LES CÉSARS JUSQU'À NÉRON

 

CLAUDE.

 

 

§ I. — CLAUDE SOUS LE GOUVERNEMENT DE MESSALINE.

Étrange famille que celle des Césars ! elle avait absorbé dans son sein les plus grands noms de l'ancienne Rome, les Claude, les Domitii, les Silani ; les noms les plus illustres de la Rome nouvelle, les Octave, les Agrippa. Mais que devait produire ce mélange ? Ces hommes si bien élevés, si polis, sont des barbares pareils à nos rois barbares de la première race ; c'est l'histoire de la famille de Clovis, des Hramm et des Hilprik au VIe siècle, et encore, moins le Baisse la tête, fier Sicambre.

Je ne connais pas, même dans Tacite, de page plus simplement éloquente que la sèche et technique généalogie des Césars. On voit là tout grossièrement et sans phrases cette famille confuse ; cet abus des adoptions et des divorces qui mêle le nom et le sang ; ces femmes aux trois ou quatre maris, ces empereurs aux cinq ou six femmes. Celui-ci a été empoisonné par Séjan ; cet autre a reçu l'ordre de mourir. Julie la mère, après trois mariages, a été bannie par son père pour ses débauches, et Tibère l'a fait mourir de misère à Rhégium. Julie sa fille, convaincue d'adultère, a vécu misérablement reléguée dans une île. Junia Calvina a été exilée comme coupable d'inceste. Deux des sœurs de Caïus ont subi la même peine, et l'une d'elles, exilée deux fois à vingt-quatre ans, a fini par être tuée dans son exil. Les amants de toutes ces femmes ont été punis de mort par le rigorisme des Césars, tandis qu'en même temps des temples s'élèvent et l'encens fume en l'honneur de Drusille, maîtresse de son frère (scortum fratris).

Les enfants ne sont pas mieux traités que les femmes : la petite Drusille est à deux ans tuée comme complice de son père Caïus ; Claude jette nue sur le seuil de sa maison une fille de sa femme qu'il ne croit pas son enfant. Au début du règne de Tibère, Agrippa Posthume ; au début du règne de Caïus, le jeune Tibère, sont immolés comme premier gage de sûreté. Dans cette demeure du mont Palatin, toute resplendissante d'or, voici la crypte où Caïus a été massacré ; voici le cachot où le jeune Drusus est mort, mangeant la bourre de ses matelas et maudissant Tibère ; voici la salle du festin où a été empoisonné Britannicus, le jardin où l'on a tué Messaline. Messaline, Britannicus, Agrippine, ont été supprimés (sublati) par leur mari, par leur frère, par leur fils ; et l'empoisonneuse Locuste est longtemps considérée comme un moyen de gouvernement[1].

Que serait-ce donc, si toutes les grandes maisons de Rome nous étaient ouvertes comme le palais des Césars ? si nous avions, pour nous conduire dans ces riches demeures où l'on faisait l'orgie en attendant le billet doux de l'empereur, ce terrible cicérone, Suétone, qui ne nous fait grâce ni d'un on-dit, ni d'un présage, ni d'une turpitude ! Que de secrets depuis l'atrium où recevait le maitre, jusqu'au grenier où dormaient les esclaves !Tacite, du reste, nous en apprend assez : une Lepida, la fille de tous les Æmilius, petite-fille de Sylla et de Pompée, accusée à la fois de supposition d'enfant, d'adultère, d'empoisonnement, de sortilège, arrive au théâtre suivie de toutes les femmes nobles de Rome, pleure, supplie, invoque ses ancêtres, atteste l'image de Pompée, arrache au peuple ému des imprécations contre son mari qui l'accuse ; et cependant, convaincue par les révélations de ses esclaves, finit par être exilée[2]. Un enfant, un Papinius, d'une famille consulaire, choisissant une mort hideuse et soudaine, se précipite d'une fenêtre, et qui en accuse-t-on, sinon sa mère qui, depuis longtemps répudiée, avait, par le luxe, par de funestes obsessions, poussé ce jeune homme à de tels désordres, que le trépas seul pouvait le dérober à ses remords ? Elle fut exilée de Rome pendant dix ans, jusqu'à ce que son second fils eût passé l'âge dangereux de la jeunesse[3]. Tacite est plein de pareils faits.

Et les crimes si multipliés chez les grands n'étaient pas plus rares chez le peuple. Lorsque Claude, moins par une sévérité d'honnête homme que par une curiosité d'antiquaire, rétablit l'ancien supplice des parricides, et les fit jeter à la mer, liés dans un sac avec une poule, une vipère et un singe, on observa qu'en cinq ans il y eut un plus grand nombre de pareils supplices qu'il n'y en avait eu pendant des siècles : le temps vint ensuite où, dit Sénèque, on vit plus de sacs que de croix, c'est-à-dire plus de parricides que d'assassins[4]. En une seule fois, pour combattre sur le lac Fucin, Claude trouva dix-neuf mille coupables qui lui parurent dignes de mort.

En vérité, c'est une horrible époque, et souvent je voudrais la laisser là Mais on pardonne tant de choses au passé, parce que le passé nous mène loin de nous-mêmes. Le présent défile devant nous si lentement, si maigrement, ce grain de sable du sablier est si ennuyeux à voir tomber Nous voyons le présent à travers un microscope, partiel, fortuit, incompris. Notre siècle, plus qu'un autre, a poussé loin l'art de découper les grandes choses en minuties imperceptibles ; les journaux nous émiettent l'histoire de notre temps. Au moins l'histoire du temps passé est-elle une, toute faite, toute saisissable d'un regard ; toute la suite de ses anneaux nous-appartient, tandis que dans la chaîne du présent, le moindre anneau est si merveilleusement grossi que nous n'apercevons plus la chaîne. Le présent, ses vicissitudes, ses intérêts, ses passions, toutes ces choses-là viennent, une à une, parader devant nous en frac noir, en pantalon et en bottes. Nous ne sommes pas à distance pour juger, et malgré toutes nos phrases, notre siècle est petit à nos yeux ; j'aimerais mieux un Moniteur du temps de Caligula que le Constitutionnel ou le Journal des Débats de ce matin.

Et de plus, cette époque a un autre charme pour moi, celui du problème. J'ai fait mon possible pour vous expliquer et pour m'expliquer Tibère ; je comprends l'homme, je ne saisis pas encore jusqu'au bout son époque et la raison de sa puissance. Quoi que je me dise, j'ai peine à me rendre compte nettement de cette dislocation de la société, de cette absence de communauté entre les hommes, qui faisait si grand à la fois et si précaire le pouvoir d'un seul. Ce siècle me parait le plus problématique de tous, et aussi celui qu'on a le moins étudié. On a été prodigue d'érudition et de labeur sur les âges primitifs, où la mythologie commence à peine à devenir une obscure ébauche de l'histoire ; mais sur cette ère toute historique, où tous les faits sont positifs, toutes les autorités contemporaines, où des livres profondément curieux ont été faits comme exprès pour allécher notre investigation, on s'est contenté d'une sèche et superficielle étude des événements sans en demander la raison. Ce silence et cette réserve ne font que m'exciter davantage ; je tourne et retourne ce précieux antiquaire, cet imperturbable anecdotier de Suetonius Tranquillus : il est curieux de tant de choses, de l'habit, du visage, des manies de tel César, du menu de ses repas, du mobilier de sa chambre ; il possède l'anneau de tel prince, un ancien diplôme de tel autre, des vers autographes de Néron ; il a donné à Hadrien une vieille et petite statue en bronze d'Auguste, avec des lettres de fer à moitié détruites, et Hadrien, digne d'un tel présent, honore cette statue et lui a dédié une chapelle dans son palais. Fouilleur infatigable, déchiffreur d'inscriptions, liseur de vieux papyrus, que lui fait le bien ou le mal dans l'histoire, la cruauté de Tibère ou la bonté de Titus ? Il laisse la morale aux rhéteurs ; il est érudit : le seul homme contre lequel il se fâche un peu est Caligula ; il se permet de l'appeler un monstre. — Tel n'est pas Tacite, historien un peu plus rhéteur, mais historien, mais juge, mais honnête homme au fond de l'âme, et, malgré ses haines d'honnête homme, remarquablement impartial[5] ; toujours intimement vrai, même dans les discours qu'à la façon de Tite-Live et des anciens il prête à ses personnages ; homme qui sent et qui enseigne dix fois plus qu'il ne dit, chez lequel chaque phrase instruit, chaque ligne révèle, chaque mot a son sens et son vouloir : terrain que je fouille et remue, y trouvant toujours quelque chose, n'y trouvant jamais assez sur cette époque sans fond, cette immense et incompréhensible époque ?

En avançant dans ma tâche, je vois bien d'autres trésors devant moi : les deux Pline — le naturaliste, cet immense et indigeste collecteur de faits ; — l'épistolier, qui a fabriqué sa correspondance académique exprès, ce semble, pour nous faire pénétrer dans toutes les petites intimités de son siècle ; — Juvénal, ce grand et honnête menteur, qui, avec son stoïcisme, la fausseté de son point de vue, l'hyperbole de sa satire, ne peut cependant retenir le génie de son temps, qui déborde et se trahit par tous les pores.

Si j'avais à aller plus loin, à peindre ce qui vivait en ce siècle et ce qui n'était pas de ce siècle, à dégager de cette société infâme l'unique germe de toute pure vertu, de toute doctrine salutaire, de toute civilisation, je serais mené bien plus loin : ce serait ici une autre histoire à faire et une histoire si différente, qu'on a peine à les croire contemporaines quoiqu'elles se touchent par plus d'un point. J'ai presque négligé, pendant que je racontais les supercheries d'Auguste, les infamies de Tibère, les hallucinations de Caligula, de vous avertir que le christianisme est venu au monde, qu'il pousse sous l'herbe, qu'il grandit, qu'il soulève les assises de la société antique, que le vieil édifice se lézarde. Il est encore peu connu et il agit ; il fait en ce monde un monde à part, monde que l'on ignore, et qui, au bout de quatre siècles, révélera son histoire, nuitamment et obscurément filée dans les souterrains de Rome, entre d'humbles cénotaphes et sous les chevilles de la torture ; histoire trop belle pour que je la raconte ici, à laquelle je ne veux pas toucher, parce qu'elle irait trop mal avec ma Rome païenne, avec mon Caligula et mon Néron.

