HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

LA BASTILLE

 

LIVRE VII. — INSURRECTION DE FEMMES.

 

 

I. — LE PATROUILLOTISME.

 

Non, mes amis, cette révolution n'est pas d'une nature à consolider. Est-ce que les feux, les fièvres, les graines semées, les mélanges chimiques, les hommes, les événements, toutes les incorporations de la force qui travaille dans cette merveilleuse complication de la force qu'on appelle Univers, ne s'en vont pas croissant, à travers leurs phases et leurs développements naturels, chacun selon son espèce, atteignant leur plus grande hauteur, atteignant le moment visible de leur déclin ; et enfin s'affaissant et disparaissant, ce que nous appelons mourir. Tout a sa croissance, il n'y a aucune chose qui ne croisse, qui ne se développe dans son expansion spéciale, une fois qu'il lui a 'été donné de se produire. Remarquez d'ailleurs que chaque chose se développe avec une rapidité proportionnée en général au désordre et à l'insalubrité qui est en elle : une croissance lente et régulière, quoique devant aussi se terminer par la mort, est ce que nous appelons santé et bien-être.

Un sans-culottisme qui a renversé des bastilles, qui a la pique et le mousquet, et qui s'en va maintenant brûlant les châteaux, votant des décisions et haranguant sous les toits et sous le ciel, peut être considéré comme venu ; et par la loi de la nature il doit croître. A en juger par le désordre et les intempérances qui sont non-seulement en lui, mais dans le sol et les éléments où il se trouve, on peut s'attendre à ce que la rapidité [et la monstruosité de l'expansion seront extrêmes.

Beaucoup de choses d'ailleurs, surtout les choses malsaines, poussent par jets et par convulsions. Le premier jet, la première grande convulsion du sans-culottisme se manifesta lorsque Paris conquit son roi ; car la métaphore de Bailly n'était qu'une trop douloureuse réalité. Le roi est conquis, libre seulement sur parole, à condition d'ailleurs d'une bonne conduite, ce qui dans de telles circonstances signifie malheureusement absence de conduite. Position insoutenable que celle d'une Majesté dépendant d'une bonne conduite ! Hélas ! n'est-il pas naturel que tout ce qui vit cherche à se maintenir vivant ? De sorte que bientôt la conduite de Sa Majesté deviendra sujette à caution ; et ainsi, la seconde grande convulsion du sans-culottisme, qui consistera à mettre le roi sous garde, ne peut pas être éloignée.

Necker, dans l'Assemblée nationale se lamente, comme d'habitude, sur son déficit : les barrières et les bureaux d'octroi sont brûlés, les collecteurs d'impôts pourchassés et non pourchassant ; le trésor de sa Majesté à peu près vide. Le remède est un emprunt de trente millions ; puis, à des conditions bien plus favorables, de quatre-vingts millions. Malheureusement, sur aucun des deux emprunts, les gens de bourse ne veulent se risquer à prêter. Les gens de bourse n'ont aucune patrie, excepté leur noir repaire de l'agio.

Et cependant, en ces jours, chez les hommes qui ont une patrie, quelle flamme de patriotisme brûle dans les cœurs ! Dès le 7 août, un don patriotique de bijoux, en quantité considérable, a été solennellement offert par certaines Parisiennes, et solennellement accepté avec mention honorable. Offrande qui chez tous excite limitation et l'émulation. Les dons patriotiques arrivent à l'Assemblée de près et de loin, toujours accompagnés de quelque morceau d'héroïque éloquence que l'Assemblée doit écouter, auquel le président doit répondre. Bientôt ils sont en tel nombre, que la mention honorable ne peut être faite que sur des listes publiées par intervalles. Chacun donne ce qu'il peut : les corroyeurs ont agi avec munificence ! un propriétaire donne une forêt ; la société élégante donne ses boucles de souliers et se réduit de bon cœur aux cordons. Des femmes infortunées donnent ce qu'elles ont amassé en aimant[1]. Tout argent, disait Vespasien, sent bon.

Beau mouvement, mais inefficace ! Le clergé doit être invité à fondre l'argenterie superflue des églises, pour la monnaie royale. Enfin, une contribution patriotique forcée doit être ordonnée, quoique avec répugnance. Que la quatrième partie de votre revenu annuel soit versée pour cette fois seulement ; de sorte que l'Assemblée nationale puisse faire la constitution sans avoir les inquiétudes de l'insolvabilité. Le salaire des députés, fixé par décret du 17 août, n'est que de dix-huit francs par jour ; mais le service public doit avoir du nerf, de l'argent pour apaiser le déficit non pour le combler, quand même on le pourrait. Car, comme le dit Mirabeau, c'est le déficit qui nous sauve.

Vers la fin d'août, notre Assemblée nationale, dans ses travaux constitutionnels, est arrivée à la question du veto ; Sa Majesté aura-t-elle ou n'aura-t-elle pas un veto sur les décrets nationaux ? Que de discours sur cette question, au dedans et au dehors, pleins de logique et de passion, pleins d'imprécations et de menaces, fort heureusement ensevelis pour la plupart dans les limbes. Grâce à la cervelle fêlée et aux poumons non fêlés de Saint-Huruge, le Palais-Royal mugit sur le veto. Le journalisme y est tout entier ; la France retentit du veto.

Je n'oublierai jamais, dit Dumont, qu'allant à Paris avec Mirabeau, ce jour même ou le lendemain, il y avait des gens qui attendaient sa voiture devant la boutique de le Jay, et qui se jetèrent au-devant de lui en le conjurant, les larmes aux yeux, de ne pas souffrir que le roi eût le veto absolu. C'étaient des transports ! Monsieur le comte, vous êtes le père de ce peuple, vous devez nous sauver, vous devez nous défendre contre ces malheureux qui veulent nous livrer au despotisme. Si le roi a le veto, il n'y a plus besoin d'Assemblée nationale, tout est perdu, nous voilà esclaves[2]. Amis, si les cieux tombent, nous pourrons attraper beaucoup d'alouettes ! Mirabeau, ajoute Dumont, représentait fort bien : il les apaisait, ne disait que des mots vagues, et les renvoyait avec une politesse un peu patricienne.

Des députations vont à l'hôtel de ville ; des lettres anonymes adressées aux aristocrates de l'Assemblée nationale, leur annonçant avec menaces que quinze mille ou quelquefois soixante mille citoyens se mettront en marche pour vous illuminer. Tous les districts de Paris sont en mouvement ; des pétitions se signent. Saint-Huruge part du Palais-Royal avec une escorte de quinze cents individus pour pétitionner en personne. Le marquis gigantesque et débraillé est résolu, ou semble l'être ; le café de Foy aussi : il y a également de la résolution chez le commandant général Lafayette. Les rues sont toutes garnies de patrouilles. Saint-Huruge est arrêté à la barrière des Bons-Hommes, peut à son aise beugler comme les taureaux de Basan, mais il lui faut absolument rétrograder. Les frères du Palais-Royal circulent toute la nuit et font des motions à ciel ouvert, tous les cafés étant fermés. Néanmoins l'hôtel de ville et Lafayette l'emportent ; Saint-Huruge est jeté en prison ; le veto absolu s'ajuste en veto suspensif, prohibition non définitive, mais pour un temps, et cette clameur menaçante fera silence comme d'autres.

Voilà le point où est arrivée la consolidation, non sans peine, réprimant le monde inférieur du sans-culottisme ; et la constitution sera faite au milieu de la jubilation et de la disette, des dons patriotiques et des queues aux boulangers, des harangues de l'abbé Fauchet et des feux de pelotons pour Amen. Scipion l'Américain a mérité les remercîments de l'Assemblée nationale et de la France. On lui offre des gratifications et des émoluments d'un taux considérable, qu'il refuse sans scrupule et d'une manière chevaleresque, avide qu'il est d'autres avantages que l'argent.

Cependant pour le Parisien de la foule, une chose reste inconcevable, c'est qu'aujourd'hui que la Bastille est renversée et la liberté rétablie, le blé continue à être aussi cher ! Les Droits de l'homme sont votés, la féodalité et toute tyrannie abolies, et cependant voilà que l'on fait encore queue. Sont-ce les accapareurs aristocrates ? Est-ce une cour habile en intrigues ? Il y a quelque chose de suspect quelque part.

Et cependant, hélas ! que faire ? Lafayette avec ses patrouilles empêche toutes choses, même la plainte. Saint-Huruge et d'autres héros du veto sont tenus en prison. L'ami du peuple, Marat, a été saisi ; les imprimeurs des journaux patriotiques sont vexés et enchaînés ; les colporteurs mêmes ne peuvent crier, s'ils n'ont une permission et une médaille de plomb. Des gardes nationaux en bleu dispersent brutalement tous les groupes, et nettoient, baïonnette en avant, le Palais-Royal lui-même. Si vous traversez pour vos affaires la rue Taranne, la patrouille, présentant la baïonnette, crie : Passez à gauche ! Tournez dans la rue Saint-Benoît, la patrouille crie : Passez à droite ! Un judicieux patriote — comme Camille Desmoulins, dans cette circonstance — est réduit, pour n'être pas molesté, à suivre le ruisseau.

Ô peuple à bout de souffrances, notre glorieuse révolution s'évapore en cérémonies tricolores et en harangues à compliments ! De ces dernières, selon les calculs de Loustalot, il y en a eu plus de deux mille dans le :cours du mois dernier au seul hôtel de ville. Et nos bouches, vides de pain, doivent être fermées sous peine de châtiment ? Le caricaturiste publie sa gravure emblématique : Le patrouillotisme chassant le patriotisme. Impitoyables patrouilles, longues harangues raffinées et de rares pains mal cuits, plus semblables à des briques cuites et produisant un effet sur les intestins ! Comment cela finira-t-il ? Est-ce par la consolidation ?

 

II. — Ô RICHARD ! Ô MON ROI !

 

Car, hélas ! l'hôtel de ville lui-même n'est pas sans inquiétudes. Le monde inférieur du sans-culottisme a été jusqu'ici réprimé. Mais il y a le monde supérieur de la cour ! Certains symptômes annoncent le réveil de l'Œil-de-Bœuf,

Plus d'une fois dans le sanhédrin municipal, très-souvent dans les propos tenus à la queue des boulangers, on a entendu répéter : Ô ! si notre restaurateur de la liberté française était ici, s'il pouvait voir par ses propres yeux et non par les faux yeux des reines et des cabales, combien son cœur vraiment bon serait soulagé ; car la fausseté l'environne encore, des intrigants ducs de Guiche avec les gardes du corps, des espions de Bouillé, une nouvelle volée d'intrigants, maintenant que les anciens ont disparu. Que signifierait sans cela l'arrivée du régiment de Flandre entrant à Versailles comme nous l'apprenons le 23 septembre, avec deux pièces de canon ? Est-ce 'que la garde nationale de Versailles ne fait pas son devoir au château ? N'avait-on pas les Suisses, les Cent-Suisses, les .gardes du corps ? Bien mieux, il paraît que par une manœuvre silencieuse, le nombre des gardes du corps de service a été doublé ; la nouvelle compagnie de trimestre étant arrivée et celle qui était remplacée n'étant pas partie.

Actuellement il court un bruit parmi les cercles élevés, ou il s'y voit des signes de tête significatifs : on parle d'une fuite projetée du roi à Metz, d'un engagement de s'y rallier autour de lui signé par la noblesse et le clergé, jusqu'à concurrence de trente mille ou même de soixante mille signataires. Lafayette l'annonce froidement au comte d'Estaing, à table ; et le comte d'Estaing, un homme des plus braves, tremble que quelques laquais ne l'aient entendu, et, devenu tout pensif, reste sans sommeil toute la nuit[3]. Cependant, comme nous le disions, le régiment de Flandre est arrivé. Sa Majesté, dit-on, hésite à sanctionner le 4. août, fait des observations d'une nature peu rassurante, même sur les Droits de l'homme. En outre, tout le monde et même les personnes faisant queue chez les boulangers pouvaient voir dans les rues de Paris un nombre extraordinaire d'officiers en congé, croix de Saint-Louis et autres. Quelques personnes calculent qu'il y a de mille à douze cents officiers de toutes armes ; on signale même un uniforme qui ne s'était jamais vu auparavant : vert avec parements rouges. La cocarde tricolore n'est pas toujours visible : mais, au nom du ciel, que nous présagent ces cocardes noires portées par quelques-uns ?

La faim et surtout le soupçon et l'indignation amplifient tout. Dans ce Paris, les réalités elles-mêmes cessent d'être réelles, tournent au surnaturel. Des fantômes troublent encore une fois le cerveau d'une France affamée. — Ô fainéants et lâches ! s'écrient des voix aiguës, aux portes des boulangers : si vous aviez des cœurs d'hommes, vous saisiriez vos piques et vos fusils de hasard pour vous faire rendre compte, au lieu de voir vos femmes et vos filles livrées à la faim, au meurtre et à pis ! — Paix, femmes ! — Le cœur de l'homme est triste et pesant, le patriotisme chassé par le patrouillotisme ne sait que résoudre.

La vérité est que l'Œil-de-Bœuf s'est rallié. Jusqu'à quel point ? on ne le sait. C'est un Œil-de-Bœuf modifié, avec des gardes nationaux de Versailles et leurs cocardes tricolores, une cour enluminée de tricolore. Cependant, même autour d'une cour tricolore, on peut se rallier. Allons, cœurs fidèles, seigneurs évincés, groupez-vous autour de votre reine ! avec de bonnes volontés, qui produiront des espérances, lesquelles produiront des tentatives.

Car, enfin, la conservation de soi-même étant une si puissante loi de nature, que peut faire une cour ralliée, sinon essayer et entreprendre, ou, si l'on veut, comploter selon la sagesse ou la non-sagesse qui est en elle ? Ils fuiront escortés vers Metz, où commande le brave Bouillé ; ils lèveront l'étendard royal, les signataires de l'engagement deviendront des hommes armés. Ah ! si le roi n'était pas si faible ! Leur engagement doit être signé sans sa participation. Malheureux roi, il n'a qu'une seule résolution : celle d'éviter la guerre civile. Quant au reste, il chasse toujours, ayant renoncé à la serrurerie ; il sommeille et digère, et n'est que de l'argile dans la main du potier. Il lui arrivera malheur, dans un monde où chacun doit s'aider lui-même ; où, selon ce qui a été écrit, celui qui n'est pas marteau, doit être enclume ; où l'hysope sur le mur croît dans cette crevasse, parce que l'univers entier ne saurait l'empêcher de croître.

