§ III. — DES SPECTACLES. Mais en vain les arts se prêtent-ils à toutes les fantaisies dénaturées des heureux du siècle ; — en vain la littérature et la poésie, ne cherchant d'inspiration que dans l'école, tombent-elles dans la plus creuse déclamation ; — en vain la science, déchue de sa critique sévère, se prête-t-elle à accepter les radotages d'un monde vieilli ; — en vain la philosophie tombe-t-elle dans le vague le plus commode et dans des bouffonneries dignes du théâtre. La philosophie est suspecte et dangereuse ; l'art ne se fait point comprendre ; la littérature, si peu intellectuelle qu'elle soit, fatigue les intelligences. Pour Rome renégate à sa vie passée, peuplée de renégats à toutes les nations et à tous les dieux, ni tout son matérialisme de style, ni tout son matérialisme de pensée ne suffit encore. Par courtoisie, par dévouement servile, on ira entendre la récitation du poète ; mais on est impatient du spectacle. Le spectacle, c'est là ce qui réunit les désirs de tous ; peuple et empereur, riches et mendiants, vieux Romains et hommes nouveaux, Rome tout entière est là. C'est la grande joie, la grande passion, disons plus, la grande affaire, la grande destination de ce peuple. Donner des spectacles au peuple, c'est le seul devoir constitutionnel des empereurs ; ce deviendra la charge des consuls à mesure que les attributions sérieuses du consulat disparaitront[1]. C'est le genre de largesse que la multitude préfère à tout autre, et une donation de la femme au mari, qui serait nulle sans cela, mais qui a eu pour but de l'aider à donner des jeux, est validée pour la sainteté du motif[2]. Or, qu'était le spectacle ? Voici comme un Père de l'Église caractérise en quelques mots les divertissements des Romains : Infamie du cirque, impudicité du théâtre, cruauté de l'amphithéâtre, atrocité de l'arène, folie des jeux[3]. Le théâtre, en effet, n'était plus la pure et sainte
tragédie grecque, ni la satire poignante d'Aristophane, ni la fine comédie de
Ménandre. Plaute et Térence eux-mêmes, ces imitateurs, étaient devenus trop
intellectuels et trop délicats pour des esprits émoussés par tant de
désordres, tant d'orgies et tant de terreurs. Le poêle prétendrait-il parler
aux intelligences ? Ce sont les corps qui lui répondent et lui imposent silence
: La chasse ! les ours ! les funambules ! les
gladiateurs ! à bas le poète[4] ! à bas la pensée ! Ce n'est pas seulement la
populace, ce sont les chevaliers, les riches, Le machiniste est le seul poète. Le luxe de la mise en scène remplace et tue le luxe de l'imagination. Il faut des prodiges sur le théâtre, des décorations déployées et enlevées à chaque instant[6], une scène tonte d'or. Il faut sur le théâtre le tapage des chevaux, des chars, des éléphants ; il faut que l'infanterie et la cavalerie passent et repassent en déroute ; que six cents mulets portent les dépouilles d'une ville prise ; que trois mille guerriers sortent bien comptés des flancs du cheval de Troie[7] : et le peuple applaudit avec des clameurs sous lesquelles le poète reste impuissant à se faire entendre, et le drame meurt étouffé[8]. Il faut surtout qu'une joie moins innocente réveille l'esprit engourdi des spectateurs romains. Les jeux Fescennins, les farces Atellanes, cette humour grossière, cette rustique gaieté des aïeux, ne sauraient plus suffire à leurs descendants blasés. Là comme partout, l'indécence tient lieu d'esprit ; l'obscénité du spectacle et l'infamie de l'acteur rendent inutile le talent du poète. A ce prix le peuple romain s'amuse. A ce prix il applaudit ses histrions, prend parti pour l'un ou pour l'autre[9], livre bataille sur le théâtre, tue des hommes, jette des pierres au préteur ; et Néron, de sa loge impériale, jette des pierres lui-même, et rit comme un fou des innocents plaisirs de son peuple[10]. A ce prix encore, l'histrion, que l'austérité des lois antiques flétrit par l'infamie et prive des droits de cité[11], est par les mœurs relevé de cette flétrissure. Il prend place dans la cité, en dépit de la morale surannée qui le condamnait. Ce n'est pas assez qu'il soit réhabilité : il faut encore qu'il soit riche[12], glorieux, arrogant, plein d'insolence. Celui-ci montre du doigt et désigne à la colère du peuple un spectateur qui l'a sifflé ; cet autre se fait suivre et servir sur le théâtre par une matrone déguisée en esclave[13]. Mais l'histrion lui-même doit céder le pas au pantomime, dont l'art, tout récent encore, a été apporté dans Rome au temps d'Auguste. Un homme masqué, dansant au son de la flûte et des cymbales, jolie un drame tout entier, exprime par ses gestes mille sentiments, mille passions, mille péripéties : ses mains parlent, ses pas sont éloquents, sa danse rait verser des pleurs[14]. Aussi le pantomime est-il aimé, adoré, imité. Des théâtres s'élèvent pour lui dans toutes les maisons. La ville entière, la ville de Romulus et de Caton vient demander des leçons de leur art à ces hommes que la loi déclare infâmes. Hommes et femmes s'instruisent dans la science mimique : science profonde conservée en droite ligne par une succession de docteurs dans, les écoles des deux grands maîtres, Pylade et Bathylle[15]. Nulle fortune, nulle gloire, nulle adulation, nulle complaisance n'est suffisante pour payer le génie du pantomime. Une femme esclave gagne à ce métier sa liberté et une dot dei million de sesterces[16] (254.000 fr.). Des sénateurs font antichambre à la porte du pantomime ; des chevaliers l'accompagnent dans la rue ; le consulaire est à ses pieds comme la matrone[17]. Les villes érigent des monuments en souvenir de la bienveillance et de la vertu de l'illustre saltimbanque qu'elles ont vu naître[18]. Les pantomimes sont les plus honorés et les plus méprisables de tous les acteurs. Mais cependant, ni l'histrion