LES CÉSARS JUSQU'À NÉRON

 

JULES CÉSAR.

 

 

§ II. — CÉSAR ET SES COMMENCEMENTS JUSQU'À LA GUERRE CIVILE.

Ce que nous disions en dernier lieu fera comprendre César : il est patricien, le monde est plein d'opprimés, le combat est ouvert pour la royauté. Il dit fièrement dans l'oraison funèbre de sa tante : Mon aïeule était descendante d'Ancus-Martius, la tige des rois de Rome ; la gens Julia à laquelle appartient ma famille descend de Vénus : il y a donc dans notre famille et la sainteté des rois si puissants parmi les hommes, et la majesté des dieux qui sont maîtres des rois. Celui qui parle ainsi se contentera-t-il de la faveur d'un sénat d'anoblis ? Celui qui pleure au pied de la statue d'Alexandre, parce que Alexandre à son âge avait déjà conquis de grands royaumes ; celui qui dès sa plus tendre jeunesse, dit Suétone, ambitionna le souverain pouvoir ; qui, à la vue des querelles électorales d'une petite bourgade des Alpes, a dit ce joli mot d'une franche ambition : J'aimerais mieux être le premier ici que le second à Rome ; celui-là sera-t-il satisfait d'une lieutenance auprès de Pompée ? Il y a plus, sa naissance qui le rapproche des dieux, le rapproche du peuple : il est neveu de Marius.

A dix-sept ans, déjà fiancé, il a épousé une autre femme, que Sylla a voulu en vain lui faire répudier ; il s'est enfui devant la vengeance du dictateur, il s'est caché chez les paysans de la Sabine (alors un proscrit trouvait encore un asile), il a gagné à prix d'or un espion qui allait l'arrêter. Ses amis, les vestales, toute la noblesse, intercèdent pour lui auprès de Sylla ; le dictateur est vaincu par la fortune de César. Vous le voulez, dit-il, gardez-le, mais il vous perdra. Je vois en cet enfant plusieurs Marius (672).

Peu sûr de ce pardon, César est allé en Asie faire l'apprentissage des armes, premier début de toute ambition romaine. Mais Sylla meurt (674), César revient ; un Lepidus réparait un mouvement contre la politique du dictateur ; César est tenté de s'y associer, mais il juge le chef incapable et se tient à l'écart. A vingt et un ans (676), il accuse un consulaire, Dolabella, début indispensable de l'orateur après le début du soldat ; Dolabella est absous ; César, afin d'éviter les ressentiments, part pour Rhodes faire sa rhétorique sous Apollonius. En chemin, des pirates le surprennent, pirates ciliciens, les plus déterminés brigands de la mer ; ils lui demandent 20 talents (93.000 fr.) de rançon : — Je vous en donnerai 50 et je vous ferai pendre. Pendant que des esclaves vont chercher la somme promise, César avec un médecin et deux valets de chambre (la plupart des médecins étaient esclaves), reste trente-huit jours au milieu des pirates, non comme un prisonnier que l'on garde, dit Plutarque, mais comme un prince qu'on accompagne ; joue avec eux, se moque d'eux à leur barbe, leur fait des vers, les traite de barbares quand ils ne les admirent pas ; s'il veut dormir leur fait dire de se taire ; les pirates sourient de la naïve forfanterie de cet enfant lorsque enfin l'argent arrive, l'enfant, mis en liberté, arme des vaisseaux, attaque des hôtes, les fait mettre en croix pour ne pas leur manquer de parole, mais, par souvenir de leurs bons traitements, a la gracieuseté de leur faire d'abord couper la gorge : auquel propos Suétone admire son humanité et sa reconnaissance. César reprend alors son cours de rhétorique et l'interrompt quelques mois seulement pour faire de son chef la guerre à Mithridate.

Enfin, il reparaît au Forum : — vous vous rappelez ces romanesques héros de l'aristocratie anglaise, comme ils abondent dans les romans de toutes les misses et mistresses qui ont fait des romans au siècle dernier, gens doués de tous les accomplissements possibles, beaux, jeunes, riches, spirituels, qui à treize ans sont déjà des messieurs bien peignés, à dix-huit ans des hommes, à vingt ans de grands personnages, qui mènent de front les affaires de cœur et les affaires d'État, sont éloquents dans un salon et fashionables au parlement, se font un jouet et un délassement de la politique dont Fox et Sheridan se tourmentent soulèvent des tempêtes à Saint-Stephen pour se distraire d'un froncement de sourcil de miss Flora ou miss Anna Bell : — César, sauf la distance entre le roman et l'histoire, me semble quelque chose de pareil : lord Byron, cet Anglais idéal, ne fut qu'un César manqué.

Vénus, la déesse de la fortune, celle qui donne au joueur les dés les plus heureux, a versé sur son petit-fils ses dons avec abondance. Voyez comme sa taille est haute et mince, ses yeux noirs et pleins de vie[1], combien est fine et blanche sa peau épilée avec soin ! Il descend de sa maison encore modeste de la Suburra, il a élégamment ramené ses cheveux sur le haut de sa tête pour dissimuler sa chauveté naissante, il marche mollement sur les franges ornées et les plis flottants de cette toge qui faisait dire à Sylla : Prenez garde à cette ceinture lâche ; il n'est pas en litière, il marche à pied, il met sa main blanche dans la rustique main d'un plébéien en tunique, il le courtise, il l'appelle de son nom, il est populaire, il est gai. Sa dépense est inouïe, sa table ouverte à tous est magnifique, son patrimoine déjà presque épuisé ; s'il parle, sa voix haute et vibrante, son geste impétueux et plein de grâce, font reconnaître l'orateur inférieur au seul Cicéron, et qui eût été le premier de tous les orateurs s'il n'eût mieux aimé être le premier homme de guerre. Le peuple l'applaudit ; les femmes l'adorent ; Caton murmure ; Cicéron a bien quelque crainte, mais, toute réflexion faite, il ne se figure pas que ce beau garçon si bien peigné, et qui se gratte la tête à la façon des voluptueux de l'époque, mette la république en péril.

Mais, conduisez-le à la guerre, ce voluptueux, cette femme, comme on l'appelle il sera plus dur à lui-même que les plus durs centurions ; il passera les fleuves à la nage, marchera la tête découverte par les orages et la pluie, à pied, à cheval, dans la première voiture venue ; il fera cent milles en un jour, devancera les messagers qui l'annoncent. Dans ce siècle de jouissances grossières, il ne connaît pas les plaisirs de la table, et Caton, dont la vertu s'échauffe parfois avec le falerne, déclare que César est le seul homme sobre qui ait entrepris la ruine de la patrie[2].

César connaît son siècle, et le comprend ; il veut, non pas le suivre, mais le devancer. Il a deviné que dans la révolution qui va se faire, n'y aura qu'une place digne de lui ; que s'il n'est maitre, il devra être esclave. Pour ne pas être écrasé par cette révolution, il faut qu'il la mène. Nous avons les oreilles rebattues de personnages qui symbolisent

une époque, de héros qui sont des mythes : le mythe à part, cette formule banale convient merveilleusement à César. Il rejette les vertus surannées des temps antiques ; il sait qu'elles n'ont plus chance de succès. Gardera-t-il le respect antique pour Jupiter ? Il vole l'or du Capitole, pille les temples, se rit des augures. — La sainte parcimonie des Fabius ? Il achète si cher certains esclaves, qu'il n'ose porter le prix sur ses comptes. — La chasteté de Scipion ? Ses soldats, au milieu de son triomphe, comme ses ennemis dans leurs invectives, rediront à ses oreilles l'infâme amitié de Nicomède. — La foi aux serments ? Il répute sans cesse ces vers d'Euripide :

S'il faut manquer à la justice, il est beau d'y manquer pour le trône. Soyez pieux en tout le reste[3],

et plus tard il dira : Si les sicaires et les bravi m'eussent rendu service, je ferais consuls les bravi et les sicaires. Il s'est fait malhonnête homme avec tout son siècle.

Pour cela, du reste, il ne faut pas grand génie. Mais d'où lui sont venues des vertus que ses aïeux ne connurent pas, que son siècle ne connaît pas davantage : la reconnaissance, le respect pour les inférieurs, le pardon des injures ? Les éloges qu'on lui donne à cet égard peuvent être la mesure de ce qu'était la charité antique.

En voyage, disent Plutarque et Suétone, avec un de ses amis malade (ami commençait à signifier courtisan), il lui cède le seul lit d'une auberge et va coucher à la belle étoile. Un hôte lui sert des asperges mal accommodées, il en mange comme si elles étaient bonnes, et quand ses amis traitent l'hôte de mal appris, il leur répond qu'eux-mêmes le sont. A sa table les provinciaux s'assoient auprès des Romains ; un esclave s'avise de lui servir un meilleur pain qu'à ses convives, il punit l'esclave. Ce sont là de petits faits ; mais il faut comprendre que, dans le monde antique, c'étaient de merveilleux exemples d'égalité, et qu'on eût passé à moins pour révolutionnaire.

Il y a plus il a tellement juré de méconnaître les plus saints devoirs, qu'il enfreint même le devoir de la vengeance ; il oublie le point d'honneur jusqu'à pardonner ; il vote pour le consulat de Memnius qui, dans ses harangues, a décrié ; il invite à souper Catulle, dont les épigrammes usent offensé un autre que César. Quand il se venge, il se venge très-doucement[4], dit Suétone : vous venez de voir combien il fut bénin envers les pirates. Un esclave qui avait voulu l'empoisonner fut tout simplement puni de mort[5] ; Suétone ne plaisante pas, César fut vraiment miséricordieux de ne pas le mettre à la torture. Il n'eut jamais le cœur de faire du mal[6] à l'espion qui, au temps de Sylla, avait découvert sa retraite. Il ne tua jamais un homme désarmé[7]. Le peuple qui l'adore lui fait un seul reproche ; c'est que, quand il donne des combats de gladiateurs, il fait enlever de l'arène et soigner les combattants blessés, ceux même que les spectateurs ont condamnés ; tant il a pris le rebours de l'antiquité, tant il pousse loin l'esprit novateur ! Il ne garde rien des vieux Romains, pas même leurs vices ; il a deviné l'humanité, cette vertu sans nom dans les langues antiques.

Ne nous faisons pourtant pas illusion César ne fut jamais un philanthrope désintéressé. Sa carrière politique, malgré tant de facultés brillantes, est au commencement celle d'un tribun ordinaire, à peu près celle de tous les jeunes gens de son siècle qui voulaient faire promptement fortune par l'opposition, et se jetaient dans le parti populaire de la compassion et de la miséricorde. Nous avons une certaine expérience de cette charité politique, et j'espère que notre siècle ne se prosternera plus devant les amis des hommes, à la façon du marquis de Mirabeau, ni devant les amis du peuple, à la façon de Marat. César, en prenant le parti de la pitié systématique, ne fit longtemps que de l'opposition et une opposition assez vulgaire. Plus tard, en donnant de vrais et nobles exemples d'humanité, il fit encore de la politique, mais de la politique la plus haute, la plus noble et la plus habile.

Ses dettes, d'ailleurs, étaient une cause très-efficace de philanthropie il avait besoin de faire vite son chemin, talonné qu'il était par ses créanciers, et de devenir grand homme de façon ou d'autre, pour qu'ils lui laissassent un peu de répit. Avant d'avoir accepté aucune charge, il devait 1.300 talents (6.055.000 fr.), et ses adversaires se rassuraient en pensant qu'un jour ou l'autre la banqueroute ferait justice de lui. Vous comprenez qu'un tel homme était le protecteur ardent de tous les prolétaires, l'ennemi acharné de l'oligarchie des riches.

Aussi, dés le principe, quiconque se plaint a recours à lui. Sa première cause a été pour la Grèce opprimée contre les magistrats romains. — Puis, simple tribun des soldats, pour gagner la plebs de Rome, il travaille vigoureusement au rétablissement du tribunat. Des exilés du parti de Marius veulent rentrer ; il harangue pour eux, obtient leur retour. — Devenu questeur, l'Espagne où on l'envoie lui paraît une terre stérile nulle ambition ne peut croître qu'à Rome ; il y revient, trouve les Transpadans (nord de l'Italie au-delà du Pô) prêts à se révolter pour obtenir le droit de cité, et peu s'en faut qu'il ne les soulève.

Deux conspirations se trament dans Rome. César parait n'y être pas étranger ; dans la première, d'accord avec un Sylla, avec Catilina et avec Crassus, il devait, disait-on, donner le signal pour le massacre du sénat. Dans la seconde, un Pison devait soulever l'Espagne, tandis que lui soulèverait ses amis de la Cisalpine[8].

