INTRODUCTION. — Portraits des Importants, des Petits-maîtres, des Frondeurs, et des Mazarins. — La fortune rapide de Giulio Mazarini. — Mort du cardinal de Richelieu ; gravures, vers, anagramme, canards, etc. ; quatrain de Benserade. — Mazarin succède de fait à Richelieu. — Caractère du nouveau ministre. — Louis XIII hérite. — Retour des exilés ; délivrance des embastillés. — Mot du comte de Tréville. — Gaston, duc d'Orléans. — Quatrain sur Richelieu et Bassompierre. — Le maréchal de Vitry. — Le comte de Cramail.— Année 1642, jusqu'au 21 février 1643 — Pendant dix années, de 1643 à 1653, quatre partis d'inégales forces ont lutté pour s'emparer du pouvoir en France : — les Importants, les Petits-maîtres, les Frondeurs et les Mazarins ; pendant dix années, d'abord sous un roi mourant, puis sous un roi mineur, toutes les passions politiques se sont entrechoquées sans générosité, sans bonne foi, sans vergogne, se calomniant toujours, parfois se calmant à demi, ne se pardonnant jamais. Jalousies traduites en intrigues, intrigues transformées en guerres, guerres dégénérées en massacres, — tel est le caractère de cette période historique, dont on a trop méconnu le sérieux caché sous mille excentricités, faits comiques et ridicules mascarades. L'époque communément dite de la Fronde mériterait à peine qu'on s'en occupât, si les recherches de l'historien devaient simplement aboutir à une narration peu intéressante de petits moyens employés par tel prince pour abaisser un rival, par telle galante dame pour obtenir les hommages d'un gentilhomme à la mode et pour lui faire des lois de ses caprices. Ce serait matière à roman, et rien de plus. Mais à qui sait découvrir le fond grave sous la forme légère, à qui fait passer les malheurs publics avant les infortunes particulières, ces dix années de troubles paraissent dignes de remarque : elles ont vu s'opérer une crise dans l'existence du peuple français ; elles ont vu agoniser et mourir le régime féodal, en même temps que naître les prétentions politiques de la bourgeoisie et les aspirations libérales des classes infimes émancipées par la misère. Aussi ne doit-on pas comparer la Fronde avec la Ligue, si ce n'est pour certaines formes insurrectionnelles, comme les barricades, les travaux de fortification aux barrières, les prises d'armes, etc. Celle-ci, outre son essence religieuse, était une manifestation de la noblesse française prétendant s'immiscer dans l'ordre de succession au trône, couronner le cardinal de Bourbon à la place d'Henri VI le huguenot, et lui donner le nom de Charles X. La bourgeoisie, en 1589, ne s'arma qu'en faveur du principe royal. La Fronde, au contraire, soutint simultanément deux principes : bourgeoise, elle demanda des réformes, des apparences de liberté ; nobiliaire, elle réclama ses anciens privilèges, presque anéantis par Richelieu. Dans ce conflit, quel fut le sort des populations des villes et des campagnes ? Elles souffrirent de la misère et de la faim, se mêlèrent aux combattants, mais vainement, pour leur propre compte ; elles applaudirent ensuite au triomphe de la royauté, parce qu'elles espérèrent en la puissance absolue de Louis XIV. La noblesse et la bourgeoisie les avaient si complètement niées, que jamais leurs intérêts n'avaient été défendus. Mais n'entrons pas dans des considérations générales que le lecteur devra établir lui-même après l'exposé des faits. Le côté sérieux de la Fronde nous semble assez indiqué par ces quelques mots. Contentons-nous de terminer cette digression par une définition préalable des quatre partis qui se succédèrent sur la scène politique, de 1643 à 1653. Ouvrez le Dictionnaire de l'Académie, au mot Important, et vous y lirez : Se dit d'un homme vain