Ces gens-là, le christianisme les souffrait, et c'était sa vertu ; le monde les supportait, et c'était son crime. Autant furent admirables, dans les geôles et sur le chevalet, la soumission désintéressée, l'espérance surnaturelle, la patience intelligente du chrétien ; autant étaient vils, au milieu de son luxe et de ses enragés plaisirs, l'égoïste adulation, le stupide désespoir, la sotte et matérielle tolérance du monde : il y avait toute la distance du suicide au martyre. Voilà ce que je voudrais faire comprendre : l'esprit et la nature de cette société si impuissante, si irrésistante, si naturellement esclave.

Tibère fut un boucher habile, elle prit sous lui son premier pli ; Caligula un fou altéré de sang, elle t'adora ; Claude un imbécile, elle respira, heureuse de ne point avoir pis : tous trois des lâches, et elle eut peur d'eux. La lâcheté est un caractère commun à tous ces tyrans : Néron pleura avant de mourir ; Élagabale, après avoir fait de grands frais pour se tuer et s'être préparé un somptueux suicide, se laissa égorger par d'autres, et fut jeté je ne sais où.

Arrivons à Claude[6]. Il ressemble à un de ces enfants que l'on rend imbéciles à force de leur dire qu'ils le sont, qu'on prend à tic dans les familles, qu'on humilie, et qu'on abaisse à leurs propres yeux, dont on brise le ressort, puis on s'étonne ensuite de le presser sans qu'il réponde : enfants matés, pires quelquefois que les enfants gâtés. Caligula, quoique durement traité dans sa famille, avait été l'enfant gâté du peuple : vous avez vu ce qu'il devint. Claude, humilié dans sa famille, bafoué en public, commit ou laissa commettre par imbécillité autant de crimes que l'autre par démence. Beau destin du monde, qui des mains d'un fou furieux passait aux mains d'un fou imbécile, le tout précédé de Tibère et suivi de Néron !

Enfant à la mort de son père, malade, infirme, il était né malheureux ; grand tort aux yeux de l'antiquité. Jusqu'après sa majorité, on lui donna pour précepteur un palefrenier, un barbare qui le maltraitait. Sa mère l'appelait une monstruosité de l'espèce humaine, une ébauche manquée de la nature. Si elle parlait d'un sot : Il est plus bête, disait-elle, que mon fils Claudius. Sa grand'mère Livie ne lui adressa jamais la parole ; elle lui faisait faire des sermons par messagers, lui écrivait des lettres brèves, dures, grondeuses.

Le pauvre garçon avait de l'ambition pourtant. Il étudiait fort, soutenait des thèses en public, cherchait à se faire valoir. Les dignités, les sacerdoces, les laticlaves, qui pleuvaient sur Tes fils à peine adolescents de la famille impériale, n'arrivaient pas jusqu'à lui. Ce fut la nuit, en cachette, dans une litière, qu'il vint prendre la toge, initiation du jeune homme à la vie virile, à la vie romaine. Il grandissait pourtant, et l'on était fort embarrassé de ce César. Il y a sur ce sujet une lettre d'Auguste : Il faut prendre son parti, dit-il, décider ce que nous en ferons : s'il a toutes ses facultés, le traiter comme nous traitons son frère (Germanicus) ; si ce n'est qu'un imbécile, prendre garde qu'on ne se moque de lui et de nous ; il ne faut pas, ajoute-t-il, que les gens s'accoutument à rire et à causer de pareilles choses. Tout cela est écrit, moitié en latin, moitié en grec ; Auguste ne se souciait pas que son peuple soupçonnât les plaies de sa famille. Vient ensuite la distinction de ce qu'il faut laisser faire, de ce qu'il faut interdire à Claude. Il peut présider au repas des pontifes ; mais il faut mettre auprès de lui son cousin Silanus, qui l'empêchera dédire ou de faire des sottises. Il ne faut pas qu'il assiste aux jeux du cirque, assis au pulvinar — la loge des empereurs — : il se ferait voir là en première ligne. Et ailleurs : J'inviterai tous les jours Claude à souper, pour qu'il ne soupe pas seul avec son Sulpitius et son Athénodore ; je le voudrais un peu plus attentif, l'esprit un peu moins dans les nues ; qu'il choisisse un ami dont il imite l'attitude, la toilette, la démarche, le pauvre diable ! Auguste ne l'aimait pas, il n'en fit jamais qu'un augure ; il le trouvait trop imbécile pour faire autre chose que deviner l'avenir[7]

Le bon Claude, d'ailleurs, manquait, pour se faire une réputation d'esprit, d'un grand point, la richesse. Le testament d'Auguste — et le testament d'un homme était la mesure officielle de son affection ou de son estime — ne lui légua que 800 sesterces (215 francs). Il demanda à Tibère à être admis aux honneurs : Je t'ai envoyé, lui répondit Tibère, quarante écus d'or (1.062 francs) pour fêter les saturnales[8]. Sa maison brûla, le sénat fit un décret pour l'indemniser ; Tibère biffa le décret. Ce fut bien pis sous Caligula ; Claude, à qui ce neveu-là faisait grand'peur, ne voulut pas être en reste d'adoration ; il offrit, pour devenir prêtre de César, huit millions de sesterces (2.125.000 francs) ; et comme il payait mal, le trésor mit son bien à la criée.

Enfin, c'était le plastron de cette cruelle famille. S'il arrivait trop tard pour le souper, il avait grand'peine, après avoir fait le tour de la table, à trouver où se placer. Que sais-je ? ces dignes Césars se permettaient des tours d'écoliers : s'il dormait après le repas, on lui jetait à la figure des noyaux d'olive ou de datte, on lui mettait des sandales aux mains, et au réveil, se frottant le visage, il était étonné d'avoir des gants si durs. Il était livré aux bouffons qui le réveillaient à coups de fouet.

Il sentait pourtant quelque honte. Repoussé des honneurs, il alla vivre dans une villa des faubourgs de Rome, seul, caché, étudiant toujours. Un jour, Auguste, qui l'entendit déclamer, fut tout étonné de trouver tant d'esprit à cette grosse bête. Claude devint helléniste, savant historien, profond antiquaire ; il écrivit, lut en public ; mais il avait du malheur : et un gros homme qui, au commencement de sa lecture, cassa plusieurs chaises, mit l'auditoire en telle veine d'hilarité, qu'on ne put l'écouter. Il voulut écrire l'histoire des guerres civiles ; mais le sujet était délicat ; sa mère et sa grand'mère firent l'office de censeur et le découragèrent.

D'ailleurs, cet amour pour l'étude était sans dignité et sans noblesse. Les Romains l'estimaient peu quand il était seul. L'ambition était chez eux un devoir. Se montrer indifférent aux honneurs  — pauvres honneurs pourtant sous les Césars ! —, abandonner en quelque sorte l'atrocité — ce mot est souvent un terme d'éloge[9] — de la discipline paternelle, civique, sénatoriale, militaire — tout dans Rome marchait par la discipline —, ce n'était pas être homme, c'était être segnis, mou, paresseux ; l'opposé est solers, l'homme d'ambition, de zèle et de talent. Les chrétiens, qui ne versaient pas le sang et ne prétendaient pas aux honneurs, furent dans la suite appelés segnes, et le crime de segnities devint presque équivalent à celui de christianisme[10]. Ce fut le propre de l'époque des empereurs, d'accepter les vices de l'ancienne Rome, et d'en supprimer les vertus : sans être plus chaste que César, on fut plus cruel ; sans plus de fermeté que n'en avait eu Cicéron, on eut moins d'honnêteté et de politesse ; l'énergie qui consiste à répandre son propre sang était passée de mode, mais l'énergie qui verse le sang d'autrui était plus que jamais en honneur ; le Romain de l'empire, comme Caligula, mit toute sa virilité dans la cruauté, et tout son courage dans le suicide.

Au milieu de ce monde, Claude, bon homme, distrait, érudit, passera pour imbécile, pour lâche, pour fainéant ; on le lui dira et il se le laissera dire ; il trouvera même commode de le croire. Il se tiendra en arrière ; il cultivera ses livres et ses bouffons ; il se fera une douce habitude de la domination de ses affranchis ; avec les dés, la table, la société de ces hommes qu'on appelle les ordures de la maison, copreas, il se consolera des mépris de Rome. Sous Caïus surtout, époque où l'ambition et l'esprit étaient choses dangereuses, il s'estimera heureux de n'être qu'un sot ; il dira, dans la suite, qu'il a joué ce rôle à dessein et pour sauver sa tête[11]. Mais le rôle avait été si bien et si longtemps joué, qu'il était passé en habitude et devenu une seconde nature.

Rien de tout cela n'empêcha Claude d'être populaire au début (an 41) : il succédait à Caligula. Abolir, au moins pour un temps et pour la forme, les poursuites de lèse-majesté ; ne pas vouloir être dieu ; refuser les étrennes qu'Auguste lui-même s'était fait donner ; refuser les legs que Tibère et Caïus avaient non-seulement acceptés, mais provoqués ; supprimer quelques-unes des ressources fiscales si étrangement imaginées par Caïus ; supprimer à l'occasion quelques-unes des plus scandaleuses libéralités de Caïus ; rappeler de l'exil les proscrits de Caïus et entre autres les deux sœurs de ce prince ; brûler les archives sanguinaires de Caïus pleines de dénonciations et de calomnies ; jeter à la mer l'abondante collection de poisons que Caïus avait formée pour son usage ; faire disparaître (de nuit, il est vrai) les statues de Caïus, tout en interdisant au sénat de condamner officiellement la mémoire de Caïus et tout en faisant mettre à mort les meurtriers de Caïus — un empereur déjà se sentait solidaire d'un autre empereur — ; jurer de ne pas mettre un homme libre à la torture — on s'inquiétait peu des esclaves — ; invoquer le nom populaire d'Auguste ; siéger aux tribunaux comme simple juge ; ne pas faire de ses fêtes de famille des fêtes publiques ; n'accepter que trois statues dont une seule d'argent ; ne pas vouloir de jeux de gladiateurs donnés en son honneur : c'étaient là des actions sublimes. Claude, vrai président des États-Unis, incliné devant le sénat, saluant les consuls, enchantait les Romains qui, pour avoir renoncé à la liberté, n'en tenaient pas moins à certaines apparences de liberté[12].