Quant à la venue du régiment de Flandre, ne peut-elle pas être justifiée par les pétitions de Saint-Huruge et les continuelles émeutes de farine ? Des soldats fidèles, qu'il y ait complot, ou seulement d'obscurs éléments de complot, sont toujours une bonne chose. Est-ce que la municipalité de Versailles — vieille municipalité monarchique, pas encore refondue en démocratique — n'a pas spontanément secondé la proposition ? La garde nationale de Versailles elle-même, fatiguée d'une garde continuelle au château, n'y a fait aucune objection. Seulement le drapier Lecointre, qui est maintenant major Lecointre, secoue la tête. — Oui, amis, certes il était naturel que ce régiment de Flandre fût appelé, puisqu'on pouvait l'avoir. Il était naturel qu'à l'aspect des bandoulières militaires, le cœur de l'Œil-de-Bœuf rallié se raffermît, et que les dames d'honneur et les messieurs d'honneur adressassent des mots flatteurs aux défenseurs en épaulettes, et se félicitassent entre eux. C'était naturel aussi et une simple formalité de politesse, que les gardes du corps, régiment de gentilshommes, invitassent leurs frères de Flandre à un dîner de bienvenue. L'invitation, dans les derniers jours de septembre, est faite et acceptée.

Un dîner est considéré comme le dernier acte de communauté ; des hommes qui n'ont entre eux aucune communauté pour autre chose peuvent sympathiquement manger ensemble, peuvent s'élever à un certain degré de fraternité entre le verre et la fourchette. Le dîner est fixé au jeudi 1er octobre, et doit avoir un certain effet. Ensuite, comme un tel dîner peut être nombreux et qu'on laisse entrer pour voir et entendre des non-invités et des hommes du peuple, ne pourrait-on pas obtenir la salle d'opéra de Sa Majesté qui a été complètement silencieuse depuis la visite du Kaiser Joseph ? La salle d'opéra est accordée, le salon d'Hercule servira de salle d'attente. Non-seulement les officiers de Flandre, mais ceux des Suisses et des Cent-Suisses sont invités ; bien mieux, parmi ceux de la garde nationale de Versailles, les fidèles prendront part au festin : ce sera un repas comme il y en a peu.

Et maintenant supposez la partie solide de ce repas terminée, la première bouteille vidée. Supposez les toasts ordinaires portés : la santé du roi, de la reine, avec des vivat assourdissants, le toast à la nation omis ou même rejeté. Supposez des flots de Champagne, avec discours d'une vaillance cuivrée et musique instrumentale ; les têtes emplumées vides et tapageuses se montant d'autant plus dans le vide et dans leur mutuel tapage. La reine, qui semble ce soir plus que d'habitude triste — le roi assis, fatigué de sa chasse du jour —, se laisse dire que ce spectacle pourra la remettre. La voici ! elle entre, en passant par les salles de réception, et apparaît comme la lime se dégageant des nuages, belle et malheureuse reine des cœurs ; son royal époux est à ses côtés, le jeune Dauphin dans ses bras ! Elle descend des loges au milieu des splendeurs et des acclamations, circule majestueusement autour des tables, gracieusement escortée, gracieusement faisant des salutations ; ses yeux sont remplis d'angoisse, et cependant de reconnaissance et d'audace, avec l'espoir de la France sur son sein maternel. Et maintenant que la musique militaire joue à grand orchestre : Ô Richard ! ô mon roi ! l'univers t'abandonne ! comment les cœurs ne seraient-ils pas exaltés au plus haut point de compassion et d'enthousiaste fidélité ? Comment de jeunes officiers a tètes emplumées pouvaient-ils faire autrement que de témoigner l'état orageux et le vide de leur esprit par des serments faits sur les cocardes blanches que leur distribuent de belles mains, sur les épées que l'on fait flamboyer en l'honneur de la reine ? Puis viennent les insultes à la cocarde nationale foulée aux pieds ; l'escalade des loges, d'où pourraient venir des murmures déplacés ; des vociférations, des danses, des fureurs, des désordres dans la salle et au dehors, jusqu'à ce que le champagne et la danse aient fait leur effet, et que tous dorment étendus, silencieux, rêvant passivement d'exploits et de récompenses militaires.

Repas très-naturel, et dans des temps ordinaires très-innocent, maintenant fatal, comme celui de Thyeste, comme celui des fils de Job quand le vent des tempêtes secoua les quatre coins de la salle du banquet ! Pauvre reine malavisée, avec l'impétuosité d'une femme et non la prévoyance d'une souveraine ! C'était si naturel, et cependant si imprudent ! Le lendemain, dans un discours public de cérémonie, la reine se déclare enchantée de ce jeudi.

Le cœur de l'Œil-de-Bœuf s'illumine d'espérance, de rêves audacieux qui sont prématurés. De belles filles d'honneur, en compagnie d'abbés, font des cocardes blanches, les distribuent avec des coups d'œil, des paroles d'encouragement, à des jeunes gens en épaulettes ; ceux-ci en retour peuvent baiser, non sans ardeur, les belles mains des couseuses. Des capitaines à pied et à cheval s'en vont paradant avec d'énormes cocardes blanches, jusqu'à un capitaine de la garde nationale de Versailles qui, mettant de côté sa cocarde tricolore, s'en attache une blanche, tant ont été séduisants les coups d'œil et les doux mots ! A bon droit, le major Lecointre l'apostrophe sévèrement et lui adresse de vifs reproches en termes éclatants. Mais voici qu'un fanfaron portant une énorme cocarde blanche, entendant les paroles du major, l'invite insolemment à se rétracter, sinon à accepter un duel. Le major Lecointre lui déclare nettement qu'il n'entend pas se soumettre aux lois des salles d'armes, mais que, suivant la loi de la nature, avec le poignard et le sabre, il exterminera tout vil gladiateur qui se permettrait une insulte envers lui ou envers la nation. Et il avait déjà tiré son sabre, lorsqu'on les sépara, et il n'y eut pas de sang répandu[4].

 

III. — LES COCARDES NOIRES.

 

Qu'on se figure l'effet que ce repas de Thyeste, que cette insulte à la cocarde nationale durent produire dans la salle des Menus, dans les foules affamées, devant les boutiques des boulangers ! D'ailleurs il paraît que ces repas de Thyeste se renouvellent. Flandre a donné son contre-dîner aux Suisses et Cent-Suisses ; samedi il doit y en avoir un autre.

Oui, pour nous, ici, la famine, mais là-bas, à Versailles, des vivres à foison ! Le patriotisme fait queue, grelottant et affamé, insulté par le patrouillotisme, tandis que des aristocrates aux projets sanguinaires, échauffés par des excès de table, foulent aux pieds la cocarde nationale. Cette énormité peut-elle être vraie ? Mais, regardez : des uniformes verts à parements rouges, des cocardes noires couleur de la nuit ! Devons-nous avoir une invasion militaire avec la mort par famine ? Car voici que le bateau de Corbeil, qui venait habituellement deux fois par jour avec la farine assaisonnée de plâtre de Paris ne vient plus qu'une fois. Et l'hôtel de ville est sourd, et les hommes sont fainéants et lâches ! Au café de Foy, dans la soirée du samedi, se voit une chose nouvelle qui ne sera pas la dernière du même genre, une femme pérorant en public. Son pauvre homme, dit-elle, a été réduit au silence par son district, le président et le bureau n'ont pas voulu le laisser parler. C'est pourquoi elle vient ici faire entendre sa faible voix, et dénoncer, tant qu'il lui restera le souffle, le bateau de Corbeil, le pain en plâtre de Paris, les sacrilèges diners d'Opéra, les uniformes verts, les pirates aristocrates et leurs cocardes noires.

Il est temps, en effet, que les cocardes noires disparais sent. Le patrouillotisme lui-même ne veut pas les protéger. A la parade de la garde nationale des Tuileries, le dimanche matin, le fougueux Matassin, oubliant toute règle militaire, s'élance des rangs, arrache une cocarde noire qui se pavanait, et la met fièrement sous ses talons. Le patrouillotisme lui-même a des fureurs concentrées. Les districts, d'ailleurs, commencent à s'agiter, la voix du président Danton retentit aux Cordeliers : l'ami du peuple, Marat, s'est transporté à Versailles, et le voilà de retour ; noir messager, non de la famille des Alcyons[5].

Et voici que le dimanche, le patriote rencontre le patriote en promenade, et lit ses propres soucis réfléchis sur la figure d'un autre. En dépit du patrouillotisme, qui n'est pas si alerte que d'habitude, des groupes flottants délibèrent ; des groupes sur les ponts, sur les quais, dans les cafés patriotiques. A mesure que se présente une cocarde noire, un hurlement collectif s'élève : A bas ! à bas ! Toutes les cocardes noires sont brutalement arrachées : un individu ramasse la sienne, l'embrasse et s'efforce de la replacer, mais cent lances se lèvent et il y renonce. Un autre s'en tire à moins bon marché : condamné par un plébiscite spontané à la lanterne, il n'est sauvé qu'à grand'peine par quelque actif corps de garde. Lafayette voit tous les signes d'une émeute : pour la prévenir il double ses patrouilles, il redouble d'activité. Ainsi se passe le dimanche à octobre 1789.

Chez les homme réprimés par le patrouillotisme, le cœur est triste ; chez les femmes il est violent, rien ne les réprimera. La femme orateur du Palais-Royal n'est pas la seule à parler. — Les hommes ne savent pas ce que c'est qu'un garde-manger vide, les mères de famille le savent. 0 femmes, épouses d'hommes qui ne savent que raisonner sans agir ! Le patrouillotisme est puissant ; mais la mort, par famine ou invasion militaire, est encore plus puissante. Le patrouillotisme réprime le patriotisme des hommes, mais celui des femmes ! Est-ce que les gardes appelés nationaux enfonceront leurs baïonnettes dans le sein des femmes ? Telles sont les pensées, ou tels sont les vagues éléments d'une pensée qui fermentent universellement sous les bonnets des femmes, et qui au point du jour, sur un simple signal, feront explosion.

 

IV. — LES MÉNADES.

 

Un jour Voltaire, dans un accès de mauvaise humeur, disait à ses compatriotes : Et vous, Welches, qu'avez- vous inventé ? Ils peuvent aujourd'hui répondre : L'art de l'insurrection. C'était un art nécessaire dans ces derniers temps si étranges ; un art pour lequel la nature française, si pleine de véhémence, si exempte de profondeur, était entre toutes la mieux disposée.

Aussi, à quel degré de perfection, nous pouvons le dire, cette branche de l'industrie humaine a-t-elle été portée en France, depuis un demi-siècle ? L'insurrection, que Lafayette jugeait le plus saint des devoirs, figure maintenant aux yeux du peuple français parmi les devoirs qu'il sait remplir. La foule des autres pays ne forme que de lourdes masses qui roulent en avant avec une morne et féroce ténacité, une morne et féroce violence, mais d'où ne jaillit aucune étincelle de génie. La foule française, au contraire, est parmi les plus remarquables phénomènes de notre globe. Si vive, si audacieuse, clairvoyante, inventive, prompte à saisir le moment, avec l'instinct de la vie jusqu'au bout des ongles ! Le talent même, quand il n'y en aurait pas d'autre, de faire queue spontanément, est ce qui distingue le peuple français de tous les autres peuples, anciens et modernes.

Que le lecteur aussi avoue, qu'à tout bien considérer, peu d'apparitions terrestres méritent mieux d'être étudiées que la foule. La foule est une véritable émanation de la nature, sortant des plus grandes profondeurs de la nature ou en communication avec elles. Quand tant d'autres choses ne sont que grimaces et vaines formalités, quand sous tant d'habits il n'y a pas le battement d'un seul cœur, ici du moins, si ce n'est ailleurs, se trouve la sincérité, la réalité. Regarde en frémissant, si tu veux, ou même en gémissant ; mais regarde avec attention. Une telle complication de forces et d'individualités humaines mises en mouvement dans leur mode transcendantal pour agir et réagir sur les faits extérieurs comme sur elles-mêmes, pour accomplir le travail qui est en elles. Ce qu'elles vont faire n'est connu d'aucun homme ; encore moins d'elles-mêmes. C'est un feu d'artifice incommensurable qui engendre la flamme et se consume lui-même. Quelles seront les phases, quelle sera l'étendue, quels seront les résultats de l'incendie ? Voilà ce qui défie toutes les conjectures de la philosophie et de la logique.

L'homme, suivant ce qui a été écrit, est à jamais intéressant pour l'homme, et même à proprement parler, il n'y a rien autre chose d'intéressant. Sous ce point de vue, ne pouvons-nous pas reconnaître pourquoi la description des batailles est devenue si monotone ? Les batailles, à notre époque, ne sont qu'une affaire de mécanique sans aucun développement de l'individualité et de la spontanéité humaine : maintenant même les hommes meurent et se tuent d'une manière artificielle. Depuis le temps d'Homère, alors qu'il y avait des foules combattantes, les batailles pour la plupart ne méritent pas d'être regardées, d'être lues, d'être mises en souvenir : combien de sanglantes batailles l'histoire se fatigue à représenter, ou même à chanter d'une voix rauque ! Faudra-t-il qu'elle omette ou même qu'elle raconte négligemment cette unique insurrection de femmes ?

Une pensée, avons-nous dit, ou les vagues éléments d'une pensée fermentaient universellement dans les têtes des femmes, et devaient faire explosion. Le lundi matin, dans les tristes galetas, la maternité s'éveille pour entendre des enfants demander, en pleurant, du pain. La maternité s'élance dans les rues, dans les marchés aux légumes, se met à la queue des boulangeries, rencontre là d'autres maternités affamées, sympathiques, exagérées. Ô malheureuses que nous sommes ! Mais au lieu de faire queue à la porte des boulangers, pourquoi ne pas aller aux palais des aristocrates, les auteurs du mal ? Allons, assemblons-nous : A l'hôtel de ville ! à Versailles ! à la lanterne !

