Les frondeurs prennent la Bastille. — La Fronde s'étend par tonte la France. — Blocus de Paris. — Le pain de Gonesse. — Capitaine Picard. — Autorité du Parlement. — Emprisonnement de la Raillère et de Launay-Gravé. — Le petit Catilina. — Faits de guerre des pots-de-chambre ; mort et épitaphe de Tancrède de Rohan ; derniers moments et mort du duc de Châtillon. — Le mouchoir de Monsieur le Prince. — Pièces contre Condé. — Un messager de paix mal reçu. — Le Senor don Jose Illescas, ambassadeur d'Espagne. — Comédie du coadjuteur ; on se moque de lui et de ses amis espagnols. — Les troupes weymariennes de Turenne. — Traité de Saint-Germain. — Mot de Matthieu Molé. — Les saintes huiles du coadjuteur.— Du 13 janvier 1619 au 1er avril 1649. — Pour premier exploit, les frondeurs prirent la Bastille, non approvisionnée de vivres et sans munitions ; disons mieux, cette forteresse, où se trouvaient seulement vingt-deux soldats, commandés par N. Leclerc du Tremblay, frère du célèbre père Joseph, se rendit presque sans résistance au duc d'Elbeuf, après quatre ou cinq coups de canon tirés et ayant fait brèche (13 janvier 1649). Du Tremblay, dont le cœur n'avait jamais tremblé, selon le Courrier burlesque, avait promis de se rendre s'il n'était pas secouru dans les vingt-quatre heures ; il sortit en effet le 13, à midi. Pendant le siège, les dames de Paris se promenaient dans le jardin de l'Arsenal ; quelques-unes eurent le courage, ou plutôt la curiosité d'aller visiter la batterie, afin de donner bon exemple aux soldats de la Fronde. Pas une goutte de sang ne fut versée lors de la prise de la Bastille ; mais, une fois la forteresse rendue, peu s'en fallut qu'on n'en vint aux mains. Portail, conseiller au parlement et colonel de la milice, voulait disputer, l'épée en haut, à Lefèvre, autre conseiller, également colonel, l'honneur d'entrer le premier dans la place, à la tête de sa compagnie. Le duc d'Elbeuf arrangea la chose de manière à ménager l'amour-propre des deux colonels, à apaiser une de ces rivalités trop fréquentes parmi les nouveaux chefs frondeurs : il les fit entrer ensemble avec lui. Quelle joie ressentit le peuple de ce succès ! à peine se préoccupa-t-on du débordement de la Seine, arrivé ce jour même. La Bastille était prise ! Louvières, vaillant garçon, fils du bonhomme Broussel, en fut nommé gouverneur ; de même, le commandement de l'Arsenal appartint à un conseiller du parlement, fait caractéristique, qu'un artiste de l'époque, de Saint-Ygny, célébra par une grande estampe allégorique, intitulée CEDANT ARMA TOGÆ — que les armes cèdent à la toge. On récita néanmoins des prières de quarante heures pour la paix, et des ordres furent donnés pour faire ouvrir les boutiques de marchands. Le parlement ordonna la saisie de tous les biens meubles et immeubles de Mazarin, ainsi que celle des revenus de ses bénéfices ; puis la compagnie engagea les autres parlements du royaume à suivre son exemple (18 janvier). Il lui importait que le mouvement frondeur ne se circonscrivît pas dans Paris. Son appel fut entendu, prévenu même en certains pays. En Provence, à Aix (17 janvier), Louis de Valois, comte d'Alais, gouverneur, ayant voulu arrêter les chefs de la magistrature, à l'aide d'un corps de troupes et d'un gros de noblesse, vit mettre ses soldats en déroute, et devint le prisonnier du peuple insurgé (20 janvier). Marseille et d'autres villes s'armèrent, s'unirent à Aix. Rouen refusa de recevoir le comte d'Harcourt, nommé par la régente gouverneur de Normandie, à la place de Longueville, suspendu de ses fonctions (21 janvier). Les Cours souveraines de cette province organisèrent un gouvernement frondeur, généralement reconnu par les habitants. Amiens, enfin, prit le parti des Parisiens, parce qu'on lui avait arbitrairement ôté l'élection de ses magistrats municipaux. L'incendie, on le voit, se répandait sur toute la France, et le parlement pouvait agir en maitre. A lui les rênes de l'Etat. Par son ordre, les comptables et fermiers des villes durent apporter les deniers publics dans les coffres de l'Hôtel-de-Ville, et non au Trésor ; par sa générosité toute princière, la reine d'Angleterre, réfugiée en France, reçut une allocation de vingt mille livres, attendu le besoin qu'elle en