1670-1680. Au point de vue de l'administration et de la politique,
l'action intime de la duchesse de Il n'en avait pas été ainsi de la marquise de Montespan, qui tenait par sa naissance à une des ambitieuses lignées de France ; son frère, le duc de Vivonne, gentilhomme fort spirituel et caustique, très-brave assurément, méritait-il la fortune royale que sa sœur lui assurait sur terre et sur mer ? le commandement suprême des galères, le titre de maréchal de France ? Il devait donc beaucoup au roi et à la marquise de Montespan. Comme le duc de Vendôme, le duc de Vivonne appartenait à cette société de gentilshommes un peu mécréants (l'école de Gassendi) qui profitaient des passions de Louis XIV pour développer en lui tous les mauvais principes. Ce fut le duc de Vivonne qui obtint, par le crédit de madame de Montespan, que le Tartufe serait joué même devant la cour et à l'hôtel de Bourgogne[2]. Avec le sentiment de haute fermeté qui distingua toujours la magistrature, le premier président du Harlay (grand nom entre tous), s'opposa fermement à la mise en scène de cette déclamation publique contre la piété ; ce fut alors que Molière, selon la tradition, osa ce mauvais jeu de mots : On ne jouera pas Tartufe ce soir, parce que M. le premier président ne veut pas qu'on le joue. En vérité, appartenait-il au directeur d'une troupe de théâtre d'insulter ce que le monde doit respecter et honorer, le premier président d'une grande compagnie judiciaire ! M. du Harlay était un magistrat grave, austère, pieux, et une troupe de baladins osait lui jeter l'injure à la face, et le présenter à tous comme- un Tartufe. La résistance du parlement fut vaincue, au reste, par le crédit du duc de Vivonne et par l'influence de madame de Montespan, Tartufe fut mis au théâtre. C'était le temps de ces réunions de Molière, Élèves que j'ai faits dans la loi d'Épicure[5]. Oui, c'est cette société d'Épicure qui revit dans ces doux vers de Chaulieu sur la destinée de l'âme. Là dans l'instant fatal que le sort m'aura mis. J'espère retrouver mes illustres amis. Voulant plaire à Corinne ou caresser Julie[6]. Tous les hommages sont à Ninon, cette idole de la foi épicurienne. A Ninon de qui la beauté Méritait une autre aventure Et qui devait avoir été Femme ou maîtresse d'Épicure[7]. Les passions effrénées du roi autorisaient la licence des
esprits, et madame de Montespan se fît la protectrice de tous ces poètes qui
venaient brûler l'encens à ses pieds ; et à côté d'elle, Vivonne, Bouillon,
Vendôme, d'Effiat, tendaient la main à cette littérature désordonnée. Ce fut
à madame de Bouillon que la plupart des contes licencieux de Les contes de Jupiter (Louis XIV) eut un fils qui se sentant du lieu Dont il tirait son origine Avait l'âme toute divine. L'enfance n'aime rien : celle du jeune dieu, Faisait sa principale affaire Des doux soins d'aimer et de plaire. En lui l'amour et la raison Devançant les temps dont les ailes légères N'annoncent que trop tôt, hélas ! chaque saison. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Jupiter cependant voulut le faire instruire. Il assembla les dieux et dit : J'ai su conduire Seul et
sans compagnon Jusqu'ici l'univers ; Mais il
est des emplois divins Qu'aux
nouveaux dieux je distribue. Sur cet
enfant chéri j'ai donc jeté la vue. C'est mon
sang, tout est plein déjà de ses autels. Afin de
mériter le rang des immortels, Il faut qu'il sache tout. Le maître du tonnerre Eut à peine achevé que chacun applaudit. Peur savoir tout, l'enfant n'avait que trop d'esprit Je veux, dit le dieu de la guerre, Lui
montrer moi-même cet art Par qui
maints héros ont eu part Aux
honneurs de l'Olympe et grossi cet empire. Je
fierai son maître de lyre, Dit le beau et docte Apollon. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Quand ce vint au dieu de Cythère, Il dit qu'il lui montrerait tout L'Amour avait raison ; de quoi ne vient à bout L'esprit joint au désir de plaire ? Ainsi, aux yeux de ces poêles, de ces flatteurs, Louis XIV
