LES CÉSARS JUSQU'À NÉRON

 

TIBÈRE.

 

 

§ I. — LA FAMILLE IMPÉRIALE.

Chaque époque a son secret. Ses passions, ses crises, ses contradictions se résument en un mot qu'il faut chercher comme un mot d'énigme. Mais il ne faut pas constamment le chercher bien haut ; le secret d'une époque n'est pas toujours un symbole mystagogique ou une philosophique abstraction ; souvent, en le cherchant au ciel, vous marchez dessus.

La, clef de cette époque, je crois l'avoir trouvée sur les bancs d'une école. Et pourquoi pas ? Où se font les hommes ? c'est à l'école. D'où datent nos convictions les plus fermes, nos pentes les plus entraînantes, nos préjugés les plus indéracinables ? n'est-ce pas de l'école ?

Disons ce qu'était l'éducation romaine. La morale publique à Rome était toute dans le patriotisme ; il est vrai que ce patriotisme n'était pas, comme chez nous, une sentimentalité plus ou moins vague, un amour de quelque chose que l'on définit assez mal, fécond en phrases, pauvre en actions. Le patriotisme romain était ceci : la chose publique est dieu ; et un dieu ne vous doit rien ; et vous lui devez tout, corps et âme, vie et biens, vous-même et autrui. Cela était grand, bien que fort absurde.

Voilà pour la morale ; voici maintenant pour l'intelligence — nous parlons du bon temps de l'éducation romaine, et non pas de la Rome grécisée qui commence avec les Scipions —. Alors chaque homme était appelé à tout. Les fonctions publiques ne se divisaient que par degrés, et non pas comme chez nous par attributions ; le préteur rendait la justice à Rome, et hors de Rome commandait l'armée ; le questeur était, dans l'ordre civil, un intendant de province, à l'armée, un trésorier militaire. Le consul faisait la guerre, délibérait au sénat, offrait des sacrifices et des prières : général, orateur, pontife, homme politique tout à la fois.

De là les quatre grandes études qui composaient toute éducation : la guerre, le culte, le droit, l'éloquence, c'étaient là les vraies sciences romaines. Il n'était personne qui ne commençât par être soldat, personne qui ne fût en sa vie accusé ou accusateur, personne qui n'eût quelque charge pontificale à remplir ou quelque avis à 'donner sur le droit. Cicéron, qui pourtant vint assez tard et nous semble un homme tout pacifique, fut général, avocat, financier, jurisconsulte, orateur, poète, philosophe, homme d'État. César fut tout cela et bien plus que tout cela.

Et déjà, pourtant, les anciennes mœurs étaient en décadence. Ces quatre sciences, ou plutôt ces quatre fonctions publiques — car les Romains ne les envisageaient que sous ce point de vue —, autrefois la propriété exclusive du patriciat, étaient tombées avec le reste de son héritage aux mains de la nobilitas. Peu à peu elles s'étaient séparées. L'un avait eu plus de cœur, et, sa première cause plaidée, s'était voué à la guerre ; l'autre, plus de poumons, et après sa première campagne, s'était mis à plaider ; celui qui ne se sentit de force ni pour la vie des camps, ni pour les clameurs du Forum, mit une branche de laurier sur sa porte, s'assit dans un grand fauteuil, et attendit les consultations. Il y eut alors, avec la même universalité d'éducation, trois carrières distinctes pour la jeunesse : l'armée, l'éloquence et le droit[1].

Mais, comme d'un côté la gloire militaire menait aux premières fonctions politiques, positions parlantes, délibérantes, accusantes et accusées ; comme d'un autre côté le droit n'était guère qu'un pis aller pour les mémoires courtes ou les poitrines faibles, tout le monde s'exerçait au parlage en public[2]. Voyez l'Angleterre, cette vie de clubs, de hustings, de parlements, où il n'est pas d'homme, si petit qu'il soit, qui n'ait un jour en sa vie à jouer l'orateur devant son village, où tout se fait à coups de harangues, où des meetings et des comités, le speech a passé dans la conversation. Il en était de même chez les Romains, et bien mieux encore, parce qu'au lieu de l'air détrempé de l'Angleterre ils avaient l'air mir et le doux climat de l'Italie, parce que tout se passait à la face du ciel : affaires publiques, affaires privées, justice, commerce, société ; parce qu'on communiquait par la parole au lieu de communiquer par la presse ; parce que, en un mot, on vivait à l'air. La pluie, il est vrai, faisait cesser les affaires, et, au premier bruit de tonnerre, on ajournait la question jusqu'au prochain jour de beau temps. Mais, du reste, ces assemblées du peuple en Grèce et à Rome, que nous appelons des délibérations, ces assemblées de 3 ou 4.000 hommes et davantage, si tumultueuses, si désordonnées, qui discutaient si peu et votaient si mal, étaient surtout des moyens de publicité. La place publique était à la fois le parlement, la bourse, le salon, le palais de justice, le marché. C'était le Pnyx à Athènes, lorsque 5.000 hommes se réunissaient pour écouter avec enthousiasme et voter avec fureur ; c'était l'Agora, la promenade des flâneurs et des causeurs de l'Attique, la manufacture des nouvelles, le centre du commérage, la tribune des philosophes, le meeting permanent, où chacun pouvait parler au peuples des affaires du peuple et de ses propres affaires, de sa maison, de son industrie, de son commerce, où le socle de Démosthène servait de petites affiches ; c'était le lieu où aboyait Diogène, et où Timon le misanthrope venait dire : Hommes athéniens, j'ai chez moi un figuier où se sont pendus quatre ou cinq citoyens ; si quelqu'un veut l'employer au même service, je l'engage à se hâter, car je vais couper l'arbre. Tous ces noms de Lycée, de Portique, d'Académie, nous rappellent que la philosophie, comme tout le reste, se tenait en plein air ; en un mot, on vivait à la tribune.

A Rome, il en était de même. Sous les empereurs, les bains et les basiliques vinrent bien disputer au Forum le monopole de la publicité ; mais sous la république, le Forum était un rendez-vous à peu près universel. Les jours ordinaires on y causait ; les jours de marché, où la nécessité y appelait tout le peuple, on y faisait devant le peuple les affaires sérieuses, les affaires des citoyens comme celles de l'État ; on y adoptait un fils, on y faisait son testament ; enfin le Forum tenait lieu, et des salons, ce grand élément de la vie du dernier siècle, et des journaux, ce grand élément de notre vie[3].

Cette accoutumance de la vie publique, jointe à la gravité romaine, produisait une certaine solennité dans les mœurs, quelque chose d'officiel, d'apprêté, d'oratoire, dans toutes les habitudes. La harangue était de tous les moments, de toutes les affaires : concio est le speech des Anglais. Dans la vie de famille, on se haranguait comme dans la vie politique. Germanicus mourant harangue ses amis ; un rhéteur fatigué de vivre vient au Forum, monte à la tribune, expose en trois points les raisons qu'il a de mourir, puis retourne chez lui, cesse de manger et meurt[4]. Antoine, violemment attaqué dans le sénat par Cicéron, ne se croit pas en état de lui répondre sur l'heure ; il va à la campagne, s'y enferme avec un maître de rhétorique, y étudie, déclame, improvise pendant quinze jours, puis revient au sénat et fulmine son écrasante improvisation.

Dans les Annales de Tacite, cet écrivain qui raconte son propre temps et le raconte avec une si profonde intelligence, nous voyons Sénèque, que commencent à inquiéter les dispositions peu aimables de son impérial élève Néron, l'aborder et lui faire un speech dans toutes les formes pour lui demander sa retraite. Néron lui répond comme on ferait à la Chambre : Si je ne crains pas de répondre sans préparation à un discours longuement médité, c'est à toi que je le dois[5], etc.

