Le Te Deum sicilien. — Comminges arrête Broussel. — Course en carrosse. — La Meilleraie-Poliorcète. — Gondi médiateur. —Journées des 26, 27 août 1648. — Description poétique des barricades. — L'illustre cour de Parlement. — Pourparlers avec Amie d'Autriche. — Transaction. — Journée du 28 août. — Triomphe de Broussel. — On défait les barricades.— Du 26 août 1618 au 1er septembre 1648. — Le lendemain du jour où le coadjuteur Gondi, faisant devant le roi et sa mère, dans l'église des jésuites de la rue Saint-Antoine, le panégyrique de saint Louis dont on solennisait la fête (25 août 1648), avait indirectement blâmé la conduite de Mazarin, un Te Deum fut célébré à l'occasion de la victoire de Lens. Cette victoire, remportée par Condé sur les Espagnols que commandait le général Jean de Beck, rehaussait singulièrement l'éclat de nos armes, et permettait de plaisanter sur le beck de l'Espagnol pris par le Français. Grande fut l'ivresse des Parisiens, que les succès militaires n'ont jamais laissés indifférents, et la foule se porta aux abords de Notre-Dame, où se chanta le Te Deum. L'enfant-roi, au contraire, répétant sans doute ce qu'il entendait dire à ses côtés, n'avait prononcé que ces mots : Le parlement va être bien fâché. Comme si la cour seule triomphait à Lens, comme si les rebelles parlementaires perdaient tout à ce succès éclatant. La lionne nouvelle avait été apportée à Paris le 22 août par le comte de Châtillon ; les prévôts des marchands et échevins de Paris avaient recommandé aux quarteniers de faire allumer des feux de joie dans leurs quartiers respectifs. Anne d'Autriche pensa que, pour elle, le moment de la vengeance était arrivé ; cette fois, Mazarin et Gaston d'Orléans approuvèrent ses plans tic coup d'Etat. Quelques habitants remarquèrent qu'il y avait un grand déploiement de force armée pour cette solennité du Te Deum ; que le régiment des gardes formait la haie sur le passage de Leurs Majestés, depuis le Palais-Royal jusqu'à la cathédrale ; et que les gens d'armes et les gardes da corps se massaient par pelotons sur divers points de la Cité. Selon l'usage, le parlement, en corps, reçut une invitation à laquelle il se rendit, lui qui aimait fort les cérémonies, sources de vivats populaires. Le 26 août était un mercredi. Après l'office et la bénédiction donnée par le coadjuteur, Anne d'Autriche dit à l'oreille de Comminges, son lieutenant des gardes : Allez, et que Dieu veuille vous assister. Le comte Jean-Baptiste-Gaston de Guitaut-Comminges, qui avait près de six pieds de haut, et environ autant de circonférence, répondit par un léger hochement de tête, et s'apprêta à s'acquitter avec adresse d'une besogne qui devait le mener au grade d'aide de camp de Louis XIV. Il resta dans l'église assez de temps pour que la cour pût rentrer au Palais-Royal, et les troupes demeurèrent à leur poste jusqu'à ce que les conseillers fussent retournés chez eux. Alarmés, en ne voyant pas Comminges suivre comme d'habitude la reine, les magistrats sortirent précipitamment de Notre-Dame : beaucoup craignirent de rentrer dans leurs maisons. Ils avaient raison d'être inquiets, car le lieutenant des gardes se présenta aussitôt chez Pierre Broussel, qui demeurait dans une petite maison dont les fenêtres donnaient sur la rivière, et située au port Saint-Landry, proche Notre-Dame, en la Cité. C'était alors le quartier le plus populeux et le plus bruyant de Paris. Quinze ou seize gardes accompagnaient Comminges. Broussel achevait de dîner, dit-on dans une relation manuscrite, citée par M. Edouard Fournier, dans son Histoire du Pont-Neuf ; on ne lui donna pas le temps de prendre son manteau. Il eut seulement celui de dire à ses enfants ces paroles remarquables : Mes enfants, je n'espère pas vous revoir jamais ; je vous donne ma bénédiction ; je ne vous laisse point de bien, mais je vous laisse un peu d'honneur, ayez soin de le conserver. Le peuple s'était aperçu de la chose ; aussi