avait. Cependant Paris s'attendait à une vive attaque ; l'armée royale, forte de sept ou huit mille hommes, se contenta de le bloquer. De Saint-Denis et de Saint-Cloud, où elle était postée, elle envoyait des détachements s'emparer des villes qui approvisionnaient la capitale : Charenton, Lagny, Corbeil, Poissy et Pontoise. Elle pillait Bercy le 9 janvier 1649. Mais les soldats de Condé ne réussissaient que peu ou point à arrêter, soit la foule des paysans qui chaque nuit apportaient des hottes et des paniers de vivres aux barrières de Paris, soit les partis nombreux qui sortaient incessamment de la ville pour escorter les convois. En tête de ces partis se distingua surtout la Boulaye, que l'on surnomma, grand Gassion de convois, ramenant de la farine, des bœufs, des moutons, etc., faisant des prisonniers bons à manger, comme on disait. De plus, la duchesse de Nemours nous apprend, dans ses Mémoires, que les officiers royalistes vendaient sans scrupule du pain aux Parisiens. Toute la campagne était dévouée au parlement ; près des faubourgs, les villages, barricadés, recevaient à coups de mousquet les fourrageurs mazarinistes. Une gravure, avec ce titre : Le retour de Gonesse, représentait des voitures de pains précédées d'un homme portant un drapeau dans lequel il y avait : C'est songer sans doute à sa peau, C'est songer encore à sa gloire, Et combattre sous la victoire, Que combattre sous ce drapeau. Si le pain de Gonesse devenait d'une rareté désespérante dans Paris, ce qui incommodait grandement les estomacs délicats, on y possédait de la farine, et les boulangers cuisaient à force. Bientôt, le parlement ordonna (23 janvier) de conduire les blés et farines au Louvre, pour être vendus aux boulangers. Défense aux bourgeois d'en acheter, sous peine d'une amende de 500 livres ! Défense de les piller, sous peine de mort ! On tint registre des ventes, pour contrôler les fournées des boulangers. Les convois de vivres étaient appelés la manne céleste par les pamphlétaires. La cupidité des marchands et surtout la panique qui régnait sur les marchés, aggravaient le mal. Dans le courant de janvier, les frondeurs firent de nombreuses perquisitions dans les maisons religieuses, qui possédaient de grandes provisions de blé. D'un jour à l'autre, le prix des subsistances doublait ou diminuait d'un tiers. Parmi les Parisiens, les uns se désolaient de n'avoir pas le superflu : La livre de pain vaut cinq sols ; Et si ce n'est pas du Gonesse... Le moyen de vivre à Paris, Puisqu'on n'y mange plus de truffes, etc. ; les autres, avec raison, se plaignaient de manquer du strict nécessaire. La misère était grande ; toutes les denrées se vendaient à un prix excessif. Proposition fut faite (20 janvier) de faire sortir de Paris les pauvres et les bouches inutiles ; autre proposition (22) de donner des gardes à toutes les personnes de condition. Pour comble de maux, les eaux, fort débordées, rendaient Paris semblable à la ville de Venise. La Seine le baignait entièrement : on allait par bateau dans les rues Certains poètes se firent les échos des mécontents contre la Fronde : Ma foi, nous en avons dans l'aile, Les frondeurs nous la baillent belle, Male-peste de l'union Le bled ne vient plus qu'en charrette ; Confession, communion. Nous allons mourir de disette. Qu'en dites-vous, troupe frondeuse, Moitié chauve, et moitié morveuse, Où sont donc tous vos gens de main ? Avec six ou sept cent mille hommes, A peine trouvons-nous du pain, Pauvres affamés que nous sommes. Cette situation précaire des frondeurs aiguisait la verve épigrammatique des courtisans établis au château de Saint-Germain. Comptant toujours sur l'habileté et sur l'heureuse fortune de Condé, ils raillaient les soldats novices de la capitale, leurs capitaines de rencontre, leur général contrefait, Conti. Au bas du capitaine Picard, estampe satirique sur l'armée de la Fronde, ils imprimaient : Moy, Picard, dit le capitaine, Je suis lieutenant et enseigne De ma compagnie les sergens, Corporaux aussi enspesade, Et lorsqu'il faut entrer en garda Je faict moi seul tous les rens. Les Parisiens, de leur côté, plaisantèrent sur la position critique de la Cour. Un pamphlétaire, auteur des Logements de la cour à Saint-Germain-en-Laye, écrivit