1690-1700. Les idées vastes, chevaleresques, de la marquise de Montespan, avaient entraîné Louis XIV aux grandes batailles, aux héroïques conquêtes, et, par conséquent, à de belles créations ; sous ses yeux le château de Versailles s'achevait[1] ; le roi avait fondé Tordre de Saint-Louis pour les braves officiers, et l’hôtel des Invalides pour recueillir les débris des combats. Il y avait dans tout ce qu'inspirait madame de Montespan une pensée élevée qui se ressentait de son éducation et de sa naissance illustre et spécialement de l'esprit du duc de Vivonne, son frère. Il n'en était pas ainsi de madame de Maintenon, toujours
un peu gouvernante, sérieuse et compassée ; Versailles lui déplaisait comme
une expression païenne de la monarchie : ce temple des arts, ces féeries
mythologiques, ces bosquets surtout où respiraient la passion jeune et
l'amour ardent pouvaient convenir à mademoiselle de Et pourtant cet esprit si formaliste n'était pas inhérent aux d'Aubigné, malgré leur calvinisme. Le grand-père, Agrippa d'Aubigné, était un joyeux et spirituel compagnon de Henri IV, caustique, quoique ardent dans sa foi[5] ; son père était prodigue et joueur. Élevée elle-même dans la société de Ninon de Lenclos, malgré la sévérité de sa position de veuve, madame Scarron avait été familière dans un monde fort à la mode ; son frère, Jean d'Aubigné, sincèrement converti au catholicisme, nommé successivement gouverneur de Béfort, de Cognac et d'Aigues-Mortes, brave soldat, avait l'esprit léger des d'Aubigné, avec toutes les dissipations de leur vie. Il aimait les plaisirs et, bourreau d'argent, il recourait sans cesse à sa sœur, excellente pour lui quoique un peu grondeuse. Jean d'Aubigné, avec une croyance démesurée en lui-même, disait tout mériter. Madame de Maintenon aimait à le rappeler à la modération, en lui reproduisant l'humble histoire de leur vie passée : Il y a trois ans, écrivait-elle, que nous étions bien éloignés du point où nous sommes aujourd'hui, nos espérances étaient si peu de chose, que nous bornions tous nos désirs à trois mille livres de rente ; nous en avons aujourd'hui quatre fois plus, et nos sentiments ne seraient pas satisfaits ![6] Telle n'était pas l'opinion de d'Aubigné ; il avait besoin d'argent pour dissiper sa vie, et, au désespoir de sa sœur, il était un des piliers du jardin des Tuileries[7], lieu de rendez-vous et de conquêtes faciles pour les gentilshommes et les bourgeois du temps. D'Aubigné, au reste, se trouvait fort heureux de sa position, et quelquefois sa sœur se prenait à le reconnaître : Que mon état présent ne trouble pas la félicité du vôtre. C'est une aventure personnelle qui ne se communique pas[8]. Revêtu du cordon bleu qu'il portait avec orgueil en dépit de Saint-Simon, Jean d'Aubigné ne venait que rarement à la cour, préférant une vie libre, douce et facile ; comme il avait la tendresse de sa sœur, le reste lui importait peu. D'Aubigné avait eu, d'un mariage un peu roturier[9], une fille
charmante déjà, et que madame de Maintenon avait en quelque sorte adoptée ; elle
faisait les délices de Saint-Cyr lorsque le roi voulut la marier ; les hauts
partis ne manquaient pas ; la faveur de madame de Maintenon était à son
apogée, et, par cette alliance, on pouvait tout espérer. On avait parlé d'un Ce mariage, annoncé à Versailles, fut l'occasion de munificences
royales. Madame de Maintenon assura Louis XIV savait faire toutes ces bonnes manières avec une
tenue parfaite ; au mariage de mademoiselle de Blois, la fille de
mademoiselle de Pour bien connaître la résignation, la grandeur de
