HISTOIRE ANECDOTIQUE DE LA FRONDE

 

CHAPITRE XVIII.

 

 

Mazarin réside à Sedan. — Gondi en députation. — Il harangue Louis XIV ; réponse du roi. — Autres députations. — Derniers efforts de Condé. — Turenne le tient en échec. — Condé sort de France. — Rentrée du roi dans Paris. — Mot audacieux de mademoiselle de Montpensier. — Lit de justice. — Bannissement de Beaufort, La Rochefoucauld et Rohan. — Regrets amers de la Rochefoucauld. — La Franchise. — Amnistie. — Le parlement bâillonné. — Réactions. — Couplet. — Quelques imprimés du temps. — Sort de madame de Longueville. — Gondi, suspect, est arrêté. — Œuvres de réaction. — Retour définitif de Mazarin à Paris. — Vers, louanges et satires. — Mazarin reprend son luxe et sa puissance.

— Du 12 août 1652 au 29 mars 1653. —

 

Pendant que Bouillon mourait à Pontoise (9 août 1652), d'une fièvre continue, et que le jeune duc de Valois, fils unique de Gaston d'Orléans, expirait subitement, Mazarin se disposait à quitter la France. Il repartit avec Turenne, dont l'épée était devenue la sauvegarde du pouvoir royal, et qui allait combattre les armées étrangères, avec lesquelles il avait naguère fait cause commune. Mazarin résida a Sedan : on chanta l'In exitu, — la Litanie du cardinal, — les Pleurs et Regrets inconsolables d'Anne d'Autriche et de Mazarin. Ce que ce ministre souhaitait s'accomplit. Satisfaits, ou du moins paraissant satisfaits de l'éloignement du cardinal, les Parisiens parlèrent de poser les armes, moyennant une amnistie.

Gondi, dont le chapeau rouge avait déjà été apporté au roi, se trouva en position de jouer le rôle de pasteur évangélique. Il conçut ou on lui suggéra la pensée de s'entremettre entre la Cour et les frondeurs. Un moment Gaston d'Orléans, que son égoïsme engageait maintenant à entrer dans le parti de Louis XIV, craignit de voir Gondi s'accommoder avec Monsieur le Prince ; il s'écria : Si cela est, nous avons la guerre civile pour l'éternité. Mais quelqu'un avait dit à Gondi : Vous êtes cardinal, vous êtes archevêque de Paris, vous avez l'amour du public, vous n'avez que trente-sept ans : sauvez la ville, sauvez l'Etat ! L'ancien brouille-tout de la Fronde devint l'apôtre de la paix et porta la branche d'olivier à Compiègne, où résidait la Cour ; il conduisit une députation du clergé, pour approcher le roi refusant d'entendre tous les envoyés qui ne venaient pas de Pontoise, pour le supplier de se rendre au vœu de son peuple et de reparaître dans la capitale. Secrètement il porta à la reine les vœux et les promesses de Gaston d'Orléans, c'est-à-dire une demande d'amnistie universelle et la proposition de se retirer à Blois, afin de ne plus se mêler de rien.

Arrivé à Compiègne le 11 septembre 1652, le cardinal de Retz reçut d'abord solennellement le bonnet si désiré ; Anne d'Autriche, qui ne cessait pas de le haïr, et qui avait encore sur le cœur les expressions de grosse suissesse employées autrefois par Gondi à propos d'elle, lui fit un bon accueil. Le lendemain, demandant la paix au nom de l'Eglise, il prononça une harangue où brillèrent les mille facettes de son esprit, et, ce qui vraiment étonne, de nombreux éclairs de raison sous y lisons ce passage : Il est, sire, de vostre devoir d'arrester par une bonne et prompte paix le cours de ces prophanations abominables qui déshonorent la terre et qui attirent les foudres du ciel ; vous le devez comme chrestien, vous le devez et vous le pouvez comme roi. Personne n'eut pu reconnaitre dans cet orateur, à la fois éloquent et mesuré, l'auteur de tant de scènes tragi-comiques. Il va sans dire que les condéens désapprouvèrent sa harangue, publiée avec des variantes par certains libellistes. Mais Gondi pouvait rappeler qu'en 1649, lorsqu'il levait le fameux régiment de Corinthe, il lui avait donné pour devise des flèches avec les mots : In corda inimicorum regis — droit au cœur des ennemis du roi[1] ; il pouvait se flatter, maintenant, d'agir selon cette devise, car tout dépendait de l'interprétation qu'on lui donnait.

