Ce que veut Condé. — Grande assemblée à l'Hôtel-de-Ville. — Les condéens sur la place de Grève. — Les princes dévouent les magistrats municipaux à la haine du peuple. — Incendie et massacre de l'Hôtel-de-Ville. — Inaction du duc d'Orléans et de Condé. — Mademoiselle de Montpensier se montre. — Pendaison remise. — Broussel, prévôt des marchands ; son incapacité. — Mauvaise situation des Parisiens. — Confusion. — Duel de Beaufort et du duc de Nemours. — Soumet reçu par le comte de Rieux, coup de poing donné à Condé. — Les mitigés prennent le dessus. — Le parlement à Pontoise ; mort de Benserade. Complot royaliste. — Papier ou ruban blanc opposé à la paille. — Broussel cesse ses fonctions. — Découragement de la Fronde. — Mazarin s'en va encore.— Du 3 juillet 1652 au 12 août 1652. — Ainsi donc, défait en réalité dans le combat du faubourg Saint-Antoine, Condé eut une large mais odieuse compensation dans Paris, à l'Hôtel-de-Ville. En effet, les magistrats municipaux avaient été convoqués pour décider devant lui et le duc d'Orléans la question de l'union avec les princes. Au lieu d'obtempérer aux désirs des condéens, qui voulaient faire déclarer le duc d'Orléans lieutenant-général du royaume, et Monsieur le Prince généralissime des armées, les magistrats municipaux, encouragés par les succès récents des troupes royales, demandaient le retour du roi sans condition. Condé et Gaston se firent attendre, à dessein, jusqu'à six
heures du soir. L'assemblée commença de délibérer sans eux. Ils parurent
enfin, la paille aux mains et aux chapeaux, accompagnés de Beaufort et de
plusieurs autres seigneurs. Gaston, dans un bref discours, déclara que les
princes mettraient bas leurs armes, pour les joindre à celles de Sa Majesté,
aussitôt qu'il aurait plu au roy esloigner le
cardinal Mazarin hors du royaume. Après lui, Condé parla. Il corrobora
les déclarations de Gaston d'Orléans, assura que tout ce qu'il entreprenait estoit pour la conservation et seureté de Paris, à l'effet
de quoy il donnerait volontiers sa vie et son sang. Puis, ils se
levèrent, certainement mal satisfaits des remercîments
de l'assemblée, et furent reconduits jusqu'à la grande porte de l'Hôtel-de-Ville.
Là, les gens des princes commencèrent à dire que son Altesse Royale n'avait
pas lieu d'être contente des magistrats municipaux. Ils sortirent en
murmurant. Il y avait sur la place de Grève, pendant cette séance, une foule considérable de populaire, des hommes à la mine hostile, parmi lesquels étaient mêlés des soldats condéens déguisés. Là se trouvaient ces malheureux sans pain, que la misère avait donnés à Monsieur le Prince ! Là, des gens sans aveu, payés pour faire sédition, et auxquels on avait distribué, dit Conrart, quatre mille deux cents livres ! Les bateliers et gagne-deniers du quartier y fourmillaient. On comptait huit cents soldats, travestis ou non. Un seul fripier prétendit avoir loué deux cents paires d'habits pour cet effet. Plusieurs chefs militaires s'y rencontraient, notamment un capitaine du régiment de Bourgogne, qui fut tué. Dès le matin, ces rassemblements faisaient présager de terribles actes. Ils avaient maltraité les passants qui ne portaient point de la paille. Allez, criaient-ils aux députés qui se rendaient à la séance, et si vous ne faites pas ce qu'il faut, nous vous tuerons au retour[1]. Certes, cela promettait, et plusieurs personnes désignées pour l'assemblée furent averties officieusement de n'y point aller, ou de n'y faire qu'une courte apparition. Les princes ou leurs gentilshommes, à peine descendus de
l'Hôtel-de-Ville, s'adressèrent à cette foule ardente, militairement
conduite. Tous ces gens-là, déclarèrent-ils
en désignant les magistrats municipaux, tous ces