Un avocat chez nous, c'est un homme souvent assez vulgaire, qui, secouant les plis d'une vieille robe noire, criant d'une voix enrouée des phrases souvent mal faites et malsonnantes, frappant sur le bureau, n'a certes rien de pompeux ni de théâtral ; mais un avocat chez les Romains, c'était un magique artiste en paroles, monté sur une large tribune, s'y promenant à droite et à gauche, se drapant habilement dans les plis de sa toge blanche — Tacite se plaint des petits manteaux de son temps, dans lesquels, dit-il, l'éloquence est étriquée[6] —, prenant le la d'un joueur de flûte, afin de ne pas commencer sur un ton trop haut ni trop bas, donnant à sa voix toutes les inflexions étudiées d'une déclamation d'acteur, modulant son geste, se complaisant dans ses cadences, charmant au moins les oreilles quand il ne parlait ni à l'esprit ni au cœur[7] ; s'armant de prudence et de modestie dans son exorde, entamant avec une douceur insinuante les préventions de son auditoire, exposant avec clarté, racontant avec esprit, argumentant sans pédantisme, sophistiquant avec élégance, injuriant en phrases poétiques, vouant avec grâce son adversaire aux dieux infernaux, ayant des malédictions, des colères, des violences harmonieuses, pleurant à la péroraison, pleurant de rhétorique, de fatigue, d'émotion même ; car il ne faut pas oublier ce qu'il y avait d'émotion facile et de sensibilité passagère dans ces âmes méridionales.

Il est bon de voir comme on entendait minutieusement ces dehors de l'éloquence, et comment la dignité de l'orateur était comprise. L'orateur ne devait ni se moucher, ni cracher, ni tousser trop souvent. Le verre d'eau sucrée est condamné par Quintilien. L'orateur ne devait ni trop se remuer ni se remuer trop peu, ni gonfler ses narines, ni lever ses épaules, ni mordre ses lèvres, ni sortir de son banc, ni trop s'y promener — on demandait à un certain avocat combien de milles il avait fait en plaidant —, ni se balancer sur le pied gauche, ni avancer le pied droit en même temps que la main droite, ni écarter les jambes, ni lever le bras gauche plus haut qu'il ne faut Pour former avec le corps un angle droit. L'école réglait jusqu'à sa toilette : les dernières franges de sa toge devaient lui descendre à mi-jambe, les premières un peu au-dessous du genou ; sa toge devait être arrondie et d'une coupe élégante ; une grosse cravate, qui enveloppe le cou et charge les épaules, ôte, disait-on, à la poitrine sa dignité ; il ne faut ni trop de bagues à ses doigts, ni dans sa main, s'il se peut, un cahier incommode ; mais, à mesure qu'il parle et s'échauffe, il peut se mettre plus à l'aise, après l'exorde laisser tomber un pli de sa toge, à l'argumentation la rejeter tout à fait ; le costume lui-même doit prendre un air de combat. A la péroraison, quand on pleure, quand on l'applaudit, quand on l'embrasse, que sa toge tombe, que toutes les grâces de son costume soient troublées, qu'il soit haletant, en sueur ! Pline, cependant, lui recommande le mouchoir pour essuyer son front sans déranger sa coiffure. Tout cela est un peu théâtral, sans doute ; mais ne souhaiteriez-vous pas que quelques-unes de ces délicatesses de parole, de pose et de toilette eussent passé du Forum au Palais de justice et même au Palais-Bourbon[8] ?

Telle était donc cette vie d'apparat et de dignité officielle, cette vie oratoire qui faisait que dès l'enfance on s'exerçait à la période cicéronienne. Plébéiens et patriciens, futurs soldats et futurs jurisconsultes, tous ceux qui recevaient une éducation recevaient celle-là. M. Pitt, à dix ans, montait sur la table, et de là improvisait devant gon père de petits discours parlementaires ; Auguste, à douze ans, prononçait l'éloge de son aïeule[9].

Tout cela était bien sous la république : la vie parlementaire était un but et un aliment pour toutes ces éloquences naissantes[10]. Sous l'empire, le but n'exista plus, mais les écoles subsistèrent. On continua de fabriquer des orateurs sans savoir pour quelle tribune. Et que vouliez-vous que fit la jeunesse ? L'art militaire et le droit n'étaient guère des sciences d'école. D'ailleurs la jurisprudence était suspecte de républicanisme ; la vie militaire très-entachée de danger et de fatigue, choses qu'on n'aimait plus. Il n'y avait plus de Forum, mais il y avait encore ce sentiment artiste qui fait aimer les belles paroles, et que les Grecs avaient inspiré aux Romains. On ne délibérait plus, on discourait encore ; on avait renvoyé les orateurs, on gardait les maîtres de rhétorique. En même temps que la liberté politique, l'éloquence périssait. C'est un danger que les peuples chrétiens n'ont pas à craindre. Chez eux, il y aura toujours pour la parole humaine et un but et une sphère supérieure à tous les intérêts politiques. L'absence de la liberté parlementaire n'a pas empêché Bossuet d'être éloquent.

N'ayant plus de but, l'enseignement n'avait plus rien de sérieux ; il tombait dans les sophismes, les subtilités, les frivolités de la Grèce. Il y avait chez tous les anciens un fonds de dignité puérile qui se laisse partout apercevoir. La base de l'instruction première, c'était la mythologie des Grecs, à laquelle on ne croyait plus, mais que l'on apprenait toujours. Ces poétiques niaiseries étaient la première chose dont se remplissaient tous les cerveaux, le premier caractère dont l'imagination naissante, cette cire molle, restait timbrée. Ajoutez que l'érudition s'y était mise, et que, sans croire à Vénus ni à Hercule, on discutait avec conscience sur la couleur des cheveux de Vénus, sur le jour de la naissance d'Hercule. Il y avait des gens appelés grammairiens dont la suprême science était celle-là, et c'était à ces gens que l'on confiait l'intelligence naissante des enfants. On demandait à un précepteur que l'on voulait prendre le nombre des :chevaux d'Achille, le nom de la mère d'Hécube. Tibère, ce vieux et farouche tyran, adorait les grammairiens, et passait ses moments de répit à leur poser des questions pareilles[11].

Puis, de chez le grammairien, le jeune homme passait chez le rhéteur, des puérilités de la religion aux puérilités de l'éloquence. Les Grecs, peuple bavard, avaient une foule de beaux diseurs depuis qu'ils n'avaient plus de Démosthène. Quand Rome leur fut ouverte, tout cela vint professer à Rome, et y établir, comme les appelaient les vieux pères conscrits, leurs écoles d'impertinence[12]. Ce qui caractérisa ces écoles, ce fut une combinaison de l'esprit alambiqué, puéril et disputeur des Grecs, avec l'esprit tendu, lourd et emphatique des Romains, l'union du sophisme et de la déclamation. Comme on n'avait rien autre à faire, ce fut une rage de déclamer, de disputer, de controverser, de plaider, de répliquer, d'improviser, de répondre. Vinrent à leur tour les nouveaux sujets de Rome, les Barbares que l'on civilisait, criant, sophistiquant, avocassant à l'envi ; Gaulois, Africains, Espagnols surtout, aux larges poumons, à la puissante poitrine, à l'imagination désordonnée, parlant des jours, des nuits entières, déclamant à table, déclamant en voyage, déclamant sous la tente[13] : la vie de ces gens-là était un perpétuel monologue. Maintenant, dire quelle misérable chose était leur faconde, ce serait difficile. L'un, pour augmenter la difficulté, demandait qu'on lui donnât le premier mot de son discours ; on lui donnait verubus, et il commençait par verubus. L'autre se proposait pour sujet d'éloquence cette question : Pourquoi, si on laisse tomber un verre, se casse-t-il ? Pourquoi, si on laisse tomber une éponge, ne se casse-t-elle pas ? Voici en peu de mots comment on procédait dans cet enseignement. Les commençants étaient bornés à des discussions moins incisives (suasoriæ) : ils engageaient Alexandre à se contenter d'avoir conquis la terre, à ne pas conquérir l'Océan ; ils conseillaient à Caton de ne pas se tuer, ou bien à Agamemnon de ne pas faire périr Iphigénie. Mais ces querelles avec les morts n'étaient que des jeux d'enfants ; il fallait bientôt en venir à la plaidoirie (controversia), soutenir la lutte contre un adversaire, livrer bataille sur la grande scène de l'école. Les sujets de ces controverses sont incroyables. Voici quelques-unes de ces plaidoiries fictives sur lesquelles vous me pardonnerez d'insister, puisqu'elles étaient le dernier perfectionnement de l'éducation, l'exercice le plus intellectuel de la jeunesse et même de l'âge mûr.