que, n'ayant pas trouvé de logements convenables au château, il avait fallu se mettre dans les hôtelleries. Nous choisismes, dit-il, pour le roi le Mouton ; Monsieur fut logé au Papillon, et la reine au Chapeau-Rouge... les filles furent logées à la Petite-Vertu ; M. le cardinal fut logé à la Harpe, la couronne lui ayant été desniée, et ses gens, au Loup d'or et d'argent... Madame fut logée au Silence... Mademoiselle fut logée à l'Empereur ; son Altesse Royale eut pour elle le Mulet-Bardé ; madame la princesse — de Condé — fut logée à l'Assurance... M. de Montbazon prit la Corne, son logis ordinaire, et madame sa femme, a la Magdeleine ; M. de Chevreuse, au Grand-Cerf ; M. de Longueville, à la Prudence, et madame, à l'Ecu ; M. de la Meilleraie fut logé aux Crocheteurs, etc.[1]. Plus de relations entre la Cour et Paris, qui sévissait contre les suspects d'intelligence avec l'ennemi, où l'on gardait fort bien les portes, et l'on pendait force espions et gens portant lettres, où les femmes animaient par leur présence les bourgeois devenus soldats. La Cour fit quelques efforts : elle convoqua (23 janvier) les états-généraux à Orléans pour le quinze mars prochain. Mais cet appel du pouvoir royal à l'autorité nationale des trois ordres fut accueilli par la noblesse, dédaigné par la bourgeoisie et le peuple, qui ne se portèrent point aux élections. Détrompés sur la vertu de cette assemblée, où, comme le remarque Augustin Thierry, les classes privilégiées comptaient deux voix contre une, ils aimèrent mieux poursuivre une expérience nouvelle sous la conduite des magistrats de leur ordre. Le travail des élections demeura incomplet, et la réunion des états-généraux fut indéfiniment ajournée. Tout d'abord, les corps municipaux avaient reconnu à l'envi l'autorité suprême du parlement ; celui de Paris, avec son prévôt des marchands, ses échevins, ses conseillers, ses syndics de corporations industrielles, ses quarteniers, ses colonels et capitaines de milice, devint le pouvoir exécutif des lois faites par la compagnie souveraine. Ses arrêts politiques se terminèrent par cette formule : Enjoinct au précost des marchands et échevins de tenir la main à l'exécution ; et les ordonnances de la ville portèrent en général celle-ci : Conformément à l'arrêt de nosseigneurs de la Cour de parlement. En vain on déclara les chefs de la Fronde coupables de lèse-majesté, si dans trois jours ils ne se retiraient auprès du roi et de la régente, pour y rendre le service et la fidélité qu'ils devaient. Ces ordres énergiques de la Cour palissaient devant l'esprit insurrectionnel. Dans une lettre imprimée, un capitaine déclara : Quand les rois privent eux-mêmes de leur protection leurs sujets sans justice, ils les absolvent du serment de fidélité. Rien n'égalait la hardiesse des écrivains. Le parlement, voyant que les libellistes en arrivaient à ne respecter ni le ciel, ni la terre, ni même l'autorité de la compagnie, rendit un décret contre les libelles sans nom d'imprimeur ni d'auteur (25 janvier). Mais, en pareille crise, quel résultat pouvait amener cette défense ? Commander, et n'essuyer aucune attaque, c'eut été trop de bonheur en vérité pour les magistrats, dont l'omnipotence allait jusqu'à ordonner aux villes voisines de Paris d'envoyer leurs blés dans la capitale ; — jusqu'à faire arrêter Gaudin de la Raillère, fameux traitant, et le partisan Launay-Gravé ; — jusqu'à défendre de laisser sortir personne de Paris — si ce n'est par les portes Saint-Jacques et Saint-Denis ; — jusqu'à rendre un arrêt sur le prix des armes et sur les postes ; — jusqu'à établir, enfin, une chambre pour les finances chez le premier président, une autre pour les passeports, une troisième pour juger des avis donnés sur l'argent caché, et une chambre des dépêches chez le président Le Coigneux. La Raillère était accusé d'avoir volé naguère les rentiers et l'Hôtel-de-Ville ; Launay-Gravé avait fait, assurait-on, plusieurs pillages dans la généralité d'Orléans pour le recouvrement des tailles qu'il avait en parti. Les partisans, dit alors une mazarinade, ont la férocité du lion, la volerie de la chouette, la cautèle du renard, la malice du singe, la brutalité du lestrigon, l'envie du chien, la gloutonnerie du loup, la superbe du