LES CÉSARS JUSQU'À NÉRON

 

AUGUSTE.

 

 

§ II. — AUGUSTUS CÆSAR. - RESTAURATION DE L'ANCIENNE ROME.

Telle était la gloire du présent ; mais quelle serait la garantie de l'avenir ? qui guérirait ces plaies radicales et permanentes que j'ai déjà montrées mortelles à la république, et qu'à nulle révolution politique il n'était donné de fermer ? Disons en quelques mots comment ces grandes questions se posaient.

D'abord l'empire était-il suffisamment gardé ? La milice était un privilège du citoyen ; lei sujets de Rome, exclus des légions, ne servaient qu'en seconde ligne et à titre d'auxiliaires. Or, la population romaine qui était de 450.000 citoyens avant César, qui après lui était d'un million peut-être, mais que quinze ans de guerres civiles avaient atrocement décimée, était-elle suffisante pour garder un empire que Pompée avait porté jusqu'au Jourdain, César jusqu'à l'Escaut, Auguste jusqu'au Nil ? Et cette population, eût-elle été suffisante par le nombre, était insuffisante faute de patriotisme et d'unité. César l'avait recrutée de Gallo-Italiens, Antoine d'étrangers de toute sorte ; le mouvement journalier des affranchissements la recrutait d'esclaves. La porte de la cité s'ouvrait à l'esclave, même quand elle était fermée au sujet de Rome ; et les affranchissements chargeaient Rome de citoyens étrangers à elle par l'esprit, par l'origine, par les mœurs.

Grâce à cet appauvrissement et à cette altération de la race romaine, vers la fin des guerres civiles, la population servile, au moins aussi nombreuse que la population libre[1], la débordait de toutes parts. Sextus Pompée se fait le patron des esclaves fugitifs, les arme, les émancipe ; traitant avec Octave, stipule leur liberté, et verse ces nouveaux libres comme un déluge sur l'Italie : les vestales effrayées ajoutent une prière pour demander aux dieux la délivrance de ce fléau ; et Auguste, se croyant autorisé par le danger public à manquer de parole, fait d'un seul coup arrêter tous ces affranchis, renvoyer les uns à leurs maîtres, 'tuer ceux dont les maîtres ne se retrouvent pas. Néanmoins les esclaves remplissent les légions, ils se glissent jusque dans le sénat, et un maître qui cherche le sien le retrouve dans un élu des comices prêt à exercer la questure[2].

De plus le sol italique manquait sous les pieds de cette population diminuée et altérée. La propriété était incertaine. Dans l'antiquité, le sentiment de la justice était insuffisant pour défendre la propriété ; ce sentiment écrit dans le cœur de l'homme est devenu par le christianisme seul une puissance et une loi. Il fallait, pour que la propriété fût défendue, que la religion la consacrât arpent par arpent, que chaque borne fût un autel arrosé du vin des sacrifices, que chaque patrimoine fût délimité par l'augure d'après les régions du ciel, que chaque propriété sur la terre répondit à une propriété dans le ciel. Et la foi s'affaiblissant aux autels, aux augures, aux symboles, la propriété devenait sans protection. Ajoutez à cela ces remaniements contraints et violents de la propriété italique pendant la guerre civile, et vous pourrez comprendre ce que devenait le droit de propriété. César, par sa loi agraire, avait doté 20.000 familles ; mais pour combien de temps ? La Campanie, ôtée par César aux fermiers du sénat, passa bientôt des colons de César aux colons d'Antoine, puis aux soldats d'Octave. — Les mesures de César dictateur, si admirablement calculées, restent également sans effet, ou par la force des choses, ou par le trouble des guerres civiles : il n'en demeure autre chose que 120.000 soldats installés propriétaires en Italie. —Antoine, pendant ses quelques mois de consulat, taille et coupe à son gré, partage entre les parasites de sa table et les comédiens de sa maison les meilleures terres d'Italie et de Sicile, accorde 3.000 jugères à son médecin, 2.000 à son faiseur de discours ; quant au peuple romain, Antoine lui donne à cultiver... les marais Pontins[3]. — Sous le triumvirat, révolution nouvelle. A force de proscriptions, d'exactions, de chicanes, il n'est pas de fortune qui ne change de main. — Après la victoire de Philippes, c'est mieux encore, c'est l'épée, je l'ai dit, qui se porte seule propriétaire légitime : c'est une population coupable d'avoir élevé un tombeau aux soldats de la république, condamnée par Octave à une amende qu'elle ne peut payer, et, faute de paiement, chassée de ses murs[4] ; ce sont des bandes de cultivateurs dépouillés qui passent les Alpes, passent la mer[5] ; c'est enfin, au milieu du bruit des armes, la voix plaintive du cygne de Mantoue : Virgile arrive à grand'peine aux pieds d'Octave, dont la protection même est quelquefois impuissante.

Au milieu de ce déchirement de la propriété, vous comprenez que la culture est abandonnée[6]. Même dans la fertile Campanie, les soldats, ces nouveaux maîtres du sol, sont de trop nobles hommes pour manier la charrue ; ils affluent dans les villes, passent leur vie au théâtre, jouent aux dés le bien mal acquis[7] ; et toutes ces révolutions de la propriété aboutissent, en ligne de compte, à l'enrichissement définitif de quelques aventuriers de toge ou d'épée.

Octave était donc en face de ces maux alors que Dion nous le montre délibérant entre Agrippa et Mécène (725).

Or, à côté d'Agrippa, le rude homme de guerre, toujours vêtu de la saie guerrière, et qui, lui, opinait franchement pour le rétablissement de l'ancienne république ; Mécène était, comme nous disons, l'homme des idées nouvelles, le représentant du progrès, tout à fait un galant homme — pour parler comme La Fontaine — digne de la petite cour de madame la duchesse de Mazarin. Mécène, l'auteur de cette boutade épicurienne que vous savez[8], boutade fort peu romaine en effet ; Mécène, qui ne voulut jamais être sénateur ; Mécène, qui portait le pallium, se couvrait la tète, siégeait sur son tribunal en tunique flottante, marchait au Forum entre deux eunuques ; qui, épris d'une femme capricieuse et coquette, la répudiait, la reprenait sans cesse, et se maria cent fois sans avoir jamais eu qu'une seule femme ; Mécène, qui, dans ses chagrins amoureux, se faisait endormir par le son lointain des symphonies[9] ; Mécène, le protecteur de la littérature nouvelle, le patron du style enjolivé dans les arts, le modèle de l'éloquence traînante et dissolue[10] : Mécène (il faut le dire) était aussi l'homme de l'humanité ; et lorsqu'au début de son règne, Auguste, assis à son tribunal et emporté par la passion, commençait à prononcer des sentences de mort, Mécène courait à lui, et, arrêté par la foule, lui jetait ses tablettes avec ces mots écrits : Lève-toi donc enfin, bourreau ![11]

Mécène disait à Auguste (ou au moins Dion lui fait dire) : Proclame l'unité du monde ! Appelle tous les hommes libres au droit de cité, les notables de toutes les provinces à l'ordre équestre et au sénat. A Rome, point de vote, point de comices ; dans tout l'empire, pas un Forum libre, pas une assemblée populaire. Efface sous ce grand niveau ces différences infinies de lois, d'usages, de gouvernement local ; de cette agrégation de petites républiques, fais une monarchie une et puissante : établis l'unité des poids, des monnaies, des mesures ; un seul impôt égal pour tous, applicable à tous ; une armée permanente, également recrutée dans toutes les populations de l'empire. Vends ces domaines vastes et peu productifs que l'État possède dans les provinces : constitue une banque qui soutiendra par ses prêts l'industrie et l'agriculture. Honore beaucoup les sénateurs et les consuls, mais gouverne sans eux. Tiens-les éloignés des provinces et de l'armée. Gouverne avec des salariés, avec tes affranchis et avec des espions. Gouverne avec les dieux et les prêtres ; maintiens le culte officiel et ne souffre pas une religion nouvelle : on n'attaque pas les dieux sans conspirer contre le prince. Gouverne (qui pis est !) avec des maîtres d'école et des rhéteurs ; donne à la noblesse et à la bourgeoisie une éducation commune et forcée, payée par l'État[12].

En vérité, ceci n'a rien d'antique. Et je dois convenir, que, même chez Dion, postérieur à Mécène de deux siècles, cette dose d'esprit moderne me confond. Même en notre siècle, les chefs de bureau et les philosophes panégyristes du progrès n'ont encore rien su inventer de mieux en fait de monarchie absolue, démocratique et administrative.

Par malheur, Auguste n'était pas un esprit aussi avancé que Mécène son ministre ou Dion son historien. Auguste était surtout l'homme du sensé et du possible. Il acceptait bien le pouvoir unique tel que le lui proposait Mécène, ou plutôt tel que le monde le lui proposait. Mais il savait que dans tout régime qui veut durer, il y a une part à faire à la liberté. Il savait qu'un État s'énerve et qu'un pouvoir court à sa ruine lorsqu'il éteint toute spontanéité dans les esprits et toute initiative dans le cœur de l'homme. Il laissa donc aux villes soumises à Rome leur liberté, leur sénat, leur Agora, plus respectés même qu'ils ne l'avaient été auparavant. Il laissa, à plus forte raison, à l'éducation sa liberté, à laquelle, sauf deux ou trois chétifs exemples, l'antiquité n'avait jamais touché. Il ne fut point d'avis d'extraire tout le sang des veines de l'empire, afin de le recomposer d'une manière plus méthodique et plus une.

