LA RÉGENCE GALANTE

 

III. — TESTAMENT CASSÉ.

 

 

Deux rivaux en présence. — Mesures transitoires. — Appoint du camp des roués. — Le fougueux de Maisons. — M. du Maine traduit, madame du Maine agit. — Le parlement s'assemble. — Opposition unique d'Antoine de Mesmes. — Entrée du Légitimé. — Harangue forcée. — Le duc d'Orléans parle, et M. du Maine se tait. — Régence donnée, pleine et entière. — Vivats. — Le Régent chez madame de Maintenon. — Pension à la veuve. — Épigramme. — Protestation de la duchesse du Maine. — Mot ambitieux. — Obsèques de l'immortel. — Epitaphe. — Larmes de joie. — Lit de justice. — Volonté du bambin royal. — Un Dieu et un ange. — Médaille, anagramme, médaillon.

 

A peine le roi eut fermé les yeux, à soixante-dix-sept ans, après soixante-douze ans de règne, que l'intrigue, commencée entre les légitimes et les légitimés dans les salons de Versailles, se continua devant le Parlement.

Les deux rivaux pour la Régence — car on était censé ignorer absolument le contenu du testament royal — se tinrent sur la défensive. De la mort de Louis XIV à la lecture de ses dernières dispositions, il y avait un instant critique qui pouvait être fatal à l'un des concurrents.

Le duc d'Orléans se regardait déjà comme investi de la régence ; en effet, la foule des courtisans était venue, aussitôt après le dernier soupir de Louis XIV, le trouver dans sa chambre et le saluer du nom de Régent. Il prenait des mesures gouvernementales, dressait même des plans d'administration.

Il avait des amis bien disposés, parmi les ducs et pairs, les magistrats et les hautes tètes de l'armée. D'Aguesseau était entré dans son camp, par haine des gens qui soutenaient la bulle Unigenitus ; le colonel des gardes-françaises, Guiche, beau-frère du duc de Noailles, s'était vendu à lui pour 600.000 francs. Reynolds avait livré les gardes-suisses, et la défection du maréchal de Villars s'était opérée en vue de la présidence du conseil de guerre.

Le duc d'Orléans avait eu toutefois assez de prudence pour ne pas écouter le président de Maisons, qui lui conseillait tout simplement de venir en armes au parlement, de forcer le dépôt, et de faire enlever par (les ouvriers et des soldats ce testament objet de tant de brigues.

— Monsieur le président, avait répondu le Régent en expectative, ce conseil est d'un fou ou d'un traître ; j'aime mieux vous croire l'un que l'autre. Si je suivais votre avis, j'indignerais la France entière, et ce n'est pas mon intention.

Sans doute M. de Maisons péchait par excès de zèle ; il aspirait à remplacer le chancelier Voisin. M. de Maisons avait autrefois figuré parmi les courtisans du légitimé, mais il changeait d'idole ; et le bon Voysin, lui aussi, aspirant à n'être pas remplacé, attendait les événements sans crainte, car il appartenait en apparence au duc du Maine, mais il s'était, nous le savons, ménagé en secret des intelligences avec le duc d'Orléans. D'ailleurs, le président de Maisons avait précédé Louis XIV dans la tombe.

Le duc du Maine, et surtout la duchesse du Maine, ne redoutaient rien : le mari continuait à parler latin et à traduire l'Anti-Lucretius du cardinal Melchior de Polignac ; la femme comptait sur la volonté de Louis XIV, obéi par-delà le tombeau. Elle avait déserté Sceaux pendant quelque temps, afin de travailler au triomphe de M. du Maine, et de se rallier les constitutionnaires — partisans de la bulle Unigenitus. A elle l'énergie virile, le mouvement, l'adresse pour profiter des moindres avantages offerts par les circonstances. Devenir Régente de fait ! cela valait la peine d'y songer.

Le lendemain de la mort du roi, le parlement s'assembla dès la pointe du jour, sans titre convoqué complètement, pour décider la grave question.

Est-ce qu'une scène renouvelée de la Fronde se prépare ? L'inviolabilité du parlement est-elle menacée ? On ne voit, dans la grande salle et dans les vestibules, que des officiers déguisés, des militaires réformés, des aventuriers turbulents, qui portent des armes cachées sous leurs habits.

