1685-1690. La guerre hardie et magnifique faite contre Durant cette guerre, Louis XIV fit presque toujours campagne à la tête de sa noblesse ; la marquise de Montespan qui le lui avait conseillé elle-même, le suivait sous la tente, aux sièges, aux batailles. Le roi aimait la gloire et le bruit des armes : demeurer au milieu de ses gentilshommes, sous la tente, était la vie naturelle et sympathique au roi de France : on faisait un siège, la garnison battait la chamade, après la tranchée ouverte, c'était à qui le premier irait au feu ; les petits cadets de quatorze ans s'exposaient comme de vieux soldats aux mousquetades ; le roi devait être fier d'une telle noblesse[2], qui comptait des invalides de quinze ans ; et c'est pourtant cette noblesse qu'il abaissait au rôle de courtisan. La coutume était alors, sauf dans quelques campagnes exceptionnelles, sous Turenne, de prendre des quartiers d'hiver ; il se faisait une trêve de part et d'autres, on respirait comme dans un duel, lorsqu'il y a fatigue entre adversaires loyaux ; ces quartiers d'hiver donnaient à la guerre quelque chose de moins acharné, de moins sauvage. D'un camp à l'autre, les gentilshommes se donnaient la main, on avait le temps de réparer ses équipages : mousquetaires, chevau-légers, gardes-françaises, régiments du roi, rentraient dans leurs quartiers d'hiver, et la cour revenait à Saint-Germain, à Versailles, plus brillante, plus joyeuse ; il y avait même dans cette suspension d'armes, un entrain de fêtes, une gaîté, une insouciance, qui préludaient aux dangers si prochains d'une campagne que chacun voulait faire avec honneur et avec gloire[3]. La marquise de Montespan et ses nobles sœurs étaient encore
les divinités de la cour ! devant elles toute influence s'était effacée ; la
duchesse de Les travaux suivis avec persévérance an château de Versailles, s'achevaient avec rapidité ; les jardins étaient finis ; on les peuplait de statues, de bassins, de bosquets et de portiques. En descendant le grand escalier de marbre, on passait à travers les groupes en bronzes de Silènes, Antinoüs, Apollon et Bacchus pour aboutir au parterre d'eau ; à gauche, Mansard construisait l'Orangerie ou l'on apportait déjà les orangers de Fontainebleau, ces vétérans des jardins dont quelques-uns dataient du connétable de Bourbon[6]. Le régiment Suisse creusait sa pièce d'eau[7] tandis qu'au nord les gardes-françaises achevaient le vaste bassin de Neptune ; les eaux ne commencèrent à jouer que quelques années après les constructions (1685). Le Nôtre ordonnait le bassin de Latone et dessinait le tapis vert ; le bosquet qui prit le nom de salle de bal, à cause des premières fêtes données par Louis XIV ; là venaient jouer et se reposer les enfants de France[8]. Plus tard, monseigneur (le Dauphin), le grand poursuiveur de loups, y donnait ses repas de chasse ; les hauteurs boisées de Parts étaient remplies de bêles fauves qui désolaient les campagnes ; monseigneur le Dauphin, le hardi capitaine de louveterie, les en délivra pour toujours ; infatigable dans ce noble métier, il avait soixante couplets de chiens, chacun un collier de fer aigu au cou, afin de repousser les dents de carnassiers, et ainsi armés, les molosses défiaient le loup dans une lutte corps à corps. On exécutait, d'après Mansard, cette charmante salle de
marbre et de verdure, appelée les colonnades,
ornée de portiques comme dans Le dieu, se reposant sous ces toutes humides, Est assis au milieu d'un chœur de Néréides[10]. Ainsi le parc et le jardin, ces grandes merveilles du
château de Versailles s'achevaient, tandis que les bâtiments, les galeries
étaient en pleine construction. Déjà ces galeries étaient assez avancées
polir qu'on pût donner des fêles, et le Mercure de France en écrit la description
avec un soin particulier : Cette année on joua
plusieurs pièces à la cour, et parmi elles, le mariage de Bacchus et
d'Ariadne. Les poésies en ont paru fort agréables, et les chansons en ont
été faites par le fameux sieur de Molière dont le mérite est si connu ; la
pièce est de l'auteur des Amours du Soleil qui firent tant de bruit l'année
dernière et qui, cette année, ont encore occupé le théâtre pendant deux mois.
