HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

LA BASTILLE

 

LIVRE DEUXIÈME. — L'ÂGE DE PAPIER.

 

 

I. — LE RETOUR D'ASTRÉE.

 

Un philosophe paradoxal, poussant à l'extrême cet aphorisme de Montesquieu : Heureux le peuple dont les annales sont ennuyeuses, a dit : Heureux le peuple dont les annales sont vides ? Dans ce dicton, quelque insensé qu'il paraisse, ne peut-il pas se trouver quelque grain de raison ? car avec vérité, il a été écrit : Le silence est divin, chose du ciel : de même dans toutes choses le la terre, il y a un silence qui est préférable à tout discours. Pensez-y bien : l'événement, la chose dont on peut parler et faire un récit, n'est-ce pas, dans tous les cas, quelque déchirure, quelque solution de continuité ? Quand ce serait même un événement heureux, cela implique un changement, une perte — de force active — ; et de cette matière, soit dans le passé, soit dans le présent, c'est une irrégularité, une maladie. La persévérance dans le calme serait pour nous une bénédiction ; non la dislocation et 'altération, si elles pouvaient être évitées.

Le chêne dans la forêt grandit mille ans en silence. Seulement, la millième année, quand le bûcheron arrive avec sa hache, des échos retentissent à travers les solitudes ; et le chêne s'annonce, lorsque avec un fracas qui se répète au loin, il tombe. Avec quel silence aussi se fit la plantation du gland, tombé du sein de quelque vent de passage. Même lorsque notre chêne a bourgeonné ou s'est revêtu de ses feuilles — événement heureux —, y eut-il sur le terrain quelque bruit de proclamation ? A peine d'un observateur attentif, un mot de reconnaissance. Ces choses n'arrivent point ; elles se font lentement, non en une heure, mais dans la suite des jours : qu'y avait-il à en dire ? Cette heure qui passe paraît semblable à celle qui va venir.

C'est ainsi que partout la sotte rumeur babille, non sur ce qui a été fait, mais sur ce qui a été mal fait ou défait, et que la sotte histoire — toujours, plus ou moins, l'abrégé écrit et l'épitomé de la rumeur — ne sait que ce qu'il serait bon de ne pas savoir. Les invasions d'Attila, les croisades de Gauthier sans argent, les Vêpres siciliennes, la guerre de Trente ans : crime et misère ; nullement travail, mais empêchement de travail. Car la terre, pendant ce temps, était annuellement verte et jaune, avec ses bienfaisantes moissons ; la main de l'artisan, la tête du penseur ne se reposaient pas ; et ainsi, après tout et en dépit de tout, nous avons cette glorieuse voûte du monde en épanouissement ; et la pauvre histoire peut, a bon droit, demander avec étonnement d'où ce monde vient. Elle sait si peu de lui ! ne sait que ce qui lui fait obstruction, ce qui pouvait le rendre impossible ! Telle est néanmoins, par nécessité ou stupide choix, sa règle et sa pratique, ce qui fait que ce paradoxe : Heureux le peuple dont les annales sont vides, n'est pas sans avoir son côté vrai.

Et cependant, ce qu'il semble à propos de noter ici, c'est qu'un certain calme, non de développement sans obstacle, mais d'inertie passive, est un symptôme de chute imminente. De même que la victoire, la défaite est silencieuse. Entre les forces opposées, la plus faible se résigne ; la plus forte poursuit sa marche, aujourd'hui sans bruit, mais rapide, inévitable : la chute et le renversement ne seront pas sans bruit. Comme les herbes des champs, toute chose croît et a sa période, quelle soit annuelle, centenaire ou millénaire. Toute chose croît et meurt, chacune selon ses merveilleuses lois, de la façon merveilleuse qui lui appartient, et les choses spirituelles plus merveilleusement que les autres. Insondables sont ces dernières, même pour les plus sages ; en dehors des prophéties, au-dessus des intelligences. Si à la vue du chêne fièrement debout dans tout l'éclat de ses rameaux, vous pouvez savoir que le cœur est sain, il n'en est pas de même avec l'homme, encore moins avec la société, avec la nation d'hommes. De ceux-ci, on peut même affirmer que l'aspect superficiel, que le sentiment intérieur d'une pleine santé sont généralement des présages. En effet, c'est d'apoplexie, pour ainsi parler, c'est d'un état de pléthore et de pesanteur que meurent le plus souvent les Églises, les royautés et les institutions sociales. C'est triste quand une de ces institutions se dit pléthoriquement : Prends tes aises, tu as une provision de biens ; comme ce fou de l'Évangile auquel il fut répondu : Insensé, cette nuit ta vie te sera demandée !

C'est cette paix de la santé ou du présage maladif qui plane sur la France pendant ces dix dernières années, sur lesquelles l'historien peut passer légèrement, sans rien qui l'arrête ; car il n'y a pas encore d'événements, encore moins d'accomplissements. Temps de soleil et de repos ! l'appellerons-nous, ce que tant d'hommes y voyaient, un nouvel âge d'or ? appelons-le du moins l'âge de papier, qui de plus d'une manière est le substitut de l'or. Papier de banque, avec quoi vous pouvez encore acheter quand il n'y a plus d'or. Papier de livres, resplendissant de théories, de philosophies, de sensibilité ; art admirable, non-seulement de révéler la pensée, mais aussi de nous cacher admirablement l'absence de pensée ! Le papier se fait encore avec les haillons de choses qui ont existé ; il y a dans le papier des qualités sans nombre. Dans cette paisible période, dans cette absence d'événements, quel philosophe, parmi les plus sages, aurait pu prophétiser l'approche d'une époque de ténèbres et de confusion, l'événement des événements ? L'espérance sert d'introduction à la révolution, de même qu'un brillant soleil précède le tremblement de terre. Le 5 mai, à quinze ans de date, il ne s'agira plus du vieux Louis envoyant chercher les sacrements ; c'est un nouveau Louis, son petit-fils qui, avec toute la pompe d'une France étonnée et enivrée, fera l'ouverture des états généraux.

Le règne des du Barry, des d'Aiguillon est passé à jamais. Il y a un roi jeune, encore docile, bien intentionné ; une reine belle, bienveillante, bien intentionnée, et avec ces monarques toute la France, pour ainsi dire, est devenue jeune. Maupeou et son parlement disparaissent dans une épaisse nuit ; de respectables magistrats bien vus de la nation, ne fût-ce que pour leur opposition à la cour, descendent maintenant, déchaînés, de leurs rochers escarpés de Croe en Combrailles ou d'ailleurs, et reviennent chantant des louanges : le vieux parlement de Paris reprend ses fonctions. Au lieu du banqueroutier débauché, l'abbé Terray, nous avons maintenant pour contrôleur général un vertueux philosophe : Turgot, avec toute une France réformée dans sa tête, par qui tout ce qui est défectueux, en finance ou en autre chose, sera redressé autant que possible. N'est-ce pas comme si la sagesse elle-même avait son siège et sa voix dans le conseil des rois ? Turgot est entré en charge avec la plus noble sincérité de langage, et il a été écouté avec la plus noble confiance royale. Il est vrai que, selon les paroles du roi Louis, on dit qu'il ne va jamais à la messe ; mais la France libérale ne l'en aime guère moins, et la France libérale répond : L'abbé Terray y allait toujours. Le philosophisme voit au pouvoir un philosophe — ou même un philosophant —, et s'apprête à le seconder et à l'applaudir en toutes choses ; et le vieux et léger Maurepas ne lui fera pas obstacle, s'il peut s'en empêcher.

Ensuite, que de douceur dans les manières ! Le vice perdant toutes ses difformités devient décent — comme toutes les choses établies, faisant des règlements à leur usage —, devient une espèce de vertu tolérante ! L'intelligence abonde,, fortement illuminée par l'esprit et l'art de la conversation ! La philosophie s'asseoit joyeuse dans les salons brillants, convive de l'opulence devenue naïve, les nobles mêmes fiers de prendre place à côté d'elle ; et elle prêche un prochain millénaire, dominant toutes les bastilles. Du lointain Ferney, le patriarche Voltaire fait un signal, les vétérans Diderot et d'Alembert ont vécu pour voir ce jour ; ceux-ci avec leurs cadets : Marmontel, Morellet, Champfort, Raynal, réjouissent les buffets épicés d'une riche douairière ministérielle ou d'un fermier général philosophique. Ô nuits et soupers des dieux ! Une vérité longtemps démontrée va se réaliser ; l'âge des révolutions approche, comme l'écrivait Jean-Jacques, mais des révolutions heureuses et bénies. L'homme se réveille de son long somnambulisme, chasse les fantômes qui l'assiégeaient et l'ensorcelaient. Voici les feux de la nouvelle aurore, glissant sur les flancs de la colline orientale ; fuyez, fantômes menteurs, devant les traits de la lumière ; que l'absurde s'enfuie tout à fait, abandonnant à jamais cette terre d'ici-bas. C'est la vérité, c'est Astrée de retour qui, sous la forme de la philosophie, règnent désormais. Dans quel but imaginable l'homme a-t-il été fait, si ce n'est pour être heureux ? Aujourd'hui les triomphes de l'analyse et les progrès de l'espèce nous préparent assez de bonheur. Les rois peuvent devenir philosophes, ou plutôt les philosophes rois. Que la société soit une fois bien constituée par la triomphante analyse. L'estomac qui est vide sera rempli ; le gosier qui est sec sera humecté de vin. Le travail lui-même sera comme un repos, nullement pénible, mais joyeux. Le champ de blé, pourrait-on penser, ne peut fructifier sans labourage, sans la fatigue et les souillures de l'homme, à moins que les machines ne fassent la besogne ? Des tailleurs, des restaurateurs gratuits peuvent s'établir, à des intervalles voulus, quoiqu'on ne voie pas encore comment. Mais si chaque volonté, selon les règles de la bienveillance, a une affection pour tous, alors assurément personne ne restera sans protection. Et même qui sait si, par l'analyse complètement triomphante, la vie humaine ne pourra pas être indéfiniment prolongée, si l'homme ne pourra pas être débarrassé de la mort, comme il l'est déjà du diable.