ni le pantomime ne sont encore les véritables acteurs de la scène romaine. Leurs drames ne sont que jeu, plaisanterie, divertissement frivole : le drame sérieux et pathétique, c'est celui où meurent des hommes ; la véritable scène, c'est l'arène sanglante du Colisée ; le grand comédien de Rome, c'est le gladiateur ou le bestiaire ! L'amphithéâtre est ouvert, le peuple se presse sur les bancs de marbre : la chasse, le combat de gladiateurs, vont commencer ; l'une à la gloire de Diane, l'autre à la gloire de Jupiter. Ainsi le peuple romain sait faire de ses plaisirs, même les plus abominables, un acte de religion[19] Dans la chasse, sont épuisées toutes les variétés de la lutte des animaux entre eux et avec l'homme. L'intérêt augmente à mesure que la vie humaine est plus directement menacée. Ce sont d'abord des bêtes féroces excitées les unes contre les autres ; — puis des condamnés nus et attachés au poteau, livrés à la dent des monstres d'Afrique ; — puis le lion, le tigre, le taureau, attaqués à leur tour par le bestiaire à pied ou à cheval, armé ou désarmé, libre ou esclave, patricien de Rome[20] ou prisonnier barbare. Pompée a fait paraître six cents lions dans l'arène[21], Auguste quatre cent vingt panthères[22] ; un jour cinq cents Gétules ont combattu contre vingt éléphants[23]. Sur cette arène où sont entassés pêle-mêle les cadavres d'hommes et d'animaux, autour de laquelle des hommes armés de fouets repoussent au besoin le bestiaire qui voudrait se dérober, dans cette atmosphère tout imprégnée de l'odeur du sang, un cri de compassion s'est élevé une fois : c'était pour des éléphants[24]. Mais vient enfin l'heure désirée, l'heure du combat, où l'homme va lutter contre l'homme ; où toute l'énergie, tout le courage, toute la force, toute l'adresse, toute la science humaine, vont se mettre à l'œuvre pour renouveler, en pleine paix, les atrocités inévitables dans la guerre. Le laniste, cet éleveur de gibier humain, amène ses gladiateurs formés depuis des années dans son école, nourris de cette pâtée gladiatoriale[25] qui leur donne plus de sang pour l'arène. Il les a achetés s'ils sont esclaves, il les a loués s'ils sont libres[26] ; ils lui appartiennent en un mot jusqu'au sang et jusqu'à la mort ; c'est le troupeau qu'il engraisse et qu'il exploite. Ils lui ont promis obéissance ; au besoin ils combattront pour son compte jusqu'à six fois dans un jour. Ils lui ont juré, s'ils mollissaient dans le combat, s'ils pensaient à la fuite, de se soumettre au feu, aux chaînes, au fouet, aux supplices[27]. Voilà le serment[28] qu'ont prêté des hommes libres, des chevaliers, des sénateurs, des patriciens, de matrones. La puissance publique, Il est vrai, a frémi des cruautés de l'amphithéâtre ; on a voulu restreindre le nombre des gladiateurs. Auguste a cru pouvoir le limiter à soixante couples par jour[29] ; il a même ordonné (rare et noble exemple d'humanité) que son arrivée au théâtre sauverait la vie d'un combattant[30]. Il est allé plus loin, il a défendu de combattre à outrance[31] : vains efforts ! inutile révolte contre l'esprit du siècle ! on accorde tout à César, sauf le droit de faire grâce. Sans cesse on demande au sénat de lever la défense[32] et le sénat se montre complaisant pour les plaisirs du peuple et pour les siens[33]. Dirai-je maintenant les recherches infinies par lesquelles on diversifie l'art de tuer et la grâce de mourir ? l'essédaire qui combat dans un chariot ? le rétiaire qui poursuit le Gaulois jusqu'à ce qu'il l'ait enveloppé de son filet et percé de son trident ? les andabates qui combattent les yeux bandés, qui s'appellent, qui se suivent à la voix, tandis que le peuple éclate de rire à la vue de ce combat d'aveugles, de ces épées qui se cherchent, de ces blessures qu'on ne peut parer ? Voilà quels combats se répètent et se renouvellent tout un jour. Le peuple romain assiste à ces tueries en connaisseur. On juge une agonie comme on juge un comédien ; on applaudit un beau meurtre ; on siffle la victime qui tombe gauchement ou qui s'y prend mal pour mourir. Autour de cette arène sanglante, ce ne sont qu'applaudissements, cris de joie, sentences de mort ; paris perdus, paris gagnés ; bravos pour une blessure, pour une chute, pour une agonie ! bravos à qui tue bien, à qui meurt bien ! Non-seulement le peuple se passionne, mais il s'irrite et se divise ; le sang des spectateurs s'est mêlé plus d'une fois à celui des victimes. Il est midi, le spectacle est interrompu. Tout ce qui est entré dans l'arène en est ressorti ou par la porte de la chair vive (sanavivaria), ou par la porte des cercueils (sandapilaria), celle par laquelle morts ou demi-morts sont tramés au croc dans le spoliaire. Les moins curieux et les plus affamés des spectateurs vont dîner à la hâte ; les plus opiniâtres gardent leurs places et restent sur les bancs : il leur faut pourtant quelque distraction pendant l'intermède. Les bouffonneries sont devenues fades, les machines de théâtre manquent leur effet ; Mercure lui-même, venant avec un fer chaud tâter dans ces corps un reste de vie, et Pluton les achevant avec un maillet[34], n'ont plus le don de faire rire. Eh bien ! des gladiateurs encore ! — Les acteurs officiels de ces drames sanglants sont-il réservés pour d'autres heures ? — César prêtera au public ses gladiateurs particuliers ; il fera descendre sur l'arène le machiniste qui a manqué son effet de théâtre[35]. La lice d'ailleurs est ouverte aux amateurs ; on y vient combattre sans casque, sans bouclier ; on combat sans savoir combattre ; pourquoi toute cette habileté qui ne fait que retarder l'homicide ? Ceux qui ont vaincu le matin, poussés de force dans l'arène, sont jetés poitrine nue en face du glaive ; n'était-il pas monotone de les voir triompher et vivre ? C'est, après