Je ne vous dirai rien à l'avantage de ces pièces, l'auteur est trop de mes
amis et les louanges que je lui donnerais paraîtraient suspectes ; l'autre
pièce est une tragédie intitulée Bajaxet, qui passe pour un ouvrage
admirable ; et, vous n'en douterez pas quand vous saurez que cet ouvrage est
de monsieur Racine, puisqu'il ne part rien que Je très-élevé de la plume de
cet illustre auteur ; le sujet de la pièce est turc, à ce que rappelle
l'auteur dans sa préface[11]. Au milieu de ces fêtes, un astre nouveau s'était levé sur
Versailles avec un tel éclat qu'il avait tout éclipsé de ses rayons ; c'était
encore une des filles d'honneur de Madame, d'une beauté admirable,
Marie-Angélique de Fontanges, alors à 17 ans[12]. Cette merveille
fut produite par madame de Montespan elle-même qui pouvait craindre sa
jeunesse, sa beauté, et jamais son esprit ; le roi qui était à cet âge ou
l'on recherche comme un dernier reflet de la vie une passion jeune et
gracieuse, s'éprit de madame de Fontanges ; tout se fit, désormais, par la
volonté et les coquetteries de la jeune favorite ; elle fut la souveraine un
peu marbre et ivoire, chantée par les courtisans, et madame de Montespan fut
inquiète un moment de ravoir trop louée. Il ne fut plus parlé alors à la cour
que de la belle de Fontanges, et toutes ses volontés furent des ordres ; on
porta des cheveux à Mademoiselle de Fontanges bientôt devint mère et le sérail
du maître s'accrut d'un nouvel enfant mort presque aussitôt ; cette couche fut
si laborieuse que la jeune fille perdit une partie de son éclat, et, avec ses
attraits, l'amour passionné du roi. Madame de Montespan semblait seule
conserver le privilège de garder sa beauté et, au-dessus encore de sa beauté,
l'esprit qui survit à toutes choses et les grandes manières qui plaisent toujours.
Mademoiselle de Fontanges fut punie par Dieu de son orgueil qui gardait peu
de mesure : elle mourut dans la retraite à moins de vingt ans[14], à l'abbaye des
religieuses du Port-RoyaL Si, comme Ces tristes scandales de la cour étaient toujours expliqués, encouragés, adulés par les poètes flatteurs de tous les pouvoirs ; il ne faut jamais séparer la littérature d'une époque, des idées et des intérêts qui rayonnent autour d'elle, et parmi les platitudes du génie pu de l'esprit qui favorisèrent les mauvaises tendances du siècle, il faut placer la comédie d'Amphitryon. Jupiter s'introduit chez Amphitryon auprès d'Alcmène ; il daigne s'abaisser jusqu'à une simple mortelle et de cet amour doit naître Hercule[15]. N'est-ce pas l'histoire de Louis XIV avec ses maîtresses ? A travers toutes les impiétés railleuses de l'école d'Épicure et de Gassendi sur les dieux, Molière marche libre et droit à cette maxime : Quand l'amant est le monarque (le Dieu), le mari doit se taire. Sosie, cette véritable incarnation du matérialisme, s'écrie : Le véritable amphitryon est l'amphitryon où l'on dîne ; Et quand Jupiter annonce que de son union avec Alcmène naîtra Hercule : Chez toi naîtra un fils qui, sous le nom d'Hercule, Remplira de ses faits tout le vaste univers[16]. Sosie ajoute : Le grand Dieu Jupiter nous fait beaucoup d'honneur. Et sa bonté, sans doute, est pour nous sans seconde ; Il nous promet l'infaillible bonheur D'une fortune en mille biens féconde, Tout ceci va le mieux du monde ; Mais enfin coupons court aux discours, Et que