paon, la lasciveté du satyre, la cruauté du tigre, la trahison du crocodile, et, pour faire court, la haine et le venin du serpent contre l'homme. La Raillère et Launay-Gravé en furent quittes pour quelques jours d'emprisonnement : on ne put leur faire rendre gorge, à ces amis de d'Emery. Après avoir, non sans peine, admis au nombre de ses membres le coadjuteur, qui se faisait honneur du nom de petit Catilina qu'on lui donnait quelquefois, comme remplaçant l'archevêque son oncle, le parlement de Paris se vit approuver simultanément par Reims, Tours et Poitiers. Il n'y eut plus de ménagement. Le duc de la Trémouille fit publiquement des levées pour la Fronde, et Gondi prêcha au peuple la défense des lois du royaume. L'armée parisienne passa plusieurs revues dans la Place-Royale, aux applaudissements des belles dames. Des paroles et des écrits on allait passer aux actes ; frondeurs et mazarins se devaient bientôt rencontrer sur des champs de bataille. Tout à coup, un détachement de frondeurs sort de Paris, enlève du côté de Brie un troupeau de cochons appartenant aux soldats du roi ; un autre se montre près de Meudon, sans avoir à combattre ; un autre pille une maison près de Juvisy ; un autre ramène de Longjumeau un convoi de vivres ; un autre enfin se saisit d'un poste abandonné par Condé dans Charenton (19 au 27 janvier 1649). Malheureusement, le chevalier de Sévigné, parent de Gondi, éprouve une déroute complète aux environs de Longjumeau, avec une partie de ce fameux régiment de Corinthe, levé par le coadjuteur. Pris aux fondeurs en cette rencontre : 60 charrettes chargées de farine, 400 chevaux et autre butin ; c'est la première aux Corinthiens, disent les moqueurs. Le marquis de Vitry est attaqué près de Vincennes, et battu : parmi les siens est blessé mortellement Tancrède, le fils contesté de la duchesse de Rohan, jeune homme de vingt ans, que le parlement allait reconnaitre pour héritier de la maison de Rohan, et qui, en se jetant dans la mêlée, avait généreusement crié : Il faut que cette action me conduise à la duché qu'on me dispute ou à la mort ! Tancrède, dit aussitôt Scuderi, Eut la naissance illustre aussi bien que la mort... ; et il parut, en outre, une épitaphe de Tancrède, où l'on trouve ces vers : C'est pour le parlement qu'il entra dans la lice : Il a tout fait pour la justice, Et la justice rien pour lui. On ne répare tous ces petits échecs que par des couplets et des épigrammes. Les cabarets et les autres maisons de débauche sont les tentes où l'on tient les conseils de guerre, au milieu des plaisanteries, des chansons et de la gaîté la plus dissolue. La licence est si effrénée, qu'une nuit, les principaux officiers de la Fronde, ayant rencontré le Saint-Sacrement qu'on porte dans les rues à un homme qu'on soupçonne d'être mazarin, reconduisent les prêtres à coups de plat d'épée. Ainsi s'exprime Voltaire, arec une exagération apparente, mais au fond avec vérité. Paris entier semble en délire. Est-ce par enthousiasme ou par peur ? A cette époque, les soldats-bourgeois font plus de bruit que de besogne. Timides dans le combat, ils se livrent aux excès après la retraite ou la victoire. Un seul avantage vient les dédommager un peu de leur mauvaise fortune : à Livry, Beaufort l'emporte sur une division de l'armée royale que commande le maréchal de Grammont. Aussi, comme à son retour dans Paris les dames de la halle le reçoivent triomphalement ! Beaufort a tué de sa propre main, ose-t-on dire, huit soldats et leur chef ! Le duc d'Elbeuf a mis garnison dans Brie-Comte-Robert, pour faciliter les arrivages de blé. Le mal s'aggravait ; le désordre était sérieux, sinon le
soulèvement. Le roi accorda aux Parisiens six jours pour rentrer dans le
devoir, à l'instant où le parlement ordonna aux villages des environs de
Paris de se barricader et de fermer leurs portes aux coureurs ennemis,
c'est-à-dire aux troupes du roi (3 février).
La tentative infructueuse de la Cour pour dompter les Parisiens détermina
enfin Condé à agir vigoureusement, à faire la guerre
des pots-de-chambre, comme il disait. Il s'empara de Lagny, de
Corbeil, de Saint-Cloud et de Charenton (8
février). Dans cette dernière affaire, la seule qui fut sanglante, les
soldats-bourgeois tinrent très ferme.