César cependant devient édile (689), donne des jeux pleins de merveilles, 320 paires de gladiateurs ; étale sa magnificence dans les galeries en bois qui couvrent le Forum et le Capitole. Un matin, le Capitole apparaît orné des statues de Marius ; les trophées de ses victoires sont relevés avec les inscriptions que le sénat avait fait effacer. Le peuple est ravi, les vieux soldats de Marius pleurent de joie. Le sénat s'indigne ; ce n'est plus par la mine, dit-on, c'est à tranchée ouverte que César attaque la république. Mais César, à force de grâce et d'habileté, calme le sénat et obtient son pardon.

Plus tard, chargé du jugement des accusations de meurtre, il condamne, malgré les lois qui les protègent, ceux qui ont pris part aux proscriptions de Sylla il remonte jusqu'au meurtre de Saturninus, tué, il y a trente-six ans, par ordre du sénat ; il fait accuser Rabirius qu'on prétend l'auteur de cette mort après l'avoir fait accuser, il siège comme juge, il condamne pour un crime qui date de l'année même de sa naissance. Mais toute l'aristocratie prend parti pour l'accusé, et la violence même de son juge se trouve le servir auprès du peuple (690).

Cependant les magnificences de son édilité ; la voie Appia qu'il a fait reconstruire à ses frais ; ses villæ de Baïes construites sur de hautes montagnes, et qui sont des forteresses plus que des maisons[9] ; sa villa d'Aride, somptueusement bâtie et jetée à bas le lendemain parce qu'elle a cessé de lui plaire, tout cela a ruiné César ; il lui faut le grand pontificat pour le sauver des recors. En allant aux comices, il embrasse sa mère : Tu me reverras ce soir, dit-il, grand pontife ou exilé.

Il triomphe. Mais plus tard, à son départ pour l'Espagne comme préteur, ses créanciers malavisés reviendront à la charge, ne comprenant pas qu'il va devenir plus grand homme que jamais et les payer aux dépens du monde entier. Il sera trop heureux, ce dieu futur, pendant qu'il part à la hâte, tremblant d'être assigné et sans attendre ses passeports, que Crassus le cautionne pour 830 talents (3.865.600 francs). Il s'en ira, convenant qu'il lui manque 250.000.000 de sesterces (48.512.000 fr.)[10] pour que sa fortune égale zéro. Voilà les grandeurs du héros ! voilà ses misères !

Ici un orage amassé dès longtemps va éclater. Pompée était parti pour la guerre de Mithridate (688). L'absence du seul homme populaire avait donné une force nouvelle à l'oligarchie[11] ; l'absence de la seule autorité morale qui fût dans l'empire avait ouvert une nouvelle porte au désordre. Le défaut de crédit, l'impunité des crimes les plus évidents, le mépris de la chose jugée étaient au comble. Il n'était question que de révolutions, de royauté même[12] ; qui le voudrait, pourrait jeter à bas la république[13].

L'évidence du danger opéra une réconciliation soudaine. Nobles et parvenus, sénateurs et chevaliers, aristocrates et gens de finance, si violemment en guerre les années précédentes, s'unirent au moins pour un jour. Les vieux nobles consentirent à porter au consulat Cicéron l'homme nouveau, l'homme des chevaliers (an 690). Cicéron et César étaient la monnaie de Pompée absent ; l'un avait son crédit sur les riches, l'autre l'intérim de sa popularité César, avec tout son génie, n'était encore, à trente-six ans, que le plus mauvais payeur de l'empire et l'idole en second de la plebs romaine.

C'est alors qu'éclata le mouvement révolutionnaire de Catilina, une des plus curieuses phases de l'antiquité romaine (691).

Lucius Sergius Catilina était un patricien, compagnon de Sylla, et qui avait largement versé le sang des proscrits. La tradition nommait parmi ses aïeux un Sergius Silus, blessé vingt-trois fois dans les guerres Puniques, avait fini par combattre comme Goetz de Berlichingen avec son bras mutilé garni d'une main de fer. Ainsi, sa naissance l'unissait au patriciat écrasé par la prééminence de la nobilitas ; les souvenirs de sa vie militaire, aux vétérans de Sylla, ruinés pour la plupart ; la similitude de son désastre à tous les banqueroutiers de Rome, de l'Italie, des provinces mêmes.

Avec cela, hardi, patient, capable même du bien ; ses vertus de soldat avaient séduit plusieurs honnêtes gens, Cicéron lui-même[14] ; comme aussi ses vertus de joueur, de bravo et de débauché séduisaient le reste. Autour de ce Mirabeau soldat, qui maniait la parole comme l'épée, tout ce qui avait besoin de révolution affluait : ainsi de jeunes patriciens, élégants de boudoir, qui se frisaient, se parfumaient, portaient des tuniques à larges manches et des robes de pourpre transparentes ; qui jouaient, s'enivraient, dansaient nus dans les festins, mais n'en étaient pas plus disposés à tenir Rome quitte de la réhabilitation qu'en devait à leur banqueroute et des consulats qu'elle devait à leur nom : — ainsi de tous autres hommes, des misérables, parfois profondément dévoués, bravi sans emploi, gladiateurs sans maîtres, assassins à grand'peine absous par des juges payés : — ainsi toute l'Étrurie vaincue ou victorieuse, vétérans de Sylla ou proscrits de Sylla (n'avons- nous pas vu marcher dans le même parti les serviteurs de Napoléon et les vieux républicains ses ennemis ?) : — ainsi, même des femmes ; courtisanes vieillies, femmes nobles auxquelles le libertinage échappait, femmes lasses de leurs maris, qui cherchaient une occasion de devenir veuves impunément ; — en un mot tout ce qui avait un compte à régler avec la république, tout ce qui réclamait d'elle impunité de crimes, abolition de dettes, fortune, plaisirs, honneurs même (quand on était Sergius ou Cornélius on ne s'en passait pas si aisément) ; gens de tout pari, de toute condition, de toute origine[15].

Plus loin, des hommes prudents laissaient le nuage se former et, comme nous disons, voyaient venir[16] : c'étaient des riches qui eussent liquidé leurs affaires en vendant une villa ; mais la villa leur tenait trop au cœur, une révolution valait mieux[17] ! c'étaient soixante-quatre sénateurs qu'un coup de stylet du censeur avait rayés et qui s'agitaient pour rentrer au sénat ; c'était peut-être le spéculateur Crassus, spéculant même sur cette guerre contre les riches ; peut-être César qui menait le peuple de Rome, et qui aurait essayé cette occasion de conquérir le pouvoir s'il n'eût jugé Catilina de taille à le lui disputer.

Ce n'était pas, du reste, une intrigue, un complot nocturne ; à vrai dire, ce n'était pas un complot, c'était un fait qui levait la tête et allait droit son chemin. C'était la querelle du riche et du pauvre (ou plutôt de l'appauvri), mise à nu, affichée publiquement ; cette question, qui est au fond de toutes les questions politiques et apparaît quand elles sont vidées, ne se posa jamais plus franchement. Catilina est un pauvre de bonne maison. C'est le noble flamand qui met l'écu à son chapeau et se fait chef des gueux ; c'est Goetz de Berlichingen, le seigneur féodal qui commande le révolte des paysans. Cette misère patricienne accueille toutes les misères roturières. Pauvres et malades, leur dit-il, défiez-vous des riches et des forts. Voyez qui je suis, ce que je dois, ce que je puis faire. Prenez un gueux pour être le porte-étendard des gueux[18].

Aussi son étendard est-il déployé ce n'est pas en secret qu'il soutient cette jeunesse perdue, lui fournit argent, maîtresses, chiens et chevaux, tout cela sur la fortune qu'il n'a pas ; qu'il encourage tous ces gentilshommes verriers, qu'il touche dans la main à tous ces truands avec la vie en plein air de Rome, tout cela se voit. Chacun a vu l'éclair insultant de ses yeux ; chacun peut savoir ses superstitions sinistres, cet aigle de Marius qu'il a prise pour son dieu, à laquelle il a érigé chez lui un sanctuaire, et offre, dit-on, des libations de sang humain. Sa vie passée ; le meurtre d'un fils pour épouser une seconde femme[19] ; quatre accusations, de meurtre, d'inceste avec une vestale, de conspiration[20] et de brigue ; quatre acquittements obtenus en dépit de l'évidence : rien de tout cela n'est secret domestique ou affaire de famille. Il vend ses troupeaux et garde ses pâtres ; il a demandé deux fois le consulat ; il vient d'échouer contre Cicéron ; il demande encore le consulat, il le demandera tant que la révolution ne sera pas faite. Au Champ-de-Mars, où il vient solliciter les électeurs, tout ce qu'il y a de proscrits, de sicaires, d'aventuriers, lui fait cortège. Cicéron menacé ne sort pas sans escorte et montre une cuirasse sous Ra toge. Croyez-vous que Lucius Catilina se cache ? Voilà ce qu'en plein sénat il a répondu à Cicéron : Il y a deux corps dans la république : l'un faible, mais qui a une tête (le sénat), l'autre puissant, mais qui n'en a pas (le peuple) ; je serai cette tête qui lui manque. — Caton le menace de l'accuser : — On allume l'incendie contre moi, je l'éteindrai sous des ruines.

C'est donc un parti plus qu'un complot, des révolutionnaires plus que des conspirateurs. L'évidence du péril a seule fait porter Cicéron au consulat, et Cicéron, dès les premiers jours de sa charge, haranguant le peuple[21], a désigné Catilina et parlé clairement de ses projets. Mais il y a de ces moments où, en présence d'une crise imminente, on est d'accord pour dissimuler et pour attendre nul n'ose aller droit au fait et tirer à boulet sur le nuage. Autrefois le sénat eût nommé un dictateur, et, son maure de la cavalerie, homme de cœur et de main, serait déjà allé tuer Catilina en plein Champ de Mars[22] Mais le sénat se demande pour qui sera le peuple ? Le peuple, timide et ami de son repos, sera peut-être contre le premier qui osera jeter le gant ; le peuple, qui suit la fortune, sera peut-être pour celui qui aura remporté la première victoire[23]. Catilina doute du peuple et ne se lève pas ; Cicéron doute du peuple et n'ose déchirer cette trame qui s'ourdit depuis dix-huit mois[24], et dont ses espions lui révèlent jusqu'aux moindres détails. Il y a des choses en politique, évidentes pour tous aujourd'hui et qui seront douteuses demain si le sénat proclamait Catilina ennemi public, le peuple pourrait bien le déclarer innocent.

Mais le jour des comices mettra fin à cette longue attente. Catilina échoue une fois encore. Un accusateur défère son nom aux tribunaux. De plus, les échéances l'écrasent ; aux ides de décembre (13 décembre) il sera en banqueroute. Il faut donc se décider ; ses émissaires courent soulever l'Italie ; l'Étrurie prend les armes sous son lieutenant Mafflus. Le sénat proclame enfin le danger public (21 octobre 691).

Catilina reste pourtant à Rome, y reste libre, vient au sénat ; l'habeas corpus, sa dignité de sénateur le protège. L'arrêter, l'exiler de Rome serait un acte arbitraire que le peuple dans sa conscience constitutionnelle ne pardonnerait pas. Cicéron comprend qu'il faut à tout prix le mettre en colère et le pousser à partir. Quand il vient au sénat, nul ne le salue ; les bancs restent vides autour de lui. Cicéron lui adresse cette fameuse interpellation pleine de courroux calculé et de toute la rhétorique de l'injure. Catilina, qui veut d'abord répondre de sang-froid, laisse peu à peu son sang patricien s'allumer ; injurie ce nouveau venu, ce Marcus Tullius, ce bourgeois d'Arpinum, qui a pris Rome pour son hôtellerie[25]. Les murmures du sénat achèvent de l'exalter ; Rome le rejette, il la maudit ; il part la nuit même, laisse Rome à ses adversaires (7 novembre).

On ne quitte pas impunément une telle capitale ; le peuple donne tort aux fugitifs. Que fait à la plebs cette conjuration patricienne, aux Romains cette insurrection étrusque, au parti populaire ce réveil du parti de Sylla ? Il ne reste plus à Rome qu'une conspiration sans tête, un complot de salon ; les Lentulus et les Céthégus, élégants scélérats, mignons sanguinaires, tout gonflés d'orgueil no- biliaire, tout occupés de prophéties et d'oracles sibyllins. Du haut de la tribune Cicéron les menace, il les montre du doigt dans le sénat, intriguant toujours, toujours libres tant l'habeas corpus veille sur leurs personnes sacrées !saut le sénat veut avoir le droit pour lui avant de franchir la légalité !