Dans un des corps de garde du quartier Saint-Eustache, une jeune femme saisit un tambour ; car comment des gardes nationaux feraient-ils feu sur des femmes, sur une jeune femme ? La jeune femme saisit le tambour, se met en marche, battant le rappel, poussant des cris sur la disette de grains. Descendez, ô mères ! descendez, ô Judiths, venez chercher le pain et la vengeance. — Les femmes s'assemblent et la suivent, elles envahissent tous les escaliers et font sortir toutes les femmes : la force insurrectionnelle féminine ressemble, dit Camille, à celle de la marine anglaise ; c'est une presse de femmes universelle. Les robustes dames de la halle, les sveltes grisettes, levées avec l'aurore, les vieilles filles courant à matines, la femme de chambre, avec son balai matinal, toutes doivent se mettre en campagne. Debout, ô femmes, l'homme fainéant ne veut pas agir, c'est à nous d'agir nous-mêmes ?

Et voilà que la foule féminine déborde comme une avalanche du haut des montagnes, chaque escalier vomissant un torrent : elle s'avance tumultueuse avec des rugissements vers l'hôtel de ville. Le tumulte s'accroît avec ou sans tambour, car les femmes du faubourg Saint-Antoine se sont aussi mises en marche avec des manches à balai, des pincettes et même des pistolets rouillés — sans poudre. Le bruit de l'insurrection vole avec la rapidité de la foudre jusqu'aux barrières les plus éloignées. A sept heures, dans cette froide matinée d'octobre, cinquième du mois, l'hôtel de ville verra d'étranges choses. Déjà, par un effet du hasard, s'y trouve un rassemblement d'hommes groupés tumultueusement autour d'une patrouille nationale et d'un boulanger qui avait été saisi avec de faux poids. Ils sont là, exaltés, ayant même descendu la corde de la lanterne. De sorte que les municipaux sont obligés de faire évader le boulanger par les portes de derrière, et même d'envoyer à tous les districts pour demander un supplément de forces. C'était un grand spectacle, dit Camille, de voir tant de Judiths, au nombre d'environ huit à d4 .mille, s'élançant pour aller à la racine du mal. Le spectacle ne devait pas être sans épouvante, mélange de terrible et de grotesque, avec des éléments indomptables. A une telle heure, les trois cents, brisés de fatigue, ne .sont pas encore arrivés : rien que quelques commis compagnie de garde nationale, et M. de Gouvion le major général. Gouvion a combattu en Amérique pour la cause de la liberté civile ; homme de grand cœur, mais faible de tête : il est pour le moment dans les appartements de derrière, cherchant à pacifier l'huissier Maillard, le sergent de la Bastille, qui est venu, comme tant d'autres, faire des représentations. La pacification est encore incomplète quand nos Judiths arrivent.

Les gardes nationaux se forment dans les escaliers extérieurs, la baïonnette en avant ; les dix mille Judiths montent, irrésistibles, avec des supplications, avec les bras étendus ; elles veulent seulement parler au major. L'arrière-garde pousse en avant ; déjà même, aux derniers : rangs, des mains masculines font voler des pierres : la garde nationale n'a que deux alternatives, ou de balayer la place de Grève avec du canon, ou d'ouvrir les rangs à droite et à gauche. Les rangs s'ouvrent, le déluge vivant se précipite à travers les salons et les cabinets jusqu'au sommet du beffroi, avide à la recherche des armes, des maires, de la justice, pendant que d'un autre côté, les mieux vêtues s'adressent doucement aux commis, signalent la misère de ces pauvres femmes et leur triste sort, quelques-unes même étant dans une situation intéressante[6].

Dans cette extrémité, le pauvre M. de Gouvion est à bout de ressources : homme irrésolu, troublé, qui doit un jour finir par le suicide. Heureusement pour lui, l'huissier Maillard, homme à ressources, était là pour le moment, quoique faisant des représentations. Pars donc, ô Maillard ! va chercher ta compagnie de la Bastille, et reviens vite avec elle, reviens surtout avec ta tête à ressources, car voici que les Judiths ne trouvent ni maire, ni municipaux ; à peine au sommet du beffroi, peuvent- elles trouver le pauvre abbé Lefebvre, le distributeur de poudre. Faute de mieux, elles le prennent et le pendent, à la pâle lueur du matin, planant sur Paris, qui tournoie sous-ses yeux obscurcis : horrible fin ! Fort heureusement la corde casse, ce qui arrive souvent aux cordes françaises, ou bien quelque amazone l'aura coupée. L'abbé Lefebvre tombe d’une hauteur de vingt pieds, roulant sur les toits, et vécut de longues années, quoique avec un tremblement dans les membres[7].

Et maintenant les portes volent en éclats sous le coup des haches, les Judiths ont enfoncé une armoire, saisi des fusils, des canons, trois sacs d'argent, et des monceaux de paperasses : les torches brillent, dans quelques minutes notre superbe hôtel de ville, qui date d'Henri IV, va être en flammes avec tout ce qu'il contient.

 

V. — L'HUISSIER MAILLARD.

 

Oui, c'en était fait, sans le retour de Maillard, actif des jambes, prompt de la tête.

Maillard, de son propre mouvement, car Gouvion et le reste ne voulaient pas même le sanctionner, saisit un tambour, descend le grand escalier, battant fort avec de bruyants roulements : A Versailles ! allons à Versailles ! De même que l'on frappe sur une pelle ou un chaudron pour rappeler à la ruche des abeilles furieuses et dispersées, et que les insectes désespérés viennent se grouper autour du son, simplement comme autour d'un centre d'attraction, alors qu'elles n'en ont pas, de même les ménades se rassemblent autour de l'adroit Maillard, huissier à cheval du Châtelet. La hache suspend ses coups, l'abbé Lefebvre est laissé à moitié pendu, de tous les escaliers ruisselle le torrent féminin. Quel est ce roulement ? C'est Stanislas Maillard, le héros de la Bastille, qui va nous conduire à Versailles. Salut à toi, Maillard I tu es béni entre tous les huissiers à cheval ! En avant donc ! en avant !

Les canons saisis reçoivent pour attelage des chevaux de charrettes également saisis : la demoiselle Théroigne, aux noirs cheveux, avec casque et pique, est assise sur un canon, l'œil fier et la physionomie sereine, comparable, suivant les uns, à la Pucelle d'Orléans, ou même rappelant la Pallas d'Athènes. Maillard, dont le tambour retentit toujours, est nommé général par une acclamation qui retentit au loin. Maillard, battant en mesure avec un redoublement d'ardeur, conduit avec difficulté, le long des quais, son armée de ménades. Une armée semblable ne marche pas en silence ! Les bateliers s'arrêtent sur la rivière, les charretiers et les cochers se détournent en fuyant, les hommes mettent le nez à la fenêtre, pas les femmes, de peur d'être enrôlées. Spectacle miraculeux ! Des bacchantes dans ces vieux âges prosaïques ! Le bronze de Henri les contemple de son Pont-Neuf, le monarchique Louvre, les Tuileries des Médicis voient un jour comme jamais il ne s'en est produit.

Et maintenant Maillard a ses ménades dans les Champs-Élysées — ou plutôt les champs tartaréens — et l'hôtel de ville n'a souffert comparativement qu'un léger dommage. Des portes brisées, un abbé Lefebvre qui ne distribuera plus de poudre ; trois sacs d'argent, dont la plus grande partie sera restituée, car le sans-culottisme, quoique affamé, n'est pas sans honneur : voilà à quoi se bornent les pertes. Grand Maillard ! Un petit noyau d'ordre est autour de son tambour, mais les extrémités flottent comme l'Océan furieux, car la canaille masculine et féminine afflue vers lui des quatre points de l'horizon ; le centre de ralliement est en lui et deux baguettes de tambour.

Ô Maillard, depuis que la guerre existe, quand s'est-il rencontré un général ayant une si rude tâche que toi dans cette journée ? Gauthier Sans Argent touche encore les cœurs sensibles, mais au moins Gauthier avait une sanction, il avait de l'espace pour se mouvoir, et puis ses traités étaient du sexe masculin. Toi, en ce jour, désavoué du ciel et de la terre, tu es un général de ménades. Il te faut, sous l'impulsion du moment, convertir leur frénésie inarticulée en mots articulés, en actes qui ne soient pas frénétiques. Que tu n'y suffises pas de manière ou d'autre, les gens officiels avec leurs pénalités et leurs codes t'attendent en avant, les ménades te pressent en arrière. Si leurs semblables ont coupé la tête mélodieuse d'Orphée et l'ont jetée dans les eaux du Pénée, que ne feront-elles pas de toi, qui n'as pour toute musique qu'un tambour de peau d'âne ? Mais Maillard suffit à tout. Remarquable Maillard, si la renommée n'était pas un accident, et l'histoire une distillation de rumeurs, combien tu serais remarqué !

Aux Champs-Élysées, il y a pause et fluctuation, mais avec Maillard pas de retour. Ses camarades avec de bruyantes clameurs demandent des armes qui seraient à l'Arsenal ; il leur persuade qu'il n'y a pas d'armes à l'Arsenal ; que d'ailleurs une attitude désarmée, une pétition à l'Assemblée nationale aura plus d'effet ; il nomme à la hâte des commandantes, des capitaines de dizaines et -de cinquantaines et les remet en marche, en rangs assez désordonnés, au son rythmique de huit tambours (le sien étant mis de côté) avec les volontaires de la Bastille formant l'arrière-garde.

Chaillot, qui fournit promptement des pains en due quantité, ne souffre d'aucun pillage, les porcelaines de Sèvres sont respectées. Les vieilles arches du pont de Sèvres retentissent sous le pas ménadique ; la Seine poursuit son perpétuel murmure, et Paris envoie de loin le son du tocsin et du tambour d'alarme, qui ne l'entend guère à présent de la multitude en marche au milieu des vociférations et du clapotement d'une pluie battante. A Meudon et à Saint-Cloud, à droite et à gauche, se répand la nouvelle de l'invasion torrentielle, et les foyers, ce soir, auront un sujet de conservation. La presse des femmes se continue encore, car il s'agit de la cause de toutes les filles d'Ève qui sont mères ou qui doivent l'être. Toute dame en carrosse doit descendre, quelque ébranlés que soient ses nerfs, et marcher avec ses souliers de soie dans la boue des routes[8]. C'est ainsi que dans une rude saison d'octobre, s'avance cette nuée de grues sans ailes, à travers un pays étonné. Les voyageurs de toutes sortes sont arrêtés, surtout les voyageurs et les commis de Paris. Le député Lechapelier, dans son élégant costume, de son élégante voiture, regarde stupéfait à travers ses lunettes, non sans crainte pour sa vie, se hâte de déclarer qu'il est le député patriote Lechapelier et même l'ancien président Lechapelier, qui présidait dans la nuit de la 'Pentecôte, et l'un des fondateurs du club breton ; sur quoi s'élève une immense acclamation de vive Lechapelier ! et plusieurs hommes armés montent sur l'avant et l'arrière de sa voiture pour lui servir d'escorte[9].

Cependant des dépêches de Lafayette, des nouvelles apportées par les routes latérales, ou même de vagues rumeurs arrivent à Versailles. Dans l'Assemblée nationale, pendant qu'on est tout occupé à discuter l'ordre du jour, à regretter qu'il se donne des repas antinationaux dans la salle d'Opéra, que Sa Majesté hésite à accepter les Droits de l'homme, y oppose des conditions, des faux-fuyants, Mirabeau s'approche du président, qui se trouvait être le sage Mounier, et lui dit à voix basse : Mounier, Paris marche sur nous. — Je n'en sais rien, réplique Monnier. — Croyez-le ou ne le croyez pas, ce n'est pas mon affaire, mais Paris, je le répète, marche sur nous. Trouvez-vous soudainement indisposé, et courez au château les avertir : il n'y a pas un moment à perdre. — Paris marche sur nous, répond Mounier d'un ton acerbe, eh bien ! tant mieux, nous n'en serons que plus vite en république. — Mirabeau le quitte, comme on quitte un sage président devenu aveugle dans des eaux profondes, et l'ordre du jour continue.

Oui, Paris marche sur nous, et autre chose que les femmes de Paris. A peine Maillard parti, le message de M. de Gouvion à tous les districts, et le tocsin et la générale commencent à faire effet. Des gardes nationales en armes de tous les districts, spécialement les grenadiers du centre qui sont nos vieilles gardes-françaises, arrivent en hâte successivement sur la place de Grève. Un peuple immense s'y trouve, Saint-Antoine, avec ses piques et ses fusils rouillés se précipite en foule, bon gré, mal gré. Les grenadiers du centre sont accueillis avec des acclamations. Ce ne sont pas des acclamations qu'il nous faut, répondent-ils d'un air sombre, la nation a été insultée : aux armes ! et venez avec nous pour prendre des ordres. Ah ! voilà d'où souffle le vent ! Le patriotisme et le patrouillotisme ne forment plus qu'un.

Les trois cents sont assemblés, tous les comités sont en activité. Lafayette s'occupe à dicter des dépêches pour Versailles, lorsqu'une députation des grenadiers du centre se présente à lui. La députation fait le salut militaire, et parle ainsi, non sans un certain bon sens : Mon général, nous sommes députés par six compagnies de grenadiers. Nous ne vous regardons pas comme traître, mais nous pensons que le gouvernement nous trahit : il est temps que ça finisse. Nous ne pouvons tourner nos baïonnettes contre des femmes qui nous demandent du pain. Le peuple est malheureux, la source du mal est à Versailles : il faut que nous allions chercher le roi pour le conduire à Paris. Il faut que nous exterminions le régiment de Flandre et les gardes du corps qui ont osé fouler aux pieds la cocarde nationale. Si le roi est trop faible pour porter la couronne, qu'il la dépose. Vous couronnerez son fils ; vous nommerez un conseil de régence, et tout ira mieux[10]. L'étonnement et le reproche se peignent sur la figure de Lafayette, et bientôt s'articulent des paroles chevaleresques, mais en vain : Mon général, nous verserions pour vous la dernière goutte de notre sang, mais la racine du mal est à Versailles ; nous devons y aller pour amener le roi à Paris, tout le peuple le veut.