Un homme et sa femme se jurent de ne pas se survivre l'un à l'autre. Le mari, un peu las de sa moitié, part pour un voyage et lui fait annoncer sa mort. Elle, trop confiante, tient parole et se jette par la fenêtre ; elle ne meurt pas cependant, elle guérit, et apprend que son mari l'a jouée : arrive son père qui veut le divorce ; elle, sans rancune, n'en veut pas. Plaidez pour le père, plaidez pour la fille. — Autre exemple : un homme recueille des enfants exposés, leur coupe un bras ou une jambe, les fait mendier en cet état, et s'enrichit de ce qu'on leur donne. Accusez cet homme, défendez cet homme. — La loi - laquelle loi du reste n'est ni du droit romain, ni du droit grec, ni d'aucun autre ; c'est une législation fabriquée par les rhéteurs, aussi fabuleuse que les événements -, la loi veut que si une jeune fille a été enlevée, elle ait le choix ou de faire mourir son ravisseur, ou de l'épouser sans dot. Un même homme a enlevé deux femmes ; l'une veut qu'il meure, l'autre veut l'épouser. Plaidez là-dessus.

Maintenant figurez-vous l'éloquence s'exerçant sur de pareils sujets ; les disciples venant les uns après les autres saupoudrer de nouvelles phrases l'absurdité d'une telle donnée, chacun à son tour plaidant le pour et le contre, entassant les antithèses, nageant en plein Océan dans les tropes et les figures, appelant à son secours l'ithos et le pathos, toutes les niaiseries sonores, toutes les absurdités sentencieuses, pour dire bon gré mal gré quelque chose sur un sujet où il n'y avait qu'à se taire ; et cela au milieu des hourras, des sifflets, des applaudissements, des clameurs ; le tumulte du Forum remplacé par un tapage d'écoliers. Il y eut un de ces rhéteurs qui, à force de se battre les flancs et de se monter. la tête, en devint fou. Nous avons tout un livre composé d'échantillons de ces merveilleuses harangues, de ces beaux traits qui donnaient le signal des bravos. C'est le répertoire le plus vaste de paroles vides, d'éloquence à froid, d'antithèses creuses ; livre curieux à force de manquer de sens.

Voilà ce qu'étudiait toute la jeunesse avant de s'élancer dans la vie. Nous venons de dire comment les carrières anciennes étaient tombées en discrédit. Avec cette éducation d'ailleurs, il semblait qu'il ne dût y en avoir qu'une, et que le monde dût être composé d'avocats ; et en effet, dans l'ancienne Rome, il n'y avait personne qui n'eût commencé par l'être un peu plus ou un peu moins. Mais encore, après avoir vécu dans ce monde romanesque de sortilèges, d'empoisonnements, d'incestes, parmi ces lois imaginaires, ces catastrophes miraculeuses, ces procès impossibles, la tête pleine de toutes ces belles choses, comme on devait se trouver dérouté au tribunal du préteur, en face des hypothèques, des cours d'eau ou de la quarte falcidie[14] !

Aussi les maîtres de l'art étaient-ils souvent malheureux au barreau, et parfois, comme dit Quintilien, se jugeaient trop éloquents pour jamais plaider[15]. Il s'agissait un jour d'un homme qui demandait que le serment lui fût déféré. L'avocat adverse, rhéteur illustre, trouva un admirable mouvement pour lui répondre : Tu demandes le serment, dit-il ; eh bien ! jure, mais écoute la formule que je te prescris : jure par les cendres de ton père que tu as laissées sans sépulture, jure par la mémoire de ton père que tu as outragée... Et le reste. L'adversaire, effronté coquin, prenant au bond la figure de rhétorique, se hâta de dire : J'y consens. Le préteur déférait le serment. Mais, juge, dit l'avocat tout troublé d'être pris au sérieux, ce n'était pas un consentement, c'était une figure. — Tu as dit : Jure ; il jurera. — Mais, juge, il n'y aura donc plus de figures au monde ?On s'en passera, on peut vivre sans elles. Le pauvre avocat perdit son procès, et de colère confina son éloquence dans l'enceinte de l'école, où tout le jour, au milieu des curieux, loin de la perfide réalité du barreau, il pouvait faire des figures de rhétorique sans danger pour ses clients ni pour lui[16].

L'étude la plus commune non-seulement de l'enfance, mais de toute la vie, était donc une étude inapplicable aux besoins de la vie ; et Rome était inondée de jeunes gens qui s'élançaient dans le monde, la tête pleine de cette science menteuse, la mémoire farcie de sentences, de prosopopées, d'antithèses, avec un suprême dédain pour les réalités fatigantes de la vie, le travail, l'industrie, la guerre ; avec un suprême amour pour ses réalités agréables, la fortune, la réputation, le plaisir. Toute cette jeunesse avait l'ambition au cœur ; elle était romaine, c'est-à-dire âpre dans ses sentiments, emphatique dans ses idées, s'acharnant à devenir quelque chose de grand en bien ou en mal. Elle n'avait qu'un instrument, c'était sa rhétorique et ses phrases ; il fallait que ses phrases la poussassent bon gré mal gré ! Alors on ne se contentait pas si facilement d'un succès d'argent sans gloriole et d'une fortune qui ne faisait pas de bruit ; il fallait un nom, un nom qui fit peur, un nom qu'on maudit, mais un nom. Il fallait des applaudissements, des titres, des statues, tout un peuple tourné vers vous, des amis qui espèrent en vous, des ennemis qui vous redoutent, une arme toujours prête et toujours puissante pour défendre les uns, menacer les autres[17]. Et puis, n'eût-ce été que pour la richesse, il fallait faire son chemin : j'ai dit combien ce siècle était besogneux ; comment, avec des patrimoines fortement entamés, il s'était fait de ce qui serait pour nous les folies, les impossibilités du luxe, de véritables nécessités ; comment, sans des centaines d'esclaves, sept ou huit villas et le reste à l'avenant, on ne pouvait pas vivre ; comment, dans les familles nobles surtout, il y avait une ruine plus avancée, avec une plus forte passion de luxe et de grandeur. Ces nobles, qui avaient été sous la vieille Rome les rois du monde, ne renonçaient pas facilement à toute puissance et à toute royauté. Déjà, sous la république, Catilina, dévoré de dettes, avait voulu brûler Rome pour rétablir le rang de sa famille ; et, sous Tibère, un héritier de Pompée, Libon, également ruiné, consultait des devins, se faisait expliquer des songes dans l'espérance de devenir empereur[18].

Avec de tels éléments, la fausseté de l'esprit, l'absence de tout frein moral, le besoin, l'ambition, vous saurez comprendre quelle était cette jeunesse à qui Tibère sut donner un emploi selon son cœur.

Le caractère de cet homme n'est pas facile à comprendre. Il me semble que Tacite le fait trop habile. Le secret de sa vie, comme celle de tous les tyrans, c'est, je crois, la peur. Malgré la profonde habileté qu'on lui suppose, nous le voyons toujours hésitant, craintif, se méfiant de tout et de tout le monde ; ne se décidant à rien, ni à interroger un prisonnier, ni à donner audience à un ambassadeur ; revenant sur ce qu'il a fait, défendant de sortir de Rome à l'homme auquel il vient de donner une charge dans les provinces[19].

Le temps de sa jeunesse, Tibère le passe à se faire petit pour ne pas inspirer de crainte ; il répudie une femme qu'il aime pour épouser une fille d'Auguste, la fameuse Julie (an de Rome g742). Mais un peu plus tard, ou aigri par cette triste union, ou parce qu'il s'imagine offusquer les petits-fils d'Auguste, il se décide à quitter Rome (748). On s'oppose à son départ, il reste quatre jours sans manger. De pitié on le laisse partir ; il n'embrasse ni femme, ni enfant, ne dit point adieu à ses amis. Mais en route (voyez ce mélange d'ambition et de peur 1) il apprend qu'Auguste est malade, et il s'arrête ; Auguste rétabli, il continue sa route. Il va à Rhodes, s'y fait tellement méprisable, qu'après avoir voulu l'empêcher de partir, l'empereur finit par le condamner à y rester ; il vit avec les Grecs, ne porte plus la toge, ne monte plus à cheval, abandonne l'exercice des armes, ne voit aucun des voyageurs qui demandent à le visiter, se tient au centre de l'île pour les éviter plus sûrement, supplie enfin Auguste de mettre un gardien auprès de lui pour surveiller ses actions et s'assurer qu'il ne conspire pas.