Auguste savait aussi que l'on ne fait pas du nouveau sans garder quelque chose de l'ancien ; qu'à toute agrégation d'hommes il faut un drapeau ; qu'à tant de peuples, il fallait un symbole sous lequel ils se réunissent ; à cette vaste unité matérielle, un lien moral. Et quel lien ? Le christianisme sans doute, que Mécène, soufflé par Dion, rejette par avance, si le christianisme eût pu être deviné avant sa naissance et entrer dans les combinaisons du pouvoir ; si Dieu eût voulu laisser à la force temporelle le soin de préparer les voies à sa vérité, si quatre siècles de lutte n'eussent pas été nécessaires pour justifier la divinité du christianisme. Même au bout de deux cents ans, Tertullien ne comprenait pas que jamais les Césars pussent être chrétiens. Au temps d'Auguste, le drapeau de la vieille Rome était le seul qui n'eût pas été déchiré, et ce fut sous ce drapeau qu'il résolut de marcher.

D'ailleurs il est un phénomène à observer chez tous ceux qui arrivent comme Auguste pour terminer les guerres civiles ; s'ils sortent un peu, dans l'usage de leur souveraineté, de la ligne de juste milieu et de politique équivoque qu'ils adoptent d'ordinaire, c'est presque toujours pour réagir contre le parti qu'ils ont soutenu dans leur principe et qui les a portés au pouvoir. Les partis crient à l'ingratitude comme si on leur devait de la reconnaissance et non aux hommes : cette ingratitude n'est qu'une réaction nécessaire. Henri IV, devenu roi, sentit très-bien qu'il devait être roi de tout le. monde et non des protestants, et que, s"il se devait à quelqu'un, c'était plus encore à la Ligue avec qui il avait transigé, qu'aux royalistes qui avaient combattu pour lui. Bonaparte, avant même d'être empereur, Bonaparte qui avait été révolutionnaire, prenait en faveur les nobles et les émigrés, et pour premiers ennemis il avait les compagnons de ses victoires, Pichegru, Moreau, Bernadotte, comme Henri IV le maréchal de Biron.

Cela doit être : un parti vainqueur, ou qui se croit tel, ne comprend pas cette transaction tacite ou formelle sans laquelle ne se terminent pas les guerres civiles ; il se croit, comme les émigrés de 1814, les patriotes de 1830 ou les républicains de la veille de 1848 et de 1870, des droits exclusifs et sans bornes ; il ne reconnaît de droit à personne autre ; il ne s'imagine pas de réfléchir, lui protestant, que son chef, pliant le genou devant la Ligue, s'est fait catholique à Saint-Denis, et que, si Henri IV est entré dans Paris, c'est avec le consentement et en assurant le principe de la Ligue. Il ne comprend pas, lui émigré, la charte de Saint-Ouen, ni lui patriote, les coups de fusil dans les rues de Paris contre les continuateurs arriérés de 1830 ; voilà pourquoi si son chef est habile, il se trouve bientôt en dissentiment avec son chef.

De plus, c'est aux vaincus que l'on doit assistance ; dans toute société, il faut un peu de chaque chose, et c'est le côté qui a souffert qu'il faut relever. La vieille Rome, la Rome aristocratique était vaincue ; battue à Pharsale et à Philippes, où son parti était mort les armes à la main ; battue dans la cité où ses mœurs, sa foi, ses lois, étaient mises en oubli ; battue dans les temples qu'envahissaient les dieux étrangers ; battue dans le sénat qui était avili et mêlé de Barbares. Et, par cette raison, ce fut la vieille Rome, la Rome aristocratique, qu'Auguste chercha à relever. Cette réaction, cette restauration, ressemblent à ce que tentait Napoléon, en relevant le culte, rétablissant une noblesse ; ramenant une cour, refaisant de la morale, de la bienséance, de l'honneur, à la façon du siècle passé. Ces deux situations sont admirablement analogues ; chacun des deux princes, frappé de ce qui manquait au régime nouveau, cherchait à le retrouver dans l'ancien régime ; l'un refaisait la vieille Rome, l'autre la vieille France, laissant de côté dans l'une et dans l'autre ce qui l'incommodait : ici l'aristocratie politique des temps républicains, là les privilèges qui entouraient et gênaient la royauté.

La vieille Rome, du reste, n'avait pas été une cité improgressive et éternellement stationnaire. Le sénat avait compris de bonne heure que nulle aristocratie ne subsiste si elle ne se renouvelle, que nulle nation ne grandit si elle ne se recrute. Nulle barrière n'avait donc été posée comme infranchissable ; les vaincus pouvaient entrer dans la cité, et la cité, à son tour, leur renvoyant ses colonies, rendait à l'étranger ce qu'elle avait reçu de lui. Dans Rome même, l'ordre supérieur attirait à lui l'élite des ordres inférieurs, et se rajeunissait par ce mélange. L'esclave pouvait devenir libre, l'étranger pouvait devenir Latin, c'est-à-dire demi-citoyen, quand il n'arrivait pas de prime abord à la plénitude du droit de cité ; le Latin, à plus forte raison, pouvait devenir citoyen romain ; le petit-fils de l'affranchi pouvait être chevalier, son arrière-petit-fils monter au sénat[13] ; chaque citoyen enfin, par une épreuve annuelle du jugement public, était appelé à suivre la route des magistratures, par la questure à se placer au sénat, par la préture à devenir consul ; chacun, dans cette Rome aristocratique, prenait rang par son talent et son labeur (solertia, industria) : chevalier, s'il n'avait que de la fortune ; patricien, s'il n'avait que de la naissance ; sénateur, s'il avait rempli une charge curule ; ædilitius, prætorius, consularis, censorius, triumphalis, selon les honneurs qu'il avait obtenus : c'est ce que la langue parlementaire des Romains nommait la dignité d'un homme. Chacun fixait son rang et fixait aussi le rang de sa famille ; il y avait des familles sénatoriales, prétoriennes, consulaires, triomphales, etc. ; et la place que le sénateur ou le consulaire s'était faite dans la république était, avec sa glorieuse image, un héritage qu'il léguait à ses descendants. Monter, marcher en avant, élever sa famille d'un degré, apporter à l'ordre supérieur sa force et sa valeur personnelles, tels étaient le but, l'ambition, la pensée, le mouvement de toute cette république.

A ce progrès se rattachait une magistrature qui forme un des côtés les plus originaux des institutions romaines. La censure était la grande surveillante de la cité ; c'était elle qui maintenait cet ordre en le renouvelant, dirigeait ce mouvement sans l'arrêter. Sans pouvoir direct, sans volonté impérative, n'ayant que ses tablettes de cire où elle inscrivait les noms avec honneur ou ignominie, la censure était toute-puissante sur le progrès de la vie publique : juge redoutable qui, à chaque lustre, c'est-à-dire tous les cinq ans, faisait paraître devant lui Rome tout entière, épurait le sénat, passait en revue les chevaliers, demandait compte au peuple de sa fortune et de ses mœurs, remaniait ses tribus et ses centuries, faisait monter ou descendre d'une classe dans une autre, au besoin rejetait dans celle des prolétaires (ærarii, capite censi) ; dressait enfin de la nation romaine une statistique bien plus détaillée que ne sont les statistiques modernes, en un mot, refaisait et révisait la Rome officielle, la passait au crible, sanctionnait ou rectifiait son progrès.

Mais, vers la fin de la république, l'équilibre avait été troublé ; l'invasion hâtive et désordonnée d'un côté, la résistance obstinée de l'autre, tout avait concouru à troubler cet équilibre. La censure avait été mise en oubli. Par compensation, dès qu'on avait voulu rétablir l'ordre de la cité, toucher à ces questions fondamentales du sol, de la population et des droits civiques, on en était revenu à la censure ou à quelque chose d'analogue. César lui-même s'était fait préfet des mœurs, et, après Auguste, les princes qui voulurent porter un remède à ces plaies, Claude et Vespasien, ne crurent pouvoir le faire qu'avec le titre et les pouvoirs de censeur.

Auguste ne pouvait donc manquer de relever cette antique magistrature. Sans compter son titre permanent de préfet ou de régulateur des mœurs, ou par ses propres mains ou par celles d'autrui, il exerça deux fois la censure[14]. Il ouvrit, après la bataille d'Actium, le premier lustre qui se fût fait depuis quarante et un ans : il entreprenait, sous ce titre de censeur, la réforme du peuple romain.

Or, le peuple romain avait besoin, et d'être recruté quant au nombre, et d'être purifié quant à ses éléments, et d'être raffermi sur le sol ébranlé de l'Italie.

Quant au nombre, Octave songea tout d'abord à donner à l'empire une population civique suffisante pour le défendre. Il y arriva, peut-être en confirmant les nombreuses et illégales concessions qu'Antoine avait faites du droit de cité, mais surtout par des concessions nouvelles. Il donna le droit de cité, non comme César et Antoine l'avaient fait, à des provinces et à des villes entières, mais à l'élite de toutes les provinces et de toutes les villes. Les principaux orateurs des cités grecques, les chefs féodaux des peuples gaulois, les magistrats des villes latines eurent l'honneur de devenir citoyens romains, et ainsi, au lieu d'être les chefs de leur nation dans ses révoltes contre Rome, ils furent un lien entre Rome et leur nation. Rome eut dès lors, dans tous les coins de son empire, une population romaine digne de recruter son armée et même son sénat, et cette population tint partout la première place. Le recensement des citoyens romains, dans toutes les provinces, donna, en 726, 4.063.000 citoyens au-dessus de dix-sept ans ; en 746, 4.233.000 ; en 767, 4.037.000. Quatre millions de citoyens, c'étaient quatre millions de familles, environ vingt millions d'âmes[15].