chacun chez soi doucement se retire, Sur telles affaires toujours, Le meilleur est de ne rien dire. L'entendez-vous cette leçon du vice ? le meilleur est de ne rien dire. Moquerie dure sur le marquis de Montespan qui osait gémir et se plaindre ; les fils nés de Jupiter et de sa femme, seront des Hercule ; il ne peut rien demander de plus ! A cette époque se joue sur le théâtre cette pièce immorale que Molière intitule : Georges Dandin, flétrissure jetée sur le mariage ; la femme et l'amant sont des personnages charmants, aimables. Il n'y a d'intérêt que pour eux et sur eux : Georges Dandin est trop heureux d'être trompé. De quoi s'avise-t-il donc ? d'être jaloux de sa femme, de vouloir qu'elle soit à lui tout seul ; c'est un impertinent, et monsieur le vicomte lui fait trop d'honneur[17]. Ainsi Molière fait parler ses personnages et la cour applaudît. Boileau, cet autre flatteur des mauvaises passions et des
vices de Louis XIV, cet enfant maussade de Mox,
lenone suas jam demittente puellas Tristis
abit, et quod potuit, tamen ultima cellam Clausit, adhuc ardens rigidæ tentigine vulvæ Et lassata viris, sed non satiata recessit[18]. On ne pourrait traduire littéralement ces vers d'une lascivité païenne ; mais Juvénal s'adressait à la société polythéiste, à cette Rome aux mœurs infâmes et débauchées, à cette société de lupanars et de Messaline, tandis que Boileau parlait du mariage chrétien. Et cependant il osait dire aux pères de famille : Quelle joie, en effet, quelle douceur extrême De se voir caressé d'une épouse qu'on aime, De s'entendre appeler petit cœur ou mon bon, De voir autour de soi croître dans sa maison, Sous la paisible loi d'une agréable mère. Des petits citoyens dont on croit être père[19]. Celte odieuse morale n'était-elle pas la destruction de la famille ? Quel était donc le but de ce satyrique railleur en arrachant au cœur de l'homme la sainte croyance de la paternité, si ce n'est de flatter encore les amours de Louis XIV ? de dire au roi : Osez tout, les maris seront trop heureux de vous complaire : à vous la volupté, à eux le ridicule et les douleurs profondes. |
[1] Voir mon Louis XIV.
[2] Gazette de France, 1685, 1690.
[3] Lettres de madame de Sévigné ; elles nous font connaître le véritable esprit de cette noblesse.
[4] Le Tellier avait alors 75 ans.
[5] Correspondance de Bussy-Rabutin, 57.
[6] Le plus ancien des orangers s'appelait le Grand-Bourbon ; il avait été donné en 1531 par le duc de Bourbon.
[7] Elle fut achevée en 1679.
[8] Un vieux tableau reproduit la veuve Scarron, conduisant mademoiselle de Blois à la salle de bal dans le jardin du Versailles.
[9] Apollon sous les traits de Louis XIV ainsi que je l'ai dit.
[10]
[11] Mercure de France, 1679.
[12] Mademoiselle de Fontanges, était née en 1661, d'une ancienne famille du Rouergue ; Javraille de Rousselle.
[13] Lettre de madame de Sévigné à madame de Coulanges, 1679 ; il y règne un peu de jalousie de la vieille mode contre la nouvelle.
[14] Le 28 juin 1681.
[15] Et chez nous il doit naître un fils de très-grand nom. (Amphitryon, dernière scène).
[16] Jupiter (Louis XIV) ajoute :
Tu peux hardiment te flatter
De ces espérances données.
C'est un crime que s'en douter ;
Les paroles de Jupiter
Sont des arrêts des destinées.
[17] Georges Dandin, acte 3, scène IV.
[18] Juvénal, Satire VI, vers 127.
[19] Boileau, Satire X.