Mais, avec cette humilité, il y avait en lui une dureté de mœurs qui ne dissimulait pas. Il était de la famille Claudia, race sévère, en qui la roideur aristocratique était héréditaire[20]. S'il n'avait pas l'orgueil de ses aïeux, il avait au moins leurs manières sombres et renfrognées ; il savait tout feindre, excepté l'affabilité et la grâce. Quelque besoin qu'il eût du peuple et des soldats, il ne sut jamais donner des jeux au peuple, ni faire des largesses aux soldats ; plaire et sourire, cela passait sa nature. Pendant ses vingt ans de règne, il ne fit. que deux fois largesse aux prétoriens ; et le peuple, sous lui, jeûna tellement de gladiateurs et de spectacles, qu'à une fête donnée par des entrepreneurs, il y eut une foule effroyable ; le théâtre croula, et 50.000 hommes furent tués ou blessés[21]. Tibère ne bâtissait pas ; il refit à peine un ou deux monuments qui tombaient en ruine ; encore n'eut-il pas ou la patience de les achever, ou la gloriole de les dédier solennellement[22]. Pliant à l'excès quand il n'était pas le maître, il avait, quand il l'osait, une humeur que rien ne pouvait contenter, ni franchise, ni flatterie, ni liberté, ni servitude. Il envoyait mourir ses ennemis, il exilait ses adulateurs. Oh ! les misérables nés pour l'esclavage ! disait, en sortant du sénat, ce maitre difficile à vivre, gardant, sous une attitude plate et rampante, des rancunes qui ne perdaient rien pour attendre. Je plains le peuple romain, disait Auguste en mourant ; il va être broyé sous de bien lentes mâchoires.

Auguste, lui, en effet, avait gouverné tout autrement. C'était à force de grâce, d'affabilité, de secours aux grandes familles, de largesses au peuple, de jeux, de fêtes, de monuments, qu'il avait concilié tant d'intérêts et ménagé une douce quiétude au monde lassé des guerres civiles. Auguste en mourant continuait encore ce système ; il faisait au peuple romain des legs énormes que Tibère paya le moins qu'il put.

Ces souvenirs étaient embarrassants pour Tibère ; il ne lui allait pas de se Taire gracieux ni libéral. Rien cependant ne lui paraissait très-rassurant (an de J.-C., 14). Les légions, sévèrement traitées par Auguste, se révoltaient, demandaient de l'argent et des privilèges, prétendaient faire un empereur, et faillirent tuer Germanicus qui ne voulait pas l'être. Le sénat était plein d'ambitions aristocratiques profondes et concentrées ; le monde enfin s'était si longtemps et si bien reposé des guerres civiles, qu'il pouvait commencer à être las du repos. Tibère avait peur, et exprimait sa crainte par une métaphore moins noble que pittoresque : Je tiens, disait-il, le loup par les oreilles.

Sa grande ressource fut, comme auparavant, de s'effacer. Après avoir bien prié pour qu'on ne le forçât pas à devenir César, il sembla prendre à tâche d'être aussi peu César que possible. Le sénat surtout, qui lui faisait le plus de peur, fut le souverain auquel il parut soumettre toute. ; ses actions, lui renvoyant tout, le consultant sur tout, l'encourageant à la liberté ; parlant — sans que personne y crût, il est vrai — de rétablir l'ancienne république ; appelant les sénateurs ses maîtres, cédant le pas aux consuls, se levant devant eux, et chez lui les reconduisant jusqu'à la porte ; ne voulant, pas plus qu'Auguste, être appelé seigneur ; refusant avec obstination le culte divin ; faisant tout humblement de l'ordre, de la justice, de la paix publique ; préfet de police sous la royauté du sénat ; ne ménageant pas, dans les calamités publiques, l'argent qu'il retranchait sur d'inutiles magnificences ; presque charitable, mais non généreux, ce qu'aurait bien mieux aimé la plebs de Rome[23] ; désintéressé, n'acceptant de legs et de successions que de ses amis — grande vertu chez un Romain et chez un empereur[24] — : — quant au peuple, lui jetant, pour se populariser, le nom d'Auguste à la tête ; citant les paroles, adorant les traces d'Auguste ; ne prétendant pas cependant, comme lui, refaire les vieilles mœurs romaines ; et si quelque sénateur hardi, vieux ou pauvre, proposait des lois contre le luxe, l'approuvant en théorie avec des restrictions dans la pratique : — quant aux provinces, les soulageant, diminuant les impôts, surveillant les préfets ; ne faisant rien pour la seule armée dont les légions éloignées, dispersées au nord et à l'est, séparées les unes des autres par des déserts, ne lui inspiraient par les mêmes craintes.

Tacite rend justice à cette administration : jusqu'à l'époque de la mort de Drusus, c'est-à-dire jusqu'à la neuvième année de Tibère, les affaires publiques, les plus graves d'entre les contestations privées étaient discutées au sénat ; les principaux sénateurs pouvaient parler librement, et Tibère réprimait lui-même les excès de la flatterie : dans la distribution des honneurs, la gloire des aïeux, l'illustration militaire, les services civils étaient les motifs de ses choix, et il était assez reconnu qu'on ne pouvait en faire de meilleurs ; les consuls, les préteurs avaient le libre exercice de leur pouvoir ; les magistrats inférieurs remplissaient dignement leur office ; et, sauf les accusations de lèse-majesté, on n'abusait point des lois. La perception du blé, des impôts, des revenus publics, était confiée à des compagnies de chevaliers romains. Dans ses propres affaires, César avait pour délégués des hommes de mérite, que souvent il n'avait connus que par leur réputation ; ceux qu'il avait une fois nommés demeuraient en place, et finissaient par vieillir dans leur charge. Le peuple souffrait de la disette ; mais, loin d'en être coupable, le prince remédiait par ses soins et ses dépenses à la stérilité du sol comme aux difficultés de la mer. Il empêchait que de nouveaux impôts ne chargeassent les provinces, que les anciens ne fussent aggravés par l'avidité et la cruauté des magistrats ; il interdisait la confiscation et les tortures. César avait peu de domaines en Italie : ses esclaves n'étaient point arrogants ; un petit nombre d'affranchis composait sa maison, et, quand il avait contre un particulier des intérêts à débattre, la cause se jugeait au Forum et selon le droit[25].

Si tout cela ne dura point, c'est que Tibère n'avait pas seulement peur du sénat, du peuple, des provinces, de l'armée ; mais il y eut toujours un homme que ce grand trembleur craignit par-dessus tout : je veux dire son successeur. Le successeur de Tibère fut toujours son ennemi, et, par compensation, l'ami et l'idole du peuple. Auguste était à peine mort ; Tibère n'avait été salué empereur ni par le sénat, ni par personne ; il n'était donc encore, dans cet empire où il n'y avait pas de loi d'hérédité, qu'un simple citoyen : et déjà, le jeune Agrippa auquel Auguste, peu auparavant, avait semblé prêt à pardonner, était mis à mort dans le lieu de son exil. Tibère protesta qu'il n'était pour rien dans ce meurtre, et, en effet, l'ordre avait dû être plutôt donné par Livie, maîtresse de tout en ce moment suprême[26]. Ce seul fait suffit pour condamner toute la politique de cette odieuse femme. Elle n'avait vécu que pour voir éteindre la postérité d'Auguste, et elle en continuait la destruction.

Cette destruction s'acheva bientôt — et cette fois-ci du fait de Tibère — par la mort de Julie, la mère d'Agrippa. Cette malheureuse femme avait payé par quinze ans d'exil le scandale de ses débauches ; elle avait été témoin de la mort de ses deux fils aînés, elle venait d'apprendre celle d'Agrippa. Dans les dernières années de sa vie, Auguste avait paru s'adoucir envers elle ; il avait même témoigné du repentir d'avoir, par la publicité du châtiment, accru la honte de sa famille ; il avait écouté les plaintes du peuple romain, toujours compatissant pour Julie, et il lui avait permis d'habiter Rhégium au lieu de l'île aride de Pandataria[27]. Mais, sous le règne de sa belle-mère et de celui qui avait été son mari, Julie n'avait plus rien à espérer. On n'envoya pas un centurion pour la tuer comme on venait de le faire pour son fils Agrippa. Mais on lui défendit de sortir de chez elle, et on défendit à qui que ce fût d'y entrer ; on lui retrancha enfin le secours que lui faisait tenir Auguste, parce que, disait-on, Auguste ne l'avait pas inscrit sur son testament ; et la fille unique du premier empereur romain mourut à Rhégium de faim et de misère[28].