Mais cette extension du droit de cité avait bien son danger. D'abord, elle appauvrissait le trésor ; le citoyen romain était exempt d'impôts ; les vaincus lui payaient le tribut, il ne le payait à personne. Or, quatre millions de familles, et des plus riches, étant exemptes de l'impôt direct, que devenait le trésor de l'État, qu'Agrippa, le lendemain d'Actium, déclarait déjà en déficit ? — Il fallut essayer de demander quelque chose au citoyen romain ; si absolu que fût Auguste, c'était difficile, et il y mit bien des détours. Il prétexta d'abord un but spécial et respectable, la fondation d'une caisse de l'armée pour rémunérer le soldat sans dépouiller le propriétaire ; il prétendit même établir cette caisse avec des souscriptions volontaires : il souscrivit, fit souscrire Tibère, quelques rois, quelques sénateurs ;. puis, la souscription, comme il s'y attendait bien, se trouvant insuffisante, il consulta le sénat, d'abord, officiellement en corps, et le sénat ne dit rien ; puis, chacun à part, sur un billet cacheté ; et les sénateurs, pas plus que le sénat, ne surent rien trouver. Il consulta alors les papiers de César, et il y trouva (que n'y trouvait-on pas ?) un projet d'impôt sur les legs et les successions. Il l'adoucit de son mieux, exempta les pauvres, exempta les successions directes, ne prit au plus que 5 pour 100, et fit si bien, que le citoyen romain paya de mauvaise grâce et en murmurant, mais enfin paya[16].

Cette difficulté fiscale n'était pas encore la plus grande. Ce qui était le plus difficile, c'est que ces quatre millions de familles, si diverses de mœurs, d'esprit, d'origine, de demeure, formassent véritablement une nation : c'est qu'au centre de cet empire si vaste et de cette nation romaine si dispersée, il y eût — chose nécessaire à la vie de l'empire — une Italie forte, puissante, agricole, militaire, vraiment romaine ; et à la tète de cette Italie, une Rome vraiment digne de ce nom.

Le premier obstacle était le sol même, appauvri, vieilli, déserté ; c'était la propriété incertaine et ébranlée. Aussi, une fois Auguste affermi, les spoliations en faveur des gens de guerre disparaissent. A partir de la défaite de Sextus (719), les biens vacants seuls leur sont distribués. Si Auguste dépouille quelques colons, il les indemnise, soit en argent, soit en terres hors d'Italie ; admirable munificence, dit-il, « que, seul de mémoire d'homme, il pratiqua parmi tous ceux qui donnèrent des terres à leurs soldats[17]. e Et c'est pour garantir la propriété contre le retour de ces terribles exécutions militaires, qu'Auguste fonde ce trésor de l'armée destiné à acquitter la dette de la république envers les vétérans.

La propriété raffermie, la culture va reprendre courage, vingt-huit colonies, 120.000 nouveaux citoyens vont repeupler l'Italie[18]. Le luxe est combattu ; les poètes chantent de leur mieux les douceurs de l'agriculture[19] ; les Géorgiques de Virgile sont un délicieux pamphlet contre les domaines de luxe et les grandes propriétés :

.......... Laudato ingentia rura

Exiguum colito ..........

Admire les grands domaines ; n'en cultive qu'un petit.

Octave, quand son trésor est abondant, prête sans intérêt au propriétaire qui peut lui garantir le double de son prêt. Octave voudrait abolir ces funestes distributions de blé, perpétuel encouragement à la paresse ; mais il comprend quel moyen de popularité il abdiquerait au profit du premier agitateur qui voudrait s'en emparer ; il tâche seulement de ne pas faire de ces fatales aumônes un monopole pour la fainéantise et d'y admettre le marchand et le laboureur sur le même pied que le mendiant de Rome[20].

Le second obstacle, c'était la race romaine énervée, appauvrie, dégradée à tous ses degrés, depuis le premier des consulaires jusqu'au dernier des parasites qui, une fois par an, s'habillaient de la toge. Cette tâche-là est la grande œuvre du censeur Auguste. Pour commencer par les plus hauts rangs, Auguste relève le patriciat en le recrutant ; inutile à la vie politique de Rome, le patriciat n'est inutile ni à sa religion, ni à sa gloire. De nouveaux patriciens s'ajoutent à ceux qu'avait faits César, décimés par quinze ans de guerre civile[21].

Le sénat vient à son tour. Le sénat, trop nombreux, est réduit ; trop mêlé, il est purifié. Auguste exclut les moins dignes, en les faisant doucement consentir à se retirer et les consolant par quelques honneurs ; les plus pauvres en portant le cens sénatorial de 800.000 à 1.200.000 sesterces (de 216.000 à 322.500 fr.) : il garde les gens de mérite en complétant leur cens sur sa propre fortune. Il ferme l'arène aux sénateurs, à leurs fils, à leurs petits-fils, toujours tourmentés de la rage d'y descendre. Aux fils des sénateurs, Auguste accorde le droit d'assistance au sénat, voilà pour leur avenir parlementaire ; un tour de faveur pour les grades, voilà pour leur avenir dans l'armée[22].

Viennent les chevaliers. L'usage de la revue quinquennale est repris ; ils défilent devant le prince, tenant la bride de leurs chevaux, et lui rendent compte de leurs vie et mœurs. Toujours prudent et modeste, Auguste les avertit doucement, les punit parfois, leur recommande de ne pas trop faire l'usure, quelquefois écrit un reproche sur ses tablettes et le leur donne à lire tout bas[23].

Mais la grande réforme à faire est celle du peuple. Il faut que le sang romain garde son altière prééminence, que trop de sang étranger ou servile ne coule pas dans les veines des maîtres du monde[24]. Auguste a donné le droit de cité avec abondance, mais non pas au hasard ; au besoin, il sait en être avare, autant que les autres Césars en seront prodigues. Il l'ôte à des villes, à des nations coupables. Quand Livie le lui demande pour un Gaulois : Je l'exempte d'impôts, répond-il ; j'aime mieux appauvrir le fisc qu'avilir le titre de citoyen.

Le pouvoir d'affranchir, de faire d'un esclave un Romain, ce pouvoir grâce auquel la cité se recrute d'esclaves, est soumis à des restrictions. Nul ne peut mettre en liberté par testament plus de cent esclaves à la fois. L'affranchi qui n'a pas reçu la liberté selon les formes solennelles de l'ancien droit public n'est pas citoyen ; il est assimilé aux Latins, les premiers sujets, mais enfin les sujets de Rome. L'affranchi qui, étant esclave, a subi une condamnation criminelle, est assimilé aux derniers d'entre les peuples vaincus, à ceux que Rome a reçus à discrétion (dedititii) ; il est exclu pour jamais du droit de cité, privé de tout héritage, relégué à cent milles de Rome[25].

Les anciennes lois contre les mésalliances sont renouvelées. Nul sénateur ou fils de sénateur n'épousera la fille d'un affranchi ou d'un comédien ; nul citoyen libre de naissance (ingenuus) n'épousera soit une femme de mauvaise vie, soit une femme condamnée pour adultère, soit une comédienne[26]. Ainsi Auguste veille à la pureté du sang romain.

Rome va donc renaître épurée du chaos des guerres civiles. Voyez au théâtre revivre les distinctions antiques : les sénateurs assis au premier banc, les quatorze suivants réservés aux chevaliers ; les hommes mariés séparés des célibataires, les adultes des enfants, les ingenui des affranchis, les Romains des étrangers, les soldats du peuple, les hommes en toge de ceux qui portent le manteau. N'est-ce pas là toute une résurrection de l'antique cité ? Auguste, qui veut réhabiliter jusqu'au costume romain, voit un jour une assemblée entière vêtue de cette ignoble pœnula qui dissimule la toge ou dispense de la porter. Voilà donc, s'écrie-t-il, en rappelant ironiquement une parole du poète :

Romanos eerum dominos gentemque togatam !

Les Romains et la toge au monde redoutée !

Et à quiconque s'arrête sur le Forum, il fait, sans façon, ôter le manteau de dessus ses épaules romaines. Ainsi à la fois il épure, il reconstitue, il ennoblit le peuple-roi[27].

Seulement, au fond de cette société, Auguste savait une plaie autrement inguérissable que toutes les autres. Si les familles se renouvelaient aussi vite, si les races anciennes périssaient, si Rome était menacée de n'être bientôt plus peuplée que de fils d'esclaves, la cause en était surtout au désordre des mœurs et à la fréquence du célibat. Le goût de la liberté domestique était trop grand, le métier de coureur d'héritage trop répandu, la position de l'homme sans enfants trop choyée, trop courtisée, trop enviée : on ne se mariait plus. Le mal était ancien ; les lois, depuis longtemps, cherchaient le remède[28]. Nous avons vu César occupé à le trouver. Le joug du mariage n'était pourtant pas bien lourd : on quittait, on reprenait à son gré sa femme ou son mari. César et Auguste furent mariés ainsi chacun trois fois ; Pompée eut cinq femmes. Mais le divorce a toujours été le plus grand ennemi du mariage ; la nature humaine se résigne mieux à une loi plus sévère parce que cette loi est immuable. Le joug conjugal était devenu plus commode ; mais on trouvait plus commode encore de s'en affranchir tout à fait, d'avoir, au lieu d'héritiers nécessaires, comme disait la loi, de commensaux inévitables, des héritiers éventuels, des parasites, des courtisans[29]. Et vers la fin de son règne (762), quand Auguste rassembla les chevaliers romains et sépara les célibataires des gens mariés, il resta épouvanté du petit nombre de ceux-ci[30].

Il n'avait pourtant rien oublié pour réhabiliter le mariage : don de 1.000 sesterces par enfant à des citoyens pères d'une nombreuse famille ; aggravation de l'amende imposée aux célibataires ; obstacles au divorce ; interdiction des fiançailles prématurées — avant cette loi, Agrippine avait été fiancée dès l'âge d'un an — ; garantie donnée aux femmes par l'inaliénabilité de la dot[31] ; peines contre la séduction ; peine d'exil et de confiscation contre l'adultère ; devoir imposé au mari, sous peine d'être jugé comme entremetteur de corruption (lenocinii), de répudier, de dénoncer, de poursuivre sa femme coupable, qui, du reste, pouvait être accusée, et par son père, et par d'autres ; droit de mort sur le séducteur, donné au mari, donné au père, pourvu que le père en même temps n'épargnât pas sa propre fille[32].