Claude était bon : dans un incendie, on le vit deux nuits durant, assis dans un bureau de péage, deux corbeilles pleines d'argent à ses côtés, encourager les travailleurs, appeler le peuple, sa maison, les soldats. Claude, par un côté tout opposé, touchait bien davantage encore le cœur du peuple, il adorait les gladiateurs : venant à l'amphithéâtre dès les premiers rayons du jour ; à midi, quand le peuple allait dîner, ne quittant pas sa place ; à défaut de gladiateurs, faisant combattre les premiers venus : c'était là un grand moyen de succès. Aussi lorsqu'un jour, en ces premiers temps du règne de Claude et pendant un voyage qu'il faisait, le bruit se répandit à Rome qu'il avait été assassiné, le peuple furieux accusa le sénat, accusa l'armée, voua tout aux dieux infernaux ; il fallut deux ou trois magistrats à la suite les uns des autres, pour lui persuader que César vivait, que César allait venir.

Mais ce César aimé du peuple n'était guère le César qui gouvernait. Ce fut lui, je le crois, durant les premiers jours. Mais bientôt il n'en fut plus ainsi. Le vrai César, celui qui gouverna Claude et le monde, ce furent ses affranchis. Disons un peu ce qu'étaient les affranchis du palais.

Les Romains vivaient sans intimité. Les amis se voyaient au Forum, entre deux harangues. Les femmes restaient à la maison, traitées avec un respect grave, estimées comme matrones plutôt qu'aimées comme épouses, filant de la laine ; selon les anciennes mœurs, ne venant pas à table. Un esclave instruit, fidèle, intelligent, qui suivait son maître au Forum, qui le retrouvait à la maison, qui se tenait à ses pieds pendant le repas pour le flatter et l'égayer, qui avait pour son maître mille complaisances et mille soins auxquels ne se seraient prêtés, ni .un Romain, ni une Romaine ; celui-là était l'intime, le fidèle, quelquefois le vil et l'infâme confident du citoyen de Rome. Il avait pourtant les yeux sur une récompense qu'il finissait toujours par demander, la liberté. Quand il avait été coiffé du bonnet de l'affranchi, quand son maitre l'avait revêtu de la toge, homme libre, il n'en avait pour son patron que plus d'utilité et d'importance. Placé dans un rang inférieur, ne pouvant exciter la jalousie, éloigné de toute haute part dans les affaires publiques, il n'en était que meilleur conseiller dans ces affaires, confident plus digne et néanmoins toujours commode : portant votre nom, membre de votre gens — la gens est la famille dans sa plus grande étendue, comme le clan écossais —, devenu comme votre parent par votre bienfait ; au Champ de Mars, au Forum, grossissant cette foule de clients qui faisait l'importance politique d'un homme ; souvent ne quittant pas la maison, serviteur encore et non esclave : cette intimité entre deux hommes libres s'ennoblissait.

Ce fut bien autre chose d'être affranchi de l'empereur. Nous expliquions tout à l'heure combien le chemin des Césars était glissant. Surtout il ne fallait pas être roi ; il ne fallait pas, comme les rois d'Orient, vivre dans l'inaccessible sanctuaire d'un palais, ni se faire servir par les grands de l'empire. Il fallait vivre sur la place, au cirque, dans la voie sacrée, se faire coudoyer par la foule ; comme Claude, appeler le peuple mes maîtres : il était permis d'avoir de la magnificence, point de faste ; des milliers de vrais esclaves, pas un homme de cour. Aussi les empereurs habiles, Tibère lui-même, n'eurent dans leur maison, avec les officiers du prétoire, que des affranchis ; à ceux-ci les charges de cour allaient tout droit, ils inspiraient plus de confiance et n'avaient pas de dignité à compromettre. Déjà, comme les gentilshommes vassaux dans l'ordre féodal, ils avaient rempli de pareilles fonctions chez les grands ; comme les seigneurs sous Louis XIV, ils les remplirent chez le souverain. Ils furent ses domestiques, comme on disait au temps de la Fronde, où ce nom était honorable, ses secrétaires (ab epistolis), ses maîtres des comptes (a rationibus), ses maîtres des requêtes (a libellis), ses assesseurs dans les jugements (a cognitionibus). On les nomma procurateurs, intendants, préfets dans les provinces ; ils furent pareils aux courtisans modernes par les charges, par l'intrigue, par l'importance[13].

Utiles instruments sous Tibère, puissants sous Caligula, mais toujours menacés par le caprice de ce fou qui ne se gouvernait pas et n'était gouverné par personne, ces hommes furent tout-puissants sous Claude. Claude se plaignait un jour de la pénurie de son trésor : Que n'es-tu, lui dit-on, associé à tes deux affranchis, Narcisse et Pallas ! Eux et Calliste étaient aussi riches que l'avait été Crassus. Calliste, affranchi et secrétaire de Caïus, avait conspiré avec plusieurs de ses camarades contre ce dangereux patron. Pallas était plus puissant encore : son frère Félix, mari de trois reines[14], gouvernait la Judée ; lui, moins ambitieux, trésorier de César, vivant simplement avec 300 millions de sesterces, amusait ses loisirs à dicter des décrets au sénat, à interdire, ci-devant esclave qu'il était, l'union des matrones avec les esclaves. Le sénat ne sut assez le remercier d'avoir inspiré un si beau décret ; trop heureux d'avoir à qui faire sa cour, il lui vota louanges, honneurs, quinze millions de sesterces de récompense (3.951.000 francs), une généalogie même, et, sur la proposition d'un Scipion, rendit grâces à ce laquais qui, né des rois d'Arcadie, voulait bien sacrifier sa noblesse au bien public et n'être qu'un des serviteurs de César ! Mais Pallas ne rendit pas au sénat sa politesse, et fit dire par Claude qu'il n'acceptait que les honneurs et restait content de sa pauvreté première. Cette pauvreté était de 79 millions de francs. Pline, qui avait vu au Forum, entre les lois et les traités, le décret du sénat qui, insolemment remercié par ce valet, le remerciait de son insolence ; Pline, qui avait lu l'épitaphe où Pallas se vantait de tous les honneurs qu'il avait refusés, Pline se fâche tout de bon ; mais pourquoi Pallas n'eût-il pas bafoué le sénat qui honorait ainsi Pallas[15] ?

Voilà les gens qu'il fallait à Claude. Enfant élevé dans une boite à révérences, accoutumé à toujours chercher quelqu'un qui voulût pour lui, la débilité de son caractère lui valut un cortège de valets-maîtres ; fous, affranchis, femmes, et parmi ces femmes Messaline ; monde intrigant, insolent, passionné, qui tourbillonnait autour de lui, dominait son âme peureuse, et, selon l'expression d'un ancien, le tenait comme perpétuellement frappé de la foudre (έμβροντηθείς)[16]. Ce que sa bonne, mais faible raison lui avait fait faire au Forum, Messaline et ses affranchis le lui faisaient défaire au palais. Ce n'étaient que suppressions, altérations, suppositions de diplômes ; dans les choix qu'il avait faits, substitutions d'un nom à un autre ; libéralités retirées ; jugements détruits ; malgré son serment, tortures infligées à des hommes libres ; malgré son décret, dénonciations d'esclaves admises contre leurs maîtres. Aux affranchis et à Messaline appartenait la libre distribution des honneurs, des commandements d'armées, des supplices, de tous les bénéfices du pouvoir. Un sénateur avait été tué le matin. Tes ordres sont exécutés, vient dire un centurion à César. — Mais je n'ai rien commandé. — Qu'importe ? s'écrient les affranchis, les soldats ont fait leur devoir ; ils n'ont pas attendu d'ordre pour venger César. — Allons, dit le prince, la chose est faite, c'est bien.

Les affranchis, ces cornacs de Césars, faisaient bonne garde autour de leur ours. Ils vendaient les audiences ; nul n'entrait sans porter une bague d'or, qu'eux seuls pouvaient donner[17]. Les villes, les rois leur faisaient la cour ; l'on désertait la table de César lorsqu'on était invité en même temps à celle de l'un d'eux[18]. Aussi ce fut encore un règne de sang. D'après Suétone et Sénèque, trente-cinq sénateurs, plus de trois cents chevaliers, bien d'autres périrent[19]. Les rancunes de valet et les jalousies de femme eurent droit de vie et de mort. Une Julie, fille de Germanicus (41) ; une autre, petite-fille de Tibère (43), furent exilées, tuées ensuite par la jalousie de Messaline ; Vinicius, mari de la première, empoisonné, parce qu'il avait été trop chaste pour Messaline (46) ; elle passait au bourreau les amants dont elle était lasse. Un Pompée, gendre de l'empereur, fut tué à cause de son nom ; son père et sa mère tués aussi pour ce nom qu'ils ne portaient pas. Dans ses jalousies et ses haines, elle n'oublia qu'Agrippine, occupée qu'elle était à d'autres crimes, dit Tacite.

Un jour (an 42), elle devient amoureuse d'un Silanus, second mari de sa mère ; il la repousse ; Messaline s'entend avec Narcisse pour le perdre. Tout à coup, avant le jour, Narcisse entre épouvanté dans la chambre de Claude ; il lui raconte que la nuit, en songe, il l'a vu près d'être assassiné par Silanus. Messaline arrive ; elle s'informe, elle s'étonne, elle a rêvé aussi ; voilà plusieurs nuits qu'elle a toujours cette même vision. Mais bientôt, c'est autre chose encore : on annonce que Silanus est là, qu'il veut forcer les portes du palais — la veille, on lui avait fait dire, au nom de l'empereur, d'y venir de bonne heure —. César ne tint pas contre de pareilles preuves, il le fit tuer sur-le-champ, et vint au sénat rendre grâces à son affranchi qui, même en dormant, veillait sur son salut[20].

