51 (50).)

[56] Pline, VII, 53 (54).

[57] Plusieurs ont prononcé que le mieux serait de ne point naître ou de rentrer à l'instant même dans le néant. VII, 1.

[58] Lucain, Pharsale, IV, 580-581.

[59] V. le guerrier ressuscité par la sorcière thessalienne : Lucain, Pharsale, VI, 724-725 ; 768-770.

[60] Toties invocata morte, ut nullum frequentius sit votum. (Pline, ibid., 51 (50)).

[61] Desperantes semetipsos tradiderunt impudicitiæ. Ephes., IV, 19.

[62] Sénèque, ad Helviam, 10. Martial, III, 22. Dion, LVII, 19. M. Gavius Apicius, qui vivait sous Auguste ou Tibère.

[63] Senec., Ép. 10.

[64] Horace, III, Sat. II, v. 36.

[65] Ép. 23, 70.

[66] Ad Marciam consolatio, 22.

[67] Fastidiose mori... (Ép. 70.)

[68] Quibus non vivere durum, sed superfluum. (Senec., Ép. 23.)

[69] V. une foule d'exemples de suicides discutés ou conseillés : la tante de Libon le conseille à son neveu (Senec., Ép. 70) ; la mère de Messaline à sa fille (Tacite, Annal., XI, 37). — V. aussi la mort d'Atticus annoncée par lui à sa famille (Cornel. Nepos, in Attic., cap. ult.) ; celle de Crémutius Cordus (Senec., ad Marciam, 22, 23) ; celle de Thraséa (Tacite, Annal., XVI, 26) ; celle du rhéteur Albutius Silus qui harangue le peuple et lui expose les motifs de son suicide (Suet., de Reth., 6) ; celle de Cocceïus Nerva que Tibère veut en vain détourner de sa résolution (Tacite, Annal., VI, 26) ; d'autres Juifs semblables dans Pline le Jeune, Ép., I, 12 ; VI, 24.

[70] Senec., Ép. 77.

[71] Depuis l'établissement du christianisme, les combats devinrent rares. Constantin défendit d'en donner ; ils furent entièrement abolis sous Honorius, comme il paraît par Théodoret et Othon de Frisingue. Les Romains ne retinrent de leurs anciens spectacles que ce qui pouvait affaiblir les courages et servir d'attraits à la volupté. Montesquieu, Grand. et Décad. des Romains, chap. XVII, note 2.

[72] Pythagore nous défend de quitter notre poste sans l'ordre du général, c'est-à-dire de Dieu. Cicéron, de Senect., 73. — V. aussi Athénée, IV.

[73] Platon, in Phædone, d'après la doctrine d'Éleusis. Libanius, de Vita sua, 2.

[74] Cicéron, in Fragm. pro Scauro, circa princip. Aristote, Ethic., V, 15. — Brutus dit aussi qu'il a longtemps jugé la mort de Caton indigne d'un tel homme et entachée d'irrévérence envers les dieux. Plutarque, in Bruto. — Sénèque lui-même Convient que plusieurs philosophes estiment coupable celui qui est son propre meurtrier. Ép. 70.

[75] Dans le songe de Scipion, il le fait parler du devoir de garder son âme dans la prison du corps et de ne pas sortir de la vie sans l'ordre de celui qui nous y a placés. (Cicéron, de Rep., VI ; in Sommo Scip.)

Une protestation contre le suicide dans une inscription, — accordant un lieu de sépulture à taus les habitants excepté ceux qui se seraient loués comme gladiateurs, qui auraient fait un métier honteux, ou qui se seraient étranglés. — Orelli, 4404.

[76] Servius, in Æneid., XII, v. 603. — V. ces magnifiques vers de Virgile où l'anathème, prononcé contre le suicide dans l'intérêt de la société, est d'autant plus remarquable, que le poète, entraîné par les préjugés de son époque, trouve le suicide moralement excusable (Énéide, VI, 434-439.)

Les jurisconsultes, depuis l'ibère, annulaient le testament et faisaient tomber entre les mains du fisc les biens de celui qui, accusé ou coupable d'un crime, s'était donné la mort. Mais, suivant en cela l'opinion des philosophes, ils ne modifiaient en rien la loi de succession pour celui qui s'était tué par dégoût, par ennui, par impatience des maladies, par honte de ses dettes. Paul., Digeste, 45, § 2, de Jure fisci (XLIX, 14).

[77] ....Cujus maligne perpetuaque in omnibus rebus lex est, ut, ad summum perducta, rursus ad infimum, velocius quidem quam ascenderant, relabantur. (Senec., Controv., I, præf., 7.)

[78] Tite-Live, Præfat., et VII, 2 Voyez aussi Properce, III, 13, v. 59.

[79] Le génie oratoire s'est élevé du point le plus bas et est arrivé au plus haut, en telle sorte qu'aujourd'hui il semble, selon la loi universelle de la nature, déjà commencer à vieillir et n'être pas loin du jour où il disparaîtra. Tuscul., II, 2. — A Cicéron ajoutez son contemporain Labérius :

Summum ad gradum cum claritatis veneris

Consistes ægre, et, citius quam ascendes, decides.

(Lab., apud Macrobe, II, 7.)

[80] Lucain, Pharsale :

Invida fatorum series, summisque negatum

Stare diu.....

(I, 70.)

In se magna ruunt : lætis hunc numima rebus

Crescendi possuere modum.

(I, 81.)

Nec se Roma ferens.....

(I, 72.)

Et Sénèque : Lorsqu'il n'y a plus de progrès, la chute n'est pas éloignée. La maturité annonce l'approche du déclin. Lorsqu'on cesse de croître, la fin approche (appetit finis ubi incrementa consumpta sunt). Ad Helv., 23

Sénèque reconnaissait aussi dans l'histoire romaine cette double période de croissance et de déclin : il plaçait l'enfance de Rome sous Romulus, qui l'avait comme, enfantée et élevée ; son adolescence, sous les autres rois qui lui avaient donné son accroissement, ses lois, ses traditions ; sous Tarquin, devenue plus mûre, elle avait rejeté la servitude... Et, après la fin de la guerre punique qui fat comme son initiation à la vie virile, elle entra dans sa période de jeunesse... Mais plus tard, après avoir vaincu tant de rois et tant de nations, n'ayant plus matière à guerroyer, elle fit de ses forces un déplorable usage, et les tourna contre elle-même : ce fut là le commencement de sa vieillesse. Et, lorsque déchirée par les guerres civiles, elle retomba sous le gouvernement d'un seul, ne semble-t-il pas qu'elle revenait alors comme à une seconde enfance ? Dans sa décrépitude, incapable de se soutenir, elle avait besoin de chercher un appui dans ceux qui la gouvernaient. Senec., apud Lactance, Div. Inst., VII, 15. La même idée dans Florus, I, proœm.

Celse, le médecin, applique la même donnée philosophique à la santé humaine : Lorsqu'un homme a trop d'apparence, d'embonpoint, de couleur, il doit tenir sa santé pour suspecte. Comme elle ne peut rester la même et qu'elle ne saurait plus faire de progrès, presque toujours elle doit reculer comme par une chute fatale. Celse, de Médic., II, 2.

[81] In plenum autem cuncto mortalium generi minorem in dies fieri (mensuram hominis), propemodum observatur : rarosque patribus proceriores, consumente ubertatem seminum exustione, in cujus vices nunc vergat ævum. (Pline, Hist. nat., VII, 16.)