Comminges pressa-t-il Broussel de monter en carrosse en simple soutane et sans souliers. Des gens ameutés avaient fait mine de couper les rênes des chevaux et de briser la voiture. En même temps un autre officier se saisit du président des enquêtes, Nicolas Potier de Blancménil, et le conduisit à Vincennes. Potier de Blancménil, neveu de l'évêque de Beauvais, n'avait pu pardonner à la reine le dégoût qui lui avait pris pour son oncle au commencement de la régence. Le président Louis Charton, menacé d'un sort pareil, parvint à s'esquiver. Peu importait : Charton, homme très borné, dit Voltaire, était surnommé le président Je dis ça, parce qu'il ouvrait ses avis et les concluait toujours par ces mots. Trois lettres de cachet exilèrent en différents lieux les conseillers Lainé, Benoit et Loisel. Tel fut le coup d'Etat dont Anne d'Autriche espérait monts et merveilles, et qu'elle considérait comme une émanation irrésistible de la volonté royale contestée par les mutins. Mais la cérémonie de Notre-Dame reçut de ceux-ci le nom de Te Deum sicilien, parce qu'il a failly à estre aussi funeste aux Français que les vespres siciliennes le furent jadis à plusieurs de nostre mesme nation. Les frondeurs commencèrent de résister à main armée. La reine avait employé la force au secours de son autorité ; les Parisiens répondirent au coup d'Etat par une grave émeute, qui suivit l'arrestation de Broussel. Il sembla que le canon, qu'on venait de tirer en signe de réjouissance pour la victoire, fût devenu tout à coup un signal pour le choc en des troupes ennemies. Le carrosse qui emportait Broussel traversa la foule ameutée, et se dirigea vers l'étroite rue des Marmousets, au milieu de laquelle on jeta un banc de bois de l'étude d'un notaire, afin d'intercepter le passage. Le moyen ne réussit pas, et, à travers les gardes, le carrosse gagna le Marché-Neuf. Quand il arriva sur le quai des Orfèvres, une de ses roues se rompit. Un effort, et le peuple délivrait le cher prisonnier ! Mais point : le carrosse d'une certaine dame d'Attis, de Toulouse, passait ; Comminges fit peu galamment descendre la dame, et Broussel monta. Puis, le cocher fouetta ferme, et, en très peu de temps, traversant la moitié septentrionale du Pont-Neuf, le quai du Louvre, la porte dite de la Conférence et le château de Madrid, le lieutenant des gardes et le conseiller furent à Saint-Germain. Çà et là repoussée par les gardes, la foule crie : Tue ! tue ! parcourt toute la Cité, et répète le nom si populaire de Broussel. A ces cris, portefaix et mariniers d'accourir en toute hâte, de la Grève, du quartier Saint-Landru. On dirait d'une commotion électrique. Des bateliers débarquent sur les rives de la Seine. Chaines tendues, boutiques fermées, pierres lancées aux soldats, fenêtres garnies de gens armés de projectiles ou de crocs, rien ne manque pour le combat des rues. La Cité appartient bientôt tout entière aux frondeurs. Le maréchal de la Meilleraie, pour qui certaines gens ont renouvelé l'ancien surnom de Poliorcète, ou preneur de villes, s'avance contre la foule ameutée jusqu'au Pont-Neuf : il marche à la tête des gardes ; un horloger le vise à bout portant, et, s'il n'est pas tué, c'est parce que le fusil n'a pas pris feu. Au même moment, voici le coadjuteur Gondi qui se montre, et qui, portant rochet et camail, traverse les flots des frondeurs, va joindre la Meilleraie. Gondi s'interpose entre le peuple et la Cour. Il prie le maréchal de le conduire au Palais-Royal, pénètre dans la demeure d'Anne d'Autriche, qu'il aborde et qui le reçoit assez mal. Il y a de la révolte, dit alors la régente, à imaginer qu'on puisse se révolter. Gondi réplique par quelques mots sur les moyens d'apaiser le peuple. Je vous entends, monsieur le coadjuteur, ajoute Anne d'Autriche, les yeux étincelants de fureur, vous voudriez que je rendisse Broussel, mais je l'étranglerais plutôt avec les deux mains ! Et son geste traduit parfaitement sa