Auguste alors, dans sa colère, proclame la loi depuis longtemps méditée, mais pour laquelle il avait attendu le plein affermissement de sa puissance, sa loi Papia Poppæa. D'après cette loi, le mariage est une charge publique, un impôt qu'on doit à l'État ; le veuvage même ne doit pas être trop long, en dépit de l'ancienne morale qui n'aimait pas les secondes noces et honorait la femme d'un seul époux (univira). — Quiconque, à 25 ans, ne sera pas encore marié ; quiconque, veuf ou divorcé, ne sera pas remarié au bout de la courte vacance que la loi lui donne — c'était pour les femmes 2 ans après la mort, 18 mois après le divorce[33] — ; quiconque enfin se sera marié seulement à l'âge auquel le mariage est déclaré tardif — 60 ans pour les hommes, 50 pour les femmes —, est réputé célibataire et puni comme tel. Il ne peut recueillir ni hérédité testamentaire, ni legs, ni succession, si ce n'est de ses parents les plus proches. S'il veut hériter, il n'a qu'à se marier bien vite ; on lui donne, pour prendre son parti, 100 jours à compter de l'ouverture de la succession. —Mais croyez-vous l'homme marié à l'abri des rigueurs de la loi ? Non ; à 25 ans pour les hommes, à 20 ans pour les femmes, la loi exige des enfants ; sinon, mari et femme ne peuvent se donner l'un à l'autre que le dixième de leurs biens, et ne touchent que la moitié des legs qu'un étranger leur laisse. — Au contraire, le père de famille est l'heureux du siècle : legs, successions, hérédités, lui appartiennent ; il recueille la part de ses cohéritiers célibataires ; sa femme et lui peuvent disposer l'un pour l'autre de toute leur fortune ; il a le pas dans les cérémonies, la place d'honneur au théâtre ; chaque enfant le dispense d'une année d'âge pour les magistratures. Et s'il a trois enfants — 3 à Rome, 4 en Italie, 5 dans les provinces —, c'est alors qu'il devient le favori de la loi, le monarque de la civilisation ; la république l'accable de ses privilèges, l'affranchit des charges publiques, le dispense des tutelles, lui donne une double part dans les frumentations, le préfère dans la nomination aux emplois. —Quatre enfants font échapper la femme affranchie à la tutelle de son patron ; trois enfants donnent à la patronne l'héritage de son affranchi. Le Latin qui présente au magistrat un fils âgé d'un an et déclare s'être marié pour avoir des enfants devient citoyen romain[34] ; le sénateur qui a la plus nombreuse famille opine le premier au sénat. — Auguste, en un mot, déclare aux célibataires obstinés que sa patience est épuisée. Il a tout fait pour leur faciliter le mariage, leur a permis d'épouser même des affranchies, a autorisé ce mariage de la main gauche (concubinatus) par lequel on échappe à certaines prohibitions légales[35] ; il leur a déjà donné trois ans, puis deux ans de délai pour chercher femme : il leur accorde un an encore ; mais au bout de ce terme, il sera sans pitié. D'ailleurs, le fisc et ses émissaires, les délateurs, auxquels la loi promet une forte part des sommes qu'ils rapporteront au trésor, gardes vigilants, épieront leur proie. — La délation et la fiscalité arrivent au bout de toutes les institutions impériales. Quelle devait donc être la haine de ce siècle pour le mariage, quand le législateur en venait à de telles promesses et à de telles menaces[36] !

Ainsi Auguste voulait-il sérieusement se faire Romain. Les temples se relevaient, les collèges de prêtres étaient enrichis ; les fêtes oubliées remises en honneur. Le tyran Auguste était antiquaire et amateur de vieux bouquins, cherchant partout, dans les poudreuses annales de la république, quelque chose d'édifiant pour ses Romains dégénérés : tantôt lisant au sénat le discours de Metellus de Prole augenda ; preuve, hélas ! que les anciennes mœurs étaient bien anciennes, et que depuis si longtemps on se lamentait sur leur décadence : tantôt retrouvant de vieux préceptes et de sages maximes, qu'il adressait à ses généraux, à ses magistrats, à ses préfets ; et il écrivait sur la table d'airain où il rendait compte de sa vie publique : J'ai proposé à la république les exemples oubliés de nos aïeux[37]. Si quelqu'un dans Rome était Romain, c'était lui.

Vous étonnerez-vous donc qu'il évoquât sans inquiétude les souvenirs de sa liberté ? qu'il laissât Horace maudire la guerre civile, maudire le triumvirat[38], chanter le noble trépas et l'atroce courage de Caton ; que Virgile mit dans le Tartare celui qui a vendu sa patrie pour de l'or et lui a donné un maître puissant, celui qui a fait et refait les lois pour de l'argent[39] et qu'au contraire il mit Caton aux Champs-Élysées, à la tête des justes[40], et qu'auprès de l'apothéose de ce républicain il y eût un reproche pour César[41] ; que Tite-Live ne dissimulât pas ses sympathies pour la liberté aristocratique de l'ancienne Rome, et que le tyran son maitre se contentât en riant de l'appeler Pompéien[42] ; qu'Auguste lui-même fit l'éloge de Caton, et déclarât bon citoyen et honnête homme celui qui maintient l'ordre de choses établi[43] ? Faut-il s'en étonner ? Était-ce Auguste qui avait abattu la vieille Rome ? Auguste, à vrai dire, avait-il à défendre le parti de César ?

Aussi voyez comme sa littérature officielle est bien romaine ! Quel élan religieux et national ! Quel concert de louange, d'espérance, de morale et de sentimentalité romaine, enfanté par tous les lauréats du mont Palatin, par toute la cour poétique de César ! L'un de ses poètes chante l'agriculture des vieux Sabins, l'autre les fastes de la Rome quirinale, celui-ci tout le fatras mythologique des origines romaines ; leur poésie vient en aide à sa politique. Pas une loi en faveur du mariage et des bonnes mœurs qui ne soit inaugurée par un chant du libertin Ovide ou du célibataire Horace : tous sont de pieux Romains à genoux devant les dieux pour leur demander le retour aux anciennes mœurs ; tous des agriculteurs passionnés, prêts à ressusciter, s'ils le pouvaient faire, cette vieille race de paysans et de soldats qui remuait avec la charrue la lourde terre des Sabins. Rétablis donc, chantent ces poètes, ô fils de Romulus, si tu ne veux expier, innocent, les crimes de tes ancêtres, rétablis les temples écroulés de tes dieux et leurs statues noircies de fumée ! Soumis aux dieux, tu règnes sur le monde ; oubliant les dieux, tu as appelé des maux affreux sur la malheureuse Italie... Erycine, riante Vénus, mère de notre César ; chaste Diane, toi qui donnes de glorieux enfants aux épouses fidèles ; Apollon, dieu du soleil, puisses-tu, dans ta course, ne voir rien de plus beau que notre Rome ! Dieux puissants, si Rome est votre ouvrage, donnez des mœurs pures à la docile jeunesse ; à la vieillesse, donnez un paisible repos ; aux fils de Romulus, donnez la puissance, la fécondité et la gloire... Déjà la foi, déjà la paix, déjà la bienséance et l'antique pudeur reviennent parmi nous avec là vertu si longtemps négligée ; les maisons sont devenues chastes, il n'y a plus d'adultères ; les lois et les mœurs ont détruit l'infâme débauche ; la peine s'attache à la faute et marche sur ses pas ; les mères se glorifient d'enfants semblables à leurs époux[44].

Ces phrases de poètes avaient leur côté sérieux ; un homme sérieux les inspirait. Ne médisons pas trop de la politique d'Auguste ; elle donna au monde quarante-cinq ans de paix et d'équilibre. Elle ne fut donc ni si mal entendue, ni si malheureuse. Quelle politique humaine a le bras assez long pour qu'un demi-siècle ne soit pas pour elle une éternité ?

Et cependant elle sentait déjà ses résultats lui échapper. Ces mêmes poètes nous peignent l'Italie, à côté des magnificences de Rome, appauvrie par le stérile agrandissement de quelques fortunes ; le palais et le parc du riche, ses champs de violettes, ses jardins de myrtes et de platanes envahissant la terre du pauvre ; l'humble client[45] s'enfuyant, ses pauvres pénates entre ses bras, avec sa femme et ses enfants en haillons ; une foule de villes jadis florissantes, détruites et inhabitées ; nulle trace ni de la langue, ni du costume, ni des mœurs des anciens peuples.

De là, comme auparavant, — les importations inévitables de blé étranger : elles montèrent, sous Auguste, à 60 millions de boisseaux (900.000 hectol. environ) par an ; c'était à peu près la consommation de Rome[46]. — Comme auparavant Rome, encombrée d'habitants, parce que là seulement on trouvait à vivre : Auguste ouvrit un troisième Forum à cette population toujours croissante ; César avait réduit le nombre des frumentaires à 150.000 ; sous Auguste, il remonte à 200 ou 350.000[47]. — Comme auparavant, des craintes perpétuelles, des disettes fréquentes, des séditions à Rome, l'expulsion des étrangers : dans une grande famine, où le modius (8 litres et demi environ) de blé se vendit 27 deniers et demi (22 fr.), Auguste chasse de Rome tous les gladiateurs, tous les esclaves à vendre, tous les étrangers, à l'exception des professeurs et des artistes, un grand nombre d'esclaves, et même de ses propres esclaves[48]. — Comme auparavant enfin, la population servile ne cesse de s'accroître, épouvante et menace la population libre, instrument maniable à toutes les factions, dangereux auxiliaire de tous ceux qui veulent conspirer[49].