Dès lors, de la postérité d'Auguste, il ne resta plus que deux femmes, ses petites-filles ; — l'une Julie, condamnée avec sa mère pour ses débauches, et qui vécut vingt ans reléguée dans une Ile de l'Adriatique. Comme elle n'était pas à craindre, Livie lui envoyait quelques secours ; Livie, après avoir travaillé sourdement à écraser les enfants de son mari au temps de leur splendeur et de leur gloire, faisait montre maintenant de sa pitié pour leur misère[29]. — L'autre était Agrippine, la femme de Germanicus, et qui se trouva enveloppée, comme nous allons le dire, dans la ruine de Germanicus.

Germanicus, neveu de Tibère, fils de Drusus, petit-fils de Livie, marié à Agrippine, petite-fille d'Auguste, était donc maintenant, après tant d'autres que Livie avait fait disparaître, le rival que Tibère pouvait craindre. Tibère le craignait d'autant plus qu'Auguste l'avait forcé d'adopter ce neveu pour son fils ; et c'était d'un père adoptif à son fils que toutes ces défiances et ces machinations allaient avoir lieu. Nous venons de dire comment les soldats avaient voulu créer Germanicus César ; Tibère en eut tellement peur, qu'au commencement de son règne il se fit malade pour que Germanicus prît patience.

Je ne veux pas suivre cette histoire dans tous ses détails ; vous savez, par les admirables mémoires de Tacite, quel fut le sort de Germanicus. La bonne fortune de Tibère ou le crime du proconsul Pison délivra le prince de ce rival (an 19) au moment même où il devenait effrayant de popularité, où, bien venu des soldats et du peuple, il faisait un voyage triomphal dans les provinces et avait conquis la faveur de l'Orient. Le pauvre peuple qui, comme tout le monde alors, avait l'intime sentiment de sa faiblesse, tomba en consternation à la perte de cet homme : c'était un ami de la liberté ! c'était, comme Marcellus, comme le premier Drusus, frère de Tibère, un martyr du noble et impossible projet de rétablir la république ! Le peuple, fou de douleur, le peuple qui comprenait Tibère à travers sa dissimulation et sentait ce qu'il allait être, une fois délivré de la crainte respectueuse que lui inspirait son fils adoptif, lui criait pendant la nuit : Rends-nous Germanicus !

Germanicus mort, Rome ne demandait pas mieux que d'avoir une autre idole, et Tibère était tout prêt à se faire un autre épouvantail. Cette fois, le successeur présomptif était Drusus, le propre fils de Tibère, à qui le peuple eût volontiers pardonné, pour les beaux spectacles qu'il lui donnait, les goûts un peu sanguinaires qu'il commençait à manifester ; mais Drusus ne se souciait pas du rôle de Germanicus, et vivait dans l'ivrognerie et les plaisirs.

Il ne s'en trouva pas mieux. Un homme de médiocre naissance, de mœurs infâmes, mais hardi, vigoureux d'esprit et de corps, prêt à tout, était devenu le favori de Tibère, non pas en lui plaisant, — Tibère n'était pas homme à se laisser séduire, — mais en lui rendant de bons, d'utiles, quoique peu loyaux services. Ælius Sejanus songeait peut-être dès lors à devenir César ; et comme Tibère était arrivé au trône grâce à la mort qui avait supprimé, pour lui faire place, trois ou quatre héritiers d'Auguste, Séjan eut aussi recours à la mort pour supprimer Drusus, le premier obstacle entre le trône et lui. Drusus, d'ailleurs, lui avait donné un soufflet.

Il ne faut pas de longs détails pour vous faire comprendre cette effroyable famille impériale. Séjan n'eut besoin — ce qui n'était pas difficile sans doute — que de séduire Livie, ou Livilla, femme de Drusus, et Drusus fut empoisonné (an 23)[30]. Tibère supporta cette mort en stoïcien ; le premier il consola le sénat, rappela chacun à ses devoirs, préféra le soin de la chose publique à sa douleur : il reparla encore — était-ce besoin de popularité ou simplement habitude ? — de rétablir la république, de relever les lois, de laisser le gouvernement aux consuls.

Puis il introduisit au sénat, sinon comme futurs héritiers — car Drusus laissait de jeunes enfants —, du moins comme les plus prochaines espérances de l'empire, les deux aines des enfants de Germanicus. Ces enfants, présentés aux pères conscrits au milieu des larmes de tous et de souhaits répétés pour leur bonheur, se trouvèrent désignés au même moment à la faveur du peuple qui était plus que consolé de la mort de Drusus, aux craintes de Tibère et à la haine de Séjan. A cette époque où il y avait si peu de puissances, c'était une puissance que la maison de Germanicus. La mère de ces enfants, Agrippine, véritable matrone romaine, chaste, sévère, orgueilleuse et féconde ; s'imposant à l'admiration et à l'amour du peuple par des vertus qui n'étaient plus de son temps, mais que la fierté romaine aimait à retrouver comme des types de sa grandeur ancienne ; se séparant, par la fidélité de son veuvage, par la pureté orgueilleuse de sa conduite, par le nombre de ses enfants, des autres femmes de la famille des Césars ; cultivant avec un soin antique les souvenirs que le peuple avait gardés de son mari : Agrippine était- la véritable protectrice et la force politique des six enfants que Germanicus avait laissés, de ses deux fils aines surtout, Drusus et Néron. — Le peuple regardait avec espérance cette maison où l'empire allait passer après la mort d'un prince qui commençait à vieillir. L'armée, que tenait en disgrâce le génie peu belliqueux de Tibère, n'eût pas demandé mieux que de proclamer empereur le fils de son général. Tout ce qu'il y avait à Rome de vieille noblesse, d'hommes illustres (déjà mal notés sous Tibère), de généraux écartés des armées, de compagnons d'armes de Germanicus maintenus dans la suspicion par la méfiance du prince, se ralliait à Agrippine et à ses enfants.

Séjan lança ses ruses et ses intrigues à travers cette puissance trop confiante en elle-même. Agrippine, avec sa hauteur et sa liberté de parole, se perdit en laissant paraître les soupçons qu'on lui avait fait concevoir contre Tibère. Le jeune Néron, le favori du peuple et de sa mère, inconséquent et léger, se livra à des amis qui n'étaient que des espions, tandis que d'autres amis du même genre excitaient contre lui la jalousie de son frère ; Néron se laissa entraîner, par leurs provocations, à d'imprudentes invectives, dont chaque parole était recueillie et dénoncée. L'espionnage alors était partout, et, plus qu'ailleurs, dans l'aimable famille de Tibère : Séjan, par la femme de Néron, fille de sa maîtresse Liville — voyez comme chez ces femmes la vertu était héréditaire ! —, Séjan n'ignorait pas un mot, pas une plainte, pas un soupir, pas un rêve de ce jeune homme. Peu à peu Séjan sapait les étais de cette noble maison ; les uns après les autres, les anciens amis de Germanicus, espionnés, accusés, dénoncés, mis à mort, laissaient sans rempart et sans défense l'imprudente famille de leur patron.

L'alarme s'y mit bientôt, et le vertige qui vient avec elle. Néron ne rencontrait plus personne qui lui parlât ; on se détournait en le voyant ; les amis de Séjan se raillaient de lui. Agrippine, par une erreur étrange, vint un jour se jeter en pleurs aux genoux de Tibère, et lui demander, elle dont toute la gloire était d'avoir été, comme les anciennes Romaines, univira, la permission de se remarier. On lui conseillait, à elle et à ses enfants, de s'en aller sur le Forum, d'embrasser la statue d'Auguste, d'appeler le peuple à leur secours contre cette guerre sourde et irrésistible que leur faisait la délation, ou bien encore de fuir en Germanie, d'aller trouver les légions, de se mettre sous la protection des aigles du prétoire : ils firent la double faute d'écouter ces conseils et de ne pas les suivre.