Nous serons alors heureux en dépit de la mort et du diable. C'est ainsi qu'un philosophisme emphatique prêche ses Redeunt Saturnia regna.

Le chant prophétique de Paris et de ses philosophes s'entend jusqu'à l'Œil-de-Bœuf de Versailles, et l'Œil-de-Bœuf occupé surtout du bonheur prochain, peut répondre au pis-aller par un bienveillant pourquoi pas ? Le bon vieux Maurepas est un premier ministre trop joyeux pour troubler la joie du monde. Qu'à chaque jour- suffise son propre mal. Jovial vieillard ! il sème ses bons mots et s'agite insoucieux, son manteau bien ajusté au vent, pourvu qu'il puisse plaire à tout le monde. Le simple et jeune roi, qu'un Maurepas ne peut songer à ennuyer d'affaires, s'est retiré dans les appartements intérieurs, taciturne, irrésolu, quoique parfois avec des éclairs de tempérament ; enfin, il se résout à un peu de travail manuel, et ainsi devenu l'apprenti d'un sieur Gamoin — qu'il aura un jour peu de motifs de bénir — il apprend à faire des serrures[1]. Il paraît que de plus il comprenait la géographie et pouvait lire l'anglais : infortuné jeune roi ! sa confiance enfantine dans ce vieux fou de Maurepas méritait un autre retour. Mais ami et ennemi, la destinée et lui-même, tout conspirait contre lui.

Cependant la belle jeune reine parcourt ses salons d'apparat, comme une déesse de beauté ; le charme de tous les yeux : elle ne se mêle pas encore aux affaires, ne regarde pas l'avenir, le redoute encore moins. Weber et Campan l'ont dépeinte[2] au milieu de ses royales tapisseries, dans ses brillants boudoirs, salles de bain et peignoirs, et la grande et la petite toilette, avec tout un monde brillant dans une attente obséquieuse pour obtenir un regard. Belle et jeune fille du temps, quelles choses le temps tient en réserve pour toi ! Image la plus brillante de la terre, elle s'avance gracieusement environnée des grandeurs de la terre : une réalité, et cependant une vision magique, car voici venir les profondes ténèbres qui doivent l'engloutir. Le jeune et tendre cœur adopte des orphelins, dote des filles méritantes, se plaît à secourir le pauvre, tout pauvre qui vient pittoresquement sur son chemin ; et fait venir la mode d'ainsi faire ; car, ainsi qu'il a été dit, la bienveillance a maintenant commencé de régner. Chez la duchesse de Polignac, chez la princesse de Lamballe, elle goûte quelque chose qui ressemble à l'amitié ; et maintenant aussi, après sept longues années, elle a un enfant à elle, bientôt même un Dauphin, et peut s'estimer, autant qu'il est donné à une reine, heureuse dans un époux.

En fait d'événements, les plus grands ne sont que de charitables fêtes de mœurs, avec leurs prix et leurs harangues, des processions de poissardes vers le berceau du Dauphin ; par dessus tout, d'aimables coquetteries, avec leur naissance, leurs triomphes, leur décadence et leur chute. Il y a des statues de neige élevées par les pauvres dans un rude hiver, en l'honneur de la reine qui leur a donné du bois. Il y a les mascarades, les théâtres, les embellissements du petit Trianon, l'achat et la réparation de Saint-Cloud, et les voyages de la cour se transportant de l'Élysée d'été à l'Élysée d'hiver. Il y a les bouderies et les querelles des belles-sœurs sardes — car les princes aussi sont mariés — ; de petites jalousies que l'étiquette de la cour peut apaiser. Tout est légèreté de cœur, frivolité ; existence pétillante comme la mousse, mais une mousse artistement raffinée, agréable, si elle n'était pas si coûteuse, comme celle qui s'évapore en perles sur le vin de Champagne.

Monsieur, frère aîné du roi, passe pour une sorte d'homme d'esprit et penche du côté des philosophes. Monseigneur d'Artois arrache le masque d'une belle impertinente, se bat par suite en duel, et manque verser du sang[3]. Il a des culottes d'une espèce nouvelle dans le monde, d'une espèce fabuleuse. Quatre grands laquais, dit Mercier, comme s'il l'avait vu, le soulèvent en l'air afin qu'il puisse tomber dans le vêtement sans le vestige d'un pli, et de ce rigoureux emprisonnement, les mêmes laquais, de la même manière, mais avec plus d'efforts, ont à le délivrer le soir[4]. C'est ce dernier qui maintenant, vieillard blanchi et usé par le temps, réside désolé à Gratz (1834), ayant liquidé sa destinée dans les trois jours. C'est de la sorte que les pauvres mortels sont balayés et jetés à la pelle de côté et d'autre.

 

II. — PÉTITION EN HIÉROGLYPHES.

 

Avec le peuple des travailleurs, les choses ne vont pas si bien. Malheur ! car ils sont de vingt à vingt-cinq millions que nous groupons ensemble dans une espèce d'unité compacte, monstrueuse, mais obscure, lointaine, que nous appelons la canaille ou plus humainement les masses. Masses en vérité ; et cependant, chose singulière à dire, si par un effort d'imagination tu les suis, à travers la vaste France, dans leurs cabanes d'argile, dans leurs greniers, dans leurs huttes, ces masses se composent toutes d'unités, et chacune de ces unités a son cœur et ses douleurs, se tient couverte de sa propre peau, et si tu la piques, elle saigne. Ô souveraineté empourprée, éminence, révérence ; toi, par exemple, cardinal grand aumônier, avec ton vêtement d'honneur en peluche, qui as tes mains chargées de dignités et d'argent, solennellement assis dans ta contemplation du monde, en présence de Dieu, pense donc à ceci : chaque unité de ces masses est un homme miraculeux, oui, comme toi-même ; luttant dans les lumières ou dans les ténèbres, pour sa part, dans le royaume infini (traînant cette vie qu'il n'a obtenue que pour une fois, au milieu des éternités), ayant en lui une étincelle de la divinité, que tu appelles une âme immortelle !

Terrible, écrasante est leur lutte dans leur lointaine obscurité, foyer sans joie, et maigre pitance. Pour eux, dans ce monde, aucune ère d'espérance ; à peine dans l'autre, s'il n'y a pas espérance dans le sombre repos de la mort ; car leur foi aussi s'en va. Sans instruction, sans consolation, sans nourriture ! Génération muette, dont la - voix n'est qu'un cri inarticulé. Dans les conseils du roi, dans le forum du monde, nul avocat à eux ne trouve accueil. A de rares intervalles — comme maintenant, en 1775 — ils jettent leurs bêches et leur marteaux, et, à la surprise de l'humanité pensante, se rassemblent çà et là, menaçants, mais sans but, s'avançant même jusqu'à Versailles. Turgot s'occupe à modifier le commerce des grains, à abroger la plus absurde des lois sur le blé ; il y a une famine réelle ou, fût-elle même fictive, une indubitable rareté de pain. Et voilà que le 2 mai 1775, ces vastes multitudes s'en viennent à Versailles, étaler leur misère, avec leurs faces blêmes, leurs souillures, leurs haillons et présenter leur pétition de griefs. Les grilles du château se ferment ; mais le roi consent à paraître au balcon et à leur parler. Ils ont vu la figure du roi ; leur pétition de griefs a été sinon lue, du moins regardée. En réponse, deux d'entre eux sont pendus à un nouveau gibet, haut de quarante pieds, et le reste renvoyé à ses tanières, jusqu'à nouvel ordre.

Évidemment, c'est une difficile tâche pour le gouvernement que de traiter avec ces masses ; si ce n'est pas plutôt la seule tâche, le seul problème du gouvernement, toutes les autres tâches n'étant que fantaisies accidentelles, choses superficielles, agitation de vent. Car enfin, les chartes, les coutumes, les lois communes et spéciales peuvent dire ce qu'elles veulent, les masses ne s'en comptent pas moins par millions d'unités, faites, selon toute apparence, par Dieu, auquel on déclare que cette terre appartient. Le peuple, d'ailleurs, n'est pas sans férocité ; il a du nerf et de l'indignation. Contemplez u peu ce que le vieux marquis, le vieux bourru, l'ami des hommes contemplait dans les mêmes années, de son logement aux bains du mont Dore :

Les sauvages descendant en torrents de la montagne ; ordre à nos gens de ne point sortir. Le curé avec surplis, étole ; la justice en perruque, la maréchaussée, le sabre à la main, gardant la place avant de permettre aux musettes de commencer ; la danse interrompue, un quart d'heure après, par la bataille ; les cris et les sifflements des enfants, des débiles et autres assistants, les agaçant comme la canaille fait quand les chiens se battent ; des hommes affreux ou plutôt des bêtes fauves, couverts de sayons de grosse laine, avec de larges ceintures de cuir, piquées de clous de cuivre ; d'une taille gigantesque rehaussée par de hauts sabots, s'élevant encore pour regarder le combat, trépignant avec progression, se frottant les flancs avec les coudes, la figure hâve et couverte de leurs longs cheveux gras, le haut du visage pâlissant et le bas se déchirant pour ébaucher un rire cruel et une sorte d'impatience féroce ; et ces gens-là payent la taille ! et l'on veut encore leur ôter le sel ! et l'on ne sait pas ce qu'on dépouille, ce qu'on croit gouverner ! ce qu'à coups de plume nonchalante et lâche on croira, jusqu'à la catastrophe, affamer toujours impunément ! ces sortes de coup d'œil rappellent les grandes pensées.