La puissance des songes était grande ; deux chevaliers furent tués, parce que leurs rêves avaient été de mauvais augure pour l'empereur. Un jour, au milieu de la foule qui le saluait dans son palais, un homme le tire à part : J'ai vu en songe, lui dit-il, un assassin qui te frappait. — L'instant d'après, Claude va au Forum juger les affaires. Un plaideur remet un placet au prince ; or, le rêveur était là : Bon Dieu, dit-il, je reconnais l'assassin de cette nuit ! Il n'en fallut pas davantage ; on mena le plaideur au supplice : c'était contre le rêveur qu'il plaidait.

Les motifs politiques ne manquaient pas d'ailleurs pour augmenter le nombre des supplices. L'empire semblait par moments d'une facile conquête. Un Asinius Gallus, allié des Césars, voulut se faire empereur ; il avait avec lui beaucoup d'esclaves et d'affranchis de Claude ; ces gens, si bien placés sous les empereurs, n'en étaient pas moins les premiers à conspirer ; comme Asinius était petit, laid et bête, Claude se contenta de l'exiler (46)[21]. — Une révolte plus sérieuse avait eu lieu en Dalmatie (an 42) ; les légions commençaient à comprendre qu'elles pouvaient bien, comme les prétoriens, faire des Césars. Deux hommes qui avaient manqué d'être empereurs à la mort de Caligula, lorsque le sénat avait eu cette fantaisie de liberté, Minutianus et Camillus, avec eux des chevaliers et des sénateurs, conduisaient ce mouvement. Camillus, général de l'armée de Dalmatie, se fit prêter serment par elle, annonça le rétablissement de la république, écrivit à Claude une lettre menaçante, le sommant d'abdiquer. Une fois encore, Claude risquait d'avoir à se battre pour l'empire ; aussi fit-il venir les principaux du sénat et leur demanda s'il ne devait pas se soumettre. Mais la superstition des soldats le tira de peine : lorsque Camillus voulut les faire marcher, il fallut enlever les enseignes qui étaient plantées en terre ; on ne put les arracher ; les dieux ne voulaient pas que l'armée marchât ! Les soldats s'arrêtèrent, tuèrent leurs officiers et laissèrent tuer Camillus[22]. Mille cruautés vinrent ensuite : la femme de Camillus dénonçait les complices de son mari ; bien des conjurés se tuèrent ; d'autres, conjurés ou non, furent condamnés ; d'autres achetèrent leur grâce des affranchis ou de Messaline. Un affranchi de Camillus, amené devant le sénat, y parlait avec liberté : Qu'aurais-tu donc fait, lui dit Narcisse, s'avançant de derrière le siège de César, si ton maitre était devenu empereur ?Je me serais tenu derrière lui et j'aurais gardé le silence. — Vous savez l'histoire de Pœtus et d'Aria, cette femme d'un atroce courage, héroïne du suicide, qui, au milieu de sa famille par qui elle est gardée, s'élance de sa chaise et va se rompre la tête contre un mur, qui se frappe la première pour convier son mari aux douceurs du coup de poignard ! J'aime mieux d'elle ceci : quand on a saisi son mari, qu'on l'embarque sur un vaisseau, elle se jette aux pieds des soldats pour le suivre : Vous donnerez bien à un consulaire quelque pauvre esclave qui le chausse, qui l'habille, qui le serve à ses repas ! Eh bien ! à moi seule je ferai tout cela ![23]

Valerius Asiaticus fut une autre victime (an 47) : possesseur dans les faubourgs d'une villa magnifique, commencée par Lucullus, embellie par lui-même, et qui faisait grande envie à Messaline ; c'étaient assez de raisons pour l'accuser. Il était hostile aux empereurs, il s'était en pleine assemblée déclaré le principal instigateur de la mort de Caïus, il était appuyé de parentés illustres, né dans les Gaules, fait pour soulever ce pays : c'étaient assez de prétextes pour le faire condamner par Claude. On l'arrête à Baïes ; on le conduit dans la chambre de César, où se jugeaient les grandes affaires. Là on l'accuse d'avoir corrompu la fidélité des soldats, d'être l'amant d'une Poppée, ennemie de Messaline (Poppæa Sabina, femme de T. Ollius), de vivre dans le désordre ; le désordre était un grand crime chez les suspects. Un témoin paraît, qui ne l'avait jamais vu, et savait seulement qu'il était chauve : il désigne un autre homme chauve qu'il prend pour Valerius. La défense de l'accusé toucha Claude, fit pleurer Messaline ; mais, chose étrange ! en allant se laver le visage qu'elle avait baigné de larmes, elle dit tout bas à son complaisant Vitellius : Ne le laisse pas échapper ! Vitellius s'occupera donc de l'accusé ; elle de Poppée. Elle fit peur à celle-ci de la prison, Poppée se tua ; au bout de quelques jours, son mari vint souper chez César : Et ta femme, pourquoi ne l'as-tu pas amenée ? lui demanda César, qu'on n'informait de rien. — Elle est morte, seigneur, répond le pauvre mari.

Quant à Vitellius, il arrivait à ses fins par une perfidie infâme. Il se jette aux pieds de Claude, parle de l'amitié qu'il a pour Asiaticus, de leur commun respect pour Antonia, la mère de Claude, des services d'Asiaticus, de ses exploits en Bretagne, invoque la pitié de César, lui demande une grâce pour ce malheureux : qu'au moins il puisse choisir son genre de mort ! Claude, tout ému, Claude qui pensait déjà à absoudre Asiaticus, le stupide ! accorde ce qu'on lui demande.

La fin d'Asiaticus vous sera un exemple de la facilité qu'on avait alors à mourir. Ses amis l'engageaient, puisqu'il avait la liberté du suicide, à se laisser périr de faim : c'était toujours gagner du temps. Asiaticus les remercia, alla comme d'ordinaire s'exercer au champ de Mars, se mit au bain', fit un festin splendide, et s'ouvrit les veines. Avant de mourir, il voulut voir son bûcher, et le fit changer de place pour que le feuillage des arbres voisins ne fût pas endommagé par la flamme[24].

Ainsi allait le gouvernement, gouvernement de femme, plein de caprices et de colères, ce que les Romains caractérisent admirablement par ce seul mot, impotens. — Maintenant, si vous voulez connaître la vie domestique de César, figurez-vous l'atrium du palais divisé en plusieurs portions par de larges rideaux : l'une était le vestibule, l'une l'antichambre, l'autre le salon. A force de supplier les affranchis, de se dérober aux gardes, d'implorer les portiers, les étrangers pénétraient jusqu'ici, jusque-là les clients, plus loin les amis, plus loin encore les intimes, mais tous après avoir été sévèrement fouillés par les gardiens de la sûreté de César. Dans le dernier sanctuaire du temple, auprès du foyer, au milieu des tableaux, des statues, des dressoirs ornés de vaisselle précieuse, entre les vieilles et noires images des anciens Glandes et des anciens Césars, à côté de ces magots de la Chine qu'on appelait les lares domestiques, figure un bel homme, au ventre proéminent, au visage noble, aux beaux cheveux blancs, digne et imposant dans le repos. Autour de lui bruit cette foule d'amis — terme romain pour dire courtisans — : solliciteurs et sollicités, patriciens et affranchis ; esclaves parvenus, nobles ruinés ; barbares devenus sénateurs, sénateurs appauvris près de quitter le sénat ; astrologues, juifs, bouffons, philosophes, gens que le sénat chassait tous les dix ou quinze ans d'Italie, et qui n'y restaient pas moins ; députés des villes ; ambassadeurs des Parthes ou des Germains ; rois tributaires, trônant humblement dans quelque coin d'une province romaine, sous la suzeraineté de l'empire et sous l'inspection d'un préfet, humiliant ici leur diadème devant celui qui n'eût pas osé le porter.

Mais César se lève ; toute sa dignité l'abandonne. Il marche, ses jambes vacillent ; il veut sourire, il lui échappe un rire énorme, un rire de bête ; il parle, sa langue bégaie ; sa tête et ses mains sont toutes tremblantes. Cette foule l'entoure, le presse, l'importune ; il la repousse à deux mains, il va entrer en lutte contre ses adulateurs ; il se fâche ; sa figure devient ignoble, sa large bouche est écumante, ses narines humides ; on dirait un lapithe ou un triton. Qui suis-je donc ? Me prenez-vous pour un fou comme Théogone ? Ne suis-je pas libre comme tout autre ?[25] Sa parole va, divague au hasard. Qui est-il ? où est-il ? à qui parle-t-il ? Il ne le sait plus.

Au théâtre, écoutez-le, plaisantant avec son peuple, l'invitant à un petit souper sans façon, riant, bouffonnant, faisant de mauvaises pointes. Au sénat, une femme est produite comme témoin : Cette femme, dit-il, pères conscrits, fut coiffeuse et affranchie de ma mère, mais elle m'a toujours traité comme son maître ; je le dis ici, car il ne manque pas chez moi de gens qui ne me regardent point comme leur maître.

Le sénat est cependant trop heureux de l'entendre ; car, le premier mois de son règne, il n'a pas osé y venir. Plus tard, il ose à peine y parler. Un questeur lit devant César les paroles que César veut adresser aux pères conscrits ; quand il se décide à parler lui-même, il le fait aussi en lisant. Sa voix, comme son attitude et sa démarche, sert mal sa pensée[26]. Du reste, qu'il soit mal à son aise au sénat, cela se comprend. Depuis longtemps le sénat était traité en ennemi par les empereurs ; les Césars s'y croyaient toujours en péril. Au palais même, dans les premiers temps de Claude, des soldats le servaient à ses repas ; des sentinelles armées de lances étaient debout auprès de sa table ; s'il visitait un malade, étrange courtoisie, il faisait inspecter la chambre, tâter le chevet, secouer la couverture ; s'il sortait, c'était en litière fermée, ce que n'avait fait avant lui aucun empereur[27].

Les huissiers courent, le sénat est convoqué à la hâte ; un homme a été trouvé armé d'un couteau : Claude assure que cet homme allait le tuer, il se sent menacé, il se sent frappé ; il est prêt à déposer l'empire ; il crie, il répand des larmes, il demande grâce, il déplore sa misère en plein sénat.