Malgré l'augmentation du nombre des citoyens, l'Italie demeure privée de défenseurs. A la nouvelle d'un soulèvement des Dalmates, Auguste, forcé d'armer les affranchis, déclare que, s'il n'y est pourvu par de promptes mesures, l'ennemi sera dans dix jours aux portes de Rome.

A la défaite de Varus, Auguste pleure et s'arrache les cheveux, parce qu'il voit déjà les Germains sur les Alpes, prêts à descendre sur l'Italie sans défense[50]. Trois fois il est obligé d'armer les esclaves[51] ; une garde municipale, composée d'affranchis, veille pour la sûreté de Rome. Qui pourrait aujourd'hui, s'écrie Tite-Live, comme dans les anciens temps de la république, lever dans Rome seule une armée de 45.000 citoyens[52] ? Plus tard, dans une lettre remarquable au sénat, Tibère résumera très-bien les trois grandes plaies de l'empire : l'étendue des propriétés inutiles (villarum infinita spatia), le nombre immense des esclaves (servorum nationes), l'insuffisance de l'Italie à sa propre nourriture[53].

Voilà pour l'état matériel. — Dans l'ordre politique, il semble que rien de romain ne se trouve plus dans Rome, et comme un signe que l'ancienne discipline s'écroule, les deux derniers censeurs ont vu leurs sièges se briser sous eux. Faut-il des tribuns, des questeurs ? personne ne se soucie de le devenir ; l'édilité est un honneur trop coûteux, il n'y a plus de candidat. Faut-il devenir sénateur ? nul ne s'en soucie ; on quitte même le sénat après y avoir siégé ; on se dit infirme, on se dit pauvre. Auguste en est réduit à juger lui-même les infirmités, à examiner lui-même les fortunes, à envoyer d'autorité au sénat tout homme de moins de trente-cinq ans, valide et remplissant les conditions requises, comme on déclare un conscrit bon pour le service. Auguste est essentiellement le républicain de son empire, et soutient seul les magistratures gratuites de la république[54]. S'agit-il de nommer une vestale ? personne ne présente sa fille ; Auguste, obligé de descendre jusqu'aux filles d'affranchis, jure que si ses petites-filles n'eussent point passé l'âge, il les offrirait : Julie, observe Crevier, eût fait une étrange vestale. Auguste cherche-t-il un flamen pour son cousin Jupiter — sorte de sacerdoce qu'environnait un caractère remarquable de pureté religieuse et de symbolisme pythagorique — ? les Romains savent prévoir de loin tous les dangers : comme le fils flamen ou la fille vestale sort de la main paternelle, c'est-à-dire peut tester, succéder, recueillir des legs pour son propre compte et non au profit paternel, nul ne se soucie de ces hautes. dignités pour ses enfants — voyez dans chaque coin des mœurs romaines cette arrière-pensée de testament et de legs —. Or, comme d'un autre côté nul ne devient flamen ou vestale s'il n'est issu d'un mariage contracté avec toutes les formes religieuses (confarreatio), le mariage religieux tombe en désuétude, et on ne s'expose pas à mettre au monde des enfants dignes de ces honneurs sacerdotaux[55]. En un mot, toutes les lois sont si impuissantes qu'on a vu un jour Auguste s'éloigner de Rome, parce qu'il avait, disait-il, ou comme prince ou comme censeur, trop à châtier[56].

En même temps encore, bien que César fasse tout au. monde pour honorer ses confrères, les dieux de l'Olympe, son siècle persiste malgré César à ne vouloir adorer d'autre divinité que la sienne. César défend qu'on lui élève des temples à Rome : au moins s'en élèvera-t-il de toutes parts dans les provinces[57]. César ne veut être adoré que de concert avec la déesse Rome ; A Rome et à César est la seule formule qu'il permette : mais sa divinité dont il cherche à modérer l'excès, l'empire ne demande qu'à l'agrandir. Naples, Pergame, Nicomédie, lui consacrent des temples, des pontifes, des jeux ; Alexandrie, non un temple, mais une ville entière, portiques, bois sacrés, bibliothèques, vestibules, promenades. Le demi-païen Hérode lui élève des statues et des autels, lui donne des jeux dans Jérusalem[58]. Il se fait entre les rois ses sujets une souscription pour achever en l'honneur du génie d'Auguste le temple commencé à Athènes en l'honneur de Jupiter Olympien[59]. Enfin Auguste n'a plus qu'un moyen de faire adorer les autres dieux, c'est de les associer à sa grandeur : il loge chez lui sa cousine Vesta, et Apollon garde son antichambre[60].

Mais quant à la fameuse loi des mariages, — Rome, qui se passe fort bien des libertés républicaines, est prête à faire une révolution pour la liberté du célibat. En plein théâtre, les chevaliers interpellent Auguste et le somment d'abroger sa loi ; ils lui citent fièrement l'exemple des vestales : Si vous vous autorisez de leur exemple, vivez comme elles, leur dit-il ; puis il leur montre les fils de Germanicus, l'orgueil de sa famille et l'espoir de l'empire. Il fallut cependant concéder quelque chose aux plaintes du sénat, qui n'acceptait ni la pureté des vestales, ni la chaste paternité de Germanicus.

Cette loi contre le célibat, fortifiée par de telles peines, sanctionnée par de telles récompenses, que jamais plus belles, disait Auguste, n'avaient été proposées à la vertu, fut une preuve (parmi tant d'autres), de l'impuissance des pouvoirs publics contre les mœurs. Un peu plus tard, et quand nous aurons parcouru la vie d'une génération, nous reviendrons sur cette œuvre de la législation augustale, et nous examinerons ce qu'elle avait produit ou laissé naître. Mais voyez déjà combien le pouvoir est peu de chose ! combien il est vrai qu'il n'y a ni un temps ni un pays qui ne sache, quand il le faut, s'insurger s'il est attaqué dans ses goûts ou dans ses vices ? Cette loi d'Auguste contre le célibat portait le nom de deux consuls célibataires. Son admirable parasite, son poète Horace, a bien pu chanter la loi maritale[61], déplorer ce siècle fécond en crimes, qui avait souillé les mariages, les familles, le vieux sang romain ; il a bien pu chanter Rome, ramenée tout à coup à l'âge d'or par la loi Papia Poppæa : mais sa complaisance pour Auguste n'est pas allée au delà des paroles ; il n'en reste pas moins célibataire, et, tout en louant l'austère vertu des femmes germaines qui ne se fient pas à un brillant séducteur, il n'en chante pas moins ces filles de l'Asie, dont Rome était pleine, et pour qui l'épouse à peine mariée était abandonnée par son époux.

Et Auguste lui-même, ce réformateur de la vie publique, ce préfet des mœurs (magister morurn), comme il s'était fait appeler solennellement, ne savait-on pas ses mariages et ses divorces ? N'applaudissait-on pas au théâtre à des allusions contre ses mœurs ? Ne savait-on pas les infamies de sa jeunesse ? Ne lisait-on pas les illisibles reproches qu'Antoine lui adresse dans une lettre presque amicale ? Ne savait-on pas que sa vieillesse elle-même était souillée, et que Livie se faisait l'ignoble ministre de ses débauches[62] ? Dans le sénat même, à son tribunal, les plaintes qu'on lui portait contre le désordre des mœurs, les questions qu'on lui faisait, ne prenaient-i elles pas souvent une forme embarrassante pour ses souvenirs ? Ne se rappelait-on pas que ce pieux restaurateur de la religion avait figuré Apollon dans une farce où ses amis et ses courtisans avaient représenté tout l'Olympe ?

Enfin, tandis qu'Auguste, vieux et achevant un règne d'une durée et d'une prospérité inouïes dans l'antiquité, travaillait ainsi à la réforme des mœurs ; quels noms répétait la foule au théâtre, quels noms lisait-elle affichés au Forum ? Ceux des amants des deux Julie, sa petite-fille et sa fille. Leurs désordres étaient publics, qu'Auguste les ignorait encore. C'étaient elles pourtant qu'il avait élevées, comme d'antiques Romaines, à filer la laine et à rester à la maison (domi mansit, lanam fecit) ; c'étaient elles dont il avait fait consigner dans un journal toutes les actions et toutes les paroles, afin qu'elles apprissent à les régler ; éloignant tellement d'elles les étrangers, qu'il écrivait à un jeune noble : Tu as commis une indiscrétion en allant visiter ma fille à Baia. Ses petits-fils avaient reçu de lui-même leur première instruction, y compris la natation et l'alphabet ; il s'était même attaché (chose bizarre !) à ce qu'ils sussent contrefaire son écriture. Il ne soupait jamais sans les avoir assis à ses pieds ; en route ils marchaient devant lui, ou se tenaient à cheval auprès de sa litière. Par des adoptions, par des divorces, par des mariages, tout-puissant dans sa famille comme dans la république, il avait arrangé à loisir et en toute satisfaction les combinaisons de sa dynastie.

Mais il était dit qu'Auguste expierait sur la terre, sinon toutes ses fautes, au moins le mépris que lui-même avait fait du lien nuptial. L'amour conjugal, comme l'amour adultère, n'avait été chez lui que le très-humble serviteur de la politique. Nous avons dit plus haut le scandale de son double divorce et de son triple mariage. Or, ce qu'il avait fait pour son propre compte, il le faisait faire à sa propre famille. Ainsi il donne à Antoine sa sœur Octavie enceinte et encore en deuil de son premier. époux ; il donne sa nièce Marcella à Agrippa, sa fille Julie à Marcellus son neveu. Puis, Marcellus étant mort, il veut maintenant qu'Agrippa épouse Julie, et bon gré mal gré, Marcella sera répudiée. Puis Agrippa lui-même vient à mourir ; alors nouveau divorce, nouveau mariage ménagé pour Julie : Tibère, fils de Livie, répudiera sa femme et deviendra le troisième mari de la fille d'Auguste. — Sans doute, les vieilles mœurs romaines étaient depuis longtemps effacées ; mais on ne s'était jamais joué si impudemment, même à cette époque de décadence morale, de ce qu'il y a de sacré dans le mariage, de ce qu'il y a de tendre et de vénérable dans le cœur de l'homme, de tout ce qu'il y a de respectable dans ses serments, dans ses affections et dans sa liberté. Il eût fallu plus qu'une loi Papia Poppæa pour qu'Auguste, législateur, réparât le mal qu'avait fait à la société, par son exemple, Auguste père de famille et homme privé.