Ah ! madame ! le colin-maillard poussé trop loin finira par la culbute générale[5].

Sombre tableau, assurément, dans un âge d'or ; âge au moins de papier et d'espérance ! Pendant ce temps, ne nous trouble pas de tes prophéties, ô lamentable ami des hommes. Voilà longtemps que nous entendons des paroles de ce genre, et cependant le vieux monde va roulant dans sa vieille carrière.

 

III. — PROBLÈMES.

 

Cet âge d'espérance n'est-il qu'un simulacre, comme l'est trop souvent l'espérance elle-même ? Une vapeur nuageuse ornée des couleurs de l'arc-en-ciel, belle à contempler,-à suivre toutes voiles dehors, et se balançant au-dessus des chutes du Niagara ? En ce cas, la triomphante analyse a une rude besogne.

Hélas, oui ! tout un monde à refaire, si elle pouvait le voir ; travail qui sera fait par un autre qu'elle. Car tout est de travers, hors des joints, le spirituel intérieur, et l'économie extérieure ; tête et cœur ; rien n'est sain. Et en effet, les maux de toute sorte ont plus ou moins de parenté, et vont habituellement ensemble. C'est une vieille vérité que partout où il y a un immense mal physique, il a eu pour source et origine un mal moral d'une étendue proportionnelle. Avant, par exemple, que ces vingt-cinq millions de travailleurs aient revêtu ce masque de figures hâves que signale le vieux Mirabeau, chez une nation qui s'appelle chrétienne, et qui appelle l'homme le frère de l'homme, quelle inénarrable, quelle infime immoralité — à la surface sinon au fond — n'a-t-il pas dû y avoir, s'accumulant pendant de longs siècles, chez les régisseurs de toute sorte, guides établis, spirituels et temporels 1 Elle s'accumulera : de plus, elle atteindra une tête ; car le premier de tous les évangiles est celui-ci : Un mensonge ne peut toujours durer.

Au fait, à travers cette vapeur rosée de sentimentalisme, de philanthropie, de fête des mœurs, se rencontre en arrière le plus triste des spectacles. On peut se demander où se trouve ici quelque force dans les attaches sociales, dans les liens qui maintiennent une association humaine. Voici un peuple sans croyances qui vit de suppositions, d'hypothèses, de systèmes frivoles sur la triomphante analyse et pour toute croyance ceci : le plaisir doit plaire. Il a faim de toutes bonnes choses, et la loi de la faim ; mais quelle autre loi ? En lui, au-dessus de lui, aucune !

Le roi est devenu un roi de carton avec son gouvernement Maurepas, tournant avec la girouette au souffle de tout vent. Au-dessus d'eux, ils ne voient aucun Dieu, ou plutôt ils ne regardent pas au-dessus d'eux, excepté dans des verres astronomiques. L'Église, il est vrai, subsiste encore, mais à l'état d'humble soumission, vaincue par le philanthropisme ; et en bien peu de temps, car l'heure était venue. Il y a quelque vingt ans, votre archevêque Beaumont ne permettait pas même qu'on enterrât les pauvres jansénistes ; votre Loménie de Brienne (homme nouveau que nous aurons occasion de revoir) pouvait, au nom du clergé, insister sur la mise à exécution des lois antiprotestantes, qui condamnaient à mort pour le fait de prêcher[6]. Et aujourd'hui, hélas ! on ne pourrait pas brûler même l'athéisme du baron d'Holbach, excepté en guise d'allumettes, par quelque particulier, pour allumer sa pipe. Notre Église se tient enchaînée, muette comme un bœuf muet, beuglant seulement pour sa provende (de dîmes), contente si elle obtient cela, ou attendant, dans une morne stupeur, sa future destinée. Et à côté, les vingt millions de figures hâves, ayant pour poteau indicateur et pour règle de conduite dans leur sombre lutte, un gibet haut de quarante pieds. Singulier âge d'or assurément ! avec ses fêtes de mœurs, ses charmantes manières, ses institutions douces ne présageant rien que la paix parmi les hommes ! La paix ! 0 sentimentalisme philosophique, qu'as-tu à faire avec la paix quand ta mère se nomme Jézabel ? Produit sordide d'une corruption plus sordide, te voilà désormais voué à la corruption !

Cependant il est étrange de voir combien de temps ce qui est pourri peut se maintenir, pourvu qu'on ait soin de ne pas le manier trop rudement. Pendant des générations entières, cette chose reste debout avec un pâle semblant de vie, alors que toute vie et toute vérité l'ont abandonnée ; tant les hommes sont lents à sortir des vieux sentiers, à tenter les nouveautés en triomphant de l'indolence et de l'inertie. Sans doute l'actuel est grand ; c'est la chose qui s'est dégagée des profondeurs infinies de la théorie et de la possibilité, et qui se présente comme un fait incontestable et défini, en vertu duquel les hommes travaillent et vivent, ou du moins ont travaillé et vécu. A bon droit les hommes s'y cramponnent tant que le fait peut les soutenir, ou le quittent avec regret quand il plie sous eux. Arrière ! téméraire ami du changement, as-tu bien considéré tout ce que fait l'habitude dans cette vie que nous menons ; combien toute connaissance et toute pratique se balancent miraculeusement au-dessus des abîmes infinis de l'inconnu et de l'impraticable, et que tout notre être n'est qu'un abîme infini, laborieusement assemblé, sous la voûte de l'habitude, comme sous une mince croûte superficielle de terre ?

Mais si tout homme, comme il a été écrit, renferme en lui-même un fou, qu'en doit-il être pour toute société ? La société qui, dans son état le plus ordinaire, est appelée le miracle permanent de ce monde.

Sans cette habitude, croûte superficielle, continue notre auteur — appelez-la un système d'habitudes, en un mot une manière fixe d'agir et de croire —, la société ne pourrait exister. Avec, elle existe, plus ou moins bien. Et dans ce système d'habitudes, acquises ou maintenues, comme vous voudrez, se trouve le vrai code, la vraie constitution d'une société, le seul code, quoique non écrit, auquel elle ne peut désobéir. La chose que nous appelons code écrit, constitution, forme de gouvernement, et ainsi de suite, est une miniature, un sommaire solennellement rédigé de ce code non écrit. Est, ou plutôt, hélas ! n'est pas, mais devrait l'être et tend toujours à l'être, et c'est de cette dernière tendance que naissent les luttes sans fin.

Et maintenant, nous ajouterons dans le même langage : supposez que par malheur, dans cette lutte perpétuelle, votre croûte superficielle vienne à se rompre ! Les fontaines du grand abîme jailliront, fontaines de feu, dévorantes, absorbantes. Votre croûte superficielle est morcelée, engloutie ; au lieu d'un monde vert et florissant, il y a un vaste et stérile chaos, qui aura encore, dans le tumulte, à se refaire en monde.

D'un autre côté, fais-moi cette concession : partout où tu rencontreras un mensonge qui t'oppresse, étouffe-le. Les mensonges ne sont là que pour être étouffés ; ils appellent eux-mêmes sérieusement, ils attendent l'étouffement. Mais considère bien dans quel esprit tu vas le faire : non avec haine, non avec une violence égoïste et précipitée, mais avec le calme au cœur, avec un zèle pieux, doucement, presque avec pitié. Tu ne voudrais pas, sans doute, remplacer le mensonge étouffé par un nouveau mensonge, qui te conduirait à une nouvelle injustice de toi, mère de beaucoup d'autres mensonges ? Car, de cette manière, la fin de la besogne serait pire que le commencement.

C'est ainsi cependant que, dans ce monde à nous, qui a en même temps une indestructible espérance dans l'avenir et une indestructible tendance à maintenir le passé, l'innovation et la conservation se livrent, comme elles peuvent, leur perpétuelle bataille. Par là l'élément démoniaque, qui est aux aguets sur toute chose humaine, peut sans doute, une fois en mille ans, se donner carrière ! Mais en vérité, ne devons-nous pas regretter qu'une telle lutte soit habituellement si spasmodique ? Ne ressemble-t-elle pas, après tout, à cette lutte classique des haineuses Amazones contre d'héroïques jeunes hommes, et ne finira-t-elle pas par des embrassements ? Car la conservation fortifiée par cette puissante chose en nous, l'indolence, reste assise pendant de longs siècles, non-seulement victorieuse, ce qui doit être, mais tyrannique et repoussant toute communication. Elle tient son adversaire comme annihilé, couché sous ses pieds comme un Encelade enseveli ; lequel pour obtenir la moindre liberté doit avec ses Etnas soulever toute la Trinacrie.

C'est pourquoi, en somme, nous honorerons aussi l'âge de papier et d'espérance ! Car dans cette terrible marche d'une révolte d'Encelade, quand la tâche qu'aucun mortel n'aborde volontairement est devenue impérative, inévitable, n'est-ce pas par un bienfait de la nature qu'elle nous y invite par de charmantes promesses, trompeuses ou non, et que toute une génération plonge dans les obscurités de l'Érèbe, éclairées par une ère d'espérance ? Avec vérité on a dit : L'homme a pour base l'espérance ; il n'a réellement d'autre possession que l'espérance ; son habitation à lui se nomme le séjour de l'espérance.

