Déplorable état des provinces. — La procession du roi René, à Aix. — D'Epernon et la ville de Bordeaux. — Siège du Château-Trompette. — Misères de la Guienne. — Madame de Longueville en Normandie. — Elle englue Turenne, à Stenay. — Soulèvements divers. — Faits et gestes de la princesse de Condé. — La Cour de Chantilly. — Pierre Lenet. — Sanglants épisodes en Guienne. — La Cour du château de Turenne. — Séjour à Bordeaux ; plaisirs. — Les vendanges. — Bordeaux traite de la paix. — Les dames du Parlement de Bordeaux aux dames du Parlement de Paris, et réponse de celles-ci. — Entrée et résidence du roi à Bordeaux. — Évènements de Paris. — Requête pour la liberté des princes. — Vie et mort de la princesse douairière de Condé. — Accusations. — Mazarin achète Rethel. — Ressources de Gondi. — Le roi prisonnier ; les princes délivrés. — Mazarin quitte Paris et Condé y entre. — Mazarin à Bruel. — Les théatins se dispersent. — Mort et épitaphe de d'Emery.— Du 18 janvier 1650 au 6 avril 1651. — Avant l'arrestation de Condé, déjà l'état des provinces était alarmant. Partout licence et anarchie, succédant à la tyrannie fiscale. A vingt lieues autour de Paris, impossible de faire payer tailles, aides et gabelles. Les sergents, honnis dans les campagnes, n'osaient plus se montrer : les impôts ne rentraient pas ; sur les rives de la Loire, on vendait publiquement le sel, à main armée. Le Languedoc et le Dauphiné exigeaient qu'on rendit à leurs Etats provinciaux le libre vote de l'impôt dans sa plénitude ; le parlement de Grenoble enjoignait aux gens de guerre de sortir du Dauphiné, et toutes les autres provinces travaillaient à leur libération. En Provence, malgré la paix de Saint-Germain, le comte d'Alais, gouverneur, n'avait pas abdiqué son orgueil furieux et insensé ; il marchait toujours environné de ses gardes et emprisonnait les citoyens sans aucune formalité. Entre cet homme et le parlement d'Aix, la guerre existait encore. Parent et ami du comte d'Alais, Condé s'était opposé à sa révocation demandée par les frondeurs parlementaires. On avait vu Monsieur le Prince, dans ses jours d'hésitation, menacer de faire périr sous le bâton les députés du parlement d'Aix arrivés dans Paris pour y plaider leur cause ; et ceux-ci avaient pu acheter dans la capitale une estampe à l'honneur de Louis de Valois Angoulême, comte d'Alais[1], vers l'époque où, dans leur ville, on bafouait l'impopulaire gouverneur. En effet, à Aix, le jour de la Fête-Dieu (1649), les habitants avaient introduit parmi les personnages de la procession historique dite du roi René, un acteur qui, par sa taille, sa démarche et son costume, représentait le comte d'Alais ; à ses côtés marchait une femme dans laquelle on reconnaissait madame la Gouvernante ; les magistrats du semestre suivaient, piteusement accoutrés ; enfin des paysans, vêtus de robes jaunes, chantaient la farce ou satire dirigée contre le gouverneur. D'Alais, cruellement offensé, avait envoyé des troupes contre Aix ; le parlement de Provence en avait levé aussi, et un gentilhomme commandait son armée provinciale, dont les enseignes colonnelles portaient ces mots en langue latine : Pro patria mori virere est — mourir pour la patrie, c'est vivre. Plusieurs rencontres avaient eu lieu, jusqu'en septembre 1619, où une réconciliation s'opéra entre le parlement et le gouverneur. L'emprisonnement de Condé mit une sorte de frein au despotisme du comte d'Alais. De ce côté, du moins, rien de grave ne s'éleva plus. Mais si le vainqueur de Rocroi avait soutenu, aimé le gouverneur de Provence, en revanche il avait poursuivi de sa haine le duc d'Epernon, gouverneur de Guienne, que Mazarin protégeait, comme on protège le père d'un homme à qui l'on veut marier sa nièce : nous n'avons pas oublié les projets du ministre sur le duc de Candale, ni les fureurs de Condé à ce propos. D'Epernon et le parlement de Bordeaux étaient en guerre dès avant le siège de Paris. La paix de Saint-Germain n'avait que momentanément suspendu les hostilités ; elles recommencèrent, quand le gouverneur voulut élever çà et là des forts sur la Dordogne et une citadelle à Libourne. Pourquoi ces châteaux ? se demandaient les bourgeois bordelais. Pour abriter la tyrannie du duc, soupçonné de crimes atroces, accusé d'avoir empoisonné sa première femme, et tellement mal famé, que le bel esprit Bautru fit un livre ayant pour titre : Les beaux traits de la vie de M. le duc d'Epernon, avec le reste du volume en blanc. Interrompus bientôt par un accord entre le gouverneur et le parlement, les travaux furent, peu après, non-seulement repris, mais activement pousses, Le peuple de Bordeaux s'indigna, et, avec permission des magistrats, six mille hommes armés allèrent à Libourne chasser les travailleurs, pour se voir, au retour, tailler en pièces par les troupes du duc d'Epernon. Le combat se termina par un massacre. Les battus furent vertement réprimandés par Anne d'Autriche, qui interdit le parlement, et d'Epernon rentra dans Bordeaux comme un triomphateur (24 juillet 1649). Triomphe de courte durée, car les Bordelais ameutés dispersèrent spontanément la suite du duc, faillirent s'emparer du duc lui-même, qui pourtant s'échappa sain et sauf du palais de justice où il était venu faire vérifier les lettres-patentes