Mais le sénat, les clients, la cour, rien de tout cela ne le retiendra longtemps ; sa place est au Forum, entre les juges, les avocats, les greffiers. Son tribunal est vide et l'attend ; les avocats, ses amis, s'inquiètent de l'absence de ce Perrin Dandin de Rome, qui juge au Forum, juge dans sa chambre, juge les jours de fête, et ne laisse pas chômer leurs voix enrouées.

Claude n'est pas un procureur comme Tibère, il juge en équité, il ne se plie pas à la lettre de la loi ; aussi les pauvres jurisconsultes sont-ils délaissés dans leurs demeures, où l'on ne vient plus les consulter. Les avocats triomphent, leur phrase a beau jeu, leur éloquence nage dans le libre océan de la justice naturelle, de la raison supérieure la loi, de l'esprit affranchi de la lettre[28].

En outre, pour leur plus grande gloire, le système poli. tique de Tibère prédomine toujours ; la carrière des accusations est toujours ouverte, la rhétorique toujours hardie, menaçante, redoutée. L'action de lèse-majesté a été abolie, il est vrai ; cela eût fait une difficulté sous un prince légiste comme Tibère : mais Claude est bon empereur et juge en équité. Suilius, entouré de disciples et de rivaux, est le digne successeur de ceux qui ont créé le rôle sous Tibère.

Il y a plus, comme la défense est permise, comme dans cette vacillante domination des favoris, il y a chance de succès pour tout le monde ; non-seulement on fait le métier d'accuser pour le compte de César, et dé s'enrichir des confiscations de César ; mais l'avocat, payé pour accuser, payé pour défendre, se met à l'enchère, livre sa faconde au plus offrant, acheté par l'un, se fait racheter par l'autre, quitte l'accusation déjà commencée, si la défense peut surenchérir ; trahit la défense déjà entreprise, si l'accusation paie mieux.

Un chevalier qui a payé le gain de sa cause 400.000 sesterces à Suilius, trahi par celui-ci, va chez ce misérable et se tue. On s'indigne, le sénat se révolte ; on rappelle les anciennes lois de la république, lorsque la plaidoirie ne pouvait être payée, lorsque le métier d'avocat, tout politique, n'était qu'une dérivation des anciens rapports de clientèle et de patronage. Il y aura moins d'inimitiés, si les procès ne profitent à personne ; faut-il donc que l'avocat soit intéressé aux querelles et aux discordes, comme le médecin à l'épidémie ? Suilius et les délateurs se troublent ; ils n'espèrent qu'en César, l'entourent, le prient : Comment vivront-ils, pauvres petits sénateurs, s'ils ne vivent du prix de leur parole ? Claude prit un moyen terme et limita le gain de l'avocat à 10.000 sesterces (2.600 fr.)[29].

Mais enfin, voici venir au tribunal Claude, juge acharné, pas toujours juge déraisonnable ; raison variable, tantôt sagace et prudente, tantôt étourdie et brusque, tantôt puérile et presque folle. Il rendit quelques sentences originales, un peu à la façon de Sancho. Il faisait ce que nous nommerions l'appel des jurés : un homme qui avait un motif d'excuse ne le fit pas valoir ; Claude le raya toujours, persuadé qu'un jugeur aussi ardent est un mauvais juge. Un autre, désigné comme juré, avait lui-même un procès à soutenir : Plaide devant moi, lui dit Claude ; en discutant ton affaire, tu me montreras comment tu sais juger celle d'autrui. Une femme refusait de reconnaître son fils : Puisqu'il n'est pas ton fils, lui dit-il, tu vas l'épouser.

Mais il advenait là comme ailleurs : au palais les obsessions des affranchis, au Forum le tapage des avocats faisaient dévier sa droite raison. Les voyez-vous autour de lui, criant, s'agitant, chicanant, jetant ce brave homme dans tous les détours de la procédure ? D'ailleurs Claude, qui a de mauvaises nuits, sommeille au tribunal ; les avocats, pour l'éveiller, prennent le plus aigre fausset de leur voix ; il se secoue ; mais sa raison est toujours endormie, tous les monstres de la chicane se dressent devant lui ; en vain il se retire pour méditer, en vain il écrit sa sentence ; sa délibération tient du rêvé, son arrêt du cauchemar. Je donne gain de cause, dit-il, à ceux dont les raisons sont les meilleures.

Voici un grave débat. — Un homme est poursuivi pour avoir usurpé le droit de cité romaine : pendant qu'on le juge, pourra-t-il porter la toge ? Importante question ! Voici comme Claude juge l'incident ; il changera d'habit : pendant le plaidoyer de l'accusateur, il sera en manteau comme un étranger ; pendant sa défense, en toge comme un Romain.

Pourquoi ce témoin est-il absent ?César, il n'a pu venir. — Pourquoi ?César, de graves, de solennelles raisons l'ont empêché. — Quelles raisons peuvent s'opposer à mes ordres ?Elles sont irrésistibles, seigneur. — Mais explique-toi. Et après bien des questions, bien des réponses, bien des circonlocutions, bien des détours : César, il est mort. Ainsi se raillait-on du pauvre César.

Cilon, gouverneur de Bithynie, comparais devant César ! Députés de la province de Bithynie, exposez vos griefs ! Les Bithyniens reprochent à Cilon ses concussions et ses violences. César n'entend pas, César est distrait ou César dort. Mais il a près de lui son fidèle Narcisse : Que disent-ils là, Narcisse ?Seigneur, ils rendent grâces à Cilon, qui les a gouvernés avec une sagesse paternelle. — C'est bien : je me souviendrai, Cilon, de tes services ; retourne à ton gouvernement pour deux ans encore. Qu'on appelle une autre cause.

C'est un accusé : Nous permettons, dit César, que l'accusé soit défendu. — Grâces te soient rendues, excellent prince ! c'est du reste ce qui se fait toujours.

L'accusé est un chevalier romain poursuivi par des calomniateurs ; on lui reproche d'obscènes outrages envers des femmes. On produit les témoins ; il n'y a pour témoins que des courtisanes. Le prince les écoute, recueille leurs témoignages, se fait raconter leurs injures, leur vertu offensée, tient note de tout avec la gravité d'un censeur. A tant de niaiserie, la patience de l'accusé ne tient pas ; il injurie Claude, lui jette à la figure ses tablettes et son stylet ; et le pauvre maitre du monde, blessé à la joue, ne sait encore ce que signifie cet orage.

Mais c'est fini. — Claude n'écoute plus rien ; sa pensée est ailleurs, Sentez-vous cette douce et alléchante odeur qui arrive jusqu'à vos narines ? L'empereur la respire, la savoure, oublie tout le reste. On prépare dans le temple de Mars le dîner des prêtres saliens. Il n'y a plus d'empereur, plus de juge, plus d'avocats, plus de procès. Perrin Dandin est devenu Apicius. Claude se jette hors du tribunal ; il va chercher le dîner des pontifes.

Non ! pas encore ! s'écrient vingt avocats. Ils le retiennent par le bout de sa toge ; ils le saisissent par les pieds : le maître du monde n'est pas maître d'aller dîner. Puis viennent les injures : Tu n'es qu'un vieux fou ! lui dit un Grec dans sa langue. Ces gens-là sont prêts à l'assommer pour qu'il les juge.

Claude n'échappe à cette tempête que pour en subir une autre. C'est le peuple qui a faim : les greniers ne sont pas remplis pour quinze jours, les vaisseaux d'Égypte n'arrivent pas à Ostie ; et le peuple connaît ce premier principe de la monarchie d'Auguste, que l'empereur doit nourrir Rome. Le peuple arrête César au milieu de la place, le couvre d'injures, de croûtes de pain ; jamais tant de pain ne fut gaspillé qu'aux jours d'émeute pour cause de disette. Claude s'échappe à grand'peine, pénètre au palais par une porte de derrière ; et là, l'excellent homme ne songe plus qu'aux moyens de nourrir son peuple, presse les arrivages, récompense la marine[30], en lui accordant en particulier la liberté toujours si enviée du célibat[31].

Quand se reposera-t-il donc, cet infatigable empereur ? Quand pourra-t-il, avec quelque histrion de ses amis ou quelque affranchi de sa cour, remuer le cornet et les dés ? Claude est grand joueur ; en voyage, il a une table de trictrac (alveum) combinée de manière à n'être pas dérangée par le mouvement de la voiture ; il a écrit un livre sur le jeu de dés : sur quoi n'a-t-il pas écrit, le savant homme !

Mais le vrai délassement, le vrai triomphe de César, c'est le souper. Il aime les gigantesques repas, les salles à manger immenses, les plats cyclopéens que plusieurs hommes ont peine à porter ; en ceci il est grandiose. Avec quel abandon et quelle onction savoureuse, au sénat, un jour qu'il était question des marchands de vin et des bouchers, s'est-il écrié : Eh ! qui peut vivre sans sa petite part de viande ?[32] Et ensuite entraîné par un délicieux souvenir, avec quelle abondance de cœur il a rappelé les cabarets d'autrefois, les trésors qu'ils offraient aux gourmands, le falerne et le massique qu'il allait y boire !

Voici l'heure : six cents convives attendent ; pourtant quelques invités manquent encore. Où sont-ils ? dit Claude, allez réveiller ces paresseux. Il oublie qu'il les a fait tuer le matin.

Claude se lève de table ; il n'en peut plus ; le goût de la bonne chère et du vin est une passion impériale ; le farouche Tibère n'y a pas été plus insensible que le magnifique Caligula. Mais chez Claude, c'est une ignoble passion, un brutal amour. Il est épuisé ; il tombe à la renverse, bouche béante ; il faut qu'on vienne le secourir à la romaine, et — pardonnez cet ignoble détail de la vie antique — qu'une plume mise dans sa bouche soulage l'estomac impérial. Je ne saurais vous dire, en vérité, jusqu'où il prétendait pousser la liberté des repas[33].

