APPENDICE A. — DE Je rappelle seulement ici quelques notions élémentaires qui peuvent être utiles dans le cours du récit. La base fondamentale du système monétaire des Romains est l'as, dont le nom équivaut à celui d'unité. Ainsi l'unité de poids comme l'unité monétaire s'appelle as. L'as monnayé était une pièce de cuivre, dont la valeur absolue a varié selon les époques. Lorsque la monnaie d'argent a commencé à être usitée à Rome, ses dénominations ont été celles de sestertius (2 as ½), quinarius (5 as), victoriatus (7 as ½), denarius (10 as). Peu à peu la pièce d'argent est devenue, au moins usuellement, l'unité monétaire, et le mot nummus (pièce de monnaie), après s'être appliqué à l'as, s'est appliqué plus habituellement au sesterce. Quant à la monnaie d'or, elle s'est composée sous la république de scrupules (de 288 à la livre), équivalant en argent à 5 deniers ou 20 sesterces, et sous César d'aurei (de 40 à la livre, équivalant à 25 deniers ou 100 sesterces). Observons ici que les auteurs grecs de l'époque impériale, transportant dans le système monétaire romain les dénominations de leur langue, désignent habituellement le denier romain sous le nom de drachme, quoique la drachme attique soit de valeur un peu supérieure au denier. Par suite aussi les auteurs grecs, et souvent les auteurs romains, emploient l'expression originairement grecque de talent. Le talent attique était de 6000 drachmes ; le talent, dans les auteurs du temps de l'empire, doit donc être compté pour 6000 deniers. C'est ce qu'atteste Pline, Hist. nat., XXXV, 15. V. aussi Letronne, Considérations sur les monnaies, p. 96. Telles sont les principales dénominations monétaires usitées aux époques dont nous parlons. Pour les traduire en valeurs modernes, il suffira donc de connaître la valeur du sesterce aux différentes époques. La voici telle que la donne M. de Vers la fin de la république, le sesterce valait 0 fr. 1941, le denier, 0 fr. 7763, le scrupule, 3 fr. 88 c.
Ajoutons ici que l'as est l'unité de poids comme il est l'unité monétaire. Les divisions de l'as monnaie, comme celles de l'as poids (autrement appelé libra), seront donc les mêmes, ou plutôt les mêmes termes seront appliqués pour exprimer les fractions d'une unité quelconque. L'as ou la livre se divisant en 12 onces, les termes suivants exprimeront les diverses fractions :
Voir en tout, sur les monnaies romaines au temps de la république, le beau travail de mon ami le baron d'Ailly, chef-d'œuvre du savant, de l'artiste et du typographe, Recherches sur la monnaie romaine depuis son origine jusqu'à la mort d'Auguste, Lyon, Scheuring, 1864-1866, imprimerie Perrin. APPENDICE B. — DES DETTES ET DU TAUX DE L'INTÉRÊT. Les explications précédentes de l'as et des fractions de l'as aideront à comprendre les expressions au moyen desquelles les Romains indiquent le taux de l'intérêt. Ainsi, en vertu de la loi des Douze Tables (an 303 de Rome), le maximum de l'intérêt annuel est fixé à ce qu'on appelle usera unciaria, c'est-à-dire une once par as, un douzième du capital, ou 8 2/3 pour 100. Tacite, Annal., VI, 16. Caton, de Re rustica, præfat. En 398, cette loi, tombée en désuétude, est remise en vigueur par la loi Duillia. Tite-Live, VII, 16. En 403, LOI MARCIA contre les usuriers. Gaius, IV, 23. Tite-Live, VII, 21. En 408, une loi réduit l'intérêt à l'usura semiunciaria, c'est-à-dire une demi-once par as, ou 4 1/3 pour 100. Tite-Live, VII, 27. En 418, par un plébiscite du tribun Genucius, le prêt à intérêt est complètement interdit. Tite-Live, VII, 42. Appien, de B. c., I, 54. Tacite, Annal., VI, 16, 42. Tite-Live, VII, 42. En 429, abolition du nexus (contrainte par corps, ou plutôt servitude du débiteur envers le créancier). Tite-Live, VIII, 28. Il fallut la renouveler depuis. 