d'interdiction. Or, pendant que des députés étaient partis de Bordeaux pour la capitale, afin de justifier l'émeute et d'obtenir l'appui du parlement de Paris, les magistrats bordelais rendirent un arrêt par lequel, considérant que des massacres, pillages, ruines, ravages, démolitions de maisons, étaient journellement commis par les ordres du sieur duc d'Epernon ; qu'il avait été tiré, par ses troupes, plus de quatre mille coups de canon sur la ville, et qu'après tant de désolations réitérées et de fois violées, il serait impossible d'entretenir avec lui la correspondance nécessaire pour le service du roi ; il déclarait ledit sieur duc d'Epernon perturbateur du repos public, faisait inhibitions et défenses à tous gentilshommes et sujets du roi de le suivre et d'exécuter ses ordres. D'Epernon était traité comme son protecteur Mazarin ; les Bordelais suivaient, à distance de lieu et de temps, l'exemple des Parisiens. Troupes levées, général nommé par le parlement, boutiques fermées, attaque (5 octobre 1649) et réduction du Château-Trompette, rien ne manqua à cette Fronde provinciale, encore plus bénigne cependant que la Fronde parisienne. Le Château-Trompette avait capitulé. Au moment où la garnison allait sortir, dit la relation du siège, il commença à tomber une pluie si grosse et si importune, qu'il était de tout impossible de demeurer parmi la campagne, ce qui fut cause que par courtoisie on laissa la garnison dans le château le jour entier et la nuit suivante. Malgré ces formes douces, la Guienne était en guerre civile : on y pillait, violait et brûlait, assurait un président du parlement de Paris. Nous avons vu, disaient les magistrats, égorger les prêtres au pied des autels, violer des filles en présence de leurs pères, et des femmes sous les yeux de leurs maris ; et cela dans l'enceinte du sanctuaire. Nous avons vu le saint ciboire où étaient les hosties consacrées exposé en vente par les soldats que commandait le duc d'Epernon. Ils ajoutaient : Ce duc a changé sa qualité de gouverneur en celle de désolateur de sa patrie ; il a été assez hardi pour faire battre monnaie à son coin, à. la face du parlement. Il s'attribue la qualité de prince ; il exige celle d'Altesse, qui n'appartient en France qu'aux princes du sang. Il a fait assommer à coups de bâton un huissier de la cour qui allait lui signifier un arrêt. Anne d'Autriche voulait que Bordeaux rentrât dans le devoir avant de lui rendre Justice ; Condé n'aspirait, lui, qu'à voir d'Epernon disgracié. Les choses en étaient là, dans le Midi, lorsqu'on emprisonna les princes. La Normandie, où madame de Longueville se réfugia d'abord, ne se montra pas disposée à un soulèvement. Mazarin avait fait poursuivre la belle frondeuse qui, voyant ses espérances déçues, s'était dirigée à pied de Dieppe vers un petit port. Là elle n'avait trouvé que deux bateaux de pêcheurs, et s'était sans prudence embarquée contre l'avis des mariniers. Tombée à la mer, ayant manqué se noyer, elle revint à terre, prit des chevaux pour elle et sa suite, erra quinze jours durant, et monta enfin au Havre sur un vaisseau anglais qui la transporta à Rotterdam. Cette odyssée n'éteignit point l'ardeur politique de madame de Longueville ; notre héroïne traversa la Flandre, et rejoignit bientôt Turenne à Stenay, place forte sur la Meuse, dont la prévôté avait été donnée a Condé. Turenne appartenait alors au parti de la Fronde, comme on sait ; il mettait à exécution les menaces qu'il avait adressées à Mazarin, pendant le blocus de Paris, quand il lui avait écrit : qu'il éprouvait un chagrin extrême de voir son frère se mêler de ces désordres ; qu'il ne ferait jamais rien contre la fidélité qu'il devait au roi ; mais que le blocus de Paris lui semblait une démarche bien hardie dans un temps de minorité ; et que si le cardinal continuait à traiter le peuple avec tant de sévérité, il ne devait plus compter sur son amitié. En effet, Turenne était devenu l'ennemi de Mazarin. Séduit, englué, selon l'expression de Michelet, par les charmes de madame de Longueville, il se déclara lieutenant-général pour le roi, à l'effet d'obtenir la liberté des princes, après s'être formé un petit corps d'armée composé presque entièrement d'officiers et de soldats des régiments appartenant aux princes captifs, et licenciés comme suspects. La Fronde nobiliaire, à son début, eut Stenay pour quartier général. Madame de Longueville, non moins active dans cette ville qu'elle l'avait été à Paris, entretint correspondance avec tous les gens du parti, et Turenne agit d'après les inspirations de cette héroïne, qui publia à Bruxelles un curieux manifeste, pour donner du zèle aux frondeurs de toute la France. Ce manifeste était dirigé contre la Cour, qui, par déclaration du roi (7 mai 1650), avait regardé madame de Longueville et ses consorts comme criminels de lèse-majesté, si, au bout d'un mois, ils n'étaient pas rentrés dans le devoir. On y accusait Mazarin d'avoir juré la perte de toute la famille de Condé. Turenne leva une armée, et traita avec les Espagnols dont il obtint des subsides. Bientôt des placards séditieux, portant son nom, furent affichés dans Paris, et un homme qui voulait arracher un de ces placards fut tué au bout du Pont-Neuf. Cependant, et peu à peu, la noblesse se souleva en