la sanglante tragédie de l'arène, une parodie plus sanglante encore, la petite pièce après le grand spectacle[36] ; des nains viennent vous égayer par leur mort. Que voulez-vous, le peuple s'ennuie ? il faut qu'il voie tuer ; il y a plus, il faut même qu'il tue[37]. Auprès de cette boucherie de midi, les combats du matin, dit Sénèque, étaient encore de l'humanité[38]. Et ces combats d'homme à homme ne sont rien encore auprès de la naumachie, auprès de la bataille. — Le Cirque est vide, les chars se sont retirés. Tout à coup des écluses ouvertes amènent des flots qui envahissent l'arène, et le Cirque devient un océan où nagent les crocodiles et les hippopotames : des hommes montés sur des barques viennent donner la chasse à ces monstres de la mer[39]. — Mais la chasse contre les animaux annonce toujours le combat entre les hommes. Bientôt deux flottes ennemies viennent se livrer bataille : trente navires de part et d'autre, chargés d'hommes voués à la mort, se poursuivent, se heurtent, s'abordent ; et les barques, qui dans les combats véritables servent à recueillir les blessés, sont destinées ici à éloigner du rivage les malheureux qui voudraient l'atteindre[40]. Le combat naval est-il fini ? les eaux s'écoulent : une bataille nouvelle commence sur le sable humide ; où deux flottes ont lutté, deux phalanges vont se combattre. Peuple romain, peuple-roi, n'est-ce pas assez ? es-tu enfin rassasié d'avoir vu tuer et mourir ? Faut-il s'étonner si à force d'admirer on imitait ? si les enfants, qui eux-mêmes assistaient aux combats de gladiateurs, se plaisaient à les imiter dans leurs jeux[41] ? si, plus tard, ces Romains dégénérés, poltrons à la guerre, trouvaient du courage pour l'arène, et de spectateurs devenaient combattants, de connaisseurs artistes ? si, ce que le gladiateur faisait par nécessité, l'homme libre le faisait par besoin d'argent, le riche par passion et par goût[42] ? si enfin, le peuple lui-même, animé par le spectacle de tant de meurtres, se livrait de sanglantes batailles, et laissait des morts sur l'amphithéâtre[43] ? — L'homme ne saurait impunément se repaître de la vue du sang : un tel spectacle conduit à tout, Rome sans croyance, sans enthousiasme, sans patrie, sans Dieu, ne connaissait que l'enthousiasme et le délire de l'homicide. Ce sera toujours un effroyable problème, un incompréhensible symptôme de la dégradation des âmes, que cette joie placée dans ce qui nous épouvante et nous repousse. Nous ne comprendrons jamais (grâces en soient rendues à notre divin Rédempteur !) ces cris de rage de quatre-vingt mille hommes rassemblés, quand ils supposent qu'une victime pourra leur manquer ; quand ils voient un gladiateur mollir, trembler, prendre la fuite, demander grâce : Pourquoi, crient-ils, cette lâcheté devant le fer ? cette lenteur à tuer ? cette paresse à mourir ?[44] Ce peuple tient la faiblesse du gladiateur à injure pour lui-même[45] ; il crie au laniste d'employer les verges et le fer, pour rendre aux combattants quelque chose de leur épouvantable courage. Nous ne comprendrons jamais ces effroyables sentences rendues par le peuple contre le gladiateur vaincu, tandis que le vainqueur, lui mettant le pied sur la gorge, attend avec indifférence la décision du souverain, et que le malheureux, couché dans la poussière, s'arrange pour mourir selon toutes les règles. Nous ne comprendrons jamais ces vierges douces et modestes qui, à la vue d'une blessure hardiment portée, se lèvent toutes ravies et s'écrient : Il en tient ![46] ces femmes qui s'irritent contre le vaincu, lorsqu'il semble implorer leur miséricorde, et qui s'élancent levant les mains et renversant les pouces en signe de mort ! ces vestales, ces vierges miséricordieuses et pures dont la seule rencontre sauvait un condamné[47], et qui là comptent les blessures, ordonnent l'homicide, font retourner et percer de nouveau le corps dans lequel elles soupçonnent un reste de vie[48] ! Nous ne comprendrons jamais cette tyrannie du dilettantisme romain qui ne laisse même pas au mourant la liberté de son dernier soupir, lui ordonne de prendre l'épée du vainqueur pour la conduire à sa gorge, ou bien, à genoux devant lui, de se cramponner à sa jambe, de peur que les convulsions de la souffrance ne rendent le dernier coup mal assuré[49] ! Claude, qui ne fut pas le plus cruel des empereurs, faisait tuer le gladiateur tombé à terre, même par hasard, et uniquement, dit Suétone, pour jouir du spectacle de son agonie[50]. Il faut que les témoignages soient unanimes, que toutes ces choses nous soient racontées, parfois avec un faible mouvement de pitié, plus souvent avec un sang-froid indifférent ou une joie enthousiaste[51], par ceux qui tous les jours en étaient spectateurs : il faut qu'une centaine d'amphithéâtres soient demeurés debout ; que nous ayons pu pénétrer dans le spoliaire[52], la caverne où l'on achevait les victimes, dans la loge où les lions et les tigres étaient enfermés à côté du prisonnier humain ; que nous ayons lu le programme de ces horribles fêtes ; que nous ayons ramassé le billet qui donnait droit d'y d'assister[53] ; que nous ayons dans les mains les certificats d'honneur conférés aux gladiateurs émérites[54] : il faut que nous lisions sur les marbres du Vatican et sur les murailles de Pompéi les noms des gladiateurs, le nombre de leurs victimes, les éloges griffonnés au-dessous de leurs images par la main inexpérimentée des hommes du peuple, les témoignages officiels de reconnaissance votés par les villes aux magistrats qui leur ont donné en spectacle d'aussi belles tueries[55] ; il faut que les bas-reliefs antiques nous aient transmis l'image de ces épouvantables plaisirs[56], pour que nous puissions y croire, pour que le philosophe chrétien arrive à démêler dans le fond du cœur