 

IV. — MAUREPAS.

 

Et maintenant, parmi les espérances françaises, une des mieux fondées n'est-ce pas celle du vieux Maurepas qui espère que lui, par sa dextérité, parviendra à rester ministre ? Vieillard agile, qui pour toutes difficultés a son bon mot, et, dans les plus sombres tempêtes, saura émerger et surnager comme un bouchon ! Pour lui peu importe la perfectibilité, le progrès de l'espèce, le retour d'Astrée : il lui suffit qu'un homme d'esprit, léger, touchant à quatre-vingts ans, puisse, au siège de l'autorité, se sentir important parmi les hommes. L'appellerons-nous, comme l'arrogant Châteauroux, M. Faquinet ? En dialecte de courtisan, ils l'ont nommé aujourd'hui le Nestor de la France ; c'est par un tel Nestor que la France est gouvernée.

Au fond cependant, il serait embarrassant de dire où, dans ces jours, se trouve spécialement le gouvernement de la France. Dans ce château de Versailles nous avons Nestor, le roi, la reine, des ministres et des commis, avec un monceau de paperasses bien ficelées ; mais le gouvernement ? car le gouvernement est une chose qui gouverne, qui dirige, sinon qui contraint. Aucune chose de la sorte n'est visible en France. Invisible, inorganique, elle existe cependant : dans les salons philosophiques, dans les galeries de l'Œil-de-Bœuf, dans la langue des discoureurs, dans la plume des pamphlétaires. Sa Majesté paraissant à l'Opéra est applaudie ; elle se retire avec des rayonnements de joie. Avec le temps, les applaudissements deviennent plus faibles ; elle a le cœur contristé, et les épanouissements de sa figure disparaissent. La souveraineté ne serait-elle qu'une pauvre montgolfière, qui par le souffle du vent populaire s'agrandit et monte, et si le souffle se retire, devient flasque et aplatie ? La France a été longtemps un despotisme tempéré par des épigrammes, et maintenant, ce semble, les épigrammes ont pris le dessus.

Le jeune Louis le Désiré serait heureux de rendre la France heureuse, si ce n'était pas si difficile, si seulement il savait s'y prendre. Mais il y a autour de lui des discordances sans fin. Ce ne sont que réclamations et clameurs ; une véritable confusion des langues. Nullement conciliable par l'homme, nullement gouvernable ou suppressible, si ce n'est par le plus fort et le plus sage des hommes, et l'on n'a que l'homme aux légers propos, l'homme à la girouette, M. de Maurepas, dont la suprême habileté est de se tenir debout dans ce milieu. La philosophie réclame sa nouvelle ère, ce qui veut dire une infinité de choses, et la réclame d'une voix sonore, car la France entière, jusque là muette, commence maintenant à parler à son tour, et parle dans le même sens. Voix immense sur une infinité de tons, distante encore, mais faisant son effet. D'un autre côté, l'Œil-de-Bœuf qui, étant plus près, peut être mieux entendu, demande avec une véhémence criarde que la monarchie soit, comme devant, une corne d'abondance d'où les fidèles courtisans puissent à loisir puiser, pour le soutien du trône. Que la nouvelle ère et le libéralisme soient introduits, puisque tel est leur désir ; seulement pas de diminution des monnaies royales ! Dernière condition, hélas, qui est précisément impossible.

Le philosophisme, nous l'avons vu, a son Turgot nommé contrôleur général, et il y aura des réformes sans fin. Malheureusement, ce Turgot n'a pu durer que vingt mois. Avec une miraculeuse bourse de Fortunatus dans son trésor, il aurait pu rester plus longtemps ; et au fait, tout contrôleur général de France qui voudrait réussir en ces jours, devrait commencer par être muni de cette bourse. Mais ici encore nous devons signaler la bienveillance de la nature en fait d'espérance. L'un après l'autre, chacun s'avance confiant vers les étables d'Augias, persuadé que c'est à lui de les nettoyer, y consomme sa petite fraction d'habileté avec une juvénile ardeur, et réussit à faire quelque chose par cela seul qu'il s'est montré honnête. Turgot a de grandes qualités : l'intégrité, la prévoyance, une volonté héroïque, mais il n'a pas la bourse de Fortunatus. 0 contrôleur général enthousiaste ! toute une révolution pacifique peut être formulée dans la tête du penseur ; mais qui payerait les innombrables indemnités qui seront requises ? Hélas ! tout cela est bien loin. Sur le seuil même de l'entreprise, il propose que le clergé, la noblesse, les parlements eux-mêmes soient assujettis à l'impôt comme le peuple ! Un cri unanime d'indignation et d'étonnement retentit à travers les galeries du château ; M. de Maurepas tourne sur sa girouette : le pauvre roi, qui avait écrit peu de semaines auparavant : Il n'y a que vous et moi qui aimions le peuple, doit maintenant écrire pour le congédier[7] et laisser la révolution française s'accomplir toute seule, pacifiquement ou non, comme elle le peut.

L'espérance donc est ajournée. Ajournée, non détruite, ni affaiblie. N'avons-nous pas ici, par exemple, notre patriarche Voltaire qui revient à Paris, après de longues années d'absence ? Avec sa figure ridée, réduite à rien, sa volumineuse perruque à la Louis XIV, ne laissant apercevoir que deux yeux brillants comme des charbons, le vieillard est ici[8]. Quel éclat d'enthousiasme ! Le sceptique Paris a soudainement tourné à la vénération, est devenu dévot dans le culte d'un héros. Des nobles se sont déguisés en garçons d'auberge pour arriver à le voir ; les plus aimables beautés de France déposeraient volontiers leur chevelure sous ses pieds. Son char est le noyau d'une comète, dont la queue emplit les rues. Au théâtre, il est couronné de vivats immortels ; enfin il est étouffé sous les roses ; car le vieux Richelieu lui a recommandé l'opium pour calmer ses nerfs, et le patriarche, toujours excessif, en a pris trop. Sa Majesté elle-même a eu la pensée de l'envoyer chercher, mais elle en a été dissuadée. Que toute majesté cependant y songe : l'existence de cet homme a eu pour mission de flétrir et d'annihiler tout ce qui fait la base d'une majesté et d'un culte, et c'est sous ce point de vue que la foule l'accueille, avec l'apothéose, comme son prophète et son interprète, qui a dit avec sagesse ce qu'elle aspirait à dire. Ajoutez seulement que le corps de ce patriarche béatifié, étouffé sous les roses ne peut être enseveli qu'à la dérobée. Cela forme au total une remarquable besogne, et la France, sans doute, est grosse de bonnes espérances — comme disent les Allemands — : nous lui souhaiterons donc un heureux accouchement et une belle progéniture.

Beaumarchais aussi a rédigé ses Mémoires[9], non sans fruit, pour lui-même ou pour le monde. Caron Beaumarchais — ou de Beaumarchais, car il a été anobli — était né pauvre, besogneux, mais ambitieux, avec du talent, de l'audace, de l'adresse ; figure maigre mais énergique, indomptable. La fortune et sa dextérité le conduisirent auprès du clavecin de Mesdames, nos bonnes princesses Loque et Graille. Mieux encore : le banquier de la cour Paris-Duvernier, l'honore de quelque confiance, même jusqu'à le mêler à des affaires d'argent. Mais la confiance ne lui fut pas continuée par l'héritier de Duvernier, un homme de qualité. Bien au contraire, il en surgit un procès dans lequel l'énergique Beaumarchais, perdant à la fois argent et réputation, est misérablement battu dans l'opinion du juge rapporteur Goëzman, du parlement Maupeou, et dans celle de tout le monde des indifférents. Seulement pas dans la sienne. Inspiré par l'indignation qui fait, sinon des vers au moins des mémoires satiriques, le maître de musique meurtri, avec un héroïque désespoir, relève sa cause perdue en dépit du monde, combat pour elle contre les rapporteurs, les parlements et les principautés, avec de fines railleries, avec une solide logique ; plein d'adresse, de ressources et d'inépuisable vigueur, le plus habile des escrimeurs, et par suite de cette habileté, tout le monde a les yeux sur lui. Trois longues années se passent avec des alternatives de fortune. Enfin, après des travaux comparables à ceux d'Hercule, notre indomptable Caron triomphe, regagne son procès et ses procès, dépouille le rapporteur Goëzman de son hermine, lui jetant en retour un manteau de perpétuel ridicule ; et à l'égard du parlement Maupeou (qu'il a aidé à renverser), à l'égard des parlements de toute espèce et de la justice française en général, il fait naître dans l'esprit des hommes d'interminables réflexions. C'est ainsi que Beaumarchais, comme un maigre hercule français, s'est aventuré, poussé par la destinée vers les régions d'en bas, et y a victorieusement apprivoisé les chiens d'enfer. Le voilà désormais parmi les notabilités de sa génération.

 

V. — RETOUR D'ASTRÉE SANS ARGENT.

 

Regardez cependant au delà de l'Atlantique : n'est-ce pas la véritable aurore des jours nouveaux ? La démocratie, comme nous disions, est née ; bouclant sa ceinture de tempêtes, elle lutte pour la vie et la victoire. Une France sympathique applaudit aux droits de l'homme ; dans tous les salons il est dit : quel spectacle ! Et maintenant aussi contemplez notre Deane, notre Franklin, des plénipotentiaires américains, sollicitant ici en personne[10] ; les fils des puritains Saxons, avec leur vieux tempérament saxon, leur vieille culture hébraïque, le pieux Silas, le pieux Benjamin, accomplissant une telle mission au milieu des enfants frivoles du paganisme, de la monarchie, du sentimentalisme et de la femme folle : grand spectacle en vérité ! sur lequel les salons peuvent faire de joyeux bavardages ; quoique le Kaizer Joseph, interrogé à ce sujet, fît cette réponse bien inattendue chez un philosophe : Madame, mon métier, à moi, c'est d'être royaliste.