Bourgogne, en Normandie, en Provence et en Guienne, comme aux temps de féodalité. Les deux premières provinces, faiblement dirigées, se soumirent, à l'arrivée d'une armée royale, devant Mazarin et le petit roi ; mais la quatrième tint ferme contre la Cour, chose facile à s'expliquer, lorsqu'on sait quels personnages excitaient l'enthousiasme en Guienne, — la princesse de Condé avec le duc d'Enghien, son fils, avec son intelligent factotum, Pierre Lenet, autrefois procureur général au parlement de Dijon. Oui, la femme de Condé, la femme que le héros avait assez mal traitée depuis la mort de Richelieu, son oncle, s'était échappée de Chantilly (avril 1650) ; elle avait voulu venger son mari et conduire le duc d'Enghien à Montrond d'abord, puis à Bordeaux, au milieu des amis de Monsieur le Prince. Aussi, surpris de ce dévouement conjugal, Condé, arrosant des œillets dans le château de Vincennes, dit-il un jour à d'Alençay, son chirurgien : Aurais-tu imaginé que ma femme ferait la guerre pendant que je cultiverais mon jardin ? Il faut savoir que Pierre Lenet, dont la famille était depuis plusieurs années singulièrement attachée à la maison de Condé, avait redoublé de zèle. Un complot militaire, organisé par lui, afin d'arrêter Mazarin au milieu de l'armée, de le prendre pour otage et garant de la liberté des princes, de s'en défaire même, au besoin, avait été découvert. Avec un tel serviteur, plein de fidélité et de manœuvre, que ne devait-on pas oser en des circonstances si critiques ? Dans la Cour de Chantilly, depuis l'emprisonnement des princes, on comptait peu de gentilshommes résidents ; mais Lenet y attirait tous les jours beaucoup de jeunes officiers, dont les uns venaient prendre des ordres pour la guerre qu'ils pensaient prochaine, dont les autres venaient faire leurs adieux aux nobles compagnes de madame la princesse. Ce n'étaient que visites, promenades, rendez-vous, mystérieux entretiens sous des berceaux fleuris ; ce n'étaient qu'adieux tendres et amoureuses épîtres ; confidences qui inspiraient madrigaux et chansons ; jalousies qui engendraient soupirs, regrets et élégies. Croyons bien que le sort des prisonniers occupait médiocrement tant de cervelles évaporées, et que les courtisans de Chantilly auraient fini par oublier Condé, Conti et Longueville, si des exprès du duc de Bouillon n'eussent mandé auprès de lui la princesse et son fils, si Lenet, ne sacrifiant pas les affaires aux plaisirs, n'eût interrompu les agréables passe-temps de cette cour surveillée. Non découragé par l'insuccès de son complot contre Mazarin, Lenet s'efforça d'aviver l'énergie de la princesse de Condé, puis il essaya de tromper la vigilance des agents du cardinal à Chantilly. On trompa le principal espion de Mazarin, en supposant que la princesse était malade, en lui substituant l'une de ses filles qui lui ressemblait fort, et que l'on coucha clans une chambre obscure ; le fils d'un jardinier, du même âge que le petit duc d'Enghien, fut mis en sa place. Voilà comment s'était effectuée, à l'insu de la régente, la fuite de la princesse à Montrond. Bientôt la Guienne devint un champ de bataille. Bouillon et Marsillac se rendirent avec leurs troupes à Bordeaux, qui résista vigoureusement à l'armée royale et ne capitula que par suite des retards de la flotte espagnole envoyée à son secours. Nous ne pouvons entrer ici dans aucuns détails militaires de la guerre civile ; mais, comme exemple de l'animosité des deux partis, il convient de citer la fin horrible du baron de Canolle, major du régiment de Navailles. Pris par les frondeurs bordelais, il demeurait librement à Bordeaux sur sa parole. Pendant le siège, et par représailles, quand Anne d'Autriche fit pendre le commandant du château de Vayres, sur la Dordogne, pour avoir tenu contre une armée royale, on alla chercher Camille dans une maison où il jouait avec des dames, et on le mena sur le port, pour y être pendu. Le baron demanda un confesseur. Non, répondit-on ; il est mazarin, il doit être damné (août 1650). Qui s'aviserait de dire, en présence de tels faits, que la Fronde ne présentât pas un caractère sérieux ? Quand deux adversaires s'entre-tuent tour des causes futiles, leur combat est-il pour cela moins anglant ? Jugeons les événements par les résultats heureux ou déplorables qu'ils amènent, plutôt que par les plans qui les font surgir. Les faits sérieux, dans les provinces comme à Paris, se produisaient à côté de frivolités sans nombre ; la pendaison du commandant du château de Vayres, et celle du baron de Canolle, n'interrompaient point les gais loisirs des courtisans de la princesse de Condé. Les habitudes contractées dans Chantilly s'étaient transportées dans le château de Turenne, en Limousin, demeure très fortifiée, située près de la source de la Tourmente et sur un rocher escarpé. Des fenêtres de ce château, on voyait les feux des soldats royalistes, et pourtant on y passait les journées au milieu de splendides galas, avec les divertissements les plus variés. Tout y avait des allures chevaleresques : tables perpétuellement dressées dans la salle principale, où, quand les potages étaient desservis, on portait les santés des héros de la Fronde, en buvant à genoux, dans de grands gobelets à l'allemande, le chapeau bas, l'épée nue