Ces infirmités de l'âme de Claude n'ont pas été exagérées par les historiens. Ni Dion, ni Suétone ne se sont amusés à faire une caricature de l'époux de Messaline. Il n'est besoin pour s'en convaincre que de lire la page de Tacite que nous citerons plus tard, où il raconte les derniers jours de cette impératrice. Tacite n'a pas de goût, lui, pour la caricature, et l'homme qui, dans cette sanglante comédie, a pu accepter le rôle que Tacite fait jouer à Claude, était bien capable, non-seulement de toutes les distractions et de toutes les bévues, mais de toutes les sottises et de toutes les imbécillités !

Dans tout ceci, Claude nous est apparu comme un Cassandre, un niais, un imbécile, mais enfin un bon homme. Pas si bon homme pourtant, car nous allons le voir sanguinaire et cruel. Non-seulement ses affranchis et ses femmes font de lui un instrument à signer des sentences de mort et lui dictent les plus incroyables atrocités ; ceci n'est qu'une lâche et indigne faiblesse. Mais Claude est cruel pour son propre compte ; il a le goût du sang ; ce n'est pas chez lui passion ni vengeance, c'est une effroyable fantaisie d'artiste, qui ne pouvait exister que dans cette corruption du paganisme. Il aime à voir mourir ; les supplices ordinaires, non politiques, lui sont un spectacle. Il aime à voir donner la question ; il aime à voir mettre à mort les parricides dont le supplice a quelque chose de particulièrement sinistre. À son début, à force d'avoir multiplié les supplices contre les esclaves qui, sous Caligula, avaient dénoncé leurs maîtres, il a fini par craindre qu'une statue d'Auguste, au pied de laquelle ces exécutions avaient lieu, n'en fût offensée ou profanée ; il a fait déplacer la statue ; mais lui, il est resté et a regardé tout, plus dur que le bronze de la statue. — A plus forte raison, s'amuse-t-il sans scrupule à voir les jeux de gladiateurs, faisant achever ceux qui tombent, même par hasard, faisant achever surtout les rétiaires qui combattent la tête découverte et sur le front desquels il se plaît à lire les souffrances de l'agonie. Quand les sujets manquent pour l'arène, quand les lions restent inoccupés, il leur envoie quelqu'un de ses esclaves, un machiniste qui aura manqué son effet, ou même l'affranchi qui est auprès de lui pour lui souffler les noms propres (nomenclator) ; il l'envoie tout paré encore de sa toge de citoyen romain. — Un jour, il est allé tout exprès à Tivoli, par une curiosité d'archéologue, pour assister à un supplice pratiqué selon les rites antiques ; tout est prêt, les condamnés sont attachés au poteau : mais le bourreau manque, il faut en faire venir un de Rome ; qu'importe ? les condamnés attendront, le peuple attendra, l'empereur attendra, et Claude passe la journée en face de ces poteaux et de ces moribonds, pour ne pas perdre un intéressant échantillon d'archéologie sanguinaire[34]. Mais, ne nous y trompons pas, comme il ne s'agit en tout ceci que de malfaiteurs, de gladiateurs ou d'esclaves, Claude n'y perd rien de sa réputation de bonté ; il est sanguinaire et il est bon homme ; il fait du bien à son peuple par devoir, et il suit les exécutions par goût. Le meurtre était alors une branche de l'art dont on pouvait s'occuper avec un sentiment purement esthétique. Cela est monstrueux, mais cela est vrai.

Cela est si vrai, qu'il n'a pas laissé que de se faire quelques grandes et quelques utiles choses sous le règne de ce Cassandre sanguinaire. Des soins ont été donnés, ou par lui, ou par le sénat sous lui un peu plus libre, à la législation civile fort négligée sous Tibère et sous Caligula. — Un progrès s'est accompli en dehors des voies de l'ancien rigorisme romain : la femme mise pour toute sa vie en tutelle, pupille de son père, de son mari, de ses agnats (son frère ou son oncle paternel), est déchargée au moins de ce dernier joug. Mais, de peur que la femme, moins sévèrement gouvernée, ne se laisse entraîner par la faiblesse de son sexe, il lui est interdit de nouveau de prendre sur elle la dette d'autrui. — Un instinct de prudence, nécessaire, au milieu d'une société où le vice et les fraudes abondaient, inspire toute cette législation : annulation de l'emprunt contracté par le fils de famille (ce qui veut dire que, l'obligation souscrite par le fils du vivant du père ne peut pas être réclamée, même après la mort de celui-ci) ; annulation du legs ou de la liberté accordée par testament, si c'est le légataire lui-même ou l'esclave favorisé qui a tenu la plume sous la dictée du testateur : et la clause n'est pas seulement nulle, elle est réputée falsifiée ; le légataire n'est pas seulement déchu de son legs, il est condamné comme faussaire. — Puis enfin vient cette loi redoutable dont nous parlerons ailleurs, qui rend esclave la femme qui s'est unie à un esclave[35].

A cette gloire du législateur, Claude voulut même ajouter celle du guerrier et du conquérant, et Rome, sous son règne, sinon sous sa conduite, accomplit une entreprise devant laquelle César lui-même avait reculé. Les peuples de la Grande-Bretagne s'étaient-ils énervés depuis un siècle ? ou Rome, maîtresse des côtes de la Gaule et plus voisine d'eux, avait-elle appris les moyens de les vaincre ? Toujours est-il que cette conquête que César n'avait pas même entamée, qu'Auguste, dans sa sagesse politique, avait interdite à ses successeurs, fut essayée et menée à fin sous un prince qui n'était ni politique ni soldat. Les discordes des peuples bretons, en jetant sur le sol de l'empire des exilés et des proscrits, fournirent et un prétexte et un encouragement à cette hasardeuse entreprise. Le sénat même, dans sa recherche d'adulation pour Claude, le poussa involontairement dans les voies belliqueuses ; en lui décrétant ce qu'il appelait les ornements triomphaux, c'est-à-dire le rang de triomphateur sans avoir triomphé, il lui fit souhaiter le vrai triomphe. Mais cet Océan à traverser, ces Bretons séparés du reste de la terre, épouvantaient de loin les soldats romains, comme les mers inconnues de l'Occident épouvantaient les matelots de Colomb. On eut peine à les faire partir ; l'affranchi Narcisse, quand il voulut les haranguer du haut du tribunal, fut accueilli par des risées et renvoyé insolemment, lui ancien esclave vêtu de la pourpre, aux facéties des saturnales[36]. Le départ eut lieu, néanmoins, sous les ordres d'un vrai et illustre général, Aulus Plautius. Trois flottes romaines, parties du rivage gaulois, débarquèrent sans résistance les légions sur trois points du sol breton (43). La guerre ne fut cependant ni sans fatigue ni sans péril dans ces contrées sauvages, où l'ennemi se cachait entre les marécages et les bois, où la cavalerie germaine était obligée de traverser les fleuves à la nage, sous les traits de l'ennemi ; Plautius dut même demander à l'empereur de lui amener les renforts qu'il avait préparés, et Claude vint assister de sa personne aux dernières péripéties de cette guerre. Elle couronnait l'empereur présent et elle préparait un empereur futur ; car elle mit, pour la première fois, en lumière le soldat obscur qui fut depuis le César Vespasien. Le midi de la Bretagne jusqu'à la Tamise devenu province romaine ; un royaume ami fondé ou accru en dehors de cette province, pour être dans l'avenir l'instrument de conquêtes nouvelles ; les honneurs de l'ovation (du petit triomphe) pour Plautius, lorsque, quatre ans après son départ (47), ce premier gouverneur romain de la Bretagne — puisque c'est ainsi que les Romains l'appelaient — revint à Rome : tels furent quelques-uns des fruits de cette guerre.

Mais l'honneur officiel devait en revenir surtout à l'empereur qui rentrait dans Rome après six mois d'absence et seize jours seulement de séjour en Bretagne. Le titre d'imperator lui fut donné cinq fois dans la même campagne, contre l'usage qui jusque-là était de ne le donner qu'une fois ; plus les trophées, les arcs de triomphe, les jeux annuels, que le sénat ne pouvait voter avec trop d'empressement ; plus le privilège, réservé au guerrier qui avait agrandi l'empire, d'agrandir aussi l'enceinte légale de Rome[37] ; plus le surnom de Britannicus (vainqueur des Bretons), pour lui et pour son fils, âgé de deux ou trois ans ; et enfin ce triomphe qu'il avait tant souhaité, et qui fut magnifique. Pour ce grand jour, les gouverneurs de province eurent congé et purent venir à Rome s'ajouter aux courtisans du triomphateur ; quelques exilés même furent autorisés à venir assister à cette fête ; une couronne navale apparut avec la couronne civique sur le faite de la maison Palatine, pour honorer le vainqueur de l'Océan. Messaline, en particulier, reçut les hommages du sénat ; le sénat lui décréta toutes les marques de respect qu'avait reçues Livie, femme d'Auguste ; il voulut qu'elle suivit, dans la voiture propre aux matrones, le char du triomphateur, son époux : on affectait de l'honorer d'autant plus qu'elle était moins honorable[38].

Enfin, pour rentrer dans Rome avec Claude, disons que dans Rome aussi, il se fit sous lui, comme sous quelques autres empereurs, de grandes choses. Si détestables et si ridicules qu'ils fussent, les Césars, travaillant la pierre, ont laissé quelques nobles traces de leur passage. Aussi bien, des monuments ne sont-ils pas un signe de civilisation ; les plus gigantesques datent des siècles qui ont eu beaucoup de captifs et d'esclaves. Les beaux et vrais monuments ne sont pas les pyramides de Chéops ou le colosse de Néron ; c'est le temple hébreu ou la cathédrale chrétienne, ceux qui sont bâtis, non par le pouvoir, mais par la foi.

Tibère seul, chagrin et avare, laissa peu de monuments. Caligula ne s'occupa guère que de son palais, de son cirque et de ses jardins — sauf cependant sa tour de Boulogne[39] —. Mais César, Auguste, Néron changèrent la face de Rome ; il est vrai que ce dernier commença par la brûler ou la laisser brûler, ce qui est un mode d'expropriation comme un autre.