Mais le châtiment ne se fit pas attendre. Ce qu'Auguste poursuivait par ces mariages et ces divorces répétés, c'était la fusion en une seule famille de la postérité de Livie et de la sienne. Son vœu fut trompé ; loin de s'unir, elles se firent la guerre ; ou plutôt la postérité d'Auguste resta victime et de ses propres désordres et de la haine que lui portèrent Livie et le fils de Livie. A la première génération, cette Julie, mariée à Tibère, malgré lui et malgré elle, s'éloigne de cet époux morose et irrité, se jette dans d'incroyables débauches, est exilée par son père, et, dès le jour où son mari est maitre de l'empire, est mise à mort par son mari. La génération suivante, les enfants de Julie et d'Agrippa, ne sont pas plus heureux : parmi eux, une fille, appelée Julie comme sa mère, partage les désordres et la condamnation de sa mère. Deux fils d'Agrippa, adoptés par Auguste, désignés pour ses héritiers, appelés par suite de cette désignation Caïus et Julius Césars, meurent à dix-huit mois de distance (755-757), non sans un soupçon d'empoisonnement que l'on prétend faire remonter à Livie. Un troisième fils, Agrippa, adopté, lui aussi, par Auguste après la mort de son frère (757), témoigne d'une nature tellement farouche et indocile que son père adoptif est réduit à l'exiler et à le faire enfermer. Un peu plus tard, son beau-père, Tibère, à peine empereur, devait le faire tuer dans sa prison. C'est ainsi que succomba par la mort ou par la honte la postérité d'Auguste, pour laisser arriver au pouvoir la postérité de Livie réduite au seul Tibère.

Ces douleurs et ces humiliations assombrirent profondément les seize dernières années du règne d'Auguste. Son palais se remplissait de honte et même de sang. Après la mort de ses deux petits-fils, il lui fallut disgracier et voir périr par le suicide l'homme qu'il avait mis auprès de l'un d'eux pour conseiller et pour guide. En même temps qu'il exilait le jeune Agrippa, il était obligé de mettre à mort un de ses plus chers affranchis qui avait séduit des femmes romaines. Mais rien ne l'accabla comme les désordres des deux Julie ; il s'en plaignit au sénat, non par lui-même, mais par une lettre dont il chargea un questeur (an 752) ; il n'osa se montrer au dehors ; il pensa faire mourir sa fille ; elle avait une affranchie qui, compromise dans les désordres de sa maîtresse, se pendit de désespoir : Que n'étais-je plutôt, disait Auguste, le père de cette Phébé ! Cette Julie fut reléguée dans une île où sa mère voulut la suivre ; — cette mère était Scribonia, qui avait été pendant deux ans la femme d'Auguste, et qui avait été répudiée, trente-huit ans auparavant, le jour où elle devenait mère — ; trois générations, femme, fille et petite-fille d'Auguste, partirent ainsi pour l'exil. Dans cet exil, Julie fut privée, par ordre de son père, de tout bien-être dans sa vie, de toute communication avec le dehors ; il fallait, avant qu'il l'autorisât à voir personne, qu'on lui donnât le signalement du visiteur, tant il craignait qu'un de ses amants n'arrivât jusqu'à elle. L'autre Julie, la petite-fille d'Auguste, après sa condamnation eut un enfant ; le prince défendit qu'on l'élevât. Ces deux femmes et Agrippa étaient l'objet de sa perpétuelle douleur : il n'y pensait pas sans s'écrier avec le paie :

Mieux vaut vivre sans épouse et mourir sans enfants ![63]

Il eut soin, par son testament, de les exclure d'avance de son tombeau ; et quand le peuple, moins sévère et moins romain que lui, osa, après cinq ans, demander leur rappel, il lui répondit par cette imprécation : Je vous souhaite de pareilles femmes et de pareilles filles.

Ainsi, entre les intrigues de la vieille Livie — cet Ulysse en jupons, comme l'appelait son petit-fils Caligula[64] —, et la sombre ambition de. son fils Tibère, s'achevait tristement le règne long et puissant d'Auguste. César et Auguste avaient poussé tour à tour trop loin deux principes contraires. César, dans l'ardeur de la lutte, avait trop oublié ce que la vieille Rome avait encore de force et de puissance ; vainqueur, il s'en souvint. Auguste s'en souvint bien mieux encore, peut-être trop ; et ses derniers conseils à son successeur furent — de ne pas prodiguer le droit de cité, — de ne pas laisser les affranchissements se multiplier, — d'appeler autant d'hommes que possible à prendre part à l'administration ; en un mot, de demeurer autant que possible Romain et républicain[65].

Et en effet, que pouvait-il faire et quelle force pouvait-il trouver hors de ce nom et de ce génie romain, la seule grande chose qui fût alors au monde ? Les combinaisons d'origine et de position qui avaient donné son originalité essentielle à une petite peuplade italienne campée dans les marais du Tibre avaient certainement produit un des plus merveilleux phénomènes de la nature humaine. La forme gouvernementale la plus puissante pour imprimer aux choses un caractère de grandeur, d'accroissement et de durée, c'est-à-dire une aristocratie, une, forte, héréditaire, mais en même temps sans cesse rafraîchie et renouvelée dans les rangs du peuple, était née de ce caractère, si un et si homogène à lui-même, mais doué aussi d'une telle force d'expansion et d'absorption. li y a eu quelque chose de cela dans l'aristocratie d'Angleterre, dans la noblesse de Venise, dans le sénat de Berne, institutions qui ont été d'une longue vie et d'une grande puissance, parce qu'elles ont eu l'unité de l'être humain sans avoir sa courte durée.

Ce sénat, en effet, si abaissé au temps même d'Auguste, se sentait toujours l'héritier de l'aristocratie ancienne, et par la puissance des souvenirs savait encore se faire révérer. Ce peuple lui-même si vil, si frivole, si dégénéré, ce peuple du cirque et du théâtre, voulait être encore le peuple-roi ; il se révoltait parfois, commandait aux Césars, les sifflait ou les applaudissait comme des acteurs, leur notifiait ses volontés entre les facéties d'un bouffon et les combats des gladiateurs, et, chassé du Forum, régnait au théâtre. Ces légions — objet digne d'une étude toute particulière — formaient dans le peuple un peuple à part et bien autrement romain, qui avait une foi et un culte, le culte de ses aigles, auxquelles on offrait des sacrifices ; cette armée, où l'on servait souvent toute sa vie, était une véritable nation militaire, d'où sortirent jusqu'aux derniers jours de l'empire des hommes de trempe romaine, des Probus, des Stilicon, hommes rudes, sévères, antiques, souvent d'origine barbare, mais Romains de cœur. Enfin les provinces elles-mêmes, frappées de tant de grandeur et de souvenirs, voyaient moins avec haine qu'avec envie, crainte et admiration, l'édifice de la cité romaine, et songeaient, non à le détruire, mais à y pénétrer. Cette puissance des souvenirs, ravivée par les institutions d'Auguste, appuyée par la forte constitution administrative qu'il sut donner à son empire, le fit vivre pendant quatre siècles. Il eut la gloire, bien rare dans les annales humaines, de prolonger pendant quatre cents ans, une décrépitude qui, de son temps, semblait désespérée, et de faire durer au delà de toutes les limites qu'on lui eût raisonnablement assignées, cet arbre sans racine qui ne semblait se soutenir que par son propre poids. Il y avait eu en Rome une telle force de durée et de vie, et elle se trouva aidée par une main si intelligente, que, malgré tant d'ennemis, malgré les barbares, malgré les peuples de l'empire, malgré des luttes intestines qui semblaient faites pour tout détruire, sans l'aristocratie qui avait été sa base, sans le patriotisme qui avait été son mobile, sans le souffle qui l'avait animée à ses anciens jours, la vieille Rome subsista, et, après une vie historique plus longue que celle d'aucun peuple païen, légua au moyen âge ses monuments, sa langue, son droit, et sa cité une seconde fois maîtresse du monde.

La destinée d'Auguste est une des plus complètes que le monde ait vues ; souverain libre et paisible de l'univers civilisé, il vécut ce qu'il fallait de temps pour voir une génération nouvelle, ignorante des souvenirs anciens, succéder à la génération que Pharsale et Actium avaient décimée. Son règne fut un temps de repos entre la guerre civile et les tyrans, un moment où les anciens partis disparurent sans qu'il s'en formât de nouveaux, où tous les peuples conquis acceptèrent la conquête, où tous les peuples barbares du dehors furent repoussés. Le monde s'élargissait ; à l'heure même où l'Occident devenait un sous la main d'Auguste, l'extrême Orient, la Chine, partagée entre plusieurs principautés, devenait un sous la dynastie des Hans. Rome recevait déjà par des intermédiaires la soie de l'Empire du milieu, et la connaissance des moussons rendait plus rapides les communications entre ces deux civilisations et ces deux empires[66]. Et enfin, comme si le monde eût senti le besoin du repos, pour se préparer à un nouvel ordre de destinées, comme s'il avait voulu saluer avec Virgile le nouvel âge sibyllin et les mois de la grande année qui allait naître, Auguste ferma pour la seconde fois le temple de Janus (an 746), et Dieu, au moment de donner au monde celui que les prophètes ont appelé le Prince de la paix, étendit sur tout l'Occident civilisé une paix que les siècles n'avaient point connue.