Le roi répondit (13 septembre) au cardinal de Retz :... Sa Majesté a desjà pris résolution de se rapprocher de Paris, et a donné ordre de préparer son chasteau de Saint-Germain pour y aller avec sa Cour au premier jour ; mais il est très nécessaire que les bons subjects de sa dite ville, pour se mettre en estat de profiter de ce bien, se délivrent des obstacles qui les en ont privéz jusqu'à présent, et qu'ils n'y souffrent plus le pouvoir violent de ceux qui, pour faire durer les troubles qu'ils ont excitéz, n'ont autre but que de tenir toujours les principaux membres de l'État séparéz de leur chef... Il fallait que les Parisiens, ajoutait Louis XIV, imitassent leurs pères qui s'étaient délivrés des ennemis estrangers et domestiques qui voulaient empescher le roi Henry-le-Grand d'entrer en possession de la ville capitale de son royaume.

Le parlement de Paris, à son tour, résolut d'envoyer une nouvelle députation au roi ; mais on lui refusa des passeports, car la Cour ne reconnaissait plus que le parlement de Pontoise. Le corps de ville fut aussi repoussé, tandis que, au contraire, Louis XIV et sa mère s'attachèrent à gagner les notables habitants de Paris et les corporations bourgeoises, en comblant de soins, d'aménités et de caresses les syndics des six corps des marchands, et les colonels et quartiniers de la ville, qui ne tardèrent pas à se rendre à Saint-Germain aussitôt que la Cour y fut établie.

Paris inclinait à se soumettre, le roi pardonnait presque : la paix devenait inévitable, au grand désappointement de Condé et du nue d'Orléans, qui virent bien que l'on ne leur ferait aucune concession. Monsieur le Prince avait tenté un suprême effort ; il avait appelé à son secours les Espagnols, qui envahirent la Picardie ; le duc Charles IV de Lorraine accourut à son aide, pour s'entendre appeler voleur par le menu peuple de Paris, et il faut avouer qu'il avait cent fois mérité ce nom.

Condé commandait donc en tout vingt mille hommes. Mais, sans doute, le découragement avait gagné ce grand général lui-même, car Turenne, avec huit mille soldats, le tint en échec pendant deux mois, près du confluent de l'Yères et de la Seine. Condé se retira à Corbeil. Il avait dit, en sortant de Paris : Les Parisiens souhaitent que le roi revienne ; cela ne finira pas la guerre. Cependant, il essaya encore de se réconcilier avec la Cour, n'y réussit pas, ne parvint pas non plus à ranimer l'ardeur frondeuse des Parisiens, et sortit de France (1er décembre), tandis que Mazarin, son heureux rival, se faisait annoncer dans Saint-Dizier comme libérateur de la Champagne, et se préparait un glorieux retour à Paris.

Dès octobre, Louis XIV était arrivé à Saint-Germain, ce château plein de souvenirs des troubles de son enfance. Les chefs de la garde bourgeoise l'y saluèrent. Turenne s'y rendit ; puis, sans qu'il fût question du duc d'Orléans ni du parlement de Paris, le roi, parti de Saint-Germain avec Turenne (matin du 21 octobre), s'arrêta au bois de Boulogne, écrivit à son oncle reste au Luxembourg de ne pas demeurer dans Paris, ou plutôt, qu'il allait le chercher pour le mener au Louvre. Ce fut au milieu d'acclamations enthousiastes que Louis XIV entra dans le château. Retz félicita son roi ; Broussel fils remit le commandement de la Bastille ; le duc d'Orléans, très agité, se retira à Limours ; mademoiselle de Montpensier se cacha un jour dans la capitale, puis se sauva où elle put. Comme elle se trouvait chez madame de Choisy, place du Louvre, elle entendit un homme qui vendait des lanternes pour mettre aux fenêtres crier bien haut : Lanternes à la royale ! — A la Fronde, reprit-elle avec audace. Madame de Choisy lui dit : Vous voulez me faire assassiner. Les particuliers du parlement de Paris ayant reçu individuellement l'ordre de se rendre au Louvre, se mêlèrent à leurs collègues de Pontoise pour enregistrer la déclaration d'amnistie (22 octobre). Après, ils se formèrent en lit de justice. On lut devant eux deux déclarations royales : — la première, qui rétablissait à Paris le parlement fidèle, récemment transféré à Pontoise ; — la seconde, qui bannissait de Paris Beaufort, La Rochefoucauld (Marsillac) et Rohan.