Ainsi pense également le frivole Maurepas ; mais le vent du philosophisme et la force de l'opinion publique, font tourner la girouette. En attendant, on envoie des souhaits fraternels ; des particuliers arment clandestinement en course. Paul Jones équipe le Bonhomme Richard ; des armes, des munitions de guerre peuvent passer en contrebande — si les Anglais ne les saisissent pas — ; et mêlé à ce commerce, Beaumarchais, dans un horizon obscur comme le géant contrebandier, devient encore visible et emplit ses maigres poches. Mais assurément, dans tous les cas, la France doit avoir une marine. Et pour ce grand objet le moment n'est-il pas favorable, maintenant que la grande querelleuse des mers a les mains embarrassées ? Il est vrai qu'un trésor appauvri ne peut construire des vaisseaux ; mais par une habile insinuation — et Beaumarchais dit que c'est lui qui s'en chargea — un ou deux ports fidèles et des chambres de commerce les construiront et en feront offre : de beaux vaisseaux faits pour bondir sur l'onde, une Ville de Paris, Léviathan des navires.

Et maintenant que des trois ponts gratuits se balancent à l'ancre avec leurs flammes voltigeantes, et que le philosophisme éleuthéromaniaque devient de plus en plus bruyant : que peut faire un Maurepas ? sinon de tourner au vent. Des escadres traversent l'Océan : les Gates, les Lee, rudes généraux yankees, avec leurs bonnets de laine sous le chapeau, présentent les armes à la brillante chevalerie de France ; et la naissante démocratie voit, non sans étonnement, le despotisme tempéré par les épigramme, combattre à ses côtés. Il en va cependant ainsi. Les forces du roi et d'héroïques volontaires : les Rochambeau, les Bouillé, les Lameth, les Lafayette ont tiré l'épée dans cette sainte querelle de l'humanité, et la tireront encore ailleurs d'une étrange manière.

Du côté d'Ouessant retentit le tonnerre naval, au bruit duquel le duc de Chartres s'est-il réellement caché à fond le cale ou a-t-il, par un héroïsme actif, contribué matériellement à la victoire ? Hélas ! par une seconde édition nous apprenons qu'il n'y a pas eu de victoire, ou qu'elle appartient à l'Anglais Keppel[11]. Notre pauvre jeune prince voit ses applaudissements à l'Opéra changés en ricanements moqueurs, et ne pourra devenir grand amiral ; source pour lui de malheurs, que l'on peut appeler sans terme.

Malheur aussi à la Ville de Paris, le Léviathan des navires ! L'Anglais Rodney l'a pris au grappin et l'a ramené chez lui avec le reste, tant il a réussi avec sa nouvelle manœuvre de rompre la ligne de l'ennemi[12]. Il semble que, suivant les mots de Louis XV, la France est destinée à n'avoir pas de marine. Le brave Suffren doit revenir de chez Hyder-Aly et des eaux indiennes, sans grand résultat, mais avec la grande gloire de six non-défaites ; ce qui, après tout, de la manière dont il tait secondé, peut être considéré comme héroïque. Que le vieux héros de mer prenne donc son repos, honoré de .a France, dans ses montagnes natales des Cévennes et fasse sortir la fumée, non du canon, mais de la cuisine des vieilles cheminées du château de Jalès, qui un jour, en Vautres mains, aura une autre renommée. Le brave Lapeyrouse va bientôt lever l'ancre pour entreprendre un philanthropique voyage de découvertes, car le roi sait la géographie[13]. Mais, hélas ! cela encore doit échouer ; le brave navigateur part et ne revient pas ; en vain les explorateurs vont à sa recherche dans des mers lointaines. Il a disparu sans laisser de traces dans l'immensité bleue, et il ne reste plus de lui qu'une ombre triste et mystérieuse qui plane dans les têtes et les cœurs.

Il ne faut pas non plus, tant que la guerre existe, compter sur la prise de Gibraltar, bien que se trouvent là Grillon, Nassau-Siegen avec les plus habiles ingénieurs, et le prince de Condé et le comte d'Artois qui accourent en aide. De merveilleuses batteries flottantes, pontées en cuir, mises à flot par le pacte de famille franco-espagnol, envoient de vigoureuses sommations auxquelles néanmoins Gibraltar fait des réponses plutoniques avec des torrents de fer rougi, comme si le rocher de Calpé était devenu un cratère de volcan, articulant un non aussi formidable que la trompette du jugement dernier.

Et puis, après cette immense explosion, le bruit de guerre a cessé ; un âge de bienveillance peut espérer à jamais. Nos nobles volontaires de la liberté sont revenus pour être ses missionnaires. Lafayette, comme le sans-pareil du jour, brille à l'Œil-de-Bœuf de Versailles ; son buste est installé à l'hôtel de ville de Paris. La démocratie demeure inexpugnable, incommensurable dans son nouveau monde ; elle a même un pied avancé vers le vieil hémisphère, et nos finances françaises, peu fortifiées par cette besogne, ne sont pas dans une belle passe.

Que faire pour les finances ! C'est là, en vérité, une grosse question. Petit mais bien noir symptôme à l'horizon, qu'aucun rayon d'universelle espérance ne peut dissimuler. Nous avons vu Turgot renvoyé avec clameur du contrôle général, faute de la bourse de Fortunatus. M. de Clugny n'a pas mieux réussi à conduire l'affaire, ni même à rien faire, excepté à manger ses appointements sans même atteindre une place dans l'histoire, où il ne fait que passer comme une ombre inutile, laissant les affaires s'arranger d'elles-mêmes. Enfin est-ce le Genevois Necker qui est en possession de la bourse ? Il est en possession d'une habileté de banquier, d'une honnêteté de banquier, d'un crédit de plus d'un genre ; car il a écrit des essais pour les concours académiques, lutte pour les compagnies indiennes, donné à dîner aux philosophes et réalisé en vingt ans une grosse fortune. Il est de plus en possession d'une taciturne solennité : profondeur ou engourdissement. Quel singulier destin pour le Céladon Gibbon, infidèle berger comme il l'avait été, dont le père, qui roulait cabriolet, n'avait pas voulu entendre parler d'une telle union, de voir maintenant sa trahie demoiselle Curchod assise dans les hautes sommités du monde, comme femme de ministre, et Necker nullement jaloux[14].

Une nouvelle jeune demoiselle, devant un jour être célèbre sous le nom de Madame de Staël, folâtre aujourd'hui sur les genoux de l'auteur de Déclin et chute. Madame Necker fonde des hôpitaux, donne de solennels dîners philosophiques pour ranimer son contrôleur général épuisé. D'étranges choses sont survenues : par la clameur du philosophisme, la direction du marquis de Pesay et la pauvreté s'attaquant même aux rois. Et de la sorte Necker, comme Atlas, soutient le poids des finances, pendant une durée de cinq années[15], sans appointements, car il n'en a pas voulu, soutenu seulement par l'opinion publique et l'aide de sa noble femme. Sans doute, il y a en lui de grandes pensées, on l'espère ; mais sa timidité l'empêche de les mettre au jour. Son compte rendu, publié par permission royale, signe nouveau d'une nouvelle ère, promet des merveilles ; mais il ne faut pas moins que le génie d'un Atlas-Necker pour empêcher que ces merveilles ne se convertissent en catastrophes. Il y a aussi dans cette tête de Necker toute une révolution française pacifique, d'un genre à lui, et dans cette taciturnité de profondeur engourdie ou d'engourdissement profond, pas mal d'ambition.

En attendant, hélas ! sa bourse de Fortunatus ne se trouve être autre chose que le vieux vectigal de parcimonie. Bien mieux, lui aussi a produit son projet d'impôt. Impôt sur le clergé, la noblesse, les assemblées provinciales et le reste comme un vrai Turgot ! Une fois de plus, M. de Maurepas expirant doit tourner sur sa girouette. Que Necker aussi s'en aille, non sans laisser des regrets.

Devenu grand dans une situation privée, Necker regarde à distance, attendant son moment. Quatre-vingt mille exemplaires de son nouvel écrit, intitulé Administration des finances, seront vendus en quelques jours. Il est parti, mais il reviendra, et plus d'une fois, porté par toute une nation acclamant. Singulier contrôleur général des finances, autrefois commis dans la banque de Thélusson !

 

VI. — BULLES DE SAVON.

 

Ainsi marche le monde dans cet âge de papier ou ère d'espérance. Non sans obstacles ou explosions de guerre, lesquelles cependant entendues à distance, ne font guère d'autre effet qu'une joyeuse marche de musique militaire. Pourvu toutefois que ce sombre chaos vivant d'ignorance et de misère qui est sous vos pieds, avec une force de vingt cinq millions d'âmes, ne commence pas aussi sa sérénade !

Pour le moment, néanmoins, tournez vos yeux vers Longchamp, au moment où finit le carême, et que la gloire de Paris et de la France se déploie, selon la coutume annuelle, non pour assister aux messes de ténèbres, mais pour se montrer au soleil et saluer le jeune printemps[16] ; foule multiple aux mille teintes, aux reluisantes dorures, tout à travers le bois de Boulogne, en longues rangées multicolores, comme de longues allées de fleurs vivantes, tulipes, dahlias, lis de la vallée, toutes dans leurs mobiles pots à fleurs, carrosses dorés à neuf : charme des yeux, orgueil de la vie. Ainsi roule et danse la procession, calme et avec une ferme assurance, comme si elle roulait sur le diamant, sur les fondations du monde, et non sur un simple parchemin héraldique, au-dessous duquel bouillonne un lac de feu. Continuez donc votre danse, insensés que vous êtes ; vous n'avez pas cherché la sagesse, et certes vous ne l'avez pas trouvée. Vous et vos pères, vous avez semé les vents, vous récolterez l'ouragan. N'a-t-il pas été depuis longtemps écrit : Le salaire du péché est la mort ?