en main, à la liberté de Monsieur le Prince ; protestations fréquentes du duc de Bouillon jurant de mourir pour Condé, et de ne point remettre son épée au fourreau tant que les princes seraient emprisonnés ! Et puis, dans les jardins du château, après les repas, des danses de paysans devant les héroïnes ! Chiffres amoureux et galantes devises incrustés sur les troncs d'arbres ! Entretiens passionnés mêlés aux conciliabules avivés par Lenet ! A peine la princesse de Condé eut quitté le château de Turenne pour venir sur la Dordogne et a Bordeaux, qu'avec elle se déplacèrent le plaisir et le danger, réunis. Bordeaux était assiégé. Eh bien, la population entière faisait des préparatifs de défense, comme s'il se Mt agi d'organiser une fête. On disposait tout avec gaîté, entrain, galanterie. Les plus nobles seigneurs traçaient, conduisaient les ouvrages, sans cesser de penser aux belles darnes, et de les courtiser. Des Bordelaises titrées portaient de la terre dans des paniers enrubannés ; madame de Condé mettait la main à l'œuvre, et le jeune duc d'Enghien, ayant le meilleur air sur son petit cheval blanc, se popularisait en visitant les ateliers. Aussitôt que le jour tombait, Marsillac, en cavalier attentionné, amenait des violons, prodiguait les rafraichissements de fruits et de confitures. On dansait et faisait bonne chère. Sur le tard, la princesse de Condé songeait à regagner son hôtel ; elle remontait dans une élégante galère, aux voiles brodées en or, et chargées de devises, parmi lesquelles la sienne flamboyait : une grenade en feu avec le mot coacta. Elle traversait la Gironde ; et quatre ou cinq cents navires de marchands, richement pavoisés, l'honoraient de salves d'artillerie à son passage. Cela charmait les gens de Bordeaux, qui chantaient et dansaient toute la nuit, pour recommencer le lendemain cette existence hybride, jocoso-héroïque. A vrai dire, le travail devenait nul, le commerce expirait dans la ville, et l'enthousiasme dura autant que la morte saison des affaires. Mais, le mois d'octobre approchant, mois des vendanges et des profits commerciaux pour la ville révoltée, les propriétaires de vignobles, les faiseurs de vins de Bordeaux, ne laissèrent pas que de réfléchir ; leur ardeur pour pousser la guerre jusqu'aux dernières extrémités s'attiédit considérablement ; bientôt ils ne voulurent plus que la paix et les vendanges. La Cour fit des offres. Après une longue délibération, dans laquelle, au désespoir de Lenet, les vendanges eurent plus de part que la volonté du plus grand nombre de messieurs du parlement, les offres furent acceptées. Anne d'Autriche traita (1er octobre) avec les Bordelais, qui ouvrirent leurs portes, et auxquels elle accorda une amnistie générale. La princesse de Condé eut permission de se retirer à Montrond, avec son fils, et leurs officiers et domestiques ; Bouillon et Marsillac obtinrent le même avantage, ils se rendirent dans leurs terres. Puis le jeune Louis X1V entra dans Bordeaux (5 octobre), ayant à ses côtés sa mère, le duc d'Anjou, Mademoiselle, fille du duc d'Orléans, Mazarin, le maréchal de la Meilleraie, toute la Cour enfin. Un arrêt du parlement de Paris avait supplié le roi de pardonner à la ville de Bordeaux, et Louis XIV, dès son entrée, avait en effet pardonné. L'intervention du parlement de Paris dans les affaires de Guienne inspira aux dames du parlement de Bordeaux (26 septembre 1650) l'idée d'envoyer une lettre aux daines du parlement de Paris. Toute l'imagination gasconne y brillait. Les Bordelaises disaient, entre autres choses : Nous nous servons des plumes de nos casques pour vous écrire, encore eût-ce été avec le sang de nos ennemis, sans que vos yeux, remplis de douceur, eussent été blessés de cette peinture. Elles racontaient les troubles en détail, exaltaient les vertus guerrières de leurs maris, et faisaient des vœux pour que les daines du parlement de Paris, imitant l'antiquité, prononçassent elles-mêmes les oracles de la justice, car alors, ajoutaient-elles, il ne faudrait plus d'avocats ; chacun voudrait vous parler et voir la majesté de vos visages. Par un mépris, par un dédain, vous châtieriez plus les coupables que par les bourreaux et les supplices. Qu'il serait beau de voir toutes les parties également satisfaites des arrêts qui sortiraient de votre bouche ! Il est vrai qu'il y aurait lieu de craindre de voir les plus innocents chercher à devenir coupables, pour être vos prisonniers, et ceux que vous voudriez mettre en liberté, refuser de sortir de vos prisons qui auraient pour eux tant de charmes ! Les dames du parlement de Paris, flattées par cette épître précieuse, ne demeurèrent pas en reste de politesse ; elles répondirent on ne peut plus galamment à leurs sœurs du parlement de Bordeaux, à qui elles donnèrent le titre d'illustres amazones. Cela sentait son Scuderi tout pur ; cela s'accorde bien avec l'importance du rôle des femmes dans la Fronde ; cela nous montre tout le cas que le sexe faisait de l'héroïsme de la princesse de Condé et de madame de Longueville. Le cardinal espérait sans doute que l'entrée triomphale du roi dans Bordeaux amènerait des résultats définitifs ; un Te Deum en musique fut chanté clans l'église métropolitaine, après que l'archevêque eut adressé une belle harangue à leurs