Le commandant de la garnison se fit tuer sur les barricades, et neuf
compagnies parisiennes furent passées au fil de l'épée ; le parti de la Cour
y perdit le duc de Châtillon, frère de celui qui s'était battu en duel (1643) pour madame de Longueville. C'était
l'ami de Condé, qui eût donné pour lui mille Charenton, et qui, par désespoir
de le voir blessé dans le bois de Vincennes, se tira les cheveux et fit
d'horribles imprécations. Châtillon, avant de mourir, recommanda,
assure-t-on, trois choses à Condé : quitter au plus tôt le parti de Mazarin le fripon, protéger le fils que la duchesse de
Châtillon allait mettre au monde, abandonner la vie
scandaleuse qu'il avait menée jusqu'alors. Ces paroles émurent Condé ;
elles s'imprimeront profondément dans sa mémoire. Aussitôt parut le
Mouchoir pour essuyer les yeux de M. le prince de Condé ; stances d'assez
mauvais goût, oraison funèbre tout à fait inconvenante : J'estime beaucoup mieux le sort D'un chien vivant que d'un roy mort, Pour ce qui regarde la terre : Chastillon doit être pourry, Ses os sont réduits en poussière, Et comme lui, tout doit périr. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cher de Condé, prends garde à toy, Esvite le sort misérable Qu'on prépare à toy et à moy. En Châtillon, Condé perdait encore un petit-maître, et il versa quelques larmes lorsqu'on l'enterra. Encore un de moins parmi ses jeunes amis que les grandes batailles n'avaient point épargnés. Potier de Gèvres avait été enseveli sous une mine, à Thionville ; Pisani avait expiré à Nordlingen ; le beau Guy de Laval était mort devant Dunkerque ; La Moussaye, Chabot, Nemours, et bien d'autres petits-maîtres, avaient succombé à la fleur de l'âge. Les rangs de la jeunesse guerrière qui s'était groupée autour de Condé s'éclaircissaient. On ne put que déposer sur la tombe de Châtillon le bâton de maréchal qui lui était destiné ; et la mort de ce gentilhomme désola la Cour à cc point que, dans les appartements d'Anne d'Autriche, bien des courtisans semblèrent élever la voix contre le cardinal, cause première d'un tel malheur. Les autres combats entre Condé et les frondeurs ressemblaient à de simples jeux. Les bourgeois s'enfuyaient d'ordinaire à l'approche de M. le Prince. Soit par crainte de voir les choses tourner au tragique, soit par manque de persévérance, les frondeurs se laissèrent promptement aller au découragement. La discorde régna parmi eux. On proposa en plein parlement une nouvelle démarche auprès d'Anne d'Autriche (11 février), pendant que, tâchant d'émouvoir le peuple, un gentilhomme et un moine répandaient par la ville des billets imprimés en faveur de la Cour et demandant la paix. Le 12, les bourgeois qui gardaient la porte Saint-Honoré virent paraitre un héraut en cotte d'armes, tenant un bâton semé de fleurs de lis, accompagné de deux trompettes, et porteur de messages pour le parlement, Conti, et les gens de la Ville. Entraîné par le coadjuteur, homme charmé des révoltés et des révoltes, le parlement refusa de donner audience au héraut, parce que les rois n'en avaient jamais adressé qu'à des égaux ou à des ennemis. Les magistrats craignaient un piège ; ils ne voulaient pas que la Cour pût les accuser plus tard d'usurper l'autorité souveraine. Conti et les officiers de la Ville déclarèrent se conformer au parlement. Alors le héraut, après avoir sommé qu'on lui ouvrit la porte, laissa ses trois paquets sur la barrière et repartit pour Saint-Germain, où, peu après, des passeports étant arrivés, les gens du roi se rendirent en carrosse, pour faire connaitre à Anne d'Autriche les motifs de la conduite du parlement envers le messager de paix (17 février). La foule avait bien vu les gens du roi se mettre en route. On les reçut avec tant d'égards, à Saint-Germain, que cela fit présager un commencement de négociation. Les courtisans s'effrayaient de l'extension que prenait la révolte : ils s'ennuyaient aussi de Paris... Turenne, leur disait-on, voulait suivre l'exemple de sa famille : épris de la duchesse de Longueville, il allait passer avec ses troupes du côté de la Fronde ; Longueville et la Trémouille marchaient sur Paris, avec deux corps d'armée levés en Normandie et en Poitou ; puis, savaient-ils, le roi d'Espagne envoyait une sorte d'ambassadeur