qui cherche à donner aux autres et qui a souvent lui-même une opinion exagérée de sa qualité, de son mérite, de son crédit. Définition très exacte de tout gentilhomme qui figura dans la cabale empressée d'annihiler, après la mort de Richelieu, l'œuvre commencée ; cabale composée, dit Retz, de cinq ou six esprits mélancoliques, qui avaient la mine de penser creux, qui sont morts fous, et qui, dès ce temps-là, ne paraissaient guère sages. Les importants étaient ainsi nommés parce qu'ils avaient l'air vain et orgueilleux, débitaient des maximes d'État, et rêvaient le rétablissement des anciennes lois du royaume. Ils voulaient faire revivre le passé. Presque en même temps qu'eux parurent les petits-maîtres, qui poursuivirent un but à peu près pareil, mais qui procédèrent très différemment. Jeunes, pour la plupart, ils se faisaient remarquer par une élégance recherchée, avaient les manières libres et le ton avantageux avec les femmes, affectaient les formes lestes et tranchantes, sans viser à la science politique, étaient brusques, impatients, se conduisaient en un mot alla marziale. Ils entouraient sans cesse leur jeune chef, Louis Il de Condé, avec lequel ils avaient combattu devant Arras, ou devant Aire, ou dans le Roussillon ; ils participaient à, sa gloire et à sa grandeur, et formaient, dans les réunions de la cour, un noyau puissant, une troupe rayonnante. Ils trouvèrent plusieurs fois l'occasion de pouvoir dire, comme Henri VIII d'Angleterre : Qui je défends est maitre, et leur épée fit pencher la balance du côté qu'il leur plaisait. Condé dominait ses partisans de toute sa hauteur. S'il fallait vous donner l'origine des petits-maîtres, observe un écrivain, vous me croiriez quand je vous dirais : Condé, le vainqueur de Rocroi, était un grand maître ; et ces jeunes gens de cour qui s'attachèrent à lui, singes infidèles du grand homme, furent appelés petits-maîtres. Les importants et les petits-maîtres, d'abord simples cabaleurs sans force réelle, ne tardèrent pas à se fondre, soit dans le parti des frondeurs, soit dans le parti des mazarins. Plusieurs de leurs chefs, même, appartinrent dans la suite à l'un et à l'autre successivement, selon leur intérêt ou leur caprice : les caméléons politiques ne datent pas d'hier. Blâmer les actes du gouvernement était le fait des importants et un peu aussi celui des petits-maitres, protecteurs hautains et exigeants de la cour. C'était, d'ailleurs, depuis longues années, l'habitude du parlement, sa manie, sa passion, pouvons-nous dire. Il remontrait, remontrait, remontrait... tant et si bien, qu'un jour il se posa en assemblée politique plus qu'en corps judiciaire. De là une lutte entre le pouvoir et le parlement. Il y avoit, dans ce temps-là, dans les fossés de la ville — à la butte Saint-Roch —, une grande troupe de jeunes gens volontaires qui se battoient à coups de pierres avec des frondes, dont il demeuroit quelquefois des blessés et des morts. Un arrêt défendit cet exercice, que les jeunes gens continuèrent en cachette des patrouilles. Or, le duc Gaston d'Orléans, celui qui, selon Tallemant des Réaux, avait un peu fait le fou en sa jeunesse, et brûlé, la nuit, plus d'un auvent de savetier, alla au parlement pour empêcher qu'on y délibérât sur quelques propositions hostiles au ministère. Le conseiller Bachaumont dit à son voisin : Si forte virum quem conspexêre, silent — Aperçoivent-ils un haut personnage, ils se taisent — ; mais il faudra remettre la délibération à une séance on n'assistera point le duc d'Orléans. Absolument comme faisaient les frondeurs qui s'abstenaient de leur exercice en présence des commissaires, mais qui recommençaient aussitôt après la disparition de ceux-ci. A quelques jours de