Mais à Longchamp comme ailleurs, nous remarquons entre autres choses, que dames et cavaliers ont à leur service une espèce de familier humain, nommé jockey : nabot ou diablotin, quoique jeune, déjà flétri, avec son air flétri de vice prématuré, de malice, de complète diablerie ; utile en bien des services. Son nom jockey vient de l'anglais, comme le petit monstre lui-même croit en venir. Notre anglomanie, en effet, est devenue considérable, présage de beaucoup de choses. Si la France doit être libre, pourquoi ne pourrait-elle pas, maintenant qu'une folle guerre a cessé, aimer une liberté voisine ? Des esprits cultivés comme votre duc de la Rochefoucauld-Liancourt admirent la constitution anglaise, le caractère national anglais, voudraient en importer ce qu'ils pourraient en prendre.

De choses plus légères, surtout si elles sont légères comme le vent, combien l'inspiration est plus facile ! Le non-amiral duc de Chartres — qui n'est pas encore Orléans ou Égalité — va et vient à travers le détroit, important des modes anglaises ; et certes il en a le droit, lui, le compagnon et l'intime du prince de Galles : voitures et selles, bottes à revers et redingotes, car maintenant aucun homme de son âge ne se permettrait de trotter autrement qu'à l'anglaise, se soulevant sur l'étrier, et dédaigneux de la vieille méthode bien assise avec laquelle, suivant Shakespeare, on conduisait au marché le beurre et les œufs. En outre il peut se vanter de la rapidité de ses roues, notre brave Chartres ; aucun fouet dans Paris n'est plus aventureux ni plus sûr que celui de Monseigneur.

Nous avons déjà vu des jockeys-nains, mais maintenant se voient de vrais jockeys du Yorkskire, entraînant des montures exotiques : coursiers anglais pour des courses françaises. C'est à Monseigneur aussi — avec l'aide de la providence du diable — que nous devons ces choses. Le comte d'Artois de même a son écurie de course. Le comte d'Artois de plus a un étrange vétérinaire, un individu lunatique, dur à cuire, de Neufchâtel en Suisse, nommé Jean Paul Marat. Un chevalier d'Eon problématique, tantôt en jupes, tantôt en culottes, est non moins problématique à Londres qu'à Paris, et engendre des paris et des procès. Beaux jours de communauté internationale !

 

Fripons et chevaliers d'industrie se donnent la main à travers le détroit, se saluant mutuellement. Aux champs de course de Vincennes et des Sablons, voyez en carrosse anglais, à quatre chevaux, glorieusement transporté au milieu des principautés et des racaillités, un Anglais, le docteur Dodd[17], qu'attendent aussi de trop précoces galères.

Le duc de Chartres était un jeune prince de grandes promesses comme le sont souvent les jeunes princes ; lesquelles malheureusement ne furent que des mensonges. Avec l'immense propriété des d'Orléans, avec le duc de Penthièvre pour beau-père — et maintenant le jeune beau-frère Lamballe tué par les excès —, il sera un jour l'homme le plus riche de France. En attendant, il perd tous ses cheveux, son sang est entièrement vicié par les abus prématurés d'une débauche transcendante. Des pustules bourgeonnent sur sa face : sombres bourgeons sur un fonds de cuivre bruni. Une chute signalée que ce jeune prince Toute étoffe prématurément consumée en lui, ne laissant que noires fumées et cendres de sensualités expirantes. Que peuvent devenir la pensée, la prévoyance ou même la conduite, entraînées ou entraînant avec rapidité vers de confuses obscurités, interrompues par de vertigineux éblouissements, vers de turbulentes fantaisies, vers des activités délirantes ou galvaniques ! Paris affecte de rire à ses manies de chariots ; mais il ne prend pas garde au rire.

D'un autre côté, quel jour, nullement de rire, que celui où il menaça, pour l'amour du lucre, de porter une main sacrilège survies jardins du Palais-Royal[18]. Les parterres de fleurs seront soulevés ; les allées de marronniers tomberont avec les bocages consacrés par le temps, sous lesquels avaient coutume d'errer les hamadryades d'opéra, nullement inexorables à l'homme. Paris gémit hautement. Philidor, de son café de la régence, ne contemple plus la verdure où maintenant se prélasseront les oisifs et les enfants perdus du monde 1 Mais inutiles sont les gémissements. La hache brille ; les bosquets sacrés tombent avec bruit. Car en vérité, Monseigneur était à court d'argent. Les hamadryades d'opéra s'enfuient en criant. Ne criez pas, ô ; hamadryades, comme ceux qui n'ont aucune consolation. Il entourera votre jardin de nouveaux édifices, de nouvelles places ; quoique rétréci, il sera replanté, orné de jets hydrauliques, d'un canon que le soleil fait partir à midi, de choses corporelles, de choses spirituelles' telles que l'homme n'en a pas imaginées ; et le Palais-Royal deviendra encore et plus que jamais, le domicile des magiciennes et des satans de notre planète.

Que ne tenteront pas les mortels ? Du lointain Annonay en Vivarais, les frères Montgolfier lancent aux cieux leur dôme de papier, rempli d'une fumée de laine brûlée[19]. L'assemblée provinciale du Vivarais est prorogée le même jour : les membres de l'assemblée du Vivarais applaudissent : clameurs solennelles d'hommes réunis. Est-ce que la triomphante analyse voudrait donc escalader le ciel ?

Paris l'apprend avec de vifs étonnements ; Paris avant peu le verra. De la manufacture de papier de Réveillon, là, rue Saint-Antoine — manufacture célèbre —, le nouveau navire aérien de Montgolfier s'élève. D'abord des canards et des poules furent dirigés vers le ciel ; maintenant des hommes osent y monter[20]. Bientôt le chimiste Charles fait application de l'hydrogène et de la soie gommée. Le chimiste Charles montera lui-même du jardin des Tuileries, Montgolfier coupant solennellement la corde. Par le ciel, Charles monte, lui et un autre ! Dix fois dix mille cœurs sont là palpitants ; toutes les langues sont muettes d'étonnement et de frayeur, jusqu'à ce qu'un cri immense comme la voix des mers, le salue et le suit dans sa route aventureuse. Il plane, il monte jusqu'à ce qu'il devienne un petit cercle imperceptible comme la tabatière qu'on appelle turgotine, comme quelque nouvelle lune de jour ! Enfin il descend, accueilli par l'univers. La duchesse de Polignac, avec sa société, est dans le bois de Boulogne, attendant ; quoique ce soit un rude hiver : le 1er décembre 1783. Toute la chevalerie de France, le duc de Chartres en tête, galope au-devant de lui[21].

Superbe invention ! montant vers le ciel superbement, sans guide ! Emblème de beaucoup de choses et même de notre âge d'espérance qui montera, avec sa légèreté spécifique, majestueusement de la même manière, et se balancera dans les airs pour tomber où le décide la destinée. Heureux si, comme Pilâtre, il ne fait pas explosion pour descendre d'une façon tragique ! C'est ainsi que, portés sur des bulles de savon, les hommes escaladent l'Empyrée.

Ou bien contemplez Herr docteur Mesmer dans ses spacieuses salles magnétiques. Il s'avance revêtu de l'étole, solennel, les regards au ciel, comme dans un commerce divin ; hiérophante de l'antique Égypte, dans cet âge nouveau. Une douce musique murmure, interrompant à peine le silence sacré autour de leur mystère magnétique, qui ne représente aux yeux que des baquets remplis d'eau : là s'asseoient silencieux la baguette en main, des cercles de beauté et de mode, chaque cercle une fleur de passion vivante et circulaire, attendant les effluves magnétiques et un ciel nouvellement manufacturé sur terre. Ô femmes, ô hommes, grande est votre foi infidèle ! Un parlementaire Duport, un Bergasse, un d'Esprémesnil sont là, le chimiste Berthollet aussi, de la part de Monseigneur de Chartres.

Si l'Académie des sciences, avec ses Bailly, ses Franklin, ses Lavoisier, n'était pas intervenue — mais elle intervient[22] —, Mesmer aurait pu empocher de bonnes sommes et se retirer. Qu'il se promène donc en silence sur les rives du Bodonsee, près de l'ancienne ville de Constance, méditant sur bien des choses. Car voici que sous les plus étranges appareils de nouveautés, la bonne vieille vérité — qu'aucun appareil ne peut cacher — commence encore à se révéler. A savoir que l'homme est ce que nous appelons une miraculeuse créature, avec des pouvoirs miraculeux sur d'autres hommes ; et en somme, avec une certaine vie en lui et un certain monde autour de lui, que la triomphante analyse avec ses physiologies, ses systèmes nerveux, sa physique et sa métaphysique, ne pourra jamais complètement définir, encore moins expliquer. Voilà pourquoi le charlatanisme y aura, dans tous les siècles, sa bonne part.

 

VII. — LE CONTRAT SOCIAL.

 

C'est dans cette succession de singulières teintes prismatiques, chaque couleur à son tour éclairant l'horizon, que l'ère de l'espérance s'avance vers son accomplissement. Mais c'est là qu'est le problème. Car avec une ère d'espérance qui repose sur l'universelle bienveillance, la triomphante analyse et le vice guéri de ses difformités, il y a dans le fond du tableau vingt-cinq millions de noirs sauvages qui contemplent, dans la faim et l'épuisement, leur ecce signum haut de quarante pieds. Comment n'y aurait-il pas problème ?

