1685-1689. Il y avait dans les idées et jusque dans les projets de madame de Montespan, quelque chose de grandiose et d'éclatant : la paix, la guerre, les fêtes, les carrousels, tout cela était noble, magnifique et vaniteux. Les splendeurs du château de Versailles se ressentaient de cette souveraineté des arts, de la beauté et de la forme ! Avec le règne de madame de Maintenon[1], tout allait changer de tendance, ou, pour parler avec plus d'exactitude, le caractère particulier des événements allait aider l'influence de madame de Maintenon. Depuis l'année 1680, la politique générale de l'Europe
avait changé d'esprit et d'intérêt : les grandes guerres de Louis XIV avaient
pour but la gloire, la conquête, l'agrandissement de II résulte, des papiers d'État, que jamais les huguenots
du Languedoc, du Saintonge, du Poitou, du Dauphiné, des Cévennes, n'avaient
cessé d'être en rapport avec les églises de Hollande, d'Angleterre,
d'Allemagne et de la Suisse[3] ; sous prétexte
de maintenir la foi, les ministres de l'Évangile, agents secrets du prince
d'Orange, des États de Hollande, des électeurs de Brandebourg, vivaient au
sein des populations huguenotes de Il ne fallait pas laisser la guerre civile à ses flancs,
quand l'Europe de la réformation se coalisait contre la patrie ; à toutes les
époques de crises publiques, les pouvoirs forts et menacés sont dans la
nécessité de comprimer à l'intérieur le parti de l'étranger, et de faire une
guerre implacable aux opinions dissidentes ; et ceux qui ont étudié l'histoire
de Cette nécessité bien reconnue, on comprend qu'il fallait
arriver à l'unité de foi dans une époque de guerre toute religieuse où les
sectes étaient des partis. Les premiers moyens employés pour arriver à ce
but, furent les conversions volontaires ; Louis XIV fil tout ce qu'un
gouvernement peut légitimement accomplir, lorsqu'il a un but politique ; il
accorda des faveurs et des pensions à tous les nouveaux convertis qui
venaient seconder ses projets d'unité : se convertir alors, c'était adhérer
aux opinions du pouvoir qui défendait Madame de Maintenon favorisa surtout le système des
conversions volontaires : n'était-elle pas elle-même une huguenote convertie,
appartenant à la vieille lignée calviniste des d'Aubigné ? Son influence
devait être grande parmi ses anciens corréligionnaires, pour amener les nouvelles
conversions ; elle connaissait bien le parti calviniste : toute la noblesse
du Poitou, de l'Anjou, les fils de ces anciens révoltés de la Rochelle[5] ; elle pouvait
agir sur eux, devenir la source des grâces, des concessions faites aux
nouveaux convertis. A mesure que les temps devenaient plus difficiles, la
guerre étrangère plus menaçante, le conseil de Louis XIV dut se résoudre à
des mesures plus sévères, plus inflexibles, et il fut nécessaire de prendre,
à l'égard du parti huguenot, une résolution qui pût tout à fait le désarmer à
l'intérieur, quand Lorsque l'histoire vulgaire[6] parle de cet acte
de vigueur politique appelé la révocation de l'édit de Nantes, on
dirait que l'ordonnance de Louis XIV est une mesure isolée qui se sépare, de
l'attitude générale de l'Europe dans la question religieuse, alors toute
politique. Or, quels étaient Tes actes du parlement d'Angleterre contre les
catholiques et les dissidents ? Que faisait La part que prit madame de Maintenon à cet acte fut complètement secondaire ; elle n'était même pas favorable à cette mesure suprême. L'homme d'État qui résolut et scella l'acte de révocation de l'édit de Nantes, celui qui entonna le cantique d'actions de grâces : le Nunc dimittis, ce fut le vieux chancelier Le Tellier, l'esprit haut et politique qui avait hérité des grands principes du cardinal de Richelieu. Le Tellier, dont la probité et la fermeté honorèrent le règne de Louis XIV, celui dont tout esprit de grande politique doit saluer la statue agenouillée sur son tombeau dans l'attitude de la méditation et de la prière[9]. Monsieur le chancelier Le Tellier, dit la chronique du marquis de Sourches, tomba malade dans sa maison de Chaville ; son grand âge faisait appréhender pour sa vie, mais il avait déclaré qu'il la quitterait sans regret puisqu'il était assez heureux pour avoir scellé la déclaration qui allait abolir la religion réformée, et ces grands sentiments obligeaient le public à le regretter encore davantage[10]. Le marquis de Sourches exprimait les opinions de son époque, et nous en sommes tous là. Une grande erreur en l'histoire est de juger, par l'esprit de son temps, les siècles écoulés ; la révocation de l'édit de Nantes excita partout l'enthousiasme en France. Chaque époque a ses rigueurs populaires, et les partis trop souvent, hélas ! procèdent par des proscriptions. Loin de partager ces idées inflexibles, madame de Maintenon