Qu'on se rassure ; les frondeurs n'existent plus, et le parlement n'a pas dans son sein une opposition bien terrible. Une seule voix peut-être s'élèverait contre le neveu du roi défunt ; c'est celle de Jean-Antoine de Mesmes, le premier président, partisan des légitimés, mais tellement digne par ses dissipations et ses voluptés de figurer parmi les roués, que la compagnie n'a guère d'estime pour lui, et que son influence est à peu près nulle.

Antoine de Mesmes a conquis sa haute position de magistrat en jouant la comédie sur le théâtre de la duchesse du Maine ; il S'est signalé au milieu des bergers et des bêtes de la cour de Sceaux ; il s'est fait peindre clans le costume de ses rôles ; il s'est adonné aux galanteries platoniques des Malézieu, des Saint-Aulaire et des Polignac. Les magistrats le regardent comme un homme vicieux. Or, une fois décidés aux complaisances pour le vice, ils préféreront le duc d'Orléans, riche et puissant, à un de Mesures devenu ridicule et ne pouvant distribuer aucunes faveurs.

Le grand corps de l'Etat étant assemblé, le duc d'Orléans y prit séance, avec les princes et les pairs, mais sans le jeune roi, bien que Louis XIV eût recommandé de mener son successeur au Palais de Justice, pour assister à la lecture du testament.

Personne ne souffla mot sur cette infraction aux volontés dernières de l'immortel.

Quelques minutes après, dit Saint-Simon, arrivèrent les bâtards. M. du Maine crevait de joie. Le terme est étrange, mais on ne peut rendre autrement son maintien. L'air riant et satisfait surnageait à celui d'audace, de confiance, qui perçait néanmoins, et à la politesse qui semblait le combattre. Il saluait à droite et à gauche, et perçait chacun de ses regards. Entré dans le parquet quelques pas, son salut aux présidents eut un air de jubilation, que celui du premier président réfléchissait d'une manière sensible. Aux pairs le sérieux, ce n'est point trop dire le respectueux, la lenteur ; la profondeur de son inclination vers eux de tous les trois côtés fut parlante... Pour son frère, il n'y parut que son froid ordinaire.

Cependant les amis du duc d'Orléans avaient agi. A Paris, le 2 septembre, d'après les ordres du colonel des gardes-françaises Guiche, ce régiment occupa sournoisement les avenues du Palais ; les officiers, avec des soldats d'élite, se répandirent dans les salles en habits bourgeois. L'abbé Dubois pensa à prouver son zèle en menant dans une des lanternes lord Stair, ambassadeur d'Angleterre. Cela devait insinuer au parlement et au public que la cour de Londres appuyait le duc d'Orléans.

Voici le président de Mesmes qui fait une courte harangue. Ne croyez pas qu'il fronce le sourcil, ni qu'il se pose en redresseur de torts. Non, soumis comme un roué, il dit au duc d'Orléans :

La cour m'a expressément ordonné de vous protester qu'elle ira au-devant de tout ce qui pourra vous prouver le profond respect qu'elle a pour vous.

Avant qu'on ne fît l'ouverture du testament, le duc d'Orléans, qui avait apporté tout ouverts les deux codicilles, prononça un discours par lequel il demanda la régence, en vertu du droit de sa naissance plutôt que des dernières volontés de Louis XIV.

Mais à quelque titre que je doive aspirer à la régence, dit-il, j'ose vous assurer, messieurs, que je la mériterai par mou zèle pour le service du roi, par mon amour pour le bien public, et surtout étant aidé de vos conseils et de vos sages remontrances.

C'était cause gagnée, que de parler ainsi à l'assemblée que le défunt roi avait tant malmenée. Joli de Fleuri, avocat-général, donna des conclusions conformes à ce discours. Puis le testament fut lu à voix basse, rapidement, et seulement pour la forme, car personne ne l'écouta.

Il ôtait en réalité la régence au duc d'Orléans, instituait un conseil dont le duc serait le chef et aurait voix prépondérante en cas de partage, dont les membres seraient le duc de Bourbon, à l'âge de 24 ans, le duc du Maine, le comte de Toulouse, le chancelier Voysin, Villeroi, chef du conseil des finances, les maréchaux de Villars, d'Huxelles, de Tallard et d'Harcourt, les quatre secrétaires d'Etat, enfin le contrôleur général. M. du Maine aurait la garde de la personne de Louis XV, dont Villeroi serait gouverneur, et le gouvernement de toutes les troupes de la maison du roi. En cas de mort du duc du Maine, la régence appartiendrait au comte de Toulouse. N'oublions pas que le défunt manifestait sa haine des protestants et des duels, contre lesquels il réclamait la sévérité du conseil de régence et du jeune roi, en leur recommandant l'hôtel des Invalides et l'institution de Saint-Cyr.