Au milieu de celte gloire, bien assombrie cependant par les douleurs des dernières années, Auguste naviguait doucement entre les îles du golfe de Naples — bien plus beau, alors que le Vésuve ne jetait pas de lave sur ses rivages —, il se reposait dans ces brillantes cités, écoutait des flatteries et des poèmes, voyait avec une douce joie de vieillard folâtrer la jeunesse grecque dans ses gymnases ; il était causant, riant, plein de gaieté : lorsque la maladie vint le surprendre à Nole. Cette maladie était-elle dans l'ordre de la nature ? ou faut-il croire à ces rumeurs de la postérité qui ont accusé ici Livie, comme elles l'ont accusée et de la mort des deux jeunes Césars, et de la mort même de son propre fils Drusus ? Certes, le soupçon d'empoisonnement s'est souvent introduit dans l'histoire bien facilement et bien légèrement. Mais on ajoutait — c'est Tacite qui parle, c'est-à-dire un des historiens les plus consciencieux de l'antiquité —, on ajoutait que, peu de mois auparavant, Auguste, avec un seul compagnon, et sans confier cette démarche à d'autres qu'à des confidents choisis, s'était fait porter dans l'île de Planasia (Pianosa), où était relégué Agrippa, son petit-fils ; qu'il y avait eu là des larmes, des signes de tendresse, une espérance donnée de retour au toit paternel ; que Fabius Maximus, seul compagnon du prince, avait parlé de cette visite à sa femme Marcia ; que Livie, puis César avaient eu connaissance de cette indiscrétion ; que peu après Maximus était mort — naturellement ou non ? on ne le savait pas —, et qu'on avait entendu. Marcia, dans sa douleur, s'accuser d'avoir été la cause de la mort de son mari. Quoi qu'il en soit, Tibère, parti depuis peu et à peine arrivé en Illyrie, fut rappelé en toute hâte par une lettre de sa mère. On ne sait s'il trouva à Nole Auguste encore vivant ; car Livie faisait garder avec une vigilance sévère la maison du prince et ses alentours. De temps en temps on répandait de meilleures nouvelles, jusqu'au moment où, toutes les mesures de précaution étant prises, on annonça en même temps qu'Auguste était mort et que Néron (Tibère) régnait[67].

Livie en venait ainsi à ses fins, à faire passer à son cher fils Tibère, ce pouvoir sans nom et sans loi qui avait reposé dans les mains d'Auguste, et pour lequel nul successeur n'était assuré. Triste succès et pour le monde et pour elle-même ! Livie pour Tibère, comme plus tard Agrippine pour Néron, est une de ces femmes qui, pour faire la fortune d'un fils, sont allées jusqu'au crime, et que ce fils lui-même, ou par son ingratitude, ou par son crime, en a punies.

On conçoit d'après ce qui précède, que les détails qu'on nous donne sur les derniers moments d'Auguste ne peuvent avoir une entière certitude. On s'accorde cependant à dire que, lorsque la douleur l'avertit que sa mort était prochaine, il prit un miroir, s'arrangea les cheveux, et, tourné vers ses amis, leur dit comme les acteurs à la lin du spectacle : N'ai-je pas bien joué le mime de la vie ? Montrez-vous contents et applaudissez. On trouva pour un million de sesterces un sénateur qui jura avoir vu son âme monter au ciel (19 août 767, an de J.-C. 14)[68].

Ce règne, qui fonda l'empire romain, a été et sera toujours diversement apprécié. Les peuples, qui ne jugent guère que par le succès, ont vu la fondation d'une grande monarchie, prospère et paisible tant qu'elle a été entre les mains de son fondateur, et ne se sont pas autrement inquiétés des moyens, bons ou mauvais, honnêtes ou déloyaux, pacifiques ou violents, par lesquels ce résultat avait été obtenu. Les esprits politiques, au contraire, qui veulent juger de toutes choses d'après des principes arrêtés à l'avance, n'ont pas pardonné à Auguste la destruction de la république et des lois, avant lui déjà si affaiblies, et ne se demandent peut-être pas assez comment ces lois et cette république avaient vécu et comment elles pouvaient revivre. Mais le moraliste et le moraliste chrétien est accoutumé, lui, à apprécier les actions humaines, non d'après leur résultat qui ne dépend pas de la volonté, non d'après leur but qui n'est que le tort ou le mérite de l'esprit, mais d'après les moyens employés sur lesquels la conscience a dû se prononcer. Il constate, il est vrai, la prospérité relative, la liberté poussée peut-être à la mesure du possible dont l'empire de Rome a joui sous Auguste devenu maitre du monde ; mais il ne pardonne pas pour cela à Octave les perfidies de la guerre civile, les cruautés des proscriptions, l'immoralité de sa vie domestique. Il peut savoir gré au vainqueur d'avoir usé modérément de sa victoire ; mais il ne l'absout point de sa victoire. Ce procédé, je l'avoue, est peu favorable aux vainqueurs ; car bien peu de victoires dans l'histoire du monde se sont accomplies sans fraude et sans cruauté.

Du reste, ce qui a fait dans la postérité la fortune du nom d'Auguste, ce sont surtout ses successeurs. On a béni l'empire d'Auguste parce qu'on a connu celui de Tibère. La politique d'Auguste est devenue un modèle depuis qu'on a vu la politique du fils de Livie. Dès lors Auguste est devenu le type du bon empereur ; ce type s'est imposé à un Titus et à un Trajan, et les a rendus probablement meilleurs qu'ils n'eussent été ; ce type a été, même pour un Marc-Aurèle, une instruction et un appui. Il est bon de croire à la vertu de ses devanciers, parce que c'est un moyen de ne pas imiter leurs vices.

Pour comprendre les empereurs romains, il faut avoir bien étudié Auguste et Tibère : le premier donna à l'empire sa forme politique et légale ; il en fit, pour ainsi dire, le droit public : le second lui donna sa puissance réelle, parce qu'abandonnant les traditions romaines et les tentatives de restauration auxquelles Auguste s'était attaché, il chercha ailleurs le fondement du pouvoir d'un seul. Tibère seul et sa politique rendent explicables l'incroyable puissance et l'incroyable folie de ses successeurs.

 

 

 



[1] Je ne crois pas me mettre en contradiction avec les ingénieux calculs par lesquels M. de la Malle détruit les exagérations de quelques savants sur la population et surtout la population servile de l'Italie. Ces calculs portent sur l'an de Rome 529. Or, depuis cette époque, la conquête du monde, les progrès du luxe, la concentration des biens, l'usage de la culture servile avaient dd étrangement multiplier le nombre des esclaves. D'un autre côté, tous les citoyens romains (il s'en fallait de beaucoup) n'habitaient pas l'Italie, et l'Italie se nourrissait en bonne partie de blé étranger : deux faits qui changent complètement les bases du calcul.

[2] On connaît l'énergique invective d'Horace contre Ménas, affranchi et amiral de Sextus Pompée, qui avait trahi trois ou quatre fois son patron pour Octave ou Octave pour son patron..... Toi qui portes sur tes flancs la trace du fouet d'Ibérie, à tes pieds la marque des entraves,... vois-tu, quand avec six aunes de toge tu balaies la voie Sacrée, les regards d'indignation qui viennent hardiment se fixer sur toi ? Quoi donc ! ce misérable, déchiré par le fouet des triumvirs jusqu'au point de lasser le crieur public, a maintenant mille jugères du territoire de Paterne, et ses coursiers piétinent la voie Appia ! Insolent chevalier, au mépris de la loi d'Othon, il s'assied au premier rang du théâtre. A quoi bon mener nos vaisseaux contre les brigands elles esclaves en révolte, quand cet homme-là, cet homme est notre tribun des soldats ? (Épode, 4.) Ailleurs, parlant de Sextus lui-même :

Minatus urbi vincla quæ detraxerat

Servis amicus perfidis.

[3] Philipp., II, 17, 39, 40 ; V, 2 ; VI, 12, 13.

[4] Suet., in Aug., 12.

[5] Églogue, I.

[6] Georg., I, 506. — Églogue, I.

[7] Sur cette vie des vétérans aux différentes époques, V. Salluste, Cat., 16, 18 Cicéron, in Catil., II, 9 ; Phil., XI, 9. Ils ont mieux aimé, dit Varron, fatiguer leurs mains au théâtre qu'à la charrue. (De Re rust., I, II, 9.)

[8] Dans Sénèque, Ep., 101.

Et la traduction de La Fontaine :

Mécénas fut un galant homme,

Il a dit quelque part, etc.

[9] Senec., de Providentia, I, 3, 9, 10 ; Ep., 19, 101, 114.

[10] V. quelques phrases de lui à peu près incompréhensibles à force d'afféterie. (Senec., Ep., 114.) Cette éloquence d'un homme ivre, dit Sénèque, embarrassée, vagabonde, pleine de licence.

[11] Surge tandem, carnifex !

[12] Dion, LII, 14-10.

[13] V. Suet., in Claud., 24

[14] En 725, censure d'Auguste et d'Agrippa ; en 732, de Lepidus et de Munatius Plancus. (Dion, LII, in fine ; LIII, in princ. ; LIV, in princ.)

[15] Lapis Ancyr., II. Et Tacite : Additis provinciarum validissimis, fesso imperio subventum, (Annal., XI, 23.)

[16] En 59. Dion, LV, 25 ; LVI, 28.

[17] Agros quos in consulatu meo quarto et postea consulibus M. et Cn. Lentulo augure (726, 736) adsignavi militibus solvi municipiis... sestertium circiter sexgensim (sexagies ?)... quod pro agris provincialibus solvi unus et solus omnium qui deduxerunt colonias militum in provincias ad memoriam ætatis meæ. (Lapis Ancyr., III.)

