LES CÉSARS JUSQU'À NÉRON

TABLEAU DU MONDE ROMAIN SOUS LES PREMIERS EMPEREURS

LIVRE TROISIÈME — DES MŒURS

CHAPITRE PREMIER. — LA SOCIÉTÉ.

 

 

§ I. — ENTRÉE DANS ROME.

Tout à l'heure, au moment de faire connaître la politique de Rome et les bases sur lesquelles était constitué son empire, nous avons dû jeter un coup d'œil sur ses provinces, et dans un rapide voyage étudier la forme extérieure du monde que Rome avait soumis et auquel Rome commandait. Aujourd'hui, avant de décrire les mœurs et la vie sociale du monde romain, c'est dans Rome elle-même, ce semble, que nous devons entrer : Rome est la cité maîtresse, la cité dans laquelle le monde se réunit et se mêle, dans laquelle les nuances s'effacent, les contradictions se balancent, les contrastes s'établissent ; c'est en elle que nous devons aujourd'hui, autant qu'il est en nous, montrer l'empire dans toute sa puissance et toute sa vie.

Reprenons donc notre course. Nous avions côtoyé l'Italie et nous étions entrés dans le golfe de Naples, dans ce magnifique amphithéâtre où, depuis vingt siècles, on vient pour respirer et pour vivre : les Romains eussent dit, comme le Tasse : Voir Naples et puis mourir ! A Pouzzoles, nous avons posé le pied sur la terre italique, et nous suivons lentement la voie Appia, dont les bords sont alternativement semés de villas et de sépulcres.

A ce double signe reconnaissez l'Italie. Çà et là, au milieu d'une campagne aride et poudreuse, ou bien parmi des marais fiévreux, non loin d'un palais magnifique, un esclave, les fers aux pieds, cultive paresseusement une terre qui n'est pas à lui. Le champ des robustes Sabins a été livré, pour redire l'expression hardie de Pline, à des mains enchaînées, à des pieds liés par les entraves, à des visages marqués d'un fer rouge[1]. La culture joyeuse et libre a été chassée par la culture servile et sans cœur, le père de famille par l'esclave de la glèbe, qui tous les soirs va dormir garrotté dans les cellules souterraines de l'ergastule. Ce n'est pas assez : les parcs et les villas ont encore rétréci l'espace que pouvait parcourir la charrue ; entre le travail nonchalant de l'esclave et la stérile magnificence du maître, entre le champ à moitié déserté par une bêche indolente et l'enclos planté à grands frais d'arbres étrangers et inutiles, le sol du Latium, tourmenté par le caprice et desséché par l'égoïsme, s'est refusé à l'homme, et son aspect s'est profondément attristé. Ce sont de loin en loin les vapeurs menaçantes de ses marais, les ruines de ses villes, signes de l'atonie de cette terre qui ne nourrit plus ses habitants : et quand, à travers cette plaine poudreuse et résonnante, le silence des villas et des tombeaux dont ce sol est si riche est par hasard interrompu par le cri plaintif du pâtre esclave ou par le bruit de ferraille de l'ergastule, on se sent auprès de Rome, et on respire cet air qu'elle répand autour d'elle, cet air de servitude, de magnificence et de mort.

Peu à peu, sur la ligne droite et claire de l'horizon, la grande ville apparaît, mélange confus d'édifices qu'enveloppe un nuage de fumée ; Rome, que Virgile appelle la plus belle des choses[2], cité commune de toute terre, capitale de tous les peuples, ouverte à tous[3] ; abrégé du monde[4], ville des villes[5] ; Rome chantée par les poètes, exaltée par les orateurs, maudite et admirée des philosophes, et qu'après tout ses panégyristes n'ont pas trompée lorsqu'ils l'appelaient la ville éternelle.

Éternelle, il est vrai, non par la force, comme elle prétend l'être, mais, ce qu'elle n'espère point, par l'intelligence ; non par les armes, mais par la parole ! Rare et glorieux destin de cette cité, que Dieu fit pour le commandement, qui ne perdra un jour l'empire des choses que pour ressaisir l'empire plus glorieux de la pensée ! la plus grande, sans nul doute, de la civilisation et de l'histoire, et qui comptera deux mille ans et plus de royauté sur la partie civilisée du monde ! Un jour la Rome chrétienne, au-dessus de ce bruit et de cette poussière qui enveloppe les monuments de la Rome impériale, se fera reconnaître par la croix du Vatican, plus proche du ciel et plus évidente, symbole d'élévation et d'unité.