mademoiselle de Ces admirables lettres peignent l'état de mademoiselle de Madame de Montespan assista avec sa noblesse accoutumée au mariage de mademoiselle de Nantes, qui épousait un Condé ; le roi la traita avec dignité, mais sans esprit de retour[22]. Les enfants légitimés étaient, pour ainsi dire, passés sous la puissance de madame de Maintenon, qui les avait élevés, et voulait les grandir encore en puissance ; le duc de Maine surtout, l'objet de sa prédilection, lui sacrifiait tout, même le respect envers sa mère ; créé presque en naissant colonel-général des Suisses, à douze ans prince souverain de Dombes, gouverneur du Languedoc, grand-maître de l'artillerie, plein de courage à la guerre, il épousa, jeune homme, la petite-fille du Grand-Condé, Louise-Bénédicte de Bourbon. Pour cette fois encore, madame de Montespan vint à la cour ; ce fut la dernière, le roi était tout absorbé par l'idée de son salut, et par les qualités sérieuses et négatives de madame de Maintenon, qui, avec un sens droit, dirigeait tes affaires publiques : elle venait d'éloigner, et pour ainsi dire, de tuer le marquis de Louvois, moins parce q'il s'était opposé à son mariage (si jamais il avait existé), que parce qu'il avait été l'expression de la pensée glorieuse de madame de Montespan. Louvois était un système, une personnalité absolue, un Richelieu au petit pied, et quand le système de Louis XIV se personnifia en madame de Maintenon, il fallut des ministres tout dévoués au principe négatif, sans importance personnelle que celle qu'ils tenaient de la marquise et de la confiance du roi. |
[1] Pour être exact, je dois dire que Louis XV fit beaucoup plus pour Versailles que n'avait fait Louis XIV. Tout ce qui est gracieux appartient au XVIIIe siècle.
[2] J'ai décrit Marly dans mon livre sur Madame de Pompadour.
[3] Les bâtiments de Saint-Cyr furent commencés au mois de mai 1683 et rapidement achevés au mois de Juillet 1686.
[4] Ces règlements furent approuvés par l'évêque de Chartres (janvier 1686).
[5] C'est lui qui disait de Henri IV en recevant son portrait :
Ce prince est d'étrange nature,
Je ne sais qui diable l'a fait,
Car il récompense en peinture
Ceux qui le servent en effet.
[6] Lettre de madame de Maintenon. De son côté, d'Aubigné ne se gênait pas à dire les ambitions de sa sœur : Que voudrait-elle donc ? épouser Dieu le père !
[7] Mémoires de Saint-Simon. Il faut dire que, Saint-Simon fut toujours fort hostile à la famille de madame de Maintenon.
[8] Lettre de madame de Maintenon.
[9] Il avait épousé, en 1678, Geneviève Piètre, fille d'un médecin, qui fut ensuite procureur du roi au Châtelet : par ce mariage roturier, il eût été difficile aux descendants des d'Aubigné de faire leur preuve pour entrer dans l'ordre de Malte.
[10] Saint-Simon est très-malveillant sur la généalogie des Noailles. Le Mémoire si connu de la duchesse de Maine contre les ducs et pairs est encore plus mordant ; mais on en sait l'origine passionnée.
[11]
En
[12] C'était la seule dette inscrite à la suite d'emprunts réguliers : on l'appelait le pot-au-feu des bourgeois de Paris. (Voir mes Financiers.)
[13] On dit même vingt-et-un. C'était Marie-Françoise de Bournonville, femme d'un grand mérite.
[14] Quelque temps après ce mariage, le comte d'Aubigné, le père de la mariée, mourut très-chrétiennement ; sa sœur l'avait confié à un Sulpicien qui le suivait partout pour veiller à son salut.
[15] Lettre de madame de Sévigné à madame de Grignan, 1673.
[16] 22 avril 1674.
[17] 4 novembre 1675.
[18] 7 novembre 1675.
[19] Sans date.
[20] 4 mars 1677.
[21] 11 juillet 1684.
[22]
Madame de Montespan fendit au roi an collier de perles fines qu'elle en avait
reçu, et le roi lui donna