Tibère méditait un grand coup ; mais il avait peur. Il eut recours à sa ruse ordinaire, il fit le mort ; il partit de Rome (an 26), presque sans cortège, avec ses amis les grammairiens, ne voulant entendre parler ni de harangues, ni de félicitations sur son passage, défendant par ordonnance qu'on troublât son repos. Les astrologues, cette puissance du siècle, prédisaient qu'il ne reviendrait pas à Rome[31].

Alors, en bon homme, en amateur des beautés de la nature, il voyagea longtemps autour du golfe de Naples, vit Nole, Sorrente, toute la promenade du touriste anglais ; il ne fut content que lorsqu'il se fut enfermé dans l'ile de Caprée ; là, il ne se laissa plus aborder par personne. Ses lettres lui arrivaient par les mains de Séjan, tout-puissant par son absence. Le sénat lui demandait en vain le bonheur de le voir ; une seule fois Tibère daigna passer quelques jours sur la côte de Campanie, et le rivage fut couvert de sénateurs et de chevaliers, qui, tremblant devant Séjan et espérant mieux du maitre que du serviteur, restaient la nuit sur le rivage pour attendre le moment de parler au prince, faisant la cour aux portiers de Tibère, jusqu'à ce que, sans les avoir vus, César les renvoyât à Rome. Il aimait à être loin les jours qui devaient décider de ses projets.

Ce fut de Caprée, où il semblait comme le prisonnier de Séjan, qu'arriva (29) une lettre vague, obscure, perfidement équivoque comme les siennes, dans laquelle il accusait Agrippine d'orgueil, Néron d'impudicité. On avait alors, et nous tâcherons d'expliquer pourquoi, tellement peur les uns des autres, que le sénat trembla que la lettre ne fût un piège tendu contre lui-même plutôt que contre la famille de Germanicus. Dans l'avis d'un homme qui passait pour avoir part à la confiance de Tibère, il crut entrevoir la volonté du prince, et décida qu'il attendrait. Cependant le peuple entourait le sénat, portait en triomphe les images de Néron et d'Agrippine, soutenait que la lettre était fausse ; car le peuple, lui aussi avait peur de Tibère, et, loin de vouloir l'attaquer en face, criait : Vive César ! La cour de Caprée répondit par des reproches menaçants. Le sénat dédaignait donc les plaintes de l'empereur, le peuple était en révolte, les lois violées ! Le sénat trembla de sa faute, et se tint prêt à obéir. Néron fut exilé dans une Ile presque déserte, Drusus enfermé dans les souterrains du palais. Avant peu d'années, Néron était mort dans l'Ile Pontia (31) ; Tibère faisait raconter devant le sénat comment Drusus, privé d'aliments dans sa prison, avait vécu neuf jours de la bourre de son matelas, et avait expiré en vouant à l'exécration la mémoire de son bourreau[32] ; comment enfin Agrippine, également reléguée dans une Ile, s'y était donné la mort (33) ou plutôt était morte de faim comme son fils et comme Julie sa mère. Par respect sans doute pour les personnes impériales, on ne voulait ni verser leur sang, ni porter la main sur elles : on se contentait de ne pas les nourrir[33].

Mais c'est maintenant qu'il faut voir à l'œuvre l'exilé de Caprée. Cette destruction à son profit de sa propre famille, que Livie avait commencée et qu'il continuait, était maintenant presque complète. Livie elle-même, qui avait acheté par tant de sang l'élévation de son fils, Livie payée d'ingratitude, éloignée de toute affaire, venait de mourir dans une retraite où, pendant trois ans, son fils n'était venu la visiter qu'une fois ; et Tibère, qui n'avait pas voulu se trouver à son lit de mort, s'était opposé aux honneurs que le sénat voulait lui rendre (29)[34]. Le vide était donc à peu près complet autour de Tibère, et il n'avait, pour ainsi dire, plus de successeurs à craindre : ou plutôt le successeur qu'il devait craindre ce n'était plus un César, c'était l'homme sous lequel il avait pris plaisir à disparaître, c'était l'instrument qui lui avait servi jusque-là à écraser tout ce qui lui faisait ombrage ; cet instrument, dès qu'il devenait inutile, devenait dangereux. Tibère avait élevé Séjan à un comble de gloire après lequel il fallait nécessairement le briser ; il l'avait presque officiellement associé à l'empire ; il l'appelait, dans ses édits, son Séjan. Séjan allait être nommé consul pour cinq ans avec Tibère ; son nom était inscrit partout à côté du nom de Tibère. Il avait un siège d'or au théâtre comme Tibère ; sa statue était sur toutes les places, honorée par des sacrifices comme celle de Tibère. N'avait-il pas osé demander au prince la main d'une femme du sang impérial, Liville, qui était déjà sa maîtresse ? Cet homme ne pouvait-il pas prétendre à succéder à Tibère ? Et, aux yeux de Tibère, un héritier ressemblait fort à un assassin. Cependant tout était habitué à obéir à Séjan, la force de l'empire était dans ses mains ; la lutte pouvait être dangereuse.

Tibère n'attaquait jamais de front. II chercha d'abord à Séjan un rival : ce fut le troisième et dernier fils de Germanicus, Caïus, aimé, à cause de son père, par le peuple et les soldats, et que le prince commença à montrer comme son successeur. Il lui chercha aussi un remplaçant, destiné à être après Séjan préfet du prétoire, c'est-à-dire chef de la seule force militaire qui fût en Italie, et gouverneur de l'empire sous Tibère : Nævius Sertorius Macro fut celui qu'il choisit (an 31).

Écoutez maintenant cette scène de la vie romaine, et voyez comment il s'y prit pour briser son Séjan. Il commença par bien s'assurer sur son rocher de Caprée ; il tint des vaisseaux prêts pour la fuite, établit des signaux afin de connaître plus tôt l'issue de l'événement. Macron alors (17 octobre), au milieu de la nuit, arrive à Rome, rencontre Séjan : J'ai une lettre de César pour le Sénat, dit-il. César te donne la puissance tribunitienne. — C'était l'associer à l'empire —. Séjan, plein de joie, arrive au sénat ; on le félicite de toutes parts. Il ne se doutait pas qu'au moment même, ses prétoriens étaient doucement éloignés de la garde du sénat, et remplacés par des Vigiles dont le chef était du complot. Cependant on lit la lettre ; elle était longue, soumise, obséquieuse, parlant un peu de Séjan, puis revenant à des choses indifférentes, puis à Séjan encore, et se plaignant de lui. Cela étonnait ; les amis de Séjan étaient graves, silencieux ; ceux qui étaient moins directement liés à sa fortune faisaient quelques pas pour s'écarter de lui. Mais vient la fin de la lettre, où le vieux César, d'un ton piteux, bas, plaintif, demandait, à titre de précaution, l'arrestation de Séjan, et priait qu'un des consuls et une garde de soldats vinssent prendre l'empereur à Caprée pour le conduire à Rome en sûreté s'expliquer devant le sénat — terrible menace que cette poltronnerie ! —. Alors tout change de face ; le sénat, qui, un moment auparavant, complimentait Séjan, se mord les lèvres ; les préteurs entourent Séjan ; le consul l'interpelle ; lui-même, étonné de cet accent impérieux et inaccoutumé, se fait répéter trois fois la question sans répondre. Et lorsqu'enfin cette interminable lettre est terminée, une clameur universelle s'élève, les malédictions pleuvent sur lui ; le préfet des Vigiles le prend sous sa garde : c'est comme l'orage du 9 thermidor[35].

Et pour que la ressemblance fût plus parfaite, les prétoriens, les soldats de Séjan, lui manquaient de parole. Macron, qui les avait ramenés dans leur camp, était au milieu d'eux, jetant de l'or, montrant des ordres de César. Incertains, n'osant attaquer, n'osant défendre, ils prirent un terme moyen et plus sûr, ils se mirent à piller. Mais le peuple de Rome, lui, avait bien autre chose à penser : Il avait Séjan à traîner dans les rues, cette idole déchue à blasphémer, ses statues et ses trophées à briser sous ses yeux, son corps à jeter d'Un coup de croc aux gémonies. Et ce corps y pourrissait depuis neuf mois, quand Tibère, se croyant enfin sûr de son fait, osa faire un pas hors de la maison qu'il habitait à Caprée[36].