Mais à mesure que nous marchons, Rome nous environne, naît et pour ainsi dire s'épaissit autour de nous. On ne sait où elle commence, on ne sait où elle finit. En quelque lieu que l'on se pose, on peut se croire au centre[6]. Peu à peu ces maisons disséminées aux avant-postes de la cité, le suburbanum du riche, le tugurium du pauvre, les tombeaux épars, les chapelles isolées se rapprochent, serrent leurs rangs, s'alignent en rues et deviennent ville. Un faubourg de Rome est presque une cité, simple vestibule de celle qu'on nomme la ville[7].

Continuons notre route, franchissons à la porte Capène le Pomérium de Servius ; traversons le centre de ce tourbillon et de cette magnificence, le cœur de la cité, son Forum ; et si, troublés par le flux et le reflux de tout ce peuple agité dans Rome comme la mer dans son bassin, nous voulons nous recueillir et contempler un peu, montons au Janicule, où, séparés par le Tibre de la portion vivante de la ville, nous pourrons la dominer d'un regard.

C'est ici le lieu de rappeler comment est née, comment s'est formée, comment s'est accrue cette grande cité. Ces deux buttes, Saturnia et Palatium, celle-ci village de chaume fondé par Évandre, celle-là cratère d'un volcan éteint, et entre elles la vallée marécageuse qui est aujourd'hui le Forum : voilà l'étroit espace d'où Rome est partie.

Mais ses progrès ont été rapides. Quelque doute qu'on puisse jeter sur les premières traditions romaines, il est clair qu'après la puissance morale, qui doit passer avant tout, la réunion immédiate sur un seul point d'une population compacte et relativement nombreuse a été la grande cause des premiers triomphes de Rome. L'asile de brigands ouvert par Romulus, l'enlèvement des Sabines sont les indications historiques, ou, si l'on veut, symboliques de ce fait. Rome, dès son premier jour, a été la ville de la force (Ρώμη) ; dès son premier jour, comme un enfant vigoureux, elle a marché et elle s'est fait craindre. Puissante par le grand nombre d'hommes qu'elle tenait réunis sur son territoire, elle a plus facilement écrasé les bourgades dispersées de la Sabine et du Latium. Ces peuples vaincus sont venus la grossir à leur tour : 175 années après l'époque que l'on assigne à sa fondation. Servius Tullius comptait 85.000 citoyens[8] en état de porter les armes, et lui traçait une enceinte où purent habiter 260.000 hommes[9].

Cette enceinte fut le Pomérium, limite sacrée, inviolable, qu'à personne il n'était permis de déplacer[10]. Au dedans et au dehors du mur s'étendait un espace consacré, limité par des bornes, interdit à la truelle et à la charrue[11]. Mais bientôt Rome s'est sentie à l'étroit dans cette vaste enceinte. A mesure que ses armes conquièrent et envahissent l'Italie, l'Italie l'envahit à son tour. J'ai dit ailleurs ce qui rendait le séjour de Rome si désirable et si envié. Dès la seconde moitié du VIe siècle, les villes italiennes se plaignent d'être abandonnées ; Rome, au contraire, de ne pas suffire aux nouveaux citoyens qui l'envahissent[12]. Un jour, 12.000 familles latines sont expulsées ; une autre fois, 16.000 habitants sont relégués hors de Rome ; au premier jour de disette les étrangers sont mis sans pitié hors des murs. Les citoyens sont déportés chaque jour dans de lointaines colonies[13].

Remèdes inutiles ! Comment tenir fermées les portes de Rome, quand hors de Rome on ne trouve point à vivre, et que dans Rome on vit pour rien ! La misère du paysan et les distributions de blé dont s'engraisse le citadin ne suffisent-elles pas pour expliquer une affluence inévitable vers la cité ? Les laboureurs oisifs, les vétérans ruinés, les affranchis qui n'ont pas de pain, tous viennent en chercher dans Rome[14].