Par un codicille, Villeroi commanderait à la maison militaire de Louis XV, depuis l'instant de la mort de Louis XIV jusqu'à l'ouverture du testament, après la lecture duquel Villeroi installerait le roi mineur à Vincennes.

L'attitude de Guiche avait complètement anéanti cette dernière disposition.

Quand la lecture du testament fut achevée, le duc d'Orléans prit la parole, se couvrit, se recouvrit, dit un mot de louange et de regret du feu roi, plaida pour sa prérogative, el produisit un grand effet sur l'auditoire. Etourdi par le succès de son concurrent, M. du Maine voulut parler ; mais le duc d'Orléans avança la tête, et lui dit d'un ton sec :

Monsieur, vous parlerez à votre tour. Des acclamations se firent entendre, telles que M. du Maine, de plus en plus accablé, n'osa ouvrir la bouche.

Que resta-t-il des dispositions dernières de Louis le Grand ? La cour, dans l'après-midi, toutes les chambres assemblées, déclara le duc d'Orléans régent en France, pour administrer le royaume pendant la minorité de Louis XV ; ordonna que le duc de Bourbon serait immédiatement chef du conseil de régence, sous l'autorité du duc d'Orléans, et y présiderait en son absence ; que les princes du sang royal auraient entrée dans ce conseil à vingt-trois ans ; que le Régent pourrait former le conseil tout à sa guise, et accorderait seul à qui bon lui semblerait les charges, emplois, bénéfices et grâces.

Cette séance montra la supériorité de l'esprit du duc d'Orléans sur celui du duc du Maine, dans l'altercation peu convenable, d'ailleurs, qui eut lieu entre ces cieux princes. Si le Régent fut trivial et impudent, le Légitimé, lui, n'eut pas assez de vigueur pour résister à son rival, et pas assez de dignité pour refuser la position dérisoire qu'on lui laissait.

M. du Maine demanda à être déchargé de la garde du roi, de la responsabilité de sa personne, puisqu'on anéantissait l'autorité que lui attribuait le testament de Louis XIV.

— Très-volontiers, monsieur, s'écria le duc d'Orléans.

Sans désemparer, le Légitimé donna acte de son désistement.

Aussitôt, le Régent avait profité de la bonne disposition du parlement. ll avait fait revenir les magistrats sur leur arrêt du matin, que tout se déciderait dans le conseil de régence à la pluralité des voix. Son habileté avait éclaté dans ces paroles :

— Je veux être libre de récompenser ; quand il s'agira de punir, j'en reviendrai à la pluralité des voix ; je veux être libre pour le bien, et avoir les mains liées pour le mal.

Une joie extrême s'était emparée des magistrats, qui se vengeaient des mépris que le défunt roi leur avait naguère prodigués. Beaucoup se mirent du côté des roués, par suite de leur propre corruption, de leur amour du luxe et des plaisirs ; quelques uns agirent par haine des constitutionnaires et des jésuites. Tous acclamèrent bruyamment, quand on leva la séance, un prince maintenant aussi favorisé qu'il avait été calomnié du temps de son oncle.

Succès complet du duc d'Orléans au Palais de Justice ; succès au dehors, vis-à-vis du peuple, alléché par la promesse de diminution d'impôt.

Sur la route de Paris à Versailles, où le Régent se rendit auprès du petit roi, les vivats populaires furent immenses ; et l'homme que les masses avaient longtemps maudit comme empoisonneur émérite, fut regardé comme un futur sauveur de la patrie.

Trois lignes seulement, dans la Gazette de France, annoncèrent au public la double séance du 2 septembre 1715.

Pour consoler le duc du Maine, on le créa surintendant de l'éducation du roi.

Quel coup de foudre frappa l'ambitieuse duchesse du Maine Quelle humiliation pour la galanterie précieuse, refoulée maintenant à Saint-Cyr ou à Sceaux !