Au rebours de Caligula, Claude ne s'occupa point du palais, si ce n'est pour détruire les embellissements ou les agrandissements de Caligula : on ne pouvait mieux faire. Mais ailleurs il s'occupa de travaux vraiment grands et utiles, ce qui n'avait point été le fait de Caligula et ne fut pas non plus le fait de tous les empereurs. — Hors d'Italie, il acheva une route de 320 milles (106 ou 107 lieues) du Pô au Danube, à travers les Alpes, jadis tracée par Drusus son père[40]. — Dans la péninsule, il eut d'autres travaux à accomplir. Depuis que l'Italie, qui autrefois exportait du blé, ne suffisait plus à sa propre nourriture, et que, selon le mot de Tacite, la vie du peuple romain était confiée à la merci des vents et aux risques des navires, Jules César avait pensé à faire à l'embouchure du Tibre un port plus sûr que n'était celui d'Ostie. Claude reprit hardiment cette pensée, qui effrayait les architectes, creusa un port ; en avant de ce port, prolongea sur la mer deux puissantes jetées, éleva au milieu une Ile qui portait un phare ; et pour lui servir de base, fit couler le navire qui avait apporté à Caïus l'obélisque d'Égypte, ce navire, la plus merveilleuse chose, dit Pline, que la mer eût jamais vue. C'est ce lieu, en face d'Ostie, qui a gardé jusque dans les temps modernes le nom de Porto[41].

Le blé arrivait donc à Rome par le Tibre, mais l'eau ne pouvait lui venir que du centre de l'Italie ; il fallait pour suffire à sa consommation que les aqueducs lui apportassent une quantité d'eau égale à celle du fleuve. Claude acheva l'aqueduc de Caïus, en rétablit un autre que Caligula avait détruit ou détourné pour faire de la place à ses fantaisies d'amphithéâtre[42] ; alla chercher à quarante milles de distance des sources dans les Apennins ; amena l'Anio à un niveau plus élevé que celui des collines de Rome, le divisa en nombreux et superbes réservoirs ; et, ainsi, avec une dépense que Pline estime à 55 millions de sesterces (14.500.000 fr.), ajouta deux aqueducs nouveaux aux sept aqueducs que Rome possédait sous Auguste[43]. Quatre cent soixante esclaves furent chargés de l'entretien de ces travaux, et les prolétaires de Rome, qui n'avaient ni parfums à mettre dans leurs baignoires, ni vin à mettre dans leurs coupes, purent néanmoins boire et se baigner magnifiquement.

Claude reprit une autre pensée déjà remuée par César. César avait avisé, dans les gorges de l'Apennin, un lac étendu, élevé, sujet aux débordements, dont l'épuisement lui paraissait facile et devait donner de vastes terres à la culture, préserver le pays des ravages des eaux, accroître la navigation des fleuves. Le temps lui manqua pour cette pensée comme pour bien d'autres ; Auguste la rejeta, Claude la saisit.

Il essaya donc d'ouvrir aux eaux du Fucin un passage à travers les sommités de l'Apennin, et de les jeter dans le Unis, fleuve de la Campanie. Pendant onze ans, trente mille hommes travaillèrent sans relâche, creusant, coupant la montagne et ouvrant un canal long de trois milles. Quand il fut achevé — c'était vers la fin du règne de Claude, peu après son mariage avec Agrippine : an 52 —, Claude voulut inaugurer cette œuvre d'utilité publique par une grande fête et par une fête sanglante. Tant il est vrai que nous rencontrerons toujours chez Claude ce contraste, moins étonnant pour les anciens que pour nous, d'un prince qui aime à faire du bien aux hommes et d'un curieux qui aime à les voir mourir, d'un homme qui nourrit les citoyens et qui égorge le gladiateurs, d'un philanthrope qui arrose ses bienfaits d'un sang humain

Tout autour du lac, il plaça une ligne de radeaux, montés par des prétoriens, et garnis de machines de guerre. Dans ce cercle fermé d'une manière aussi menaçante, cent vaisseaux pontés, divisés en deux flottes appelées l'une rhodienne, l'autre sicilienne, avaient encore assez d'espace pour se mouvoir, et sur ces vaisseaux étaient embarqués dix-neuf mille hommes, tous condamnés à mort[44]. Sur les bords, sur les collines, sur les cimes les plus proches de l'Apennin, une multitude de peuple était rangée en amphithéâtre ; — plus près du lac, Claude avec l'habit de guerre des consuls (paludamentum), Agrippine en chlamyde d'or. — Sortant des eaux, un triton d'argent sonna de sa conque et donna le signal du combat ; et alors un cri s'éleva de cette double flotte : Salut, César : ceux qui vont mourir te saluent ! (Ave, Cæsar, morituri te salutant !)

César et le peuple voulaient avoir le spectacle d'un combat naval ; ils se le donnèrent comme tous leurs spectacles, grandiose, cruel, sanglant. Mais avec Claude, il n'était rien de si terrible où le grotesque ne se mêlât. A ce salut funèbre, il répondit gauchement : Je vous salue, ou pour mieux dire encore : Portez-vous bien. (Avete et vos.) Et là-dessus, les voilà qui soutiennent que César leur a fait grâce, qui ont la mauvaise façon de ne pas vouloir mourir ; lui qui s'irrite, parle de les baller, de les tuer tous, s'élance de sa place, court autour du lac avec ses jambes titubantes et avinées, menace, exhorte, les décide enfin. De ce combat entre gens au désespoir, emprisonnés dans une enceinte de, balistes et de catapultes, armés, mais seulement les uns contre les autres ; de ce combat qui nous eût laissé à nous une émotion effroyable, les anciens parlent à peine. Ces criminels, dit Tacite, combattirent néanmoins en gens de cœur, et après de nombreuses blessures, ce qui demeura eut sa grâce.

Alors on ouvrit au lac les portes du canal ; mais le canal n'était pas assez profond, le lac resta immobile. Nouveau travail, nouvelle attente, nouvelle fête ; cette fois le lac, couvert de ponts, servira d'arène aux gladiateurs : la table est prête, et Claude, du haut des magnificences de son festin, va voir sous ses pieds le lac entrer dans son nouveau lit. Mais le lac s'irrite ; les digues trop faibles cèdent devant lui, il roule en bruissant vers le festin impérial ; la table est abandonnée, César tremble, les courtisans fuient. Narcisse a conduit les travaux, Agrippine accuse Narcisse, Narcisse insulte Agrippine[45]. Depuis, abandonnés par Néron, tous ces travaux restèrent sans fruit, et, malgré Hadrien qui essaya de l'épuiser et fit pour le conduire à Rome un canal dont les restes se voient encore, le Fucin sommeille paisiblement dans son lit[46].

Avec ce pauvre Claude, il fallait toujours que les plus grandes choses et les plus utiles tournassent au ridicule.

 

 

 



[1] Diu inter instrumenta regni habita. (Tacite, Annal., XII, 66.)

[2] Tacite, Annal., III, 23.

[3] Tacite, Annal., VI, 49.

[4] Senec., de Clementia, I, 23.

[5] On ne reconnaît pas d'ordinaire assez l'impartialité de Tacite. Lui-même nous avertit que Tibère, Caïus, Claude, Néron, flattés de leur vivant, ont été calomniés après leur mort lorsque la mémoire de leurs cruautés était encore récente. (Annal., I, 1.) Il disculpe Tibère des accusations répandues surtout au sujet de Drusus. (Annal., IV, 10, 11). Il rend plusieurs fois justice à Tibère. (V. surtout IV, 6, 7.) Sur plusieurs points, il justifie les empereurs de reproches qui leur étaient faits par d'autres écrivains, et qui sont encore renouvelés par Suétone, etc.

[6] Tiberius Claudius Nero Drusus Germanicus, fils du premier Drusus et d'Antonia, nièce d'Auguste, né le 1er août 744 de Rome (10 avant J.-C.). Simple chevalier jusqu'à 46 ans, — Sodalis Augustalis sous Tibère, en 37, fait sénateur et consul par Caligula, — en 40, prêtre du dieu Caligula, — empereur le 25 janvier 41, — consul en 37, 42, 43, 47, 51, — Imperator 27 fois au moins, — qualifié frère Arvale (Marini, Tab., 12) ; — empoisonné par Agrippine le 13 octobre 54.

Ses femmes : 1° Plautia Urgulanilla, répudiée pour adultère et soupçon d'homicide. D'elle naquirent Drusus, mort jeune, et Claudia, qu'il fit exposer après sa naissance, ne la croyant point sa fille.

2° Ælia Petinia, répudiée également. Il eut d'elle Antonia.

3° Sa cousine Valeria Messalina, qu'il fit mourir en 48. Il eut d'elle Octavie et Britannicus.

4° Sa nièce Agrippine, qu'il épousa en 49, et dont il adopta le fils en l'appelant Néron.

[7] Suet., in Claudio, 4.

[8] Suet., in Claudio, 5.

[9] Præter atrocem animum Catonis, dit Horace.

[10] Suétone (in Domtitiano, 15) accuse le chrétien Flavius Clémens contemptissimæ inertiæ et Julien (ad Libanium) reproche aux chrétiens leur mollesse d'esprit et de corps.

[11] A cette dissimulation font sans doute allusion les monnaies de la première année de Claude qui portent CONSTANTIA AVG. et une figure avec la main sur la bouche.

[12] V. Dion, LIX, p. 668.

[13] Graptus, un des affranchis de César, formé depuis le temps de Tibère aux intrigues du palais, savait la cour (domum principum edoctus) par une vieille et profonde expérience (sous Néron). Tacite, Annal., XI11,47. Et ailleurs : Calliste, qui avait aussi vu l'ancienne cour (prioris quoque regiæ peritus), savait que le pouvoir se garde par la précaution plus que par la hardiesse. id., XI, 29.

[14] Suet., in Claud., 28. La première fut une Drusille, petite-fille d'Antoine et de Cléopâtre ; la seconde, une autre Drusille, fille du roi juif Agrippa, que Félix enleva à son mari le roi d'Émèse ; la troisième est inconnue. V. Tacite, Hist., V, 9 ; Josèphe, Antiq., XVIII, 7 ; XX, 5, 7, 8 ; Act. Apost., XXIV, 24. Une inscription (Henzen, 5404) l'appelle Antonius Félix. Ce nom lui appartenait comme affranchi d'Antonia, mère de Claude.