Aussi la place manque[15]. Il faut que Rome se serre, que ses demeures se pressent, que leurs étages s'amoncellent, que les toits surplombent sur des rues étroites et tortueuses[16]. Bientôt, après être allée gravir l'une après l'autre chacune des sept fameuses collines, Rome descend dans la plaine, franchit, en dépit des augures, la limite de son Pomérium, jette des ponts sur le Tibre, sème des toits sur le Vatican, s'épanouit dans les campagnes du Latium, s'ouvre de plus en plus, pour recevoir dans son sein l'Italie d'abord, bientôt le monde. Vers Tibur, vers Aricie ; mais surtout le long du Tibre, vers le pont Milvius au nord, au midi vers Ostie, sur cette route de la nier sans cesse parcourue par les étrangers qui apportent à Rome ses voluptés et son pain, sur ce chemin de halage du Tibre par où le monde débarque chez elle, Rome pousse ses faubourgs et allonge ses bras de géant.

Plus tard, les immenses et rapides conquêtes du dernier siècle, la fin des guerres civiles, les jours pacifiques de la domination d'Auguste, sont venus grossir encore cette ville, formée, dit Cicéron, de la réunion de tous les peuples[17]. A cette foule toujours plus pressée, César avait ouvert un Forum nouveau, Auguste lui en ouvre un encore[18]. César avait trouvé monté à 320.000 le nombre de ceux qui recevaient les frumentations, et l'avait réduit à 150.000[19] ; Auguste, malgré ses efforts, le voit remonter à 200 et même 320.000[20]. Pour suffire à cette affluence, César avait médité un vaste projet qui déplaçait le Tibre, couvrait de maisons le Champ de Mars, conduisait le Pomérium jusqu'au pont Milvius, et doublait presque la Rome légale[21]. Pour satisfaire aux besoins de tant de peuples, Auguste ouvrait des bains, des piscines, des fontaines sans nombre ; il construisait ou réparait sept aqueducs[22]. Il était forcé de limiter à 70 pieds[23] la hauteur de ces maisons immenses, où le peuple venait s'amonceler. Après lui deux nouveaux aqueducs se sont élevés encore, et Néron songe à comprendre le port d'Ostie dans l'enceinte de Rome et à lui amener la mer par un canal[24].

Rome, en effet, n'a pas seulement franchi, elle a effacé son Pomérium ; cette enceinte sacrée, ce terrain qui devait rester éternellement libre, se laisse à peine reconnaître. Les murs de Servius disparaissent derrière les maisons qui se sont appuyées sur eux[25]. La Rome légale (urbs)[26] se distingue avec peine de la Rome irrégulière. Ainsi, répandue au loin sur cette terre antique du Latium, centre prédestiné de la péninsule, point d'intersection de toutes les vieilles races italiques, Rome semble, selon l'imagination fantastique et hardie d'un de ces rhéteurs[27], la blanche neige dont parle,Homère, qui couvre, et le sommet des montagnes, et les vastes plaines, et les fertiles cultures de l'homme.

Chaque ville a son centre, d'autant plus imposant et reconnaissable, qu'elle est elle-même plus puissante. Ce sera l'hôtel de ville des communes flamandes, la seigneurie des villes lombardes ; à Londres, sa Tour ; à Paris, le Louvre, le Palais de justice et l'Hôtel de ville, dont l'ensemble rappelle les trois éléments de notre vie nationale, la royauté, le parlement, la bourgeoisie. Venise, Cette Rome de l'Adriatique, ville de fugitifs comme elle, qui s'est agrandie sur les eaux comme Rome sur la terre, grande politique aussi et religieuse observatrice de sa vie historique, Venise, dans laquelle, comme dans Rome, toute chose a sa date et sa raison héréditaires, Venise a dans son enceinte deux points solennellement marqués aux armes de la seigneurie : la place Saint-Marc, son Forum, et l'Arsenal, son Capitole. Là, toutes les ressources de la paix ; ici, celles de la guerre. Dans l'arsenal, les armes et les vaisseaux ; autour de la place la religion a son église, dont les ornements, les reliques, les murailles même ont été conquises par de saintes victoires. La seigneurie a son palais, et, flottant devant lui, les gonfanons des quatre royaumes dont est reine cette république marchande ; le plaisir a ses cafés, institution nationale de Venise ; la gloire, ses trophées et ses chefs-d'œuvre ; l'histoire patriarcale et familière a ses souvenirs, l'humble patron des pécheurs en face du lion ailé de Saint-Marc ; et, pour lier l'un à l'autre ces deux centres de la vie vénitienne, s'étend la plus belle rue marchande qui soit au monde, le quai des Esclavons, bordé par la mer et prolongé par le grand canal.