Mais au bout d'un mois, ils tentèrent d'associer à le cause des députés allobroges. Ces Gaulois tinrent peut-être le sort de Rome entre leurs mains : que n'eût pas été la conspiration, si les provinces s'y étaient jointes ? Après mûre réflexion, ils eurent foi à la fortune de Rome, et, par leurs soins, émissaires des conjurés, lettres à Catilina, plans des complots, tout tomba aux mains de Cicéron.

Le peuple crut alors à tous les crimes des conjurés. Ils avaient sollicité le secours des étrangers, appelé à eux les Gaulois. Le plan de la conjuration passait de bouche en bouche ; les rôles, disait-on, étaient distribués : Cassius devait incendier Rome, Céthégus égorger le sénat ; Catilina, aux portes, immolerait les fugitifs ; le fils tuerait son père, la femme son mari ; la flamme éclaterait dans douze quartiers ; déjà des amas de combustibles se préparaient, les aqueducs allaient être bouchés !

Cicéron est aux rostres, ralliant tout ce qui est menacé, tout ce qui possède : sénateurs, chevaliers, scribes du trésor, simples affranchis. Il en appelle même aux boutiques, tenues en général par des esclaves ; il évoque l'industrie au nom du repos dont elle a besoin[26] ; cette évocation des intérêts privés nie rappelle nos journaux ministériels en temps d'émeute. Le sénat a gagné sa cause. Les grands seigneurs de la finance, les chevaliers, l'armée habituelle de Cicéron[27], formés autour de lui, en garde nationale dirions-nous, occupent le Capitole, gardent les avenues de la Curie, emplissent le Forum sur les pas de leur consul. Le peuple a entendu la voix de Jupiter, le ciel a parlé[28] par des prodiges ; le peuple, dont un humble mobilier est toute la fortune[29], est épouvanté des projets d'incendie, et quand bientôt Caton lui fera distribuer par le sénat pour 1.250 talents[30] de blé gratuit, l'exécration sera unanime contre Catilina.

Cependant Cicéron instruisait contre les conjurés avec toute la réserve d'un légiste romain, les invitait à passer chez lui, de là les menait au sénat, donnant la main à Lentulus qui était préteur. Après même qu'ils eurent tout avoué, on ne les mit pas en prison ; on les logea chez des magistrats qui répondaient d'eux. Cicéron tenait à garder tous les procédés.

Le sénat s'assemble pour les juger. César, pour venir parler dans ce sénat où Crassus n'ose paraître, traverse une haie de fougueux chevaliers qui le menacent de leurs épées. César parle : il maudit la conspiration ; mais, légiste philanthrope, il ne veut pas d'une mort servile pour d'aussi nobles têtes ; il parle à l'esprit gentilhomme des uns[31], il parle à la peur des autres, il fait craindre au sénat sa responsabilité en face du peuple. Le sénat s'effraie, revient sur son avis, va opiner pour la prison perpétuelle (perpétuité à laquelle personne ne pouvait croire). — La réponse de Cicéron est indirecte, mais habile ; il compromet César dans la cause du sénat, fait remarquer au peuple la malédiction de César contre les conjurés, sa part à toutes les mesures du sénat, sauf un scrupule légal qui le fait reculer devant la peine de mort ; il s'associe, en un mot, devant le peuple, ce populaire et bien-aimé complice[32]. — Caton, lui, va droit au fait, traite César de malhonnête homme qui a pitié de quelques scélérats, et n'a pas pitié de sa patrie ; Caton parle aux riches, comme César a parlé aux nobles ; la vertu les ennuie, il ne leur prêchera pas la vertu ; ce n'est pas la patrie qu'il faut sauver, ce sont leurs villas et leurs viviers[33]. — Là-dessus on apporte à César un billet que Caton, d'autorité, se fait remettre ; c'est une lettre d'amour de Servilie, sa propre sœur, à César : Tiens, ivrogne, lui dit-il en la lui jetant, et il reprend son discours[34]. — Chacun joua bien son rôle ; le sénat se sentait poser devant le peuple, il avait besoin d'en être entendu ; des sténographes recueillaient tout le débat pour le transmettre à l'Italie ; le sénat invoquait la publicité pour justifier sa propre justice.

Le soir même, Cicéron, par le Forum et la voie Sacrée, mena les condamnés dans la prison, où ils entraient pour la première fois peu d'instants avant leur supplice. Le peuple suivait avec un silence plein de terreur ; il semblait que, pour la jeunesse surtout, ce fût le moment de son initiation aux mystères d'une antique et redoutable aristocratie. Des groupes de clients et d'émeutiers payés s'agitaient encore sur le Forum, quand du seuil de la prison, Cicéron leur cria : Ils ont vécu ! et revint chez lui, tout le sénat à ses côtés, les chevaliers à sa suite, les maisons illuminées, les femmes aux fenêtres[35] (4 décembre).

Mais l'Italie était le côté sérieux de la conspiration. Si le complot s'étendait, gagnait la Cisalpine, gagnait la Gaule et les provinces, Cicéron comprenait qu'il avait tout à craindre. En Italie, il y avait matière à révolution, il y avait de véritables souffrances que ne connaissait pas le peuple gâté de Rome. Mais le temps des guerres sociales était passé. C'est un curieux spectacle et qui prouverait l'inanité des conquêtes politiques, que de voir cette race italique qui avait soulevé confire Rome tant de milliers d'hommes pour lui arracher les droits de citoyen, maintenant qu'elle les avait obtenus, réduite à arborer, au lieu de son drapeau national, le drapeau du débiteur récalcitrant, ne mettre sur pied que quelques milliers de pâtres, de bandits, de paysans en faillite, de vieux légionnaires endettés, et, après avoir conquis sa liberté politique, désespérer de sa liberté corporelle.

Le manifeste de ces révoltés italiens est énergique et curieux. Les termes tels que Salluste nous les transmet ne sont pas authentiques, sans doute, mais le fond de la pensée doit être exact. Il est adressé par le chef de ces révoltés à un général du sénat :

Imperator, nous attestons les dieux et les hommes que si nous avons pris les armes, nous ne voulons pourtant pas mettre en péril ou la patrie ou nos concitoyens. Nous ne voulons que protéger nos personnes. Misérables et pauvres que nous sommes, la rigueur et les violences de nos créanciers nous ont enlevé à presque tous notre patrie, à tous notre réputation et notre fortune. On nous refuse jusqu'au bénéfice des lois anciennes ; on ne nous permet point, par l'abandon de nos biens, de sauver notre liberté : telle est la dureté et des usuriers et du préteur ! Souvent l'ancien sénat eut pitié de la plebs, et par ses décrets porta remède à la misère publique ; de notre temps même, on à ainsi libéré les patrimoines grevés à l'excès, et, de l'avis de tous les gens de bien, il a été permis de payer en cuivre ce qu'on devait en argent[36]. Souvent aussi, la plebs, poussée par des désirs ambitieux, ou provoquée par l'arrogance des magistrats, s'est séparée du sénat. Mais, quant à nous, nous ne demandons ni la puissance ni la fortune, ces grandes causes de combat entre les hommes, nous demandons seulement la liberté, qu'un honnête homme ne consent à perdre qu'avec la vie. Nous vous supplions, toi et le sénat, prenez garde à la misère de vos concitoyens. Rendez-nous la sauvegarde de la loi que le préteur nous refuse, et ne nous mettez pas dans la nécessité de chercher une mort quelconque, mais une mort du moins qui ne sera pas sans vengeance.

C'est à ces alliés qu'était arrivé Catilina, débarrassé de son cortège de jolis danseurs et d'élégants patriciens, Catilina soldat de Sylla, peut-être d'origine étrusque, peut-être, comme devaient l'être bien des familles patriciennes, lié par des rapports de patronage aux races italiques, mais surtout Catilina pauvre, aventurier, proscrit. L'Étrurie, cette terre si cruellement ravagée par l'épée de Sylla, se souleva à son approche ; les pacages de l'Apennin lui envoyèrent leurs pâtres armés d'épieux, et les forêts leurs bandits ; les vétérans de Sylla, les colons militaires d'Arezzo et de Fésules, reprirent leurs vieilles épées ; les esclaves lui vinrent en foule, mais par orgueil patricien ou par un reste de probité, il les repoussa : et néanmoins d'un camp de deux mille hommes, il eut bientôt formé deux légions (environ douze mille hommes).

Il se passa ainsi près de deux mois. Catilina avait commencé par attendre l'explosion du complot dans Rome, et le soulèvement de l'Italie ; le sénat avait peu de troupes et craignait beaucoup ; mais les villes dévouées à sa cause[37] contenaient l'Italie, veillaient sur Rome, et la débarrassaient de ses hôtes dangereux, les gladiateurs.

Aussi quand arriva la nouvelle du supplice, les trois quarts  de l'armée de Catilina désertèrent. Il ne lui resta guère avec ses affranchis que les soldats de Sylla, les plus sérieux partisans de sa cause. Les troupes du sénat approchaient. Une armée lui ferma l'entrée de la Gaule cisalpine ; une autre était entre Rome et lui ; il n'avait plus de vivres, il avait abandonné ses bagages. Il prit son parti en homme de cœur, redescendit l'Apennin, se posta au pied (près de Pistoie). Il avait en face de lui le consul Antonius son ancien ami, assez favorable à sa cause, mais qu'en lui cédant un riche proconsulat, Cicéron avait gagné. Cicéron fit même en sorte que le jour du combat Antonius eût la goutte ; un officier de fortune commanda l'armée. Il n'y avait guère de part et d'autre que de vieux soldats appelés à la hâte pour la révolte ou pour la défense. Aussi le combat fut-il acharné. Nul homme de condition libre (ingenuus) ne se rendit. Tous les morts furent trouvés à leur poste, blessés par devant. Les deux chefs qui commandaient sous Catilina furent tués. Lui-même, se voyant presque seul, se rappela sa naissance et sa dignité, marcha au plus épais des rangs ennemis et tomba percé de coups ; on le trouva bien en avant de sa ligne parmi les cadavres des soldats romains, respirant encore et la fierté sauvage de son âme peinte dans ses regards (janvier 692).

Cette grande secousse heureusement soutenue aurai dû affermir la puissance qui gouvernait Rome. L'union des chevaliers et du sénat, ce rêve de Cicéron, semblait accomplie[38]. Mais des questions d'écus ne tardèrent pas à rompre cette alliance replâtrée[39] et à mettre la brouille entre les vieux millionnaires du sénat et les insatiables publicains. Quant à Cicéron, le héros de cette crise, dont la gloriole fut sans doute trop bavarde, mais qui n'en avait pas moins eu le courage de s'exposer, et le courage bien plus rare de se compromettre, il savait qu'au premier revirement politique, ce courage-là serait puni. Il devait voir que la punition n'était pas loin Pompée répondait si froidement aux emphatiques bulletins de sa victoire[40] !

Pour César, ce n'est guère à cette époque qu'un démagogue, je dirais volontiers un tapageur vulgaire. Il soulève assez gauchement contre Cicéron un tribun qui ne fait qu'attirer au consul les applaudissements du Forum. Puis (an 692), accusé, non sans quelque apparence de raison, de complicité avec Catilina, il se justifie en faisant, comme préteur, emprisonner le questeur qui a reçu l'accusation, et en jetant l'accusateur au peuple qui pense le déchirer. Puis il imagine avec le tribun Metellus de demander le rappel de Pompée, pour venir mettre en ordre la république — Pompée était le grand drapeau populaire, à l'ombre duquel on pouvait tout tenter — ; il amasse pour cela des armes, fait emplette de gladiateurs, amène des soldats étrangers. Caton son adversaire vient seul sur la place publique, au milieu de cet appareil de guerre : Les lâches, dit-il, d'avoir assemblé tant de soldats contre un homme désarmé ! Il va droit s'asseoir entre César et Metellus, les déconcerte, leur met la main sur la bouche pour les empêcher de lire leur projet de loi ; les pierres pleuvent sur lui, mais sa bonne contenance a vaincu, il parle au peuple ; le sénat intervient, Metellus furieux quitte Rome ; César, mieux avisé, demande son pardon de bonne grâce et l'obtient.

Une année de préture en Espagne (693) lui donna le moyen de payer ses dettes et lui permit une politique un peu plus noble. Il revint général vainqueur, plus puissant que lorsqu'il était l'idole fragile du Forum. Par un coup d'habileté, il réconcilia deux anciens ennemis, Crassus et Pompée ; une alliance se forma entre eux trois, où Crassus mit son argent, Pompée sa popularité, César son génie alliance qui devait les rendre tout-puissants. Tous les intérêts généraux s'effaçaient devant la puissance d'un nom et d'une armée.