pensée. Mazarin seul fait une promesse incomplète. Aucun arrangement ne sera-t-il donc possible ? Le prélat sort avec la Meilleraie, qui a l'épée haute. Il va tenter un dernier effort, par peur ou par amour-propre. Le peuple, avant que Gondi ait pu parler, crie aux armes, car il a vu le maréchal s'avancer à la tête des chevau-légers, et il se croit menacé d'une charge de cavalerie. Des coups de feu sont échangés. Gondi et la Meilleraie risquent leur vie au milieu d'une effroyable confusion. Celui-ci jette par terre, d'un coup de pistolet, le syndic des crocheteurs. De son côté, pour un coup de pierre reçu, le coadjuteur, qui a confessé l'agonisant, ne se décourage point ; il parle à la foule qui encombre la rue Saint-Honoré et le quartier des Halles ; il lui fait déposer les armes, dans l'espoir de recouvrer pacifiquement Broussel. Cela obtenu, Gondi retourne au Palais-Royal rendre compte de sa mission à Anne d'Autriche, et la presser de tenir la parole donnée par Mazarin. Mais les remercîments de la régente st ; formulent en railleries. Allez vous reposer, monsieur, dit-elle au prélat, vous avez bien travaillé. Ces paroles exaspèrent Gondi, qui, venu pour jouer un rôle de médiateur, disparaît bien décidé à jouer celui de chef de parti, lui qui naguère s'était mêlé aux complots du comte de Soissons contre Richelieu, et qui avait récemment demandé à la cour le gouvernement de Paris. Avec cette fonction toute militaire, Gondi fût devenu un prélat-guerrier, comme il en avait existé sous le dernier règne. Le coadjuteur visait trop haut : un refus pur et simple avait rabattu, non guéri son ambition. Par la ville, la Meilleraie n'a pas réussi à repousser les frondeurs ; il a replié ses troupes autour du Palais-Royal. Désespérant de sa cause, il ne tente rien de plus. Le peuple, au contraire, prend des allures de vainqueur, et, maître de la Cité, de la rue Saint-Denis, des Halles et de la rue Saint-Honoré, il brise partout les vitres, opère mille marches et contre-marches, pousse des cris de forcenés, s'agite enfin jusqu'à l'heure du coucher, heure à laquelle chacun rentre chez soi. La nuit se passe sans émotion et sans trouble. Seulement, les boutiques demeurent fermées, la plupart des bourgeois stationnent en armes à leurs portes, après avoir eu même la précaution de faire leur provision de poudre et de plomb, assure Guy-Joly. Pour Anne d'Autriche, elle ne doute pas d'avoir triomphé. Elle assiste à un gai souper au milieu de sa cour. On la flatte su son courage, on célèbre sa victoire. Encore un peu de vigueur, pense-t-elle, et tout sera dit, ce feu de paille ne se rallumera plus. Et Gondi, que fait-il ? Revenu dans l'archevêché, Gondi se demande si cette journée ne doit pas avoir un lendemain, s'il ne se rendra pas maitre de Paris. Le jeudi, 27 août 1648, de bon matin, le parlement, assemblé dans la grand'chambre, reçut les plaintes de deux de ses membres, les sieurs Jean Bouchent et Broussel, sur l'enlèvement inique du vertueux Pierre Broussel, leur oncle. Les gens du roi y requirent la prise de corps contre Comminges et autres qui avaient arrêté messieurs ; ils proposèrent qu'on allât supplier la reine de rendre la liberté à messieurs les absents, prisonniers ou exilés, pendant que le parlement prendrait des mesures selon les circonstances. Des soldats, en effet, étaient groupés autour du Palais-Royal dans une attitude menaçante. Les bourgeois, pour leur sûreté, s'armèrent, eux qui ne s'étaient point encore mêlés au mouvement. Des chaines barraient les ponts. La foule obstruait rues et places. On attendait, on désirait du nouveau. Plusieurs magistrats, se rendant séparément au palais, avaient été rencontrés, et leur vue avait ému les passants. Tout à coup, un carrosse escorté de gens à cheval voulut traverser le Pont-Neuf, le lieu tumultueux par excellence. Des attroupements se formèrent, entourèrent le chancelier. Car cc carrosse était celui de l'impopulaire Séguier, qui