là, dans la grande chambre, le président le Coigneux, parlant selon le désir de la cour, son fils, le même conseiller de Bachaumont, déclara : — Quand ce sera mon tour, je fronderai bien l'opinion de mon père. Ce terme fit rire ceux qui étaient près de lui, et depuis on nomma frondeurs, d'abord les membres du parlement qui opinaient contre la Cour, et ensuite les bourgeois ou autres qui blâmaient les actes de Mazarin. Ils se glorifièrent bientôt eux-mêmes du titre de frondeurs, qui leur avait été donné par moquerie ; ils se vantèrent de fronder habilement la cour ; chaque événement auquel ils prirent part devint une fronderie. La mode s'en mêla. Retz, dit-on, fit fabriquer des gâteaux à la Fronde. Pain, mets, chapeaux, gants, canons, mouchoirs, bijoux, garnitures, manchons, éventails, dentelles, épées, équipages, tout se fit à la Fronde ou en porta quelque empreinte. Rien de beau ni de bon qui ne fût à la Fronde, et nous fûmes nous-mêmes à la mode, dit Retz, encore plus par cette sottise que par l'essentiel. L'étymologie de ce mot amusa Scarron qui, dans sa Mazarinade, plaça ces quatre vers : La fortune se changera, Et son ouvrage défera, Par quelque rude coup de fronde Faisant raison à tout le monde. Aucune expression ne parut plus énergique que celle de bon frondeur. Les amis du ministre que l'on frondait reçurent le sobriquet de mazarins. A ceux-ci s'attacha, sinon plus de haine qu'on n'en avait voué aux cardinalistes de Richelieu, au moins plus de moquerie et de mépris. Être mazarin, grand Dieu ! c'était mériter la bastonnade et la corde, aux yeux des Parisiens. Mieux eût valu tuer père et mère. L'épithète de mazarin, donnée à un homme, équivalait à la plus forte injure, à une diffamation. Criait-on, dans la rue, au mazarin ! les portes et les fenêtres s'ouvraient, les hommes et les femmes accablaient le malheureux d'ordures, de pierres, de coups, à le laisser pour mort sur le pavé. Tout mazarin trahissait la cause du pays, ressemblait nécessairement à un étranger venant vivre aux dépens de la France. Il passait pour ami des traitants, des usuriers, des exacteurs et autres sangsues de la fortune publique. En un mot, chaque individu, rendu impopulaire par ses actes, devenait un mazarin, et on le traitait comme tel. Malgré tout, quoique poursuivi par les malédictions générales, ce parti a vent longtemps. Des quatre qui composent l'époque dont nous nous occupons, il est celui qui a fourni la plus étrange, la plus difficile carrière, mais qui, en fin de compte, a triomphé. Les mazarins n'ont disparu qu'après avoir pris le rôle de courtisans de Louis XIV, en flattant le pouvoir dans ses fautes comme dans ses grandeurs, jusqu'à l'apogée de la monarchie absolue. Les mazarins ont commencé avec l'existence politique du cardinal dont le nom était devenu leur sobriquet, et ils lui ont survécu : ils ont donc précédé et suivi la Fronde proprement dite. En effet, le jour où Richelieu songea à faire de Jules Mazarin son successeur, afin d'assurer l'entier accomplissement de son œuvre inachevée, les ennemis du Romain Giulio Mazarini se comptèrent par milliers. On ne pardonnait pas au jeune politique sa qualité d'étranger ; on se rappelait trop, peut-être, Concino-Concini, le maréchal d'Ancre, le favori de Louis XIII, et la coterie des Italiens parvenus. Ayant rencontré Mazarin à Lyon, quand celui-ci était déjà célèbre par ses négociations relatives à la succession de Mantoue et de Montferrat, Richelieu s'était entretenu avec lui, et avait déclaré net qu'il venait de parler au plus grand homme d'État qu'il eût jamais vu. Ce brevet de talent insigne, donné à Mazarin âgé de vingt-huit ans seulement (1630), mit en évidence ce brillant élève des jésuites, tour à tour