Le général descend les escaliers extérieurs et harangue en vain encore une fois : A Versailles ! à Versailles ! Le maire Bailly, qu'on a envoyé chercher, à travers des flots de sans-culottisme, entreprend du haut de sa voiture d'apparat des oraisons académiques, et ne produit rien que des cris rauques : Du pain ! à Versailles ! — Il fait sa retraite à l'intérieur du bâtiment. Lafayette monte son coursier blanc, fait de nouveau harangue sur harangue, avec éloquence, avec fermeté, avec des gestes d'indignation, avec toutes ses ressources, moins celle de persuader. A Versailles ! à Versailles ! Et cela dure, heure par heure, pendant l'espace d'une demi-journée.

Le grand Scipion l'Américain ne peut rien, pas même s'échapper. Morbleu, mon général, disent les grenadiers, en serrant leurs rangs, à mesure que le coursier blanc fait un mouvement, vous ne nous quitterez pas, vous resterez avec nous. Grave conjoncture ! Le maire Bailly et les municipaux siègent inquiets à l'intérieur ; mon général est prisonnier au dehors : la place de Grève, avec ses trente mille soldats réguliers, et la troupe irrégulière de Saint-Antoine et Saint-Marceau présente une masse menaçante d'acier brillant ou rouillé, tous les cœurs attachés avec une ferme opiniâtreté à une seule pensée. Tous les cœurs, disons-nous, sont fermes et opiniâtres, aucun cœur n'est tranquille, si ce n'est celui du coursier blanc qui piétine là, en arrondissant son encolure, et en rongeant tranquillement son frein, comme si aucun monde, avec ses ères et ses dynasties, n'était à la veille d'un écroulement. Le jour humide se penche vers le couchant ; c'est toujours le même cri : A Versailles !

Bientôt cependant de plus sinistres cris, envoyés de loin, se font entendre, rauques et retentissants dans de longs et farouches murmures auxquels se mêlent des syllabes articulées : A la lanterne ! Le sans-culottisme irrégulier menace de marcher tout seul, de lui-même, avec des piques, et même avec du canon. L'inflexible Scipion se résout enfin à envoyer un aide de camp demander aux municipaux s'il doit ou non marcher. Une lettre lui est remise, passant par-dessus les bandes armées ; soixante-mille figures sont avidement fixées sur la sienne pendant qu'il lit, le calme est effrayant, aucune poitrine ne respire : par le ciel, il pâlit ! les municipaux ont-ils permis ; ils permettent et même ordonnent puisqu'il ne peut faire mieux. Des cris assourdissants d'approbation déchirent le firmament. A vos rangs, donc ! marchons !

Il est environ trois heures de l'après-midi. Les gardes nationaux indignés peuvent pour une fuis dîner sur le contenu de leurs sacs, mais avec ou sans dîner, ils marchent d'un seul cœur. Paris ouvre ses fenêtres, bat des - mains, lorsque les vengeurs passent au son aigu du fifre et au bruit du tambour, puis Paris s'asseoira pensif dans une attente inquiète, et passera une nuit sans beaucoup de sommeil[11]. Sur son coursier blanc, Lafayette allait et venait le plus lentement possible, haranguant avec éloquence le long des rangs, et porté en avant avec ses trente mille réguliers. Saint-Antoine avec ses piques et son canon le précède, une foule mélangée, avec toutes sortes d'armes ou sans armes, environne ses flancs et son arrière-garde ; toutes les populations regardent encore, bouche béante. Paris marche sur nous.

 

VI. — À VERSAILLES.

 

Vers le même moment, Maillard a fait halte avec ses ménades crottées sur la dernière colline ; et maintenant Versailles, et le château de Versailles, et tout le vaste héritage de la royauté se déploie aux yeux émerveillés. Dans le lointain, à droite, Marly et Saint-Germain : à gauche la route de Rambouillet, le tout charmant à voir, mollement encaissé, avec une certaine teinte mélancolique dans ce jour d'obscure humidité. Et tout près, devant nous, Versailles, vieux et nouveau, avec cette large et ombreuse Avenue de Versailles, sur une majestueuse largeur de trois cents pieds, avec ses quatre rangs d'ormes, et puis le château de Versailles, se terminant en parcs et jardins de plaisance, lacs, bassins et labyrinthes, la ménagerie, et le grand et le petit Trianon. Demeures aux sommets gigantesques, charmantes résidences de verdure, qu'habitent les dieux de ce bas monde : d'où néanmoins les noirs soucis ne peuvent être exclus, où se dirigent maintenant les ménades affamées portant, au lieu de thyrses, des piques.

Oui, mesdames, là-bas, où notre belle avenue ombreuse est croisée à droite et à gauche par deux avenues sœurs et se déploie en place Royale et avant-cours, là-bas est la salle des Menus. Là-bas une auguste assemblée siège pour régénérer la France. Avant-cour, grande cour, cour de marbre, cours intérieures, pénétrant l'une dans l'autre, vous pouvez tout discerner ou vous figurer, et sur l'extrême limite le dôme de verre, luisant comme une étoile d'espérance, est l'Œil-de-Bœuf ! Là-bas, ou nulle part au monde, est du pain cuit pour nous. Mais, ô mesdames, ne serait-il pas bon que nos canons et la demoiselle Théroigne, avec tout l'appareil de guerre, passent à l'arrière-garde ? La soumission convient à des pétitionnaires de l'Assemblée nationale ; nous sommes étrangers à Versailles, d'où nous vient même à présent, trop distinctement, un bruit comme de tocsin et de générale. Il serait convenable aussi de prendre, si c'est possible, une physionomie joyeuse qui cache nos douleurs, et même de chanter. — La douleur, protégée du ciel, est haïssable et suspecte à la terre. Tels sont les conseils de l'habile Maillard, haranguant ses ménades sur les hauteurs voisines de Versailles[12].

Les dispositions du rusé Maillard sont adoptées. Les insurrectionnistes crottées remontent l'avenue, en trois colonnes, au milieu des quatre rangées d'arbres, chantant vive Henri IV, selon la mélodie qu'elles y peuvent mettre, et criant Vive le roi Versailles, quoique les rangées des ormes dégouttent de pluie, se presse en foule des deux côtés, crie : Vive nos Parisiennes.

Des piqueurs, des courriers ont été expédiés vers Paris, à mesure que la rumeur grossissait ; de sorte que Sa Majesté, partie à la chasse dans les bois de Meudon, a été heureusement rencontrée et ramenée ; la générale et le tocsin faisant hautement leur appel. Les gardes du corps sont déjà rangés devant les grilles du palais, les regards dirigés vers l'avenue de Versailles, maussades avec leurs buffleteries mouillées. Flandre aussi est là, repentant du banquet de l'Opéra. Il s'y trouve aussi des dragons démontés. Enfin, le major Lecointre, avec ce qu'il a pu réunir de la garde nationale de Versailles, quoiqu'il faille remarquer que notre colonel, le même comte d'Estaing, qui ne pouvait dormir, ne donnant ni ordres ni munitions, a disparu fort mal à propos, retiré, on suppose, à l'Œil-de-Bœuf. Les Suisses aux habits rouges se tiennent sous les armes à l'intérieur des grilles. Là aussi, dans une chambre intérieure sont tous les ministres assemblés avec Necker, Saint-Priest, Pompignan aux Lamentations et le reste, attendant avec anxiété ce que les heures vont leur apporter.

Le président Mounier, quoiqu'il eût répondu à Mirabeau par un tant mieux, affectant de prendre la chose légèrement, n'est pas sans craintes ; car assurément, pendant ces quatre longues heures il n'a pas été sur un lit de roses. L'ordre du jour se poursuit : Qu'une députation soit envoyée à Sa Majesté, afin qu'il lui plaise de donner une acceptation pure et simple aux articles de notre constitution ; l'acceptation motivée, avec des réserves ne pouvant satisfaire ni les dieux ni les hommes.

Les termes sont clairs ; mais il y a quelque chose de plus clair, que personne ne dit et que tous maintenant comprennent vaguement. L'inquiétude, la préoccupation se lisent sur tous les visages ; les députés se parlent à voix basse, sortent et rentrent mal à l'aise : évidemment l'ordre du jour n'est pas le besoin du jour ; jusqu'à ce qu'enfin des portes extérieures vient un bruit de luttes et de pourparlers, de disputes aiguës, de hurlements, amortis par les murs, ce qui annonce que l'heure est venue ! Maintenant s'entendent les froissements d'une foule, les sons de pas précipités ; puis entre l'huissier Maillard, avec une députation de quinze femmes, ruisselant d'eau et de boue. Avec une incroyable adresse et avec l'aide de tous les massiers, il a obtenu des autres qu'elles restassent dehors. L'Assemblée nationale aura maintenant à regarder en face son auguste tâche : le constitutionnalisme régénérateur a devant lui en chair et en QS un sans-culottisme non régénéré, criant : Du pain ! du pain !

L'habile Maillard, traduisant la frénésie en paroles articulées, réprimant d'une main, gesticulant de l'autre, fait de son mieux ; et, en réalité, quoique novice dans l'art de parler publiquement, s'en tire assez bien : Dans l'effrayante rareté de grains, dit-il, une députation de citoyennes est, comme l'auguste assemblée peut le voir, venue de Paris pour pétitionner. Les complots des aristocrates sont ici trop évidents ; par exemple, un meunier a été persuadé de ne pas moudre, moyennant un billet de banque de 200 livres, son nom n'est pas connu à l'huissier, mais le fait peut se prouver, au moins ne peut être mis en doute. Bien plus, il paraît que la cocarde nationale a été foulée aux pieds ; il y a aussi ou il y a eu des cocardes noires. Est-ce que l'Assemblée nationale, l'espoir de la France, ne prendra pas, dans sa sagesse, toutes ces choses en immédiate considération ?

Et les ménades affamées, irrépressibles, s'écrient : Les cocardes noires ! s'écrient : Du pain ! du pain ! ajoutait : L'Assemblée nationale ne le fera-t-elle pas ? — Oui, messieurs, si une députation à Sa Majesté pour l'occupation pure et simple paraît convenable ; combien l'est-elle davantage dans la situation affligeante de Paris et pour calmer cette effervescence ? Le président Mounier se hâte de sortir avec une députation dans laquelle nous remarquons la respectable figure du docteur Guillotin. Le vice-président doit continuer l'ordre du jour ; l'huissier Maillard restera près de lui pour maintenir les femmes. Il est quatre heures, avec un temps détestable, lorsque Mounier met le pied dehors.

Ô sage Mounier, quelle soirée ! le dernier jour de ton existence politique ! mieux eût valu pour toi te trouver indisposé, quand il en était encore temps. Car, regarde, l'esplanade est sur toute son immense surface couverte de groupes de femmes déguenillées et trempées, de canaille masculine à longs cheveux plats, armée de haches, de piques rouillées, de vieux mousquets, de bâtons ferrés qui se terminent en lames de couteaux ou de sabres, avec tout l'aspect de la révolte affamée. Il pleut à verse : les gardes du corps caracolent à travers les groupes, au milieu des sifflets, irritant et agitant la foule qui n'est que dispersée d'un côté pour se reformer de l'autre.

D'innombrables femmes déguenillées assiègent le président et la députation, insistent pour aller avec lui : Sa Majesté elle-même, se mettant à la fenêtre, n'a-t-elle pas envoyé demander ce que nous voulions : Du pain et parler au roi. Voilà quelle fut la réponse. Douze femmes sont, aux acclamations générales, réunies à la députation, et marchent avec elle à travers l'Esplanade, à travers des groupes dispersés, les gardes du corps caracolant et les torrents de pluie.

Le président Mounier, soudainement rejoint par douze femmes, largement escorté par la faim et la canaille, est pris lui-même pour le centre d'un groupe : la députation et ses femmes sont dispersées par les caracoleurs, et se rallient avec difficulté dans la boue[13]. Enfin les grilles sont ouvertes, la députation y obtient accès avec les douze femmes : cinq même d'entre elles verront la face de Sa Majesté. Qu'avec le plus de patience possible, le ménadisme trempé attende leur retour.

 

VII. — DANS VERSAILLES.

 

Mais déjà Pallas-Athènes, sous la figure de la demoiselle Théroigne, est occupée avec Flandre et les dragons démontés. Elle et quelques autres, propres à la besogne, parcourent les rangs, parlent avec un sérieux enjouement, serrent les rudes troupiers sur leur poitrine, abattent avec de douces mains les fusils et les carabines : se peut-il qu'un homme, méritant le nom d'homme, attaque des femmes patriotes affamées ?

On a écrit que Théroigne avait des sacs d'argent qu'elle distribuait dans les rangs de Flandre : fournis par qui ? Hélas, avec des sacs d'argent on s'asseoit rarement sur un canon insurrectionnel. Royalisme calomniateur ! Théroigne n'avait que les gains limités de sa profession de fille infortunée ; elle n'avait pas d'argent, mais de noirs cheveux, la tournure d'une déesse païenne, et l'éloquence du cœur.

Pendant ce temps, Saint-Antoine arrive successivement en groupes et en bandes, avec des piques et des armes improvisées, amené là par une idée fixe populaire. Bien d'autres figures hérissées sont amenées là par la même impulsion, venues pour faire, elles ne savent quoi encore, venues pour voir faire. Parmi elles, remarquable entre toutes, quelle est celle-ci, d'une taille colossale, avec une cuirasse de plomb, quoique de fort petite dimension[14], la chevelure touffue, d'un rouge teinté de gris, et une longue barbe rouge flottant au vent. C'est Jourdan, maquignon peu scrupuleux ; il ne vend plus de mules, mais pose en modèle dans les ateliers : aujourd'hui il fait l'école buissonnière. Les nécessités de l'art ont fait croître sa barbe rouge. D'où vient sa cuirasse de plomb ? C'est ce qui restera peut-être toujours un problème historique, à moins qu'il ne fût un colporteur autorisé avec sa médaille de plomb. Un autre Saül parmi la foule se présente à nous : Père Adam, comme les groupes l'appellent, mieux connu de nous sous le nom du marquis Saint-Huruge, à la voix de stentor, le héros du veto, un homme qui a eu des pertes et qui les a méritées. Le colossal marquis, relâché depuis quelques jours, contemple philosophiquement cette scène de dessous son parapluie, non sans intérêt. Toutes ces personnes, toutes ces choses, confondues ensemble comme nous les voyons : Pallas-Athènes, occupée avec Flandre, les patriotiques gardes nationaux de Versailles, à court de munitions, désertés par leur colonel d'Estaing, commandés par leur major Lecointre, des gardes du corps caracolant, de mauvaise humeur, découragés, avec leurs buffleteries mouillées, et enfin cette mer roulante de guenilles indignées, tout cela ne peut-il pas donner carrière aux aventures ?