De tout temps, si nos leçons sont vraies, le péché fut, est, sera le générateur de la misère : cette terre s'appelle très-chrétienne ; elle a des croix et des cathédrales, mais son grand prêtre est quelque Roche-Aymon, quelque Louis de Rohan, cardinal au collier. La voix du pauvre, durant de longues années, monte inarticulée en jacqueries, en émeutes, à propos de farine : échos plaintifs d'un immense gémissement. La terre y est sourde. Le ciel n'y est pas sourd. Toujours d'ailleurs, quand les millions sont misérables, il y a des milliers dans le malaise, dans l'infortune ; les unités seules peuvent prospérer, disons plutôt être les dernières ruinées. L'industrie, muselée et étranglée, comme si elle était aussi quelque gibier de chasse, fournissant des jeux et des morceaux aux puissants chasseurs de ce monde, l'industrie s'en va criant à ses protecteurs et à ses guides bien payés : Laissez faire ; ne me protégez pas ; je n'ai que faire de vos surveillances. Dans cette France, quel marché s'ouvre à l'industrie ? Pour deux choses il y a offre et demande : pour les produits courants de la culture agricole, car il faut que les millions vivent ; pour les produits raffinés du luxe et des goûts relevés, variés et multiformes, depuis les mélodies d'opéra jusqu'aux chevaux de course et aux courtisanes : car il faut que les unités s'amusent. C'est au fond un état de choses étrange, insensé.

Pour raccommoder et refaire le tout, nous avons, il est vrai, la triomphante analyse. Honneur à la triomphante analyse ! Toutefois, en dehors de la boutique et du laboratoire, quelle chose a produite la triomphante analyse ?

La découverte des incohérences et la destruction de l'incohérent. De tout temps, le doute n'a été qu'un demi-magicien ; il évoque des spectres qu'il ne peut conjurer. Nous avons des abîmes interminables de logique vaporeuse, où tourbillonnent et s'engloutissent des mots et puis des choses. Regarde au fond : ce que l'on prend pour le fondement de l'espérance, n'est réellement que la présence du désespoir, avec les éternelles théories sur l'homme, l'esprit de l'homme, les progrès de l'homme, la philosophie du gouvernement et ainsi de suite. Le temps et les Montesquieu, les Mably, avocats du temps, ont découvert d'innombrables choses ; et maintenant, Jean-Jacques n'a-t-il pas promulgué son nouvel évangile d'un Contrat social, expliquant tous les mystères du gouvernement, et comment il est contracté et marchandé, à la satisfaction générale ? Théories du gouvernement ! C'est ce qui s'est toujours vu et se verra toujours dans les âges le décadence. Appréciez-les à leur valeur ; comme des procédés de la nature, qui ne fait rien en vain ; comme des pas dans ses grands procédés. Mais quelle théorie est aussi certaine que celle-ci : Toutes les théories, quelle que soit la loyale conscience qui les élabore péniblement, sont et doivent être, par les conditions mêmes qui sont en elles, incomplètes, problématiques et même fausses. Sache donc que cet univers est ce qu'il fait profession d'être, un infini. N'essaye pas d'en faire la pâture de ta digestion logique : sois reconnaissant si en fixant ici ou là quelque solide colonne dans le chaos, tu l'empêches de faire sa pâture de toi. Une jeune et nouvelle génération a changé son scepticisme contre une foi aveugle en cet évangile, selon Jean-Jacques ! Voilà un grand pas dans les affaires, et qui présage beaucoup.

Bénie soit l'espérance ! Toujours dès les origines des temps, a été prophétisé quelque millénaire : millénaire de sainteté ; mais, ce qui est notable, jamais jusqu'à cette nouvelle ère, aucun millénaire de simple bien-être et d'abondantes provisions. 0 mes amis ! ne vous fiez pas à ces prophéties annonçant un pays de cocagne, avec le bonheur, la bienveillance et le vice guéri de ses difformités 1 L'homme n'est pas ce qu'on appelle un animal heureux ; son appétit pour les succulentes nourritures est •sî énorme 1 Comment dans cc vaste univers qui plane sur lui comme une tempête, infini, plein de vagues menaces, ce pauvre homme trouvera-t-il, je ne dis pas le bonheur, mais l'existence, mais un endroit pour placer son pied, si ce n'est en se ceignant les reins pour une vie de continuels efforts, de continuelle résignation ? Malheur si dans son cœur ne repose aucune foi sainte, si le mot de devoir a perdu pour lui toute signification 1 Quant à celui de sentimentalisme, si approprié aux larmes que l'on verse sur des romans ou dans de pathétiques occasions, il n'est dans tout autre cas, bon à rien ; il est moins que rien. Le cœur sain qui se dit à lui-même : Combien je suis sain est déjà tombé dans la plus fatale espèce de maladie. Le sentimentalisme n'est-il pas frère du jargon de l'hypocrisie, ou ne forme-il pas une seule et même chose ?

 Ce jargon n'est-il pas la matière première du diable ? d'où naissent toutes les faussetés, les imbécillités, les abominations d'où rien de vrai ne peut naître. Car ce jargon est proprement lui-même un mensonge doublement distillé, un mensonge à la deuxième puissance.

Et maintenant, si toute une nation tombe là-dedans ? En un tel cas je réponds : Infailliblement elle en reviendra. Car la vie n'est pas une déception habilement combinée, se décevant elle-même : c'est une grande vérité que tu es vivant, que tu as des désirs, des besoins, et ceux-ci ne peuvent subsister et se satisfaire avec des illusions, mais avec des faits. Comptez-y donc, nous reviendrons à des faits, à des faits heureux ou malheureux, tels que les com- porte notre degré de sagesse. Le plus bas, le moins louable des faits que l'on connaisse parmi ceux qu'ont amenés les besoins des mortels, est le fait primitif du cannibalisme : c'est à moi à dévorer toi. Qu'est-ce donc si, à l'aide de nos méthodes perfectionnées, c'est précisément un tel fait primitif que nous voulons ramener, pour en faire un nouveau point de départ !

 

VIII. — LE PAPIER IMPRIMÉ.

 

Dans une France aussi pratique, quoi que dise la théorie de la perfectibilité, les mécontentements ne peuvent manquer : la réforme promise est indispensable ; pourtant elle ne vient pas ; qui la commencera par lui-même ? Le mécontentement pour ce qui est autour de nous, encore plus pour ce qui est au-dessus de nous, s'en va grossissant, cherchant partout de nouvelles issues.

Inutile de parler des ballades de carrefours, ni des vieilles épigrammes qui tempéraient le despotisme ; encore moins des nouvelles à la main. Bachaumont et ses gais compagnons peuvent clore leurs trente volumes de récits bouffons et renoncer au métier d'écouteur aux portes ; car enfin il n'y a pas liberté de la presse, il y a licence. Des pamphlets peuvent être subrepticement vendus et lus à Paris, quand ils porteraient ces mots : imprimés à Pékin. Nous avons en ce temps un Courrier de l'Europe, régulièrement publié à Londres par un certain de Morande, que la guillotine n'a pas encore dévoré. Là aussi, un Linguet, déréglé, non encore guillotiné, peut émettre ses grossières lamentations, et la Bastille dévoilée, maintenant que son pays est devenu trop chaud pour lui, et que ses confrères du barreau l'ont expulsé. Le loquace abbé Raynal atteint enfin ses désirs : il voit l'histoire philosophique avec ses lubricités, ses faussetés, son phébus éleuthéromaniaque, diffus et bruyant — œuvre commune, dit-on, du philosophisme associé, quoique sous le nom de l'abbé et à sa gloire —, brûlée par la main du bourreau, et part pour ses voyages comme un martyr. C'était l'édition de 1781, le dernier livre notable qui jouit de cette béatitude du feu, le bourreau s'apercevant que cela ne servait à rien.

Dans les cours et tribunaux, avec les querelles d'argent, les cas de divorce, chaque fois que l'on peut jeter un coup d'œil sur un intérieur domestique, quelles révélations ! Les parlements de Besançon et d'Aix renvoyant leurs échos dans toute la France, retentissent des amours et des destinées d'un jeune Mirabeau. Celui-là, sous la tutelle d'un Ami des hommes, dans des prisons d'État, dans des régiments en marche, dans des auteurs allemands, dans des greniers ou autres asiles, a pendant vingt ans appris à résister au despotisme des hommes, et même, hélas ! à celui des dieux. Comment, sous ce voile rose de bienveillance universelle et du retour d'Astrée, le sanctuaire de la famille est-il si souvent un triste désert ou un bruyant asile de disputes, un enfer terrestre ! Le vieil Ami des hommes a aussi son procès de divorce, et parfois toute la famille, excepté un, est sous les verrous : il écrit beaucoup sur la réforme et l'affranchissement du monde, et pour ses rancunes privées, il lui a fallu soixante lettres de cachet. Un homme de prévoyance, cependant, de résolution, même de principes virils, mais le tout confondu dans de tels éléments intérieurs et extérieurs, qu'ils le laissaient sans règle, presque sans raison. Avidité, rapacité, directement le contraire des belles sensibilités du cœur 1 Insensés, qui attendez votre verdoyant millénaire et rien que l'amour et l'abondance, avec les ruisseaux charriant le vin, et les vents respirant la musique, avec la base et le fondement de votre existence plongeant dans une boue de sensualités, qui devenant journellement plus profonde, n'aura bientôt plus d'autre fond que l'abîme !