juriste et militaire, diplomate par excellence. Il marcha vite, devint nonce extraordinaire du pape à la cour de France, obtint des lettres de naturalisation (1639), reçut bientôt la barrette des mains de Louis XIII (25 février 1642), sans être entré dans les ordres sacrés, sans être prêtre. Enfin, lorsque Richelieu, qui, selon Montesquieu, fit jouer à son monarque le second rôle dans la monarchie, et le premier dans l'Europe, qui avilit le roi, mais qui illustra le règne, se sentit prêt à rendre en disant n'avoir eu d'ennemis que ceux de l'État, et consolé d'avance, parce qu'il laissait le royaume au plus haut degré de gloire, — il recommanda Mazarin à son royal survivant. Richelieu étant expiré (4 décembre 1642), chacun, en France, considéra l'événement à sa manière. Voilà un grand politique mort, dit Louis XIII avec plus de mélancolie que de froideur, car il admirait le ministre sans aimer l'homme, et d'ailleurs il pressentait lui-même sa propre fin. Le peuple de Paris se pressa pour voir le défunt cardinal sur son lit de parade en son palais, après avoir néanmoins allumé des feux de joie ; puis il l'accompagna jusqu'à l'église de la Sorbonne (13 décembre 1642) où le ministre avait demandé à être enterré, où plus tard le grand artiste François Girardon a sculpté son mausolée, chef-d'œuvre que nous y voyons encore. Tout en admirant la magnificence du char funèbre traîné par six chevaux, couvert d'un poêle de velours noir croisé de satin blanc, aux armes de Richelieu, escorté par une myriade de pages qui portaient en main des cierges de cire blanche, les Parisiens manifestèrent moins de tristesse que de curiosité : ils ne comprenaient pas la verte qu'ils faisaient. Toutefois, il parut une gravure à la gloire du cardinal, sur les bâtiments de Sorbonne entrepris à ses frais, et récemment achevés ; une autre estampe représenta l'Extase de Richelieu, dans laquelle on place saint Louis lui apparaissant pour l'avertir qu'il va recevoir au ciel la récompense de sa piété envers Dieu et de ses fidèles services envers le roi. Dans une allégorie, il tient enchaînés un lion et un aigle, et on lit ces vers au bas : Admire ce grand Richelieu, Révéré comme un demi-dieu Dessus la terre et dessus l'onde. Que ses desseins sont inouïs ! De tous les royaumes du monde Il n'en faict qu'un seul pour Louis. Enfin on répandit l'anagramme d'Armand Jean Duplessis, produisant cette phrase : Le dieu Mars dans Paris, et plusieurs canards montrèrent l'illustre défunt sur son lit de parade. Toutes ces gravures se trouvent dans les cartons de la Bibliothèque impériale. Bien traités par le ministre vivant, les hommes de lettres n'épargnèrent pas le ministre mort. Isaac de Benserade, qui touchait pension du cardinal, dont il prétendait être le parent par alliance, composa ce quatrain : Ci-gît, oui, gît, par la morbleu ! Le cardinal de Richelieu : Et ce qui cause mon ennui, Ma pension m'occlue lui. La duchesse d'Aiguillon, nièce de Richelieu, ne continua pas au poète cette pension qu'il regrettait tant, mais Benserade la rattrapa plus tard de Mazarin, pour prix d'un peu d'encens, et parce qu'il était un bel esprit fort à la mode. Un jour ce ministre se glorifia d'avoir, dans sa jeunesse, composé des vers italiens dans le même goût que ceux de son pensionné ! En apprenant la funèbre nouvelle qui allait remuer l'Europe, les hommes de cour demeurèrent incertains, stupéfiés. Qu'arriverait-il, après le trépas du politique profond qui avait si vigoureusement frappé la noblesse féodale et démantelé ses châteaux ? L'incertitude fut courte, la stupéfaction doublée, car, le soir même du jour mémorable, Louis XIII appela Mazarin dans ses conseils. Le lendemain, par une lettre datée de Paris, le