A Rome, les proportions étaient plus grandes encore. Partez du pied de la colline des Jardins (monte Pincio), en vous rapprochant du Tibre, parcourez le Champ de Mars, pénétrez dans le Pomérium par la porte triomphale, traversez ensuite le Forum, montez sur le Palatin, enfoncez-vous jusqu'à l'extrémité du grand cirque : c'est cet espace de trois ou quatre milles de longueur qui est la Rome solennelle, monumentale et publique. Le Forum, siège de ses délibérations, le Champ de Mars, théâtre de ses récréations viriles, le Capitole, qui est sa citadelle et son temple, tous trois se rejoignent par une foule de monuments. Ici c'est la colline des Jardins et sa verdure entremêlée de mausolées ; c'est, au bas, la voie Flaminia, bordée de statues, et le champ d'Agrippa, que ce seul homme a couvert de somptueux édifices[28]. Là, c'est cette immensité de portiques où se promène la foule paresseuse, tandis que la foule active et jeune lutte dans le Champ de Mars ou nage dans le Tibre ; c'est l'Aréa du Capitole, forum des dieux ; ce sont les toits dorés du Palatin, séjour d'un dieu plus grand, César ; c'est la longue enfilade des marchés, les Septa-Julia (le Palais-Royal de Rome), la voie Sacrée (sa rue Saint-Honoré), théâtre des flâneuses rêveries d'Horace, en un mot, la Rome boutiquière et marchande. Par là, enfin, nous touchons au Forum, qui est comme la Maison de Ville des Romains une maison de ville en plein air (en plein Jupiter, sub Dio), le Forum avec ses temples, ses basiliques retentissantes des clameurs du barreau et de la bourdonnante trépidation du commerce ; avec le sénat et les rostres, muets emblèmes de la liberté morte ; les portiques et les bains, vivants symboles de la volupté toujours vivante ; avec le Lupercal et le Comice, souvenirs paternels de la Rome antique ; avec la colonne dorée, ombilic du monde, d'où partent toutes les voies de l'empire et d'où les distances se comptent jusqu'à la Clyde d'un côté et jusqu'à l'Euphrate de l'autre : le Forum, place unique dans le monde, qui, avec ses quelques toises de terrain, tient dans l'histoire plus d'espace que des royaumes entiers.

Rome ne s'est pas départie de son centre. Voyez comme elle fourmille au Forum : c'est là que bat son cœur ; ses veines y aboutissent ; son peuple, comme le sang, circule sans cesse de ses demeures au Forum, du Forum à ses demeures : le matin, autour des rostres et des basiliques, à midi, retournant faire la sieste dans ses maisons ; puis ensuite à la grande palestre du Champ de Mars, puis au bain, jusqu'à ce que le coucher du soleil le ramène au souper domestique, il va toujours chercher la vie, la pensée et le soleil dans ce magnifique emplacement du Forum et du Champ de Mars, que l'on peut appeler les parties nobles de Rome. On habite ailleurs, mais c'est là qu'on vit. Grâce au nombre de monuments qui encombrent cette portion de Rome, les maisons y peuvent à peine trouver une place étroite ; la vie privée en est chassée par la vie publique, les citoyens par la cité, les mortels par les dieux, les hommes d'os et de chair par les hommes de marbre et d'airain ; à tel point qu'il a fallu, à plusieurs reprises[29], déblayer le Forum du peuple des statues qui l'encombraient. Refoulée en arrière, la vie domestique s'est éloignée le moins qu'elle a pu ; les riches et les nobles ont planté leurs demeures dans le quartier des Carènes, sur la croupe des collines qui dominent le Forum (de là cette locution : descendre au Forum) ; les pauvres dans les détours fangeux de la Suburra, ou plus en arrière, dans les faubourgs, au delà du Pomérium.