Sans prévenir personne, le duc d'Orléans se rendit à Saint-Cyr. Arrivé dans cette retraite, il se fit conduire à l'appartement de madame de Maintenon, désignée désormais sous le nom de la veuve.

Il y entra seul, et ferma la porte sur lui. On ignore la conversation qu'il eut avec la veuve. Ce que l'on sait, c'est que lorsque le prince la quitta, l'agitation de madame de Maintenon fut si grande, qu'il fallut lui faire respirer des sels.

De retour à la cour, le duc d'Orléans répondit aux gens qui l'interrogeaient :

— La position où a été longtemps madame de Maintenon, et la confiance que le feu roi avait en elle, m'ont forcé à des actes qui répugnent à mon caractère, et j'ai été bien aise de la rassurer sur les suites qui pouvaient lui causer quelques appréhensions. Je ne veux pas la rendre malheureuse. N'est-elle pas, d'ailleurs, assez punie d'avoir échoué dans les deux choses qui l'intéressaient le plus, la déclaration de son mariage, et la régence pour M. du Maine, son enfant d'adoption ?

Oui, madame de Maintenon souffrait à cette heure. Rien ne pouvait lui causer plus de chagrin que la déchéance des prérogatives accordées d'abord aux légitimés. La veuve avait promis au Régent de ne plus s'employer qu'à prier Dieu pour le bonheur de la France.

En revanche, le duc d'Orléans lui continua la pension de quarante-huit mille livres que le feu roi lui faisait sur sa cassette, et il ordonna d'insérer dans le brevet que le rare désintéressement de madame de Maintenon, n'ayant rien à elle, rendait cette pension nécessaire. La Palatine et la reine d'Angleterre, en très-grand deuil, allèrent visiter la veuve, qui vécut dans la retraite, vendit ses chevaux, renvoya ses domestiques, et ne garda que deux femmes à son service. Madame de Maintenon avait pris les choses au tragique ; elle s'affecta, plus qu'on ne saurait dire, en apprenant les revers de son cher élève, le duc du Maine.

Inoffensive, découragée, tout entière à ses devoirs de piété, elle se livra à cette douleur passive et concentrée, qui n'éclate pas, mais qui tue. Les gentilshommes, qui se vantaient naguère d'avoir obtenu sa protection, la délaissèrent.

A Versailles, on parla peu de la veuve ; encore moins au Palais-Royal ; pas du tout à Saint-Cloud, où se tenait la cour d'amour du Régent. Ses ennemis, forts de son anéantissement, l'accusèrent des maux qui avaient accablé la France pendant la vieillesse de Louis XIV. Personne ne fut tenté de prendre sa défense : il demeura constant que, par ses conseils, le défunt roi avait révoqué l'édit de Nantes, accablé le peuple d'impôts, assuré le triomphe du camp des dévots et de la coterie des légitimés.

Les ennemis de la veuve Scarron ne se cachèrent plus pour lancer ou répéter des pamphlets, épigrammes ou quolibets composés contre elle. Les vers de Gilles Boileau, frère du satirique, furent redits çà et là :

Vois sur quoi ton erreur se fonde,

Scarron ! de croire que le monde

Te va voir pour ton entretien.

Quoi ! ne vois-tu pas, grosse bête,

Si tu grattais un peu ta tête,

Que tu le devinerais bien !

Madame du Maine, malgré son désappointement, ne perdit pas courage, et protesta contre l'arrêt du parlement de toutes les manières possibles. Elle revint tenir sa cour à Sceaux, se consola avec ses bêtes, inculqua à ses amis une sainte haine contre le duc d'Orléans, rédigea avec madame de Staal un mémoire pour réclamer les droits qu'on lui avait enlevés, et montra qu'elle était capable de lutter contre les ducs et pairs, le parlement, les princes légitimes, et le Régent lui-meule. Ne lui arriva-t-il pas plus tard, à Sceaux, de dire aux ducs de La Force et d'Aumont :

Quand on a acquis une fois l'habileté à succéder à la couronne, il faut, plutôt que se la laisser arracher, mettre le feu au milieu et aux quatre coins du royaume.

Ainsi tout changeait, et la réaction contre le règne de Louis XIV commençait dès les premiers jours de la Régence. Elle s'attaquait même aux restes mortels du monarque défunt.