Cette alliance fit César consul. L'élection coûta 20 millions de sesterces (3.880.000 fr.). César ne devait pas être riche, surtout s'il avait payé toutes ses dettes ; Crassus se souciait peu de lui prêter une telle somme ; César associa à sa candidature celle du riche Luccéius ; Luccéius paya pour deux, et César fut nommé seul (694).

Consul, il fallait qu'il reprit la question agraire (an 695). Chacun prétendait à l'honneur et au bénéfice de la résoudre. Pompée, qui n'y voyait qu'un moyen de doter ses soldats, avait fait proposer une loi agraire, toute menaçante pour les droits acquis[41]. Cicéron, l'homme des tempéraments et du bien possible, voulait au contraire rassurer tous les possesseurs, et prétendait acheter des terres pour le peuple avec cinq ans des nouveaux revenus de la république ; car Pompée, vainqueur de Mithridate, avait rapporté 20.000 talents au trésor[42] et presque triplé le revenu public[43]. César à son tour imitait cette sagesse, déchargeait Rome, repeuplait l'Italie, récompensait les soldats, mais ne troublait aucune possession[44], n'achetait rien qu'à l'amiable, réservait le territoire de Capoue, s'excluait lui-même du nombre des commissaires chargés de la répartition, soumettait sa loi au sénat, implorait des amendements, promettait de les adopter, se posait en homme modéré, en conciliateur.

Le sénat, que dirigeait l'oligarchie financière, ne critiquait rien, mais rejetait tout. La loi agraire était de ces actes si souvent proposés, amendés, discutés, que peu importe de savoir s'ils se feront, mais qu'on dispute seulement à qui le fera. Le sénat (et Caton le disait tout haut) craignait moins la loi agraire que la popularité de celui qui la ferait[45].

César irrité change alors sa loi : c'est la Campanie, terre sacrée aux yeux du sénat, qu'il veut partager au peuple. La question est bien réduite ; la partie libre de la Campanie peut nourrir environ 5.000 familles, le reste du peuple se trouve désintéressé dans la querelle[46]. La loi ainsi faite, le consul Bibulus la combat. César, gardant toujours les dehors, supplie Bibulus, le fait supplier par le peuple : Bibulus tient bon, et comme le sénat peut toujours quand il veut fermer les voies légales, César en appelle au peuple, c'est-à-dire à la force.

Il interpelle à la tribune Crassus et Pompée, l'homme d'argent et l'homme d'épée. Tous deux approuvent la loi agraire : Si on vient, dit Pompée, l'attaquer avec l'épée, je la défendrai avec l'épée et le bouclier. La cause de César est gagnée ; la voix de ces trois hommes valait plus que les 450.000 suffrages du peuple.

Bibulus et Caton veulent pourtant combattre. Bibulus déclare fériés tous les jours de l'année. César se moque de lui et de ses fêtes. César fait emprisonner Caton, mais une heure après, honteux, suscite un tribun qui fait mettre Caton en liberté. Caton et Bibulus viennent au Forum : mais quand Bibulus ouvre la bouche, on lui jette sur la tête un panier d'ordures ; on le traîne sur les degrés ; il découvre sa poitrine, il demande qu'on le tue et que sa mort retombe sur César. Caton est rejeté deux fois hors du Forum, et sans qu'il soit besoin de sénat, de consul, ni même de peuple, la loi passe.

Dès lors l'autorité des triumvirs est sans limites : comme Bibulus proteste et se tient enfermé chez lui, César est à lui seul tout le gouvernement ; Pompée et Crassus sont le peuple souverain. Ils font des traités, donnent des domaines, répandent des largesses. On ne vient plus au sénat ; Lucullus menacé se jette aux genoux de César. Le tribun Curion ose faire de l'opposition : on suscite un délateur qui prétend que Curion lui a proposé le meurtre de César. Mais le délateur est si gauche que l'affaire tombe toute seule ; il ne reste plus qu'à supprimer ce maladroit personnage d'une comédie manquée, et le délateur de Vettius est trouvé étranglé dans sa prison[47].

Les affaires de l'État se traitent en conseil de famille : un pêle-mêle de mariages et de divorces, commodes instruments des alliances politiques, et durables comme elles, a cimenté l'union des triumvirs ; Pompée, qui a répudié sa femme à cause de César et qui appelait César son Égisthe, épouse une fille de César ; César, qui a aussi répudié sa femme, fille de Pompée, épouse une fille de Pison, et promet à son beau-père le consulat pour l'année suivante ; Cépion, à qui la fille de César était fiancée, épouse en dédommagement une fille de Pompée, déjà fiancée à un autre, et Caton va criant qu'on fait de la république une entremetteuse de mariages, et que les provinces et les consulats ne seront bientôt plus que des cadeaux de noces[48].

Mais le peuple que dit-il ? Le peuple, qui veut au moins se croire souverain, abandonne tout à fait ses idoles. L'autorité du sénat lui était odieuse. Qu'est-ce donc maintenant qu'elle est concentrée entre trois hommes violents ? Rien n'est populaire comme la haine contre les gens populaires[49]. Rome est pleine d'invectives, de quolibets contre eux ; on s'attroupe pour lire affichées les proclamations du solitaire Bibulus ; plus libre au théâtre qu'au Forum, le peuple fait répéter vingt fois les allusions contre Pompée, applaudit Curion, siffle César. Les triumvirs, furieux de n'être plus populaires, menacent le peuple de lui supprimer les distributions de blé[50].

Cicéron était fort triste et se tenait à part. Les triumvirs, toujours les maîtres bien que le consulat de César fût fini, imaginèrent de crever le nuage qui menaçait Cicéron, et lâchèrent Clodius contre lui (696). Clodius, avec un génie inférieur, était, comme César et Catilina, un patricien tourné au peuple. Une intrigue avec la femme de César lui avait valu un procès criminel ; on l'avait trouvé déguisé en femme dans la maison de César, au moment où se célébraient des mystères dont les hommes étaient exclus ; il y avait et adultère et sacrilège ; mais des juges faméliques pour de l'argent, des juges débauchés pour un plus infâme salaire, rendirent en sa faveur le verdict équivoque N. L. (non liquet)[51] : Cicéron seul lui avait fait payer ce triomphe par un orage d'éloquentes invectives mêlées d'épigrammes et de mots à double sens, et Clodius, resté tête basse, gardait à Cicéron une rancune profonde. César, au contraire, avait si bien pardonné, qu'après avoir refusé de rendre témoignage contre Clodius, et avoir dit ce mot célèbre sur la femme de César, il avait, contre vents et marées, aidé le patricien Clodius à devenir plébéien et tribun du peuple.

Clodius se rangea donc en bataille contre Cicéron. L'armée, qui sous le consulat de César gouvernait le Forum, fut renforcée de coupe-jarrets auxquels Clodius ouvrit la prison, d'ouvriers qu'il soudoya, d'esclaves qu'il incorpora dans ces prétendues confréries de métiers, puissants instruments pour l'émeute. Il logea ces troupes dans le temple de Castor qui dominait le Forum, en jeta bas les degrés, en fit une vraie citadelle. Les légions de César étaient proches, César lui-même, qui était censé en chemin pour la Gaule, était dans un faubourg dirigeant les manœuvres. Une loi fut proposée déclarant exilé quiconque ferait ou aurait fait mourir illégalement des citoyens. Rien n'était moins régulier, mais la légalité, arme puissante pour l'attaque, est rarement utile pour la défense : c'est une épée, non un bouclier. Cicéron dut céder et partit en gémissant.

Caton lui-même conseillait son départ et prévoyait un prochain retour. En effet la brouille des partis était incroyable. Clodius voulait relever le parti de Catilina que Pompée et César trouvaient trop incendiaire ; Pompée et César à leur tour étaient trop aristocrates pour Clodius. Clodius et le consul Gabinius, créature des triumvirs, avaient chacun leur armée d'émeutiers qui se livrait bataille sur le Forum, laissant le peuple romain spectateur fort impartial de leurs luttes. Un jour Clodius vole à un ami de Pompée, qui le gardait en dépôt pour celui-ci, un prisonnier étranger de faute importance ; de là combat de gladiateurs sur la voie Appia, meurtre d'un autre ami de Pompée, brouille complète de Pompée et de Clodius, réconciliation de Clodius avec le sénat, à qui il promet de lui rapporter Cicéron sur les épaules. Ces braves gens confisquaient à qui mieux mieux les biens des uns des autres : il n'y avait pour cela qu'à les consacrer à quelque dieu ; dès lors la spoliation était inviolable. Clodius avait ainsi consacré la maison de Cicéron, puis il consacra les biens de Gabinius, Gabinius ceux de Clodius. Clodius menaça même la maison de Pompée : J'élèverai un beau portique aux Carènes pour faire pendant à mon portique du mont Palatin (élevé sur les ruines de la maison de Cicéron). Ce grand drame du triumvirat, finissait, aux sifflets du peuple, en une plate comédie.

César, plus homme d'esprit que les autres, voyait son coup manqué, sa popularité de six ans tuée en quelques mois ; il avait senti qu'il fallait s'éloigner de toutes ces misères. Il s'était fait doter d'un magnifique proconsulat, l'Illyrie, la Gaule cisalpine et transalpine, avec trois légions, de belles guerres à soutenir, tout un pays à soumettre, et une frontière qui venait à cinquante lieues de Rome. Il partit donc, ayant un accusateur à sa poursuite et son questeur déjà arrêté, trop heureux d'en finir ainsi avec sa royauté de deux ans, et disant que du fond de la Gaule il n'était si faible femme qui ne pût se moquer de Rome et de tout l'empire.

A son départ, toute la puissance du triumvirat s'en alla. Pompée n'imagina rien de mieux que de se réconcilier avec le sénat (697) et de travailler contre Clodius au rappel de Cicéron, lui qui, au temps où Cicéron venait l'intéresser à sa cause, sortait par une porte de derrière pour éviter sa visite. Clodius, furieux, fait un horrible carnage, laisse une mare de sang sur le Forum, et les égouts encombrés de cadavres. Un tribun du parti de Pompée est blessé si grièvement que Clodius craint à la fin de s'être compromis, et pour charger ses adversaires d'un meurtre pareil, il imagine de faire assassiner un tribun de son parti et de jeter le crime sur eux. L'histoire des révolutions ne manque pas de traits pareils, et l'assassinat de Michel Lepelletier peut n'avoir été qu'une manœuvre de ses amis les montagnards[52].

Le parti du sénat arme à son tour : le tribun Milon a ses gladiateurs comme Clodius ; les rencontres sont journalières ; il n'y a plus ni tribunaux aux basiliques, ni assemblée au Forum, ni sénat au Capitole. Ces violences sans but et sans mesure réveillent une dernière réaction d'esprit public. Non plus seulement Rome, mais toute l'Italie, sénateurs, chevaliers, peuple, affranchis, soupirent pour un peu d'ordre et de repos. Le sénat, à qui les députés de toute la Péninsule viennent demander le rappel de Cicéron, donne le signal d'unie grande insurrection légale. Aux applaudissements du peuple il appelle toute l'Italie à venir faire acte de présence au Champ de Mars, et à imposer par son concours silence aux satellites de Clodius. Toutes les clases de la bourgeoisie italienne, depuis les plus riches chevaliers et les plus puissantes associations de publicains, jusqu'aux communautés de la campagne et aux confréries d'artisans, rendent des décrets en faveur de Cicéron ; et au Champ de Mars, dans une assemblée solennelle, la plus nombreuse et la seule paisible qui ait eu lieu depuis longtemps, l'Italie entière vote son retour[53]. Lui-même raconte la marche triomphale jusqu'à Rome, les députations qui le saluèrent de la part de toutes les villes, la haie qui se forma sur sa route depuis Brindes jusqu'à la porte Capène, les saluts de la multitude au pied du Capitole. Je crois facilement à cet enthousiasme : l'Italie pensait en avoir fini avec le gouvernement personnel des triumvirs et avec le gouvernement sanguinaire des gladiateurs ; l'homme qu'elle saluait était pour elle le symbole de la liberté régulière, de cette autonomie des nations, leur constant et inutile désir. Cicéron, l'Arpinate, l'homme nouveau, triomphant de la faction patricienne des Catilina, des César et des Clodius, était bien aux yeux de l'Italie le symbole de son pacifique avènement aux privilèges de la vie romaine. Cicéron aussi, l'homme des tempéraments, des droits acquis, de la conciliation, du juste milieu, l'homme qui ne fut jamais l'ennemi d'une seule corporation dans l'État, semblait bien fait pour les rallier toutes contre les influences personnelles, pour opposer les volontés communes et modérées aux volontés individuelles et violentes. Dans les moments de lassitude, les partis de juste milieu triomphent par leur caractère, apparent au moins, de conciliation et de justice, et ce jour-là on brûla dans toute l'Italie de l'encens aux pieds des lares domestiques, comme, au 7 juin 1832, dans les boutiques de Paris, on buvait des rasades à la santé de l'ordre public.