eût préféré les moyens de persuasion et les faveurs particulières accordées
aux convertis. Autrefois, elle-même fervente huguenote, elle ne s'était
convertie au catholicisme qu'après une longue lutte et une conviction
réfléchie ; Louis XIV lui reprochait même d'avoir d'anciennes liaisons avec
les huguenots et de conserver quelques-unes de ses tendances pour les formes
et les opinions calvinistes. A. peine pouvait-elle lutter contre ces
préventions par dés actes fréquents de foi catholique, par des assiduités religieuses
à l'église, par la fréquence de ses communions, par ses relations de
confiance avec le P. Le P. François d'Aix de Le P. L'école janséniste était moins française que hollandaise
et flamande ; comme les huguenots, elle appartenait au parti de l'étranger ;
on ne pouvait nier le grand esprit de Pascal, l'érudition de Nicole, d'Arnauld,
de Lancelot, de sainte Marthe, et de la haute majorité de ces solitaires de
Port-Royal, austères, si pleins de vertus et d'intelligence ; mais l'agrégation
des jansénistes en elle-même était active, intrigante[16], portée à la
résistance et à l'opposition. Au moment de cette grande guerre contre
l'Europe armée, ce qu'il fallait, te qui était patriotique avant tout, c'était
l'unité de sentiments et d'action, afin que les affaires de l'intérieur
pussent être fortement conduites sans obstacles et sans embarras. Est-ce
ainsi qu'agissaient les jansénistes de Port-Royal, caractères aigres,
turbulents, liés avec les savants de Dans la révocation de l'édit de Nantes comme dans les mesures prises contre Port-Royal, il ne s'agissait pas de satisfaire l'influence d'un confesseur, c'était la force des choses qui entraînait l'autorité dans cette voie ; et tout pouvoir, dans les mêmes circonstances, aurait été forcé d'agir dans les mêmes conditions. L'histoire moderne le dit assez et le proclame par des exemples : en politique, la tolérance suppose des temps paisibles et satisfaits. Qu'on cesse donc de déclamer contre la révocation de redit
de Nantes : cet édit concédé par Henri IV, constituait l'anarchie permanente
en donnant à un parti des places fortes, des garanties qui en faisaient une
autorité dans l'État. Quand le pouvoir unitaire fut assez fort, il brisa cet
édit et il fit bien ; à cette époque la religion n'était pas seulement une
opinion, une croyance ; elle constituait des partis vivaces, énergiques,
armés. |
[1] C'est à tort qu'à cette époque déjà on lui donne le titre de marquise de Maintenon ; la terre ne fut érigée, je le répète, en marquisat, qu'en 1688.
[2] J'ai donné les pièces originales et diplomatiques dans mon travail sur Richelieu et Mazarin.
[3] J'ai publié dans mon Louis XIV, les rapports des intendants et des ambassadeurs sur les menées du parti huguenot à l'étranger.
[4] Il existe même une extrême ressemblance entre le système des lois portées contre les émigrés en 1792 et les écrits de Richelieu et de Louis XIV contre les calvinistes.
[5] Une partie de la famille d'Aubigné, restée calviniste, s'était réfugiée en Angleterre ; il y en avait aussi dans les nouvelles colonies des îles du Vent.
[6]
Il a été publié récemment beaucoup de livres qui, avec la prétention d'être
très-sérieux, ont minutieusement calculé ce que la révocation de l'édit de
Nantes avait coûté à
[7] Voir les pièces justificatives de mon Louis XIV.
[8]
La révocation de l'édit de Nantes est du 22 octobre
[9] Michel Le Tellier, chancelier depuis 1677, mourut à quatre-vingt-trois ans, en 1685 ; il a eu l'honneur de deux oraisons funèbres, l'une de Bossuet, l'autre de Fléchier.
[10] Mémoires du marquis de Sourches, 1685.
[11]
On a coutume de dire que le père
[12]
Spon, d'origine germanique, habitait Lyon avec le père
[13] Cette douceur de caractère ne l'empêchait pas d'accomplir son devoir. En 1678, dans toute la gloire de Louis XIV, il lui refusa l'absolution pascale, s'il ne se séparait pas de madame de Montespan. (Note du marquis de Sourches, avril 1685.)
[14] Mémoires de Saint-Simon, 1685.
[15] Plus de six séances du conseil à Fontainebleau furent consacrées à l'examen de l'édit de révocation soumis au parlement qui l'enregistra avec enthousiasme.
[16] Cet esprit du jansénisme explique l'éloge que toutes les oppositions des époques modernes ont fait de Port-Royal et la popularité universitaire de la médiocre histoire d'un écrivain qui touche à tout sans oser rien.
[17] Les plus actifs d'entre les jansénistes s'étaient réfugiés en Hollande.
[18] On peut voir des détails fort carieux dans les Mémoires de l'intendant Foucauld, qui donne le nom des familles calvinistes forcées de s'exiler.