Après la chute de Séjan, quelques naïfs espéraient un gouvernement plus doux. Il devait en être tout autrement : les amis de Séjan, c'est-à-dire tout ce qui lui avait fait la cour, tout ce qui avait flatté ses premiers esclaves, étaient une belle matière à proscription. Il. se mêlait à cette poursuite, vaste et indéterminée, quelques ressentiments d'honnêtes gens. Le sénat osa deux ou trois fois profiter de l'occasion pour frapper, parmi la foule des proscrits, quelques bien infâmes délateurs. Le moment était chanceux pour ceux-ci ; ils avaient beaucoup à gagner, beaucoup à perdre.

On connaît l'horrible supplice des enfants de Séjan[37]. Les prisons étaient remplies de ses amis ou de ceux qui passaient pour tels. Tibère, fatigué, les fit massacrer tous à la fois (33). Ce fut un affreux carnage. Il y en avait de tout sexe et de tout âge, d'illustres et d'inconnus ; il y avait des cadavres entassés, d'autres épars çà et là : on les jetait dans le Tibre sans que leurs parents pussent seulement en approcher. Des gardes étaient là épiant chaque douleur, et tous ces corps flottèrent à l'aventure, sans que personne osât — tant les liens de la vie humaine étaient brisés ! —, en ramener un seul sur le rivage, ou rendre le moindre honneur à ceux que le flot y portait.

Ce fut alors la plus haute période des cruelles passions de Tibère. Accoutumé à la terreur universelle, bien enfermé dans sa retraite, alléché par le sang qu'il avait goûté, il n'eut plus de frein ni de mesure. Des enfants de neuf ans, selon Suétone, furent punis du dernier supplice. Le deuil devint matière à accusation ; les femmes, qu'il était plus difficile de condamner sous d'autres prétextes, furent poursuivies pour cause de douleur (ob lacrymas)[38]. Tout pliait devant Tibère ; le sénat était d'une servilité fatigante pour lui-même. Dion rapporte que les deux consuls qui venaient de célébrer le vingtième anniversaire de son règne avec tout le luxe ordinaire d'encens et de flatteries furent aussitôt accusés, et reçurent leur sentence de mort. Asinius Gallus, condamné par le sénat au moment où il était à la table du prince, attendit pendant trois ans l'exécution de son jugement. C'était, en effet, un jeu de Tibère de faire languir les proscrits en face du supplice ; à l'un d'eux qui lui demandait la mort, il répondit : Je ne suis pas encore réconcilié avec toi. Enfin, trois ans après la chute de Séjan, on poursuivait encore ses amis ; et Tibère, impatient d'être au courant des supplices, était venu, non pas dans Rome, où la peur lui défendit à jamais de rentrer, mais aux portes de cette ville, recevant les nouvelles d'un jour à l'autre, assistant ainsi aux actes de sa justice et correspondant sans retard avec ses bourreaux (35).

J'ai poussé tout de suite les événements jusque-là. L'histoire de Séjan complète celle de la famille impériale, qui forme la partie extérieure, la partie dramatique de l'histoire de Tibère ; j'ai réduit tout cela en aussi peu de pages que j'ai pu : en voilà bien trop sur ces hideuses passions. Ce palais des Césars fut un vrai coupe-gorge domestique. Je donne en appendice une généalogie, bien technique et bien aride, de la postérité de César et d'Auguste. Qu'on veuille bien cependant la parcourir et compter la série des crimes domestiques qui y sont énumérés. Je ne crois pas que, sur une terre européenne, il y ait jamais eu un palais aussi ensanglanté et des boucheries de famille comparables à celles qui signalent le premier siècle de l'empire romain. Il faut chercher des analogues en Perse ou en Tartarie, et je ne sais même si on en trouverait. Je ne connais pas de meilleure réponse au triste paradoxe de ceux qui veulent voir dans le premier siècle de l'empire romain un temps de progrès démocratique, social et humanitaire.

 

 

 



[1] Tacite, de Orator., 28. Les uns sont arrivés aux honneurs par la science du droit, d'autres par l'éloquence, d'autres par la gloire militaire. Nul de ces succès ne manqua à M. Porcius Caton. Plein de courage et de génie militaire, il se retrouvait au besoin, dans la vie pacifique, jurisconsulte habile, éloquent orateur. Tite-Live, XXXIX, 40. V. aussi Cicéron, de Orat., III, 33.

[2] Ils s'étaient persuadé que sans l'éloquence on ne pouvait acquérir ni garder une position élevée dans l'État. A cette époque où souvent, malgré soi, on était produit à la tribune ; où dans le sénat il ne suffisait pas d'opiner brièvement, mais où le vote devait être soutenu par une parole éloquente ; où, calomnié par des ennemis, dénoncé par des accusateurs, il fallait se défendre par sa propre bouche ; où, devant les juges, il fallait déposer, non de loin et par écrit, mais présent et de vive voix : alors l'éloquence n'était pas seulement honorable et récompensée, mais nécessaire ; il y avait et gloire à bien parler, et honte à rester muet.... On eût rougi d'être compté comme client, non comme patron, de laisser passer à d'autres les liens de patronage qu'avaient formés vos ancêtres, de pas-s er pour un homme sans moyens, insuffisant aux charges, inhabile a les acquérir comme à les exercer. Tacite, de Orator., 36, 37.

[3] A Rome, où tout le monde se voit au Forum, on n'a pas besoin d'être voisins. Romæ, cum Forum commune sit, vicinitas non requiritur. (Cicéron, Fam., V, 15.)

[4] Suet., de Claris rhetoribus, 6.

[5] Annal., XIV, 53-56.

[6] Tacite, de Orator., 39.

[7] Cicéron revient plusieurs fois sur les applaudissements qui suivirent cette phrase d'un orateur : Patris dictum sapiens temeritas filii comprobavit, non à cause du sens de la phrase, mais à cause de son euphonie. Et Tacite parle des orateurs qui se glorifient de ce qu'on chante et de ce qu'on danse leurs discours. Ibid., 26.

[8] V. Quintilien, XI, 3.

[9] Quintilien, XII, 6.

[10] V. surtout Tacite, de Orator., 38, 37, 40 et le dernier chapitre de Longin, Traité du sublime, où il met dans la bouche d'un philosophe et développe longuement cette pensée de la nécessité de la liberté politique pour maintenir la haute éloquence.

[11] Suet., in Tiberio, 70.

[12] Ludum impudentiæ. Cicéron, de Orat., III, 24. Tacite, de Orator., 35. Voir les biographies des rhéteurs sous Auguste et Tibère dans Sénèque le père.

[13] Tacite, ibid. Quintilien, X, 7. V. surtout Sénèque le père dans ses curieuses préfaces, entre autres, Controv., lib. I.

[14] Tacite, de Orat., 35. Quintilien, II, 11. V. ailleurs encore ses plaintes sur l'amollissement de l'éloquence, devenue tout à fait impropre à la vie réelle et au combat du barreau : Cette éloquence voluptueuse, qu'applaudissent des auditeurs paresseusement couchés, sans rien de mâle ni de sérieux. V, 12. Dans Sénèque, un rhéteur plaidant pour la première fois au Forum est tout étonné de parler en plein air, se déconcerte, commence par un solécisme et supplie les juges de se transporter dans une basilique ; tant il est vrai que, dans les écoles, les esprits sont élevés comme en serre chaude et ne savent supporter ni les clameurs, ni le silence, ni les rires, ni même l'aspect du ciel ! Controv., IV, præfatio.

[15] Quintilien, XII, 6. V. aussi, sur la gêne que les habitudes du barreau imposaient alors à l'éloquence, Tacite, de Oratorib., 39.

[16] Suet., de Claris rhetoribus, 6. Seneca pater, Controv., III, præfatio.

[17] V. tout le morceau de Tacite, de Orat., 5, 6.