Mais dès le lendemain le gouvernement personnel et le gouvernement des gladiateurs reprirent le dessus. Il y eut disette, et le peuple ne vit que Pompée au monde en état de lui procurer du blé : des pouvoirs extraordinaires furent remis à Pompée. D'un autre côté, Clodius enrôlait chaque jour quelque aventurier ou quelque esclave fugitif ; des esclaves étaient ses aides-de-camp ; il les admettait au théâtre, il les faisait monter sur la scène, il souillait par leur présence la sainteté des jeux[54], il leur promettait la liberté, touchant ainsi sans y penser à la grande question de son siècle que n'avait osé remuer Catilina. Chaque homme important ne marche plus sans une armée, et quand deux de ces escortes se rencontrent, il y a du sang versé[55]. Les maisons deviennent des citadelles ; Clodius les attaque en plein jour, y met le feu, réduit en cendres celle du frère de Cicéron. Milon l'accuse, mais Clodius sera fait édile aujourd'hui, et lorsqu'il sera édile, il ne pourra être jugé. — Non, il ne sera pas édile, il n'y aura pas d'élection aujourd'hui, Milon déclare les auspices défavorables. — Du moins il sera édile demain ; ses gens viendront au Champ de Mars de bonne heure, l'élection sera faite avant que Milon ne signifie les auspices. — Point du tout, Milon y sera dès la nuit, il y sera demain, il y sera après-demain, aussi souvent qu'on voudra tenir les comices. — Milon est en force. On déserte Clodius ; il n'a plus sous le portique de sa maison que quelques misérables déguenillés[56]. Ainsi, c'est toujours la force qui gouverne. L'Italie ne peut pas tous les matins venir mettre le holà dans Rome sa souveraine. Le peuple de Rome, content de sa liberté du théâtre, s'amuse de ces luttes, s'en effraie parfois, ne se sent pas capable d'y mettre fin.

Depuis le mouvement italique qui rappela Cicéron, ente la monarchie déguisée de Pompée, l'anarchie armée de Clodius, l'oligarchie de quelques vieux riches, rien de digne ne se fit plus. Ce ne furent que jalousies et petites haines. — Les potentats du sénat, Crassus, Hortensius, Servilius, ramassant dans la boue sanglante du Forum, pour ameuter les oisifs contre Pompée, leur vieil ennemi Clodius ; — Pompée, à force d'hésitations, de cajoleries menteuses, de bassesses pour être populaire, devenu impopulaire ne seconde fois ; odieux à tous, sénat et peuple, jeunes et vieux ; faisant venir des soldats pour garder sa personne ; se maintenant autocrate sous prétexte de la disette, recevant 40 millions de sesterces pour nourrir Rome, la nourrissant mal, et, comme de raison, accusé de l'affamer ; Clodius et Cicéron se rejetant l'un à l'autre des présages, les bruits souterrains, des réponses d'aruspices ; — Pompée parlant pour Milon accusé, hué par les gens de Clodius, Clodius par ceux de Pompée ; — Clodius jouant la comédie, et du haut de son tréteau des rostres interpellant son monde : Qui affame le peuple ?Pompée. — Qui est le plus débauché général ?Pompée. — Qui se gratte la tête ?Pompée. — Qui veut aller à Alexandrie (rétablir un roi d'Égypte sur le trône, mission profitable) ?Pompée. — Qui doit y aller ?Crassus. Et trois heures de hurlements, d'injures, de chansons satiriques, d'épigrammes obscènes ; quand, à un signal donné, les gens de Clodius crachent sur ceux de Pompée et de Cicéron bataille s'ensuit ; Clodius est mis en déroute, jeté à bas de la tribune ; il prend la fuite. Cicéron lui-même s'enfuit[57] (ne quid in turba, dit-il naïvement).

Mais on tombait vite d'anarchie en oligarchie. César intervint (698), se rendit à l'extrême frontière de sa province dont il ne pouvait sortir, vit Crassus à Ravenne, Pompée à Lucques, renoua le triumvirat. Il fut convenu que Pompée et Crassus seraient consuls, auraient pour provinces après leur consulat, l'un l'Espagne, l'autre la Syrie ; qu'à César on assurerait la Gaule pour cinq ans de plus. Par l'union nouvelle de ces trois puissances, le sénat comprit que toute liberté aristocratique ou républicaine allait finir ; il prit le deuil et vint supplier les tribuns qui avaient résolu d'arrêter les comices si Pompée et Crassus n'étaient pas nommés. Le peuple applaudit au sénat : Applaudissez, dit un consul, demain vous ne le pourrez plus : peuple et sénat n'y purent rien. A brigue ouverte, à force d'argent et de menaces, après avoir fait assassiner en pleine rue leur compétiteur, au milieu de la tristesse et de la solitude, Pompée et Crassus furent élus. Le gouvernement personnel fut de nouveau solennellement installé.

Les années qui suivirent (699-701) peuvent être racontées brièvement. Tous les personnages s'amoindrissent. Le vieux Crassus saute de joie quand sa campagne de Syrie qui est assurée ; il prétend vaincre les Parthes, conquérir l'Inde, ajouter des millions à ses millions. Mais le vieil avare va périr à l'œuvre, et Rome demeurera, par sa faute, engagée dans une guerre de plusieurs siècles contre cette nation envers qui elle a rompu la paix.

Les nobles, qui tiennent toujours Clodius en haleine contre Pompée, ne songent pas qu'ils s'aliènent Cicéron. Celui-ci blessé dément toute sa vie, se jette dans les bras des triumvirs. Au moins, dit-il, ceux-là ne sont pas des gens perdus. Qu'on les souffre avec patience, ils nous laisseront du repos. César le flatte et le caresse ; l'amitié de César peut l'ennoblir ; mais l'amitié de Pompée le rapetisse étrangement. Pompée l'emploie à plaider en justice pour les misérables dont Pompée se sert depuis dix ans. Le vieil avocat plaide ces mauvaises causes, défend des hommes qu'il déteste, tantôt gémit de cette rude tâche, tantôt prend le parti d'en rire[58], regrette la liberté de sa haine[59], et envie Caton auquel personne n'ose demander une mauvaise action.

Caton, lui du moins, est une grande âme. Il ne porte pas de tunique sous sa toge, et n'a que des semelles au lieu de sandales, en signe d'austérité républicaine. Caton propose au sénat de livrer aux Gaulois César leur vainqueur, pieds et poings liés. Il mène avec lui Favonius, son singe, comme on l'appelle, copie outrée d'un modèle outré lui-même. Favonius, édile, donne à la gloire de Caton des jeux d'une simplicité tout antique, distribue aux vainqueurs des couronnes de lauriers au lieu de couronnes d'or, au peuple des betteraves et des concombres au lieu d'argent : le peuple trouve la plaisanterie originale, mange de bon cœur les raves et les laitues du philosophe, rit de bon cœur à ces jeux dont Caton est le seul ornement ; Caton rit lui-même, et il n'y eut jamais si grande foule au théâtre que ce jour-là où l'on venait voir rire Caton.

Et Pompée ? Pompée voit le gouvernement légal impossible : la corruption est portée si loin que le consul Appius et son austère collègue Domitius font avec deux prétendants au consulat le marché suivant : Ceux-ci, une fois nommés par l'aide des consuls actuels, les paieront ou en argent ou en faux témoins ; c'est-à-dire leur donneront 400.000 sesterces (77.630 fr.), ou leur trouveront trois augures et deux consulaires, prêts à jurer que, par une loi que le peuple n'a point faite, par un sénatus-consulte que le sénat n'a pas rendu, de beaux proconsulats ont été assignés à Domitius et à Appius. La convention est dénoncée en plein sénat, les billets et les livres de compte sont produits[60], et l'on sait la juste mesure de ce qui reste de probité et de bonne foi républicaines, comme aussi la juste valeur d'un sénatus-consulte et d'une loi.

Pompée voit donc, la royauté venir, et s'il voulait, pourrait la prendre : César et Crassus sont loin. Proconsul d'Espagne où il ne daigne même pas aller, il a fait de cette contrée un château fort, une position en cas de guerre, un titre de propriété sur cinq légions qu'il fait commander par ses lieutenants. Mais la coquetterie de Pompée aime à se faire prier. Il fait proclamer par ses amis que la république en lambeaux a besoin d'un dictateur ; il donne au peuple des jeux magnifiques, lui construit un théâtre, fait apparaître 600 mulets sur la scène, 50 éléphants au Cirque[61] ; mais du reste, homme modeste et retiré, nouveau marié de 50 ans, très-épris de sa femme, la promenant par toute l'Italie, il attend que le peuple le tire de ses jardins et le fasse dictateur.

Pour hâter le moment, il s'avise d'arrêter les élections (702) ; huit mois se passent sans consuls. Le gouvernement anarchique est à son tour réinstallé. Milon et ses gladiateurs, Clodius et ses satellites se rencontrent. Clodius est tué. La mort de cet homme soulève un tumulte effroyable ; Fulvie, sa femme, énergique et violente, fait exposer le corps nous le vestibule de sa maison. Le peuple s'y succède de nuit et de jour, les boutiques sont fermées. Les tribuns portent Clodius aux rostres ; d'une salle du sénat on lui fait un bûcher. On force les maisons, on les pille, on cherche partout les amis de Milon, on tue tout ce qui porte un vêtement plus riche. Dans ce désordre Pompée est redevenu la seule force au monde, le seul gouvernement possible.

Pompée triomphe donc. Le peuple le nomme seul consul, chose inouïe. Pompée, monarque, veut de l'ordre, remplit Rome de soldats, arrête les pillages, fait condamner Milon. Pompée, monarque, veut régler le seul pouvoir un peu indépendant du sien, le pouvoir judiciaire ; il fait de sages lois contre la corruption des juges, interdit les sollicitations souvent menaçantes dont les accusés s'entouraient, et Cicéron, ravi de voir un peu d'ordre dans Rome, appellera divin ce second consulat de Pompée.

Mais Pompée n'était pas fait pour être roi. Plein de petites passions républicaines, il violait ses propres lois, faisait venir chez lui pour les endoctriner les juges de son beau-père accusé, et disait à un autre accusé qui le sollicitait : Tu fais refroidir mon souper. D'un autre côté, il était ombrageux ; il voulait avoir une arme contre César : il fit une loi sur la brigue, loi dont l'effet remontait jusqu'à plusieurs années en arrière, loi qui comprenait et César et lui-même et tout le monde. En vertu de cette loi, Pompée exile tout ce qui l'offusque, et ces exilés vont à César.

César seul donc grandissait et grandissait par son absence. Il avait échappé à temps à ces querelles mesquines du Forum. Il y a dans la guerre quelque chose de loyal et de sérieux qui devait mûrir ce génie et l'élever à toute sa hauteur ; sans la guerre, César demeurait un habile, spirituel et séduisant tribun, moins franchement populaire que Clodius, moins énergique peut-être que Catilina, moins noble et moins désintéressé que les Gracques.