de l'homme cette fibre hideuse qui aime le meurtre pour le meurtre, le sang pour le sang. Et remarquez (pour achever le tableau de cette fête) que ces boucheries s'accomplissaient au son des symphonies et des chants ; un orchestre de mille instruments mêlait sa voix aux clameurs de l'amphithéâtre[57]. Des voiles de pourpre brodés d'or ondoyaient au-dessus de la tête des spectateurs pour les protéger contre les ardeurs du jour — car lorsqu'il s'agissait de l'amphithéâtre, le repos, le sommeil, la sieste, la maison, la famille, on oubliait tout —. De jeunes et beaux esclaves venaient, après chaque homme tué, retourner avec des râteaux la poussière ensanglantée. Des tuyaux ménagés avec art, versant sur le spectateur une rosée odorante, rafraîchissaient l'air et corrigeaient l'âcre parfum du sang[58]. Des mosaïques, des statues, des bas-reliefs ; des incrustations de marbres précieux charmaient l'œil du spectateur ; des machines de théâtre l'émerveillaient pendant les intermèdes par la beauté de leurs effets[59]. Et enfin, sous une des arcades de l'amphithéâtre que désignait un emblème impur, des prostituées avaient leur boudoir à côté de l'arène rouge de sang et du spoliaire encombré de cadavres[60]. Tout était là : atrocité du meurtre, — raffinements de la délicatesse, — excès de la magnificence, — infamie de la volupté. Le sang et la débauche ! voilà Rome et les spectacles romains[61] ! La comédie, c'était la prostitution montant sur la scène ; la tragédie, c'était l'homicide se déployant en plein théâtre. Ne vous étonnez pas si la tragédie, telle que nous l'entendons, fait défaut à la littérature romaine ; si les drames attribués à Sénèque ne sont que de pauvres déclamations sans intérêt dramatique ; si, pendant les siècles de l'empire, la tragédie et la comédie grecque tombent à peu près complètement en oubli, ou, quand elles trouvent des imitateurs, ces imitateurs n'ont pas de prétentions à monter sur la scène et se bornent à des lectures publiques. A vrai dire, il n'y a pas de littérature dramatique sous l'empire romain[62]. C'est que le drame en action tuait le drame en paroles[63]. La poésie eût été trop vague, la peinture trop muette, le drame trop fictif : l'esprit romain, dégénéré de sa grandeur, mais retenant son sens positif des choses, ne se prêtait pas à être trompé ; il dépouillait de ses voiles la mythologie grecque ; il fallait que l'attrait fût grossier pour le séduire, que la catastrophe fût réelle pour l'émouvoir ; au lieu de l'illusion du spectacle, il demandait la réalité. A ce positivisme, ou, si l'on veut, à ce réalisme du théâtre, vers lequel nous aussi nous tendons, il fallait l'indécence dans toute sa grossièreté, le meurtre dans sa réalité la plus atroce. Dans l'Incendie d'Afranius, une maison était brûlée et pillée par les comédiens à leur profit[64]. Dans un autre drame (Laureolus), la scène fut inondée du sang des acteurs[65]. L'héroïsme de Mutins Scævola, les aventures de Pasiphaé, le supplice d'Attys, celui de Prométhée, la mort d'Hercule, celle de Dédale, étaient représentées au naturel, jusqu'à ce que mort s'ensuivît : on voyait Orphée bel et bien déchiré par un ours ; et Plutarque parle eu moraliste paisible de ces esclaves que les enfants admirent dans leur robe de pourpre et d'or jusqu'à ce que la flamme vienne les envelopper[66]. C'était pour la justice une manière d'exécuter gaiement ses arrêts que de faire de ses malfaiteurs des gladiateurs ou des comédiens, et de les envoyer sur la scène[67]. Le parterre romain eût dédaigné nos incendies de feu d'artifice, nos océans de carton, nos batailles à coups de fleurets : il voulait des flots, des flammes, des cadavres, du sang sur l'arène, du sang sur le seuil du temple d'Aricie, du sang sur le bûcher des morts, du sang sur la table des festins. On a dit que Rome manquait de poésie. On s'est trompé : la poésie de Rome était en action. La poésie propre au peuple romain, dit un écrivain illustre, est ailleurs que dans les vers composés avec art, à l'imitation des poésies grecques. Il faut la chercher dans les combats du Cirque..., dans ces luttes où le gladiateur, se défendant contre la mort, devait tomber et mourir avec grâce s'il voulait gagner les applaudissements du peuple ; dans ces amphithéâtres où plus tard on entendit tant de fois ces clameurs du peuple contre une secte détestée : Aux lions ! les chrétiens aux lions ![68] De tout ceci, il faut gémir, il faut nous indigner, il faut rendre grâce à Dieu qui nous a sauvés de telles horreurs. Mais il ne faut pas nous étonner. Quand l'homme ne connait pour sa vie d'autre but que la jouissance, il n'est pas d'excès auquel il ne puisse arriver. Son désir est insatiable ; et, promptement dégoûté de ce qu'il a, il arrivera bien vite, des jouissances permises aux jouissances illicites, de ce qui est dans l'ordre de la nature à ce qui lui est le plus contraire, de ce qui le séduit ace qui lui répugnait davantage, de ce qui flatte ses sens à ce qui les révoltait. Les plus grandes abominations et celles qui choquaient le plus sa nature première, en viennent à n'être plus pour lui que des émotions, des émotions nouvelles destinées à lui procurer des jouissances lorsque les émotions anciennes, devenues insipides, n'en produisent plus. Que dans notre société, il y ait une tentative pour rétablir les combats de gladiateurs : l'opinion générale se révoltera, j'en suis sûr ; le pouvoir empêchera, j'en suis convaincu. Mais supposons par impossible que le pouvoir et l'opinion n'empêchent pas complètement ces tentatives ; que ces représentations, quoique blâmées, aient lieu une ou deux fois ; ces représentations, nous pouvons en être sirs, ne manqueront pas de spectateurs. |
[1] Dion Cassius, XLIX, 42 ; LIX, 14 ; LX, 27 ; LXXX, 5. Vopiscus, in Aurel., 12, 15.