allait ordonner au parlement de cesser ses assemblées. Le chancelier, peu brave, et dont on a dit : Sa seule lâcheté l'a toujours maintenu, passait pour l'homme du monde le moins honnête, et si glorieux qu'il ne se découvrait pour personne. Sur son incivilité courait cette épigramme : Qu'il est dur au salut, ce fat de chancelier ! Cela le fait passer pour un esprit altier, Vain au-delà de toutes bornes. Ce n'est pas pourtant qu'il soit lier, C'est qu'il craint de montrer ses cornes. En cette circonstance, le chancelier porta la peine de son impopularité, de son avarice proverbiale, de ses courbettes ordinaires devant les ministres passés et présents. Il dut mettre pied à terre, et l'on accabla de huées ce malencontreux messager d'Anne d'Autriche. Force fut à Séguier d'aller chercher asile dans l'hôtel de Luynes, près le pont Saint-Michel, à la pointe du quai des Augustins. Les frondeurs, notamment un grand maraud à qui Séguier avait fait perdre un procès en conseil, l'y poursuivirent, enfoncèrent les portes de l'hôtel, qu'ils pillèrent et fouillèrent du haut en bas sans découvrir le fugitif. Ce sera prisonnier pour prisonnier, disaient les uns, et nous en ferons un échange avec notre cher protecteur ; les autres criaient qu'il fallait le démembrer et le mettre par quartiers, afin d'en éparpiller les morceaux sur les places publiques, et de montrer ainsi leur ressentiment par leur vengeance. Tout ce que put faire la Meilleraie pour le chancelier, ce fut de le ramener au Palais-Royal. Séguier, dans l'hôtel de Luynes, attendait déjà la mort, et s'était confessé à l'évêque de Meaux, son frère. Ce mouvement devenait inquiétant pour la Cour ; mais le parlement ne fit aucun état du danger que courait le chef de la justice. Le chancelier est attaqué !... s'est enfui !... est pris ! ... est tué !... s'écriait-on de toutes parts. Et la sédition allait croissant. Le nombre des frondeurs augmentait à vue d'œil. Miron, colonel du quartier Saint-Germain-l'Auxerrois, faisait prendre les armes à ses bourgeois ; la femme de Martineau, conseiller au parlement et colonel du quartier Saint-Jacques, faisait battre le tambour et commencer les barricades sur ce point ; la ville entière s'allumait. En moins de trois heures, cent mille hommes furent sous les armes. Ils élevèrent plus de deux mille barricades avec des tonneaux pleins de sable enchainés l'un à l'autre, barricades bardées de drapeaux et de toutes les armes que la Ligue avait laissées entières. Ces espèces de citadelles, revêtues d'un rang de pierres de taille, atteignaient pour la plupart à une telle hauteur, qu'il fallait des échelles pour les escalader. A l'entrée de chaque rue apparaissait une de ces formidables barricades derrière laquelle, pour la garder, se tenait un corps de bourgeois armes ; une ouverture pratiquée dans le milieu, fermée de fortes chines au besoin, ne donnait passage que pour une personne seule. La dernière barricade s'éleva rue Saint-Honoré, à la barrière des Sergents, et à quelques pas des sentinelles qui gardaient le Palais-loyal. Un célèbre arracheur de dents, Carmeline, commandait la barricade du Pont-Neuf, près du cheval de bronze. S'il plait au lecteur, Faisons un tour parmi les rues. Partout les chaînes sont tendues ; Des caves on sort des tonneaux, On amène des tombereaux ; Des chariots et des charrettes ; On appreste les escoupettes ; Et nos bourgeois fort résolus, Vieux soldats tout frais esmoulus, Sont attachez aux barricades Comme soldats à leurs rancades. A la Halle et aux environs On se retranche de marrons, De citrouilles, pommes pourries, De choux, de concombres, d'orties, De cresson, pourpier et naveau, Artichaux, raves et porreaux, Prunes, citrons, poires, oranges... Comme suprême moyen de défense, les frondeurs placèrent des pierres et des pavés sur les fenêtres, si bien que la ville se trouva transformée en un immense camp retranché, au centre duquel siégeait le parlement, tandis