était Jupiter, ses fils adultérins des dieux ; le vice sentait l'ambroisie et
L'influence de madame de Montespan fut très-considérable
sur le choix des ministres d'État ; elle contribua à très affaiblir la
puissance de Colbert, fort dévoué à mademoiselle de Il en résultait aussi que sous madame de Montespan,
l'influence de M. de Pomponne devait également s'affaiblir et s'éteindre :
Pomponne appartenait à la famille des Arnaud, à cette coterie des Nicolle de
Port-Royal, très-instruite, honnête, mais insupportable pour un gouvernement
ferme. M. de Pomponne avait fait tout son possible pour se ployer aux
nouvelles idées de la cour, aux intérêts de madame de Montespan, à cette
famille illégitime qui se groupait autour du roi, et il ne pouvait plus
correspondre au système absolu de Louis XIV, quand il avait tous ses amis
parmi les anciens frondeurs. On peut voir le regret qu'ils expriment sur sa
disgrâce : à leurs yeux c'est presque un nouveau Fouquet[10] ; il semble que
le dernier reflet de Les guerres de Louis XIV, faites pendant le doux règne de
mademoiselle de La nouvelle guerre, toute sous l'influence de la marquise
de Montespan, fut une vengeance de l'orgueil blessé ; les Hollandais
insultaient Louis XIV : Abaissé sous l'influence
d'une femme perdue, disaient leurs pamphlets. Le passage du Rhin fut
tout chevaleresque ; il aboutit à la prise d'Anvers, à la marche rapide sur
Amsterdam ; on voulait punir celte république de commerçants et de pamphlétaires.
La marquise de Montespan ne pouvait souffrir que le soleil de Louis XIV fut
obscurci ; son règne fut celui de la noblesse de cour[11], qui succédait à
l'esprit gentilhomme. Il fallait voir comme toutes ces nobles races parlaient
alertes et joyeuses ; madame de Montespan en était comme l'expression, pour
la forme, l'esprit, l'élégance ; issue de ce monde de haute noblesse, elle
était la déesse de la maison du roi : mousquetaires, chevau-légers, gendarmes
; son regard inspirait la gloire, sa voix la commandait à tous. La guerre
contre Le ministre de la prédilection de madame de Montespan, je
le répète, ce fut Louvois, de cette famille Le Tellier, si grande, qui
s'associa franchement à l'œuvre de Louis XIV[12]. Louvois fut
l'homme d'État, Colbert le commis jaloux, fort intéressé au reste[13] pour sa propre
fortune. Avec Colbert, |
[1]
Le duc de
[2] J'ai dû rechercher l'origine du Tartufe ; le premier canevas de la pièce est de l'épicurien Chapelle ; le manuscrit, corrigé de la main de Chapelle, était aux mains d'une famille parlementaire : Grimarest (Vie de Molière, édition de 1705) l'avait vu : Une famille de Paris (dit Moréri) possède ce manuscrit. (Dictionnaire critique, édition de 1732.)
[3] On ne peut dire toute l'influence de Chapelle sur la littérature d'alors : on l'appelait ivrogne, et cependant il corrigeait Boileau, donnait des leçons à Racine. C'est Chapelle qui donna cette spirituelle définition de Bérénice :
Marion pleure, Marion crie,
Marion veut qu'on la marie.
[4]
Le nom de
[5] Vers de Chapelle.
[6] Poésies de l'abbé de Chaulieu.
[7] Vers de Chapelle.
[8]
Le privilège du roi pour les contes de
[9] Voir mon Louis XIV.
[10] Lettres de madame de Sévigné : elle donne d'immenses regrets à M. de Pomponne. (Livre 2.)
[11] Boileau, le poète officiel, s'écriait à l'occasion de cette campagne :
Grand Roi, cesse de vaincre ou je cesse d'écrire !
[12] Le chancelier Michel Le Tellier, avait été le conseiller et fut le successeur de Mazarin. Il avait été secrétaire d'État de la guerre.
[13] Colbert, au reste, avait fait sa part de fortune ; il était devenu aussi riche et aussi fastueux que Fouquet. Le seul château de Sceaux avec des embellissements lui coûtait 3.000.000 de livres ; il le revendit 3.500.000 à la duchesse du Maine.