Voici, cependant, les douze députés féminins qui reviennent du château, sans le président Mounier, il est vrai, mais radieuses de joie, criant : Vive le roi et sa famille. Les nouvelles sont apparemment bonnes, mesdames ? Nouvelles excellentes ! Cinq d'entre nous ont été admises à la royale présence, aux royales splendeurs. Cette svelte demoiselle, Louise Chabroy, ouvrière en sculpture, âgée seulement de dix-sept ans, a été choisie par nous pour porter la parole, à cause de sa bonne mine et ses bonnes manières. Sa Majesté n'a eu pour elle, et même pour nous toutes, que de gracieux regards. Bien plus, lorsque Louison, s'adressant au roi, était près de s'évanouir, il l'a soutenue dans ses bras royaux, en disant galamment : Elle en vaut bien la peine. Voyez, ô femmes, quel roi ! Ses paroles ont été toutes de consolation ! il sera envoyé des provisions à Paris, s'il y a des provisions au monde ; le grain circulera libre comme l'air ; les meuniers devront moudre tant que dureront leurs meules, ou il leur en cuira, et rien n'ira mal de ce que le restaurateur de la liberté française pourra faire aller bien.

Bonnes nouvelles, sans doute ; mais pour des ménades mouillées trop incroyables ! Où en est la preuve ? Des mots de consolation ne sont que des mots, ce qui ne donne pas à manger. Ô misérable peuple ! trahi par les aristocrates, qui corrompent même les messagères. Dans ses bras royaux, mademoiselle Louison ! Dans ses bras ! La belle effrontée, digne d'un nom qu'on ne répète pas ! Oui, ta peau est douce, la nôtre est durcie par le travail, et bien mouillée, pendant que nous attendions dans la pluie. Aucun enfant affamé ne t'attend chez toi ; seulement des poupées d'albâtre qui ne pleurent pas ! Traîtresse ! à la lanterne ! Et la pauvre Louison Chabroy, malgré ses cris et ses prières, la belle et mince demoiselle, naguère dans les bras de la royauté, se voit jeter autour du cou une jarretière tenue à chaque bout par des amazones furieuses, est sur le point de périr, lorsque deux gardes du corps accourent au galop, dispersent avec indignation le groupe meurtrier et la sauvent. Les douze désavouées retournent en toute hâte au château, pour avoir une réponse par écrit.

Mais voici qu'une nouvelle volée de ménades arrive ayant pour chef M. Brunot, volontaire de la Bastille. Elles aussi veulent s'avancer jusqu'à la grille de la grande cour et voir ce qui s'y passe. Mais la patience humaine a ses bornes, surtout avec des buffleteries mouillées. Le lieutenant des gardes du corps, M. de Savonnières, donne un instant libre carrière à son humeur longtemps comprimée. Non-seulement il disperse les dernières ménades, mais poussant son cheval il brandit son sabre sur M. Brunot, et y prenant du goût, lui donna la chasse : Brunot fuyait avec agilité, se retournant néanmoins de temps à autre, ayant aussi dégainé. A ce spectacle de colère et de victoire, deux autres gardes du corps (car la colère est contagieuse et douce pour des gardes du corps longtemps retenus) se mêlent à la chasse, et leurs sabres décrivent dans l'air des cercles étincelants. De sorte que le pauvre Brunot n'a rien de mieux à faire que de redoubler de vitesse à travers tous les rangs, mais à la manière des Parthes, portant en fuyant des coups de pointe, et criant de tous ses poumons : On nous laisse assassiner.

Quelle honte ! trois contre un ! Des murmures éclatent dans les rangs de Lecointre, bientôt des hurlements, enfin des coups de feu. Le bras de Savonnières se lève pour frapper, lorsqu'il est atteint par une balle des hommes de Lecointre ; le sabre menaçant tombe inoffensif et sonne sur le pavé. Brunot est sauvé, le duel a une bonne fin ; mais le sauvage cri de guerre commence à surgir de toutes parts.

Les amazones reculent ; Saint-Antoine pointe son canon chargé à mitraille ; trois fois il y porte la mèche allumée, trois fois le feu ne prend pas ; la poudre est trop mouillée ; puis des voix s'écrient : Arrêtez, il n'est pas temps encore[15]. Messieurs les gardes du corps, vous aviez l'ordre de ne pas faire feu ; néanmoins deux d'entre vous se promènent démontés, et un cheval de guerre est étendu mort. Ne serait-il pas bon de vous retirer hors de la portée des balles ? En somme, de faire retraite, — dans l'intérieur ? Si dans votre marche rétrograde, un fusil ou deux se déchargeaient sur ces boutiquiers armés, criant et sifflant, personne ne s'en étonnerait. Vos énormes cocardes blanches sont souillées ; plût au ciel que vous les échangiez contre des cocardes tricolores ! Vos buffleteries sont mouillées, vos cœurs pesants. Allez et ne revenez pas.

Les gardes du corps se retirent en effet, comme nous le disons, envoyant et recevant des balles, sans cependant répandre de sang, mais non sans laisser derrière eux une terrible indignation. Trois fois encore, au milieu de l'obscurité croissante, on en voit apparaître quelques-uns à l'un ou l'autre portail, et toujours ils sont salués avec des exécrations et des sifflements de balles. Qu'un seul d'entre eux se montre à découvert, il est pourchassé par la canaille ; par exemple, le pauvre M. de Moucheton, de la compagnie écossaise, le propriétaire du cheval tué ; il ne doit son salut qu'aux capitaines de Versailles, au milieu des balles vomies par des fusils rouillés, dont une coupe en deux son chapeau. A la fin, par ordre supérieur, les gardes du corps disparaissent, à l'exception d'un petit nombre qui sont de service. Ils se dissimulent donc, et, à la faveur de la nuit, se mettent en marche pour Rambouillet[16].

Nous remarquons aussi que les Versaillais ont maintenant des munitions : pendant tout l'après-midi le fonctionnaire officiel n'en trouvait pas, jusqu'à ce que dans ces moments critiques un sous-lieutenant patriote lui mit un pistolet au front, en le priant d'avoir l'obligeance d'en trouver ; ce qu'il fit. En outre, le régiment de Flandre, désarmé par Pallas-Athènes, dit ouvertement qu'il ne se battra pas contre des citoyens, et en gage de paix, il échange des cartouches avec les Versaillais.

Le sans-culottisme se trouve maintenant au milieu d'amis, et peut circuler librement, maudissant les gardes du corps et se plaignant aussi considérablement de la faim.

 

VIII. — REPAS COMMUN.

 

Mais pourquoi tarde Mounier ? Pourquoi ne revient-il pas avec sa députation ? Il est six, il est sept heures, et cependant pas de Mounier, pas d'acceptation pure et simple.

Et voici que les ménades, trempées, ont, non plus en députation, mais en masse, pénétré dans l'Assemblée, interrompant avec scandale les harangues publiques et l'ordre du jour. Ni Maillard, ni le vice-président ne peuvent les restreindre, excepté par de fortes concessions ; même la voix léonine de Mirabeau ne peut les calmer que pendant quelques minutes, quoiqu'elles lui répondent par des applaudissements : mais de temps à autre elles interrompent la régénération de la France, en criant : Du pain ! pas tant de longs discours ! Tant ces pauvres créatures étaient insensibles aux éclats de l'éloquence parlementaire !

On apprend aussi que l'on attelle les voitures royales, comme pour un départ à Metz. Des voitures, royales ou non, se sont effectivement montrées aux grilles de derrière. Elles ont même produit ou déclaré un ordre écrit de la municipalité de Versailles, qui est une municipalité monarchique et non démocratique. Cependant les pa- trouilles de Versailles les ont fait rentrer, suivant les instructions expresses du vigilant Lecointre.

Homme très-chargé de besogne, assurément, ce major Lecointre, dans ces heures difficiles. Car le colonel d'Estaing reste toujours invisible dans l'Œil-de-Bœuf ; ou par intervalles il est trop notoirement visible. Et puis une municipalité trop royaliste demande à être surveillée : aucun ordre civil ou militaire n'est donné sur mille détails ! Lecointre est à l'hôtel de ville ; il est à la grille de la grande cour, communiquant avec les Suisses et les gardes du corps, il est dans les rangs de Flandre ; il est ici, il est là, s'évertuant à empêcher l'effusion du sang, à empêcher la famille royale de s'enfuir à Metz, et les ménades de mettre Versailles au pillage.

A la tombée de la nuit, nous le voyons s'avancer vers les groupes armés de Saint-Antoine, qui rôdent d'un air trop menaçant autour de la salle des Menus. Ils le reçoivent dans un demi-cercle ; douze orateurs derrière leurs canons avec des torches allumées en main, les bouches du canon tournées vers Lecointre : tableau digne de Salvator ! Il demande en termes modérés mais courageux ce qu'ils veulent en venant ainsi à Versailles ? Les douze orateurs répondent en peu de mots qui en disent beaucoup : Du pain et la fin des affaires. Quant à la fin des affaires, ni le major Lecointre, ni aucun mortel, ne peut dire quand elle arrivera ; mais pour le pain, il demande : Combien êtes-vous ? Apprend qu'ils sont six cents, qu'il suffira d'un pain pour chacun, et il se dirige vers la municipalité pour avoir six cents pains.

Lesquels pains, cependant, une municipalité d'un tempérament monarchique ne veut pas donner. Elle donnera plutôt deux tonneaux de riz ; la question est de savoir s'il sera bouilli ou cru. Or, quand cette offre est acceptée, les municipaux ont disparu, ils ont fait le plongeon, comme les vingt-six longues robes de Paris ; et, sans laisser le plus petit vestige de riz, cuit ou cru, ils disparaissent aussi de l'histoire.

Le riz ne vint pas ; tout espoir de nourriture est déçu, tout espoir même de vengeance. M. de Moucheton de la compagnie écossaise n'a-t-il pas été escamoté ? Faute cependant de tout cela, voici seulement le cheval mort de M. de Moucheton, étendu sur l'Esplanade ! Saint-Antoine déçu, affamé, se jette sur le cheval de guerre, l'écorche, le rôtit avec un combustible de palissades, de portes, de tout le bois qu'il peut réunir, non sans cris de joie ; et d'après la manière des antiques héros de. la Grèce, ils tendent leurs mains vers le mets délicatement apprêté, tel qu'il était[17]. D'autres groupes de canaille rôdent à l'aventure, cherchant quelque chose à dévorer. Flandre se retire dans sa caserne ; Lecointre, avec ses Versaillais, tous excepté les vigilantes patrouilles, avec ordre de redoubler de vigilance.

Ainsi s'abaissent les ombres de la nuit, au milieu du tumulte et de la pluie. La plus étrange nuit qu'on ait vue dans ces régions, depuis peut-être la nuit de la Saint-Barthélemy, alors que Versailles était, comme le dit Bassompierre, un chétif château. Il faudrait la lyre de quelque Orphée pour amener à l'ordre avec d'harmonieuses cordes ces masses en fureur. Car ici tout semble s'écrouler dans un béant abîme, comme dans tout monde en dissolution : ce qu'il y a de plus élevé se trouve en contact avec ce qu'il y a de plus bas ; la royauté de France assiégée par la canaille de France, les bâtons ferrés levés autour du diadème, nullement pour le protéger ! Au milieu de dénonciations, des sanguinaires gardes du corps, s'entendent de noires imprécations contre le nom de la reine.

La cour veille tremblante, sans pouvoir, varie selon les démonstrations variées de l'Esplanade, selon les couleurs variées des rumeurs de Paris : rumeurs se succédant sans relâche, tantôt de paix, tantôt de guerre. Necker et tous ses ministres Délibèrent sans résultat. L'Œil-de-Bœuf est une tempête de chuchotements : Nous allons à Metz, nous n'y allons pas. Les voitures royales se présentent de nouveau vers la sortie, quoique seulement comme essai ; elles sont encore repoussées à l'intérieur par les patrouilles de Lecointre. Au bout de six heures, rien n'est décidé, pas même l'acceptation pure et simple.

Six heures ! hélas, l'homme qui en de telles circonstances ne peut pas se décider en six minutes, doit renoncer à tout ; le destin a décidé. Pendant ce temps, le ménadisme et le sans-culottisme délibèrent avec l'Assemblée nationale, deviennent de plus en plus tumultueux. Mounier ne revient pas ; l'autorité ne se montre nulle part : l'autorité de la France est, pour le moment, dans les mains de Lecointre et de l'huissier Maillard. — Voilà donc venue l'abomination de la désolation, venue soudainement, mais depuis longtemps prévue comme inévitable. Car, pour les aveugles, toutes choses sont soudaines. La misère qui, à travers de longs siècles, n'eut ni orateur, ni aide, s'aidera maintenant elle-même et parlera d'elle-même. Le dialecte, certes des plus rudes, est ce qu'il pouvait être.

A huit heures, arrive à l'Assemblée non la députation, mais le docteur Guillotin annonçant qu'elle va arriver, et aussi qu'il y a espoir de l'acceptation pure et simple : lui-même apporte une lettre royale autorisant et ordonnant la plus libre circulation de grains. A cette lettre royale le ménadisme applaudit de tout cœur. L'Assemblée vote aussitôt un décret conforme, qui est aussi accueilli par les applaudissements frénétiques des ménades. — Seulement, une auguste assemblée ne pourrait pas prendre sur elle de fixer le prix du pain à huit sous les quatre livres, et la viande de boucherie à six sous la livre, taux qui semblent raisonnables. Telle est la motion faite par une multitude d'hommes et de femmes que Maillard ne peut plus réfréner. L'huissier Maillard n'est pas toujours parfaitement mesuré dans son langage ; mais quand on le blâme il sait à juste titre s'excuser sur la particularité des circonstances[18].