Ou considérez cette inénarrable affaire du collier. Le chapeau rouge, cardinal Louis de Rohan ; le rat de prison sicilien Balsamo Cagliostro ; la marchande de modes, dame de Lamotte d'une figure assez piquante ; les plus hauts dignitaires de l'Église valsant, en danses échevelées, avec des prophètes charlatans, des coupe-bourses et des filles publiques ; tout le monde invisible de Satan mis au jour et s'évertuant sans relâche dans l'enfer visible de la terre, tandis que monte vers le ciel la fumée de ses tourments. Le trône a été mis en scandaleuse collision avec le bagne. L'Europe étonnée retentit de ces mystères, pendant neuf mois, ne voit que le mensonge se multiplier par le mensonge ; la corruption parmi les grands et les humbles, la goinfrerie, la crédulité, l'imbécillité ; et la force nulle part excepté dans la faim. Pleure, belle reine, verse tes premières larmes d'une douleur sans mélange ! Ton beau nom a été terni par une haleine impure, terni sans remède tant que durera ta vie. Jamais plus il n'y aura pour toi amour ou pitié dans des cœurs vivants, jusqu'à ce que naisse une nouvelle génération et que ton propre cœur soit mort, guéri de toutes ses douleurs. Les épigrammes deviennent désormais, non plus vives et amères, mais cruelles, atroces, sans nom. Le 31 mai 1786, un misérable cardinal Rohan, grand aumônier, à sa sortie de la Bastille, est escorté par les applaudissements de la multitude : ce n'est pas qu'il soit aimé ni ligne de l'être, mais c'est un homme important parce qu'il a pour ennemis la cour et la reine[23].

Combien est obscurcie notre brillante ère d'espérance ! Tout le ciel se noircit des signes de l'ouragan et de la tempête. C'est un monde condamné. Plus rien du principe d'obéissance qui faisait les hommes libres, bientôt plus rien de l'obéissance qui faisait les hommes esclaves, au moins l'un de l'autre. Les voilà esclaves de leurs propres convoitises et devant être esclaves du péché, inévitablement aussi de la douleur. Contemplez cette masse corrompue de sensualité et de mensonge autour de laquelle se joue niaisement quelque rayon de sentimentalisme, qui n'est lui-même qu'une phosphorescence corrompue, et au-dessus de tout cela, comme l'arche de la charte nouvelle, le sombre monument patibulaire, haut de quarante pieds et bientôt lui-même presque en pourriture. Ajoutez à cela que la nation française se distingue parmi toutes les autres nations par son caractère d'excitabilité ; avec le bien, mais aussi avec le mal périlleux qui s'y attache. Les rébellions, les explosions d'une portée incalculable peuvent être prévues. II y a là, comme l'écrivait Chesterfield, tous les symptômes que j'ai pu rencontrer dans l'histoire.

Dirons-nous donc : malheur au philosophisme, qui a détruit la religion, ce qu'il appelait écraser l'infâme ! Malheur plutôt à ceux qui ont fait des saintes choses une abomination, une chose que l'on écrase : Malheur à tous les hommes qui vivent dans une telle époque d'abomination et de désolation ! Non, répondent les courtisans, c'est Turgot, c'est Necker avec leurs folles innovations, c'est la reine avec son défaut d'étiquette, c'est lui, c'est elle, c'est ceci, c'est cela. Amis, c'est chaque coquin qui a vécu, prétendant avec son charlatanisme faire quelque chose, et qui n'a fait que manger et mal faire, dans tous les départements de la vie, comme cireur de bottes ou comme seigneur suzerain, chacun dans son degré, depuis le temps de Charlemagne et plus tôt. Tout ceci — car soyez-en sûrs, aucun mensonge ne périt ; c'est une graine semée pour croître —, tout ceci s'est accumulé depuis des siècles, et maintenant est venu le jour des comptes. Et terrible sera la liquidation des colères amoncelées pour le jour de la colère ! Ô mon frère, ne sois pas parmi les charlatans ! Meurs plutôt, si tu veux prendre mon conseil ; ce n'est que mourir une fois, et tu es quitte pour toujours. Mais cette spéculation maudite porte en elle des malédictions qui se continuent longtemps, bien longtemps après que tu n'es plus, après que le salaire que tu en as recueilli est consommé ; bien plus, ainsi que l'a écrit le sage antique, à travers l'éternité ; car elles sont inscrites dans le livre de jugement d'un Dieu !

L'espérance ajournée rend le cœur malade. Et cependant, comme nous l'avons dit, elle n'est qu'ajournée, non détruite, non destructible. C'est une chose remarquable et touchante de voir comment cette même espérance éclaire encore la marche de la nation française, à travers ses rudes destinées. Car nous trouvons l'espérance brillant toujours, soit comme une douce invitation, soit comme une parole de colère et de menace ; elle a brillé comme une pure lumière céleste ; elle brille comme une rouge conflagration ; elle brille encore en flammes bleues sulfureuses, à travers les plus sombres régions de la terreur, et ne s'éteint pas du tout, car le désespoir lui-même est une sorte d'espérance. C'est ainsi que notre ère peut encore être nommée espérance, quoique dans un bien triste sens, quand il ne reste rien que l'espérance.

Mais si quelqu'un veut savoir sommairement quelle botte de Pandore est là, destinée à être ouverte, il faut le voir dans ce qui est par sa nature le symptôme des symptômes, la littérature survivante de l'époque. L'abbé Raynal, avec sa lubricité et son phébus diffus et sonore, a dit son mot, et déjà la génération hâtive répond à un autre. Voyez le Mariage de Figaro, qui maintenant (1784) après maintes difficultés, s'est produit sur la scène et parcourt ses cent soirées, aux applaudissements de tous. Par quel mérite, par quelle vigueur interne un si grand succès ? Le lecteur d'aujourd'hui pourra s'en étonner. Il n'en saura d'ailleurs que mieux que cette pièce chatouillait quelque démangeaison de l'époque ; qu'elle disait ce que tout le monde sentait et brûlait de dire. Peu de substance dans ce Figaro : de minces intrigues tréfilées, de minces sentiments et sarcasmes tirés par les cheveux ; une chose maigre, aride, et qui cependant se déroule et se trémousse adroitement, comme à travers un monde entièrement égaré, avec un certain grand air dédaigneux. Et dans chaque allusion, ce qui est le grand secret, chacun peut voir quelque image de lui-même, de son état et de ses manières. Ainsi la pièce parcourt-elle cent soirées et toute la France avec elle, riant et applaudissant. Si le barbier soliloque demande : Qu'a fait votre seigneurie pour gagner tout cela ? et ne peut que répondre : vous vous êtes donné la peine de naître, tous les hommes doivent rire, et la gaie noblesse anglomaniaque avec ses courses de chevaux, rira plus fort que tous les autres. Car comment de petits livres peuvent-ils avoir en eux de grands dangers ? demande le sieur Caron ; et il s'imagine que cette piteuse épigramme peut être une sorte d'argument. Conquérant de la Toison d'or par une gigantesque contrebande ; apprivoiseur de chiens d'enfer dans le parlement Maupeou, et finalement couronné Orphée au Théâtre-Français, Beaumarchais est maintenant au faîte, et cumule les attributs de plusieurs demi-dieux. Nous le rencontrerons encore une fois dans le cours de son déclin.

Plus significatifs encore sont deux livres produits à la veille même de la mémorable explosion, et lus avec avidité par tout le monde : Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre, et le Chevalier de Faublas de Louvet. Livres dignes d'être notés, et qui peuvent être considérés comme les dernières paroles de la vieille France féodale. Dans le premier s'élève comme une mélodie, le gémissement d'un monde moribond : partout la saine nature en conflit inégal avec l'art perfide et malsain ; elle ne peut y échapper, dans la plus humble chaumière, dans la plus lointaine île des mers. La ruine et la mort doivent frapper la bienaimée, et ce qui est plus que tout significatif, la mort même ici, non par nécessité, mais par étiquette. Quel monde de prurit et de corruption se montre visible dans cette extra-sublimité de pudeur ! Cependant, en somme, notre bon Saint-Pierre est harmonieux, poétique, quoique très-morbide. J'appellerai son livre le chant du cygne de la vieille France expirante.

Quant à Louvet, que personne ne le prenne pour harmonieux. En vérité, si ce misérable Faublas est une parole de mort, c'est de mort sur les galères, dite par un coquin qui ne se repent pas. Livre cloaque, sans même la profondeur du cloaque ! quel tableau de la société française avons-nous ici ? Tableau, à vrai dire, d'aucune chose, si ce n'est de l'esprit qui l'a produit comme une espèce de tableau. Cependant, symptôme de beaucoup de choses ; et surtout du monde qui a pu y trouver sa pâture.

 

 

 



[1] Campan, t. I, p. 125.

[2] Campan, t. I, p. 100-151. - Weber, t. I, p. 11-50.

[3] Besenval, t. II, p. 182-330.

[4] Mercier, Nouveau Paris, t. III, p. 147.

[5] Mémoires de Mirabeau, publiés par Lucas de Montigny, t. II, p. 186.

[6] Boissy d'Anglas, Vie de Malesherbes, t. I, p. 15-22.

[7] Mai 1776.

[8] Février 1778.

[9] 1773-1776.

[10] 1777. Deane un peu plus tôt ; Franklin resta jusqu'en 1785.

[11] 27 juillet 1778.

[12] 9 et 12 avril 1782.

[13] 1er août 1785.

[14] Lettres de Gibbon, 16 juin 1777, etc.

[15] Jusqu’en 1781.

[16] Mercier, Tableau de Paris, t. II, p. 51. — Louvet, roman de Faublas, etc.

[17] Adelung, Geschichte der menschlichen Narrheit, — Dodd.

[18] 1781-1782. (Dulaure, t. VIII, p. 423.)

[19] 5juin 1783.

[20] Octobre et novembre 1783.

[21] Lacretelle, XVIIIe siècle, t. III, p. 258.

[22] Août 1784.

[23] Mémoires de Mirabeau, t. II, p. 325. — Essais biographiques de Carlyle, § COLLIER DE DIAMANTS, § LE COMTE DE CAGLIOSTRO.