La Gaule était une belle matière à son génie. Il la surprenait à une époque décisive, lorsque déjà sa native férocité commençait à s'amollir dans la civilisation méridionale. Par la Province romaine (Languedoc, Provence, Dauphiné) lui arrivaient les arts et le luxe de l'Italie. Des trois grandes portions de la Gaule, l'Aquitaine et la Celtique penchaient vers les nouvelles mœurs, la Belgique seule gardait, toute sa belliqueuse indépendance. Mais, par ce mouvement vers des habitudes plus sociables, les peuples se rapprochaient, la Gaule tendait à l'unité, les ambitions voyaient leur horizon s'agrandir. A quelle faction et à quel peuple le sceptre des Gaules appartiendrait-il ? En Gaule, dit César, il y a des factions dans chaque État, dans chaque bourg, presque dans chaque famille. La lutte des partis y est organisée, elle est même la sauvegarde du peuple, qui se range sous la clientèle des grands. Les deux factions principales, des druides et des chevaliers, de la caste sacerdotale et de la caste guerrière, du clergé et de la féodalité, y sont en présence comme dans l'Europe du moyen âge. Les peuples les plus faibles se groupent autour des plus forts, et deviennent leurs vassaux. Ainsi se forment ligues contre ligues ; les Édues, fiers de leur nombreux vasselage, prétendent à la royauté des Gaules. La ligue des Séquanes et les Arvernes, trop faible pour les combattre, appelle les Germains à son secours. Plus de 100.000 hommes, Suèves ou alliés des Suèves, passent le Rhin, écrasent les Édues, et rejettent leur république parmi les états secondaires. Mais bientôt la Gaule ralliée se réunit contre ces auxiliaires étrangers, elle est vaincue ; les Suèves demeurent maîtres d'une vaste partie de son territoire (l'Alsace). D'un autre côté, ce même sentiment de domination pousse la nation guerrière des Helvétiens ; fatiguée de défendre contre les invasions germaniques un territoire montagneux et stérile, elle quitte ses demeures, incendie ses 12 villes et ses 400 bourgs, emporte le blé de plusieurs récoltes, brille celui qu'elle ne peut emporter, et traverse le Jura, hommes, femmes, enfants, vieillards, 360.000 hommes, pour aller, aux bords de l'Océan, conquérir, avec la puissance suprême sur tous les Gaulois, les terres fertiles des Santons (le Saintonge).

Au milieu de ces luttes, César apparaît[62]. Il arrive à la hâte, faisant 100 milles par jour, à cheval, ou dans la première voiture qu'il rencontre ; si un fleuve l'arrête, il le passe à la nage. Cet élégant, ce corps délicat, cet épileptique, par une nuit d'orage éveille son armée, laisse là le bagage, marche en tête, le front découvert, à pied plus souvent qu'à cheval, traverse les marais, l'eau jusqu'au cou, et va surprendre, dans les immenses forêts où ils se sont retranchés, 100 ou 200.000 barbares. Si un de ses lieutenants est en danger, il part seul, se déguise, traverse le territoire ennemi, et va porter aux Romains en péril le nom et la fortune de César. Ainsi apparaît-ii d'une contrée à l'autre, inattendu, avec ses légions qui semblent voler sur ses pas. Il parcourt vingt fois la Gaule en tous sens ; en peu de mois visite l'Illyrie, Trèves, la Germanie, la Bretagne : il semblerait que ce cheval aux pieds d'homme, que César seul a droit de monter et auquel les aruspices ont attaché l'empire du monde, soit un magique hippogriffe qui le porte à travers les airs[63].

Bonaparte et César, si différents comme hommes politiques, se touchent comme hommes de guerre. L'un et l'autre s'affranchissent des lenteurs de la stratégie ancienne, craignent de disséminer leurs forces, de perdre le temps à des sièges sans fin, réunissent sous leur main leur forte armée, la poussent à la hâte partout où est le danger, la mènent par des chemins impraticables, lui font franchir des montagnes où un messager ne passerait pas[64], la décuplent en la rendant présente partout. L'un et l'autre, pour la manier ainsi, a commencé par se la rendre propre et par mêler son âme à leur âme. Cette armée si prompte et si docile, et qu'ils opposent à tant d'ennemis à la fois, eux- mêmes l'ont faite, par cette puissance morale qui fait seule les grands généraux. César domine ses soldats par l'amitié, par la rigueur ; il punit la trahison et la révolte, il pardonne le reste ; il leur donne de l'or, il leur permet, après la victoire, le repos, les plaisirs, le luxe, les armes d'or et d'argent. Les soldats de César peuvent vaincre, dit-il, même parfumés. Mais une fois en marche, ni l'heure du départ, ni l'heure du combat n'est connue ; il faut être toujours prêt. César affecte de partir tout à coup, les jours de repos, au moment des orages ; il recommande qu'on le suive, et il s'éloigne, il se dérobe ; il faut que son armée le cherche et s'accoutume à la fatigue en marchant comme son général. Il appelle ses soldats camarades, il les aime, il pleure leur mort ; après le massacre d'une de ses légions, il se laisse pousser la barbe jusqu'à ce que cette légion soit vengée. Mais s'il voit ses soldats se troubler, s'ils pâlissent en pensant aux géants de la Germanie qu'ils vont combattre[65], s'ils font leur testament, s'ils pleurent sur leurs enfants et leurs femmes, César en prend son parti il laissera là les pleureurs, il ira seul en avant, lui et sa dixième légion, sa vieille garde. En Afrique les soldats s'effraient des récits qu'on leur fait sur l'approche du roi Juba et de ses forces immenses César ne craint pas d'exagérer encore le sujet de leur crainte : Il est vrai que le roi sera ici dans peu de jours, avec dix légions, 30.000 chevaux, 100.000 hommes de troupes légères, 300 éléphants. N'en demandez pas plus, fiez-vous à moi qui le sais, ou je jette les questionneurs sur un vieux navire, je les pousse en mer, et le vent le mènera où il voudra.

Aussi s'est-il créé une armée qui se meut avec lui comme le corps se meut avec l'âme. Je ne saurais dire le fanatique dévouement de ses soldats : une cohorte est attaquée dans une île, loin de tout secours ; tous sont tués, excepté un seul, qui, après avoir admirablement combattu, se jette la nage, gagne la côte où César l'attend ravi d'admiration, et là se prosterne à ses pieds, lui demandant pardon d'avoir abandonné son bouclier. Une autre fois les légions qui se sont mal battues, demandent elles-mêmes à être punies. Quand elles sont découragées, César n'a autre chose à faire qu'ordonner la retraite, et les légions le supplient de les laisser en présence de l'ennemi. La nature humaine, sous la main de César, 2 une puissance toute nouvelle. En quelques mois, il fait de ses soldats des matelots, arme un flotte immense, se jette à travers l'Océan, cette limite du monde, dont les flux et les reflux confondent la science romaine, et s'en va donner sur la grève, à marée haute, dans les flots mêmes de la mer, la bataille aux barbares de la Grande-Bretagne. Un jour, toute la dixième légion monte les chevaux des Gaulois, et César confie sa garde à ces es- cadrons improvisés. En quelques semaines, autour d'Alise, de Gergovia, d'Uxellodunum ou de tel autre de ces oppida gaulois dans lesquels se renferme tout un peuple, s'exécutent les immenses travaux de la circonvallation romaine, plus vastes et plus puissants que jamais, et dans une forteresse longue de plusieurs lieues, des légions se retranchent à la fois et contre l'ennemi du dedans et contre ses auxiliaires du dehors.

Mon dessein n'est pas d'entrer dans le détail des guerres extérieures des Romains. Quant à celles de César, on peut en lire dans M. Michelet une rapide et brillante analyse. En dix ans, la Gaule, depuis la Méditerranée jusqu'à l'Océan et depuis les Pyrénées jusqu'au Rhin, a été foulée aux pieds jusque dans ses derniers recoins : il n'y a si obscure peuplade, ni si redoutable nation qui n'ait plié la tête en rugissant sous la conquête romaine ; une centaine de peuples dont les noms mêmes étaient ignorés à Rome[66] ont été soumis, puis se sont révoltés, puis ont été vaincus et écrasés de nouveau. Leurs vastes oppida, leurs marécages, leurs forêts immenses, véritables forteresses, que des abatis d'arbres gigantesques rendent plus impraticables, où toute une nation se réfugie, les guerriers sur la lisière, les femmes, les enfants et les vieillards dans l'intérieur du bois, ont été forcés par sept ou huit légions romaines au plus. La Bretagne mystérieuse et redoutée, refuge de la Gaule vaincue et auxiliaire de la Gaule combattante, a été visitée par deux fois à travers les périls de la mer, et les soldats romains ont cru aborder un nouveau monde[67]. César a passé deux fois le Rhin, troublé dans ses forêts cette Germanie dont les secours entretenaient la résistance de la Gaule ; il y a rejeté les Suèves qui déjà étaient en possession des terres gauloises et préludaient à la grande invasion du Ve siècle ; César a compris que le danger vient de là, et que de ce côté sont les futurs conquérants de Rome. Puis, la Gaule soumise s'est révoltée, sous Ambiorix, sous Vercingétorix (700) : ce n'est plus un peuple, mais une ligue de nations qui conspirent ensemble depuis l'Escaut jusqu'à la Saône, se soulèvent la même nuit, massacrent les Romains, proclament la guerre, en quelques heures communiquent par des signaux depuis Genabum (Orléans) jusqu'aux montagnes des Arvernes. Elles ont appris la tactique romaine et la mêlent aux puissantes ressources de leur tactique barbare ; la révolte s'étend jusqu'en Illyrie[68] ; les routes sont détruites, les ponts coupés ; il faut, à travers six pieds de neige, passer les Cévennes et venir combattre au pied des montagnes d'Auvergne. Au siège d'Alise où périssent les dernières forces de la Gaule, 700.000 (?) hommes sont enfermés dans la ville[69] ; 300.000 mandés de toute la Gaule, Belges, Armoriques, Germains viennent à leur secours : et lorsque la faim presse les assiégés : Faisons, dit l'un d'eux, comme nos ancêtres, tuons les bouches inutiles, ce sera de la chair pour nous nourrir. Quand la victoire de Rome semble complète ; quand nul oppidum ne résiste plus ; quand Uxellodunum, la dernière forteresse de la Gaule dont la longue résistance a fait craindre à César que toute ville fortifiée ne reprit cœur à son exemple, a été vaincu par la soif et que toute sa garnison a eu les mains coupées : alors, les peuples, au lieu de résister, disparaissent, se cachent dans les forêts, détruisent les récoltes, incendient les édifices, laissent aux Romains un désert. César comprend alors qu'à une révolte de ce genre il faut opposer d'autres armes : il adoucit le joug romain ; il traite les cités gauloises avec honneur ; la Gaule entière ne paie à Rome qu'un tribut de 40 millions de sesterces[70] (7.760.000 fr.) : une légion gauloise est reçue dans son armée ; il ne veut pas laisser de guerre derrière lui, il se fera de la Gaule vaincue une auxiliaire et la mènera à la conquête de Rome.

César, en effet, du fond de sa Gaule est toujours présent à Rome. On lui écrit tout, grandes et petites choses[71]. L'été, au milieu des forêts des Nerviens, ou dans les marais de l'Escaut, pressé entre deux armées ennemies, il dicte, de son cheval, cinq ou six lettres à la fois pour Rome et pour le Forum ; pendant l'hiver, quand la guerre lui laisse un peu de repos, il repasse les Alpes, arrive jusqu'aux extrémités de sa province, et là, à cinquante lieues de Rome, le vainqueur d'Arioviste peut contempler à son aise les petites querelles d'une démocratie corrompue, assez voisin pour n'en rien ignorer, assez éloigné pour ne pas se rapetisser dans ces intrigues.

A cette distance, en effet, il faut bien qu'on lui reconnaisse quelque génie ; que le sénat fui vote d'énormes subsides et des jours de fête pour ses victoires ; que Pompée le fasse continuer dans son commandement ; que Cicéron, son vieil adversaire, entonne pour lui d'emphatiques éloges : Les Alpes peuvent tomber aujourd'hui ; depuis les victoires de César, l'Italie n'a plus besoin de rempart contre la Gaule ![72] Il faut bien que Cicéron demande pour César cinq ans de gouvernement de plus, et à son grand regret obtienne ce qu'il demande.

La gloire n'est d'ailleurs pas le seul élément du crédit de César. Dès son consulat, il a pris au Capitole 3.000 livres d'or qu'il a remplacées par du cuivre doré. Pendant la grande orgie du triumvirat, il a vendu des royaumes, vendu la ferme des impôts ; Pompée et lui ont reçu du roi Ptolémée près de 6.000 talents. Dans les Gaules où il a pillé les villes, dépouillé les temples, provoqué par ces déprédations les redoutables révoltes des dernières années, l'or lui est venu en abondance[73].