au parlement, afin de lui annoncer qu'il avait fait avancer dix-huit mille hommes sur la frontière pour le secourir en cas de besoin. Enfin, la mort de Charles Ier d'Angleterre ramenait la Cour vers les idées d'accommodement avec les frondeurs. Ne laissons point ici dans l'oubli fout ce qui se rapporte à l'ambassade espagnole. L'incident vaut qu'on s'y arrête, car il fait foi d'un pur patriotisme chez les hommes consciencieux de l'époque, parmi les magistrats, les bourgeois et le peuple. Madame de Chevreuse avait sans honte négocié, à Bruxelles, un traité d'alliance avec l'Espagne. Bouillon y consentait, Turenne probablement allait y consentir. Gondi n'attendait pour signer que l'arrivée du vainqueur de l'Allemagne aux portes de Paris. Pressenti par le coadjuteur sur ce traité avec les Espagnols, le parlement s'était tout d'abord indigné. Mais Bouillon et Gondi ne se tinrent pas pour battus. Ils jouèrent une comédie assez mal combinée, dont le dénouement leur paraissait cependant devoir réussir. Qu'on se figure un moine espagnol, agent de l'archiduc d'Autriche Léopold, muni de blanc-seings, et résidant à Paris depuis plusieurs semaines. Ce moine était censé, d'après le plan de Gondi, avoir été accrédité auprès du parlement pour traiter de la paix générale, que chacun en France désirait si ardemment. A cette fin, on lui avait fabriqué une lettre de créance, et l'on avait demandé à introduire devant la compagnie le senor don Jose Illescas è Arnolfini, gentilhomme envoyé par l'archiduc. C'était le moine en question. Ce jour-là (19 février),
les gens du roi rendaient compte aux magistrats assemblés du gracieux accueil
qu'on leur avait fait à Saint-Germain. La vue de don Jose Illescas produisit
un médiocre effet ; sa mission déplut et parut louche à plusieurs. Eh quoi ! s'écria tout à coup le président de
Mesmes, les larmes aux yeux, en se tournant vers Conti, est-il possible qu'un prince du sang de France propose de
donner séance sur les fleurs de lis à un députe du plus cruel ennemi des
fleurs de lis ? Le parlement siégeait, en effet, sur des bancs
fleurdelisés. Il n'y a pas d'apparence,
ajouta aussi Crespin, doyen des magistrats, d'ouïr
un envoyé des ennemis de l'Etat après avoir refusé d'entendre un héraut de Sa
Majesté ; ces prétendues ouvertures de paix sont sans cloute un piège...
Broussel soutint un avis contraire. Il lui parut bon d'admettre et d'entendre
l'envoyé, pour que la compagnie ne demeurât pas
responsable envers les peuples d'avoir rejeté des ouvertures de paix...
Après délibération et vote qui donna raison à Broussel, don Jose Illescas fut introduit. Sa harangue,
fort subtile, flattait la vanité des magistrats, en qui, disait il, résidait principalement l'autorité légitime du roi très
chrétien. Avec eux l'archiduc traiterait d'une paix équitable et
ferme. La péroraison du faux ambassadeur demandait une réponse prompte ; ce à quoi la compagnie ne se laissa pas prendre. Elle vota unanimement. que des députés porteraient à Sa Majesté la lettre de créance de l'archiduc. Elle ne voulut point délibérer sur les propositions qui lui étaient adressées, avant que Sa Majesté eût fait connaître sa volonté. Molé et de Mesme furent chargés de porter l'arrêt. Rien qui étonne dans cette condescendance. Ne célébrait-on pas, le 20 février, à Notre-Dame, au milieu d'un grand concours de peuple, la messe commémorative de l'entrée de Henri IV à Paris ? La comédie du coadjuteur éprouva donc une chute complète. Sa considération, celle de Turenne et de Bouillon en reçurent une grande atteinte. L'opinion publique sur ce point se trouva d'accord avec le parlement. De ce temps datent les railleries publiées contre Gondi, notamment des triolets qui dévoilaient son ambition démesurée. Lisez le suivant : Monsieur notre coadjuteur Vend sa crosse pour une fronde. Il est vaillant et bon pasteur, Monsieur notre coadjuteur. Sachant qu'autrefois un frondeur Devint le plus grand roi du monde, Monsieur notre coadjuteur Vend sa crosse pour une fronde, Contre les Espagnols, il parut une ode dans laquelle, à peu près comme un vaudevilliste libéral de 1816, un poète au cœur national disait : Lorsque nous faisons les fous, Cela se passe entre nous ; Ce n'est que vapeur de bile ; Mais si vous vous faites voir, Adieu