La Rochefoucauld, chevalier servant de la duchesse de Longueville, qu'il avait passionnément aimée, allait maintenant songer au caractère de cette princesse, aux infidélités nombreuses de cœur, sinon de fait, dont elle avait pavé ses tendres sacrifices. La Rochefoucauld possédait le courage, l'esprit, les belles manières ; c'était un soldat intrépide, un courtisan chevaleresque. Ses coups de boutoir fréquents et ses vives apostrophes lui avaient fait donner le surnom de la Franchise par les frondeurs. Pendant sa maladie, après la blessure qu'il reçut au combat de Saint-Antoine, l'amoureux Marsillac se livra à de très sérieuses réflexions. Il put s'inspirer déjà pour écrire le livre des Maximes. Autrefois, il avait pris pour devise ces deux vers de la tragédie d'Alcyonée, de Du Ryer :

Pour mériter son cœur, pour plaire à ses beaux yeux,

J'ai fait la guerre aux rois, je l'aurais faite aux dieux.

Maintenant, il parodiait ces vers, il s'écriait amèrement :

Pour ce cœur inconstant, qu'enfin je connais mieux,

J'ai fait la guerre aux rois, j'en si perdu les yeux.

En effet, La Rochefoucauld faillit de devenir aveugle.

L'amnistie fut incomplète, à peu près dérisoire. Outre les gentilshommes que nous avons indiqués, on en excepta onze membres du parlement les plus compromis, et, tout naturellement, Broussel ; on en excepta aussi les familles des condéens qui combattaient encore contre le roi.

La seconde déclaration ne limitait pas seulement la liste des amnistiés, elle limitait aussi les prérogatives du parlement, en défendant aux magistrats de prendre connaissance des affaires générales de l'Etat, de la direction des finances, en leur interdisant de s'occuper à l'avenir des affaires des princes et des grands, de recevoir d'eux pensions ou bienfaits quelconques, de les visiter souvent, d'assister à leurs conseils. Ces sortes d'engagements, disait le roi, a été la source des maux actuels du royaume. Séance tenante, les conseillers atterrés supplièrent le jeune monarque de révoquer une sentence qui consommait la ruine du parlement de Paris[2]. Mais le roi avait quatorze ans révolus, et, de son propre mouvement, ou à l'instigation de sa mère, il voulait déjà, sans contradiction possible. Son chancelier ordonna l'enregistrement. Quels revirements ! On a remarqué que ce grand fait de puissance royale absolue fut accompli l'anniversaire même du jour où le parlement (24 octobre 1648) avait rédigé sa fameuse déclaration qui en faisait un rival de la royauté.

Bientôt les réactions commencèrent, politiquement et civilement. Le peuple railla les magistrats parisiens : chansons et libelles achevèrent de les déconsidérer. Il parut : le Parlement de Paris à confesse aux pieds du roy, à la Thoussaint, et l'on chanta au Louvre, au Palais-Royal, au Luxembourg, dans la cour du Palais de Justice, dans les églises, les rues et les places, ce couplet devenu célèbre et cité par Mademoiselle :

Messieurs de la noire cour,

Pendez grâces à la guerre ;

Vous êtes dieux sur la terre

Et dansez au Luxembourg.

Petites gens de chicane,

Tombera canne sur vous,

Et l'on verra madame Anne

Vous faire rouer de coups.

En même temps, on adressa une requête présentée au roi... par les pauvres locataires de la ville et faubourgs de Paris, pour les exempter des termes de Pâques, Saint-Jean et Saint-Remy derniers, et l'on rédigea un état sommaire des misères de la campagne et besoins des pauvres aux environs de Paris ; on imprima un Mémoire des besoins de la campagne et un Magasin charitable, — toutes publications qui montrent assez que la présence de Louis XIV dans la capitale éveillait mille espérances au cœur des malheureux, et que les Parisiens avaient bâte d'être délivrés des gens de guerre.

L'incendie, si promptement allumé, s'éteignit plus promptement encore, et la Cour put frapper ses anciens ennemis, sans redouter de nouveaux troubles.

On alla de réactions en réactions. Madame de Longueville encourut les peines portées contre les rebelles, criminels de lèse-majesté, perturbateurs du repos public et traitres à leur patrie. Le cardinal de Retz, ayant eu des velléités de reprendre ses allures de frondeur — car, a dit le poète, le naturel revient au galop —, ne tarda pas à devenir suspect, à paraître dangereux. Comme il sortait de chez la reine, au Louvre (19 décembre), le capitaine des gardes se saisit de sa personne, et il fut ensuite conduit à Vincennes. Le 23 janvier 1653, une lettre-circulaire de l'archevêque de Paris aux curés du diocèse s'empressa de recommander le cardinal de Retz à leurs prières. Fin méritée de celui que madame de Sévigné appela le héros du bréviaire, et dont, un siècle et demi plus tard, le conventionnel Legendre considéra les Mémoires comme le bréviaire des révolutionnaires ! Quant à Condé, sous le coup d'une condamnation à mort, il continua de guerroyer à la tète de soldats étrangers.