[2] 42, Digeste, de donationib. inter virum et uxorem (XXIV, 1).
[3] Isidore, XVIII, 39. Sénèque disait déjà : Nil tam damnosum moribus quam in spectaculo desidere. (Ép. 7.)
[4] Horace, II, Ép. 1. Dès le temps de Térence, il en était déjà ainsi. V. le prologue du Phormion, et surtout le prologue curieux de l'Hécyra.
[5] Horace, II, Ép. 1.
[6] Horace, II, Ép. 1.
[7] Cicéron, Fam., VII, 1
[8] Horace, II, Ép. 1.
[9] Sur ces partis, V. Dion, LIV ; Senec., Ép. 47, etc.
[10] V. sur tout ceci, Tacite, Annal., I, 9, 54, 77 ; IV, 14 ; XI, 13 ; XIII, 24, 25, 28 ; XIV, 21 ; Suet., in Ner., 26 ; Dion, LIV ; Macrobe, II, 9. — Mesures d'Auguste contre les histrions et les gladiateurs ; il les affranchit néanmoins du droit absolu de correction que les magistrats exerçaient sur eux. Il les déclare immunes verberum, comme tous les citoyens romains. Suet., in Aug., 45. Tacite, Annal., I, 77. — Désordres que causent les histrions (ans de J.-C. 14, 15). Mesures prises par le sénat, qui fixe le maximum de leurs gains et prononce la peine de l'exil contre les spectateurs turbulents. Id., 9, 55, 77. — Les histrions sont expulsés de l'Italie (an 231. Tacite, IV, 14. Suet., in Tiber., 37. — Émeutes à leur sujet que le sénat cherche à comprimer (an 57). XIII, 28. — Expulsés de nouveau (an 56) ; Néron rappelle pour la garde du théâtre les soldats qu'il en avait jadis éloignés, quo major species libertatis (cette police était odieuse au peuple). Tacite, XIII, 2, 4, 25. — Les histrions rappelés (an 60) pour les jeux Juvénaux. Tacite, XIV, 21. — V. Digeste, 28, de Pœnis (XLVIII. 19).
[11] Saint Augustin, de Civit. Dei, II, 13. Quintilien, III, 6. Digeste, I, 2 § 5, de His qui notantur inf. (III, 2). — Aussi la plupart des histrions étaient-ils affranchis ou esclaves. Cicéron, pro Q Rosc., 10 ; ad Attic., IV, 15. Pline, Hist. nat., VII, 36. Senec., Ép. 80.
[12] Un acteur de talant pouvait gagner 100.000 sert. (19.000 fr.). Cicéron, pro Q. Rosc., 10. — Roscius en gagnait 5 à 600.000 quand il voulait. Ibid., 8. Pline, VII, 393. — D'autres même disent que du temps de Sylla il recevait pour lui seul 1.000 deniers (776 fr.) par jour du trésor public. Macrobe, Saturn., II, 10. — Le tragédien Æsopus, malgré ses effrayantes prodigalités, laissa à son fils une fortune de 20 millions de sesterces (3.900.000 fr.) acquise tout entière sur la scène. Macrobe, ibid.
[13]
L'un était le pantomime Pylade, l'autre le togataire Stéphanion. Suet., in Aug., 45 ; V. aussi
Cicéron, ad Attic., XI, 19 ; pro Sextio, 56, 58.
[14] Juvénal, VI, 63 ; XIII, 110.
Martial, III, 86. Horace, I, Ép. XVIII, 14 ; II, Ép. II, 125.
Suet., in Ner., 54.
[15] Senec., Natur. quæst., VII, 33. Macrobe, II, 7. Zosime, I, 6. Les noms eux-mêmes se perpétuaient. Ainsi nous trouvons un Pylade, affranchi d'Hadrien, qui inventa les jeux Hiéroniques (hieronica instituit) ; un autre Pylade, affranchi de L. Verus, disciple du précédent et qui perfectionna cette invention (Gruter, 311) ; un Pylade, affranchi des deux Augustes (Marc-Aurèle et Verus ?). Orelli, 2629. — Le nom d'Apolaustus fut aussi héréditaire chez les pantomimes ; ainsi : un Apolaustus, affranchi de Trajan, le plus grand des pantomimes, couronné au-dessus de tous les acteurs et histrions (Gruter, 331) ; — un autre, affranchi de L. Verus. Orelli, 2630 ; — un autre appelé aussi Aurelius (affranchi de Marc-Aurèle, de Commode ou de Caracalla ? Id. 2628.)
[16] Senec., ad Helviam, 12.
[17] Consularis pantomimi mancipium. (Senec., Ép. 47.) V. le S.-C. rendu sous Tibère an 15) qui défend aux sénateurs d'entrer chez les pantomimes, aux chevaliers de les accompagner dans la rue, et qui leur interdit de jouer ailleurs qu'au théâtre. Tacite, Annal., I, 77.