Finalement, ce décret étant passé et le désordre continuant, les membres s'éclipsant l'un après l'autre, aucun président Mounier de retour ; que peut faire le vice-président, sinon s'éclipser à son tour ? Sous cette pression de l'exemple, l'Assemblée se fond in deliquium, ou, selon le langage officiel, s'ajourne. Maillard est dépêché à Paris avec le décret sur les grains dans sa poche, montant avec quelques femmes dans des voitures appartenant au roi. Vers Paris aussi s'est déjà dirigée la belle Louison Chabray avec la réponse par écrit que les douze députés ménadiques étaient retournées chercher. Pauvre sylphide, elle s'est remise en route à travers les boues noires, ayant beaucoup à raconter dans son excitation nerveuse, et voyage avec une extrême lenteur, comme toutes personnes en ce jour et sur cette route.

Le président Mounier n'est pas venu, ni l'acceptation pure et simple, quoique six heures soient écoulées avec tous, leurs incidents, quoique courrier sur courrier annoncent que Lafayette arrive. Arrive-t-il avec la paix ou la guerre ? Il est temps que le château se décide aussi à quelque chose : il est temps aussi que le château fasse preuve de vie, s'il veut continuer à vivre.

Triomphant, joyeux après tant de délais, Mounier arrive enfin, et avec lui l'acceptation si péniblement obtenue, qui, maintenant, hélas, a peu de valeur. Qu'on se figure la surprise de Mounier, de trouver son sénat qu'il espérait charmer par l'acceptation pure et simple — totalement absent, et à sa place un sénat de ménades ! Car, de même que le singe d'Érasme, parodiait avec un bout de bois Érasme se faisant la barbe, de même ces amazones faisaient avec une majestueuse moquerie une parodie confuse de l'Assemblée nationale. Elles font des motions, prononcent des discours, votent des résolutions, productives au moins de rires bruyants. Les tribunes sont garnies ainsi que les bancs ; une robuste dame de la halle est dans le fauteuil de Mounier. Ce n'est pas sans difficulté que Mounier, à l'aide des massiers et de paroles persuasives, fraye son chemin jusqu'au président féminin. Mais la robuste dame, avant d'abdiquer, fait savoir qu'avant toutes choses, elle et tout son sénat masculin et féminin souffrent considérablement de la faim ; car, qu'était-ce qu'un seul cheval rôti pour tant de bouches ?

Le sage Mounier, dans ces circonstances, prend une double résolution : d'abord de reconvoquer au son du tambour les membres de son assemblée, ensuite de faire venir des vivres. De rapides messagers sont expédiés chez tous les boulangers, rôtisseurs, pâtissiers, marchands de vin et restaurateurs ; les tambours battent, accompagnés de bruyantes proclamations, à travers toutes les rues. Ils viennent, les membres de l'assemblée viennent, et ce qui est mieux, les provisions viennent, sur des plateaux, dans des brouettes, pain, vin et une ample quantité de cervelas. Les paniers nourrissants circulent avec harmonie le long des bancs, et selon les paroles du père de l'épopée aucune âme ne manqua d'une portion convenable de vivresδαϊτος εϊσης, une égale part — ; chose grandement désirable à ce moment[19].

Peu à peu une centaine environ de membres parviennent à se grouper autour du fauteuil de Mounier, les ménades leur livrant passage. Ils écoutent la lecture de l'acceptation pure et simple, et commencent, suivant l'ordre du jour, la discussion du Code pénal. Tous les bancs sont encombrés ; dans les sombres tribunes, rendues plus sombres par des flots de chevelures en désordre, il y a un étrange étincellement de bâtons ferrés[20]. Il y ajuste six mois en ce jour que ces mêmes tribunes étaient remplies de beautés couvertes de plumes et de bijoux, versant de tous côtés leurs douces influences ; et maintenant ! Voilà où nous en sommes arrivés en régénérant la France. Il me semble que les douleurs de l'enfantement sont des plus cuisantes. — Le ménadisme ne peut être empêché de faire par intervalles quelques remarques, demande à quoi sert le Code pénal ? La chose qui nous manque est du pain. Mirabeau se retourne et fait vibrer sa voix tonnante ; les ménades l'applaudissent et recommencent.

C'est ainsi que les uns en mâchant des cervelas, les autres en discutant le Code pénal, rendent la nuit hideuse. Quelle en sera l'issue ? Lafayette, avec ses trente mille, doit d'abord arriver : c'est lui, qui ne peut pas être loin, que tout le monde attend, comme le messager du destin.

 

IX. — LAFAYETTE.

 

Vers minuit, des feux brillent sur la colline ; ce sont les feux de Lafayette. Le roulement de ses tambours monte vers l'avenue de Versailles. Est-ce la paix, est-ce la guerre ? Patience, amis ! ni l'une ni l'autre. Lafayette est arrivé, mais pas encore la catastrophe.

Il a dans sa marche si souvent fait halte, si souvent harangué, qu'il a fallu neuf heures pour faire quatre lieues. A Montreuil, près de Versailles, toute la troupe a dû s'arrêter, et là, au plus profond de la nuit, sous les cieux torrentiels, lever la main droite et jurer solennellement de respecter la demeure du roi, d'être fidèle au roi et à l'Assemblée nationale. Toutes les colères ont été chassées par cette lente et pénible marche ; la soif de vengeance calmée par la fatigue et les vêtements détrempés. Flandre est encore rangé sous les armes ; mais Flandre, devenu patriotique, n'a plus besoin d'être exterminé. Les bataillons épuisés font halte dans l'avenue, ils n'ont pour le moment d'autre pressant désir qu'un abri et le repos.

Plein d'anxiété, siège le président Mounier, plein d'anxiété le château. Un message venu du château invite M. Mounier à y revenir au plus tôt avec une nouvelle députation, au moins pour unir nos deux anxiétés. Pendant ce temps, Mounier envoie de lui-même informer le général que Sa Majesté a daigné accorder l'acceptation pure et simple. Le général, avec une colonne avancée, répond en arrivant, dit vaguement quelques mots polis au président, ne jette qu'un coup d'œil sur la composition mélangée de l'Assemblée nationale et puis se dirige vers le château. Avec lui sont deux municipaux de Paris, choisis pour cette mission parmi les trois cents. Il est admis à travers les portes verrouillées et cadenassées, à travers les .sentinelles et les huissiers jusqu'au salon royal de réception.

Les constituants, hommes et femmes, se pressent sur son passage, pour lire leur sort sur sa figure ; laquelle, disent les historiens, présente un mélange de douleur, de ferveur et de courage singulier à voir[21]. Le roi, avec Monsieur, avec les ministres et les maréchaux, attendent pour le recevoir. Pour lui, dans l'élan de son langage chevaleresque, il est venu, dit-il, offrir sa tête pour la sûreté de Sa Majesté. Les deux municipaux exposent les vœux de Paris : quatre choses d'une nature toute pacifique. D'abord que l'honneur de garder sa personne sacrée soit confié à la garde nationale, c'est-à-dire aux grenadiers du centre qui comme gardes-françaises étaient accoutumés à ce privilège ; deuxièmement, que des provisions soient rassemblées autant que possible ; troisièmement, que les délinquants politiques qui encombrent les prisons, reçoivent des juges ; quatrièmement, qu'il plaise à Sa Majesté de venir séjourner à Paris. A tous ces vœux, excepté au quatrième, Sa Majesté répond sans hésiter : Oui, ou plutôt on peut dire qu'il y a déjà répondu. Au quatrième il ne peut que répondre oui ou non : volontiers il répondrait oui et non ! — Mais, dans tous les cas, leurs dispositions ne sont-elles pas, Dieu merci, entièrement pacifiques ? Il y a du temps pour la réflexion. Le plus fort du danger est passé.

Lafayette et d'Estaing placent les sentinelles ; les grenadiers du centre doivent avoir le corps de garde qu'ils occupaient autrefois comme gardes-françaises ; car les derniers occupants, si malavisés, les gardes du corps, sont pour Le plus grand nombre partis à Rambouillet. Tel est l'ordre de la nuit, suffisant pour créer dans la nuit assez de mal. Sur quoi, Lafayette et les deux municipaux prennent leur congé avec forces paroles chevaleresques.

L'entrevue a été si brève, que Mounier et la députation ne sont pas encore arrivés. Elle a été brève et satisfaisante. Une pierre est enlevée de toutes les poitrines. Les belles dames du palais déclarent publiquement que ce Lafayette, si détestable qu'il soit, a été pour une fois leur sauveur ; même les vieilles tantes avec toute leur aigreur admettent cela ; les tantes du roi, Graille et ses sœurs, nos anciennes connaissances. La reine Marie-Antoinette a répété plusieurs fois la même chose. Elle seule, parmi les femmes et les hommes, a conservé en ce jour une physionomie de courage, de calme, de dignité et de résolution. Elle seule voit clairement ce qu'elle veut faire, et la fille de Marie-Thérèse ose faire ce qu'elle veut, dût toute la France la menacer : rester où sont ses enfants, où est son mari.

Vers trois heures du matin, toutes choses sont arrangées : les sentinelles placées, les grenadiers du centre dans leur ancien corps de garde, et harangués ; les Suisses et le peu qui reste de gardes du corps harangués. Les bataillons de Paris, brisés de fatigue, confiés à l'hospitalité de Versailles, s'étendent dans les lits disponibles, dans les casernes disponibles, dans les cafés, dans les églises vides. Une troupe d'entre eux, se dirigeant vers l'église Saint-Louis, réveilla le pauvre Weber de ses pénibles rêves, dans la rue Satory. Weber a eu toute la journée la poche de son gilet pleine de balles, deux cents balles et deux poires à poudre ! car alors les gilets étaient des vestes, descendant à mi-cuisse. Voilà le nombre de balles qu'il avait eu toute la journée, mais sans occasion de s'en servir : il se réveille maintenant, se retourne, maudissant les bandits révolutionnaires, fait une ou deux prières et se rendort.

Enfin, l'Assemblée nationale est haranguée, puis, sur la motion de Mirabeau, se sépare pour cette nuit. Le ménadisme et le sans-culottisme ont pris couvert dans les corps de garde, dans la caserne de Flandre, au coin de feux réjouissants, et à défaut de ces ressources, dans des églises, des bureaux, des guérites, partout où la pauvreté peut trouver un asile. Le jour tumultueux se repose de ses hurlements sans aucune mort à signaler encore, excepté celle d'un cheval de guerre. Le chaos insurrectionnel est couché endormi autour du palais, comme l'Océan autour d'une cloche à plongeur, aucune crevasse ne se montrant encore.

Un profond sommeil s'appesantit également sur les grands et les petits, tenant en suspens beaucoup de choses, même la colère et la famine. Les ténèbres couvrent la terre ; mais loin dans le nord ouest, Paris encore étincelle de feux au plus épais d'une noire nuit pluvieuse, car tout y est illuminé comme dans les nuits passées de juillet, les nuits désertes par crainte des combats ; les municipaux, tous en éveil ; les patrouilles hélant avec de rauques Qui vive ! Là, à cette même heure, arrive la pauvre Louison Chabray, ses pauvres nerfs tout ébranlés ; là doit arriver une heure après l'huissier Maillard vers quatre heures du matin. Ils apportent successivement à l'hôtel de ville tels encouragements qu'ils peuvent, et au point du jour, de longs placards rassurants les communiquent au public.

Lafayette, à l'hôtel de Noailles, non loin du château, ayant fini de haranguer, entre en délibération avec ses officiers : à cinq heures, un conseil unanime déclare que pour un homme si secoué, si harassé depuis plus de vingt-quatre heures, le meilleur parti à prendre est de se jeter sur un lit pour y chercher quelque repos.

Ainsi se termine le premier acte de l'insurrection de femmes. Comment tournera le lendemain ? Le lendemain, comme toujours, dépend du destin. Mais Sa Majesté, on peut l'espérer, consentira à venir honorablement à Paris ; en tout cas il peut visiter Paris. Des gardes du corps antinationaux devront ici et ailleurs faire le serment national, faire réparation à la cocarde tricolore ; Flandre prêtera serment. Il peut y avoir bon nombre de serments, et il y aura infailliblement bon nombre de discours : et, de la sorte, avec des harangues et des vœux les choses pourront s'arranger d'une manière convenable.

Ou bien, hélas ! ne peuvent-elles pas être au contraire non convenables ? Le consentement non honorable, mais extorqué, ignominieux ? Un chaos infini d'insurrections pèse endormi sur le palais, comme l'Océan sur la cloche à plongeur et peut pénétrer par chaque crevasse. Que cette masse accumulée puisse seulement trouver son entrée ! Ce sera l'invasion infinie de l'eau, ou plutôt d'un fluide inflammable s'alimentant lui-même ; par exemple, une huile de térébenthine et de phosphore, fluide bien connu de Spinola Santerre.

 

X. — LES GRANDES ENTRÉES.

 

Le triste crépuscule d'une nouvelle matinée froide et humide éclairait à peine Versailles, quand il plut au destin qu'un garde du corps se mît à la fenêtre, vers l'aile droite du château pour voir quelle perspective lui offraient le ciel et la terre. La foule masculine et féminine est là qui rôde sous ses yeux. Son estomac à jeun le rend naturellement maussade, et il ne peut sans doute pas retenir une malédiction passagère, ou au moins s'abstenir de répondre à une malédiction qui lui est adressée.

De gros mots en engendrent d'autres, jusqu'à ce qu'il en vienne de plus gros, d'où l'on passe rapidement aux actes. Faut-il croire que le garde du corps maugréant en se voyant accablé, ce qui était inévitable, de malédictions plus caractéristiques que les siennes, ait chargé son mousquet et menacé de faire feu, ou bien mieux ait fait feu. Bien habile qui pourrait le savoir. On l'a affirmé : pour nous ce n'est guère croyable. Quoi qu'il en soit, la foule menacée, comme pour narguer les menaces, se met en rugissant à secouer toutes les grilles ; une d'elles cède (on dit qu'elle n'était fixée que par une simple chaîne), et la foule pénètre dans la grande cour en redoublant ses rugissements.