la guerre civile ; Tout ira vous recevoir Matthieu Molé et de Mesmes, porteurs de l'arrêt qu'avaient motivé les propositions de l'archiduc, devaient en même temps entamer des conférences avec la Cour. Une entente d'Anne d'Autriche avec les mécontents terminerait, croyait-on, bien des misères. Il y avait eu des intelligences entre certains habitants de Paris et les hôtes de Saint-Germain. Le Palais de Justice devenait un lieu d'émeutes. La Fronde maintenant semblait être une brouillerie des seigneurs avec le pouvoir, plutôt qu'une tentative du peuple pour obtenir des garanties de liberté. Le parlement, qui s'en était aperçu, ne voulait pas perpétuer le désordre pour bouleverser l'Etat ; et pendant que Molé négociait la paix à Saint-Germain, les gens de la ville faisaient de leur mieux pour remédier aux maux des Parisiens. Une ordonnance (1er mars) du prévôt des marchands et des échevins de Paris enjoignait aux boulangers et pâtissiers de cuire dorénavant des pains de deux et trois livres seulement pour la subsistance des pauvres ; une autre (16 mars) exigeait, pour le gros et petit pain, la marque et le nombre de livres qu'il pesait, défendait de vendre le blanc plus de deux sous la livre, le bis-blanc, plus de dix-huit deniers, le pain des pauvres, plus d'un sou. Les passions populaires étaient excitées par des écrits, par la Gazette des Halles, sur les affaires du temps ; par la Gazette de la place Maubert, ou suite de la Gazette des Halles. On voyait bien, en bas, ce qui se passait dans les conseils des chefs ; on n'ignorait pas que personne ne pensait au peuple, sinon pour s'en servir comme d'un instrument. Dans le Hazard de la blanque renversée et la consolation des marchands forains, un écrivain déclarait que la Fronde était une véritable comédie, où les uns jouaient le personnage du roi ; les autres des personnages de princes, de valets et de fous. Il trouvait que la comédie se prolongeait trop, et qu'elle coûtait fort cher. Un auteur imprima les Cris des pauvres aux pieds de leurs Majestés, demandant la paix. Certainement, beaucoup de gens désiraient voir se terminer la guerre, mais bien peu, y compris le parlement, l'auraient achetée par l'abandon de tout ce qui avait été fait depuis une année, dans le sens des réformes administratives. Molé outrepassa les bornes de son mandat. Suivant ses inclinations pacifiques plus que les vœux de l'opinion publique à Paris, il signa à Ruel (11 mars 1648) un traité par lequel les actes du parlement étaient annulés, son armée licenciée, ses assemblées abolies. En retour, la Cour accordait une amnistie, rendait aux seigneurs leurs biens et dignités, promettait d'éloigner les troupes. Tout l'échafaudage politique élevé depuis l'arrêt d'union croulait instantanément. Les magistrats refusèrent d'enregistrer un traité dont le peuple s'indignait, pendant que, de leur côté, les seigneurs s'allièrent avec les Espagnols déjà entrés en Champagne. Molé courut risque d'être massacré, dans une émeute où le mot de république fut prononcé, où des hommes armés demandèrent qu'on leur livrât la grande barbe. En cette occasion, Gondi et Beaufort protégèrent le premier président, grâce à de vives harangues. Matthieu Molé, sortant de la galerie du Palais-de-Justice pour rentrer chez lui, se vit attaquer par quelques frondeurs exaspérés, dont l'un le menaça de le tuer. — Mon ami, dit froidement le magistrat, quand je serai mort, il ne me faudra que six pieds de terre. Et il continua sa route, sans hâter le pas, et sans essuyer de nouvelles menaces. Bientôt des mesures furent prises pour la sûreté du Palais (14 mars). On proposa à la Cour d'essentielles modifications au traité de Ruel. Profitant de l'occasion dans leur intérêt propre, les seigneurs affichèrent des prétentions d'autant plus grandes, que Turenne s'avançait avec son armée. Bouillon, qui avec la physionomie d'un bœuf avait la perspicacité d'un aigle, demandait Sedan, — c'était sa perpétuelle demande ; Turenne voulait l'Alsace ; La Trémouille, le Roussillon ; d'Elbeuf, la Picardie ; Beaufort, la charge de grand-amiral ; Longueville, le gouvernement du Pont-de-l'Arche en Normandie, et le maréchal de la Motte, celui de Bellegarde. Peu ou beaucoup qualifié, chaque gentilhomme se montra si exigeant, que