gens-là ne veulent rien faire pour nous ; ils ont même dessein de tirer les
choses en longueur, et de tarder huit jours à se résoudre : ce sont des
mazarins, faites-en ce que vous voudrez. Cet appel à l'insurrection fut entendu et suivi d'applaudissements significatifs, de menaces aux mitigés, au parti des modérés. Le peuple cria : L'union avec les princes ! A bas les mazarins ! Des balles d'arquebuse sifflèrent, frappèrent les murs de l'Hôtel-de-Ville. La journée du 4 juillet 1652 allait devenir l'une des plus sanglantes de la Fronde. La nuit est tombée : aussitôt après le départ des princes, et dans l'obscurité, les insurgés élèvent des bûchers devant toutes les portes de l'Hôtel-de-Ville. Ils y mettent le feu. De leur côté, les gardes de l'Hôtel-de-Ville ont répondu aux assaillants ; ils ont essayé de construire des barricades. Pleins d'effroi, les magistrats signent à la hâte un acte d'union, dont ils font jeter des copies par les fenêtres. Le curé de Saint-Jean a ordonné d'apporter le Saint-Sacrement. Mais comment apaiser un pareil tumulte ? Le vicaire qui porte l'objet sacré est, assure-t-on, couché en joue. Les insurgés veulent une victoire. Ils n'entendent à aucun accommodement. Leur fièvre va croissant. Bientôt les portes de l'Hôtel-de-Ville, incendiées, tombent en charbons. Des magistrats municipaux, les uns cherchent à fuir, les autres se cachent çà et là dans les bâtiments. Un massacre a lieu. Suivant une relation contemporaine, trois ou quatre conseillers et maîtres des requêtes, un échevin ou deux, et pour le moins trente bourgeois sont tués. Le duc d'Orléans et Condé restent immobiles au fond du Luxembourg. En vain Coulas, secrétaire des commandements du premier, a écrit à son maitre pour lui demander du secours. Son billet, assure Conrart, a été porté en diligence au duc d'Orléans, lequel, étant pressé par celui qui le porte, a dit en grattant ses ongles qu'il n'y peut que faire, et qu'on aille à son neveu de Beaufort. Celui-ci se tient pendant l'attaque dans la boutique d'un mercier, rue de la Vannerie, en regardant froidement les choses. Il va enfin à l'Hôtel-de-Ville, s'étonne du pillage et de la violence commise, lui qui n'imaginait pas que cette fureur populaire les deut porter si avant contre leurs magistrats. Mais, plus généreuse, Mademoiselle agit pour empêcher le mal ; elle arrive à dix heures du soir environ, se concerte avec Beaufort, sorti enfin de son inaction, conjure la fureur des insurgés et sauve le reste des bourgeois. On vit bientôt Gaston d'Orléans chercher à se disculper de sa lâche conduite devant le parlement, en déclarant qu'il venait de faire arrêter deux hommes au milieu de l'incendie et des assassinats. Les prisonniers furent condamnés à être pendus en place de Greve ; mais les compagnies bourgeoises, commandées pour prêter main-forte à l'exécution, refusèrent d'y aller. Nous ne sommes pas, dirent-elles, les valets du bourreau ; et, d'ailleurs, on pend les innocents pour leurrer le peuple, et l'on n'a garde de s'attaquer aux auteurs de la violence, ni à ceux qui en ont été les instruments. Toute la vérité ressortait de ces paroles. Ajoutons que Laisné, conseiller à la grand'chambre, qui était, avec Gilbert de Voisins, commis pour informer contre les coupables, trouva un matin écrit en grosses lettres sur sa porte : Si vous faites mourir ces deux prisonniers, vous ne vivrez pas six heures après. L'exécution des deux hommes fut remise à un autre jour, et on ne les pendit pas moins dans la cour du palais. L'un d'eux était, d'après les registres de l'Hôtel-de-Ville, officier de cuisine de la maison du prince de Condé. A la suite de cet événement, le prévôt des marchands se démit de sa charge, et Broussel fut élu à sa place (6 juillet). On put juger de l'incapacité de l'homme qu'on