[15] Sur les affranchis de Claude, V. Suet., in Claud., 28, 40 ; Tacite, Annal., XII, 3 ; XIII, 4 ; Pline, Hist. nat., XXXIII, 3 ; Senec., in Apocoloq. ; Tacite, XI, 29. — Sur Pallas, Tacite, Annal., XII, 53 ; Pline, Hist. nat., XXXIII, 10 ; Josèphe, Ant., XVIII, 8 ; Pline le jeune, Ép., VII, 29 ; VIII, 6. — Sur Félix, V. Tacite, Annal., XII, 54 ; Josèphe, de Bello, II, 10 ; Actes des Apôtres, XXIII, XXIV. — Sur Calliste, Pline, Hist. nat., XXXIII, 10 ; XXXVI, 7 ; Senec., Ép. 47 ; Josèphe, Antiq., XIX, 1 ;Tacite, Annal., XI, 29 et alibi passim. — Sur Narcisse, Tacite, passim ; Pline, Hist. nat., XXXIII, 10 ; Juvénal. XIV, 328 ; Dion, LX. — Sur les autres affranchis, Polybe, Myron, Harpocras, l'eunuque Posidès, etc., Juvénal, XIV, 91 ; Pline, Hist. nat., XXXI, 2 ; Senec., in Apocoloq. ; Id., in Consolatione ad Polybium.

[16] Philostrate, in Apollonio, V, 11.

[17] Pline, Hist. nat., XXXIII, 3.

[18] Julien, in Cæs., Dion, LX.

[19] Suet., in Claud., 20. Claude est accusé aux enfers devant Éaque, juge des affaires de meurtre. L'acte d'accusation porte trente sénateurs tués, trois cent vingt-cinq chevaliers et plus encore. Dans le reste du peuple, deux cent vingt et un. Le nombre des victimes est comme le sable de la mer. Senec., in Apocoloq.

[20] Suet., in Claud., 37.

[21] Suet., in Claud., 13. Dion. (An 41.)

[22] Dion, LX. Suet., in Claud., 13 ; in Othone, 1 ; Tacite, Hist., II, 75 ; Annal., XII, 52 ; Pline, Epit., III, 16.

[23] Pline, Épit., III, 16 ; Martial, II, 14 ; Tacite, Annal., XVI, 35.

[24] Tacite, Annal., XI, 1, 2 ; Dion, LX.

[25] Suet., in Claud., 40.

[26] Dion Cassius, LX, p. 665.

[27] Dion Cassius, LX, p. 665.

[28] Suet., in Claud., 14 ; Senec., in Ludo.

[29] Sénatus-consulte, ou édit de Claude, an 47 (Tacite, XI, 6, 7 ; Pline, V, Épit., 4, 14, 21 ; Ulpien, loi 1, Digest. de variis a extr. cognitionibus, L. 13). Renouvelé sous Néron (an 55). Tacite, Annal., XIII, 5, 42 ; Suet., in Nerone, 17. Autre mesure contre les avocats prévaricateurs (an 62). Tacite, ibid., XIV, 41. L'ancienne loi était la loi Cincia, de l'an 548 de Rome.

[30] Cette famine eut lieu en 44. Tacite, Annal., XII, 43. C'est celle que secourut la reine Hélène (Josèphe, Ant., XX, 4) et qui fut prédite par Agabus (Act. apost., II, 28). V. aussi Suet., 18.

[31] Claude accorda, dit Suétone, à titre de récompense à ceux qui avaient construit des navires de commerce, la dispense de la loi Papia Poppæa s'ils étaient citoyens romains ; le droit de cité, s'ils étaient Latins (c'est-à-dire sujets de rang inférieur) ; pour les femmes, le jus quatuor liberorum (les privilèges de droit civil accordés à la mère de quatre enfants). In Claudio, 19. — Il fallait cependant, pour que la construction d'un navire rendit le Latin citoyen romain, que ce navire eut un tonnage de 10.000 modii (807 hectolitres) au moins et eut fait pendant dix ans le transport des blés à Rome (ex edicto divi Claudii, dit Ulpien, Regul., III, 6).

[32] Rogo vos, quis potest sine offula vivere ? (Suet., in Claud., 40.)

[33] Meditatus est edictum, quo veniam daret flatum crepitumque ventris in cœna emittendi, cum periclitatum quemdam præ pudore ex continentia reperisset. (Suet., in Claud., 32.)

[34] Suet., 34 ; Dion, 673.

[35] Loi Claudia, qui supprime la tutelle des agnats pour les femmes majeures. V. Gaius, I, 157, 171 ; Ulpien, Regul., XI, 8.

S.-C. Velleianum, sous le consulat de M. Silanus et de M. Velleius Tutor, interdisant de donner suite à toute garantie par une femme de la dette d'autrui. Le texte de ce S.-C. Dig. ad S.-C. Velleian. (XVI, 1.) Code Justin., eod. titulo. (IV, 29.)

S.-C. Macedonianum en 47 (ainsi nommé d'un usurier nommé Macedo, dont les exactions amenèrent cette décision du sénat). V. le texte, Dig. ad S.-C. Macedon. (XIV, 6.) Paul, Sentent., II, 10. Tac., Annal., XI, 13. Suet., in Vespas., 11.

Édit de Claude qui ordonne de poursuivre, en vertu de la loi Cornelia contre les faussaires, ceux qui auront écrit sous la dictée du testateur une disposition qui leur est favorable. La nullité de cette disposition avait déjà été prononcée par un S.-C. Libonianum, sous Auguste. Dig. 15 ad Leg. Cornel. de falsis. (XLVIII, 10.) Code, de his qui sibi adscribunt in testam. (IX, 23.)

S.-C. Claudianum (an 53) contre la femme libre qui s'est unie à un esclave (V. ci-dessous).

S.-C. Largianum (sous le consulat de Lupus et de Largua), règle la succession des affranchis latins. Gaius, III, 63, 71.

S.-C. (sous le consulat de Velleius Rufus et d'Ostorius Scapula, an 46) permet au père de famille d'assigner à tel ou tel de ses enfants le droit de patronage sur ses affranchis. V. le texte, Dig. de libertis assignandis. (XXXVIII, 4.) Institut. Just., eod. titul. (III, 8.)

[36] Io Saturnalia ! On sait qu'aux saturnales les esclaves mettaient les habits de leur maître. (Dion.)

[37] Cet agrandissement du pomœrium n'eut lieu cependant que quelques années plus tard, en 49. Il est constaté par l'inscription de l'an 49 (Orelli 710).

L'addition faite au pomœrium ne fut autre que le mont Aventin, qui jusque-là, quoique entouré de murailles, était en dehors de l'enceinte légale. Voir Tacite, XII, 23, 24 ; Aulu-Gelle, XIII, 14 ; Sénèque, de Brevitate vitæ, 14.

[38] V. sur cette guerre Dion, p. 617-679 ; Suétone, 17, 24 ; Tacite, Agric., 13, 14. Plusieurs médailles portant, avec la tête de Claude couronnée de lauriers, un arc de triomphe, et les mots : DE BRITANNIS, IMPER(atore) RECEPT(o), PACI AVGVSTAE ; et enfin l'inscription mutilée de l'arc de triomphe (Orelli 714). Cet arc de triomphe, construit sur la voie Flaminia (Corso), vers le lieu où est aujourd'hui le palais Sciarra, fut détruit ou plutôt achevé de détruire (car les régionnaires du IVe siècle n'en parlent déjà plus) en 1527. Les monnaies fixent la date de cette guerre entre 46 et 48.

[39] V. ci-dessus, Caligula, § II.

[40] Via Claudia Augusta. V. trois inscriptions des années 46 et 47. Orelli, 618, 708. Henzen, 5400.

[41] Portus Claudii appelé depuis Portus Trajani. Dion LX, p. 672. Suet., in Claud., 20. Pline, Hist. nat., XVI, 40 ; XXXVI, 15. Suet., in Calig., 21 ; in Claud., 20.

Une inscription mentionne une route Valeria Claudia, construite ou reconstruite par Claude et pour laquelle il avait édifié 43 ponts (En l'an 49.) — Orelli 711.

[42] L'inscription de Claude (an 46) est précieuse :

TI CLAVDIVS, DRVSI F. CAESAS AVGVSTVS GERMANICVS

PONT. MAXIM. TRIB. POT. V IMP. XI PP. COS DESIO IIII

ARCVS DVCTVS AQVAE VIRGINIS DISTVRBATOS PER C. CAESAREM

A FVNDAMENTIS NOVOS FECIT AC RESTITVIT.

Orelli, 703.

[43] Anio novus, Aqua Claudia, commencés en l'an 36, achevés en 52. V. Frontin, de Aquæ ductibus, XIII, 116, 118 ; Pline, Hist. nat., XXXVI, 15 Suet., in Calig., 21, in Claud., 20. Rome eut alors 3.720.750 mètres cubes d'eau par jour, 1.401.450 de plus qu'elle ne possédait sous Auguste. La longueur totale des aqueducs fut d'environ 107 lieues.

[44] Je suis ici Dion plutôt que Tacite qui ne parle que de douze navires pour chaque flotte. Comment vingt-quatre navires (de ce temps-là) eussent-ils contenu 19.000 hommes ?

[45] V. sur tout cela Tacite, Annal., XII, 56, 57 ; Suet., in Cæs., 44 ; in Claud., 20, 21, 32 ; Dion, LX, p. 672, 687 ; Pline, Hist. nat., XXXVI, 15.

[46] C'était vrai au temps où je l'écrivais. Depuis la tentative des empereurs romains a été renouvelée avec plus de succès par le prince Torlonia, couronné pour ce motif à l'exposition universelle de 1867. — Le lac Fucin s'appelle aujourd'hui lac Célano, dans l'Abruzze ultérieure (royaume de Naples). v. Senec., Quæst. nat., III, 3 ; Spartien, in Hadriano ; Strabon, V ; Pline, Hist. nat., XXXVI, 15  ; III, 103  ; XXXI, 3  ; Virgile, Æneid., VII  ; Julius Obsequens, de Procig.