Pour en finir, mesurez d'un regard tout le reste de Rome, et comptez, s'il se peut, tout ce qui vit, tout ce qui pense, tout ce qui meurt dans cette ville sans enceinte. Au loin, les maisons sont éparses et respirent à l'aise ; mais plus près du centre, elles sont l'image d'une foule de peuple qui s'amoncelle, se coudoie, et dont les têtes se serrent et se dressent pour regarder les unes au-dessus des autres ; laissant à peine entre elles de longues ruelles étroites, irrégulières, tortueuses, accumulant leurs étages jusqu'à la hauteur qu'Auguste leur a fixée, hissées sur leurs assises de ciment, étayées par leurs piles énormes, elles semblent, cependant, comme trembler de leur hauteur, et par d'épaisses solives s'appuient les unes sur les autres, s'épaulant avec effort pour ne former qu'une masse unique, qui voit le Champ de Mars à ses pieds et le Capitole face à face[30]. Sur les sommités de ces toits règle le niveau des terrasses, sol factice ouvert aux pas de la multitude ; et, dit un ancien, il y a plusieurs villes en hauteur, comme il y en a plusieurs en étendue.

C'est que les hommes sont pressés là comme les demeures, non-seulement les hommes, mais les peuples, les langues, les dieux[31]. Il y a une ville des Cappadociens, une ville des Scythes, une ville des Juifs, une armée de soldats, un peuple de courtisanes, un monde d'esclaves. Plus encore que de tout le reste, il y a de cette multitude sans nom, sans condition et sans patrie : peuple mêlé, de toute origine, de toute croyance ; peuple romain, presque tout entier né de races étrangères ; peuple libre, presque tout entier né dans l'esclavage ; peuple fainéant et fortuné qui ne possède pas un sesterce, qui a pour bien l'air de Rome, l'eau des bains et des aqueducs, le soleil du Champ de Mars et la libéralité des empereurs. César et Auguste, pour plaire à cette multitude aux mille langues, lui ont donné des histrions qui débitaient leurs lazzis dans tous les idiomes ; et, à la mort du dieu Jules, qui avait ouvert la cité aux étrangers, autour de son bûcher nuit et jour gardé par les Juifs, toutes les nations sont venues tour à tour (lugubre et redoutable spectacle !) hurler, chacune à sa mode, leurs lamentations barbares[32]

Au moment où cette Babylone, selon l'expression de l'apôtre saint Pierre[33], se relire pour la nuit, asseyons-nous pour recueillir la voix de cette grande cité et pour comprendre ce qu'elle va nous enseigner. Que fait là tout ce peuple ? quelle est sa pensée ? quelle est sa vie ? Nous avons assez interrogé la pierre, l'airain et le marbre, interrogeons la pensée humaine.

 

 

 



[1] Impediti pedes, vinctæ manus, inscripti vultus. (Pline, Hist. nat., VII, 4.)

[2] Rerum pulcherrima Roma. (Virgile, Georg.)

[3] Aristides rhetor.

[4] Athénée.

[5] Polemo sophista, apud Galen.

[6] Denys d'Halicarnasse. — Aristides.

[7] Exspatiantia tecta multas addidere urbes. (Pline, Hist. nat., III, 5.) — Sur les faubourgs de Rome, V. la note 2 à la fin du volume et surtout la citation qui y est faite de Denys d'Halicarnasse. Sous ce rapport, Rome pouvait ressembler, quoique dans une moindre proportion, à ce qu'est aujourd'hui la ville de Londres.

[8] Tite-Live, I, 44.

[9] L'enceinte du Pomérium contenait 638 hectares 72 ares et M. de la Malle estime qu'elle pouvait renfermer une population de 266.684 habitants.

[10] Pomœrium est locus intra agrum effatum per totius urbis circuitum pone muros regionibus determinatus qui facit finem urbani auspicii. (Gellius, XIII, 14. V. aussi Tite-Live, I, 44 ; Festus, in Fragmentis, v° Pomœrium ; Varron, de Lingua latina, V, 7.) Le Pomérium ne pouvait être agrandi que par les généraux qui avaient conquis une province sur les Barbares. Il le fut par Sylla, en 674 (Festus, ibid. Tacite, Senec, de Brevitate — par César, en 710 (Dion, XLIII. Gellius, ibid.) ; — par Auguste, en 740 (Dion, LV, 6) ; — par Claude (Gellius, ibid. Tacite, Annal., XII, 23, 24) ; — par Néron et par Trajan (Vopiscus, in Aurel., 21). Mais ces agrandissements furent en général peu considérables. Denys d'Halicarnasse écrivait au temps d'Auguste : L'enceinte de la ville (l'enceinte légale, le Pomérium) ne s'est pas étendu davantage ; le dieu, dit-on, ne le permettant pas. IV, 13. Claude cependant y a depuis ajouté le mont Aventin.