559. LOI SEMPRONIA interdit le prêt à intérêt fait par des Latins ou des alliés de Rome en Italie (qui servaient souvent de prête-nom à des Romains). Tite-Live, XXXV, 7. Mais, malgré ces lois, le prêt à intérêt ne cessa de se pratiquer ; surtout après la prise de Carthage et de Corinthe, a prépondérance des gens à argent rendit la loi tout à fait illusoire. L'habitude vint même de compter les intérêts à tant par mois ; on le faisait payer le 1er du mois, jour des calendes (Horace, Epist., 1-3, V, 87). De là le mot kalendarium, calendrier, pour désigner le registre sur lequel l'usurier marquait les jours d'échéance (V. Dig., 41, de Rebus creditis (XII), 41, § 6, de Legat., III (XXXII)). L'intérêt habituel fut alors d'un as pour 100 par mois, 12 pour 100 par an ; c'est ce qu'on appelle usuræ centesimæ. Dion, LI, 21. 567. LOI VALERIA (de Quadrante) autorise à payer les dettes en cuivre au lieu d'argent (ce qui impliquait une réduction des trois quarts). Velleius Pater., II, 23. Salluste, in Catil., 33. 635. LOI GABINIA étend aux provinces les dispositions de la loi Sempronia. Cicéron, ad Attic., V, 21 ; VI, 13. Asconius, in Cornel. 692. Cicéron, cherchant à emprunter, ne peut trouver un taux moindre de 1 pour 100 par mois (minore centesimis). Attic., I, 12. 699. L'intérêt, au moment des élections, monte de 4 onces (triente) à 8 onces (bessibus), c'est-à-dire de 3/12 à 8/12 pour 100 par mois, ou bien de 4 à 8 pour 100 par an. Cicéron, Attic., IV, 15. 703. Scaptius, agent de Brutus, exige des habitants de Salamine (dans l'île de Chypre), un intérêt de 4 pour 100 par mois (quaternas centesimas) ou 48 pour 100 par an, avec la capitalisation des intérêts arriérés. Cicéron, au contraire, en arrivant dans sa province, interdit le prêt au-dessus de centesimæ (12 pour 100) ; un sénatus-consulte proposé par Caton en faisait autant à Rome et interdisait le cumul des intérêts. Cicéron, Attic., V, 21 ; VI, 6. Lucullus établit la même règle dans la province d'Asie. — Plutarque, in Lucullo. Le prêt maritime, du reste, avait un taux à part, et Caton le pratiquait beaucoup. Plutarque, in M. Catone, 45. 705. LOI JULIA
(de Pecuniis
mutuis, sive de Cessione bonorum).
César, 708. LOI JULIA. (de Modo pecuniæ possidendæ) défend de garder en argent au delà de 60.000 sesterces Dion, XLI, 38. — Oblige les capitalistes à avoir un tiers au moins de leur fortune en biens-fonds. Plutarque, in Cœs., 48. César, Bell. civ., III, 1, 20, 42. Tacite, Annal., VI, 16. Dion, LVIII, 21. 723. Après la conquête de l'Égypte par Auguste, par suite de la victoire d'Actium, l'intérêt de l'argent est réduit à un tiers pour 100 par mois. Suétone, in Aug., 41. Dion, 41. Orose, VI, 19. Sous Auguste, Horace parle d'un usurier qui exige 5 as pour 100 par mois ou 60 pour 100 par an. Quinas hic capiti mercedes exsecat. 