Majestés ; le parlement bordelais alla visiter la reine ; le 13 octobre, l'Hôtel-de-Ville donna un bal splendide. Louis XIV, pour s'attacher le cœur des Bordelais, montait quelquefois à cheval, et, accompagné d'une cour brillante, se promenait fréquemment sur le port et dans les principales rues de la ville. Chacun d'admirer l'air majestueux du jeune roi, de l'accueillir avec des vivats, de lui souhaiter mille prospérités ; Mazarin seul trouvait devant lui des visages soucieux, des gens prêts à l'invectiver. Louis XIV paraissait se plaire à Bordeaux, où il resta dix jours, d'où il partit dans une ravissante galère pour Blaye et Paris. Emerveillé de la réception faite à la Cour par les Bordelais, le cardinal ne doutait pas que le séjour de Louis XIV à Bordeaux ne dût suffire à calmer la Guienne, comme le voyage d'Anne d'Autriche à Rouen, en février, avait calme la Normandie, comme la présence de la Cour au siège de Bellegarde, en mars et avril, avait calmé la Bourgogne. Mazarin se trompait fort, et, selon les expressions de Retz, le bonheur lui montait trop à la tête. Le traité conclu avec les Bordelais ressemblait au traité de Saint-Germain. Ne vous mettez pas en peine, madame, avait dit un bourgeois de Bordeaux à la princesse de Condé, lors des préliminaires, nous recommencerons après vendanges. A peine les raisins eurent été mis dans les pressoirs, que la politique reprit le dessus et succéda au culte des intérêts matériels, dans l'âme des Bordelais. Le jour où la Cour rentrait à Paris (15 novembre), Condé, Conti et Longueville étaient dirigés de Marcoussis sur le Havre : ils avaient séjourné environ trois mois dans le donjon de Marcoussis, où ils avaient été transférés le 28 août. Mais au moment même où le cardinal croyait triompher, les vieux frondeurs, par le fait de Gondi, s'unirent aux partisans des princes. Saint-Eglan, gentilhomme du duc de Beaufort, avait été assassiné (29 octobre) dans la rue Saint-Honoré, par une douzaine de voleurs. Cela donnait lieu à mille conjectures. On accusa Mazarin d'avoir voulu faire tuer le roi des Halles, dont le carrosse était occupé par le malheureux Saint-Eglan. On s'était trompé, disaient bien des gens ; les assassins avaient cru frapper Beaufort. Certains faits avaient été les avant-coureurs de l'union des deux Frondes. En août 1650, le duc d'Orléans avait été traité de mazarin dans la grande salle, au Palais, sans doute parce que la régente l'avait investi, en son absence, du gouvernement du pays au nord de la Loire. Par suite des affaires de Guienne, on avait craint une émeute an Palais, où l'on acceptait la cause bordelaise avec une sorte d'enthousiasme. Des conventions furent signées et suivies d'un traité général auquel Gaston d'Orléans adhéra le dernier, après qu'on l'eut traqué entre deux portes, après qu'on lui eut, comme par force, mis la plume à la main. Une pareille coalition contre Mazarin suffisait à contrebalancer la victoire que celui-ci avait obtenue sur la noblesse frondeuse de Bordeaux. Les magistrats de la grand'chambre portèrent dans un banquet, le jour après la St-Martin, la santé de ceux qui assistaient l'année précédente à pareille fête. Ils désignaient Condé. Une requête de sa femme, tendant à la mise en liberté des princes, occupa les compagnies (fin novembre et 7 décembre). De plus, la mort de la princesse douairière de Condé, à Châtillon-sur-Loing (décembre), servait la cause des augustes prisonniers ; bien des gens pensèrent que la mère de Condé et de Conti, que la belle-mère de Longueville avait succombé sous le chagrin. C'était une supposition gratuite, car si la princesse ne mourait pas de vieillesse, puisqu'elle n'atteignait que sa cinquante-septième année, encore devait-on se rappeler les agitations de toute sa vie. Charlotte-Marguerite de Montmorenci avait brillé à la cour dès l'âge de quinze ans, au point de tourner la tête au Béarnais, Henri IV ; son père l'avait destinée à Bassompierre, et celui-ci, malgré le goût qu'il ressentait pour sa future épouse, avait renoncé au mariage, par condescendance aux projets du roi. Sully gourmandait fort Henri IV à propos de sa passion violente pour mademoiselle de Montmorenci, mais, nonobstant les conseils du sévère ministre, le Béarnais maria la belle demoiselle avec le prince de Condé, pour abaisser le cœur au prince et lui hausser la tête, disait une méchante langue. Mariée, la princesse de Condé avait été poursuivie à outrance par Henri IV et gardée à vue, mais mal gardée par son époux. Le roi s'était avisé de vouloir enlever l'objet de sa passion, alors que la princesse résidait à Bruxelles, et beaucoup de gens assuraient que la jeune femme donnait les mains à ce projet, si bien que Condé, craignant pour sa propre sûreté, crut faire prudemment en laissant sa femme dans les Flandres et en se retirant à Milan. L'assassinat de Henri IV avait amené un raccommodement entre les époux ; Charlotte prouva bientôt sa sincérité, quand Louis XIII fit embastiller le prince de Condé dont les prétentions étaient devenues quasi-royales. Pendant plus de deux ans, elle partagea la captivité de son mari ; puis, après sa délivrance, elle agit constamment dans les intérêts de son illustre maison. On voit par ces courts détails combien la princesse de Condé avait éprouvé de