les magistrats s'en indignèrent et que le public s'en moqua. Comment satisfaire tous ces appétits, sans mettre le royaume en mille pièces ? La Cour ne put s'entendre avec les seigneurs, mais clic en gagna quelques-uns par des largesses ; et, pendant que les généraux de la Fronde avouaient leur alliance avec l'Espagne, Mazarin, usant de ruse, ruina leur espérance en Turenne, dont il acheta les troupes weymariennes pour la somme de huit cent mille francs. Abandonné par son armée, Turenne se réfugia dans la Hesse, puis en Hollande, et, par suite, l'archiduc, voyant tout compromis, reprit la route de la, Flandre. Les députés du parlement ne cessaient pas de négocier la paix à Saint-Germain ; ils préféraient les douceurs de la soumission aux tracas d'une fermeté stoïque. Gondi faisait le mort, et, blotti au fond de l'archevêché, il attendait les événements : l'insuccès de don Jose Illescas avait paralysé tous ses moyens actifs. Il ne s'opposait point à la paix, et il refusait de s'arranger avec la Cour. Son habileté était devenue bien embarrassée. Comme les généraux de la Fronde, après leur dernière équipée, n'avaient pu conquérir que la haine des magistrats et des bourgeois de Paris, il les laissa essayer seuls de soulever le peuple pour purger le parlement, de se rendre maitres de l'Hôtel-de-Ville et de laisser avancer l'armée espagnole jusque dans les faubourgs. Au reste, les parlementaires surent esquiver le coup que leur portaient les seigneurs, en pressant la reine de faire la paix, d'accepter les modifications du traité de Ruel, de diminuer les impôts, et de permettre les assemblées du parlement. C'était éviter un mal pour s'exposer à un pire. Plus par lassitude que par raison, niais de part et d'autre avec un empressement semblable à celui d'hommes à bout d'expédients, la Cour et les magistrats signèrent le traité de Saint-Germain, enregistré le 3 avril à la chambre des comptes et à la cour des aides. Les seigneurs aussi, ayant tous arraché quelques lambeaux des libéralités royales, se résolurent que la paix se fit, et, dit madame de Motteville, ce fut au roi à la recevoir de ses sujets, après l'avoir achetée chèrement. Le 5 avril, à quatre heures, les voûtes de Notre-Dame retentirent de chants d'actions de grâces : on célébra un Te Deum pour la paix de Ruel. La Gazette de France constata : Il est difficile d'exprimer avec quel empressement le peuple se portait à cette cérémonie, toutes les rues et les Senestres par où le parlement et les autres compagnies passèrent, comme aussi la nef de Nostre-Dame, en estant si fourmillantes, que le parlement, qui estait là au nombre de cent quatre-vingts personnes, et les autres compagnies, furent plus d'une heure à passer depuis la porte de la nef jusqu'au chœur. De par les prévôts des marchands et échevins de Paris, les trouppes et gens de guerre, tant de pied que de cheval, levez en vertu des commissions de la ville, et qui étaient encore de service, avaient reçu un ordre formel de licenciement. Le jeudi-saint, le parlement s'étant assemblé pour vérifier le traité de paix, on vit Gondi affecter de prolonger la cérémonie des saintes huiles qui le retenait à Notre-Dame. Le peuple, inquiet de ne point le voir paraître, le demandait à grands cris, et le duc de Bouillon lui fit dire publiquement de venir au plus tôt apaiser la sédition par sa présence. Enfin il arriva. Le premier président Molé, en l'apercevant, dit assez haut : M. le coadjuteur vient de faire des huiles qui ne sont pas sans salpêtre. En effet, Gondi était mécontent de la paix, et il déclare dans ses Mémoires qu'il entendit Molé, mais qu'il n'en fit pas semblant, parce que s'il eût relevé cette parole, et que cette parole eût été portée dans la grand'salle, il n'eût pas été en son pouvoir de sauver peut-être un seul homme du parlement. Gondi, avec Brissac, Vitry, Fontrailles, Montrésor, et son cousin Matha, avec Noirmoutier, La Boulaye, Laygues, etc., forma une espèce de corps agitateur qui, approuvé par une bonne partie du peuple, n'était pas un fantôme. Cc qui va suivre prouvera que le feu couvait sous la cendre : Gondi, mortifié de n'avoir pas été nommé dans le traité de paix, omission par laquelle Mazarin le confondait dans la foule, aspirait, pour la seconde fois, à se venger. |