avait si longtemps appelé le père du peuple ; ce vieux frondeur parlementaire garda son poste un peu plus de deux mois. Le moment était critique ; Broussel ne fit rien pour ses amis. Il laissa même exercer sa charge par son neveu Pénis, trésorier de Limoges. Son élection fut cassée le 19 août par un arrêt du conseil d'Etat. Somme toute, l'autorité fut dévolue aux princes, qui recueillirent les fruits d'une catastrophe par eux préparée, et dont ils n'avaient pas prévenu les excès. Condé, notamment, était responsable de tout le mal. Aussi se trouva-t-il fort embarrassé de son incomplète victoire. L'anarchie régnait dans Paris, où il n'y avait plus de police, où les impôts ne se prélevaient plus, où le commerce était anéanti. La chair des chevaux tués au combat du faubourg Saint-Antoine se vendait dix sous la livre. Gaston d'Orléans fut forcé de défendre à ses troupes d'aller fourrager. Certains misérables parlaient de pillage. Les princes, qui avaient besoin d'argent, firent décider, en leur présence, par une assemblée générale de l'Hôtel-de-Ville, que chaque porte cochère serait taxée à soixante-quinze livres, chaque porte carrée à trente, et toutes les autres à quinze ; ils déclarèrent qu'ils feraient payer cette taxe de gré ou de force. Mais un arrêt du conseil survint qui défendit de payer. A tout instant s'élevaient des démêlés entre les officiers de la garde bourgeoise, ou bien les marchands se plaignaient d'être volés. On en vint à ordonner aux colonels de ne laisser entrer aucuns soldats dans Paris (31 août). Malgré les défenses, les attroupements étaient fréquents, et déjà l'on parlait de rétablir l'autorité royale dans Paris. Le parlement s'était démembré ; une partie des magistrats avait quitté la capitale, tombée aux mains du duc d'Orléans, lieutenant-général du royaume ; de Condé, fait généralissime, et de Beaufort, nommé gouverneur de Paris. C'était là un pouvoir, sans doute, mais un pouvoir qui manquait de force, parce qu'il manquait de moralité. Parmi les frondeurs, tous voulaient commander, personne ne se résignait à obéir ; les uns espéraient la paix, grâce à la promesse que Louis XIV avait faite d'éloigner Mazarin (11 juillet) ; les autres se réjouissaient de la prolongation du désordre, et n'auraient entendu à aucune réconciliation. Chaque jour voyait naitre une querelle, une algarade quelconque. On s'y accoutumait sons prétexte de politique ; les filous de toute sorte pêchaient en eau trouble. Les mauvaises passions avaient beau jeu : disputes en bas, duels en haut ; le navire allait sans pilote. A propos de duels, racontons le suivant : Pendant un conseil de guerre tenu dans Orléans avec mademoiselle de Montpensier, trois mois auparavant, Beaufort et le duc de Nemours s'étaient querellés ; celui-ci avait donné un démenti à celui-là. Le roi des Halles avait souffleté son beau-frère, qui, lui, par représailles, avait fait sauter la perruque blonde de Beaufort. Grâce aux supplications de mademoiselle de Montpensier, les deux antagonistes s'étaient alors réconciliés, embrassés même. A Paris, une question de rang les brouilla de nouveau ; et, cette fois, un duel au pistolet et à l'épée, ou plutôt un combat de six personnes s'ensuivit. Nemours tomba, tué par Beaufort, et deux seconds furent blessés mortellement (30 juillet). Le lendemain, soufflet donné au comte de Rieux, fils du duc d'Elbeuf, par Monsieur le Prince, encore à cause de la question de préséance ; coup de poing donné à Condé, puis épées tirées ; mais le duel fut interrompu et se termina par l'embastillement du comte de Rieux, qui fut rendu à la liberté peu de jours après. Misérable aventure pour un Condé ! Cette injure, toutefois, n'atteignait pas son honneur. Vous voyez, dit-il presque en riant à mademoiselle