Avec l'or, il saura faire que le monde entier soit son obligé. Il verse dans l'Italie et les provinces l'or au prix modique de 3.000 sesterces (582 fr.) la livre[74]. Ce débiteur de tant de millions est créancier aujourd'hui ; mais il prête sans intérêt ou à un faible taux, et une bonne partie du sénat lui est attachée par ce lien. fi sait le prix de la moindre adhésion et il n'hésite pas à le payer[75]. Il gagne le tribun Curion en payant pour lui 60 millions de sesterces de dettes[76] (11.640.000 fr.) ; le consul Paulus par un don de 1.050 talents[77] (4.900.000 fr.) ; mais Paulus est généreux et consacrera par une magnifique basilique le souvenir de sa corruption. Quant à Cicéron, on le gagne par la vanité ; le patricien César comble Cicéron comme Louis XIV comblait Samuel Bernard ; il a Quintus, son frère, auprès de lui, il le caresse, il lui demande des nouvelles de son cher Cicéron ; Cicéron enchanté oublie le passé, compose un poème sur la guerre de Bretagne et demande à Quintus : Que pense César de mes vers ?[78] Quant au peuple —, avec des jeux, des repas publics pour les obsèques de sa fille, des gladiateurs qui ont pour maîtres d'escrime des sénateurs et des chevaliers — le peuple s'amusait de cette première dégradation de la noblesse romaine — ; avec un Forum nouveau dont le terrain seul coûte 60 millions de sesterces[79], un portique de marbre long d'un mille au Champ de Mars, des septa de marbre pour les comices[80], César gagne le peuple.

Déjà tout à Rome se fait par César : pour obtenir les charges, on écrit à ce soldat, peut-être assiégé à l'heure qu'il est dans quelque marais de la Hollande ; il se fait délivrer par les gens qu'il appuie une promesse écrite de ne jamais consentir à ce qu'on lui donne un successeur. Dans l'hiver de 698, où il est venu renouveler le triumvirat, tout s'est pressé autour de sa croissante renommée. Il a tenu cour plénière à Lucques, le point extrême qui le sépare de la frontière romaine ; 200 sénateurs y sont venus avec Pompée ; 620 licteurs, amenés par des magistrats d'ordres divers, ont fait antichambre aux portes de César. Qui peut résister à ce séducteur ? Exilés de Pompée qu'il a accueillis ; visiteurs qu'il a comblés de présents, eux, leurs affranchis, leurs esclaves mêmes ; gladiateurs qu'il a fait relever de l'arène ; condamnés qu'il protégea banqueroutiers qu'il secourt[81] ; aventuriers plus compromis encore auxquels il dit : Pour vous, attendez la guerre civile ; rois auxquels il fait des cadeaux d'un millier d'esclaves ; villes d'Italie, de Grèce, d'Espagne, d'Asie qu'il a embellies de monuments ; nations qu'il a secourues sans la permission du sénat ; la jeunesse ; le peuple[82] de Rome presque entier ; la coterie sanguinaire et frisée de Catilina ; la garde populaire de Clodius ; et par-dessus tout ses onze légions auxquelles, il donne le blé sans mesure, la paie double, des cadeaux de terres et d'esclaves : — tout cela forme autour de lui une immense armée révolutionnaire. Son grand point d'appui est la Gaule cisalpine, le foyer révolutionnaire de la Péninsule, très-suspecte de sympathie pour Catilina ; partagée entre les Cispadans, les derniers venus de la cité romaine, et les Transpadans qui en sollicitent encore la concession, César a peuplé toute cette contrée de ses colonies et pour elle il a déjà manqué de faire une révolution[83]. Et même les gens paisibles, les hommes des intérêts matériels, les chevaliers, amis peu fidèles, désertent Pompée et viennent à César[84]. Ceux qui possèdent, usuriers et cultivateurs, sont déjà tout résignés à sa tyrannie si elle leur donne le repos ; et quand, la Gaule pacifiée, il redescend dans la Cisalpine, tout ce nord de l'Italie vient en fête à sa rencontre : ce ne sont que repas publics, victimes immolées, arcs de triomphe à l'entrée des villes ; riches et pauvres le fêtent en commun ; César a trouvé le secret d'avoir pour lui et les débiteurs et les créanciers.

Que reste-t-il donc contre César ? — Pompée, Bibulus, Caton, les princes du sénat, les dynastes, les amateurs de belles murènes, une quinzaine d'hommes ; en un mot — si vous me permettez cette accumulation de barbarismes — quelques positions aristocratiques assez récentes, et à leur tête une individualité creuse et médiocre. Cicéron n'est pas avec eux ; Cicéron, ami de César et de Pompée, s'afflige et doute[85]. Le sénat même n'est pas avec eux, le sénat est traîné par eux plus qu'il ne les suit. Ces gens malavisés, qui ont nourri pendant huit ans la puissance de César, veulent aujourd'hui lui faire la guerre[86]. Pompée, ce cœur malade, qui ne sait jamais ce qu'il veut[87] ; Pompée qui pour César a violé toutes les lois ; qui, dans une de ses phases d'amitié pour lui, est allé au Capitole faire gratter une loi déjà inscrite sur l'airain et y ajouter la permission pour César de demander le consulat sans venir à Rome ; Pompée a lancé contre lui sa loi sur la brigue, véritable déclaration de guerre. Pompée lui a fourni pour faire la guerre ; et le motif, une menace d'accusation ; et le prétexte, le droit de demander le consulat ; et le moyen, dix ans de commandement dans les Gaules.

Pompée souhaite la guerre Pompée trouve le monde trop étroit pour César et pour lui. La mort de Crassus, qui les débarrasse l'un et l'autre d'un commun rival, la mort de Julie, fille de l'un et femme de l'autre, adorée de tous deux, tout doit hâter la rupture. César sait que, s'il vient à Rome, il aura une accusation à subir — Caton qui jure toujours a juré de l'accuser dès qu'il n'aurait plus d'armée  — d'onéreuses promesses d'argent et de monuments à tenir envers le peuple ; peut-être des dettes à payer tant de magnificence a dû l'appauvrir, et Pompée prétend qu'il est ruiné une seconde fois[88]. Les temps d'ailleurs sont mûrs pour une révolution :Pompée fait dire par ses amis que la monarchie est nécessaire, qu'il s'agit seulement de prendre ce remède de la main du plus doux médecin[89]. Tout appelle et justifie un 18 brumaire.

Et César pourtant, si puissant, si évidemment appelé, si excusé d'avance, César est prudent, réservé, plein de modestie et de mesure. Cicéron lui rendra cette justice que Pompée seul souhaita la guerre, que César, sans la craindre, ne la désira pas[90]. Pendant que les amis de Pompée rompent ouvertement ; que le consul Marcellus (an 703) propose le rappel de César et l'abrogation de la loi qui lui permettait de demander le consulat sans être à Rome ; qu'arrivant jusqu'à l'insulte, Marcellus fait fouetter un sénateur de Côme, cité à laquelle César a conféré le droit de bourgeoisie : César parlemente deux années entières (703 et 704), renouvelle obstinément ses offres pacifiques, sur l'ordre du sénat livre à Pompée deux de ses légions, propose d'abdiquer le commandement de la Gaule pourvu que Pompée abdique celui de l'Espagne. Poussé même plus loin, il offre de licencier huit légions, et de ne garder que la Gaule cisalpine. Pressé par Cicéron, il se réduit à l'Illyrie avec une seule légion, résiste aux conseils guerriers qui l'environnent, recule les hostilités tant qu'il peut ; il mettra jusqu'à la fin les procédés de son côté.

Sans doute, cette patience était habile, cette modération sans danger : César savait Pompée décidé à la guerre. Mais cette guerre, César la voulait faire aussi plausible, aussi honnête, aussi motivée que possible. Il comprenait qu'une grande force manquait à son parti, la moralité. C'était le rebours du 18 brumaire. Bonaparte, à cette époque, avait pour lui la partie honnête de la nation contre le gouvernement des clubistes et des fournisseurs appuyés par l'arrière-garde des sans-culottes de 93. Ce gouvernement-là ne personnifiait aucune vertu, n'avait aucune raison morale pour exister. Bonaparte eût souri si on lui eût dit de prendre garde qu'il s'attaquait à la moralité républicaine, et si on lui eût opposé comme une barrière sacro-sainte à légalité toute fraîchi de l'an m. Mais le sénat de la vieille Rome, même alors, était quelque chose de plus grand que le directoire exécutif, et Pompée valait mieux que maître Jérôme Gohier. Les meneurs du sénat, gens si attaquables, représentaient pourtant la loi antique, le droit héréditaire, la moralité de la vieille Rome : honnêtes gens relatifs, ils gardaient le nom d'honnêtes gens et formaient, quoi qu'on fit, le parti de la vertu. Cicéron écrit à Atticus : Je ne te comprends pas avec tes gens de bien. Pour ma part, je n'en connais pas un ! et pourtant il finit par conclure : Je marcherai avec les honnêtes gens ou du moins avec les hommes tels quels qu'on nomme honnêtes gens[91].

Le parti de César, au contraire, était celui des banqueroutiers, des gens compromis, des aventuriers de tout genre. Aussi arrivait-il doucement à son 18 brumaire, non sans ménagement et sans hésitation, poussé par les circonstances plus qu'il ne les poussait. La légitimité romaine méritait bien ces égards : elle du moins avait eu des siècles de vie, et on ne pouvait la traiter comme la constitution au maillot du directoire. Nous rions de ce collègue de Barras, à qui on disait au 18 brumaire : La révolution est faite, Bonaparte est maître de tout. — Impossible ! dit-il tranquillement, j'ai les sceaux de la république dans mon tiroir. César, loin de là se défendra très-sérieusement, et de son mieux, d'avoir enfoncé les portes du temple de Saturne : on les avait, dit-il, laissées ouvertes, et les consuls étaient partis sans penser même à reprendre la clef[92].

Les événements se précipitent (705). Les consuls refusent presque d'ouvrir les lettres de César, ne permettent pas que le sénat en délibère, déclarent qu'on ne délibérera plus que sur le danger public. Si le sénat ne les seconde, s'il manque de fermeté, ils déserteront le sénat, ils iront, disent-ils naïvement, faire leur paix avec César. Le sénat se laisse emporter par leurs menaces. En vain les parents de César proposent-ils de l'aller trouver, de négocier encore ; tout se fait avec une violence étourdie. Pompée par orgueil, Caton par vertu, d'autres par ambition ou par embarras de fortune, se précipitent dans un abîme qu'ils ne regardent pas. César est déclaré ennemi public, si, à un jour marqué, il ne quitte son armée. On nomme son successeur, on ouvre le trésor de l'État à Pompée, on proclame, selon l'antique formule (caveant consules, etc.) le danger public et la suspension des lois ; les tribuns, amis de César, menacés par ces mesures et enchantés de la menace, se déguisent en esclaves, quittent Rome de nuit, fuient vers César[93].

César était à Ravenne, n'attendant pas encore ce moment inévitable, que la violence de ses ennemis avait hâté. Il n'avait même auprès de lui qu'une seule légion, diminuée par tant de guerres ; les autres, amenées par des lieutenants, lui arrivaient lentement à travers les Alpes. Mais après une rupture si éclatante il fallait marcher ou se soumettre, et César d'ordinaire prenait peu la peine d'attendre son arrière-garde. D'ailleurs, dans la personne de ses tribuns, lui arrivait un prétexte légal qui lui manquait et qu'il fut enchanté d'avoir : le soldat romain était Romain au fond du cœur ; la religion du patriotisme vivait dans les camps, et il est évident que César n'eût pas été sûr des siens s'il n'avait su concilier sa cause avec les scrupules du patriotisme romain. Maintenant la majesté des tribuns était violée, les lois offensées ; César harangue ses troupes comme un Caton eût pu le faire : des mesures violentes dans la cité ! la suspension des lois ! l'état de siège ! quand tout était calme, quand ses amis restaient dans la sphère légale, quand nulle violence ne troublait le Forum ! Les soldats lui répondent par des cris, marchent en avant ; lui, reste à Ravenne.

Jusqu'au dernier moment, il dissimule ou il hésite. Il demeure là tout le jour, assiste à un spectacle, considère un plan d'édifice qui lui est présenté, soupe le soir avec de nombreux convives, se retire comme souffrant, fait mettre à sa voiture les mulets d'un moulin voisin, y monte seul avec quelques amis, suit des chemins détournés ; les flambeaux s'éteignent, il s'égare, ne trouve un guide qu'au point du jour, chemine à pied par d'étroits sentiers, rencontre enfin ses cohortes qui l'attendaient au bord d'un petit fleuve nommé Rubicon[94].