Alors le malencontreux garde du corps fit réellement feu, et d'autres gardes du corps avec lui ; le bras d'un homme est fracassé. Lecointre déposera[22] que le sieur Cardine, garde national, sans armes, fut poignardé. Mais voyez : la chose est certaine, le pauvre Jérôme L'héritier, garde national, aussi sans armes, ébéniste, fils d'un sellier de Paris, avec le duvet de la jeunesse encore sur son menton, tombe frappé de mort, roule sur le pavé qu'il inonde de son sang et de sa cervelle ! — Un hurlement plus sauvage que celui des Irlandais déchire les airs, hurlement de compassion et de vengeance implacable. En peu d'instants, la grille de la cour intérieure appelée Cour de Marbre est forcée ou surprise ; la cour de Marbre est inondée, et bientôt sur le grand escalier, vers tous les escaliers et toutes les issues se précipite le déluge vivant. Desbuttes et Varigny, les deux gardes du corps de faction sont foulés aux pieds, massacrés sous les coups de cent piques. Des femmes brandissent leurs coutelas ou toute autre arme et se ruent furieuses ; d'autres portent le cadavre de Jérôme et le déposent sur les marches de marbre ; là, sa face livide et sa tête écrasée, à jamais muets, doivent parler à tous.

Malheur maintenant aux gardes du corps ! Il n'y a de pitié pour aucun. Miomandre de Sainte-Marie, sur le grand escalier, descendant quatre marches, adresse de douces paroles au tourbillon rugissant ; ses camarades le font remonter en le saisissant par ses buffleteries, l'arrachent littéralement à la gueule de la destruction, et ferment bruyamment leur porte, laquelle ne résiste que peu d'instants ; les panneaux volent en éclats. Les barricades ne sont d'aucun effet : fuyez promptement, malheureux gardes du corps : l'insurrection furieuse, semblable à une meute infernale, hurle sur vos pas !

Les gardes, frappés de terreur, fuient, verrouillant et barricadant ; la meute suit toujours, avançant de chambre en chambre. Malheur ! la voilà qui pénètre dans les appartements de la reine, au fond desquels, dans la chambre la plus éloignée, la reine est encore endormie. Cinq sentinelles se précipitent vers le sanctuaire, frappent à la porte de l'antichambre, criant à haute voix : Sauvez la reine. Des femmes tremblantes se jettent en larmes à leurs genoux : Oui, répondent-ils, nous mourrons ; mais, vous, sauvez la reine.

Ne tremblez pas, ô femmes, mais hâtez-vous, car voici qu'une autre voix crie à travers la porte extérieure : Sauvez la reine ! et la porte est fermée. C'est la voix du brave Miomandre qui donne ce second avertissement : pour le faire, il a bravé une mort imminente ; quand il l'a fait, il fait face à la mort. Le brave Tardivel du Repaire, qui le seconde dans cet acte désespéré est renversé par les piques ; ses camarades ont peine à l'attirer à eux encore vivant. Miomandre et Tardivel, que les noms de ces deux gardes vivent longtemps, comme le méritent les noms des braves ! Les dames d'honneur tremblantes, l'une d'elles ayant entendu et entrevu Miomandre, habillent promptement la reine, nullement en robe d'apparat. Elle fuit, pour sauver sa vie, à travers l'Œil-de-Bœuf, dont bientôt la porte principale est attaquée par l'insurrection. Elle est dans l'appartement du roi, dans les bras du roi ; elle serre ses enfants sur son cœur, au milieu d'un petit nombre de fidèles. Le cœur royal éclate en sanglots maternels : Ô mes amis, sauvez-moi et mes enfants ! Le bruit destructeur des haches insurrectionnelles retentit avec fracas à travers l'Œil-de-Bœuf. Quel moment !

Oui, mes amis, moment terrible, hideux, également honteux pour les gouvernés et les gouvernants, et dans lequel gouvernés et gouvernants témoignent avec ignominie que tous leurs rapports sont anéantis. La fureur qui pendant les dernières vingt-quatre heures avait bouillonné dans vingt mille cœurs, a enfin pris feu : le cadavre de Jérôme a été le combustible. C'est, comme nous l'avons dit, l'élément infini faisant explosion, et inondant avec fracas tous les corridors et toutes les issues.

Pendant ce temps, les gardes pourchassés se sont retranchés dans l'Œil-de-Bœuf. Là ils peuvent mourir sur le seuil de l'appartement royal ; ils ne peuvent espérer de le défendre. Ils amoncèlent des tabourets, des bancs et des meubles contre la porte sur laquelle tonne la hache insurrectionnelle.— Mais le brave Miomandre a-t-il donc succombé à la porte extérieure des appartements de la reine ? Non, il a été brisé, dilacéré, laissé pour mort ; il s'est néanmoins traîné jusqu'à l'Œil-de-Bœuf, et survivra honoré par la France fidèle. Remarquons de plus que, contradictoirement à ce qui a été dit et chanté, l'insurrection n'enfonça pas la porte qu'il avait défendue, mais se porta ailleurs, à la recherche d'autres gardes du corps[23].

Pauvres gardes, avec leur repas de Thyeste ! Ce fut heureux pour eux que l'insurrection n'eût que des piques et des haches, sans autres instruments de siège ! Le bruit redouble, les portes s'ébranlent. Vont-ils tous périr misérablement et la royauté avec eux ? Desbuttes et Varigny, massacrés à la première irruption, ont été décapités dans ta cour de Marbre, sacrifice fait aux mânes de Jérôme : Jourdan, à la barbe ronge, a volontiers fait cette besogne, et a demandé s'il y en avait encore, Un autre captif est promené autour du cadavre avec des chants et des hurlements, Jourdan va-t-il encore retrousser ses manches ?

A l'intérieur éclatent de plus en plus fort les rugissements de l'insurrection, pillant faute de pouvoir tuer ; tonnant de plus en plus fort à la porte de l'Œil-de-Bœuf que rien ne peut l'empêcher d'enfoncer ! — Tout à coup le bruit s'apaise, le tonnerre des haches s'arrête ! La foule se précipite, les cris se multiplient, le silence y succède, puis le bruit de pas réguliers, enfin à la porte quelques coups pacifiques : Nous sommes les grenadiers du centre, les vieilles gardes françaises : Ouvrez-nous, messieurs des gardes du corps, nous n'avons pas oublié que vous nous avez sauvés à Fontenoy[24]. La porte est ouverte, le capitaine Gendron pénètre avec les grenadiers du centre : il y a des embrassades militaires, un passage soudain de mort à la vie.

Étranges fils d'Adam ! C'était pour exterminer ces gardes du corps que les grenadiers du centre s'étaient mis en marche, et les voilà maintenant qui se précipitent pour les sauver de l'extermination ! Les souvenirs d'un péril commun, d'un secours ancien calment les cœurs irrités ; ils sont maintenant poitrine contre poitrine, sans aucune pensée de guerre. Le roi se montre un instant à la porte de son appartement, en s'écriant : Épargnez mes gardes ! Soyons frères, répond le capitaine Gendron, et puis il s'élance à la tête de ses baïonnettes pour nettoyer le palais.

Voici aussi que survient Lafayette, arraché soudainement au repos, non au sommeil — car il n'avait pas encore fermé les yeux — ; son éloquence populaire est pleine de passion, son commandement militaire bref et accentué. Les gardes nationaux, réveillés par la trompette et le tambour d'alarme, arrivent aussi. La mêlée de mort s'arrête ; la première flamme d l'insurrection qui montait jusqu'au ciel s'apaise ; elle brûle maintenant, sinon éteinte, au moins sans lueur, comme le charbon, mais non inextinguible. Les appartements du roi sont en sûreté ; les ministres, les personnages officiels, et même quelques députés fidèles se réunissent autour de Leurs Majestés. La consternation s'apaise graduellement au milieu des sanglots et de la confusion ; elle fait place aux délibérations et aux projets plus ou moins sensés.

Maintenant, jetez un coup d'œil du haut des fenêtres royales. Une mer rugissante de têtes humaines, inondant les deux cours, ondoyant dans tous les passages ; des femmes ménadiques, des hommes furieux, exaltés par la vengeance, par la. soif du mal, par la soif du pillage ! La canaille a ôté sa muselière, et maintenant aboie de sa triple gueule comme le chien d'Érèbe. Quatorze gardes sont blessés, deux tués, et, comme nous l'avons vu, décapités ; Jourdan s'écriant : C'était bien la peine de venir de si loin pour deux infortunés, Desbuttes et Varigny ! Leur sort assurément fut triste. Plongés si soudainement dans l'abîme, ainsi que le sont soudainement les hommes précipités par le tonnerre des avalanches de la montagne, tonnerre qui a été réveillé non par eux, mais par d'autres dans le lointain. Quand l'heure dernière a sonné à l'horloge du château, ils étaient là tous deux traînant leurs pas languissants, le mousquet sur l'épaule, n'ayant d'autre préoccupation que d'entendre sonner l'heure suivante. Elle a sonné, et ils ne l'entendent pas ; leurs corps gisent mutilés ; leurs têtes un objet de parade, promenées sur des piques de douze pieds à travers les rues de Versailles, 'et bientôt vers l'après-midi elles atteindront les barrières de Paris, effrayante contradiction des grands placards rassurants qui y sont affichés.

L'autre garde du corps captif tourne toujours autour du cadavre de Jérôme, au milieu de cris de guerre indiens ; le sanguinaire Barbe-Rouge, les manches retroussées, et brandissant sa hache sanglante, lorsque Gendron et les grenadiers surviennent : Camarades, verrez-vous massacrer un homme de sang-froid ?Arrière, bouchers ! fut la réponse, et le pauvre garde est sauvé. Gendron -6e multiplie, ses grenadiers et leurs officiers se multiplient, nettoyant tous les corridors, dispersant la multitude et le pillage et délivrant le palais. Le carnage menaçant disparaît ; le corps de Jérôme est transporté à l'hôtel de ville pour enquête ; le feu de l'insurrection se réduit de plus en plus en une température mesurée dont on devient maître.

Comme toute explosion générale des passions de la multitude, toutes sortes de choses transcendantes sont confondues ensemble ; le grotesque, le ridicule avec l'horrible.

Par-dessus l'océan de têtes, on peut voir de loin la canaille caracolant sur des chevaux des écuries royales. Ceux-là sont des pillards, car le patriotisme est toujours ainsi infecté d'une certaine proportion de voleurs et de coquins. Gendron leur avait ravi leur proie dans le château, de sorte qu'ils s'étaient rejetés sur les écuries pour y prendre les chevaux. Mais les généreux coursiers de Diomède, suivant Weber, dédaignèrent ces vils fardeaux, et, levant leur royale croupe, les lancèrent bientôt au loin en courbes paraboliques, au milieu des éclats de rire, puis ils furent rattrapés. Des gardes nationaux montés firent rentrer le reste.

Maintenant aussi se montrèrent les dernières étincelles d'une touchante étiquette, qui, dans ce naufrage d'un monde, ne veut pas mourir sans laisser une trace, comme chanterait la cigale au milieu du retentissement de la trompette du jugement dernier. Comme Lafayette, dans ces terribles moments, se précipitait vers les appartements intérieurs du roi, un maître des cérémonies — espérons que ce ne fut pas de Brézé — lui cria : Monsieur, le roi vous accorde les grandes entrées ! ne trouvant pas à propos de les refuser[25].

 

XI. — RETOUR DE VERSAILLES.

 

Cependant les gardes nationaux de Paris, entièrement sous les armes, ont nettoyé le palais, ils occupent même les postes extérieurs les plus rapprochés', refoulant le patriotisme mélangé dans la grande cour, ou même dans la cour de devant.

On peut remarquer aussi que les gardes du corps ont maintenant, avec sincérité, pris les couleurs nationales, car ils s'avancent aux fenêtres et aux balcons, levant leurs chapeaux et sur chaque chapeau une large cocarde tricolore, ôtent leurs bandoulières en signe de capitulation, et crient Vive la nation ! A quoi les cœurs généreux ne peuvent répondre que par Vive le roi ! Vivent les gardes du corps l Sa Majesté elle-même a paru avec Lafayette sur le balcon, et s'y montre encore, salué du cri de Vive le roi ! partant de toutes les poitrines ; mais aussi de quelques-unes se fait entendre ce cri : Le roi à Paris !

La reine aussi, sur la demande générale, se montre, quoiqu'il s'y trouve du péril ; elle s'avance sur le balcon avec son fils et sa fille. Point d'enfants ! crient des voix tumultueuses. Elle fait doucement rentrer ses enfanta, et reste seule, debout, les mains croisées sur la poitrine : Dussè-je mourir, avait-elle dit, j'irai. Tant de sécurité dans l'héroïsme fit son effet. Lafayette, avec un esprit d'à-propos et d'exaltation chevaleresque, saisit cette belle main de reine et s'agenouillant respectueusement, y imprime un baiser ; sur quoi le peuple cria Vive la reine ! Cependant le pauvre Weber vit ou plutôt (car à peine un tiers des assertions de Weber, dans ces jours fiévreux, pourrait résister à l'examen) il s'imagina voir un de ces brigands braquer son mousquet sur la reine avec ou sans intention de tirer ; car un autre des brigands iit avec indignation tomber le fusil.

De sorte que tous, et la reine elle-même, bien plus, le capitaine des gardes du corps étaient devenus nationaux. Le même capitaine des gardes sort maintenant avec Lafayette. Sur le chapeau de l'homme repentant est une énorme cocarde tricolore, large comme la fleur du soleil, d'autres disent comme une assiette à soupe, mais visible à coup sûr jusqu'aux dernières limites de la première cour. D'une voix éclatante il prête le serment nationale en élevant son chapeau, et à cette vue, toute l'armée place, les bonnets à poil au bout des baïonnettes avec de vives acclamations. Douce est la réconciliation aux cœurs des pommes. Lafayette a reçu le serment de Flandre ; il reçoit celui du reste des gardes du corps ; le peuple les presse dans ses bras : Frères, pourquoi nous forciez-vous à vous tuer ? Voici qu'avec joie nous vous accueillons, comme on accueille le retour des enfants prodigues. Les pauvres gardes, maintenant nationaux et tricolores, font un échange de coiffures, un échange d'armes ; il y aura paix et fraternité. Et puis se répète le cri de Vive le roi et aussi le roi à Paris, non plus d'une seule poitrine, mais de toutes les poitrines confondues en une seule, car c'est le désir unanime de tous les cœurs.