1, Sat., II, 14. Depuis, le taux de l'intérêt parait avoir baissé. Ainsi Columelle, sous Tibère, voulant se rendre compte du bénéfice produit par une acquisition de vigne, compte l'intérêt de l'argent à 6 pour 100 par an (semisses). De Re rust., III, 3. Tibère, dans un moment de pénurie monétaire, oblige les débiteurs à payer immédiatement les 2/3 de la dette à la condition pour le créancier d'avoir en terres les 2/3 de sa fortune. Cette mesure ne put s'exécuter et Tibère arriva à. offrir un prêt gratuit de cent millions de sesterces. Suétone, in Tib., 48. Dion, LVIII. Tacite, Annal., IV, 66 ; VI, 17. Sous Néron, Sénèque parle de l'intérêt à 12 pour 100 (sanguinolente centesimæ) comme d'un intérêt excessif. (De Beneficiis, VII, 10.) Perse, à son tour, parle de l'intérêt à 5/12 pour cent par mois comme d'un taux tout à fait modique et de l'intérêt à 11/12 comme très-avantageux[1]. Le jurisconsulte Scævola, qui est contemporain (Digeste, 102, § 3, de Acceptilatione, (XLVI, 3)), parle de même de l'intérêt à 5/12. La centesima néanmoins resta le taux légal dans les temps qui suivirent. Le jurisconsulte Paul accorde le droit de répéter ou d'imputer sur le capital ce qui avait été payé au delà. (Sentent., II, 14. V. aussi Cod. Just., 8. Si cert. petet (IV, 2) ; Code Théod., I, 2, de Usuris (II, 33).) Nous voyons dans Sidoine-Apollinaire qu'au vo siècle le taux était toujours le même (Ep., IV, 24). Justinien le réduit de moitié, sauf quelques exceptions. (Cod. J., 26, de Usuris ; Godefroy, ad Cod. Theodos., 1, de Usuris). APPENDICE C. — DES LOIS ROMAINES PENDANT LE DERNIER
SIÈCLE DE Pour résumer ce qui a été dit de l'état de la propriété et des institutions politiques vers la fin de la république romaine, il peut être, utile d'indiquer brièvement les principales lois rendues pendant le dernier siècle de la république, et relatives aux questions qui viennent d'être traitées. Jamais autant de lois ne furent rendues à Rome qu'à cette époque de décadence. Sur 207 lois de la république qui nous sont connues, on en compte 133 appartenant au dernier siècle. On sait le mot de Tacite, que pour notre part nous avons suffisamment justifié : Corruptissima republica plurimæ leges. On sait aussi que les lois sont indiquées par le nom de famille (nomen gentilitium) de leur auteur. Ainsi les lois des Gracques s'appellent leges Semproniæ, les lois de César, leges Juliæ, etc. J'ai pris pour guide, dans les indications qui vont suivre, l'excellent ouvrage intitulé : Histoire du droit romain jusqu'à Justinien, par F. Walter. (Geschichte des Rœmischen Rechts, Bonn, 1840.) LOIS AGRAIRES.
LOIS AGRAIRES MILITAIRES. — (Distributions de terres aux soldats).
LOIS SUR LE DROIT DE CITÉ. — (Leges municipales.)
LOIS TRIBUNITIENNES. — (Sur les droits du tribunat.)
LOIS SOMPTUAIRES :
LOIS SUR LES JUGEMENTS. — (Leges judiciariæ.)
LOIS SUR
|
245. |
LOI VALERIA (de Valerius Publicola) établit l'appel au peuple. Tite-Live, II, 8.
Denys d'Hal., V, 19, 70. Cicéron, de Rep., II, 31. |
… |
— Renouvelée à plusieurs époques par d'autres Valérii. Tite-Live, III, 55 ; X, 9. |
454. |
— PORCIA défend de lier, battre de verges ou
mettre à mort un citoyen. Tite-Live, X, 9. Cicéron, pro Rabirio, 3,
4 ; in Verr., V, 63. Salluste, Catil., 51. — Il y eut trois leges Porciæ. Cicéron, de Rep., II, 31
Tite-Live, X, 9. |
628. |
— SEMPRONIA (de C. Gracchus, de Capite civium) défend de
prononcer la peine capitale contre un citoyen sans l'intervention du
peuple. Cicéron, pro Rabirio, 4 ; in Verrem, V, 63 ; in
Catil., IV, 5. |
… |
LOIS qui permettent l'exil au citoyen accusé devant le peuple, après le
vote de la première tribu. Salluste, Catil., 51. Polybe, VI, 14. |
V. l'Appendice précédent B.
628. |
LOI SEMPRONIA (de C. Gracchus) fait vendre le blé aux pauvres à 5/6 d'as le modius (65 cent. pour 8 litres 67). Cicéron, pro Sextio, 24, 48 ; Tuscul., III, 50 ; in
Bruto, 62 ; Off., II, 21. Tite-Live, Epist., 58, 60. Appien, Bell.
civ., I, 21. Plutarque, in Grac., 5. Velleius Paterculus, II, 6.