Arrivé à cette rivière, frontière de sa province, aux bords de laquelle Manuce prétend avoir lu cette inscription : Au delà de ce fleuve Rubicon, que nul ne fasse passer drapeaux, armes ou soldats, César s'arrêta et dit à ses amis : Pensons-y bien, nous pouvons encore revenir sur nos pas ; si nous passons ce ruisseau, la guerre sera notre juge. Alors, dit Suétone, se leva tout à coup un pâtre d'une taille colossale et d'une beauté singulière, qui jouait sur une flûte de berger, et quand il eut amassé les soldats autour de lui, il saisit une trompette, s'élança dans le fleuve et le traversa, en la faisant résonner avec force. La con- science patriotique des soldats avait sans doute besoin de cet encouragement. Allons, dit César, où nous appellent les présages des dieux et l'injustice de nos ennemis ; les dés sont jetés. Et, comme parle Tite-Live[95], il marcha contre l'univers avec 5.000 hommes et 300 chevaux (janvier 705).

 

 

 



[1] Nigris et vegetis oculis, dit Suétone. — Gli occhi grifagni, dit le Dante.

[2] Suet., in Cœs., 53.

[3] Cic., de Offic., III, 82.

[4] In ulciscendo natura lenissimus. (Suet., in Cœs., 74.)

[5] Non gravius quam simplici morte puniit. (Suet., in Cœs., 74.)

[6] Nunquam nocere sustinuit. (Suet., in Cœs., 74.)

[7] Sénèque, de Benef., IV, 16.

[8] Sur ces deux complots, dont les détails offrent peu de certitude, V. Suet., in Cœs., 9. Sallust., Catil., 18, 49. Cic., in Toga condida ; in Catil., I, 6. Pro Sylla, 4.

[9] Non villæ, sed castra. (Senec., Ep., 51.) Suet., in Cœs., 46, 47. Sur la villa d'Aride, Cic., ad Attic., VI, 1.

[10] Sur ces chiffres, croyables ou non, V. App., Bell. civ., II, 32. Plut., in Cæsar.

[11] Postquam Pompeius in Mithridatem et in maritimum bellum missus, imminutæ plebis opes, paucorum potentia crevit. Ii magistratus provincias aliaque omnia tenere, etc. (Sallust., Catil., 40.)

[12] Nulla Foro fides... perturbatio judiciorum... rerum judicatarum confirmatio... nove dominationes, imo regna. (Cic., in Catil., 3.)

[13] Plut., in Cicer.

[14] V. l'éloge de Catilina, par Cicéron, Pro Cœlio, 5, 6.

[15] Sur la composition de ce parti, V. Salluste, 6, 17, 38, et surtout Cic., Catil., II, 8, 9, 10. Pro Murena, 24-26, 37.

[16] Erant præterea complures paulo occultius consilii hujusce participes nobiles. (Sallust., 17.)

[17] C'est à ceux-là que Cicéron dit ce mot : Errant qui tabulas novas a Catilina exspectant... Tabulas quidem proferam, verum audionarias. (Id.)

[18] Cic., Catil., I.

[19] Sallust., 15.

[20] C'est la conspiration patricienne dans laquelle César fut compromis, V. ci-dessus. Sur les antécédents de Catilina, voyez les curieux fragments de Cicéron in Toga candida, etc., 9. Cic., de Petitione consulatus.

[21] (Janvier 691.) De Lege agraria, II, in fine.

[22] Cicéron, la conspiration depuis longtemps découverte, dit à Catilina au sénat : Voilà vingt jours qu'un décret est lancé contre toi, vingt jours que chacun a le droit de te tuer, et cependant tu es libre..., etc. (Cic., Catil., I, 2.) Cicéron avoue pleinement la faiblesse de son pouvoir.

[23] Quod si Catilina superior aut æqua manu discessisset profecto agha clades... remp. obrepsisset. (Sallust., 40.)

[24] Depuis le mois de juin de l'année précédente. Sallust., 17.

[25] Salluste, in Catil., 22. Appien.

[26] Catil., IV, 7, 8.

[27] Is exercitus noster locupletium, dit-il à Atticus.

[28] Catil., III, 8, 9. Sur la foi de Cicéron à ces prodiges, V. de Divinatione, I, 12 ; II, 21.

[29] Quippe cui omnes copiæ in usu quotidiano et in cultu corporis erant. (Sallust., Catil., 49.)

[30] 5.820.000 fr. Plutarque, cité plus haut.

[31] V. Plut., in Cæsar, et Appien.

[32] Comitem... populo carum et jucundum. (Catil., IV, 6.)

[33] Vos ego appello qui semper domos, villas, pluris quam remp. fecistis. Apud Sallust., 54, et Plut., in Catone.

[34] Plut., in Catone.

[35] Plut., in Cicerone.

[36] Loi Valéria en 667. Les dettes se trouvèrent par là réduites des trois quarts. Velleius Patercul., II, 23. Sallust., Cat., 33.

[37] On voit que Cicéron compte sur elles : Jam vero urbes municipiorum coloniarumque respondebunt Catilinæ tumulis silvestribus. (Catil., II, 11, 12.) V. la conduite de la préfecture de Reate (Catil., III, 2), le décret rendu par Capoue (pro Sextio, 4). Le Picenum, l'Ager Camertinus, la Gaule cisalpine, étaient favorables à Catilina, Naples était contre lui (pro Sylla, 19). V. aussi Cic., Catil., II, 3. Pro Sextio, 4. Salluste, 42. Appien, II.

[38] Prima causa inventa est in qua omnes consentirent... quam conjunctionem si... perpetuam in rep. tenuerimus, confirmo vomis nullum malum civile aut domesticum ad ullam reip. par em esse venturum. (Catil., IV, 7.)

[39] Tueor, ut possum, conglutinatam concordiam. Sur ces brouilles, Att., I, 17, 18, 19.

[40] V. la lettre où Cicéron s'en plaint. Fam., V, 7.

[41] Cic., ad Attic., II, 18, 19, Texte précieux.

[42] 93.600.000 francs.

[43] Il le porta, dit Plutarque, de 50 à 135 millions de drachmes (in Pompeio, 62), ou plutôt de deniers romains comme le fait comprendre M. Letronne (Considération sur les monnaies, p. 96). Le denier équivaut à 4 sesterces. Le revenu public aurait donc été depuis la victoire de Pompée (692) de 540 millions de sesterces (104.700.000 francs). — C'est environ 330 millions de francs que Cicéron aurait prétendu employer en achat de terres.

Cicéron en 698 (pro Sextio, 25) semble fixer à 40 millions de francs seulement le revenu de l'État ; il est clair qu'il ne parie que des revenus anciens. V. aussi Pline, Hist. nat., VII, 27 (26).

[44] Ainsi pour le territoire de Volterra. Cic., ad Attic., XII, 21.

[45] Cic., ad Attic., XII, 21.

[46] Omnis spes largitionis in arum Campanum derivata est... cætera multitudo abalienetur necesse est. (Cic., ad Attic., II, 16.) César ajoute aux territoires à partager un territoire voisin nommé Stellas, et établit 20.000 familles. Suet., 20. Sur sa loi : Dion, XXXVIII, 1-7. Appien, II, 10. Velleius, II.

[47] Cic., ad Attic., II, 24.

[48] Plutarque, in Pompeio.

[49] Nil tam populare quam odium popularium. (Cic., ad Attic., II, 9.)

[50] Cic., ad Attic., II, 18, 19, 20, 21.

[51] Emptum et constupratum judicium. (Cic., ad Attic., I, 15, 16, 18.) Plut.

[52] V. de curieux documents à ce sujet dans une Notice sur le château de Saint-Fargeau, par le baron Chaillou des Barres, Auxerre, 1839.

[53] V. sur le retour de Cicéron, pro Sextio, 116, 147 ; post. Reditum, 39 ; pro Domo, etc., et toute sa correspondance avec Atticus, IV, 1 et sqq.

[54] Ludos populi Romani pollutos ! etc. (Cic., de Aruspicum responsis, 12.)

[55] J'aurais pu faire tuer Clodius, dit Cicéron ; mais j'ai assez de la saignée, je veux traiter par le régime. Diæta, curare incipio ; chirurgiæ tædet.

[56] Cic., ad Attic., IV, 3.

[57] Cic., ad Quint., II, 3. Fam., I, 5.

[58] Cause difficile ! Mais je tâcherai... Que pourrais-je dire ? Je veux être étranglé si j'en sais un mot... Je me suis endurci. Stomachus concaluit.

[59] Meum ne odium quidem esse liberum. (V. Cic., ad Quint., III, 3, 5) ; Fam., VII, 9 ; ad Attic., IV, 16, 18, et les lettres à Lentulus. Fam., I, 7 et 8, où il fait son apologie. Libertas sublata, tota dignitas in sententia dicenda. (Fam., I, 7.)

[60] Cic., ad Attic., IV, 16, 18.

[61] Cic., Fam., VII, 1

[62] Sur la vie et les habitudes militaires de César : Suet., 57-70 ; Pro Rabirio Posth., 15.

[63] Le cheval qu'il montait était d'une beauté singulière ; ses pieds ressemblaient à des pieds humains, et le sabot avait des fissures en forme de doigts. Ce cheval, né chez lui, et qui, selon les aruspices, présageait à son maître l'empire du monde, fut dompté par César, et ne souffrit jamais un autre cavalier. César, qui le nourrit toujours avec grand soin, consacra dans la suite son image en avant du temple de Vénus genitrix. Suet., in Cœs., 62.

[64] Plut., in Cœs.

[65] Cæsar, de Bello Gallico, I, 50.

[66] Quas gentes nulla vox, nullæ litteræ notas fecerant. (Cic., de Provinciis consul., 13.) V. encore 12 et 14.

[67] Eumenius, Panegyric., IV, 2.

[68] Plut., in Cœs.

[69] Plut., in Cœs.

[70] Suet., in Cœs.

[71] Maxima, minima, ad Cæsarem scribuntur. (Cic., ad Quint., III, 1.)

[72] Cic., de Provinciis consul.

[73] Suet., in Cœs., 44, 54.

[74] Au lieu de 4.000. Suet. 54, in Cœs. La livre romaine égale 2/3 de la nôtre. Au prix donné par César, la livre d'or ne valait plus que 18 3/4 livres d'argent au lieu de 25.

[75] Cæsar qui solet infimorum amicitiam quaque impensa sibi conciliare. (Cic., Fam., VII, 4.)

[76] Valère-Maxime, IX, 1, 6, Dion., XL, 60.

[77] Plut., in Cœs., in Pomp. Appien, Bell. civ., II. Dion, XL.

[78] Sur cette réconciliation de Cicéron avec César, V. Fam., VII, 5 ; VI, 8 (Litteræ, fœdus, non epistola), sa correspondance avec Quintus, II, 12, 14 ; III, 1 et sqq., et avec Trebatius, jurisconsulte attaché par lui à l'état-major de César, député de Cicéron pour être ami de César. Fam., VII, 5, et sqq.

[79] Suétone dit plus de 100 millions. Cicéron dirigea ces travaux. Cic., ad Attic., IV, 16.

[80] Sur ces monuments de César : Basilique Emilia, bâtie par Paulus. — Forum de César avec le temple de Vénus genitrix. — Septa Julia et Villa publica au Champ de Mars, V. Plut., in Cœs., 29 ; Pline, Hist. nat., XXXVI, 15 ; Suet., in Cœs., 26,78 ; Appien, Bell. civ., III, 102 ; Dion, XLIII, 22. La Villa publica était le lieu où se tenaient les augures pendant l'assemblée du peuple. Varron, de Re rust., III, 2.

[81] Omnes damnatos et ignominia affectos. (Cic., ad Attic., VII, 3.)

[82] Urbanam plebem, juventutem. (ibid.)

[83] La Gaule cispadane (Bologne, Modène, Ravenne, etc.) et la Gaule transpadane (le Milanais, Mantoue, Crémone, etc.) forment les deux parties de la Cisalpine.

[84] Publicani Cæsaris amicissimi, fœneratores agricolæ, etc., (Cic., loc. cit.)

[85] V. le septième livre à Atticus. Et ailleurs : Je souhaite que César soit vertueux, je puis mourir pour Pompée. Fam., II, 15.

[86] Sero resistimus ei quem per annos deeem aluimus. (Cic., Fam., II, 5.)

[87] Stomacho Magnus ita languenti ut quid cupiat non sciat. (Cœlius ad Cic., Fam., VIII.)

[88] Suet., 30.

[89] Plut., in Pompeio.

[90] Pompeius cupere bellum, Cæsarem non tam cupere quam non timere, Cic., Fam., IX, 6. V. encore ad Attic., VII, 8.

[91] Cic., ad Attic., VII, 7.

[92] Cæsar, de Bello civ., I, 14.

[93] Le seul historien pour tout ceci est César lui-même. Cæsar, de Bello civ., I, 1, et sqq.

[94] Plut., in Cœs., 10, Suet., in Cœs., 31.

[95] Tite-Live, apud Orose, VI, 15.