Pour quelques terres incultes, la colonie de Capoue reçoit en échange un aqueduc et un revenu en Crète de 1.200.000 sesterces (Velleius, II, 81. Dion.)

[18] Lapis Ancyr. (Ibid.) Suet., in Aug., 46. Frontin, de Coloniis, nomme 30 colonies d'Auguste et 4 de Drusus, son fils adoptif.

[19] HORACE, Od., IV, 5.

[20] Suet., in August., 40-42.

[21] Loi Sénia (725). Dion, LII, in fine ; Tacite, XI, 25.

[22] Suet., in Aug., 35, 38, 41. Dion, LII, in fine.

[23] Suet., in Aug., 38, 39.

[24] Magni existimans sincerum atque ab omni colluvie peregrini ac servilis sanguinis incorruptum servare populum.... (Suet., in Aug., 40.)

[25] Loi Furia Caninia, 751. Loi Ælia Sentia, 756. Loi Julia Norbana, 771 (sous Tibère). V. Suet., in Aug., 40 ; Dion, LV. Ulpien, Reg., I. Paul., Sent., IV, 14. Gaius, I, 13-47. Un curieux passage de Denys d'Halicarnasse (IV, 3) rappelle et justifie cette loi.

[26] Loi Julia de maritandis ordinibus, 734. Ulpien, Regul., 13, etc.

[27] V. Suet., in Aug., 40, 44.

[28] Dès l'an 350, amende contre les célibataires (æs uxorium). Val. Maxime, II, 9. Plut., in Camillo. — Au VIe siècle, les fils d'affranchis qui avaient un enfant mâle de cinq ans étaient admis dans les tribus rustiques, Tit.-Liv., XLV, 15. — En 650, primes en faveur du mariage ; la cité romaine accordée au Latin qui laissait un fils dans sa ville natale. — En 651, harangue de Metellus de Prole attenda, loi qui oblige au mariage, liberorum creandorum causa (Suet., in Aug., 89 ; Tit.-Liv., Epit., 59 ; Aulu-Gelle, I, 6.) En 695, la loi agraire de César n'accorde des terres qu'aux citoyens qui ont trois enfants. — 707, 710, diverses mesures de César que j'ai indiquées plus haut.

[29] Le noyer d'Ovide se plaint que les arbres et les femmes sont devenus stériles : le luxe a remplacé les arbres utiles par des arbres sans fruits, et le goût du luxe fait aussi que l'on redoute les charges de la paternité (Nux, elegia, 15 et s.)

[30] Dion, LVI.

[31] Lex Julia de Dotibus. Gaius, Instit., II, 62, 63. Paul, Sent., II, 21 B. § 2. D. de fundo dotali (XXIII, 5).

[32] Lex Julia de Adulteriis et de Pudicitia. V. Paul, Sent., II, 26 ; D. ad L. Jul. de Adultertis (XLVIII, 5) ; Code Justin., eod. titulo (IX, 9.). Suet., in Aug., 34 ; Pline, Ep., VI, 31 ; Horace, Ode, II, 5.

[33] D'après la loi Julia antérieure, un an après la mort et six mois après le divorce.

[34] D'après la loi Junia Norbana. Ulpien, Regul., III, 9. Gaius, Instit., I, 29.

[35] Digeste, 3, de Concubinis. (XXV, 7.)

[36] En 724, première tentative. Tacite, Ann., III, 28. Suet., 34 ; Propert., I, 6. — En 734, loi Julia de Maritandis ordinibus. Tacit., ibid., III, 28. Dion, LIV, 16. Suet., in Aug., 34. Horace, Od., IV, 15, Ep., 18. Carmen sæculare — Ulpien, Reg., 13-14. En 762, loi Papia Poppæa. Dion, LVI, 1-10. Suet., 34, 89. Tacit., Annal., III, 25, 28

V. sur ces lois en général : — parmi les précieux monuments du droit anté-justinien : Ulpien, Regul., 16, 17, 18, 22 (§ 19), 24 (§ 31), 27, 29 (§ 3 et suiv.) ; Gaius, II, 111, 114, 206 et suiv., 286 (III, 7.) — Dans le droit Justinien : Instit., de Successionibus libertorum, III, 42, § 2. Digeste eod. titulo (XXXVIII, 2). — Parmi les classiques : Dion, LIV, 16 ; LVI, 7 ; Gellius, I, 6 ; Il, 15 ; V, 19 ; Suet., in Aug., 34 ; in Claudio, 19, 23 ; Pline, Épit., VIII, 16 ; Juvénal, IX, 88 et suiv. ; Pline, Panégyr., 26 ; Tacit., Annal., XV, 19. — Parmi les modernes, Montesquieu, etc.

[37] Exempla majorum exolescentia jam ex (nostra republica) multarum rerum exempla imitanda (proposui). (Lapis Ancyranus.)

[38] Ode, II, 1. — Ode, I, 2. —  Épode, 7.

[39] Énéide, VI.

[40] ..... Et Catonis

Nobile lethum.....

Et cuncta terrarum subacta

Præter atrocem animum Catonis....

(HORACE)

Secretosque pios, bis dantem jure Catonem.

(Énéide, VI.)

Catilina, l'ennemi de la république, est maudit par Virgile :

..... Et te, Catilina, minaci

Pendentem scopulo furiarumque ora trementem.

[41] VIRGILE, Énéide, VI.

[42] V. Tacit., Annal., IV, 34.

[43] C'est ce qu'il dit en visitant une maison que Caton avait habitée, en réponse à un courtisan qui avait cru le flatter en faisant la satire de Caton. Macrob., Satir., II, 4.

[44] V. Horace, Od., III, 6, 24 ; IV, 4, 15. Carmen sæculare. Horace reconnaît ce qu'il y a de contradictoire dans sa vie et dans son langage. Il se le fait reprocher par son esclave, grâce à la liberté des Saturnales (Sat., VII.)

[45] HORACE, Od., II, 18. V. aussi II, 15.

[46] Josèphe, de Bello, II, 38. Aurelius Victor, Épit., I.

[47] Lapis Ancyr.

[48] En 759, Suet., in Aug., 42 ; Eusèbe, Chronic., 2022.

[49] Sous Tibère, soulèvement parmi les esclaves, les pâtres surtout. Rome trembla en pensant à la multitude toujours croissante des esclaves et à la diminution journalière de la population libre. Tacit., Annal., IV, 27. Tous les ennemis du prince sont soupçonnés de vouloir soulever les esclaves. Id., VI, 11 ; XII, 65 ; XV, 46 et ailleurs.

[50] Dion, LVI. Suet., in Aug., 24, an 762.

[51] En 716, il affranchit 20.000 esclaves pour en faire des rameurs contre Sextus Pompée. En 759 et 765, armement des esclaves et des affranchis contre les Dalmates. Dion, LV, 31 ; LVI, 23 ; Suet., 25. Pline (VII, 46) compte parmi les malheurs d'Auguste, serviliorurn delectus, inopia juventutis.

[52] VII, 25.

[53] Tacit., Annal., III, 53, 54.

[54] Dion, LIV, p. 540 (sur l'année 741).

[55] Tacite, Annal., IV, 16.

[56] Dion, LIV, p. 533 (an 738).

[57] Tacit., Annal., I, 10. Suétone, 52. Appien, de Bello civ., V, 132. — Inscription d'un Flamen Augusti, du vivant de ce prince. — A Pola : ROMAE ET AVGVST. Orelli, 606.

[58] Josèphe, Antiq. Jud., XV, 11 ; XVI, 9.

[59] Suet., in Aug., 60. — Monnaies IOVI OLYMPIO avec un temple à six colonnes.

[60] Et cum Cæsarea, tu Phœbe domestice, Vesta. (OVIDE, Métamorph.)

.....Cognati Vesta recepta est

Limine.....

Phœbus habet partem, Vestæ pars altera cessit.

Quod superest illis, tertius ille tulit. (ID., Fasti, IV.)

State, Palatinæ laurus, prætextaque quercu

Stet domus, æternos tres habet illa deos. (ID.)

Le même Ovide, après les deuils qui ont frappé la maison de César, dit qu'elle aurait dû être au-dessus des maux de l'humanité ; que, roi et gardien des hommes, César devrait, dans un inaccessible sanctuaire, être exempt de leurs douleurs, n'avoir à pleurer aucun des siens, ni être pleuré des siens, ni rien souffrir de ce que souffre le vulgaire. Ad Liviam, 59 et s.

César, le ciel t'est dû, et le palais d'où part la foudre doit te recevoir. (ibid., 21.)

..... Quand Drusus est mort, le Tibre a débordé. Ce sont les larmes du dieu-fleur et les efforts pour éteindre le bûcher et reprendre intact le corps de Drusus. (Ibid., 221.)

Et Horace :

Sertis in cœlum redeas.....

[61] Lege marita. Carmen sæcul.

[62] Suet., in Aug., 71.

[63] HOMÈRE, Iliade, III ; apud Suet., in Aug., 65.

[64] Ulyssem stolatum. Suétone, in Caligula, 23.

[65] Dion, LVI, p. 591.

[66] M. Reynaud, Relations politiques et commerciales de l'Empire romain, 1863.

[67] Tacit., Annal., I, 5.

[68] L'apothéose d'Auguste eut lieu le 17 septembre. (V. les calendriers anciens.) V. Tacite, I, 54. Dion, LVI, 46. Inscription de Tarragone : DEO AVGVSTO. Monnaies : DIVVS AVGVSTVS, — LVCV(s) AVGVSTI, — D. AVG. CONSENSV SENATVS ET EQ ORDINIS P Q P. — Son culte à Rome. Dion, VIII, 15. Pline, Hist. nat., XII, 42. — Son remplacement comme frère Arvale. Marini, Tab., I. Diverses inscriptions relatives au culte d'Auguste. Marini, 32. Orelli, 607 et s.