L'œuvre de la vieille Fronde s'oublia bien vite. Abolition des milices bourgeoises, dont on brisa les chaînes redoutées ! garnison royale imposée à Paris ! création de magistrats royaux ! Tel fut le prix de mille efforts mal dirigés. La main du bourreau lacéra les registres du parlement et de l'Hôtel-de-Ville, qui contenaient les actes des frondeurs. Il ne manquait plus que Mazarin, pour que tout, dans la capitale, se terminât à l'avantage de la monarchie absolue. En effet, le cardinal rentra (3 février 1653) victorieusement dans Paris ; le roi l'alla chercher au Bourget, et le ramena en carrosse au Louvre, à travers une foule innombrable. Les Parisiens se tuaient au retour de Mazarin pour aller au devant de lui, dit Laporte, et ceux même qui avaient été ses plus grands ennemis furent les plus empressés à se produire et à lui faire la révérence. Je vis une multitude de gens de qualité faire des bassesses si honteuses en cette rencontre, que je n'aurais pas voulu être ce qu'ils étaient à condition d'en faire autant... J'étais dans le cabinet de la reine lorsque son Eminence y entra j'y vis parmi tant de gens de qualité qui s'étouffaient à qui se jetterait le premier à ses pieds, j'y vis, dis-je, un religieux qui se prosterna devant lui avec tant d'humilité que je crus qu'il ne s'en relèverait point.

Le soir, un feu d'artifice célébra son retour. Loret, le gazetier, publia la nouvelle le 8 février, de la manière suivante :

Encor qu'il fît un temps étrange,

Temps de vent, de pluyie et de fange,

Lundy matin, Sa Majesté,

Leste, brave et bien ajusté,

Fut en assez belle ordonnance,

Vers le Ménil-madame-Rance,

Pour recevoir le cardinal

Qui venait du pays d'aval,

Auquel il fit grandes caresses,

Et témoigna bien des tendresses ;

Et le soir fit maint compliment

Aux trois nièces pareillement,

Qui plurent fort à notre Sire.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

L'Eminence étant arrivée

A deux heures de relevée,

Eut au Louvre un appartement.

Benserade célébra ainsi le retour de Mazarin, après sa retraite à Cologne :

Enfin vous revenez et le peuple s'en plaint ;

Mais sçait-il ce qu'il veut, mais sçait-il ce qu'il craint !

Lui qui croit aisément ce qu'on lui persuade :

C'est sans raison qu'il aime, et sans raison qu'il hait ;

Le médecin ordonne en dépit du malade,

Vous guérissez la France en dépit qu'elle en ait.

A ces vers de courtisan, étrange appréciateur des misères du peuple, Blot, le pamphlétaire, sut répondre :

A la fin, malgré tout le monde,

Malgré les princes de la Fronde,

Malgré nos plaintes et nos cris,

Après une horrible tempête,

Jules est rentré dans Paris,

Et remonte dessus sa bête.

Deux mois après ce retour, le corps de ville offrit un banquet magnifique (29 mars 1653) à Mazarin réduit à une pressante nécessité, ne tirant quoi que ce fût de ses bénéfices et de ses finances, presque contraint de faire un autre métier que celui de cardinal, sur le point de licencier ses gardes et de renvoyer ses gentilshommes, de se retirer enfin avec douze valets, écrivait-il, pour vivre le plus en cachette qu'il lui serait possible. Son palais n'avait plus que les quatre murs ; Mazarin racheta pièce à pièce tout ce qui avait été vendu, meubles, livres, statues, tapisseries, tableaux, et sa bibliothèque recouvra ses trésors éparpillés ; il ne tarda pas à étaler une magnificence tout a fait royale, et telle que Christine de Suède ne se lassait d'admirer ses merveilleuses collections de science, de littérature et d'art. Ainsi va le monde, le monde politique surtout : tel qui nage la veille au sein d'un luxe inouï, se trouve le lendemain errant et misérable ; l'exilé d'aujourd'hui est le maitre demain. Mazarin avait passé par mille vicissitudes, pour revenir au plus haut point de la puissance.

 

 

 



[1] Mémoires ou Journal des guerres civiles pendant l'année, par M. Dubuisson-Aubenay, t. I, p. 61. (Manuscrit de la Bibliothèque Mazarine.)

[2] Henri Martin, Histoire de France, tome 14, à l'année 1652.