qu'à ses extrémités le Palais-Royal, le Louvre et les Tuileries ressemblaient à des forteresses ennemies. Partout des chefs improvisés, partout le mouvement militaire, partout le bruit des armes. A en croire la relation colorée, déjà citée, véridique dans sa forme burlesque, les harengères, mêlées à tout cela, criaient : Vive le roy, vive Bruxelle (Broussel), Vive la cour de parlement, Et sucre du gouvernement. Elles adjoustaient autre chose Qui ne se peut dire qu'en prose... Mais, ajoute l'Agréable récit de ce qui s'est passé aux dernières barricades de Paris : ... Passons aux antres quartiers Où les garçons de tous mestiers, Quittant le soin de la boutique, Prenaient l'halebarde ou la pique : Le coutelas, ou l'espadon, Le brin d'estoc, ou le bourdon, Chacun saisissant à la haste Ce qui se trouve sons sa patte. Servantes en haut des greniers Portaient cailloux à pleins paniers, Les femmes estoient aux fenestres, Tout s'en mêloit, hormis les prestres... Pendant cet universel brouhaha, qui annonçait de fort sérieuses luttes, le parlement délibérait. Vers dix heures et demie, cent soixante magistrats sortent majestueusement du palais en corps de cour, avec robes et bonnets, les huissiers en tête ; suivons l'Agréable récit : ... On voit arriver en bon ordre A pas comptez et gravement L'illustre cour de parlement, Tout le peuple leur fait grand'feste : Eux, inclinant parfois la teste, Avec un modeste souris, Flattoient ces nouveaux aguerris. Devant eux s'ouvrent les barricades ; on cric à leurs
oreilles : Vire le roi ! rire le parlement Ils vont rendre une nouvelle
visite à Anne d'Autriche. Introduits dans le cabinet de la reine, au
Palais-Royal, ils s'étonnent de la triste réception qui leur est faite. Anne
d'Autriche leur déclare que, s'ils ne calment pas bien vite l'agitation
publique, ils en répondent sur leurs têtes à elle et
à son fils. Elle leur refuse absolument la liberté de Broussel et
autres prisonniers, et, après leur avoir fermé avec violence la porte de son
cabinet, elle passe dans une autre chambre. Quelques pourparlers ont lieu,
néanmoins, entre les personnes que la reine a laissées en sortant et les
membres du parlement. Il faut délibérer, disent ceux-ci, il faut rendre un arrêt dans la grand'chambre pour accepter
comme suffisante une promesse arrachée avec peine à Anne d'Autriche, celle de
rétablir chaque magistrat dans sa charge, pourvu que les compagnies cessent
leurs assemblées pendant le peu de jours qui s'écouleront avant les vacances. Une réconciliation semble possible. Mais, à peine le parlement a franchi la première barricade pour regagner le lieu de ses séances, que le peuple, ne voyant pas Broussel, son père, soupçonne des trahisons, et refuse d'ouvrir le passage d'une seconde barrière, rue de l'Arbre-Sec. Vive le roi tout seul et M. de Broussel ! s'écrie-t-il. Il s'en prend aux magistrats de l'insuccès de leur demande ; les bourgeois leur présentent même les armes comme à des ennemis. Un homme ose témérairement saisir par le bras le premier président, tiraillé et pris par la barbe qu'il porte fort longue. On enjoint à Matthieu Molé de retourner au Palais-Royal, et de n'en revenir qu'avec Broussel libre, ou avec Mazarin et Séguier pour otages : encore ne sont-ils pas trop bons pour cela. C'est alors que Matthieu Molé, vivement ému, saisit sa barbe, comme il a coutume de le faire dans les occasions délicates. La dignité parlementaire étant ainsi compromise, une quarantaine de membres, présidents et conseillers, se sauvèrent à travers la foule ; le reste obéit à la force, et, conduit par Matthieu Molé, de Mesme et le Coigneux, revint au Palais-Royal. Les magistrats, agissant sans façon, mangèrent d'abord, puis délibérèrent, et arrêtèrent enfin que, jusqu'aux vacances prochaines, ils ne s'occuperaient que du paiement des rentes de l'Etat et de la confection du tarif pour les droits d'entrée : transaction par laquelle Anne d'Autriche, sur l'attestation