monarque valétudinaire déclara aux parlements et aux gouverneurs des provinces qu'il était résolu de conserver et d'entretenir tous les établissements ordonnés durant le ministère de Richelieu... en sorte qu'il n'y aurait aucun changement... qu'il n'était pas moins assuré de Mazarin, successeur du défunt, que s'il fût né parmi ses sujets. Le surlendemain, le roi écrivit aux ambassadeurs près les puissances étrangères que sa principale pensée serait... d'user de la même vigueur et fermeté dans ses affaires qu'il y avait gardées... Cinq jours après, il fit enregistrer par le parlement de Paris un pardon flétrissant, accordé à son frère Gaston d'Orléans. Les choses ainsi arrangées, Louis XIII, qui composait en musique, et qui ne s'y connaissait pas mal, prononça à sa façon l'oraison funèbre de Richelieu : il mit un air au rondeau de Miron : Il a passé, il a plié bagage, etc. Cependant, tout en continuant la politique de son prédécesseur, Mazarin n'abdiqua pas sa personnalité propre. Le renard, a-t-on dit, succédait au lion. L'impérieux Richelieu avait, pendant sa vie, provoqué souvent la jalousie de son maitre, soit parce qu'il avait fait peindre sur la porte de son cabinet, au château de Limours, des lis surmontés d'un chapeau de cardinal, avec ces mots au bas : Ils croissent à son ombre ; soit parce qu'il était mieux et plus richement servi ; soit parce qu'on lui adressait toutes les déférences, tellement qu'un soir, dans une fête donnée au roi, il avait cru devoir, en politique adroit, prendre un flambeau et se mettre à marcher devant Louis XIII, pour faire acte de courtisan. L'insinuant Mazarin voulut, dès le début de son pouvoir, obtenir tout à force de souplesse, substituer le génie de la ruse à l'influence de la terreur, faire le facile, le bonhomme, tirer tout le parti possible de son rictus italien, se faire aimer, enfin, quand son prédécesseur s'était fait craindre. Sans posséder le titre officiel de premier ministre, titre dont avait joui Richelieu, Mazarin profita de ce qu'on ne lui avait pas défini ses fonctions, pour agir en modeste conseiller du roi. Il s'étudia à se créer des amis dans les hautes et basses régions de la société française, à la cour, à la ville, partout, car il savait que son système politique suffirait bien à soulever autour de lui de très graves inimitiés. Comme à Casal, il eût volontiers crié, en s'interposant entre les partis divers : La paix ! la paix ! Combattre les principes, ménager les personnes, telle parut être sa devise. Ce rôle de médiateur convenait bien à sa position. Quant à Louis XIII, il s'en retourna vite à son château de Saint-Germain, après avoir recueilli le riche héritage de son ministre trépassé : — Palais-Cardinal, hôtel, argenterie, diamants, quinze cent mille livres comptant. Il ne se soucia guère d'autre chose que de vivre. Peu lui importait, ayant toujours un guide éclairé, si, à Paris, les satires mordantes et les injurieuses épitaphes s'attaquaient à la mémoire de l'homme qui avait préparé le traité de Westphalie, de l'homme que défendaient seuls, et l'Académie, reconnaissante envers son fondateur, et Georges de Scuderi, ridiculisé comme poète, romancier et homme de lettres, mais cœur droit, âme loyale. Tous ceux qui avaient été emprisonnés ou exilés sous le précédent ministère demandèrent un pardon que Louis ajourna, par crainte d'irriter la grande ombre qui planait encore sur le royaume de France. Le comte de Tréville seul reparut à la cour (13 décembre 1642) ; ce capitaine des gardes devait sans doute cette faveur particulière à son esprit jovial, qui lui fit dire, peu après son retour, au roi qui vantait la mort édifiante du prélat : Sire, si le cardinal est en paradis, il faut que le diable