vicissitudes, et l'exemple qu'elle avait donné à sa belle-fille, Clémence de Maillé, en ce qui concernait les vues du vainqueur de Rocroi devenu chef de la Fronde. Non-seulement il parut plusieurs oraisons funèbres de la douairière de Condé, mais sous ce titre : Tombeau de madame la princesse douairière, on publia une pièce de vers latins et français, dans laquelle nous lisons : O barbare ! ô sanglant trophée ! Fut-il jamais crime plus noir ! Elle est morte sous le pressoir De mille angoisses étouffée, Spectacle lamentable à voir ! Mère de trois enfants elle meurt solitaire ..... Ô Honte ! Un ignoble Sicilien, Ou, pour n'oublier pas le massacre ancien, Un bourreau de Français, qui d'honneur ne tient compte, Fait toutes ces horreurs au mépris de nos lois ; Et nous le souffrons, nous François ![2] Reprocher la mort de la douairière de Condé à Anne d'Autriche et à Mazarin, c'était ajouter une machine de guerre à toutes celles que l'on disposait contre les partisans de la Cour. Quelle auréole d'infortune pour Monsieur le Prince ! sa mère expirait victime des tyrannies de l'Italien ; sa femme et sa sœur se conduisaient en héroïnes dans la Guienne ! Malheureuse famille de Condé, aussi persécutée que glorieuse ! Les choses tournèrent de telle façon que le parlement, sans cependant accomplir d'actes éclatants comme par le passé, redoublait d'acharnement en ses rancunes contre le cardinal, et oubliait les formes autrefois si dédaigneuses de Monsieur le Prince. Quand les magistrats se levaient de leurs sièges, on entendait crier dans le Palais de Justice : A bas le Mazarin ! Un poète venait d'imprimer des Stances sur l'anagramme de Jules le cardinal — Lardés ce villain — ; un écrivain avait relaté Les quarante-cinq faits criminels du cardinal Mazarin, que les peuples instruits envoient à ceux qui ne le sont point, pamphlet dans lequel on accusait le ministre d'avoir voulu faire peser la taille sur les privilégiés et la noblesse. Aussi, lorsque dans la Champagne, à sept lieues de Rethel, entre les villages de Semide et de Sommepy, Mazarin. et le maréchal du Plessis remportèrent sur Turenne et les Espagnols réunis une victoire décisive (15 décembre 1630), par suite de laquelle il ne resta plus à l'Espagne qu'une ville française, Monzon, sur la Meuse, les Parisiens se réjouirent médiocrement. On se moqua de l'Espagnol berné sortant de la France ; on pourtraicta le senor Descarabonbardo jouant de la guitare, et le capitaine Fracasse qui disait : Je suis un vray foudre de guerre, Invincible dans les dangers, Et mon haleine est un tonnerre Contre les efforts étrangers. Aussy je viens pour desfier La faim qui dompte les plus braves, Ayant pour me fortifier Des aulx, des oignons et des raves. Les cartons de la Bibliothèque renferment plusieurs gravures satiriques sur le même sujet. Mais on railla les vaincus, sans rendre justice aux vainqueurs. C'étaient pourtant des succès vraiment nationaux : en battant Turenne on avait battu aussi les étrangers. Hélas ! la passion politique est aveugle autant et plus même que les autres ; peu de gens surent gré au cardinal de s'être mis, pendant la bataille, et bien qu'il eût la goutte, à la tête du régiment des gardes. L'auteur de l'Ombre de madame la princesse, apparue à la reyne, au parlement et à plusieurs autres, imprima : Mazarin a pris une bicoque qui pouvait tenir deux jours, avec les escus dont il a ébloüy le gouverneur, et encore il l'a acquise avec plus de perte de François que d'Espagnols, n'est-ce pas un admirable stratagème de sa conduite pour se faire admirer, ou plutôt pour le faire rougir de honte ! Le libelliste assura que la poudre employée à allumer des feux de joie pour célébrer ce prétendu succès valait infiniment plus que l'importante place gagnée ; il s'écria : Si Mazarin a pris Rethel, Ce n'est pas avec ses prouesses ; L'or l'a fait, que sert donc l'autel, Pauvre peuple, que tu lui dresses ? Cet avare vient libéral, Mais c'est pour te faire du mal... Il conseilla enfin à la France de joindre au Te Deum des forts un Libera nos pour ses morts, et déclara que Mazarin faisait publier ses grandes bassesses comme de prodigieux miracles. Un poète publia ces mauvais vers : On doit au cardinal rémunération ; Sans cet absent vainqueur on n'eût rien fait qui vaille ; Il a mené nos gens à l'expédition, Et de loin gagné la bataille Ainsi qu'un badaud fait la prédication. Au parlement, la prise de Rethel occasionna quelques volte-face, notamment celle du conseiller François Menardeau, ancien frondeur. Celui-ci proclama que le cardinal Mazarin était tout le bonheur de la France, qu'il était cause du gain de la bataille de Rethel, comme de toutes les autres victoires gagnées dans les campagnes précédentes ; il loua la sagesse de sa conduite, la bonté de son cœur, et conclut à maintenir messieurs les princes en sa garde, parce qu'il en aurait un soin particulier, ainsi que du reste de l'Etat. Les paroles de Menardeau, prononcées le jour même où, par un Te Deum, on remercia Dieu de la victoire de Rethel (20 décembre), ne furent pas mal accueillies, soit par l'assemblée, soit par le peuple lui-même qui remplissait les salles et les galeries du palais. Redoutant une défection générale, Gondi se servit de tout son esprit. Il demanda au parlement qu'on