d'Henriette-Marie, épouse de Charles ter, là présente, que les troubles d'Angleterre n'avaient jamais paru si grands dans leurs commencements, ni les esprits si unis et si échauffés, accordait ce qu'on lui demandait. Deux exempts et deux conseillers, en carrosse du roi et de la reine, allèrent chercher, à Saint-Germain et à Vincennes, Broussel et Blancménil. Les magistrats, satisfaits, quittèrent le Palais-Royal pour rentrer dans leurs logis respectifs, après que Matthieu Molé eut montré les précieuses lettres de rappel au peuple, qui n'en passa pas moins la nuit sur ses barricades : nuit encore pleine de terreurs et de menaces. Mazarin craignit que le peuple ne vint l'arracher de ses appartements, et il eut un instant l'idée de quitter Paris, même la France. La journée qui suivit, le vendredi (28 août), ne devait pas être tranquille. Blancménil, arrivé la veille an soir à Paris, se montra sur le Pont-Neuf, puis assista à la réunion du parlement dans la grand'chambre. Mais Broussel ne paraissait pas ; des on dit le déclaraient mort. Le fait est que la lettre de cachet avait rejoint Broussel à quelques lieues de Saint-Germain, sur la route de Sedan. Le peuple attendait son idole ; les bourgeois, eux aussi, juraient qu'ils ne désarmeraient pas qu'ils ne l'eussent vu de leurs propres yeux. On ne fut content qu'à l'arrivée d'un carrosse du roi à six chevaux, dans lequel était assis le vieillard populaire. Bien des gens se mirent presque à genoux sur son passage, et cent mille coups de mousquet accueillirent ce retour si désiré : vacarme horrible, qui effraya quelque peu les conseillers. Les cloches sonnèrent à grande volée. Partout, dit l'Agréable récit, Partout le cry se renouvelle Vive le roy, vive Bruxelle (Broussel) ! Quatre cents hommes à l'instant Le conduisent tambour battant, Et le promènent par les rues : Les chaines furent détendues, Tons les tonneaux sont renversée, Mais non les soupçons effacéz... Ce fut un triomphe demi-sérieux, demi-grotesque. Le peuple conduisit Broussel jusqu'à sa maison ; et quand le parlement envoya chercher ce martyr de la cour pour le montrer prudemment lui-même aux masses, on le trouva agenouillé, en prières, devant l'un des autels de Notre-Daine. Des bourgeois en armes l'accompagnèrent sur le chemin de la grand'chambre. Jamais, au dire de madame de Motteville, triomphe de roi ou d'empereur romain n'avait été plus grand que celui de ce pauvre petit homme, qui n'avait rien de recommandable que d'être entêté du bien public et de la haine des impôts. Voilà, ce nous semble, une dédaigneuse phrase de dame de palais qui donne à Broussel un brevet de personnage rare. Celui-là pensait donc an peuple ! Matthieu Molé dit alors : Broussel mérite beaucoup sans doute, mais il n'est pas tout dans l'État, et il en faut neuf autres avec lui pour donner arrêt. Néanmoins, Broussel ayant triomphé, tout est terminé ; le parlement, lorsque déjà le calme a reparu, sanctionne la volonté pacifique des frondeurs dont la mission s'achève, en rendant un arrêt, Par lequel il est ordonné A chacun d'ouvrir sa boutique. Aux clercs reprendre leur pratique, Mousquets remis aux râteliers, Les matons à leurs ateliers, etc., etc. Dès midi, il ne reste aucune trace de barricades. Pourtant, comme l'a dit plus haut un contemporain, les soupçons non effacez inquiètent toujours les esprits. Les Parisiens sont en défiance. Au faubourg Saint-Antoine, le soir, il s'élève un nouveau tumulte et déjà des barricades se relèvent. Une charrette de poudre, sortie de la Bastille, est enlevée par le peuple, qui met enfin bas les armes, en apprenant que, par ordre de la régente, toutes les compagnies des gardes ont regagné leurs quartiers. Telle est encore l'inquiétude publique que, le 31 août, Anne d'Autriche croit devoir avertir le parlement de ne pas prendre d'ombrage en voyant le lendemain arriver dans Paris de la cavalerie qui amène les prisonniers faits à la bataille de Lens. |