— Il y eut grand nombre de changements dans la forme et le prix de ces
distributions. |
689. |
SÉNATUS-CONSULTE rendu sur
l'avis de Caton donne une distribution de blé tout à fait gratuite. |
694. |
LOI CLODIA (du tribun Clodius) rend les distributions tout à fait gratuites,
et de cette façon prive l'État de près d'un cinquième de son revenu (7 millions de francs environ). Cicéron, pro Sextio, 25. Asconius,
in Pison., 4. — Depuis, ou au moins sous les empereurs, le blé cessa
d'être tout à fait gratuit. |
… |
— POMPEIA règle la forme des distributions de
blé. Dion, XXXIX, 24. |
… |
— JULIA de Annona.
Amende contre ceux qui produisent une disette factice. Dig., de
Leg. Jul. de ann. |
707. |
— CÉSAR, dictateur, réduit le nombre des frumentaires de 320.000 à 150.000. |
Ces lois sont très-nombreuses, surtout pendant le dernier siècle de la république ; je ne cite que les principales :
685. |
Loi CALPURNIA prononce contre les coupables une
amende et l'exclusion perpétuelle des magistratures et du sénat. Dion,
XXXVI, 21. Cicéron, pro Murena, 23. |
689. |
— TULLIA (de Cicéron) — dix ans
d'exil. Dion, XXXVII, 29.
Cicéron, pro Murena, 3, 26 ; in Vatin., 15 ; pro Sext.,
64. |
691. |
— AUFIDIA. Cicéron, ad Attic., I, 16. |
697. |
— LICINIA contre les associations illégales (sodalitia). Cicéron, pro
Planc., 15. Dion, XXXIX, 37. |
700. |
LOI POMPEIA. Asconius, in
Argument. Milonis. Dion, LX, 52. |
… |
— JULIA (d'Auguste). Suétone, in August.,
34. Dion, LIV, 16. |
648. |
SÉNATUS-CONSULTE supprime tous
les collegia autres que ceux qui
étaient anciennement et 'régulièrement établis. Asconius, in Pis., 4 ; in Cornel. |
694. |
Loi CLODIA (du tribun Clodius) les rétablit. Cicéron, in Pis., 4 ; pro Sextio,
25. Dion, XXXVIII, 13. |
697. |
— LICINIA. (citée plus haut) les interdit
en matière d'élection. Cicéron, pro Planco, 15. |
... |
— JULIA (du dictateur César) les supprime.
Suétone, in Cœs., 42. |
… |
— JULIA (d'Auguste) confirme cette mesure. Suétone, in Octav., 32. Josèphe, |
Ils demeurèrent supprimés, sauf une restauration de courte durée sous Caligula. Dion, LX, 6. Tacite, Annal., XIV, 17.
L'usage des lois (leges) rendues par centuries ou par tribus, 'est-à-dire dans une assemblée du peuple, commence à tomber en désuétude au temps d'Auguste. Cependant, sous Tibère, quoiqu'il eût supprimé les assemblées électorales et transféré les comices du peuple au sénat, apparaissent encore quelques actes qualifiés leges : ainsi la loi Junia (an 17 de J.-C.), qui range dans la classe des Latins un certain nombre d'affranchis (Gaius, I, 16, 17, 22 ; III, 16. Ulpien, I, 10, 16) ; — la loi Visellia (23) sur le passage du Latin à la cité romaine (Ulpien, III, 5). Sous Claude, la loi Claudia sur la tutelle des femmes (Gaius, I, 157, 171).
On cite encore une loi Petronia, défendant de vendre des esclaves
pour être livrés aux bêtes, peut-être sous Auguste. Dig., 11, ad Leg. Cornel. de Sica (XLVIII, 8) ; —
A partir de ce moment, nul autre acte public n'est qualifié officiellement lex. Quand ce nom est donné par Tacite à un sénatus-consulte (Annal., IV, 16 ; XI, 13), c'est évidemment une expression peu exacte.
Il y a, il est vrai, la loi conservée par une inscription, sur le principat de Vespasien, et les lois pareilles qui probablement et dans les mêmes termes inauguraient chaque nouvel empereur. En fait, ce n'était qu'acte de sénat ; mais, en droit, c'était une lex curiata, c'est-à-dire une loi rendue ou censée rendue par l'assemblée générale des patriciens divisés en curies. Seulement cette assemblée était fictive ou se confondait avec le sénat.