[18] Ainsi, Rebellius Renatus, le premier pantomime de son temps, prêtre de Diane victorieuse et d'Apollon Palatin, deux fois couronné par l'empereur.... unanimement réclamé par la colonie de Telesia pour sa bienveillance et sa vertu insigne. Orelli, 2626. — Un autre premier pantomime de son temps.... parasite d'Apollon, grand-prêtre du Synode, à qui la république Prénestine élève une statue sur la demande du peuple, à cause de son insigne amour pour ses concitoyens et sa patrie. 2627. — Un Apolaustus, avec les mêmes titres, est de plus Augustalis Capuæ maximus. 2628. — Un Pylade a été honoré des ornements du décurionat par les plus illustres cités d'Italie. 2629. — Un monument est élevé par la ville de Canusium à un autre Apolaustus, le premier pantomime de son temps, magistrat suprême du collège des Augustaux. 2630. — Remarquez que ces hommages s'adressent tous à des pantomimes affranchis des empereurs.
[19] Origine des combats de gladiateurs : sacrifices humains offerts dans les funérailles à titre d'expiation pour les morts. Tertullien, de Spectac., 12. Tite-Live, Ép. XVI. Val.-Max., II, 4, 7. Servius, in Æneid., III, 67 ; X, 519. Le premier combat de gladiateurs à Rome eut lieu en 490, la première année des guerres Puniques. (Vitruve, V, 1. Valère Max., II, 4.)
[20] Une chasse fut tout entière composée de nobles. Suet., in Aug., 43. — Sur la participation des nobles à ces jeux, V. t. II. — Hommes libres enlevés de force pour y figurer. Cicéron, in Pisone, 36.
[21] (An 698) Pline, Hist. nat., VIII, 16. Dion, XXXIX. Cicéron, Fam., VII, 1.
[22] Pline, Hist. nat., VIII, 24 (17). Un sénatus-consulte défendait autrefois d'amener des panthères en Italie. Mais le peuple leva cette défense (670), et Scaurus, édile (an 695), en fit paraître 150. Pompée en eut à ses jeux 410 ; Auguste, 420. Id., ibid. — A la dédicace du théâtre de Marcellus (743), Auguste fit paraître pour la première fois un tigre apprivoisé. Claude en fit voir quatre. Id., 25 (17). — La girafe (nabis ou camelopardalis) parut pour la première fois aux jeux de César dictateur (an 706), et plusieurs fois depuis ce temps. Ibid., 27, (18). — Aux jeux de Pompée parurent pour la première fois (an 698) le chama ou rufius (loup-cervier) et le rhinocéros. Id., 28 (19). — Aux jeux de Scaurus (695) parurent un hippopotame et cinq crocodiles, Id., 40 (26). — Sur la girafe, V. encore Horace, II, Ép. 1.
Quant aux éléphants, ils parurent pour la première fois en 655 ; en 675 ils combattirent contre des taureaux. Pompée (698) en produisit 17 ou 20 ; César 20. — Sous Claude et Néron, combats d'homme seul à seul contre un éléphant. Pline, VIII, 7.
[23] Pline, VIII, 7. Senec., de Brevitate vitæ, 13. — Auguste, dans les mêmes jeux, fit périr environ 3.500 bêtes. Lapis Ancyr. — Trajan donna 123 jours de jeux, où périrent jusqu'à 1.000 et 10.000 bêtes en une seule chasse. Xiphilin. — Titus fit tuer 5.000 bêtes en un seul jour Suet., in Tito, 7. — Ce gibier devint rare, et il y eut des lois contre ceux qui tueraient un lion en Afrique même pour leur défense ! Cod. Théod., loi 1, de Venatione ferarum. Les premiers chrétiens levèrent cette défense.
[24] Pline, VIII, 7. Dion, XXXIX. V. aussi Cicéron, Fam., VII, 1.
[25] Gladiatoria sagina. Tacite, Hist., II, 88. V. aussi Senec., Ép. 37, Properce, IV, 8 ; V, 25.
[26] On en loua pour dix talents (50.000 francs environ). Tite-Live, XLIV, 31.
[27] Uri, vincini, ferroque necari. Senec., Ép. 37, Horace, II, Sat. VII, 57. Pétrone, 117. V. encore Cicéron, Phil., XI, 5 ; Xiphilin, in Caracalla.
[28] Auctoramentum. (Senec., Ép. 37.)
[29]
Autrefois on ne donnait pas plus de 100 gladiateurs. Tite-Live, XXXI, 50 ;
XIXIII ; 30 ; XXXIX, 46. Pline, Hist. nat., XXXV, 7. — Une loi de
Cicéron défendit de donner des jeux dans les deux ans qui précèdent une
candidature. Cicéron, in Vatin., 15 ; pro Pisone, 64. — Auguste
défendit que le même homme donnât des jeux plus de deux fois dans l'année (an
732), et à chaque fois plus de 120 gladiateurs, Dion, LIV, 2. — Ces mesures avaient
été provoquées par la cruauté que fit voir dans ses jeux Domitius, grand-père
de Néron. Sue, in Ner., 4. — Le sénat avait déjà fixé une pareille
limite après les jeux de César, qui avait donné 32Q paires de gladiateurs.
Plutarque, in Cæs., 5 (an 687). Suet., in Jul., 10. — Restriction
pareille sous Tibère (Id., in Tiber., 34, 40, 47. Tacite, Annal.,
62, 63. An de J.-C. 27). — Elle est levée par Caligula, Dion, LIX, p. 650. —
Agrippa à Béryte fait combattre à mort 1.400 condamnés (an 43). Josèphe, Antiq., XIX, 7.
[30] Ovide, II, Pontica, VII, 53.
[31] Suet., in Aug., 45. Restrictions apportées par Néron au commencement de son règne. Tacite, XIII, 5, 31 : il donne des jeux où il ne fait mourir personne, même pas un coupable. Neminem occidit ne noxiorum quidem. (Suet., in Ner., 12.) Il dispense les questeurs de donner des jeux, interdit aux gouverneurs des provinces d'en donner. Tacite, Annal., XIII, 5, 31.
[32] Tacite, Annal., XIII, 49. Vulgatissimo senatus consulto. (Suet., in Calig., 18 ; in Claud., 21, 34.) — Sur Néron, V. Suet., 11, 12.