[18] Sur le jugement et la mort de Libon (an 16), etc., V. Tacite, Annal., II, 27-32 ; Dion, LVII, p. 612 ; Senec., Ep. 70 ; Vell., II, 130.

[19] Tiberius Claudine Nero, fils de Tib. Claud. Nero et de Livie Drusilla, né le 16 novembre 712, — toge virile, le 24 avril 727, — marié à Vipsania, fille d'Agrippa et de Pomponia, fille d'Atticus, — préteur, 738, — consul, 741, 747, — en 748, répudie Vipsania et épouse Julie, — 746, son triomphe après les guerres de Germanie, — 747 revêtu de la puissance tribunitienne pour 5 ans ; puis, se retire à Rhodes, - 750, répudie Julie ; — 755, revient à Rome, - 757, est adopté par Auguste, et appelé Tib. Cæsar Claudianus ; revêtu de la puissance tribun. pour 10 ans. — Imperator huit fois, en 759,.., 763, — 765, triomphe sur les Dalmates et les Pannoniens, — 766, associé au gouvernement des provinces, avec renouvellement de sa puissance trib. pour la vie, — gouverne après la mort d'Auguste, 19 août 767 (14 de l'E. V.) — en 15 de l'E. V. Pontifex maximus, — tué par Macron le 16 mars 37.

[20] Suet., in Tiber., 2.

[21] Tacite, Annal., VI, 62 et suiv.

[22] Tacite, Annal., II, 41, 49 ; VI, 45. Suet., 47. Vell., II, 130.

[23] Sur l'annone et les subsistances, V. Tacite, Annal., II, 87 ; III, 52 ; IV, 6, 7 ; VI, 13. — Secours aux villes d'Asie, après un tremblement de terre (an 17). Id., II, 47 ; Suet., in Tiber., 48 ; une belle inscription de Pouzzoles (de l'an 30) constate ce fait. Orelli, 687. — Secours aux incendiés de Célius (an 37). Paterculus, II, 130 ; Tacite, Annal., IV, 64 ; Suet., in Tiber., 48. — Secours de 100.000.000 de sesterces (25.000.000 fr.) aux incendiés de l'Aventin (an 36). Tacite, Annal., VI, 45. — Prêt gratuit de 100.000.000 de sesterces aux particuliers (an 33). Suet., ibid. ; Tacite, Annal., VI, 17 ; Dion, LVIII. — Secours de 100.000.000 de sesterces après une inondation (an 35). Dion, LVIII. — Distribution d'argent au peuple (ans 18 et 23). (Suet., in Tiber., 54 ; Tacite, Annal., II, 42), montant en tout à 146 deniers (156 fr.) par tête. (Cod. Vindobon.) — En mourant, il légua au peuple 45.000.000 de sesterces (près de 12.000.000 de fr.). Dion, LIX, in princ.

[24] Neque hæreditatem cujusquam adiit, nisi cum amicitia meruisset. (Tacite, Annal., II, 48.) Il refusa même les héritages laissés par ses proches. Dion, LVII, p. 614. Sur son administration, V. encore Suet., in Tiber., 26-32 ; Vell, II, 130 ; Dion, LVI.

[25] Tacite, Annal., IV, 6, 7. Voici cependant ce qui va donner la mesure de la modération de César et de l'influence que prenaient déjà les affidés du palais : Pison donna une preuve de sa hardiesse (an 16) en appelant devant les juges Urgulania, que l'amitié de Livie avait élevée au-dessus des lois ; Urgulania, au lieu d'obéir, se fit porter dans la maison de César ; mais Pison n'en persista pas moins, quoique Livie se plaignit de cette atteinte portée à sa dignité. Tibère crut alors qu'il était d'une juste condescendance envers sa mère d'aller devant le préteur y représenter Urgulania ; il sortit du palais, suivi de loin par des soldats, au milieu d'un concours de peuple, le visage serein et causant de temps à autre dans la route. Pison, que ses parents voulaient en vain retenir, continua à réclamer la somme qui lui était due, et Livie enfin la fit apporter. Mais, malgré cette affaire, honorable pour Pison et qui accrut la bonne réputation de César, Urgulania demeura si puissante, qu'appelée comme témoin par le sénat, elle ne daigna pas y venir, et qu'on envoya un préteur pour l'interroger chez elle, tandis que les Vestales elles-mêmes, lorsque leur témoignage est réclamé, viennent le donner en plein Forum. Tacite, II, 34.

[26] Tacite, Annal., I, 6.

[27] Aujourd'hui Vendutene, près de la côte de Campanie.

[28] Tacite, Annal., I, 53.

[29] Quæ, cum florentes privignos per occultum subvertisset, miserisordiam erga adflictos palam ostentabat. Tacite, Annal., IV, 71.

[30] Voyez des fragments des deux sénatus-consultes qui accordent des honneurs à la mémoire de Germanicus et à celle de Drusus, fils de Tibère. Henzen, 5381, 5382.

[31] Tacite, Annal., IV, 58, 67.

[32] Tacite, Annal., VI, 24. V. aussi, sur la fin de Néron et d'Agrippine, Tacite, ibid., 20, 23, 25 ; Suet., in Tib., 53, 54, 61, 64 ; in Caio, 10. Dion, LVIII.

[33] On croit avoir retrouvé à Rome le lieu de sépulture d'un des fils de Germanicus : OSSA NERONIS CÆSARIS GERMANICI CÆSARIS F(ilii) DIVI AVG. PRON(epotis) FLAMIN(is) AVGVSTALIS QVÆSTORIS. Orelli, 665. — Trois autres inscriptions (668-670) indiquent la place où ont été brûlés trois fils de Germanicus et d'Agrippine morts en bas âge. — Enfin, on a rencontré l'épitaphe suivante : OSSA AGRIPPINÆ M. AGRIPPÆ F(iliæ) DIVI AVG. NEPTIS VXORIS GERMANICI CÆSARIS MATRIS C. CÆSARIS AVG. GERMANII PRINCIPIS. Id., 659. Cette dernière tombe, sinon les autres, a été élevée sous Caligula. — Ces inscriptions proviennent toutes de l'ustrinum ou lieu de crémation situé près du mausolée d'Auguste. Elles ont été découvertes en 1777, près de Saint-Charles dal Corso.

[34] Tacite, Ann., V, 1. — Gravem in rempublicam matrem, graviorem domui Cæsaris novercam. C'est ainsi qu'il caractérise Livie, 1, 10. Les monnaies qui rappellent l'apothéose de Livie sous le nom de Julia Augusta sont du règne de Claude, son petit-fils.

[35] Une inscription de Terni (Interamnæ) : — Salvti perpetvæ avgvstæ libertati qve pvblicæ popvli romani.... providentiæ Ti. Cæsaris Avgvsti nati ad æternitatem romani nominis svblato hoste perniciosissimo P. R., — donne idée de ce qu'était l'emphase adulatrice des sujets de Tibère, et leur haine contre Séjan une fois tombé. Orelli, 689.

[36] V. Dion, LVIII, p. 626-628 ; Tacite, Annal., VI, 25 ; Juvénal, X, v. 66 et suiv. ; Senec., de Tranquillitate animi, 11 ; Suet., in Tiber., 65 ; Joseph., Antiq. Jud., XVIII, 8.

[37] Il fut arrêté que l'on sévirait sur ce qui restait des enfants de Séjan ; la colère du peuple s'adoucissait pourtant, il avait vu assez de supplices ! On porte donc les deux enfants en prison, le fils qui comprenait son sort, la jeune fille qui s'en doutait si peu qu'elle demandait : Quelle était sa faute ? où la menait on ? Elle ne le ferait plus, ajoutait-elle, et les châtiments de son âge pouvaient bien suffire. Selon les auteurs contemporains, comme il était inouï qu'une vierge eut été mise à mort par les triumvirs (les triumvirs capitaux chargés de présider à l'exécution des sentences de mort), la fille de Séjan fut violée par le bourreau, puis aussitôt étranglée, et ces deux cadavres d'enfants furent jetés aux gémonies. Tacite, Annal., V, 9. — V. aussi Dion, LVIII, et Suet., in Tiber., 61, d'après lequel il semble que cet acte de cruauté monstrueuse se soit renouvelé plus d'une fois sous Tibère.

[38] Tacite, Annal., VI, 10.