de Montpensier, un homme qui vient d'être battu pour la première fois. Rieux excita les sympathies de la noblesse frondeuse. Il est bon, remarquait-elle, que messieurs les princes du sang ne se croient point à l'abri de toute atteinte, et ne s'élèvent point tant au-dessus des autres. Assurément, voilà une parole toute féodale reproduite dans le dix-septième siècle. Tant de misère chez le peuple, d'incurie dans les princes, de confusion parmi les frondeurs, devaient aboutir au succès du parti modéré. Les mitigés allaient peut-être enfin trouver leur point d'équilibre, en se rapprochant des courtisans. Comme la Cour demeurait à Pontoise, Louis XIV ordonna la translation du parlement dans cette ville (6 août). Ce parlement, quine compta d'abord que quatorze membres, fut installé par Matthieu Molé (7 août). Un si petit nombre de magistrats excita les plaisanteries des courtisans eux-mêmes. Benserade fut très applaudi lorsqu'il raconta qu'il venait de rencontrer à la promenade tout le parlement dans un carrosse coupé. Ce noyau de bonnets carrés n'en demanda pas moins encore une fois l'éloignement de Mazarin (8 août). A ce prix, la Cour s'efforça de désorganiser le gouvernement de la Fronde, dont tous les actes furent frappés de nullité par un arrêt du conseil ; elle négocia secrètement avec les bourgeois. Le parlement de Pontoise agissait en faveur du roi ; celui de Paris soutenait les vieux errements des mutins. Bientôt les compagnies de milice bourgeoise s'occupèrent de remettre l'ordre dans la capitale, où éclata un complot royaliste (24 septembre). On y vit les bons serviteurs de Louis XIV arborer la couleur blanche représentée par des morceaux de papier ou des rubans, par opposition à la paille des frondeurs. Cette manifestation n'eut pour résultat immédiat que de porter Broussel à cesser ses fonctions de prévôt des marchands ; mais elle prouva ensuite que les mitigés n'étaient plus odieux au peuple, puisque le peuple ne les pourchassa point. Peu après Gondi, toujours ennemi acharné de Condé, s'en alla à Pontoise demander au roi qu'il rentrât dans sa bonne ville. Gondi paraissait satisfait : depuis le 28 février 1652, il portait le chapeau de cardinal. La Fronde était profondément découragée. Il y avait eu recrudescence de dénonciations contre les mazarins, de listes affichées, de trahisons découvertes, etc. Les pamphlétaires, après l'éloignement du cardinal (19 août), avaient redoublé leurs invectives contre l'Icare sicilien, le Cacus italien renversé par l'Hercule français, le Triomphe du faquinissime cardinal Mazarin, etc. Triomphe en place de Grève, sur l'échelle de maitre Jean Guillaume (la potence). Un écrivain avait avancé, entre autres choses : Si les anges n'eussent pas eu un premier ministre dans le conseil de leur état hiérarchique, le désordre ne se serait pas mis dans leurs dominations... Mais Mazarin, qu'une lutte de quatre années avait plus aguerri que fatigué, vit avec raison dans ces violentes injures du parti frondeur les dernières étincelles d'un feu qui s'éteignait. Pourquoi résister encore ? se demandait-il. Pourquoi braver les implacables menaces de ses ennemis moribonds ? Le quasi-parlement de Pontoise voulait qu'il s'éloignât ; Louis XIV et Anne d'Autriche ne lui donnaient pas la permission de partir : Mazarin, donc, eût pu rester, s'il n'eût été qu'un politique à courte vue. Il sollicita et obtint de quitter le royaume (12 août). Sa maxime le temps et moi lui dicta sa conduite. Présent, il eût craint des complications fâcheuses ; absent, il rendait plus facile l'accommodement final entre la Cour et les Parisiens. |
[1] Voir les Mémoires de Valentin Conrart, et les Registres de l'Hôtel-de-Ville, par MM. Leroux de Lincy et Douët-d'Arcq, au 4 juillet 1652.