[33] Dans la suite, Trajan fit paraître dans les mêmes jeux 10.000 gladiateurs. Xiphilin. — Gordien, édile, donne 12 spectacles dans l'année, et à chacun 150 au moins et jusqu'à 500 paires de gladiateurs. Capitolin, in Gordian., 3. — Il y avait progrès !
[34] Tertullien, Apolog., 14 ; Adversus gentes, I, 10.
[35] Claude aimait tellement les combats de bestiaires et les gladiateurs de midi, que dès le matin il descendait au spectacle ; et à midi, lorsque le peuple allait dîner, il restait au théâtre, et, à défaut de gladiateurs désignés, il faisait combattre les premiers venus ; ainsi faisait-il descendre dans l'arène quelqu'un des machinistes ou des ouvriers, lorsqu'ils avaient commis quelque faute. Il y fit entrer un de ses nomenclateurs encore couvert de la toge. Suet., in Claud., 14. V. aussi in Calig., 35. Caligula fit jeter aux bêtes quelques spectateurs inoffensifs après leur avoir fait couper la langue pour qu'ils ne pussent crier. Dion, LIX, p. 64.
[36] Ludicræ meridianorum crudelitates. (Senec., Ép. 7.)
[37] Mane leonibus et ursis, meridie spectatoribus suis objiciuntur. (Senec., Ép. 7.).
[38] Quidquid ante pugnatum est, misericordia fuit. (Senec., Ép. 7.) V., sur ces gladiateurs de midi (meridiani), Suet., in Claud., 34. Dion, LX. — Sénèque surtout, Ép. 7, 90, 95 : Interim jugulantur homines ne nihil agatur.
[39] Suet., in Ner., 12. Pline, Hist. nat., VIII, 26. Dion, LV.
[40] V. sur les naumachies : sur celle de César, Velleius Pat., II, 86, § 2 ; — celle d'Auguste, Dion, LV. Lapis Ancyr. ; — celle de Néron, Dion, LI, LII ; Suet. in Ner., 12 ; — de Caligula, Dion, LIX, p. 647.
[41] Épictète, apud Arrien, III, 15.
[42] V. Dion, ibid. Le P. Garrucci remarque que, jusqu'à l'an de Rome 740, les tesseræ gladiatoriæ ne présentent que des noms d'esclaves ; plus tard viennent des noms d'affranchis et même d'ingénus.
[43] Ainsi à Pompéi en 60. Tacite, Annal., XIV, 17.
[44] Senec., Ép. 7.
[45] Injuriam putat quod non libenter pereunt ? Contemni se putat. (Senec., de Ira, I.) In gladiatoriis pugnis timidos et supplices et ut vivere liceat obsecrantes odisse solemus. (Cicéron) — Quelles douleurs ne supportent pas les gladiateurs, des hommes perdus ou des barbares ! Et ils les supportent comme des hommes accoutumés à recevoir courageusement une blessure plutôt qu'à l'éviter honteusement. Que de fois il est évident que leur seule pensée est de plaire à leur maître et au peuple ! Couverts de blessures, ils envoient demander à leur maitre s'il exige d'eux quelque chose encore ; si leurs maîtres sont contents, ajoutent-ils, ils ne demandent plus qu'à mourir. A-t-on jamais vu un gladiateur, même médiocre, pousser un gémissement, changer de visage ? je ne dirai pas combattre, mais tomber avec faiblesse ? couché par terre et condamné à mourir, retirer sa gorge pour éviter le glaive ? Cicéron, Tuscul., II, 17.
[46] Hic habet ! (Juvénal. Cicéron, pro Milone, 34.)
[47] Plutarque, in Numa, 18.
[48] Lactance, Div. Instit., VI, 2. Prudent., Contra Symmach., II, v. 1100, 1115.
[49] Cicéron, Tuscul., II, 17. Senec., Ép. 30. Mazois, Ruines de Pompéi, t. I, pl. 92. — Jugulum adversario præstat, dit Sénèque, et errantem gladium sibi attemperat.
[50] Maxime retiarios (les rétiaires combattaient la face découverte) ut expirantium facies videret (Suet., in Claud., 34.) — On reprochait cependant à Drusus son goût trop ardent pour de tels spectacles : Quaniquam vili, sanguine tamen nimis gaudens. Tacite, Annal., I, 76. Sur Caligula, V. encore Dion, LIX, p. 647. C.
[51] Nous avons vu, dit Pline faisant le panégyrique de Trajan, un spectacle de gladiateurs dans lequel rien ne rappelait la mollesse et la lâcheté ; rien n'était fait pour affaiblir et pour énerver les âmes ; tout, au contraire, était destiné a exciter en nous le mépris de la mort et le désir des nobles blessures, en nous faisant voir même dans les esclaves et dans les coupables l'amour de la gloire et le désir de vaincre. Pline, Paneg., 33. — Thraséa cependant blâme dans le sénat le goût excessif pour les jeux de l'arène. Tacite, Annal., XIII, 49.
[52] Il y avait un curateur des spoliaires. Orelli, 2554.
[53] Tesseræ gladiatoræ. Des années de Rome 693, 698, 717, 734, 759, et après J.-C., 5, 15, 25, 32. (Orelli, 2560-2561. Henzen, 6160 et s. Borghesi, Œuvres, III, 25. )
[54] Inscriptions sépulcrales de gladiateurs, de professeurs en ce genre (doctor Thracum, secutorum, etc.), de lanistes, de gardiens des armes (armamentarius), ou même de médecins de l'amphithéâtre. Orelli, 2532, 2552-2554, 2571-2580. — Inscriptions populaires en l'honneur des gladiateurs. Garrucci, Inscriptions cursives de Pompéi, pl. X et XI. Orelli, 2541, 2555. Les inscriptions citées par le P. Garrucci sont au-dessous de figures de gladiateurs, grossièrement charbonnées ou peintes, comme les inscriptions elles-mêmes. Plus bas, l'écrivain a ajouté cette parole, destinée à assurer la conservation de son monument ; ABIAT VENERE ROMBEIANA IRADAM QUI HOC LASSARIT (habeat venerem Pompeianam iratam qui hoc læserit), ce qui prouve que, chez ces amis du progrès, l'instruction primaire était aussi avancée que de nos jours. — Annonces de spectacles à Pompéi. Orelli, 2556-2559. Henzen, 6166-6170. (On promet des VELA pour garantir les spectateurs du soleil.) — Hommages rendus aux citoyens qui ont construit ou agrandi les amphithéâtres. Orelli, 2532 (construction à Préneste d'un ludus gladiatorius avec un spoliaire), 2535, 2538, 2540.