Celui qui, pendant sa vie, avait connu la flatterie sous toutes ses formes, avec tous ses masques, reçut, étant mort, les plus sanglantes insultes. Les détracteurs, alors, non contents de dire les vérités que l'on doit aux hommes qui ont vécu, déversèrent sur Louis XIV un torrent d'injures, en écrits ou en paroles, et, parmi les épitaphes composées, on remarqua celle-ci, traduite de l'anglais :

Louis le Grand n'est plus, il est réduit en poudre !

Français, répandez l'encens de toutes parts.

Il imita trois dieux : par l'adultère, Mars ;

Mercure par le vol, Jupiter par la foudre.

Ce fut le 9 septembre 1715 que l'on conduisit le corps de Louis XIV de Versailles à Saint-Denis. Le convoi se fit avec une pompe mesquine, presque indécente.

Sur son passage, on entendait mille quolibets et refrains de vaudevilles.

Le cercueil même ne fut pas respecté, le cercueil du monarque-soleil, du grand roi ! Ce qui restait surtout de lui, c'était le souvenir des dragonnades, des intolérances, clos hypocrisies, des exactions impunies. A voir les spectateurs de cette cérémonie funèbre, on eût dit qu'il y avait fête publique.

Dans la plaine de Saint-Denis, affluence prodigieuse ; jeunes muguets donnant le bras à des femmes à la mode ; plus d'un roué de bas étage promenant sa débauche avinée. La masse croyait assister à l'enterrement du despotisme. C'était étrange et hideux. J'ai vu, écrit Voltaire, dans son Siècle de Louis XIV, de petites tentes dressées sur le chemin de Saint. Denis. On y buvait, on y chantait, on y riait. Le jésuite Le Tellier était la principale cause de cette joie universelle. J'entendis plusieurs spectateurs dire qu'il fallait mettre le feu aux maisons des jésuites avec les flambeaux qui éclairaient la pompe funèbre.

Des dernières intentions de Louis XIV, une seule avait été un peu réalisée. On avait installé, pour le bon air, le jeune roi à Vincennes ; de ce séjour provisoire, l'enfant vint au Palais de Justice, à Paris, le 12 septembre.

L'entrée se fit, par la porte Saint-Antoine. Dans le carrosse était Louis XV ; sur les genoux de madame de Ventadour ; à côté du petit roi, le Régent ; et devant lui, le duc de Bourbon et le prince de Conti. A la portière du carrosse se tenaient Bignon, prévôt des marchands, et M. de Tresmes, gouverneur de Paris. Inutile de dire qua le cortège fut magnifique, et que la foule éclata en manifestations bruyantes d'une joie inspirée par tant de belles promesses.

Au Palais, Louis XV dut remplir la formalité d'un lit de justice, cérémonie aussi Naine que solennelle, mais qui consacrait et affermissait aux yeux de bien des gens, amateurs des formes, le pouvoir du duc d'Orléans.

En effet, comme cela fut sérieux d'entendre un enfant de cinq ans, tenu en lisières par madame de Ventadour, sa gouvernante ! Quel éclat de majesté monarchique dans ces paroles d'un bambin royal, porté dans les bras d'un gentilhomme :

Messieurs, je suis venu ici pour vous assurer de mon affection. M. le chancelier vous dira ma volonté.

Louis XV, qui se relevait d'une indisposition, était pale et débile. Le président de Mesmes le harangua, le compara à un dieu, et prononça le mot d'ange à l'endroit du Régent, revêtu de la toute-puissance. Joli de Fleuri fut éloquent, et le chancelier Voysin — le bon Voysin de madame du Maine ! — fut imperturbable pour lire l'arrêt définitif qui cassait le testament reçu par lui un an auparavant.

La régence du duc d'Orléans avait ainsi toutes les sanctions, judiciaire, populaire et royale. Une médaille, dont le poinçon n'a pas été achevé, devait apprendre ce fait à la postérité. On y voyait cette légende : Jure et votis — par droit et par vœux. Des médaillons furent gravés à l'occasion de la Régence ; sur un d'eux parut l'anagramme suivante :

PHILIPPE D'ORLÉANS, RÉGENT DE CE ROYAUME

(Aimons ce grand héros, il est père du peuple).

Sur un autre, on avait dessiné hercule portant le monde sur ses épaules, avec cette légende Par virtus oneri, que les courtisans traduisaient ainsi : La force et le courage égalent la pesanteur du fardeau.