[11] Tite-Live, I, 41. Neque arari, neque habitari fas erat. Sur le caractère sacré des murailles, V. le Digeste, 1 et 2, de Rerum divisione (I, 8).

[12] En 565, le Sénat expulse de Rome 12.000 familles latines qui s'y étaient introduites en se faisant inscrire dans le recensement de 550. La multitude des étrangers, dit Tite-Live, encombrait déjà la ville. XXXIX, 3.

En 575, les magistrats latins se plaignent par deux fois qu'ils ne peuvent plus fournir leur contingent de soldats ; à cause du grand nombre de leurs compatriotes qui vont s'établir à Rome ; leurs villes sont désertes, leurs terres délaissées. Pour faire leurs fils citoyens romains, les Latins les vendaient comme esclaves ; affranchis, ils devenaient citoyens. Par suite de cette plainte on renvoya dans le Latium les familles émigrées. La loi déjà ne permettait au Latin de devenir citoyen qu'autant qu'il laissait chez lui un fils. (Tite-Live, XLI, 8.) On voit que la tendance de l'Italie à se dépeupler au profit de Rome était bien ancienne.

En 581, 16.000 hommes furent encore expulsés. — En 626 une loi Junia, du tribun Junius Pennus, expulsa tous les étrangers (Cicéron, de Offic., III, 11 ; in Brut., 28. Festus, v° Respublica) ; — en 632, une loi Fannia, tous les Latins ou Italiens (Appien, de Bell. civ., I, 23. Plutarque, in Gracch., 12. Cicéron, in Brut., 26, et pro Sextio, 13) ; — En 658, la loi Mucia Licinia, tous les étrangers établis à Rome et qui se portaient pour citoyens romains ; cette mesure, portant principalement sur des Italiens, fut la cause de la guerre sociale (Cicéron, pro Balbo, 21. Asconius, in Cornelio). — Une loi Papia en 687, tous les étrangers de l'Italie (Dion, XXXVII, 9. Cicéron, in Rull., I, 4 ; de Offic., III, 11 ; pro Archia, 5 ; in Brut., 8 ; ad Attic., IV, 16). — En 759, sous Auguste, v. t. I, Auguste, § II.

[13] Rullus voulait transporter à Capoue 5.000 familles (Cicéron, de Lege agraria) ; César y en établit 20.000, choisies parmi les plus nombreuses (Suet., in Cæs., 20). Plus tard il transporta dans des colonies extra-italiques 80.000 citoyens, c'est-à-dire 80.000 familles (Id., 42).

[14] Salluste, In Catil., 38 ; id., de Ordin. republ. Appien, de Bell. civ., II, 17. Suet., in Aug., 41. Dion, LIII.

[15] Rullus se plaignait de l'encombrement de Rome : Exhauriendam esse urbem. (Cicéron, in Rull.) Et Cicéron, qui lui reproche de parler du peuple avec mépris, renouvelle à son tour la même plainte : Sentinam urbis exhauriri posse. (Attic., I, 19.)

[16] Roma in montibus posita et convallibus, sublata et suspensa, non optimis viis, augustissimis semitis. (Cicéron, in Rull., II, 35.) Aretis itineribus huc illucque flexis atque enormibus vicis, qualis vetus Roma fuit. (Tacite, Annal., XV. 38.) Roma in allum propter civium frequentiam ædificata, dit l'architecte Vitruve, II. Rome, après l'incendie de Brennus, avait été fort irrégulièrement rebâtie. Tite-Live, V, 55. Diodore Sic., XIV, 116.

Vicinus meus est manuque tangi

De nostris Nevius potest fenestris.

(Martial.)

[17] Roma, civitas ex nationum consensu constituta. (Q. Cicéron, de Polit. consul.)

[18] Suet., in Aug., 20.

[19] Suet., in Cæs., 41 ; in Aug., 41.

[20] En 731, 200.000 (Dion, LV, 15). — En 746, au moins 250.000. — En 749, 320.000. — En 762, plus de 200.000. (Lapis Ancyr.) — Plebi quai tum frumentum publicum accipiebat ; ea millia hominum paulo plura quam ducenta fuerunt... 320 millibus plebis urbanæ... (Lapis Ancyr.)