[55] Les inscriptions des villes constatent, à l'honneur des donateurs, le nombre de paires de gladiateurs qu'ils ont donnés. — A Pompéi, A. Clodius a donné 35 paires, plus des taureaux, ours, sangliers, etc. (Orelli, 2530.) — A Naples, Vératius a donné 10 bêtes, 4 éléphants et 4 paires de gladiateurs seulement (Id., 2533). — Ailleurs 20 paires de gladiateurs à la santé des Césars (2534). (En même temps, on donnait au peuple des repas, du vin, des bouffons, etc.)
A Rome T. Ancharius, édile, a donné 8 fois des jeux de gladiateurs ; — son fils en a donné 30 paires et une chasse (2545). — A Otrante, un donateur a imaginé le premier, à force d'argent et d'exhortations, de faire combattre entre eux tous les vainqueurs des jeux précédents. Hic primus et solos victores Campaniæ pretiis et æstim(atione) paria gladiat(orum), ededit (2570). — A Minturnes, Bœbius a donné 11 paires, fait périr 10 gladiateurs et 10 ours. (Henzen, 6148). — Un père érigeant un tombeau à son fils, rappelle que celui-ci a donné des jeux de gladiateurs pendant trois jours, plus le supplice de quatre malfaiteurs, spectaculum glad. triduo ædit et noxeos quatuor. (H, 6150). — A Tivoli, 20 paires et une chasse (6151). — A Telesia, 5 bêtes africaines et une famille de gladiateurs (6152).
A Pollentia, aux funérailles d'un citoyen important, le peuple arrête le convoi et se fait donner de force par sa famille de l'argent pour un combat de gladiateurs. (Suet, in Tiber., 37.) — Ailleurs, Pline conseille à son ami d'honorer ainsi les obsèques de son père. (VI, Ép. 31.)
[56] Bas-reliefs du tombeau dit des gladiateurs à Pompéi. — Vases de verre trouvés à Chambéry, et représentant des combats de gladiateurs. M. F. Lenormant, Revue archéologique, 1865, tome II, p. 305.
[57] Senec., Ép. 85.
[58] Senec., Quæst. nat., II, 9 ; Ép. 90.
[59] Senec., Quæst. nat., II, 9. Suet., in Calig., 26 ; in Claud., 34. Strabon, VI.
[60]
Ainsi au Colisée ; dans l'amphithéâtre de Nîmes, V. Millin, Voyage dans le
midi de
[61] Quelques écrivains ont pensé, qu'excepté à Rome, où les combats de gladiateurs étaient incontestablement de véritables boucheries, ils n'étaient souvent ailleurs que des assauts d'armes, par conséquent presque toujours inoffensifs. J'admets bien que les entrepreneurs de province, moins riches et ayant affaire à un public moins blasé, ménageaient davantage leurs gladiateurs, mais les preuves sont nombreuses de la fréquence de luttes homicides hors de Rome. Ainsi Agrippa, à Béryte, fait combattre 1400 hommes qui périssent jusqu'au dernier. Josèphe, Antiq., XIX, 7. — Plusieurs inscriptions des villes mentionnent le nombre de gladiateurs tués (V. ci-dessus et Henzen, 6148, 6150). — Une inscription de Pompéi mentionne deux couples de combattants et deux morts indiquées par la lettre Θ (ανατος). Orelli, 2555. — Le vase de lierre de Chambéry offre trois exemples de gladiateurs tombés, parmi lesquels un au moins frappé d'un coup mortel. (M. Lenormant, loc. cit.) — Dans le théâtre de Bacchus à Athènes qui avait été disposé sous les empereurs pour y donner au besoin des combats de gladiateurs, un égout avait été pratiqué pour l'écoulement du sang. (Le même, Revue archéol., juin 1864.) — Voyez encore le passage si célèbre de saint Augustin, où il peint les émotions d'Alype lorsqu'il se laissa entraîner à être témoin de combats de gladiateurs. Elles n'eussent pas été motivées si ces combats à Carthage eussent été habituellement inoffensifs. (Confess., VI, 8.) — Enfin, les passages que je citerai ailleurs au sujet de l'introduction des jeux de gladiateurs en Grèce et des sentiments d'humanité au nom desquels on voulut s'y opposer.
[62] Voyez sur ces tragédies de cabinet, ainsi qu'il lès appelle, et la pauvreté de la littérature dramatique chez les Romains, M. Nisard, Études sur les poètes latins de la décadence, t, I, p. 93 et suiv.
[63] Je ne crois pas qu'il y ait aucune réunion du peuple, aucune assemblée, aucun comice où la foule soit plus nombreuse qu'aux jeux de gladiateurs. Cicéron, pro Sextio, 59.
[64] Suet., in Ner., 11.
[65] Suet., in Calig., 57.
[66] Martial, de Spectac., 7, 8, 21 ; VIII, 30. Tertullien, Apolog., 15. Plutarque, de Sera nominis vindicta, 9.
[67] Aussi Martial faisant allusion à ces supplices mythologiques, dit-il : In quo, quæ fuerat fabula, pœna fuit.
[68] Frédéric Schlegel, Philosophie der Geschichte, I. Theil, 9. Vorlesung, p. 332.