APPENDICE D. — HISTOIRE DU ROI AGRIPPA.
L'extrait suivant de Josèphe me parait peindre assez bien la cour de Tibère et la vie de ces princes à la suite, qui s'attachaient à la maison des Césars. On voit par les dangers que courut Agrippa qu'ils n'étaient nullement à l'abri des rigueurs impériales, pas plus que s'ils eussent eu l'honneur d'être sénateurs romains. Ainsi, sous Tibère, périt Tigrane, ancien roi d'Arménie (Tacite, Ann., VI, 40) ; sous Caligula, un Ptolémée son cousin, roi d'Afrique (Suétone, in Cal., 26. — Dion, LIX. — Sénèque, de Tranq. animi, II). Mithridate, roi d'Arménie, fut emprisonné, puis exilé sous le même prince (Sénèque, ibid. Tacite, Ann., XI, 9).
J'emprunte la vieille et naïve traduction d'Arnaud d'Andilly.
Un peu avant la mort d'Hérode le Grand, Agrippa, son petit-fils et fils d'Aristobule, était allé à Rome ; et comme il mangeait souvent avec Drusus, fils de l'empereur Tibère, il s'insinua dans son amitié et se mit aussi fort bien dans l'esprit d'Antonia, femme de Drusus frère de Tibère, et mère de Germanicus et de Claudius qui fut depuis empereur, par le moyen de Bérénice sa mère, pour qui elle avait une affection et une estime particulières. Quoique Agrippa fût de son naturel très-libéral, il n'osa le faire paraître du vivant de sa mère, de peur d'encourir son indignation ; mais, aussitôt qu'elle fut morte et qu'il n'y eut plus rien qui le retint, il fit de si grandes dépenses en festins et en libéralités excessives, principalement aux affranchis de César dont il voulait gagner l'affection, qu'il se trouva accablé de ses créanciers, sans pouvoir les satisfaire ; et, le jeune Drusus étant mort en ce même temps, Tibère défendit à tous ceux que ce prince avait aimés de se présenter devant lui, parce que leur présence renouvelait sa douleur.
Ainsi, Agrippa fut contraint de retourner en Judée, et la honte de se voir en cet état l'obligea de se retirer dans le château de Malatha en Idumée, pour y passer misérablement sa vie. Cypros, sa femme, fit ce qu'elle put pour le détourner de ce dessein, et écrivit à Hérodiade, sœur d'Agrippa, qui avait épousé Hérode le Tétrarque, pour la conjurer de l'assister, comme elle faisait de son côté autant qu'elle pouvait, quoiqu'elle eût beaucoup moins de bien qu'elle. Hérode et Hérodiade envoyèrent ensuite quérir Agrippa, et lui donnèrent une certaine somme avec la principale magistrature de Tibériade pour pouvoir subsister avec quelque honneur dans cette ville. Quoique cela ne suffit pas pour contenter Agrippa, Hérode se refroidit si fort pour lui, qu'il perdit la volonté de continuer à l'obliger. Et un jour, après avoir un peu trop bu dans un festin où ils se trouvèrent ensemble dans Tyr, il lui reprocha sa pauvreté et le bien qu'il lui faisait.