s'occupât de la réconciliation intérieure, après avoir taillé en pièces l'ennemi du dehors. Habile homme que ce coadjuteur pour ranimer les cendres presque éteintes, pour galvaniser un parti déjà demi-mort ! Bientôt un conseiller osa proposer de déclarer nul, tant que les princes gémiraient en prison, tout mariage contracté avec des parents de Mazarin, et, conformément à l'opinion du duc de Beaufort, un arrêt porta (30 décembre) que très humbles remontrances seraient faites au roi et à la reine régente sur l'emprisonnement des trois princes et pour demander leur liberté, comme aussi que le duc d'Orléans serait prié d'employer son crédit et autorité pour obtenir ce que l'on demandait avec tant de justice. Anne d'Autriche prétexta de sa santé pour ne pas fixer de jour d'audience aux gens du roi. Le lendemain (31 décembre), Mazarin arriva dans Paris, et n'y trouva que des visages hostiles, en dehors de ses amis personnels. Visant à amener une rupture entre la vieille Fronde et le parti des princes, il ne tarda pas, cependant, à vivre en grande familiarité avec le duc d'Orléans, ce prince qui n'avait pas seulement le respect de lui-même. La Gazette apprit au public que, dans un souper donné chez le cardinal (5 janvier 1651), tout s'était passé avec beaucoup de liberté. Le duc d'Orléans y assistait. Un gentilhomme proposa de jeter le coadjuteur par les fenêtres. Et les courtisans, au Palais-Royal, d'admirer beaucoup ces prouesses, de se moquer des frondeurs et de célébrer hâtivement la résipiscence des princes ! Plaisanter n'est pas répondre, et le parlement attendait une réponse à ses remontrances. La reine qui, apparemment rétablie, avait reçu enfin la députation des magistrats (20 janvier), fit de belles promesses. Montrant déjà ce qu'il devait être un jour, Louis XIV, au contraire, avait dit à Anne d'Autriche que s'il eût cru ne point lui déplaire, il eût fait taire le premier président — Molé — et l'eût chassé. On allait travailler à la liberté des princes, pourvu que Turenne et madame de Longueville désarmassent ; une abolition générale serait dès à présent publiée (30 janvier). Cette réponse ne contenta point le parlement, qui délibéra, et au9uel Gondi se plut à raconter un entretien qui s'était passe au Palais-Royal entre le duc d'Orléans et Mazarin, brouillés de nouveau. Le cardinal avait comparé les frondeurs aux Cromwell et aux Fairfax. Quelle abomination ! pensèrent les magistrats. Le ministre les assimilait, bien faussement d'ailleurs, aux héros de la révolution anglaise. Cela soulevait leur indignation, cela criait vengeance. Heureux de voir le duc d'Orléans se joindre inséparablement à la compagnie (4 février), et faire devant lui une violente sortie contre Mazarin, le parlement, toutes chambres assemblées, arrêta, au milieu de longs bravos, que le roi et la régente seraient très humblement suppliés d'envoyer au plus tôt lettre de cachet pour mettre en liberté les deux princes du sang et le duc de Longueville, comme aussi d'éloigner le cardinal Mazarin de la personne du roi et de ses conseils. Dans des rassemblements très tumultueux, le peuple aussi menaça la vie de Mazarin, qui, malgré la persistante énergie d'Anne d'Autriche pour lui conserver le ministère, courba la tète devant la haine publique, et partit (6 février soir) de Paris, du Palais-Royal, sous un costume de cavalier, avec cieux gentilshommes, ou seulement accompagné du comte de Broglie. Il suivit la rue de Richelieu, s'adjoignit, à la porte de la ville, trois cents gentilshommes, se rendit à Saint-Germain, et de là s'achemina vers le Havre, où il voulait voir les princes. Encore se fit-il grand bruit au parlement, le 8 février, sur ce que, disait-on, le cardinal était encore à Saint-Germain. Ce départ offrait aux magistrats une occasion inespérée de bannir du royaume Mazarin, ses parents et ses domestiques ; ils en profitèrent et envoyèrent prier la reine d'exclure à l'avenir des conseils du roi tous étrangers, même naturalisés, et toutes personnes ayant serment à d'autres princes que le roi (7 février). Anne d'Autriche était presque prisonnière au Palais-Royal, où elle avait voulu se loger malgré ses femmes, qui lui conseillaient de choisir plutôt le Louvre, parce que, en cas d'émeute, elle pourrait facilement gagner la Porte-Neuve — depuis Porte de la Conférence —, située au bout du jardin des Tuileries. Le voisinage des halles effrayait la Cour, mais non la fille de Philippe H, qui se sentait capable de rivaliser de bravoure avec les grandes frondeuses. Il déplaisait fort à Anne d'Autriche de lire l'Apothéose de madame de Longueville et le Temple de la déesse Borbonie, publiés à la glorification de la sœur de Condé entreprenant de délivrer les princes. Pourquoi ne se comporterait-elle pas, elle aussi, comme une héroïne, et ne braverait-elle pas tons les dangers ? Le peuple, soulevé par Gondi, enveloppa le Palais-Royal, quand la régente eut été accusée par Gaston d'Orléans, en plein parlement (10 février), de vouloir emmener le roi hors de Paris ; le peuple demanda à voir Louis XIV, à le voir, ce qu'on appelle voir. Anne d'Autriche, avertie, eut le temps de débotter l'enfant royal et de le remettre au lit. Les officiers des milices bourgeoises, avant envahi le palais, furent calmés dans leur inquiétude