[21] Cicéron, ad Attic., XIII, 20, 35, 36.

[22] La masse d'eau amenée par les aqueducs était équivalente à une rivière large de 30 pieds, profonde de 6, et dont la vitesse serait de 30 pouces par seconde. — Rondelet, sur Frontin.

[23] 20m, 72. Strabon, V, 3. Elle fut réglée de nouveau par Néron (Tacite, Annal., XV, 43), puis par Trajan qui la fit descendre à 60 pieds (Aur. Victor, Ép. 13). La population de Rome avait pu diminuer depuis Auguste.

[24] Suet., in Nér., 16.

[25] On voit par Aulu-Gelle (XIII, 14) que de son temps on ignorait communément que Claude avait compris l'Aventin dans le Pomérium : c'était donc une distinction purement légale qui n'apparaissait point aux yeux, et qui n'avait d'importance que par rapport aux auspices et aux cérémonies religieuses.

Si l'on veut, dit Denys d'Halicarnasse (IV), mesurer le périmètre de Rome sur les murs, qui sont peu faciles à suivre, à cause des maisons qui y tiennent de toutes parts, lesquelles néanmoins, en beaucoup d'endroits, laissent voir les restes des anciennes murailles... Tite-Live dit aussi : On a bâti la partie intérieure du Pomérium. Loco citat.

[26] Urbs désignait ce qui était contenu dans l'enceinte du Pomérium ; Roma, la ville tout entière avec les faubourgs. Paul, Digeste, loi 2 ; de Verborum significatione (L. 16). Ulpien, ibid., 139. Alfenus, ibid., 87 : — Ainsi les citoyens nés dans les faubourgs étaient réputés natifs de Rome. Loi 147, ibid.

[27] Aristides rhetor, de Urbe Roma.

[28] Le Panthéon, les Thermes, la piscine d'Agrippa, le portique de Neptune. V. Suet., in Aug., XXIX ; Pline, Hist. nat., XXXVI, 15 ; Dion, LIII ; Strabon, V.

[29] Auguste fut obligé de transporter dans le Champ de Mars les statues qui encombraient l'Aréa du Capitole (Suet., in Calig., 31). V. aussi Pline, Hist. nat., XXXIV, 5. Caligula à son tour renverse et détruit les statues, et défend d'élever à qui que ce soit une statue sans sa permission (Suet., ibid.) Rome étant pleine d'images et de statues, Claude en fit transporter ailleurs un certain nombre et défendit d'ériger une statue sans la permission du Sénat. Dion, LX.

[30] J'évite de citer ici les rhéteurs et les philosophes. On vient de lire Cicéron ; Vitruve, écrivain positif, dit aussi : ....Pilis lapideis, structuris testaceis, parietibus cæmenticiis. (Tite-Live, II.) Le grand nombre des écroulements obligea Auguste de restreindre la hauteur des édifices à 70 pieds. V. encore Senec., Controverse, II, 9 ; Pline, Hist. nat., III, 15 ; Juvénal, III, 269.

[31] Polemo sophiste apud Galenum. Frequentia cui vix immense tecta sufficiunt... Videbis majorem partem esse quæ relictis sedibus venerit in maximam urbem, sed non suam. (Senec., ad Helviam, chap. 6.) — Sur le grand nombre des Juifs habitant à Rome, V. Josèphe, Antiq., où il parle de 8.000 Juifs demeurant à Rome qui se joignirent à une demande adressée à Auguste par leurs frères de Judée. XVII, 12. — Sous Tibère, 4.000 affranchis juifs furent transportés en Sardaigne. Josèphe, Antiq., XVIII, 5. Tacite, Annal., II, 15. Suet., in Tiber., 36.

[32] Suet., in Cæs., chap. 84. Suet., in Cæs., 39 ; in Aug., 43. — Ces derniers faits sont positifs, mais il ne faut pas prendre à la lettre les paroles emphatiques des rhéteurs, des sophistes ou même de Sénèque et de Pline. J'ai dû rendre dans son exagération même l'impression que devait produire sur un provincial la vue de la grandeur et de la magnificence de Rome.

[33] I Petr., V, 13.