Agrippa, ne pouvant souffrir un si grand outrage, alla trouver Flaccus, gouverneur de Syrie, qui avait été consul et avec qui il avait fait amitié dans Rome. Il le reçut très-bien ; et il avait dès auparavant reçu de même Aristobule, frère d'Agrippa, sans que l'inimitié qui était entre ces deux frères l'empêchât de témoigner également son affection à l'un et à l'autre. Mais Aristobule continua de telle sorte dans sa haine, qu'il n'eut point de repos jusqu'à ce qu'il eût donné à Flaccus de l'aversion pour Agrippa ; ce qui arriva par l'occasion que je vais dire. Ceux de Damas étant entrés en contestation avec ceux de Sidon touchant leurs limites, et cette affaire devant être jugée par Flaccus, ils offrirent une grande somme à Agrippa qui promit de faire tout ce qu'il pourrait pour les assister de son crédit. Aristobule le découvrit et en instruisit Flaccus, qui se convainquit de la vérité du fait, et Agrippa disgracié fut obligé de se retirer à Ptolémaïde, où n'ayant pas de quoi vivre, il résolut de s'en retourner en Italie. Mais comme l'argent lui manquait, il dit à Marcias, son affranchi, de faire tout ce qu'il pourrait pour en emprunter. Cet homme alla trouver Protus, affranchi de Bérénice, mère d'Agrippa, qui, l'ayant recommandé par son testament à Antonia, avait été cause qu'elle l'avait reçu à son service, et le pria de lui vouloir prêter de l'argent sur son obligation. Protus lui répondit qu'Agrippa lui en devait déjà ; et ainsi, ayant tiré de lui une obligation de 20.000 drachmes attiques, il ne lui en donna que 17.500 et retint les 2.500 restant, sans qu'Agrippa s'y pût opposer. Après avoir touché cette somme, il s'en alla à Anthédon, où ayant rencontré un vaisseau, il se préparait à continuer son voyage, lorsque Hérennius Capito, qui avait dans Jamnia l'intendance des affaires, envoya des gens de guerre pour lui faire payer 300.000 pièces d'argent qu'on lui avait prêtées du trésor de l'empereur, durant qu'il était à Rome. Agrippa les assura qu'il ne manquerait pas d'y satisfaire, mais, aussitôt que la nuit fut venue, il fit lever l'ancre et prit la route d'Alexandrie. Quand il y fut arrivé, il pria Alexandre, qui en était alabarque (magistrat pour les Juifs d'Alexandrie), de lui prêter 200.000 pièces d'argent. A quoi il répondit qu'il ne les lui prêterait pas, mais qu'il les prêterait à Gypros sa femme, dont il admirait la vertu et l'amour pour son mari. Ainsi, elle fut sa caution, et Alexandre lui donna cinq talents avec assurance de lui faire payer le reste à Putéoles, ne jugeant pas à propos de le lui donner à l'heure même, à cause de sa prodigalité. Et alors Cypros, voyant que rien ne pouvait plus empêcher son mari de passer en Italie, s'en retourna par terre en Judée avec ses enfants.
Quand Agrippa fut arrivé à Putéoles, il écrivit à l'empereur alors à Caprée, qu'il était venu pour lui rendre ses devoirs, et qu'il le suppliait d'agréer qu'il l'allât trouver. Tibère aussitôt lui répondit qu'il pouvait venir quand il voudrait. L'empereur le reçut très-favorablement ; il l'embrassa et le fit loger dans son palais ; mais, dès le lendemain, il fut informé par Hérennius du refus qu'Agrippa avait fait de payer sa dette, et Tibère, violemment courroucé, défendit qu'on le laissât approcher de sa personne, avant qu'il se fût acquitté envers le trésor. Agrippa, sans s'étonner de cette colère, pria Antonia de lui vouloir prêter cette somme, afin de l'empêcher de perdre les bonnes grâces de César. Cette princesse, qui conservait toujours le souvenir de l'affection qu'elle avait portée à Bérénice, mère d'Agrippa, et de ce qu'il avait été nourri auprès de Claudius, son fils, lui accorda cette grâce. Ainsi il regagna la faveur de Tibère, qui lui ordonna de prendre soin de Tibère Néron, son petit-fils, fils de Drusus, et de veiller sur ses actions ; mais le désir qu'avait Agrippa de reconnaître les faveurs dont il était redevable à Antonia fit qu'au lieu de satisfaire en cela au désir de l'empereur, il s'attacha d'affection auprès de Caïus, surnommé Caligula, petit-fils de cette princesse, qui était aimée et honorée de tout le monde, à cause de la mémoire de Germanicus son fils ; et ayant emprunté 1.000.000 de pièces d'argent d'un affranchi d'Auguste, nommé Allus, qui était de Samarie, il rendit à Antonia ce qu'elle lui avait prêté.
Ayant donc gagné les bonnes grâces de Caïus, un jour qu'il était dans son chariot avec lui, ils tombèrent sur le discours de Tibère, et Agrippa ayant témoigné le désir de voir bientôt Caïus à sa place, Entichas, son affranchi, qui conduisait le chariot, l'entendit, mais n'en parla point alors. Mais quelque temps après, traduit devant Pison, préfet de Rome, pour avoir volé son maitre, au lieu de répondre à l'accusation, il dit qu'il avait un secret à déclarer à l'empereur, qui était important pour sa sûreté. On l'envoya aussitôt à Caprée, et Tibère le fit mettre en prison sans approfondir davantage l'affaire.