et dans leur courroux. Louis XIV, couché, dormait ou faisait semblant. Alors les bourgeois parurent se repentir de leurs façons un peu brutales, et ils défilèrent bien respectueusement, retenant leur souffle, comme dit Michelet, s'écoulant sur la pointe du pied, devant le roi endormi. Mais, malgré tout, Anne d'Autriche avait eu peur, et elle donna, sans conditions aucunes, l'ordre d'élargir les princes. Cet ordre tant réclamé avait été remis au secrétaire d'état, M. Phélippeaux, marquis de la Vrillière (11 février), qui partit aussitôt pour le Havre, en compagnie de Marsillac, de Viole, et autres gens désignés par la reine. Délivrer les princes ! mettre Mazarin de côté ! certes, voilà du nouveau et de l'imprévu. Quelque chose d'assez étonnant encore, de fort inexplicable, allait se passer. Le cardinal, voyant qu'il n'y avait plus d'accommodement possible entre lui et Paris, s'imagina de se rendre auprès des princes prisonniers ; et, devançant la Vrillière au Havre, il annonça (13 février 1651) la bonne nouvelle à Condé, Conti et Longueville. Il les lit sortir sans attendre les ordres du roi, tant il était maître de leur sort, lors même qu'il voulait paraître n'avoir plus d'autorité dans le royaume. Tous, libérateur et libérés, partagèrent un bon repas ; puis, quand Mazarin eut cherché à se disculper, sans persuader ; quand les princes furent montés en carrosse ; quand Mazarin eut devant eux fléchi son épine dorsale, quand il leur eut demandé leur protection, Monsieur le Prince poussa un grand éclat de rire. Non comme un brave qui se moque en face d'un autre homme, mais comme un écolier qui s'en va grimaçant derrière le dos du maître ; car alors Mazarin ne pouvait rien voir ni entendre, et, abandonné de la plupart de ses gentilshommes, qui n'avaient plus confiance en sa fortune, il se dirigeait presque seul sur Péronne. Trois jours après (16 février 1651), les princes rentraient dans Paris, où la nouvelle de leur arrivée prochaine avait causé une joie extrême. La noblesse et les notables étaient allés les prendre à Saint-Denis, et Gaston d'Orléans s'était rendu jusqu'à la Croix-Penchée. Ils entrèrent dans la capitale, précédés de plus de deux mille chevaux en bon ordre, et suivis d'une foule de carrosses. Le peuple criait dans les rues : Vive le roi, et point de Mazarin ! Les princes exprimèrent leur reconnaissance à Gaston, et, oubliant d'anciennes et profondes inimitiés, ils embrassèrent Beaufort et Gondi. A la porte Saint-Denis, Condé distribua cinquante pistoles aux bourgeois qui la gardaient, fit largesses de ses bagues, de ses bijoux, de son argent, même de son épée qu'il donna à un jeune officier qui la regardait avec admiration et convoitise, en lui disant : Mon ami, je souhaite que cette épée vous fasse maréchal de France. Le duc de Longueville n'avait pas laissé échapper, en passant à Rouen, l'occasion d'entrer triomphalement dans cette ville, comme gouverneur de la province de Normandie. Quelques jours après, à Paris, il fut rejoint par la duchesse de Longueville, arrivant de Stenay, de même que Condé put embrasser sa femme, arrivant de Montrond. Hélas ! l a princesse douairière, sa mère, manquait seule au rendez-vous ! Sept semaines plus tard (6 avril), le cardinal s'installait, avec ses neveux et nièces, dans la petite ville de Bruel ou Bruhl, château construit sur les bords du Rhin, à une lieue de Cologne. Les Théatins, ses protégés, s'étaient crus en danger et avaient quitte Paris. Ces religieux, reconnaissants envers Mazarin, avaient fait plus que la prudence ne le leur conseillait : ils entremêlaient leurs sermons de louanges souvent maladroites pour le ministre ; traitant les Parisiens comme ils auraient traité leurs auditeurs d'Italie, ils faisaient apparaître sur la chaire des figures de saints qu'ils présentaient au public. Mais le public n'avait jamais pris ces exhibitions au sérieux ; il s'était contenté de rire, et d'appeler les Pères joueurs de marionnettes. Dans le courant de l'année 1650, Michel Particelli d'Emery, dont Mazarin s'était tant servi, avait expiré. Mort de chagrin, disait-on, d'Emery emportait avec lui dans la tombe le secret de faire de l'argent pour le trésor ; en lui s'éteignait le type de l'indifférence pour l'opinion publique. Une anecdote montre à nu le caractère de l'ancien surintendant. Guillaume Bautru présenta un jour un poète de ses amis à d'Emery : Voilà, lui dit-il, un homme qui peut vous donner l'immortalité, mais il faut que vous lui donniez de quoi vivre. — Monsieur, répondit d'Emery, je serai utile à votre protégé, si je le puis, mais à la condition qu'il ne me louera point. Les surintendants ne sont faits que pour être maudits. L'homme qui avait le plus excité à la fronde parlementaire avait donc rendu l'âme. On alla jeter de l'eau bénite sur son cercueil ; mais, bien qu'il y eût, selon Gui Patin, force drap noir tendu en la maison de d'Emery, peu de gens le regrettèrent. Il fut enterré sans cérémonie à Saint-Eustache, sa paroisse, où il remplissait les fonctions de marguillier. Un frondeur composa, à propos de sa mort, ces quatre vers : Les plus sages frondeurs en sont à l'alphabet, Sachant des mazarins l'insolente bravade, Qui font voir d'Emery en son lit de parade, Lui qu'on ne devait voir qu'on parade au gibet. |