Oui, le roi à Paris ! et quoi encore ? Les ministres peuvent délibérer, et les députés nationaux hocher la tête ; mais il n'y a plus maintenant aucun autre parti à prendre. Vous l'avez forcé d'y aller volontairement. A une heure ! Lafayette en donne à haute voix l'assurance, et l'universelle insurrection confirme l'acceptation par une incommensurable acclamation et une décharge de toutes les armes à feu dont elle dispose, petites et grandes, rouillées et polies. Quel retentissement entendu dans les espaces, comme le bruit d'un arrêt ! Ce bruit aussi s'éteint dans le silence des âges. Et depuis ce jour le château de Versailles reste vide, muet ; les cours spacieuses dévorées par l'herbe, n'ayant plus affaire qu'h la houe du garçon jardinier. Les années et les générations marchent et se perdent dans le courant du temps ; les bâtiments comme les bâtisseurs ont leurs destins.

Jusqu'à une heure donc, il y aura trois partis : l'assemblée nationale, la foule nationale, la royauté nationale, tous assez affairés. La foule se réjouit, les femmes se parent de tricolore. En outre, Paris dans sa sollicitude a envoyé à ses vengeurs des charretées de pain, qui sont accueillies avec acclamation et consommées avec gratitude. Les vengeurs, en retour, fouillent les dépôts de grains, les chargeant dans cinquante voitures, de manière qu'un roi national, avant-coureur probable de toutes bénédictions, puisse comme premier signe, être le porteur évident de l'abondance.

Et ainsi le sans-culottisme a fait prisonnier son roi, manquant à sa parole. La monarchie est tombée, et pas même honorablement, mais ignominieusement, non sans lutte, il est vrai, souvent répétée : mais la lutte a été maladroite, usant ses forces dans des accès et des paroxysmes, et à chaque paroxysme plus tristement abattue qu'auparavant. Ainsi la volée de mitraille de Broglie, qui aurait pu être quelque chose, s'est transformée en un choc de bouteilles dans un repas d'Opéra, avec Ô Richard ! ô mon roi ! Ce qui ensuite se transformera en une conspiration de Favras, dont le résultat sera la pendaison d'un chevalier.

Pauvre monarchie ! mais quelle autre chose qu'une honteuse défaite peut attendre l'homme qui veut et ne veut pas ? Apparemment, ou le roi a un droit qu'il peut affirmer même par la mort, devant Dieu et les hommes ; ou il n'a aucun droit. Apparemment, l'un ou l'autre, si seulement, il pouvait savoir lequel : que le ciel ait pitié de lui ! Si Louis était sage, en ce jour il abdiquerait : n'est-il pas étrange que si peu de rois abdiquent ; et l'on n'en connaît aucun encore qui ait eu recours au suicide. Seul, Frédéric Ier, de Prusse, l'a tenté ; mais on coupa la corde.

Quant à l'Assemblée nationale, qui décrète ce matin qu'elle est inséparable de Sa Majesté, et qu'elle le suivra à Pans, il y a une chose à noter : c'est l'extrême défaut de santé qui s'y rencontre. Après le 14 juillet, il y eut une certaine apparence maladive chez les honorables membres, un grand nombre demandant des passeports pour motifs de santé ; mais aujourd'hui et les jours suivants, il y a une véritable épidémie ; le président Mourier, Lally-Tollendal, Clermont-Tonnerre, et tous les royalistes constitutionnels qui veulent deux chambres, éprouvent le besoin de changer d'air, ce qui déjà était auparavant arrivé aux royalistes qui ne veulent pas de chambre du tout.

Car, en réalité, c'est la seconde émigration qui commence ; sur une grande échelle parmi la noblesse, le clergé et le tiers ; de telle sorte que dans la Suisse seule, 4 ils sont au nombre de soixante mille. Ils reviendront au jour du règlement des comptes. Oui, ils seront chaudement accueillis, — mais émigration sur émigration est une des particularités de la France. Une émigration suit l'autre, fondée sur de raisonnables craintes, de déraisonnables espérances et surtout de puérils dépits. Les fuyards de haute volée sont partis les premiers ; maintenant ce sont de plus modestes, bientôt il s'en présentera d'inférieurs, jusqu'aux infimes qui rampent. Par là, cependant, pour notre assemblée nationale ne devient-il pas plus facile de faire la constitution, maintenant que vos anglo - maniaques à deux chambres se trouvent en sûreté et à distance sur des rives étrangères ! L'abbé Maury est saisi et ramené : pour lui, ferme comme du cuir tanné, avec l'éloquent capitaine Cazalès et quelques autres, il tiendra encore bon pendant une autre année.

Mais ici, en attendant, se présente une question : Philippe d'Orléans a-t-il été vu, en ce jour, dans le Bois de Boulogne, en surtout gris, attendant sous le feuillage fané et mouillé les événements du jour ? Hélas ! oui, c'était bien son image dans le cerveau troublé de Weber et quelques autres. Le Châtelet fera une longue enquête, entendra cent soixante-dix témoins ; le député Chabroud fera son rapport ; mais ne découvrira rien[26]. Quelle fut donc l'origine de ces deux jours sans pareil d'octobre ? Car, assurément, une : scène aussi dramatique no s'est jamais déroulée sans directeur ou machiniste. Le polichinelle de bois ne se produit pas au jour, avec ses chagrins domestiques, si l'on ne tire la ficelle ; n'en est-il pas de même de la foule humaine ? Alors, n'était-ce pas d’Orléans, Laclos, le marquis de Sillery, Mirabeau, et les autres enfants du trouble ; espérant chasser le roi à Metz et se partager ses dépouilles ? ou plutôt n'était-ce pas, au contraire, l'Œil-de-Bœuf, de Guiche, le colonel des gardes, le ministre Saint-Priest, et les exaltés royalistes ; espérant aussi le conduire à Metz, et tenter le sort de la guerre civile ? Le bon marquis Toulongeon, historien et député, se sent obligé d'admettre les deux causes à la fois[27].

Hélas ! mes amis, l'incrédulité crédule est une étrange chose. Mais quand toute une nation est saisie de l'esprit de soupçon et voit un miracle dramatique jusque dans l'opération du suc gastrique, quelle ressource y a-t-il ? Une telle nation ne forme plus déjà qu'une masse d'infirmités hypochondriaques, atrabilaire, décomposée, appelant des crises. Le soupçon lui-même n'est-il pas la première chose il soupçonner, comme Montaigne craignait seulement de craindre ?

Maintenant, cependant, l'heure marquée est venue. Sa Majesté est en voiture, ave la reine, sa sœur Elisabeth, et les deux enfants royaux. Une heure encore s'écoule avant qu'on puisse disposer l'immense procession et la. mettre en route. La température est froide et humide ; l'esprit de tous troublé, le bruit gigantesque.

Beaucoup de marches processionnelles ont été vues par notre monde : les triomphes romains et les ovations, les battements de cymbales cabiriques, les cortèges royaux, les funérailles irlandaises ; mais la marche de la monarchie française se dirigeant vers son lit de mort présentait un spectacle nouveau : couvrant des lieues en longueur, avec une largeur se perdant dans de vagues multitudes ; car toutes les- contrées voisines se rassemblaient pourvoir. La procession est lente, avec la stagnation d'un lac sans rivage, et cependant avec le bruit du Niagara, de Babel, d'une maison de fous ; avec des trépignements et des clapotements,, des acclamations, des hurlements, des volées de mousqueterie, véritable échantillon du chaos offert à nos temps modernes ! jusqu'à ce qu'enfin, on s'engage, à la chute du jour, dans Paris, en attente, à travers une double rangée de figures, sur tout le parcours depuis Passy jusqu'à l'hôtel de ville.

Contemplez ce spectacle : à l'avant-garde, les troupes nationales, avec les trains d'artillerie ; des hommes et des femmes à piques, montés sur des canons, des charrettes, des fiacres, d'autres à pied, dansant, couverts de rubans tricolores de la tête aux pieds ; des pains enfourchés aux pointes des baïonnettes, des feuillages plantés dans les canons de fusil[28]. Puis formant le centre, cinquante charretées de blé, qui ont été, par mesure de pacification, fournies par les dépôts de Versailles. Derrière, s'avancent irrégulièrement les gardes du corps, tous habillés, et coiffés des bonnets à poil des grenadiers. Immédiatement après ceux-ci vient la voiture royale, viennent les -voitures royales ; car il y a une centaine de députés nationaux, parmi lesquels Mirabeau, dont on ne nous fait pas connaître les observations. Enfin, pêle-mêle, comme arrière-garde, Flandre, Suisses, cent-suisses, d'autres gardes du corps, les hommes qu'on appelait naguère brigands, tout ce qui peut se porter en avant. Entre toutes ces niasses, flottent sans limites Saint-Antoine et la cohorte ménadique ; les ménades se tenant surtout autour de li voiture royale, dansant, couvertes d'insignes tricolores ; chantant des chansons pleines d'allusions, montrant d'une main la voiture royale, de l'autre, les charrettes à blé, et criant : Courage, amis ! maintenant, nous ne manquerons pas de pain ; nous vous amenons le boulanger, la boulangère et le petit mitron ![29] Le tricolore est fané par la pluie du jour ; mais la joie est inextinguible. Est-ce que tout maintenant ne va pas bien ! Oh ! madame notre bonne reine, disaient quelques-unes de ces femmes fortes, ne nous trahissez plus, et nous vous aimerons bien. Le pauvre Weber s'avançait éclaboussant, tout contre la voiture royale, avec les larmes aux yeux. Leurs Majestés me faisaient l'honneur, ou du moins il le croyait, de me témoigner de temps en temps les émotions qu'elles ressentaient, soit par un mouvement d'épaules, soit par des regards dirigés vers le ciel. Ainsi, comme un frêle roseau, flotte le royal bateau de sauvetage, sans gouvernail sur le noir déluge des multitudes.

Mercier, avec ses vagues appréciations, estime que la procession et les spectateurs comptaient deux cent mille têtes. Il dit que c'était un immense brouhaha articulé, le rire transcendantal d'un monde, comparable aux saturnales des anciens. Pourquoi pas ? Ici encore, comme nous l'avons dit, est l'humaine nature encore une fois humaine ; que ceux-là frémissent qui sont d'humeur frémissante : cependant tout cela est humain. Tout cela a brisé ses vieilles formules, et l'a fait même en dansant. C'est pourquoi ceux qui font collection de vases et d'antiques, avec des figures de bacchantes en danse dans des postures sauvages, et à peine possibles, peuvent contempler avec quelque intérêt.

C'est ainsi, cependant, que dans la lente marche le chaos ou la saturnale moderne des anciens touche à la barrière, et doit y faire halte pour écouter la harangue du maire Bailly ; là, il lui faut longtemps s'entasser, entre le double rang de figures, dans le brouhaha transcendantal qui monte vers le ciel ; et deux heures plus tard, vers l'hôtel de ville, pour y écouter encore les harangues de plusieurs orateurs, de Moreau de Saint-Méry, entre autres ; Moreau des trois mille ordres, maintenant député national de Saint-Domingue, et tous ces discoureurs. Le pauvre Louis, qui semblait éprouver une certaine émotion en entrant dans l'hôtel de ville, ne peut que répondre qu'il vient avec plaisir et avec confiance au milieu de son peuple. Le maire Bailly, en transmettant ces paroles, oublie le mot confiance, sur qui la pauvre prince dit énergiquement : Ajoutez-y avec confiance. — Messieurs, reprend Bailly, vous êtes plus heureux que si je n'avais pas oublié.

Finalement, le mi est conduit sur le balcon, à la lueur des torches, avec une énorme cocarde tricolore an chapeau ; et dans tout le peuple, dit Weber, chacun échangeait des poignées de main ; mais persuadés sans doute, que maintenant en toute certitude l'Ère nouvelle était venue. A peine avant onze heures du soir, la royauté put-elle gagner son palais des Tuileries si longtemps vacant et abandonné, pour y loger quelque peu à la façon des comédiens ambulants. On est au mardi 6 octobre 1789.

Le pauvre Louis a encore deux processions à faire dans Paris : l'une grotesque et ignominieuse, comme celle-ci ; l'autre, ni grotesque, ni ignominieuse, mais terrible et, bien mieux, sublime.

 

FIN DU PREMIER VOLUME

 

 

 



[1] Histoire parlementaire, t. II, p. 427.

[2] Souvenirs sur Mirabeau, p. 156.

[3] Brouillon de lettre de M. d'Estaing à la reine. (Histoire parlementaire, t. III, p. 24.)

[4] Histoire parlementaire, t. III, p. 59. — Deux amis, t. III, p. 128-141. — Campan, t. III, p. 70-85.

[5] Révolutions de Paris et de Brabant (Histoire parlementaire, t. III, p. 108).

[6] Deux Amis, t. III, p. 141-166.

[7] Dusaulx, Prise de la Bastille, note, p. 231.

[8] Deux Amis, t. III, p. 159.

[9] Deux Amis, t. II, p. 177 ; Dictionnaire des hommes marquants, t. III, p. 379.

[10] Deux Amis, t. III, p. 161.

[11] Deux amis, t. III, p. 165.

[12] Histoire parlementaire, t. III, p. 70-177 ; Deux amis, t. III, p. 166-177.

[13] Mounier, Exposé justificatif, cité dans les Deux amis, t. III, p. 185.

[14] Weber, t. II, p. 185, 231.

[15] Deux amis, t. III, p. 192-201.

[16] Weber, t. II, p. 185, 231.

[17] Weber, Deux amis, etc.

[18] Mounier, Histoire parlementaire, t. III, p. 105.

[19] Deux amis. t. III, p. 208.

[20] Courrier de Provence (Journal de Mirabeau), n° 50, p. 19.

[21] Mémoires de M. le comte de Lally-Tollendal (janvier 1790), p. 161-165.

[22] Déposition de Lecointre, Histoire parlementaire, t. III, p. 111-115.

[23] Campan, t. II, 75-87.

[24] Toulongeon, t. I, p. 144.

[25] Toulongeon, t. I, opp. 120.

[26] Rapport de Chabroud, Moniteur du 31 décembre 1789.

[27] Toulongeon, t, I, p, 150,

[28] Mercier, Nouveau Paris, t. III, p, 21.

[29] Toulongeon, t. I, p. 434-161 ; Deux amis, t. III, p. 9, etc.