Mais, lorsque ce prince vint de Caprée à Tusculane, Agrippa pria Antonia d'obtenir qu'il voulût bien entendre Eutichus, afin de savoir de quel crime il l'accusait. Et Tibère avait sans doute beaucoup de considération pour elle, tant à cause qu'elle était sa belle-sœur que parce qu'elle était si chaste, qu'encore qu'elle fût fort jeune, lorsqu'elle demeura veuve, qu'Auguste la pressât de se remarier, elle ne voulut jamais passer à de secondes noces, mais vécut dans une si grande vertu, que sa réputation demeura toujours sans tache. Il faut ajouter qu'il lui était particulièrement obligé de l'affection qu'elle lui avait témoignée ; car Séjan, colonel des gardes prétoriennes, qu'il avait très-particulièrement aimé et élevé à un très-haut degré de puissance, ayant, avec plusieurs sénateurs, plusieurs officiers d'armée, et même des affranchis de Tibère, formé contre lui une grande conspiration qui était sur le point de s'exécuter, elle seule fut cause qu'elle demeura sans effet, parce que l'ayant découverte, elle lui en fit savoir tous les détails par Pallas, le plus fidèle de ses affranchis. Un si grand service augmenta encore de telle sorte l'estime et l'affection qu'il avait déjà pour cette princesse, qu'il lui accorda une confiance sans bornes. Sur la prière qu'elle lui fit de vouloir entendre Eutichus, Tibère lui répondit : Que s'il voulait accuser faussement son maitre, il en était assez puni par les souffrances de la prison, et qu'Agrippa devait prendre garde à ne pas s'engager à poursuivre inconsidérément cette affaire, de peur que le mal qu'il voulait faire à son affranchi ne retombât sur lui-même. Cette réponse, au lieu de ralentir Agrippa, le fit presser encore davantage Antonia d'obtenir cet éclaircissement de l'empereur. Un jour que Tibère prenait l'air en litière et qu'il était accompagné par Caïus et Agrippa, elle renouvela sa demande ; alors Tibère lui répondit : Je prends les dieux à témoin que c'est contre mon sentiment et pour ne pas vous refuser que je ferai ce que vous désirez de moi. Aussitôt Eutichus est amené : Tibère lui demande ce qu'il a à lui dire contre celui à qui il était redevable de sa liberté... : Un jour, seigneur, lui dit-il, que Caïus, que je vois ici, et Agrippa étaient ensemble dans un chariot que je conduisais, Agrippa dit à Caïus : Ne verrai-je jamais venir le jour où ce vieillard s'en ira en l'autre monde et vous laissera le maître de celui-ci, sans que Tibère, son petit-fils, vous y puisse servir d'obstacle, puisqu'il sera facile de vous en défaire ? Que toute la terre serait heureuse et que j'aurais moi-même de part à ce bonheur !... Tibère n'eut point de peine à ajouter foi à ces paroles, et ainsi il dit à Macron : Enchaînez cet homme ; mais Macron, ne pouvant s'imaginer que ce fût d'Agrippa qu'il s'agissait, différa d'exécuter cet ordre ; Tibère l'ayant renouvelé, Agrippa eut recours aux prières ; mais elles furent inutiles, et les gardes de l'empereur le menèrent en prison sans lui ôter son habit de pourpre. Comme il était échauffé par le vin qu'il avait bu au diner et que la chaleur était très-grande, il se trouva pressé par la soif, et apercevant Thaumaste, un des esclaves de Caïus, qui portait une cruche pleine d'eau, il lui en demanda, et après avoir bu lui dit : Ce service ne sera point perdu pour vous ; lorsque je serai libre, j'obtiendrai de Caïus la liberté de l'esclave qui a pris autant de plaisir à me rendre service que si j'étais dans la bonne fortune. Agrippa tint sa promesse : devenu roi, non-seulement il fit accorder la liberté à Thaumaste, mais même il le nomma administrateur de tous ses biens, et en mourant le recommanda à son fils Agrippa et à Bérénice sa fille, et ainsi Thaumaste fut conservé toute sa vie dans sa charge.