se soit laissé escamoter en chemin. Louis XIII se posait donc en fidèle observateur des actes de Richelieu, non par énergie, mais par défiance de lui-même et en attendant que Mazarin eût parlé. Mazarin proposa aussitôt la clémence, et successivement obtinrent grâce : le duc d'Orléans, les maréchaux de Bassompierre et de Vitry, le comte de Cramail (13 à 19 janvier 1643). Le duc de Beaufort, fils cadet de César, duc de Vendôme, et petit-fils de Henri IV et de Gabrielle d'Estrées, eut permission d'habiter son château d'Anet ; enfin le cercueil de Marie de Médicis revint à Saint-Denis, l'ordinaire sépulture des rois (8 mars 1643). Gaston d'Orléans, pardonné, n'en continua pas moins à être l'objet de la défiance de son frère, qui s'arrangeait toujours de manière à lui donner une fausse position politique. Louis XIII n'oubliait pas ses intrigues, ses conspirations avec Montmorency en 1632, avec Cinq-Mars, dix années plus tard ; il le méprisait, parce qu'il avait toujours abandonné et même dénoncé ses complices, à l'heure du danger. Au contraire, le roi se rappelait les gais moments autrefois passés en la compagnie de Bassompierre, le jovial, le galant, le favori d'Henri IV, le bon serviteur, durement traité par Richelieu. Bassompierre, rendu à la liberté, n'avait pas voulu sortir de la Bastille, sans que Louis XIII l'en eût prié ; il oublia ses douze années de captivité pour redevenir, s'il se pouvait, un héros de la mode, et il s'étonna de voir les rues pleines de carrosses, de ne trouver ni barbe aux hommes, ni crins aux chevaux. L'un de ses amis, sans doute, composa ce quatrain, dans lequel le captif était censé dire : Enfin, dans l'arrière-saison, La fortune d'Armand (Richelieu) s'accorde arec la mienne, France, je sors de ma prison Quand son âme sort de la sienne. Nicolas de Vitry avait jadis contribué à la disgrâce de Concini, tué de sa main sur le pont du Louvre en 1617 ; le bâton de maréchal l'avait récompensé de cet assassinat. Il s'était distingué dans la guerre de religion, par suite de laquelle il était devenu gouverneur de Provence. Dans ce poste, il avait fait preuve du caractère le plus altier, le plus arrogant, en s'emportant au point de donner quelques coups de canne à Sourdis, archevêque de Bordeaux. Richelieu ne l'eût pas disgracié pour cela, mais ses actes arbitraires l'avaient fait mettre à la Bastille, où il resta six ans. Libre, Nicolas de Vitry pouvait encore rendre des services sérieux : il ne tarda pas à être créé duc et pair, mais il mourut l'année même de sa promotion. Pour Adrien de Montluc, comte de Cramail, et prince de Chabannais, son attachement au prince de Condé avait motivé son embastillement en 1630. Richelieu, selon Laporte, le punit ainsi parce qu'il s'était permis de donner de l'appréhension au roi, quoiqu'elle fût juste et raisonnable, en apprenant à Louis XIII que l'armée des Lorrains était plus forte que la sienne. Cet honnête homme, au dire des contemporains, avait payé de douze années de captivité le grand tort de n'avoir pas déguisé la vérité au roi. Sa santé était affaiblie par la longueur de sa détention. On estimait Cramail, on se rappelait qu'il avait été naguère un des plus galants intrépides de la cour : Marie de Médicis avait dit un jour que si elle avait des enfants dont elle fût maitresse, Cramail en serait le gouverneur. Petit-fils du brave Montluc, c'était un bel esprit, auteur de la Comédie des Proverbes et des Jeux de l'Inconnu ; un honnête homme, car Tallemant, le médisant, constate cette réputation. Ces revenants devaient jouer des rôles divers à la cour ; les plus âgés devaient bientôt disparaître par le fait de la mort ; les plus jeunes, à cause de leur étourderie ou de leur vaniteuse nullité. |