Un jour qu'Agrippa était devant
le palais avec d'autres prisonniers, la faiblesse que lui causait son chagrin
fit qu'il s'appuya contre un arbre sur lequel vint se poser un hibou. Un
Allemand, du nombre des prisonniers, l'ayant remarqué et ayant appris qui il
était, s'approcha de lui et lui dit : Je vois bien
qu'un si grand et si soudain changement de fortune vous afflige, et que vous
aurez peine à croire que votre délivrance soit proche ; mais je prends à
témoin les dieux que j'adore et ceux que l'on révère en ce pays, qui nous ont
mis dans ces liens, que ce que je vous dis
n'est point pour vous donner une vaine consolation : sachez donc ce que cet
oiseau qui vient de voler au-dessus de votre tête vous présage. Vous serez
bientôt libre et élevé à la plus grande puissance ; vous serez heureux le
reste de votre vie, et laisserez des enfants qui succéderont à votre bonheur
; mais lorsque vous verrez une seconde fois paraître cet oiseau, vous n'aurez
plus que cinq jours à vivre. Telles sont les choses que les dieux vous
présagent. Quand vous vous trouverez dans une si grande prospérité, n'oubliez
pas ceux qui sont maintenant vos compagnons d'infortune. Cette
prédiction, qui plus tard excita l'admiration d'Agrippa, ne lui inspira alors
qu'une grande hilarité. Cependant Antonia était très-affectée de sa
captivité, et elle l'adoucissait par tous les moyens qui étaient en son
pouvoir. Macron lui donnait ses soldats les plus sociables pour gardes, on
lui permettait l'usage du bain ; Silas, son ami, Marcias et Stichus, ses
affranchis, lui portaient les mets qu'ils savaient lui être les plus
agréables. On lui laissait des couvertures dont il se servait la nuit..........
Six mois se passèrent de la
sorte ; cependant Tibère mourut et Marcias courut en hâte donner cet avis à
son maitre : il le trouva prêt à se mettre au bain ; et, s'étant approché,
lui dit en hébreu : Le lion est mort. Agrippa
comprit ; dans le transport de sa joie, il lui dit : Comment
pourrai-je assez reconnaître les services que vous m'avez rendus, surtout
celui de m'apporter cette nouvelle, surtout si elle est véritable ?
L'officier qui le gardait, remarquant avec quel empressement Marcias était
venu et la joie d'Agrippa, jugea qu'il était arrivé quelque chose
d'important, et les pria de lui dire ce que c'était ; ils firent d'abord
difficulté, mais enfin. Agrippa, qui avait contracté quelque amitié avec lui,
lui communiqua la nouvelle ; alors l'officier le félicita de son bonheur, et
pour lui prouver la part qu'il y prenait, lui fit un festin. Mais pendant
qu'ils faisaient bonne chère, un bruit contraire assura que Tibère n'était
pas mort et qu'il viendrait bientôt à Rome. Une si grande surprise étonna
tellement cet officier, qu'il poussa Agrippa de dessus le lit sur lequel ils
étaient assis pour manger, en lui disant : Vous
imaginez-vous que je souffre que vous m'ayez trompé impunément par cette
fausse nouvelle de la mort de l'empereur, et que cette supposition ne vous
coûte pas la vie. En achevant ces mots il le fit enchainer et garder
avec plus de soin que jamais. Agrippa passa la nuit dans la plus grande peine
; mais, le lendemain, on ne douta plus de la mort de l'empereur ; chacun en
parla ouvertement ; il en est même qui firent des sacrifices aux dieux pour
les remercier. Caïus voulait, dès le jour même, mettre Agrippa en liberté ;
mais Antonia lui conseilla de différer, non qu'elle manquât d'affection pour
lui, mais parce qu'elle estimait que cette précipitation choquerait la
bienséance. Néanmoins, peu de jours après, Caïus l'envoya quérir, et ne se
contenta pas de lui faire dire de faire couper ses cheveux ; il lui mit le
diadème sur la tête, l'établit roi de la tétrarchie que Philippe avait
possédée, et y ajouta celle de Lysanias. Il voulut aussi, pour marque de son
affection, lui donner une chaîne d'or de semblable poids à celle de fer qu'il
avait portée.
[1] Quid petis ? Ut nummi, quos hic quicunce modesto nutrimus, pergant avidos sudare deunces ? (Sat., V, 148, 149.)